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Date : 20220107


Dossier : T‑1635‑21

Référence : 2022 CF 17

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

CLARENCE APSASSIN, NORMAN APSASSIN et JOSEPH APSASSIN

demandeurs

et

LE CONSEIL DE BANDE DES PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER, LE CHEF MARVIN YAHEY, LA CONSEILLÈRE SHERRY DOMINIC, LE CONSEILLER WAYNE YAHEY, LA CONSEILLÈRE SHELLEY GAUTHIER, LE CONSEILLER ROBIN ESKAWOV et LE CONSEILLER TROY WOLFE

défendeurs

MOTIFS DE ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

I. Introduction

[1] Voici les motifs du rejet d’une demande de contrôle judiciaire visant à obtenir des ordonnances de mandamus, de quo warranto ou de certiorari ou une déclaration concernant les élections à venir du Conseil de bande et du chef de bande prévues pour le 13 janvier 2022 et le 14 janvier 2002 respectivement. La nature précise des réparations demandées a changé depuis le dépôt de la demande, et les demandeurs ont modifié leurs positions, même durant l’audience.

[2] La demande vise principalement à remettre en question le processus électoral actuellement prévu afin de permettre le vote électronique ou de demander un « vote communautaire » sur la possibilité de voter par voie électronique, et afin de révoquer le chef et les conseillers à compter du 14 janvier 2022, sans égard à la période de transition de 30 jours.

[3] Dans leur mémoire des faits et du droit, les demandeurs résument la réparation demandée ainsi :

[traduction]

a) une ordonnance de mandamus :

i. obligeant le Conseil à tenir une élection au plus tard le 15 décembre 2021 et à prendre toutes les mesures nécessaires pour respecter cette date, notamment nommer un président d’élection après avoir consulté les membres;

ii. obligeant la tenue d’un vote communautaire sur la date de l’élection et la nomination d’un président d’élection, conformément aux articles 155 et 178 du code électoral coutumier;

b) au besoin, de plus ou subsidiairement, une ordonnance de certiorari annulant la présumée décision de prolonger le mandat du Conseil, datée du 14 octobre 2021;

c) une déclaration ou un bref de quo warranto révoquant tous les membres du Conseil à l’expiration de leur mandat fixe de quatre ans le 14 janvier 2021;

d) les dépens des demandeurs, d’une somme de 10 000 $;

e) toute autre réparation que la Cour estime justifiée.

II. Contexte

[4] Il n’est pas exagéré de décrire la Bande comme un groupe difficile, du moins en ce qui concerne sa gestion des questions de gouvernance. Le Conseil est dans une impasse depuis un certain temps. Il est composé d’un ensemble de trois conseillers (y compris le chef) qui appuient généralement le chef Yahey [les défendeurs Yahey] et d’un ensemble de trois conseillers qui s’y opposent [les défendeurs Gauthier].

[5] Pour les fins qui nous occupent, il n’est pas nécessaire d’examiner en détail le conflit actuel ou les nombreuses procédures intentées devant la Cour relativement aux questions de gouvernance. Les faits liés à la question en litige qui concerne les élections sont décrits ci‑dessous.

[6] Les demandeurs sont des membres des Premières Nations de Blueberry River [la Bande/PNBR]. Depuis 2017, la Bande est régie par un code électoral coutumier [le Code] et, même s’il est allégué que celui‑ci ne bénéficie pas d’un très grand soutien, il régit néanmoins la Bande, comme l’a reconnu la Cour dans la décision Chipesiac c Premières Nations de la rivière Blueberry, 2019 CF 41, confirmée par la Cour d’appel dans l’arrêt 2020 CAF 9.

[7] L’élection du Conseil de bande doit se tenir d’ici le 14 janvier 2022, date à laquelle le mandat de ce dernier expirera comme le prévoit l’article 10 du Code.

