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Date : 20020114

Dossier : T-850-99

Référence neutre : 2002 CFPI 31

ENTRE :

         PHYLLIS RANDALL, LONNIE DODGE, JOSIE DODGE, ROBERT K. SCOTT,

                 BRIAN WELCH, FLOYD SCOTT, ANTHONY DODGE (AUSSI CONNU

                    SOUS LE NOM D'ARTHUR DANIEL SIMONS), MABEL HAWCO,

CHRISTOPHER HAWCO PÈRE, SUSAN DE LEARY, WILLIAM DELEARY, LISA BRUMMITT, LAURA BRUMMITT MERCER, WALLACE KENNEY, RENA H. THOMPSON, PAMELA DODGE, TERESA JACOBS,

                   ELLA ROBITAILLE, CAROLINE JUNE WELCH, TONY DONOVAN,

                       JO ANN WILSON, ROBERT DODGE, JOSEPH CHAMBERLIN,

      MARGARET VANDERWEIDE, MARIE DUCKWORTH, SHAWN DUCKWORTH,

     IAN DUCKWORTH, DAVID MCPHEE, JANICE DODGE, DANIEL CHAMBERLIN,

                    NANCY LAMOREUX, JAMES ALLAN DODGE, SANDRA DODGE,

       WENDY DONOVAN CAMPBELL, DARRYL R. JACOBS, EDWARD A. JACOBS,

                        ANGELA HIGGINS, WILLIAM DODGE, FLORENCE DODGE,

          STANLEY JAMES SCOTT, STEVEN SCOTT, DANIEL SCOTT, JACK SCOTT,

                          MARY FRANCES DUCKWORTH, CANDICE BRUMMITT,

            VICKY BAKELAAR-CORNELL, MICHAEL CORNELL, WILLIAM DUNN,

                      SARA ANN SCOTT, PAT BRUMMITT, WILSON DODGE, PÈRE,

                  ELIZABETH DODGE, WILSON DODGE, FILS, WILSON DODGE III,

                               MYRTLE JOYCE, EVA TYLER, RONALD DOOLITTLE

                                                                                                                                               (demandeurs)

                                                                                   et

                              PREMIÈRE NATION CALDWELL DE POINT PELEE ET

                  CONSEIL DE L'ÎLE PELEE, LARRY JOHNSON, HENRY SOLOMON,

                                     FRANKLIN SOLOMON et DONALD SOLOMON

                                                                                                                                                  (défendeurs)


                                                                                                                                     Dossier : T-1230-99

ET ENTRE :

             LOUISE HILLIER, JANNE PETERS, MELODY WATSON, JIM PETERS,

                        SUSIE PETERS, VIDA PETERS, ERIC PETERS, JUNE PETERS

             CARRIE PETERS, JODY PETERS, LINDSAY PETERS, RALPH PETERS,

                         GERALDINE PETERS, YVONNE PETERS, DAVID HILLIER,

                     DENNIS HILLIER, KEN FORD, MARGARET PETERS-NELNOR,

         ISAAC PETERS, DIANE PETERS, DANIELLE PETERS, ISAAC PETERS, FILS,

                          MILDRED FORD, JANET ALLEN, ELIZABETH WENZLER,

                                               RUTH SIMPSON ET STEVE SIMPSON

                                                                                                                                               (demandeurs)

                                                                                   et

                              PREMIÈRE NATION CALDWELL DE POINT PELEE ET

                  CONSEIL DE L'ÎLE PELEE, LARRY JOHNSON, HENRY SOLOMON,

                                     FRANKLIN SOLOMON et DONALD SOLOMON

                                                                                                                                                  (défendeurs)

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SIMPSON

Introduction

[1]                 Les présentes procédures jointes (l'action) ont été intentées par Phyllis Randall et autres (la demanderesse Randall) et par Louise Hillier et autres (la demanderesse Hillier) (collectivement appelés les demandeurs) contre la Première Nation Caldwell de Point Pelee (la bande), le conseil de l'île Pelee (le conseil), Larry Johnson, qui est chef de la bande depuis 1987 (le chef Johnson) et deux autres personnes défenderesses (collectivement appelés les défendeurs).

