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Date : 20220204


Dossier : T-481-19

Référence : 2022 CF 102

[TRADUCTON FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 février 2022

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

PREMIÈRE NATION CRIE MIKISEW

demanderesse

et

AGENCE CANADIENNE D’ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE, MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, ET CANADIAN NATURAL RESOURCES LIMITED

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Première Nation crie de Mikisew [Mikisew] présente, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, une demande de contrôle judiciaire d’une décision du ministre de l’Environnement et du Changement climatique [le ministre] datée du 15 février 2019 [la décision]. Dans la décision, le ministre a refusé de désigner le projet d’agrandissement du puits nord de la mine de sables bitumineux Horizon [le projet d’agrandissement] de Canadian Natural Resources Limited [CNRL] comme projet susceptible de contrôle en vertu du paragraphe 14(2) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), LC 2012, c 19, art 52 [la Loi], qui est maintenant abrogée.

[2] Le ministre s’est appuyé sur la recommandation de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale [l’Agence] pour rendre la décision.

[3] En vertu du paragraphe 14(2) de la Loi, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de désigner un projet qui n’est pas désigné dans le Règlement désignant les activités concrètes, DORS/2012-147 [le Règlement], « s’il est d’avis que l’exercice de l’activité peut entraîner des effets environnementaux négatifs ou que les préoccupations du public concernant les effets environnementaux négatifs que l’exercice de l’activité peut entraîner le justifient ». Une désignation par le ministre entraîne la réalisation d’une évaluation environnementale fédérale.

[4] Mikisew soutient que le ministre a manqué à l’obligation de consulter en rendant la décision et que la décision est déraisonnable.

[5] Les défendeurs soutiennent que l’obligation de consulter n’a pas été déclenchée ou, subsidiairement, que l’obligation de consulter a été respectée, et que la décision est raisonnable. Les défendeurs soutiennent que le ministre dispose d’un large pouvoir discrétionnaire lorsqu’il rend une décision en vertu de la Loi.

[6] Je conclus que l’obligation de consulter n’a pas été déclenchée. Je conclus également que la décision est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[7] Mikisew succède à l’un des groupes autochtones qui ont signé le Traité no 8 ou adhéré à celui-ci. Le territoire traditionnel de Mikisew est situé dans le nord-est de l’Alberta, et comprend les terres et les eaux entourant le lac Athabasca, le delta des rivières de la Paix et Athabasca [DRPA] et la région au sud jusqu’à Fort McMurray et à la rivière Clearwater.

[8] CNRL a un projet en cours à la mine de sables bitumineux Horizon [le projet de la mine Horizon], qui est situé à environ 70 kilomètres au nord de Fort McMurray, en Alberta, dans le territoire traditionnel de Mikisew. Le Canada et l’Alberta ont tous deux évalué ce projet dans le cadre d’une commission d’examen conjoint et les deux gouvernements l’ont approuvé en 2004. La construction a commencé en 2005 et les activités ont commencé en 2009. Le projet d’agrandissement et le projet connexe de traitement de la mousse paraffinique à haute température [le projet de traitement de la mousse] n’ont pas été évalués dans le cadre du projet initial de la commission d’examen conjoint du projet des sables bitumineux Horizon en 2004. La présente demande concerne uniquement la décision de ne pas désigner le projet d’agrandissement.

[9] Le projet d’agrandissement prévoit l’agrandissement du puits nord actuellement non aménagé de 3 448 hectares à l’intérieur des limites actuelles du bail du projet de la mine Horizon. Le projet d’agrandissement n’est pas désigné dans le Règlement fédéral; par conséquent, il n’avait pas à faire l’objet d’une évaluation environnementale fédérale. Toutefois, il est assujetti à une évaluation environnementale provinciale [EE provinciale] par l’Alberta Energy Regulator [AER].

[10] En novembre 2017, Mikisew a reçu une copie du cadre de référence [CR] proposé pour l’étude d’impact environnemental [EIE], lequel a été rédigé par CNRL. Le CR établit la portée de l’EIE, qui constitue le fondement de l’EE provinciale. Mikisew a chargé Management Strategies Environmental Solutions [MSES] de mener un examen technique du CR [l’examen du CR].

[11] En avril 2018, l’EIE a été déposée auprès de l’AER. Mikisew a également chargé MSES d’effectuer un examen technique de l’EIE [l’examen de l’EIE].

[12] Le 5 juillet 2018, Mikisew et d’autres groupes autochtones ont présenté une demande au ministre pour qu’il désigne le projet d’agrandissement aux fins d’une évaluation environnementale fédérale en vertu du paragraphe 14(2) de la Loi. Ils se sont dit préoccupés par les effets environnementaux négatifs importants du projet d’agrandissement sur la rivière Athabasca, le Parc national Wood Buffalo [PNWB] (dont une partie est un site du patrimoine mondial) et le DRPA, ainsi que par les effets cumulatifs sur les droits ancestraux ou issus de traités. Ils se sont également dits préoccupés par le fait que le processus de l’EE provinciale ne pourrait pas tenir dûment compte des effets environnementaux et cumulatifs potentiels du projet d’agrandissement. Bien que le ministre ait également communiqué avec ces autres groupes autochtones, aux fins de la présente demande, je ne mentionnerai que la correspondance entre Mikisew et le ministre ou l’Agence.

[13] En vertu du paragraphe 2(1) de la Loi, « projet désigné » est défini comme s’entendant d’une ou plusieurs activités concrètes :

  • a) exercées au Canada ou sur un territoire domanial;

  • b) désignées soit par le Règlement pris en vertu de l’alinéa 84a), soit par arrêté pris par le ministre en vertu du paragraphe 14(2);

  • c) liées à la même autorité fédérale selon ce qui est précisé dans le Règlement ou cet arrêté.

Sont comprises les activités concrètes qui leur sont accessoires.

[14] Le 24 juillet 2018, l’Agence a avisé Mikisew qu’elle conseillerait le ministre sur la question de savoir s’il devrait désigner le projet d’agrandissement. L’Agence a invité Mikisew à lui faire part de ses commentaires sur les effets environnementaux potentiels du projet d’agrandissement, ou sur les répercussions potentielles du projet d’agrandissement sur les droits ancestraux ou issus de traités. L’Agence a demandé à Mikisew de lui faire parvenir son avis écrit sur ces questions au plus tard le 23 août 2018.

[15] Le 23 août 2018, Mikisew a répondu à l’Agence en réitérant ses préoccupations concernant l’incidence du projet d’agrandissement sur les domaines de compétence fédérale, y compris sur le poisson et l’habitat du poisson, son incidence sur les affluents entourant la rivière Athabasca, ses effets sur le PNWB et le DRPA, et ses répercussions sur les droits ancestraux et issus de traités. À cette date, l’Agence a également fourni à Mikisew une copie des observations de CNRL sur la désignation du projet d’agrandissement.

[16] Le 27 août 2018, Mikisew a répondu aux observations de CNRL et a expressément contesté la pertinence du CR et de l’EIE que CNRL avait préparés. Mikisew a fourni à l’Agence une copie de son examen du CR, qui a été préparé par MSES. Mikisew a également indiqué qu’elle avait fourni à l’AER ses recommandations sur la façon de répondre à ses préoccupations concernant le CR, mais que l’AER avait rejeté ces préoccupations.

[17] En août 2018, Mikisew a reçu une copie d’une lettre de Parcs Canada qui fournissait l’avis de ce dernier sur les répercussions environnementales potentielles du projet d’agrandissement. Les parties pertinentes de la lettre sont reproduites ci-dessous :

[traduction]

[…] Le projet est situé en amont du [PNWB] et du site du patrimoine mondial du parc national Wood Buffalo (SPM PNWB), et en particulier du delta des rivières de la Paix et Athabasca (DRPA).