[8] Les dispositions applicables du Code sont énoncées ci‑dessous :

[traduction]

PARTIE 2 : DÉFINITIONS, INTERPRÉTATION ET APPLICATION

Définitions

[…]

« conflit d’intérêts » s’entend d’une situation où un membre du Conseil :

a) exerce une fonction du Conseil tout en sachant ou en ayant raisonnablement dû savoir que l’exercice de cette fonction lui permet de favoriser ses propres intérêts;

b) participe à des activités personnelles ou professionnelles en dehors du cadre de son rôle au sein du Conseil pouvant nuire à l’exécution de ses fonctions ou aller à l’encontre des intérêts des Premières Nations de Blueberry River;

[…]

« résolution du Conseil » s’entend d’une motion officielle déposée par un membre du Conseil, secondée par un autre membre et approuvée par une majorité d’un quorum du Conseil dans le cadre d’une assemblée en règle du Conseil;

[…]

PARTIE 3 : CONSEIL

[…]

Mandat

10. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (4), le mandat d’un membre du Conseil est de quatre (4) ans et commence à 23 h 59, trente (30) jours après la publication des résultats de l’élection pour ce poste, conformément au présent règlement administratif.

(2) Nonobstant le paragraphe (1) et sous réserve du paragraphe (3), une personne élue en vertu du présent règlement administratif conserve son poste jusqu’à 23 h 59, trente (30) jours après la publication des résultats de l’élection pour ce poste.

(3) Nonobstant le paragraphe (1), une personne élue lors d’une élection partielle ou d’une élection menée conformément à l’alinéa 137b) commence à assumer ses fonctions immédiatement après la publication des résultats de l’élection pour ce poste et conserve son poste pour le reste du mandat du membre du Conseil qu’elle remplace.

(4) Il est entendu que, dans le cas où les résultats de l’élection font l’objet d’un appel, un membre du Conseil doit avoir le droit de conserver son poste jusqu’à ce que l’appel ait été tranché et il le conserve par la suite si la décision d’appel lui a été favorable.

[…]

PARTIE 4 : DATES D’ÉLECTION ET D’ÉLECTION PARTIELLE

[…]

Établissement des dates d’élection et d’élection partielle

22. Au moins soixante‑cinq (65) jours avant l’expiration du mandat des conseillers familiaux, et au plus tard quinze (15) jours après la date à laquelle une élection partielle doit être tenue afin de pourvoir un poste vacant au sein du Conseil, le Conseil doit adopter une résolution sous la forme établie à l’Annexe « A » afin de fixer une date d’élection et une date d’assemblée pour l’élection du chef ou une date d’élection partielle.

PARTIE 5 : NOMINATION D’UN PRÉSIDENT D’ÉLECTION/D’UN PRÉSIDENT D’ÉLECTION ADJOINT ET DÉSIGNATION DES BUREAUX DE SCRUTIN

Nomination d’un président d’élection, d’un président d’élection adjoint et désignation des bureaux de scrutin

23. (1) Au moins soixante‑cinq (65) jours avant le jour de l’élection, et au plus tard quinze (15) jours après la date à laquelle une élection partielle doit être tenue, le Conseil doit adopter une résolution sous la forme établie à l’Annexe « A » afin de :

a) désigner les bureaux de scrutin;

b) désigner le lieu de l’assemblée pour l’élection du chef;

c) nommer un président d’élection;

d) nommer un président d’élection adjoint s’il l’estime souhaitable.

(2) Le Conseil doit publier une copie de la résolution qu’il a adoptée :

a) dans un endroit bien en vue au bureau administratif principal de Blueberry River;

b) dans tous les autres lieux désignés par le Conseil;

c) sur le site Web de Blueberry River.

(3) Si le Conseil ne nomme pas de président d’élection dans le délai prescrit au paragraphe (1), le directeur des opérations doit immédiatement nommer un président d’élection et se conformer au paragraphe (2).

(4) Lorsqu’un président d’élection adjoint est nommé, cette personne a le pouvoir d’exercer toutes les fonctions d’un président d’élection énoncées dans le présent règlement administratif qui lui sont déléguées par le président d’élection.