  

L'action

[2]                 Dans l'action, les défendeurs sont les dirigeants actuels de la bande et les demandeurs sont un groupe formé de membres et de non-membres de la bande qui cherchent à évincer et remplacer ces dirigeants. Les deux groupes dépendent de la bonne volonté et de l'appui des autres membres de la bande et sont en compétition pour les obtenir. Par conséquent, chaque groupe a intérêt à provoquer de la publicité qui le favorise et qui abaisse ses opposants.

[3]                 Les demandeurs à l'action allèguent notamment que le conseil, le chef Johnson et les défendeurs ont négocié avec la Couronne une convention de règlement datée du 24 janvier 2000 (la convention de règlement) sans l'autorisation ou la connaissance de la bande, que le conseil et le chef Johnson refusent de déclencher des élections pour le poste de chef depuis 1990 et que le conseil et le chef Johnson ont irrégulièrement modifié la liste des membres et la liste des électeurs de la bande. En particulier, les demandeurs allèguent que plusieurs des membres actuels de la bande qui ne sont pas parties à l'action n'ont pas le droit d'être membres de la bande.

La présente procédure d'outrage au tribunal


[4]                 Dans la présente procédure, les demandeurs allèguent que le chef Johnson devrait être déclaré coupable d'outrage au tribunal parce qu'il a utilisé des renseignements obtenus au moyen du processus d'interrogatoires préalables en vue d'obtenir la faveur des membres de la bande. Ils disent que ce but est étranger au litige et qu'il contrevient donc à la règle de l'engagement implicite. En common law, la règle de l'engagement implicite est une règle de procédure non écrite exigeant le maintien de la confidentialité des renseignements obtenus lors de la production de documents et des interrogatoires préalables et interdisant l'usage de ces renseignements pour des fins étrangères au litige. Dans certaines juridictions, les règles de pratique des tribunaux comprennent la règle de l'engagement implicite (voir, par exemple, la règle 30.1 des Règles de procédure civile de l'Ontario, R.R.O. 1990, règl. 194). Cependant, il n'est pas contesté que la règle de l'engagement implicite s'applique en Cour fédérale sous sa forme de common law. Les avocats conviennent tous que la décision de madame le juge Reed dans Canada c. Ichi Canada Ltd., [1992] 1 C.F. 571, expose les principes de droit pertinents à cet égard.

[5]                 Selon le principal argument des demandeurs, le chef Johnson a appris le nom des membres de la bande dont le statut était mis en doute au cours des interrogatoires préalables et il a contrevenu à la règle de l'engagement implicite lorsqu'il a largement publicisé ces renseignements et qu'il a communiqué avec les personnes concernées pour le leur dire.


[6]                 Les demandeurs veulent que le chef Johnson soit condamné à verser une amende de 1000 $, qu'il lui soit interdit de contrevenir à nouveau à la règle de l'engagement implicite, qu'il lui soit ordonné d'envoyer à tous les membres de la bande une lettre de nouvelles contenant une déclaration dans laquelle il s'excuse et qu'il lui soit ordonné de payer, dans un délai raisonnable, les dépens des demandeurs relativement à la présente requête et à l'audience portant sur la justification tenue devant le protonotaire Lafrenière. Les demandeurs requièrent que leurs dépens soient fixés sur la base procureur-client au montant de 10 000 $ pour M. Kevin Ross (Ross), l'avocat de la demanderesse Hillier dans l'action T-1230-99 et l'avocat principal en l'espèce, et au montant de 3 500 $ pour M. Stanley Mayes (Mayes). Mayes est l'avocat de la demanderesse Randall dans l'action T-850-99 et il a joué un rôle de soutien dans la présente instance.

La preuve

[7]                 La preuve des demandeurs a été exposée dans l'affidavit que Nancy Pollard a signé sous serment le 24 novembre 2000. Suivant le consentement des parties, une version abrégée de son affidavit et un mémoire en contenant seulement les pièces les plus pertinentes ont été utilisés lors des plaidoiries. Les demandeurs ont également déposé deux lettres récentes, datées du 13 septembre et du 3 octobre 2001, qui montraient que les parties avaient tenté de régler la présente affaire juste avant l'audience. Les pourparlers ont cependant pris fin lorsque le chef Johnson a retiré une offre non expirée. Mayes a invoqué trois autres lettres, datées des 18 et 23 mai et du 19 juin 2000. Les demandeurs n'ont fait témoigner personne.


