Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220209


Dossier : IMM-6596-20

Référence : 2022 CF 165

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2022

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

TAHEREH PAYROVEDENNABI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision qui fait suite à l’examen des risques avant renvoi [ERAR] visé à l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. L’agent d’immigration a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à un risque de persécution, de torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités si elle était renvoyée dans le pays de sa nationalité, et a décidé que la mesure de renvoi prise contre elle était exécutoire.

[2] L’affaire a été mise en état et la date de l’audience a d’abord été fixée au lundi 4 octobre 2021. Avant cette date, la demanderesse a décidé d’agir pour son propre compte, et son avocat a cessé d’occuper au dossier. Le 4 octobre 2021, la demanderesse a sollicité un ajournement auquel le défendeur ne s’est pas opposé. L’audience a été reportée au 15 décembre 2021, l’instruction devant avoir lieu par vidéoconférence sur Zoom devant le juge soussigné.

[3] Le matin du 15 décembre 2021, la demanderesse a avisé le greffe par courriel qu’elle avait des difficultés techniques avec son ordinateur et qu’elle était incapable de se connecter à l’audience. On a tenté de tenir l’audience par téléphone. La connexion téléphonique a été établie avec la demanderesse, mais la qualité de la transmission était telle qu’il était impossible de l’entendre clairement. Vu ces circonstances et vu l’absence d’une demande d’ajournement motivée présentée en temps opportun, j’ai décidé de juger l’affaire en me fondant sur le dossier et les observations verbales de l’avocat du défendeur.

[4] J’ai rappelé à l’avocat du défendeur qu’il a envers la Cour une obligation de franchise lorsqu’il comparaît en l’absence de la partie adverse. L’avocat a également reconnu ses responsabilités déontologiques en tant que membre du Barreau de l’Ontario. J’ai ensuite posé une série de questions à l’avocat du défendeur fondées sur le mémoire des faits et du droit de la demanderesse et de la réponse de celle-ci au mémoire du défendeur.

[5] Au cours de l’audience, le greffe a reçu un courriel de la part de la demanderesse dont voici le libellé, légèrement abrégé :

[traduction]
Je voulais simplement porter les points suivants à l’attention de monsieur le juge :

- Je suis une activiste connue et mes activités sont bien documentées dans mon dossier. Je suis donc surprise que l’agent ait cru que mes activités n’avaient pas été portées à l’attention du régime iranien.

- La mesure de renvoi prise contre moi a fait l’objet d’un sursis à la date à laquelle elle était censée être exécutée à l’aéroport Pearson.

- Le ministre a lui-même reconnu que je courrais un risque si je retournais en Iran.

- À l’heure actuelle, mon dossier de résidence permanente est approuvé et j’attends que le statut me soit octroyé.

- La décision de l’agent chargé de l’ERAR était erronée et inéquitable.

[6] Selon cette communication, il semble que la demanderesse ait reçu une réponse favorable à sa demande de résidence permanente et que la présente affaire soit donc devenue théorique. Toutefois, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve formel et estime nécessaire de statuer sur la demande dans son état actuel.

II. Le contexte

[7] La demanderesse est une ressortissante iranienne qui est arrivée au Canada le 21 juillet 2010 en qualité de visiteuse. Elle a présenté une demande d’asile le 1er octobre 2010. Dans cette demande, elle s’est identifiée comme une militante politique qui soutenait le Mouvement vert en Iran. Elle a affirmé que ses activités politiques avaient créé des problèmes avec l’université où elle travaillait, ce qui a ultimement attiré l’attention du gouvernement iranien. Après avoir vu des photographies d’elle voilée et en hijab en ligne, elle a décidé de partir pour le Canada avec un visa précédemment obtenu pour une conférence.

[8] La Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté la demande d’asile le 17 octobre 2012. La SPR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible en raison de divergences entre son témoignage et l’exposé circonstancié fourni dans son formulaire de renseignements personnels et de l’absence de preuve documentaire corroborante. La SPR a conclu qu’elle n’avait pas démontré l’existence d’une crainte subjective puisqu’elle avait attendu six mois après l’obtention du visa avant de se rendre au Canada et qu’elle avait ensuite attendu trois mois après son arrivée au Canada pour faire sa demande d’asile.

[9] La demanderesse n’a pas quitté le Canada à la suite du rejet de sa demande d’asile. Elle a passé les années suivantes à se livrer à l’activisme politique lié à la situation en Iran et aux droits de la personne avant de soumettre sa demande d’ERAR le 11 janvier 2019.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[10] L’agent n’a pas tenu d’audience en application de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR]. Dans sa décision, l’agent a fait une synthèse détaillée de la décision de la SPR et des antécédents de la demanderesse en Iran. Il a examiné les lettres présentées à l’appui de la demande d’ERAR. L’agent a reconnu que la demanderesse avait participé à des manifestations politiques et pour la défense des droits de la personne, qu’elle y avait été photographiée et que ces photos avaient été publiées dans la presse écrite et dans les médias sociaux. L’agent a fait remarquer que la demanderesse n’utilisait pas son nom officiel dans le cadre de ses activités. Sur la seule photographie publiée où la demanderesse est identifiée, elle utilisait une forme abrégée de son nom.