[…]

PARTIE 6 : PROCÉDURES PRÉALABLES À LA MISE EN CANDIDATURE

[…]

Assemblée de mise en candidature et droit de vote par la poste

39. Au moins cinquante‑cinq (55) jours avant le jour prévu de l’élection, le président d’élection doit préparer un avis d’assemblée de mise en candidature indiquant :

a) que le Conseil a choisi une date d’élection;

b) que le Conseil a choisi une date d’assemblée pour l’élection du chef;

c) la date de l’élection prévue;

d) la date de l’assemblée pour l’élection du chef;

e) l’emplacement de chaque bureau de scrutin;

f) le lieu de l’assemblée pour l’élection du chef;

g) la date, l’heure, le lieu et la durée de l’assemblée de mise en candidature;

h) la définition d’un électeur;

i) qu’une personne peut confirmer l’ajout de son nom à la liste des électeurs en communiquant avec le président d’élection;

j) que chaque électeur peut proposer ou appuyer la candidature d’une personne au poste de chef;

k) que chaque électeur d’un groupe familial peut proposer ou appuyer la candidature de personnes aux postes de conseillers familiaux pour représenter son groupe familial, mais pas un groupe familial auquel elles n’appartiennent pas;

l) la marche à suivre pour l’électeur qui souhaite proposer ou appuyer la candidature d’une personne au poste de chef;

m) la marche à suivre pour l’électeur qui souhaite proposer ou appuyer la candidature d’une personne au poste de conseiller familial;

n) les exigences d’admissibilité pour devenir candidat, telles qu’elles sont énoncées à l’article 41;

o) que les électeurs peuvent obtenir une copie du présent règlement administratif et des formulaires de mise en candidature auprès du président d’élection;

p) que les électeurs qui résident ordinairement dans la réserve et qui sont incapables de voter en personne le jour de l’élection peuvent, au moins vingt (20) jours avant la date prévue de l’élection, demander au président d’élection de voter par la poste;

q) que tout électeur qui ne réside pas ordinairement dans la réserve a le droit de voter par la poste et qu’un bulletin de vote postal leur sera envoyé à moins qu’ils n’avisent le président d’élection par écrit qu’ils ne souhaitent pas en recevoir au moins quarante (40) jours avant la date prévue de l’élection;

r) le nom et les coordonnées du président d’élection.

[…]

PARTIE 11 : VOTE EN PERSONNE

[…]

Droit de vote

75. Le président d’élection et chaque greffier du scrutin doivent autoriser à voter toute personne qui se présente à un bureau de scrutin dans le but de voter si cette personne :

a) est un électeur;

b) n’a pas déjà voté;

c) a reçu un bulletin de vote postal, mais n’a pas voté par la poste et se conforme à l’alinéa 76b).

[…]

PARTIE 18 : PROCÉDURES RELATIVES AUX ASSEMBLÉES DU CONSEIL

[…]

Obligation de tenir un vote communautaire

155. Lorsque tous les membres du Conseil sont en conflit d’intérêts en ce qui a trait à une décision qui doit être prise, ils doivent soumettre cette décision à un vote communautaire, qui doit se tenir conformément à la partie 21.

[…]

PARTIE 21 : PROCÉDURE RELATIVE AU VOTE COMMUNAUTAIRE

Obligation de tenir une assemblée de vote communautaire

178. Un vote communautaire doit être tenu en conformité avec la présente partie si :

a) une décision du Conseil doit être approuvée par la collectivité au titre de l’article 155;

b) les modifications au présent règlement administratif doivent être approuvées par la collectivité.

[9] Le conseil de bande est dans une impasse concernant les dates d’élection. Les défendeurs Gauthier étaient en faveur de la tenue d’élections les 13 et 14 décembre 2021, en partie parce qu’ils ont adopté la position selon laquelle le Code établit que le mandat des conseillers est d’une durée maximale de quatre ans comprenant une période de transition de 30 jours qui ne peut prolonger ce mandat au‑delà de quatre ans (Code, art. 10). L’interprétation de l’article 10 est devenue une question en litige importante qui divise les deux groupes de défendeurs.

[10] Les défendeurs Yahey étaient en faveur de la tenue d’élections les 13 et 14 janvier 2022 parce que le bureau de la Bande est fermé en décembre et que la date limite pour la négociation d’un règlement à la suite de la récente décision historique rendue par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique concernant une atteinte aux droits issus des traités de la Première Nation (voir Yahey v British Columbia, 2021 BCSC 1287) est le 29 décembre.