[8]                 L'avocat des défendeurs à l'action est M. James Mays. Ce dernier représente également le chef Johnson dans la présente procédure d'outrage au tribunal et sera appelé l'avocat des défendeurs dans les présents motifs. Le chef Johnson, qui est le seul défendeur visé par l'allégation d'outrage au tribunal, était présent à la Cour lors de l'audience relative à l'outrage au tribunal mais il n'a pas témoigné. La preuve présentée en son nom a aussi été déposée suivant le consentement des parties et consistait en un mémoire des pièces contenant cinq documents.

Les présumées contraventions à la règle de l'engagement implicite

[9]                 Au cours de l'interrogatoire préalable de la demanderesse Mabel Hawco, le 7 septembre 1999, l'avocat des défendeurs l'a interrogée sur sa critique de la liste des membres et de la liste des électeurs de la bande. Elle a fourni les noms de certains membres de la bande qui, selon elle, n'avaient pas le droit d'être inscrits et elle s'est engagée à fournir des renseignements supplémentaires au sujet des noms dont l'inscription est contestable.

[10]            Le 18 mai 2000, le chef Johnson a envoyé à tous les membres de la bande une lettre se lisant en partie ainsi :

[Traduction]

Débat sur la liste des électeurs :

Les membres dissidents de la bande et les non-membres dissidents ont mentionné de nombreux noms qui, selon eux, devraient être retirés. Nous devons rapporter que, jusqu'à maintenant, les dissidents ont abordé la possibilité que soient retirés de la liste des électeurs, de la liste de la bande ou des deux listes les noms de nombreuses familles de la bande Caldwell.

Une dissidente non-membre, Mabel Hawco, a dit que personne ne devrait être membre de la bande avant d'avoir atteint l'âge de dix-huit ans. Bien entendu, en tant que conseil, nous ne sommes pas d'accord. Cette non-membre a proposé que les noms suivants soient retirés de la liste des électeurs, de la liste de la bande ou des deux listes.

Charlotte Allard       Milton Yon                 Wilson Dodge                        Linda Deleary

Natalie Fletcher        Frank Gratton             Larry Johnson                        Marilyn Gratton


Marion Johnson       Wayne Gratton           David L. Welch                      Clarence Gratton

Tina Welch              Herbert Gratton          Willy Deleary                        la famille Fox

Wanda Kenney

La non-membre dissidente s'oppose également au statut de membre de la bande Caldwell des enfants suivants ou met en doute ce statut;

Amanda Johnson     Nadine Lewis              Jennifer Johnson Paul Lewis

Charley Johnson      Taylor Derbyshire     Robin Van Oirschot              Katie Welch

Matthew Watson     David Watson             Brenda R. Welch

Mme Hawco prétend qu'un membre votant en particulier est décédé mais, selon le conseil, ce membre vit dans la région de Leamington. Il faut mentionner que les demandeurs n'ont pas encore finalisé les listes d'adultes et d'enfants susmentionnées. Lorsque nous en aurons des nouvelles par le système judiciaire, ils auront peut-être effacé ou ajouté des noms.

Phyllis Wilson pense que je ne suis moi-même pas un membre et que je viens d'une autre bande.

La dissidente Caroline Welch a fait des déclarations judiciaires demandant le retrait des noms suivants :

Myrtle Joyce           Elizabeth Dodge            William Dodge    Florence Dodge

Denise Dodge           Wilson Dodge III          David L. Welch Tina Welch

Plus les enfants de David L. Welch et de Tina Welch

Lorsque nous aurons des nouvelles des dissidents et de leurs avocats, nous saurons s'ils veulent que plus ou moins de membres de la bande soient retirés de la liste de la bande, de la liste des électeurs ou des deux listes. Nous espérons que le nombre possible de noms énumérés par les dissidents diminuent au lieu d'augmenter.

[non souligné dans l'original]

[11]            Il n'est pas contesté que les renseignements contenus dans la lettre du 18 mai 2000 provenaient en partie des interrogatoires préalables des demandeurs. On allègue qu'il s'agit là d'une contravention à la règle de l'engagement implicite parce que le chef Johnson a mentionné Mabel Hawco et la position que celle-ci a adoptée lors de son interrogatoire concernant l'identité des membres de la bande dont les noms devraient être retirés de la liste des membres et de la liste des électeurs de la bande.