Les effets environnementaux négatifs potentiels des deux projets, tels que définis à l’article 5 de [la Loi], et relevant du mandat et du rôle de Parcs Canada en tant que responsable gouvernemental du patrimoine mondial au Canada, comprennent :

· des répercussions sur la qualité et la quantité de l’eau avec des effets potentiels sur le poisson et son habitat, les espèces aquatiques et les oiseaux migrateurs;

· des changements au territoire domanial ([PNWB]);

· des effets sur l’usage courant par les Autochtones des terres et des ressources à des fins traditionnelles.

Le DRPA est situé à la limite sud du PNWB, à l’embouchure des rivières de la Paix, des Exclaves et Athabasca. Le DRPA est un vaste delta intérieur, désigné comme zone humide d’importance internationale aux termes de la Convention de Ramsar. Une récente évaluation environnementale stratégique (Independent Environmental Consultants, 2018) du SPM PNWB a mis en évidence une compréhension mitigée de la qualité de l’eau du DRPA et une baisse de la qualité de l’eau de la rivière Athabasca. Le projet proposé pourrait contribuer à des changements dans la qualité de l’eau de la rivière Athabasca, lesquels pourraient entraîner des répercussions cumulatives supplémentaires sur la qualité de l’eau du DRPA.

Le DRPA est également une région d’usage traditionnelle critique pour les groupes autochtones locaux. En décembre 2014, la Première Nation crie Mikisew (PNCM) a présenté une demande au Centre du patrimoine mondial (CPM) de l’UNESCO afin d’inscrire le [SPM PNWB] sur la Liste du patrimoine mondial en péril en raison de ses préoccupations concernant les répercussions des projets d’aménagement hydroélectrique et de sables bitumineux actuels et prévus, aux changements climatiques, aux lacunes des cadres de gestion qui risquent de compromettre la valeur du SPM PNWB pour le patrimoine mondial et à leur capacité de poursuivre leurs pratiques traditionnelles dans la région.

[18] Le 20 septembre 2018, Mikisew et d’autres groupes autochtones ont rencontré l’Agence et d’autres ministères fédéraux au sujet de sa demande de désignation et de ses préoccupations quant à l’EE provinciale. En octobre 2018, Mikisew a présenté des observations supplémentaires à l’Agence concernant les raisons pour lesquelles le projet de traitement de la mousse devrait être considéré comme faisant partie du projet d’agrandissement et, par conséquent, être également désigné aux fins d’une évaluation fédérale.

[19] Le 20 décembre 2018, l’Agence a préparé une note de service [la note de service no 1] à l’intention du ministre, qui résumait l’analyse de l’Agence des demandes de désignation du projet d’agrandissement et du programme de traitement de la mousse [l’analyse de l’Agence] en vertu de la Loi. Mikisew n’a reçu une copie de l’analyse de l’Agence que le 14 mars 2019. Dans la note de service no 1, l’Agence a recommandé que le ministre refuse de désigner le projet d’agrandissement.

[20] Le 14 janvier 2019, Mikisew a fourni à l’Agence une copie de son examen de l’EIE, qui a été préparé par MSES.

[21] Le 5 février 2019, Mikisew a écrit de nouveau à l’Agence pour demander que le projet de traitement de la mousse soit désigné dans le cadre du projet d’agrandissement. Mikisew a également résumé le contenu de l’examen de l’EIE qu’elle avait fourni antérieurement. Plus particulièrement, Mikisew a affirmé que l’EIE est un document incomplet qui n’aborde pas les répercussions sur les droits ancestraux ou issus de traités.

[22] Le 12 février 2019, l’Agence a présenté une note de service [la note de service no 2] au ministre. La note de service no 2 est présumée fournir des renseignements supplémentaires au ministre, au regard de l’examen de l’EIE de Mikisew. L’Agence maintient que l’examen de l’EIE n’a pas modifié la recommandation de l’Agence selon laquelle le ministre devrait refuser de désigner le projet d’agrandissement.

[23] Le 15 février 2019, le ministre a écrit à Mikisew pour l’informer que le projet d’agrandissement et le projet de traitement de la mousse ne seraient pas désignés en vertu de la Loi.

III. La décision

[24] La décision est reproduite dans son intégralité ci-dessous :

[traduction]

Je vous remercie de votre lettre du 5 juillet 2018 et de votre communication lors de votre réunion avec le personnel de [l’Agence] le 20 septembre 2018, où vous demandez que je désigne le [projet d’agrandissement] et le [projet de traitement de la mousse], proposés par [CNRL], aux fins d’une évaluation environnementale en vertu du paragraphe 14(2) de la [Loi]. Comme il a été demandé, j’ai examiné, ensemble, les demandes de désignation du [projet d’agrandissement] et du projet de traitement de la mousse.

J’apprécie les contributions de la Première Nation crie de Mikisew à l’examen [de l’Agence] des demandes de désignation [projet d’agrandissement] et du projet de traitement de la mousse. Je crois comprendre que vous avez exprimé des préoccupations concernant les effets environnementaux négatifs possibles sur le poisson et l’habitat du poisson, les oiseaux migrateurs, la santé et les terres de réserve des Autochtones, ainsi que l’usage des terres et des ressources à des fins traditionnelles. Vous avez également soulevé des préoccupations concernant les effets environnementaux cumulatifs, les répercussions sur les droits ancestraux ou issus de traités, et la pertinence des processus provinciaux pour évaluer les répercussions sur les peuples autochtones.

J’ai examiné attentivement vos demandes de désignation de ces activités, ainsi que les commentaires des groupes autochtones, des autorités provinciales et de [CNRL], et les renseignements scientifiques fournis par des ministères fédéraux spécialisés, dont Pêches et Océans Canada, Environnement et Changement climatique Canada, Ressources naturelles Canada, Santé Canada, Transports Canada et Parcs Canada. Je comprends que les mécanismes d’évaluation provinciaux et les mécanismes de réglementation fédéraux et provinciaux seront appliqués à ces projets et que d’autres efforts sont actuellement déployés pour surveiller et traiter les effets cumulatifs plus larges des projets de sables bitumineux.

Pour déterminer s’il convient de désigner ces projets, j’ai examiné si ces derniers peuvent entraîner des effets environnementaux négatifs ou si des préoccupations concernant ces effets justifient une désignation. Après avoir également examiné les mécanismes d’évaluation provinciaux et les mécanismes de réglementation fédéraux et provinciaux utilisés pour atténuer les répercussions possibles associées à ces projets, j’ai décidé de ne pas désigner le [projet d’agrandissement] ou le projet de traitement de la mousse aux fins d’une évaluation environnementale en vertu de [la Loi].

Je suis convaincu que tout effet potentiel sur le poisson, l’habitat du poisson et les oiseaux migrateurs sera examiné par l’intermédiaire de l’[EE provinciale] en vertu de la Environmental Protection and Enhancement Act de l’Alberta et des exigences réglementaires fédérales et provinciales en vertu de la Loi sur les pêches et de la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs du gouvernement fédéral, ainsi que de l’approbation existante en vertu de la Water Act de l’Alberta pour la mine de sables bitumineux Horizon. Je tiens également à souligner qu’aucun effet sur la qualité de l’air n’est prévu au-delà d’un kilomètre à l’extérieur de la limite du bail.

Je vous encourage à participer aux processus d’évaluation et de réglementation provinciaux afin que vos avis puissent être pris en compte.