[11] Le conseiller juridique des PNBR a fait valoir que puisque le Code ne contient pas de disposition sur la façon de dénouer une impasse concernant une date d’élection, l’élection devrait avoir lieu le 14 janvier 2022 et le personnel de la Bande et le président d’élection devraient prendre des mesures en conséquence.

[12] Il existe aussi une impasse concernant la nomination des présidents d’élection. Les défendeurs Gauthier voulaient apparemment que le Conseil nomme l’entreprise One Feather, possiblement parce que celle‑ci procéderait à un vote électronique. Le conseiller juridique de la Bande a toutefois mentionné que le Code ne prévoyait pas de vote électronique.

Cette impasse n’a pas été réglée lors de l’assemblée du Conseil du 28 octobre 2021 et a été placée à l’ordre du jour de la prochaine assemblée, soit le 9 novembre 2021.

[13] L’assemblée du 9 novembre a été annulée en raison du décès de la mère du conseiller Wolfe. Il est coutume pour la Bande de suspendre ses activités lorsqu’un aîné décède.

[14] Après s’être opposés, mais avoir négocié par courriel, les défendeurs Gauthier ont accepté la tenue d’une élection au Conseil le 13 janvier 2022, la tenue d’une élection au poste de chef le 14 janvier 2022 et la nomination de Rosie Holmes au poste de présidente d’élection.

[15] Le délai de 65 jours prévu à l’article 22 du Code ayant commencé à courir et en l’absence d’une résolution du Conseil visée au paragraphe 23(1) désignant un président d’élection, le directeur des opérations a nommé un président d’élection en vertu du paragraphe 23(3).

[16] Le 10 novembre 2021, le directeur des opérations a fixé les dates d’élection au 13 et au 14 janvier 2022 et a nommé Mme Holmes au poste de présidente d’élection.

[17] Toutefois, ayant reçu des menaces de mort, Mme Holmes a refusé de se rendre dans la réserve pour exercer ses fonctions de présidente d’élection. Alors que les défendeurs Gauthier (moins le conseiller Wolfe qui était en congé de deuil) voulaient remplacer Mme Holmes par l’entreprise One Feather, l’impasse qui persistait a été rompue en raison de l’absence du conseiller Wolfe, de sorte que le 30 novembre 2021, le Conseil a adopté une résolution confirmant les dates d’élection proposées et désignant un président d’élection adjoint pour exercer les fonctions de Mme Holmes dans la réserve.

[18] La décision du 30 novembre 2021 n’a pas fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.

[19] Dans le présent contrôle judiciaire, la Bande n’a pas adopté de position, bien qu’un conseiller juridique ait assisté à l’audience par Zoom et ait fourni une certaine assistance à la Cour. Les défendeurs Gauthier ont appuyé la demande de contrôle judiciaire, tandis que les défendeurs Yahey s’y sont opposés.

III. Questions en litige

[20] Malgré le manque de clarté quant à ce que les demandeurs cherchent à obtenir comme réparation, la Cour conclut que les questions en litige sont les suivantes :

  • - La Cour devrait‑elle rendre une ordonnance de mandamus concernant les élections prévues les 13 et 14 janvier 2022, devrait-elle y inclure un bref de certiorari et serait‑il approprié d’imposer une décision?

  • - La Cour devrait-elle rendre un bref de quo warranto pour révoquer les membres du Conseil à la fin de leur mandat de quatre ans le 14 janvier 2022?

[21] En ce qui concerne l’ordonnance de mandamus, les demandeurs affirment que le Conseil a omis de s’acquitter des obligations qui lui incombent selon le Code, soit de fixer une date d’élection par voie de résolution, de nommer un président d’élection par voie de résolution et d’écouter et de consulter les membres.

[22] Le cadre établi pour les ordonnance de mandamus est bien énoncé dans l’arrêt Apotex Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CAF) :

  1. Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;

  2. L’obligation doit exister envers le requérant;

  3. Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

    1. le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

    2. il y a eu (i) une demande d’exécution de l’obligation; (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle‑ci n’ait été rejetée sur‑le‑champ; et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

  4. Lorsque l’obligation dont on demande d’exécution forcée est discrétionnaire, certaines règles s’appliquent;

  5. Le requérant n’a aucun autre recours;

  6. L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

  7. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;

  8. Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

[23] En ce qui a trait à l’obligation prévue à l’article 22 du Code de fixer une date d’élection, le directeur des opérations, agissant en vertu du paragraphe 23(2), a choisi les 13 et 14 janvier 2022 vu la nécessité de respecter les délais prescrits par le Code. Comme le conseiller juridique de la Bande l’a expliqué, une résolution confirmant ces dates a été adoptée le 30 novembre 2021.