[12]            Le 23 mai 2000, Mayes a envoyé à l'avocat des défendeurs une longue lettre (la lettre de Mayes), dans laquelle il a donné un aperçu de la position de ses clients quant à l'action et où il a critiqué le défaut des défendeurs de donner suite à leurs engagements en temps opportun. Mayes a alors énuméré les noms qui, selon ses clients, devaient être ajoutés ou retirés de la liste des électeurs de la bande.

[13]            Il s'agit de déterminer comment qualifier cette lettre. Les demandeurs disent qu'elle a été envoyée dans le cadre de l'action pour donner suite aux engagements fournis lors des interrogatoires préalables. Toutefois, l'avocat des défendeurs affirme qu'elle se situe hors du cadre de l'action car elle a été envoyée pour faire avancer un processus de règlement enclenché par la juge chargée de la gestion de l'instance.

[14]            À cet égard, l'avocat des défendeurs invoque les motifs d'ordonnance que cette dernière a prononcés le 14 avril 2000. Dans ses motifs, elle a accordé une injonction interdisant aux défendeurs de tenir un vote de ratification de la convention de règlement. Après avoir rendu sa décision, elle a ajouté les déclarations suivantes, que je qualifierai de « commentaires » :

[67]          [...] Il est à espérer que les demandeurs feront part aux défendeurs de toute observation qu'ils jugent nécessaire ou opportune relativement à toute modification de la liste des électeurs en vue d'assurer qu'un vote relatif à la ratification puisse être tenu par un électorat régulier.

[68]          J'espère tout autant que les défendeurs prennent dûment en considération toute observation de la sorte.

[15]            L'avocat des défendeurs affirme que ces commentaires constituent une directive par laquelle la juge chargée de la gestion de l'instance a ordonné aux demandeurs de présenter des observations aux défendeurs au sujet des modifications à la liste des électeurs ainsi qu'une directive ordonnant aux défendeurs de prendre ces observations en considération. Il qualifie cela de « processus » distinct de l'action et prétend que, pour cette raison, la règle de l'engagement implicite ne s'applique pas. Il avance également, de façon subsidiaire, que si la règle de l'engagement implicite s'applique, il faut interpréter la « directive » de la juge chargée de la gestion de l'instance comme exonérant les parties de son application parce que le processus d'établissement de la liste des électeurs exige qu'on communique avec les membres de la bande qui ne sont pas parties à l'action et dont l'inscription sur la liste est contestée pour leur demander des renseignements sur des questions comme leur lignée et leur statut d'Indien.


[16]            Je suis d'accord avec l'avocat des défendeurs que Mayes a écrit sa lettre à la suite des commentaires que la juge chargée de la gestion de l'instance a fait le 6 avril 2000, et non pas en vue de donner suite aux engagements pris par ses clients lors de leur interrogatoire préalable. J'en ai conclu ainsi parce que la lettre fait référence à la juge chargée de la gestion de l'instance en affirmant, au haut de la page 2, que : [Traduction] « [o]n nous a demandé de fournir au conseil défendeur une liste des noms que nous voulons faire ajouter à la liste des électeurs et de ceux que nous voulons faire retirer de cette liste. La juge a présumé que les défendeurs effectueraient des changements, mais nous nous attendons bien à ce qu'aucun changement ne soit fait puisque les demandeurs allèguent que les défendeurs eux-mêmes ont manipulé la liste » . De même, la lettre de Mayes ne mentionne nullement les engagements des demandeurs et ne fait pas référence à leurs interrogatoires préalables même si plusieurs jours auparavant, l'avocat des défendeurs avait écrit à Mayes une lettre énumérant les engagements de ses clients par page et par numéro de question.

[17]            Je ne suis toutefois pas convaincue qu'il convient de qualifier les commentaires de « directive » . Tout ce que le juge a exprimé, c'est l'espoir qu'il y ait de véritables pourparlers de règlement. Rien de ce qu'elle a dit n'obligeait les parties à avoir de tels pourparlers et ne pouvait raisonnablement être interprété comme exonérant le chef Johnson de l'application de la règle de l'engagement implicite. Bien que la Cour puisse exonérer les parties dans certains cas, j'estime que la question doit être soulevée dans une requête à cette fin et que l'exonération doit être expressément accordée. Par conséquent, les commentaires n'excusent pas les contraventions à la règle de l'engagement implicite.