En ce qui concerne vos préoccupations concernant les effets cumulatifs de l’exploitation des sables bitumineux, le gouvernement du Canada, par l’entremise du protocole d’entente entre l’Alberta et le Canada concernant la surveillance environnementale visant les sables bitumineux, s’est engagé à collaborer avec les groupes autochtones, les intervenants et les organismes environnementaux afin de fournir des données et des renseignements complets sur la surveillance environnementale afin de mieux comprendre les effets cumulatifs à long terme de l’exploitation des sables bitumineux. En vertu de cette entente, Environnement et Changement climatique Canada a récemment investi jusqu’à 2 millions de dollars par année pour aider les groupes autochtones locaux à concevoir et à mettre en œuvre des projets communautaires de surveillance environnementale.

De plus, Parcs Canada dirige un effort de collaboration avec les collectivités autochtones et les gouvernements provinciaux et territoriaux afin de mettre en œuvre un plan d’action pour le [PNWB]. La participation des collectivités autochtones a aidé à veiller à ce que les histoires et les cultures des peuples autochtones, ainsi que la relation spéciale qu’ils entretiennent avec les terres et les eaux traditionnelles, soient reflétées dans le plan d’action.

Je vous remercie d’avoir porté vos préoccupations à mon attention et pour le travail continu avec vous et votre collectivité pour faire progresser ces initiatives importantes.

[Non souligné dans l’original.]

[25] La décision était fondée sur la recommandation de l’Agence qui, de son côté, était fondée sur l’analyse de l’Agence. La partie [traduction] « Analyse » de l’analyse de l’Agence compte huit pages, y compris une discussion sur le contexte du projet d’agrandissement et l’avis des groupes autochtones, du CNRL et de plusieurs organismes fédéraux. L’analyse de l’Agence examine ensuite ces avis et fournit sa propre analyse des effets sur le poisson et l’habitat du poisson, les oiseaux migrateurs, le territoire domanial et les émissions de gaz à effet de serre, ainsi que des effets sur les conditions sanitaires et socio-économiques des Autochtones, l’usage courant des terres et des ressources à des fins traditionnelles, le patrimoine naturel et culturel, et les sites d’importance.

IV. Dispositions législatives pertinentes

[26] Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

Effets environnementaux

 

Environmental effects

 

5 (1) Pour l’application de la présente loi, les effets environnementaux qui sont en cause à l’égard d’une mesure, d’une activité concrète, d’un projet désigné ou d’un projet sont les suivants :

 

5 (1) For the purposes of this Act, the environmental effects that are to be taken into account in relation to an act or thing, a physical activity, a designated project or a project are

 

a) les changements qui risquent d’être causés aux composantes ci-après de l’environnement qui relèvent de la compétence législative du Parlement :

 

(a) a change that may be caused to the following components of the environment that are within the legislative authority of Parliament:

 

(i) les poissons et leur habitat, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les pêches,

 

(i) fish and fish habitat as defined in subsection 2(1) of the Fisheries Act,

 

(ii) les espèces aquatiques au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les espèces en péril,

 

(ii) aquatic species as defined in subsection 2(1) of the Species at Risk Act,

 

(iii) les oiseaux migrateurs au sens du paragraphe 2(1) de la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs,

 

(iii) migratory birds as defined in subsection 2(1) of the Migratory Birds Convention Act, 1994, and

 

(iv) toute autre composante de l’environnement mentionnée à l’annexe 2;

 

(iv) any other component of the environment that is set out in Schedule 2;

 

b) les changements qui risquent d’être causés à l’environnement, selon le cas :

 

(b) a change that may be caused to the environment that would occur

 

(i) sur le territoire domanial,

 

(i) on federal lands,

 

(ii) dans une province autre que celle dans laquelle la mesure est prise, l’activité est exercée ou le projet désigné ou le projet est réalisé,

 

(ii) in a province other than the one in which the act or thing is done or where the physical activity, the designated project or the project is being carried out, or

 

(iii) à l’étranger;

 

(iii) outside Canada; and

 

c) s’agissant des peuples autochtones, les répercussions au Canada des changements qui risquent d’être causés à l’environnement, selon le cas :

 

(c) with respect to aboriginal peoples, an effect occurring in Canada of any change that may be caused to the environment on

 

(i) en matière sanitaire et socio-économique,

 

(i) health and socio-economic conditions,

 

(ii) sur le patrimoine naturel et le patrimoine culturel,

 

(ii) physical and cultural heritage,

 

(iii) sur l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles,

 

(iii) the current use of lands and resources for traditional purposes, or

 

(iv) sur une construction, un emplacement ou une chose d’importance sur le plan historique, archéologique, paléontologique ou architectural.

 

(iv) any structure, site or thing that is of historical, archaeological, paleontological or architectural significance.

 

[…]

 

[…]

Activités désignées comme projet désigné

 

Designation of physical activity as designated project

 

14 (1) Tout projet désigné qui comprend une activité désignée en vertu du paragraphe (2) doit faire l’objet d’une évaluation environnementale.

 

14 (1) A designated project that includes a physical activity designated under subsection (2) is subject to an environmental assessment.

 

Pouvoir du ministre de désigner

 

Minister’s power to designate

 

(2) Le ministre peut, par arrêté, désigner toute activité concrète qui n’est pas désignée par règlement pris en vertu de l’alinéa 84a), s’il est d’avis que l’exercice de l’activité peut entraîner des effets environnementaux négatifs ou que les préoccupations du public concernant les effets environnementaux négatifs que l’exercice de l’activité peut entraîner le justifient.

 

(2) The Minister may, by order, designate a physical activity that is not prescribed by regulations made under paragraph 84(a) if, in the Minister’s opinion, either the carrying out of that physical activity may cause adverse environmental effects or public concerns related to those effects may warrant the designation.

 

V. Questions en litige et norme de contrôle

[27] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. L’obligation de consulter a-t-elle été déclenchée, et, dans l’affirmative, cette obligation a-t-elle été dûment respectée?

  2. La décision était-elle raisonnable?

[28] Aux paragraphes 82-83 de la décision Nation Crie Ermineskin c Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 CF 758 [Ermineskin], le juge Brown a énoncé les normes de contrôle applicables à l’égard des décisions de désignation qui déclenchent l’obligation de consulter :

L’existence, la portée et la teneur de l’obligation de consulter sont des questions de droit susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. La question de savoir si le ministre s’est acquitté ou non de cette obligation est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Voir la décision Ehattesaht First Nation v British Columbia (Minister of Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2014 BCSC 849 au para 45 [Ehattesaht], citant l’arrêt Nation haïda c Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 au para 61 [Nation haïda]; l’arrêt Première Nation Coldwater c Canada (Procureur général), 2020 CAF 34 au para 27 [Coldwater], citant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 55 [Vavilov].

Le ministre défendeur est d’accord, et dit que la portée des droits ancestraux ou issus de traités visés à l’article 35 de la Constitution est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov, au para 55). Il dit que l’obligation de consulter découle de l’honneur de la Couronne et qu’elle est constitutionnalisée par l’article 35 (Ktunaxa Nation c Colombie‑Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54, au para 78), et je suis d’accord. C’est donc dire que la question de savoir s’il existe une obligation de consulter dans une affaire particulière est une question de droit que l’on contrôle selon la norme de la décision correcte (Première Nation Yellowknives Dene c Canada (Affaires autochtones et Développement du Nord), 2015 CAF 148 aux para 46‑47. La question de savoir si les consultations menées ont été suffisantes pour s’acquitter de cette obligation est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (Coldwater, aux para 24‑25).