[24] Quant à la nomination d’un président d’élection, le Conseil n’a pas respecté l’obligation énoncée à l’article 23 de nommer un président d’élection au moins 65 jours avant la date de l’élection.

[25] Cependant, le paragraphe 23(3) habilite le directeur des opérations à nommer un président d’élection et à publier la résolution conformément au paragraphe 23(2) lorsque le Conseil ne le fait pas.

[26] En ce qui a trait aux dates d’élection et à la nomination du président d’élection (et maintenant du président d’élection adjoint), une ordonnance de mandamus ne changerait rien.

IV. Analyse

A. Ordonnance de mandamus

[27] Concernant l’ordonnance de mandamus obligeant la tenue d’un vote communautaire ou d’une forme quelconque de consultation communautaire, les demandeurs sollicitent une telle ordonnance afin d’obliger le Conseil ou le président d’élection à autoriser un vote électronique ou, à défaut, à demander un vote communautaire. La question du vote électronique a déjà fait l’objet de discussions au sein du Conseil par le passé.

[28] Le Code ne contient aucune disposition autorisant ou interdisant un vote électronique. Toutefois, il n’est pas silencieux quant à la méthode de votation. Il contient des dispositions détaillées sur le vote en personne et le vote par la poste.

[29] À mon avis, comme ces deux méthodes de votation sont clairement énoncées, il serait contraire au Code d’imposer une troisième méthode, soit le vote électronique.

[30] Je ne souscris pas à l’argument des demandeurs selon lequel au paragraphe 5 de l’arrêt Première Nation Denesuline de Fond du Lac c Mercredi, 2020 CAF 59 [Fond du Lac], il est avancé que les tribunaux, dans ces types d’affaires, devraient « sortir des sentiers battus », les sentiers battus étant le Code, en l’espèce.

Il ne faut pas entendre par là que nous aurions forcément rendu la même ordonnance de réparation que la Cour fédérale. Si un dossier semblable devait se présenter à l’avenir, la cour de révision devrait tenir compte de tous les moyens de réparation à sa disposition et, durant les plaidoiries, en présenter plusieurs aux avocats. La cour de révision doit adapter la réparation qu’elle accorde en fonction de la loi électorale pertinente adoptée par la Première Nation (voir, p. ex., Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187 aux paragraphes 333 à 341); toutefois, elle conserve beaucoup de latitude pour faire preuve de créativité. Par exemple, la cour peut imposer des délais de rigueur pour la mise en œuvre de la réparation afin de veiller à ce que cette dernière soit déployée rapidement. La cour de révision peut également superviser la mise en œuvre de la réparation ordonnée afin de s’assurer de son observation : Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3. La réparation peut également comprendre d’autres modalités conformes aux valeurs du droit public; voir à ce titre l’analyse dans l’arrêt Paradis Honey Ltd. c. Canada, 2015 CAF 89 au paragraphe 138. Cependant, ultimement, quelle que soit la décision, les ordonnances de réparation devraient être claires et précises de sorte qu’elles puissent être appliquées. Les personnes visées doivent savoir ce qui est conforme, et ce qui ne l’est pas, eu égard à la réparation ordonnée : Pro Swing Inc. c. Elta Golf Inc., 2006 CSC 52, [2006] 2 R.C.S. 612, par. 24.

[31] L’arrêt Fond du Lac met l’accent sur les pouvoirs des tribunaux d’accorder une réparation dans le cadre des lois électorales applicables. La créativité dont il est question n’inclut pas la possibilité d’interpréter ou de rédiger des dispositions ou d’accorder des pouvoirs qui sont contraires aux lois électorales. Cette décision renforce la nécessité de respecter les lois électorales applicables.