[18]            Le 13 juin 2000, le chef Johnson aurait contrevenu à la règle de l'engagement implicite pour la deuxième fois lorsqu'il a envoyé une lettre à vingt-sept membres de la bande dont le statut de membre avait été mis en doute par les demandeurs. Tous ceux qui ont été nommés dans la lettre de Mayes ont reçu cette lettre.

[19]            L'essentiel de cette lettre se lisait comme suit :

[Traduction]À la suite de la correspondance récente que nous vous avons envoyée, nous sommes en train d'assumer la défense de vos droits à titre de membre de la bande Caldwell et d'électeur pour les affaires de la bande.


Nous ne sommes pas trop inquiets et nous nous attendons à avoir gain de cause. Ceux qui poursuivent le conseil tentent probablement de faire modifier à leur goût la liste des électeurs, mais la loi nous oblige à répondre à tous les arguments même si ces arguments semblent ridicules.

Ayant ce qui précède à l'esprit, nous avons fixé une réunion à vendredi prochain le 16 juin à 11h au bureau de la bande pour tous les membres touchés par ces derniers arguments juridiques. Les membres et l'avocat du conseil seront présents.

Vous êtes invité à participer en personne ou par téléphone à cette réunion si vous avez des questions ou si vous voulez vous exprimer concernant vos droits de membre.

Veuillez appeler si vous avez des questions et, si possible, j'espère vous voir vendredi.

[20]            Il ressort aussi qu'auparavant, le 9 juin 2000, une lettre différente mais comparable a été envoyée à April Birch, un autre tiers au litige. Cette lettre l'invitait à participer à une réunion du conseil pour discuter du fait que les demandeurs avaient [Traduction] « indiqué vouloir faire retirer votre nom de la liste des électeurs » . On a prétendu que cette lettre contrevenait également à la règle de l'engagement implicite car elle a informé un tiers au litige que les demandeurs avaient soutenu dans le cadre de l'action que le droit de vote de ce tiers était en cause.


[21]            Le 15 juin 2000, l'avocat des défendeurs a été informé de l'essentiel de la présente plainte pour outrage au tribunal lors d'une conversation téléphonique avec Ross, qui lui a demandé de [Traduction] « donner instruction à son client de cesser sa conduite irrégulière, soit de s'abstenir de communiquer avec les tiers au litige pour discuter de questions relatives à celui-ci » . À ce moment-là, l'avocat des défendeurs a informé Ross que le chef Johnson avait écrit ses lettres [Traduction] « à sa connaissance et suivant ses instructions » . Ross a alors demandé à l'avocat des défendeurs de cesser de divulguer des renseignements obtenus dans le cadre de l'action aux tiers au litige, ce que ce dernier a refusé de faire. À la suite de cette conversation, Ross et Mayes ont tous deux envoyé à l'avocat des défendeurs des lettres datées du 19 juin 2000 qui décrivaient l'engagement implicite et qui alléguaient sa violation.

[22]            La réunion du conseil de la bande du 16 juin 2000 (la réunion) a eu lieu malgré l'opposition des demandeurs. L'avocat des défendeurs y a participé et le procès-verbal indique que le conseil a examiné les noms mis en cause dans la lettre de Mayes. Ce procès-verbal ne révèle toutefois pas si les tiers au litige qui avaient reçu une invitation étaient présents.

[23]            Après la réunion du conseil, le chef Johnson a divulgué des renseignements au moyen de deux communiqués de presse, datés des 11 et 28 juillet 2000, qui ont été distribués aux membres de la bande et aux membres du public. Dans ces communiqués, il a indiqué que les demandeurs cherchaient à faire retirer de la liste des électeurs trente-trois membres de la bande. Dans un autre communiqué de presse, daté du 1er août 2000, il a parlé des aveux que Teresa Jacobs avait fait lors de son contre-interrogatoire. Le chef Johnson a aussi diffusé deux autres documents. L'un était un Message aux membres de la bande et l'autre était un Message du chef. Ces messages faisaient rapport sur l'action et indiquaient que les demandeurs cherchaient à faire retirer environ trente-trois membres de la bande de la liste des électeurs.