[29] Par conséquent, la question de savoir si l’obligation de consulter a été déclenchée est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, tandis que la satisfaction de l’obligation de consulter est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[30] Le bien-fondé de la décision est également susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Une cour de révision doit évaluer le raisonnement du décideur et se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]).

VI. Question préliminaire – admissibilité des affidavits

[31] En règle générale, seuls les éléments de preuve dont disposait le décideur administratif sont admissibles devant la cour saisie du contrôle. En l’espèce, Mikisew a déposé les affidavits des personnes suivantes, dont le ministre n’était pas saisi :

  1. Melody Lepine, directrice exécutive du bureau des relations gouvernement-industrie de Mikisew;

  2. Dan Stuckless, gestionnaire des relations avec l’industrie au sein du bureau des relations gouvernement-industrie de Mikisew;

  3. Brian Kopach, écologiste et conseiller scientifique auprès de MSES.

[32] Dans l’arrêt Tseil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 [Tseil-Waututh] aux paragraphes 97-98, la Cour d’appel fédérale a énuméré trois exceptions à la règle générale selon laquelle les nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles aux fins du contrôle judiciaire : (1) les éléments de preuve qui fournissent des renseignements généraux dans des circonstances où ces renseignements pourraient aider à comprendre les questions que soulève le contrôle judiciaire; (2) les éléments de preuve nécessaires pour signaler à la cour les manquements à l’équité procédurale qui ne figurent pas dans le dossier de preuve du décideur administratif; et (3) les éléments de preuve pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur administratif.

[33] Mikisew admet que l’affidavit de M. Kopach peut être radié du dossier. Les défendeurs soutiennent que des parties importantes des affidavits de Mme Lepine et de M. Stuckless sont inadmissibles.

[34] CNRL soutient que Mikisew souhaite que la Cour prenne la place du ministre et exerce le pouvoir discrétionnaire de celui-ci, et qu’elle le fasse selon des critères différents et un dossier différent. CNRL affirme que le fait de permettre que ces affidavits demeurent au dossier entraîne un préjudice important au défendeur et déforme les faits dont le ministre était saisi au moment où il a rendu la décision.

[35] L’Agence et le ministre [collectivement, le Canada] conviennent avec CNRL pour dire que Mikisew demande à la Cour de réévaluer les éléments de preuve dont était saisi le ministre. Le Canada soutient que les affidavits de Mme Lepine et de M. Stuckless ne correspondent à aucune des exceptions énoncées dans la décision Tseil-Waututh et ne devraient pas être admissibles, sauf dans la mesure où ils concernent l’obligation de consulter.

[36] Mikisew soutient que les éléments de preuve par affidavit sont admissibles parce qu’ils fournissent des renseignements généraux et abordent l’obligation de consulter.

[37] Je conviens que les affidavits de Mme Lepine et de M. Stuckless ne devraient être admis que dans la mesure où ils fournissent des renseignements généraux et des renseignements qui se rapportent aux observations de Mikisew concernant l’obligation de consulter. Par conséquent, toute pièce jointe aux affidavits de Mme Lepine et de M. Stuckless, dans la mesure où elle fournit des renseignements généraux à l’appui des observations sur l’obligation de consulter, sera prise en compte. Par exemple, bon nombre des pièces jointes à ces affidavits fournissent des renseignements généraux sur les régions géographiques qui, selon Mikisew, subiront des effets négatifs, ce qui nuira à leurs droits issus de traités.

[38] De plus, je conviens avec Mikisew que le plan d’action concernant le PNWB [le plan d’action concernant le PNWB] et le protocole d’entente concernant la surveillance environnementale visant les sables bitumineux [PE] sont admissibles parce qu’ils ont été mentionnés et invoqués dans l’analyse de l’Agence, et que, par conséquent, le ministre en était sans doute saisi.

[39] Toutefois, je conviens avec les défendeurs que certains des renseignements contenus dans les affidavits constituent une opinion et qu’aucun poids ne devrait pas leur être accordé. En résumé, les affidavits de Mme Lepine et de M. Stuckless ne sont pas radiés dans leur intégralité, mais aucun poids ne sera accordé aux renseignements qui y sont contenus et qui se rapportent au bien-fondé de la décision. À la lumière de l’admission de Mikisew selon laquelle personne ne s’appuie pas sur l’affidavit de M. Kopach, la Cour ne l’examinera pas.

VII. Positions des parties

A. L’obligation de consulter a-t-elle été déclenchée, et, dans l’affirmative, cette obligation e-t-elle été dûment respectée?

(1) Position de Mikisew

[40] Mikisew soutient que l’obligation de consulter a été déclenchée parce que la Couronne connaissait les droits issus de traités de Mikisew, que le ministre a rendu une décision législative concernant la désignation du projet d’agrandissement aux fins d’une évaluation fédérale, et que la décision pouvait entraîner des répercussions négatives sur les droits issus de traités de Mikisew. Par conséquent, cela satisfait au critère énoncé dans l’arrêt Rio Tinto Alcan c Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43 [Rio Tinto] concernant le déclenchement de l’obligation de consulter.

[41] Mikisew soutient que le ministre a manqué à l’obligation de consulter, même à l’extrémité la plus basse et la plus élémentaire du spectre de consultation. Mikisew soutient que la Couronne était tenue de divulguer des renseignements et de discuter des questions soulevées en réponse avant de rendre la décision (Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 au para 43 [Nation haïda]). Mikisew soutient que le Canada a manqué à son obligation de consulter parce qu’il n’a pas fourni à Mikisew les renseignements sur lesquels il s’est fondé, n’a pas donné à Mikisew la possibilité de répondre au raisonnement sous-tendant le rejet de sa demande et n’a rien fait d’autre que de consigner les observations de Mikisew.

[42] Mikisew soutient que l’obligation de consulter est déclenchée par une décision défavorable qui n’entraîne pas l’autorisation d’activités concrètes qui peuvent entraver l’exercice des droits prévus à l’article 35. Par exemple, dans la décision Coastal First Nations c British Columbia (Environment), 2016 BCSC 34 [Coastal First Nations], la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que la décision de la Colombie-Britannique de ne pas soumettre un projet à une EE provinciale à la lumière des préoccupations de Premières Nations a déclenché l’obligation de consulter (aux para 210-213).

[43] Mikisew soutient que le ministre ne s’est pas acquitté de l’obligation de consulter pour quatre motifs. Premièrement, le ministre n’a divulgué ni la note de service no 1 ni la note de service no 2, les deux principaux documents sur lesquels il s’est fondé pour rendre la décision. Mikisew soutient également qu’aucun de ces documents ne répondait à ses préoccupations. La note de service no 1 était une synthèse du rapport d’analyse de l’Agence et la note de service no 2 était une mise à jour fondée sur l’examen de l’EIE de Mikisew. Mikisew affirme que ni le rapport d’analyse ni les renseignements recueillis par l’Agence au sujet des répercussions environnementales n’ont été divulgués à Mikisew avant la décision. Mikisew soutient que c’est un problème parce que la recommandation de l’Agence contredit les renseignements fournis par Mikisew et des ministères fédéraux. Mikisew soutient que le fait de ne pas divulguer les renseignements a empêché Mikisew de :

  1. porter à l’attention du ministre des renseignements qui auraient pu éclairer le processus décisionnel;

  2. corriger les erreurs dans l’analyse de l’Agence;

  3. répondre à l’analyse de l’Agence;

  4. fournir des commentaires sur les renseignements qui ont éclairé la recommandation de l’Agence au ministre;

  5. fournir des commentaires sur la recommandation de l’Agence de ne pas désigner le projet d’agrandissement aux fins d’une évaluation environnementale fédérale.