[32] Dans la mesure où les membres des PNBR sont insatisfaits de l’absence de disposition sur le vote électronique ou d’autres aspects dans le Code, ce dernier prévoit la possibilité d’y apporter des modifications. C’est une question à laquelle la Bande pourra s’attarder à un autre moment, mais pas maintenant. Il n’appartient pas à la Cour de réécrire le Code en rendant une décision.

[33] Le sondage et les commentaires des membres de la collectivité qui ont été présentés en preuve par les demandeurs ne sont pas suffisants pour modifier le Code. Ce dernier ne prévoit pas la tenue de consultations générales élargies pour établir un processus électoral. La procédure de modification appropriée doit être suivie.

[34] Quant à l’argument des demandeurs selon lequel la Cour devrait ordonner un vote communautaire, ce type de vote n’est pas autorisé dans les circonstances. L’article 178 établit le cadre régissant le vote communautaire dans le contexte de l’article 155, lorsque tous les membres du Conseil sont en « conflit d’intérêts ».

[35] Un conflit d’intérêts est défini comme une situation où un membre du Conseil exerce une fonction ou participe à des activités personnelles ou professionnelles qui lui permettent de favoriser ses propres intérêts.

Aucun élément de preuve ne permet de corroborer qu’il y a un tel intérêt personnel ou professionnel en l’espèce.

[36] Je conclus que rien ne permet à la Cour de rendre une ordonnance de mandamus. L’élection a été déclenchée par résolution du Conseil, un président d’élection et un président d’élection adjoint ont été nommés et la méthode de vote en personne ou par la poste est bien établie dans le Code.

B. Ordonnance de certiorari

[37] Les demandeurs n’ont pas abordé directement cette question dans leurs observations. Dans la mesure où les demandeurs contestent le refus ou l’incapacité du Conseil de fixer les dates d’élection aux 15 et 16 décembre 2021 et de nommer l’entreprise One Feather comme président d’élection, une telle contestation devrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire distinct. Et dans la mesure où les demandeurs prétendent que la situation actuelle entraîne une prolongation du mandat de 30 jours, cette allégation, examinée dans la section suivante sur l’ordonnance de quo warranto, est non fondée.

C. Ordonnance de quo warranto

[38] Les demandeurs sollicitent cette réparation relativement rare afin de révoquer le Conseil dès le 14 janvier 2022. Ils affirment que le Conseil actuel prolongera illégalement son mandat de quatre ans s’il demeure en poste pendant 30 jours après la publication des résultats de l’élection (voir le paragraphe 10(1) du Code).

[39] Les défendeurs Gauthier sollicitent quant à eux une déclaration portant a) que le nouveau Conseil est immédiatement établi; b) que l’ancien chef et l’ancien Conseil n’ont pas le pouvoir de lier la Bande, car ce pouvoir appartient au nouveau chef et au nouveau Conseil; et c) que toute élection future doit être tenue 30 jours avant l’expiration du mandat de quatre ans.

[40] Essentiellement, la question est de savoir si le Code prévoit un mandat fixe de quatre ans ou s’il prévoit un mandat de quatre ans plus 30 jours. Les demandeurs et les défendeurs Gauthier estiment que le mandat fixe de quatre ans et la période de 30 jours qui suit la publication des résultats de l’élection entraînent une incohérence interne.

[41] Cette soi‑disant incohérence se règle par une simple lecture du libellé de l’article 10 et du paragraphe (1) dans leur contexte.

[42] Le paragraphe 10(1) établit que le mandat de base fixe de quatre ans est assujetti au paragraphe 10(2), qui prévoit que « malgré » le mandat de quatre ans, la personne élue occupe son poste jusqu’à 23 h 59, 30 jours après la publication des résultats de l’élection.

[traduction]

10. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (4), le mandat d’un membre du Conseil est de quatre (4) ans et commence à 23 h 59, trente (30) jours après la publication des résultats de l’élection pour ce poste, conformément au présent règlement administratif.

(2) Nonobstant le paragraphe (1), et sous réserve du paragraphe (3), une personne élue en vertu du présent règlement administratif conserve son poste jusqu’à 23 h 59, trente (30) jours après la publication des résultats de l’élection pour ce poste.