[11] L’agent a examiné les nombreux éléments de preuve objectifs sur les conditions en Iran, tant ceux fournis par la demanderesse que ceux obtenus à partir de ses propres recherches. Devant l’ensemble de la preuve, l’agent a tiré les conclusions suivantes :

  1. Les autorités iraniennes ont peu d’intérêt à poursuivre les demandeurs d’asile déboutés pour des activités menées à l’extérieur de l’Iran, y compris des commentaires critiques sur les réseaux sociaux. L’agent a conclu que la participation de la demanderesse à des manifestations politiques et pour la défense des droits de la personne n’attirerait pas l’attention des autorités iraniennes parce qu’elle n’avait pas utilisé son nom officiel. Il s’est appuyé sur la décision de la SPR pour conclure qu’elle n’avait pas une grande visibilité lorsqu’elle a quitté l’Iran.

  2. Il est peu probable que la demanderesse se voit exposée à une peine en raison du rejet de sa demande d’asile au Canada.

  3. Il est vrai que les libertés civiles et les droits politiques sont nettement entravés en Iran et que [traduction] « l’impunité est omniprésente » au sein du gouvernement iranien et de ses forces de sécurité, mais il s’agit de conditions générales dans ce pays qui ne sont pas propres à la demanderesse.

[12] L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’[TRADUCTION] « il existait plus qu’une simple possibilité qu’elle soit persécutée pour un motif prévu dans la Convention conformément à l’article 96 de la LIPR et que, selon la prépondérance des probabilités, il était peu probable qu’elle soit exposée à une menace décrite à l’article 97 de la LIPR ».

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[13] Les questions soulevées par la demanderesse dans ses documents peuvent être résumées ainsi :

  1. L’agent a-t-il eu tort de ne pas tenir d’audience?

  2. La décision est-elle raisonnable?

[14] S’appuyant sur la décision Ahmed c Canada (Citoyenneté et immigration), 2018 CF 1207 [Ahmed] (au para 23), la demanderesse formule la première question en litige comme s’il y avait eu atteinte à son droit à l’équité procédurale, laquelle commande l’application de la norme de la décision correcte. Compte tenu de la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (aux para 16 et 25), et du fait que rien ne justifie qu’elle soit réfutée, j’estime que la question devrait être examinée selon la norme de la décision raisonnable. Les décisions Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 [Huang] (au para 16), et Garces Canga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 749 [Garces Canga] (au para 23), prononcées par le juge Gascon appuient selon moi cette conclusion.

[15] Nul ne conteste que la décision de l’agent chargé de l’ERAR est examinée selon la norme de la décision raisonnable (Huang, au para 10; Garces Canga, au para 20).

V. Analyse

A. L’agent a-t-il eu tort de ne pas tenir d’audience?

[16] La demanderesse fait valoir dans son argumentation écrite que les éléments de preuve qu’elle avait fournis à l’appui de sa demande d’ERAR étaient suffisants pour lui permettre de s’acquitter de son fardeau. Par conséquent, pour rejeter sa demande, l’agent a dû tirer implicitement une conclusion relative à la crédibilité, laquelle exigeait la tenue d’une audience. Elle soutient que l’agent s’est appuyé à tort sur la décision de la SPR et qu’il n’a pas motivé sa décision de ne pas tenir d’audience.

[17] Normalement, aucune audience n’est requise pour les demandes d’ERAR. Lorsque les facteurs mentionnés à l’article 167 du RIPR sont réunis, une audience est tenue en application de l’alinéa 113b) de la LIPR. Ces facteurs sont présents lorsque des éléments de preuve qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur sont importants pour la prise de décision relative à l’ERAR (Garces Canga, au para 31, Huang, aux para 13-14 et 34-35, Ahmed, aux para 26‑29).

[18] Une question importante en ce qui concerne la crédibilité se pose lorsqu’un élément de preuve soulève un doute quant à la crédibilité du demandeur, ou lorsque le décideur peut ne pas ajouter foi à un élément de preuve du fait qu’il se pose une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur (Ahmed, au para 29). Toutefois, le fait pour le décideur de renvoyer à une conclusion de la SPR quant à la crédibilité ne suffit pas en soi pour nécessiter la tenue d’une audience en application de l’alinéa 113b) de la LIPR (Ahmed, au para 36).