Le fardeau de la preuve

[24]            L'avocat des défendeurs a soutenu que le chef Johnson ne pouvait pas être déclaré coupable d'outrage au tribunal à moins que les demandeurs ne prouvent hors de tout doute raisonnable qu'il connaissait l'engagement implicite et qu'il avait la mens rea requise. Il a notamment invoqué l'arrêt de la Cour suprême du Canada Bhatnager c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 R.C.S. 217 (Bhatnager). Dans cette affaire, il avait été allégué que deux ministres étaient coupables d'outrage au tribunal pour avoir contrevenu à une ordonnance qu'un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale avait rendue en audience publique en présence des avocats des ministres. De même, l'ordonnance avait été dûment signifiée aux avocats. Il n'y avait cependant aucune preuve que l'ordonnance ait été signifiée personnellement aux ministres ni que ceux-ci en aient été informés.


[25]            La Cour suprême a conclu que les éléments constitutifs de l'outrage au tribunal devaient être prouvés hors de tout doute raisonnable. En outre, elle a conclu qu'en common law, la signification à personne ou la connaissance personnelle réelle d'une ordonnance constituait une condition préalable à une conclusion de responsabilité pour outrage au tribunal, et elle a estimé que les ministres ne pouvaient pas être déclarés coupables d'outrage au tribunal puisqu'il n'y avait aucun élément de preuve indiquant qu'ils avaient été informés de l'existence ou de la teneur de l'ordonnance. Étant donné que les ministres étaient chargés de ministères où le travail ne manque pas, la Cour n'était pas prête à déduire qu'ils étaient informés de l'ordonnance pour le seul motif que leurs avocats en avaient reçu signification. La Cour a cependant reconnu qu'une telle déduction pouvait être faite dans les cas qui s'y prêtaient.

[26]            L'avocat des défendeurs a également invoqué la décision Lyons Partnership, L.P. c. MacGregor, [2000] A.C.F. no 341, dans laquelle le juge Lemieux, de notre Cour, s'est exprimé ainsi au paragraphe 5 :

Une allégation d'outrage au tribunal a une dimension criminelle ou quasi criminelle; une déclaration de culpabilité rend le défendeur passible d'une amende et d'une peine d'emprisonnement d'une durée maximale de cinq (5) ans. Les Règles de la Cour fédérale (1998), qui sont elles-mêmes à ce chapitre une codification de la common law, exigent que les éléments constitutifs de l'outrage soient prouvés hors de tout doute raisonnable (Bhatnager c. Canada (M.E.I.), [1990] 2 R.C.S. 217. Voici ces éléments constitutifs soit, le fardeau de preuve qui incombe au demandeur : le défendeur doit être l'auteur principal, soit parce qu'il commet l'acte lui-même, soit parce qu'il a expressément ou implicitement autorisé sa perpétration; et le degré nécessaire de mens rea.

[27]            À bien y penser, je ne suis pas convaincue que ces décisions aident le chef Johnson. Elles ne portent que sur l'outrage au tribunal découlant du manquement à une ordonnance judiciaire. Il n'y a aucune ordonnance judiciaire avant qu'un juge n'en rende une, de sorte qu'il est logique d'exiger la connaissance réelle de ses dispositions. La situation est cependant différente dans la présente affaire. En l'espèce, on a allégué que le chef Johnson était coupable d'outrage au tribunal au motif qu'il avait contrevenu à une règle de common law. La règle de l'engagement implicite existe depuis longtemps et fait partie du droit canadien régissant la bonne administration de la justice. À mon avis, dans des cas comme la présente affaire, l'exigence de connaissance réelle est écartée par le fait que le chef Johnson est présumé connaître la loi.


Conclusions

[28]            Je suis convaincue hors de tout doute raisonnable que le chef Johnson est coupable d'outrage au tribunal pour avoir contrevenu à la règle de l'engagement implicite. J'estime que, sans avoir obtenu d'exonération de l'application de cette règle, il a recueilli l'information qu'il avait obtenue dans le cadre de l'action et l'a largement publicisée à l'intérieur et à l'extérieur de la bande afin de scandaliser les membres de la bande et la presse en vue de les amener à l'appuyer dans le litige. J'ai conclu pour ce motif que la lettre du 28 mai 2000 qu'il a envoyée à tous les membres de la bande ainsi que les cinq communications décrites au paragraphe 23 avaient contrevenu à la règle de l'engagement implicite.

[29]            Il me semble toutefois qu'on ne peut pas qualifier d'étrangers au litige certains des actes du chef Johnson. D'après moi, l'action exige que les défendeurs démontrent que les tiers visés par la contestation des demandeurs ont le droit d'être membres de la bande. En conséquence, le chef Johnson n'a pas contrevenu à la règle de l'engagement implicite lorsque, les 9 et 13 juin, il a écrit à ces tiers directement touchés pour ensuite tenir une réunion afin de discuter des renseignements requis pour répondre à la contestation relative au droit d'être membre de la bande et au droit de voter.