[44] Deuxièmement, Mikisew allègue que le ministre n’a pas entamé un dialogue significatif avec Mikisew afin de répondre aux préoccupations avant de rendre la décision. Mikisew soutient que le dossier n’indique pas que la préoccupation de Mikisew concernant la nécessité que la décision maintienne la capacité du Canada à protéger le PNWB n’a pas été prise en compte Mikisew affirme qu’il n’y a pas eu de dialogue sur cette question avant que Parcs Canada ne présente des observations similaires et que ces observations soient rejetées. Parcs Canada a soutenu qu’une évaluation fédérale aiderait à comprendre les effets potentiels sur le PNWB.

[45] Troisièmement, Mikisew soutient que le ministre n’a pas répondu aux renseignements de Mikisew selon lesquels le CR et l’EIE ne tenaient pas compte des effets du projet sur le PNWB, comme l’ont indiqué Mikisew et d’autres ministères fédéraux.

[46] Enfin, Mikisew affirme que le ministre n’a pas répondu aux renseignements de Mikisew, selon lesquels l’AER n’a pas tenu compte des effets cumulatifs sur le PNWB et des droits ancestraux et issus de traités, et qu’il n’a pas tenu compte de ces renseignements.

(2) CNRL

[47] CNRL soutient que la demande de désignation de Mikisew n’a pas déclenché l’obligation de consulter parce qu’elle n’a pas mené à l’autorisation d’activités concrètes ou au retrait de la surveillance gouvernementale. Par conséquent, elle n’engendre aucun effet négatif qui pourrait avoir une incidence sur des droits ancestraux ou issus de traités. De plus, même si l’obligation de consulter n’a pas été déclenchée, une [traduction] « mobilisation exhaustive » de Mikisew a eu lieu et le processus à l’origine de la décision était raisonnable.

[48] CNRL ne présente aucune observation sur le premier volet du cadre énoncé dans l’arrêt Rio Tinto. En ce qui concerne la deuxième étape, CNRL soutient qu’en l’absence de la demande de désignation, la Couronne n’aurait pas agi. Par conséquent, étant donné que Mikisew a entamé le processus, les principes de droit administratif s’appliquent plutôt que l’obligation de consulter.

[49] En ce qui concerne la troisième partie du cadre énoncé dans l’arrêt Rio Tinto, CNRL soutient que le lien de causalité requis n’existe pas et que les répercussions potentielles alléguées sont tout au plus hypothétiques. CNRL soutient qu’aucune des répercussions possibles alléguées n’influe sur la capacité de Mikisew d’exercer des droits ancestraux ou issus de traités. Les répercussions alléguées sont plutôt liées à l’ampleur de la participation du gouvernement fédéral au processus. CNRL soutient que l’obligation de consulter ne peut pas servir à assurer la participation et la surveillance du gouvernement fédéral dans l’élaboration d’un projet, car cela ne tient pas compte de l’intention exprimée explicitement par le Parlement dans la Loi, à savoir qu’une désignation n’est pas nécessaire pour chaque projet.

[50] CNRL soutient que la décision Coastal First Nations se distingue de l’espèce à plusieurs égards : le projet exigeait des évaluations environnementales provinciales et fédérales obligatoires; la mesure de la Couronne constituait une renonciation de la Colombie-Britannique à son pouvoir de réglementation en faveur du processus fédéral; et l’effet négatif était la réduction de la capacité de la Colombie-Britannique à s’assurer que les intérêts des Autochtones dans le processus d’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique ont été respectés dans le cadre du processus fédéral.

[51] CNRL soutient également que si l’obligation de consulter avait été déclenchée, elle se situait au bas du spectre et elle a été respectée. Mikisew a obtenu un avis de la décision envisagée, des renseignements adéquats sur le projet d’agrandissement, des copies des observations présentées au ministre, la possibilité de répondre à ces observations, la possibilité de rencontrer le ministre en personne, un examen attentif des observations de Mikisew, un avis de la décision en temps opportun et des motifs écrits suffisants. CNRL soutient que Mikisew n’a soulevé aucune préoccupation concernant le processus suivi avant que la décision ait été rendue.

[52] CNRL soutient également que la décision White River First Nation v Yukon Government, 2013 YKSC 66 [White River], citée par Mikisew à l’appui de la thèse selon laquelle le ministre aurait dû divulguer l’analyse de l’Agence, se distingue de l’espèce. Plus précisément, CNRL affirme que, dans la décision White River, la Cour suprême du Yukon a conclu que, si un décideur refuse la recommandation de son bureau de consultation en faveur de nouveaux éléments de preuve, le décideur doit permettre à la Première Nation de répondre à ces nouveaux éléments de preuve. En l’espèce, aucun nouveau renseignement n’a été pris en compte et aucune recommandation de l’Agence n’a été rejetée. CNRL soutient que le défaut du ministre de fournir l’analyse de l’Agence ne signifie pas que Mikisew a été privée de son droit de regard.

(3) Canada

[53] Le Canada reconnaît qu’il avait une connaissance réelle des droits de Mikisew en vertu du Traité no 8, mais il soutient que la décision ne vise pas une mesure envisagée de la Couronne fédérale qui pourrait avoir une incidence sur les droits de Mikisew. Le Canada allègue que l’approbation du projet d’agrandissement par l’AER est ce qui pourrait influer sur les droits de Mikisew, mais ce n’est pas le cas de la question fondamentale de savoir si une évaluation fédérale devrait être requise. Le Canada soutient qu’il n’a aucune obligation de consulter à l’égard de quelconques décisions ou mesures de la Couronne de l’Alberta qui pourraient nuire à l’exercice de ces droits ancestraux ou issus de traités. Le Canada soutient que, si Mikisew conclut que l’EE provinciale est inadéquate, sa solution consiste à contester ces processus.

[54] Le Canada reconnaît que les « décision[s] stratégique[s] prise[s] en haut lieu » peuvent déclencher l’obligation de consulter, mais il affirme que cela n’est vrai que lorsque ces décisions préparent le terrain pour de futures décisions (Rio Tinto, au para 44). Mikisew cite des affaires où des décisions de planification préliminaires ont déclenché l’obligation de consulter, mais contrairement à l’espèce, elles concernaient toutes des décisions gouvernementales qui préparaient le terrain pour de nouvelles décisions par le même ordre de gouvernement. Par conséquent, elles ne sont pas analogues.

[55] À l’instar de CNRL, le Canada soutient que Mikisew a tort de s’appuyer sur la décision Coastal First Nations. Le gouvernement fédéral n’a pas le pouvoir légal d’imposer des conditions à un projet s’il refuse de désigner le projet. Le Canada affirme que la décision Coastal First Nations n’étaye pas la thèse selon laquelle l’incapacité potentielle du Canada à imposer des conditions à CNRL déclenche l’obligation de consulter. Le Canada convient avec CNRL que la décision Coastal First Nations se distingue parce qu’elle concerne la renonciation par un gouvernement provincial de son pouvoir législatif d’imposer certaines conditions. Le Canada affirme qu’en tout état de cause, la justesse de la décision Coastal First Nations a été remise en question dans des décisions subséquentes des tribunaux de la Colombie-Britannique et que cela ne lie pas la Cour.