(3) Nonobstant le paragraphe (1), une personne élue lors d’une élection partielle ou d’une élection menée conformément à l’alinéa 137b) commence à assumer ses fonctions immédiatement après la publication des résultats de l’élection pour ce poste et conserve son poste pour le reste du mandat du membre du Conseil qu’elle remplace.

[43] À mon avis, le mandat de quatre ans peut être prolongé d’au moins 30 jours après l’élection. Cette période accorde une souplesse suffisante pour publier les résultats de l’élection après le dépouillement des votes.

[44] Par conséquent, la déclaration demandée n’est pas fondée. Rien ne justifie non plus la délivrance d’une ordonnance de quo warranto, et même les parties semblent reconnaître qu’elle serait prématurée puisque l’élection n’a pas encore eu lieu.

V. Dépens

[45] En l’espèce, les demandeurs sollicitent des dépens de 10 000 $. Ils avancent qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés contre eux parce que la présente affaire était importante et visait à éclaircir des dispositions du Code qui n’avaient pas été interprétées jusqu’à maintenant.

[46] Cependant, les défendeurs Yahey ont eu gain de cause et ont porté le fardeau de défendre les décisions et les processus du Conseil. La Bande n’a pas pris position en l’espèce, mais a aidé la Cour à comprendre la situation.

[47] Les demandeurs, ayant demandé leurs dépens, acceptent implicitement que la partie ayant gain de cause a droit à ses dépens. Intenter un litige a des conséquences financières. Dans la mesure où la présente affaire a éclairci le Code comme le laissent entendre les demandeurs, tout l’honneur revient aux défendeurs Yahey.

[48] Les demandeurs ont déposé en preuve les frais qu’ils ont engagés dans le présent litige. Les défendeurs Yahey ont proposé des dépens de 5 000 $, une somme modeste et bien inférieure aux frais des demandeurs. Les défendeurs Yahey proposent que la moitié des dépens leur soit adjugée, et l’autre à la Bande.

[49] Dans le contexte de la présente affaire et des affaires connexes, il s’agit d’une proposition raisonnable que la Cour accepte. Une ordonnance sera rendue en ce sens. Aucuns dépens ne sont adjugés en faveur des défendeurs Gauthier ni contre eux. Les demandeurs sont entièrement responsables des dépens, conjointement et solidairement.

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 7 janvier 2022

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1635‑21

 

INTITULÉ :

CLARENCE APSASSIN, NORMAN APSASSIN et JOSEPH APSASSIN c LE CONSEIL DE BANDE DES PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER, LE CHEF MARVIN YAHEY, LA CONSEILLÈRE SHERRY DOMINIC, LE CONSEILLER WAYNE YAHEY, LA CONSEILLÈRE SHELLEY GAUTHIER, LE CONSEILLER ROBIN ESKAWOV et LE CONSEILLER TROY WOLFE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 décembre 2021

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 7 janvier 2022

 

COMPARUTIONS :

Orlagh O’Kelly

 

Pour les demandeurs

 

Jamie Arbeau

 

Pour le défendeur

LE CONSEIL DE BANDE DES PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER

 

 

Mark G. Underhill

Caroline North

POUR LES DÉFENDEURS

LE CHEF MARVIN YAHEY, LA CONSEILLÈRE SHERRI DOMINIC ET LE CONSEILLER WAYNE YAHEY

 

Thomas Arbogast, c.r.

POUR LES DÉFENDEURS

LA CONSEILLÈRE SHELLEY GAUTHIER, LE CONSEILLER ROBIN ESKAWOV ET LE CONSEILLER TROY WOLFE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Roberts O’Kelly Law

Cabinet d’avocats

Edmonton (Alberta)

 

Pour les demandeurs

 

Ratcliff LLP

Cabinet d’avocats

North Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour le défendeur

LE CONSEIL DE BANDE DES PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER

 

Arvay Finlay LLP

Cabinet d’avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS

LE CHEF MARVIN YAHEY, LA CONSEILLÈRE SHERRI DOMINIC ET LE CONSEILLER WAYNE YAHEY

Thomas Arbogast, c.r.

Avocat

North Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS

LA CONSEILLÈRE SHELLEY GAUTHIER, LE CONSEILLER ROBIN ESKAWOV ET LE CONSEILLER TROY WOLFE

 

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