La réparation

[30]            Il y aura délivrance d'une ordonnance enjoignant au chef Johnson de publier une déclaration expliquant les présentes procédures d'outrage au tribunal et leur issue et lui enjoignant de respecter l'engagement implicite jusqu'à ce que la Cour en ordonne autrement. Cette déclaration ne contiendra pas d'excuse parce que j'estime qu'il est probable que le chef Johnson se soit fondé sur un avis erroné de la part de l'avocat des défendeurs. Il sera également ordonné au chef Johnson de payer certains dépens dans un délai de 120 jours. Je n'imposerai pas l'amende sollicitée par les demandeurs parce que cette demande a été faite seulement après que le chef Johnson eut retiré son offre de règlement à la dernière minute, obligeant les demandeurs à se hâter pour venir à la Cour. Je suis d'avis que, bien qu'elle ait sans aucun doute été dérangeante, cette conduite ne justifie pas l'imposition d'une amende.

  

             « Sandra J. Simpson »                                                                                                                                JUGE

  

Ottawa (Ontario)

Le 14 janvier 2002

  

Traduction certifiée conforme

  

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


Date : 20020114

Dossier : T-850-99

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SANDRA J. SIMPSON

ENTRE :

PHYLLIS RANDALL, LONNIE DODGE, JOSIE DODGE, ROBERT K. SCOTT,

BRIAN WELCH, FLOYD SCOTT, ANTHONY DODGE (AUSSI CONNU SOUS LE NOM D'ARTHUR DANIEL SIMONS), MABEL HAWCO, CHRISTOPHER HAWCO, PÈRE, SUSAN DE LEARY, WILLIAM DELEARY, LISA BRUMMITT,

LAURA BRUMMITT MERCER, WALLACE KENNEY, RENA H. THOMPSON,

PAMELA DODGE, TERESA JACOBS, ELLA ROBITAILLE,

CAROLINE JUNE WELCH, TONY DONOVAN, JO ANN WILSON,

ROBERT DODGE, JOSEPH CHAMBERLIN, MARGARET VANDERWEIDE,

MARIE DUCKWORTH, SHAWN DUCKWORTH, IAN DUCKWORTH,

DAVID MCPHEE, JANICE DODGE, DANIEL CHAMBERLIN,

NANCY LAMOREUX, JAMES ALLAN DODGE, SANDRA DODGE,

WENDY DONOVAN CAMPBELL, DARRYL R. JACOBS, EDWARD A. JACOBS,

ANGELA HIGGINS, WILLIAM DODGE, FLORENCE DODGE,

STANLEY JAMES SCOTT, STEVEN SCOTT, DANIEL SCOTT, JACK SCOTT,

MARY FRANCES DUCKWORTH, CANDICE BRUMMITT,

VICKY BAKELAAR-CORNELL, MICHAEL CORNELL, WILLIAM DUNN,

SARA ANN SCOTT, PAT BRUMMITT, WILSON DODGE PÈRE

ELIZABETH DODGE, WILSON DODGE, FILS, WILSON DODGE III,

     MYRTLE JOYCE, EVA TYLER, RONALD DOOLITTLE

                                                                                           (demandeurs)

                                                         et

    PREMIÈRE NATION CALDWELL DE POINT PELEE ET

CONSEIL DE L'ÎLE PELEE, LARRY JOHNSON, HENRY SOLOMON,

           FRANKLIN SOLOMON et DONALD SOLOMON

                                                                                              (défendeurs)


                                                                                 Dossier : T-1230-99

ET ENTRE :

LOUISE HILLIER, JANNE PETERS, MELODY WATSON, JIM PETERS,

SUSIE PETERS, VIDA PETERS, ERIC PETERS, JUNE PETERS

CARRIE PETERS, JODY PETERS, LINDSAY PETERS, RALPH PETERS,

GERALDINE PETERS, YVONNE PETERS, DAVID HILLIER,

DENNIS HILLIER, KEN FORD, MARGARET PETERS-NELNOR,

ISAAC PETERS, DIANE PETERS, DANIELLE PETERS, ISAAC PETERS, FILS,

MILDRED FORD, JANET ALLEN, ELIZABETH WENZLER,

                     RUTH SIMPSON ET STEVE SIMPSON

                                                                                           (demandeurs)