[56] Le Canada fait valoir que les effets potentiels allégués se rapportent à l’approbation éventuelle du projet d’agrandissement par l’AER, laquelle n’implique pas le Canada. Le Canada affirme que la préférence de Mikisew pour la présentation d’éléments de preuve d’experts fédéraux dans le cadre de l’EE provinciale n’est pas pertinente et que la préférence de Mikisew pour la rigueur d’une évaluation fédérale plutôt que celle d’une évaluation provinciale n’est pas pertinente non plus.

[57] Par ailleurs, le Canada soutient que si l’obligation de consulter a été déclenchée, celle-ci a été respectée. Il soutient que Mikisew avait seulement le droit à un avis, à la divulgation de renseignements et à une discussion sur les questions (Nation haïda, au para 43), et qu’il n’était pas tenu de fournir à Mikisew une copie des deux notes de service de l’Agence ou de l’analyse de l’Agence. Il affirme que Mikisew a fourni ses commentaires et que ceux-ci ont été examinés par l’Agence. Le Canada affirme qu’il n’est pas nécessaire de lui donner la possibilité de présenter des commentaires sur l’analyse des commentaires. Il affirme que Mikisew a eu la possibilité de présenter sa position, qu’elle était au courant des renseignements à l’étude et qu’elle a eu la possibilité de répondre.

[58] De plus, le Canada soutient que Mikisew ne fournit aucun renseignement sur la façon dont une consultation plus exhaustive aurait changé la situation. Il soutient que Mikisew prétend qu’il ne ferait que souligner davantage ses préoccupations.

B. La décision est-elle raisonnable?

(1) Mikisew

[59] Mikisew soutient que la décision est déraisonnable pour quatre motifs.

[60] Premièrement, la décision s’appuie sur le CR, l’EIE et l’EE provinciale pour évaluer les répercussions sur les domaines de compétence fédérale sans tenir compte des lacunes de ces documents et des éléments de preuve contradictoires soulevés par Mikisew. Selon Mikisew, [traduction] « le principal pilier » de la décision est la confiance du ministre que le CR, l’EIE et le processus d’EE provinciale évalueront les effets du projet d’agrandissement sur les domaines de compétence fédérale. Par conséquent, le défaut du ministre de mentionner l’examen du CR, la reconnaissance symbolique de l’examen de l’EIE et le défaut de répondre aux préoccupations de Mikisew à l’égard du processus d’EE provinciale « perme[ttent] de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise » (Vavilov, au para 128).

[61] Deuxièmement, la décision ignore des renseignements sur l’état écologique fragile du PNWB et du DRPA figurant dans l’évaluation environnementale stratégique [EES] du PNWB. L’EES a été effectuée en mai 2018 pour Parcs Canada et remise au ministre avant que la décision ne soit rendue. L’EES découle de la demande du Comité du patrimoine mondial pour que le Canada entreprenne les travaux d’évaluation des répercussions cumulatives de tous les projets d’exploitation sur le site du patrimoine mondial du PNWB [SPM PNWB]. La demande du Comité du patrimoine mondial découle de la demande de Mikisew d’ajouter le PNWB à la Liste du patrimoine mondial en péril. Toutefois, les conclusions de l’EES n’ont été incluses ni dans le rapport d’analyse ni dans les motifs de la décision du ministre. Cet oubli rend la décision déraisonnable.

[62] Troisièmement, la décision ne tient pas compte des opinions de Parcs Canada et d’Environnement et Changement climatique Canada [ECCC], qui contredisent la conclusion de l’Agence selon laquelle des effets environnementaux négatifs sur le PNWB sont peu probables. Parcs Canada a déclaré que le projet pourrait avoir des effets négatifs sur le PNWB et ECCC a indiqué que le lac Athabasca, qui est relié au DRPA et au PNWB, connaît une baisse de ses niveaux d’eau. De plus, des retraits d’eau supplémentaires peuvent contribuer à des effets cumulatifs négatifs dans la région. ECCC a également tiré un certain nombre d’autres conclusions concernant les oiseaux migrateurs, la qualité de l’air et l’hydrologie. L’Agence a ignoré ou rejeté sommairement ces éléments de preuve contradictoires, ce qui rend la décision déraisonnable.

[63] Enfin, le ministre s’est fondé de façon déraisonnable sur des faits non pertinents, y compris le PE et le plan d’action concernant le PNWB. Le ministre s’est appuyé sur le PE pour répondre aux préoccupations de Mikisew concernant les répercussions cumulatives sur les usages traditionnels et culturels, et les droits ancestraux et issus de traités. Toutefois, le PE ne fournit aucun renseignement et ne prévoit aucune mesure spécifique au projet d’agrandissement, et n’est donc pas pertinent si une évaluation environnementale fédérale aidait à comprendre et à évaluer les effets du projet d’agrandissement sur les domaines de compétence fédérale. De même, le plan d’action concernant le PNWB n’est pas pertinent, car il ne prévoit aucune mesure visant à atténuer les effets négatifs potentiels du projet d’agrandissement.

(2) CNRL

[64] CNRL n’est pas d’accord pour dire que le ministre a ignoré des éléments de preuve et qu’il s’est appuyé à tort sur d’autres documents.

[65] D’abord, l’omission de l’examen du CR, de l’examen de l’EIE ou de l’EES dans les motifs du ministre ne signifie pas que le ministre n’a pas tenu compte du contenu de ces documents et ne rend pas la décision déraisonnable. La demanderesse a mal interprété le droit à cet égard. Les motifs d’un décideur ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection (Vavilov, au para 91).

[66] Le dossier montre clairement que les préoccupations de Mikisew ont été documentées (dans le rapport d’analyse, la note de service no 1 et la note de service no 2) et communiquées au ministre. Dans ses motifs, le ministre a reconnu que Mikisew avait soulevé des préoccupations concernant les répercussions sur les droits ancestraux et issus de traités, ainsi que concernant la [traduction] « pertinence du processus provincial pour évaluer les répercussions sur les peuples autochtones ». De même, le rapport d’analyse et la note de service no 1 ont examiné les préoccupations de Mikisew et l’avis de Parcs Canada concernant le PNWB. Le ministre n’a pas ignoré ces éléments de preuve – il les a simplement rejetés et a conclu que les mesures provinciales seraient suffisantes.

[67] De plus, il était raisonnable que le ministre s’appuie sur le PE et le plan d’action concernant le PNWB. Il s’agit des deux initiatives fédérales conçues pour atténuer les répercussions potentielles de l’exploitation des sables bitumineux. Ils sont clairement pertinents pour déterminer si le ministre devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour désigner un projet en vertu de la Loi.

[68] CNRL soutient également que le ministre n’a pas eu à trouver un processus équivalent, aussi rigoureux que le processus fédéral d’évaluation environnementale, avant de refuser de désigner le projet d’agrandissement. Il ne s’agit pas d’une exigence de la Loi. L’obligation légale du ministre consistait simplement à déterminer si l’exercice de l’activité concrète peut entraîner des effets environnementaux négatifs ou si les préoccupations du public concernant ces effets « justifient » la désignation. Le ministre a examiné cette question et, compte tenu des faits de l’affaire, a raisonnablement refusé de désigner le projet.

[69] La décision est étayée par les observations et les renseignements dont était saisi le ministre, et les motifs du ministre sont justifiés, transparents et intelligibles.