[19] Il peut être difficile, comme en l’espèce, de distinguer les conclusions de l’agent selon lesquelles la preuve n’est pas suffisante pour étayer les prétentions du demandeur de ses conclusions quant à la crédibilité. Le juge Gascon a examiné ce genre de différence aux paragraphes 39-42 de la décision Garces Canga. L’évaluation de la crédibilité ou de la fiabilité d’un élément de preuve permet à la Cour de décider si elle l’admet. Elle le juge suffisant si sa valeur probante permet d’établir les faits à prouver selon la prépondérance des probabilités. Au paragraphe 31 de la décision Ahmed, le juge Norris a proposé une autre façon pour arriver à distinguer ces conclusions : les affirmations de faits que la preuve présentée est censée établir justifieraient-elles vraisemblablement de faire droit à la demande de protection? Dans la négative, la demande d’ERAR a été rejetée non pas en raison d’une conclusion quant à la crédibilité, mais en raison de l’insuffisance de la preuve.

[20] En l’espèce, l’agent s’est fondé sur la décision de la SPR pour dire que la demanderesse n’avait pas une grande visibilité en Iran avant son départ. L’agent a retenu le témoignage de la demanderesse quant à son activisme au Canada, mais il a conclu qu’il serait peu probable qu’il attire l’attention des autorités iraniennes. Le témoignage d’opinion censé appuyer la prétention de la demanderesse selon laquelle elle serait détenue, torturée et emprisonnée si elle retournait en Iran n’était pas suffisant pour étayer sa demande d’asile.

[21] Rien au dossier n’indiquait que la demanderesse avait demandé la tenue d’une audience pour son ERAR. Par conséquent, l’agent n’était pas tenu de justifier le fait qu’aucune audience n’a été tenue.

B. La décision était-elle raisonnable?

[22] Les arguments de la demanderesse sur cette question équivalent à un désaccord avec l’agent pour dire que les éléments de preuve qu’elle avait présentés ne suffisaient pas pour qu’elle s’acquitte de son fardeau de preuve. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la demanderesse veut que la Cour réévalue la preuve dans le but de trouver une erreur plutôt que d’examiner la décision dans son ensemble.

[23] L’agent a correctement discerné les normes juridiques applicables aux articles 96 et 97 de la LIPR. Comme la Cour l’a exposé aux paragraphes 49‑52 de la décision Garces Canga, s’agissant de l’article 96, le demandeur d’asile doit démontrer l’existence d’une crainte subjective de persécution qui est objectivement justifiée en raison de son appartenance à un groupe de personnes exposées à un risque de persécution pour des motifs prévus dans la Convention, comme la race, la religion, la nationalité ou les opinions politiques. Il n’est pas nécessaire que le demandeur soit personnellement exposé à un risque, mais il doit démontrer l’existence d’un certain lien avec sa situation personnelle. Pour les besoins de l’article 97, le demandeur doit démontrer que le risque lui est propre.

[24] En l’espèce, l’agent a essentiellement conclu que la demanderesse n’avait pas la visibilité voulue pour attirer l’attention des autorités iraniennes. À mon avis, l’agent a adéquatement tenu compte de la crainte subjective de persécution de la demanderesse fondée sur ses opinions politiques et de la question de savoir si cette crainte était objectivement fondée conformément à l’article 96 de la LIPR. Elle n’avait pas, par exemple, la visibilité du cinéaste mentionné dans sa demande d’ERAR. Les motifs de l’agent démontrent que, lors de son examen approfondi de la preuve, il a tenu compte de la demande d’asile et des activités de la demanderesse pendant son séjour au Canada.

[25] Les motifs de l’agent ne sont pas parfaits. On peut soutenir qu’il ne s’est attaqué ni aux risques que courent les militants politiques en Iran ni à la question de savoir si les opinions politiques de la demanderesse – il semble avoir reconnu qu’elles étaient réelles – donnent lieu à plus qu’une simple possibilité de persécution. Il aurait été loisible à l’agent de conclure que la demanderesse s’était déchargée de son fardeau. Cependant, la Cour ne peut transformer un contrôle effectué selon la norme de la raisonnabilité en un contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Citizenship and Immigration) v Mason, 2021 FCA 156 aux para 36‑ 40).

VI. Conclusion

[26] À mon avis, la décision répond suffisamment aux caractéristiques de la raisonnabilité – la justification, la transparence et l’intelligibilité – pour démontrer qu’elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision (Vavilov, au para 99). Il n’y a pas de lacune importante pouvant justifier l’intervention de la Cour.

[27] Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale. Par conséquent, aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6596-20

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6596-20

INTITULÉ :

TAHEREH PAYROVEDENNABI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE par vidÉOCONFÉrence,

À OTTAWA

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 dÉcembre 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 9 fÉvrier 2022

COMPARUTIONS :

James Todd

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.