                                                         et

    PREMIÈRE NATION CALDWELL DE POINT PELEE ET

CONSEIL DE L'ÎLE PELEE, LARRY JOHNSON, HENRY SOLOMON,

           FRANKLIN SOLOMON et DONALD SOLOMON

                                                                                              (défendeurs)

                                           ORDONNANCE

  

VU la requête des demandeurs visant à ce que le chef Johnson comparaisse devant la Cour pour prendre connaissance de la preuve des présumés actes d'outrage au tribunal et pour présenter tout moyen de défense;

APRÈS avoir entendu les avocats des deux groupes de demandeurs et du chef Johnson le mardi 6 novembre 2001, à Toronto;

ET APRÈS avoir conclu, pour les motifs prononcés en ce jour, que le défendeur le chef Johnson est coupable d'outrage au tribunal pour avoir contrevenu à la règle de l'engagement implicite;


LA COUR ORDONNE DONC MAINTENANT :

1.         Le chef Johnson doit envoyer à tous les membres de la bande, au plus tard le 15 février 2002, une lettre contenant uniquement la déclaration suivante en gros caractères :

Comme vous le savez, je suis un défendeur dans une action introduite par des membres de la bande Caldwell.

Au cours des mois de septembre 1999 et de mars 2000, plusieurs des parties au litige ont été interrogées sous serment. Les renseignements découlant de ces interrogatoires sont considérés confidentiels par la Cour. Toute divulgation de ces renseignements à des tiers au litige pour des fins qui y sont étrangères constitue une violation de la règle de l'engagement implicite de la Cour.

Au printemps, à l'été et à l'automne 2000, j'ai diffusé au public de l'information que j'avais obtenue en raison du litige et, plus particulièrement, des interrogatoires sous serment. J'ai fourni ces renseignements à de nombreux tiers au litige, notamment à des membres de la bande Caldwell, à des politiciens, à des organisations des Premières Nations et aux médias. En raison de ce comportement inapproprié, j'ai été déclaré coupable d'outrage au tribunal.

Le litige n'a pas encore été résolu et je ferai en sorte de ne pas contrevenir à la règle de l'engagement implicite à l'avenir.

2.                    Le chef Johnson doit respecter l'engagement implicite jusqu'à la conclusion de la présente action ou jusqu'à ce que la Cour en ordonne autrement.

3.                    Dans un délai de 120 jours de la présente ordonnance, le chef Johnson doit payer les dépens sur la base procureur-client relatifs à la présente requête pour outrage au tribunal ainsi qu'à la requête en justification dont est saisi le protonotaire Lafrenière. Les dépens payables à M. Stanley Mayes, au nom de ses clients dans l'action T-850-99, sont fixés à 3 000 $. Toutefois, comme M. Kevin Ross vient de m'informer par lettre du 8 janvier 2002 que ses clients ont réglé l'action T-1230-99 et qu'ils n'ont pas l'intention d'exercer leur droit de faire exécuter toute ordonnance que je pourrais rendre quant aux dépens relatifs à la présente requête, aucune ordonnance de dépens ne sera rendue.

   

                « Sandra J. Simpson »                                                                                                                              JUGE

  

Traduction certifiée conforme

  

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                               T-850-99 et T-1230-99

INTITULÉ :                              Phyllis Randall et autres c. Première Nation Caldwell de Point Pelee et Conseil de l'Île Pelee et autres

Louise Hillier et autres c. Première Nation Caldwell de Point Pelee

et Conseil de l'Île Pelee et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :    Le 6 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR MADAME LE JUGE SIMPSON

EN DATE DU :                        14 janvier 2002

ONT COMPARU

M. Stanley G. Mayes                                            Pour les demandeurs dans le dossier T-850-99

M. Kevin L. Ross                                                 Pour les demandeurs dans le dossier T-1230-99

M. James J. Mays                                                Pour les défendeurs

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Stanley G. Mayes

Barrister & Solicitor

Chatham (Ontario)                                                Pour les demandeurs dans le dossier T-850-99

Lerner & Associates

London (Ontario)                                                 Pour les demandeurs dans le dossier T-1230-99

Siskind, Cromarty, Ivey & Dowler LLP

London (Ontario)                                                 Pour les défendeurs

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