(3) Canada

[70] Le Canada répond directement à chacune des quatre questions soulevées par Mikisew. Toutefois, avant de le faire, le Canada souligne qu’un large pouvoir discrétionnaire est conféré au ministre, comme en témoigne le libellé du paragraphe 14(2) de la Loi. Le paragraphe 14(2) prévoit que le ministre peut désigner un projet s’il est d’avis que l’exercice de l’activité peut entraîner des effets environnementaux négatifs ou soulever des préoccupations du public concernant ces effets. Le Canada soutient qu’il était loisible au ministre de décider de ne pas désigner une activité concrète, peu importe son avis sur les conditions préalables. De même, le ministre n’était pas tenu d’examiner et de trancher spécifiquement chaque question soulevée par Mikisew dans ses motifs écrits (Vavilov, au para 128). Le Canada reconnaît que le fait de ne pas réussir à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander si le ministre était au courant de la question qui lui était soumise, mais il affirme que ce n’était pas le cas en l’espèce.

[71] Premièrement, en ce qui concerne le premier argument de Mikisew, le Canada soutient que le ministre n’était pas tenu d’accepter ou de trancher les critiques de Mikisew à l’égard de l’EE provinciale. Néanmoins, le dossier montre que le ministre a tenu compte des critiques de Mikisew à l’égard de l’EE provinciale. De plus, il indique que, puisque l’examen de l’EIE n’a été soumis à l’Agence que le 14 janvier 2019, après la fin de l’analyse de l’Agence, celui-ci n’a pas été évalué. L’examen de l’EIE n’a à être mentionné ni dans l’analyse de l’Agence ni dans la décision parce que [traduction] « un tel niveau de détails n’est pas requis » et que ces questions peuvent être soulevées dans l’EE provinciale. Le Canada affirme que l’analyse de l’Agence ne visait pas à évaluer l’examen de l’EIE, mais à éclairer une recommandation sur la désignation ou non du projet d’agrandissement.

[72] Deuxièmement, l’Agence et le ministre ont dûment tenu compte des répercussions sur le PNWB et le DRPA. Mikisew a tort de se fonder sur l’EES. Il est déraisonnable pour Mikisew d’affirmer que le ministre serait au courant des conclusions de l’EES, même s’il n’en était pas saisi. De plus, les conclusions de l’EES sont générales et ne sont pas spécifiques au projet. Dans l’ensemble, il ressort clairement du dossier, en particulier de la note de service no 2, que le ministre a tenu compte des répercussions du projet d’agrandissement sur le PNWB et le DRPA, ainsi que des préoccupations de Mikisew concernant l’EE provinciale.

[73] Troisièmement, le ministre a examiné les observations de Parcs Canada et d’ECCC concernant le PNWB. Parcs Canada a identifié les risques potentiels, mais n’a pas déterminé leur probabilité. Par conséquent, il était raisonnable pour l’Agence de conclure que le projet d’agrandissement n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs sur le territoire domanial. De même, même si ECCC a identifié d’autres retraits d’eau comme une préoccupation dans la région en général, elle n’a relevé aucune préoccupation concernant la quantité d’eau dans le PNWB en particulier.

[74] Enfin, le ministre n’a pas tenu compte de facteurs non pertinents. La Loi ne limite pas le type de renseignements que le ministre est autorisé à prendre en compte lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire de désigner un projet.

VIII. Analyse

A. L’obligation de consulter a-t-elle été déclenchée, et, dans l’affirmative, cette obligation a-t-elle été dûment respectée?

(1) Déclenchement de l’obligation de consulter

[75] L’obligation de consulter découle de l’honneur de la Couronne et revêt un caractère juridique et constitutionnel (Rio Tinto, aux para 32 et 34, citant R c Kapp, 2008 CSC 41 au para 6). L’objectif de l’obligation de consulter est de protéger les droits ancestraux, établis ou non, « d’un préjudice irréparable, pendant les négociations en vue d’un règlement » (Rio Tinto, au para 41). Dans l’arrêt Rio Tinto, la Cour suprême du Canada a redéfini le critère relatif au déclenchement de l’obligation de consulter, qui avait été initialement énoncé dans l’arrêt Nation haïda (au para 31). L’obligation de consulter est déclenchée lorsque :

1. la Couronne a une connaissance, réelle ou imputée, de l’existence possible d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral;

2. la Couronne envisage une mesure qui peut déclencher l’application du droit;

3. la possibilité que la décision ou mesure de la Couronne ait un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral.

[76] Le seuil à atteindre pour déclencher l’obligation de consulter, eu égard à la nécessité de préserver l’honneur de la Couronne, n’est pas élevé. Néanmoins, je conclus en fin de compte que le troisième élément du critère énoncé dans l’arrêt Rio Tinto n’est pas satisfait pour les motifs suivants.

[77] Le premier volet du critère est satisfait. Le Canada déclare dans son mémoire des faits et du droit qu’il [traduction] « a une connaissance réelle du droit issu de traités de Mikisew en vertu des dispositions du Traité no 8 ». CNRL ne présente aucune observation concernant le premier volet du critère.

[78] La deuxième étape de l’examen de l’obligation de consulter consiste à déterminer si la décision de ne pas désigner le projet d’agrandissement est le type de « mesure ou décision de la Coursonne » nécessaire pour satisfaire à cette partie de l’examen. Autrement dit, est-ce ce qui est requis est une décision favorable de la Couronne (de désigner un projet) ou une décision défavorable de la Couronne (de ne pas désigner un projet)?

[79] Le Canada et CNRL nient que le deuxième volet du critère a été satisfait. Le Canada soutient que la mesure ou décision contestée serait l’approbation potentielle du projet d’agrandissement par l’AER et toute autorisation réglementaire provinciale connexe.

[80] CNRL soutient que, puisque la mesure envisagée par la Couronne découle de la demande de Mikisew, elle ne relève pas du cadre d’application de l’obligation de consulter. Il s’agit plutôt d’une question d’équité procédurale en vertu des principes de droit administratif.

[81] Mikisew soutient que la mesure en question de la Couronne est la décision du ministre de désigner ou non le projet. Dans l’arrêt Rio Tinto, la Cour suprême du Canada a précisé qu’« une mesure gouvernementale ne s’entend pas uniquement d’une décision ou d’un acte qui a un effet immédiat sur des terres et des ressources », et que l’obligation de consulter s’étend aux « décision[s] stratégique[s] prise[s] en haut lieu » (Rio Tinto, au para 44). Mikisew s’appuie également sur l’arrêt Canada (Gouverneur général en conseil) c Première Nation Crie Mikisew, 2016 CAF 311 [Mikisew CAF 2016] au para 46, où la Cour d’appel fédérale a donné des exemples de décisions de planification stratégiques qui déclenche l’obligation de consulter, notamment : [traduction] « [l]a décision de subordonner un projet à une évaluation environnementale » (Fort Nelson First Nation v British Columbia (Environmental Assessment Office), 2015 BCSC 1180 [Fort Nelson CS]); et le refus d’un ministre de recommander, à la demande de la Première Nation, une modification à une limite d’une zone de conservation (Da’naxda’xw/Awaetlala First Nation v British Columbia (Environment), 2011 BCSC 620 [Da’naxda’xw]).

[82] Même si je conclus en fin de compte que le deuxième volet du critère est satisfait, je conclus que la jurisprudence citée par Mikisew se distingue de l’espèce. Quelques points doivent être soulevés au sujet de la décision Fort Nelson CS. D’abord, dans cette affaire, la demande de désignation de la Première Nation en vertu des lois et règlements de la Colombie-Britannique visait l’ouverture d’une nouvelle mine de sable et de gravier par un promoteur (et l’exploitation possible d’autres mines de sable et de gravier). Cela se distingue de l’espèce, en ce sens que le projet d’agrandissement se trouve déjà dans les limites actuelles du bail de la mine Horizon, ce qui n’est pas nouveau. La décision Fort Nelson CS se distingue également parce qu’elle concernait l’interprétation d’un organisme selon laquelle les niveaux de production établis dans le règlement exigeraient une évaluation environnementale.

[83] Plus important encore, la décision Fort Nelson CS a été infirmée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique après que la Cour d’appel fédérale a eu rendu sa décision dans l’affaire Mikisew CAF 2016. Par conséquent, la décision Fort Nelson CS a une application limitée en l’espèce. Plus précisément, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que l’interprétation du règlement en question n’était pas une décision stratégique prise en haut lieu qui pourrait entraîner des répercussions directes sur les droits issus de traités des Premières Nations. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que la [traduction] « mesure ou décision de la Couronne » pertinente qui peut influer sur les droits issus de traités de la Première Nation était l’approbation (possible) d’un permis en vertu de la Loi sur les mines (Mines Act, RSBC 1996, c 293) ou d’autres approbations, qui permettraient au promoteur de commencer la construction et l’exploitation du projet. C’est le processus d’approbation qui déclenche l’obligation de consulter (Fort Nelson CS, au para 125, autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada refusée, no 37449 (15 juin 2017)).

[84] La décision Da’naxda’xw n’était pas une affaire où la Couronne a proposé une décision ou une mesure. En fait, la Première Nation des Da’naxda’xw [PND] a demandé à la Couronne de rendre une décision particulière (au para 129). Mikisew s’appuie sans doute sur cette décision pour des motifs similaires – c’est Mikisew qui a présenté la demande de désignation du projet d’agrandissement. Toutefois, je conclus que les facteurs factuels en jeu dans la décision Da’naxda’xw sont très différents des faits en l’espèce, ce qui rend la plupart des principes inapplicables.

[85] Dans la décision Da’naxda’xw, la PND et une société d’énergie ont contesté une décision du ministre de l’Environnement de la Colombie-Britannique refusant les modifications proposées par la PND aux limites d’une aire protégée et zone de conservation. La PND a demandé une modification aux limites afin de retirer une partie des terres et de permettre l’évaluation d’un projet d’hydroélectricité dans le cadre d’un processus d’examen environnemental. En raison de la désignation de la zone comme aire protégée et zone de conservation, le projet d’hydroélectricité ne constituait pas un usage autorisé dans la zone. Le ministre a refusé de recommander les modifications proposées aux limites, maintenant ainsi le statu quo.

[86] La Cour suprême de la Colombie-Britannique ne souscrivait pas à l’argument de la province selon lequel une mesure qui envisage de conserver le statu quo signifie nécessairement que cela n’aura pas un effet préjudiciable sur les intérêts des Autochtones (au para 130). Toutefois, les faits ne justifient pas l’application de ce principe en l’espèce. Dans la décision Da’naxda’xw, la Cour a tenu compte des intérêts économiques de la PND et du modèle de consultation sur une [traduction] « période assez longue », ainsi que plusieurs ententes connexes relatives à la conservation, et a conclu que l’obligation de consulter ne s’était pas éteinte lorsque le ministre a envisagé de rejeter la demande de la PND. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que l’effet de la décision du ministre est une certitude que le projet ne sera pas réalisé, ce qui entraîne une perte d’occasion économique pour la PND (au para 136). De plus, la décision pourrait influer négativement sur la revendication du titre ancestral de la PND en limitant les usages futurs des terres et en portant possiblement atteinte au droit de la PND de participer aux décisions stratégiques concernant les usagers futurs (au para 142). Ces facteurs ne sont pas présents en l’espèce.

[87] Mikisew s’appuie également sur les décisions Chartrand v British Columbia (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2015 BCCA 345 aux para 70-71 [Chartrand], et Ross River Dena Council v Government of Yukon, 2012 YKCA 14 [Ross River], pour affirmer que l’obligation de consulter est déclenchée même lorsque les activités concrètes ne sont pas autorisées par une décision. La décision Chartrand concernait le retrait de terres d’une zone forestière et l’approbation d’un plan forestier dans le territoire traditionnel d’une Première Nation. Bien que Mikisew ait raison d’affirmer que cette décision n’autorisait aucune activité concrète, il est possible de la distinguer de l’espèce parce qu’il n’y a pas de plan de gestion approuvé et qu’il n’y a pas de retrait de terres entraînant un changement important dans le régime de gouvernance. La décision Ross River se distingue également parce que, contrairement à l’espèce, la mesure en question était le dessaisissement de terres par la Couronne au moment d’autoriser une concession minière.

[88] Les autres décisions sur lesquelles se fonde Mikisew se distinguent également de l’espèce. La décision Première Nation Dene Tha’ c Canada (Ministre de l’Environnement), 2006 CF 1354, concernait l’exclusion d’une Première Nation de la conception et de l’approche d’un processus d’évaluation environnementale du gazoduc Mackenzie, un projet auquel participaient plusieurs organismes de réglementation, instances, de producteurs de gaz et de promoteurs. La Cour a fait remarquer que le Plan de coopération et les autres ententes négociées avec divers groupes excluaient la Première Nation (aux para 23, 42 et 44). Les parties avaient convenu que, compte tenu de sa portée, la construction du projet déclenchait l’obligation de consulter (au para 85). Cette affaire n’impliquait pas l’examen d’une décision de désignation comme en l’espèce.

[89] De même, la demanderesse cite la décision Courtoreille c Canada (Affaires autochtones et Développement du Nord), 2014 CF 1244 (infirmée par la décision Mikisew CAF 2016) à l’appui de la thèse selon laquelle une surveillance environnementale fédérale réduite des projets pourrait entraîner des répercussions négatives qui correspondent à celles nécessaires pour déclencher l’obligation de consulter (au para 94). Cette décision concernait l’introduction d’une loi omnibus qui modifiait certaines lois environnementales, et aucun processus provincial d’évaluation environnementale similaire n’avait été appliqué, ce qui distingue la décision de l’espèce.

[90] Je suis également d’accord avec les défendeurs pour dire que la décision Coastal First Nations se distingue, comme il est indiqué dans leurs observations.

[91] L’analyse ci-dessus indique que la jurisprudence citée par Mikisew se distingue de l’espèce. Toutefois, il y a une autre décision récente de la Cour qui nécessite un examen avant de déterminer si le deuxième volet du critère a été satisfait.

[92] Dans la décision Ermineskin, la Première Nation Ermineskin [PNE] était en faveur de l’agrandissement d’une mine de charbon et d’une mine d’essai souterraine. La PNE a signé une entente sur les répercussions et les avantages avec le promoteur, laquelle prévoyait des avantages économiques et sociaux pour atténuer la « prise » de terres visées par le Traité no 6 et les effets sur les droits ancestraux ou issus de traités de la PNE au sein de son territoire traditionnel. En 2019, le ministre a consulté la PNE et a initialement refusé de désigner le projet. En 2020, presque sept mois après la décision de ne pas désigner le projet, le ministre a pris un arrêté de désignation du projet, mais cette fois-ci, la PNE n’a pas été consultée. En fait, le ministre n’a consulté que les Premières Nations et les groupes de défense qui ont demandé l’arrêté de désignation. La PNE a demandé le contrôle judiciaire de la décision de 2020, et la Cour a conclu que la Couronne avait une obligation de consulter la PNE et qu’elle ne l’avait pas fait.

[93] En concluant que le deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt Rio Tinto a été établi, le juge Brown a déclaré ce qui suit au paragraphe 99 de la décision Ermineskin :

Je n’hésite aucunement à conclure que l’examen que fait le ministre (c.‑à‑d., la Couronne) d’un arrêté de désignation, comme cela s’est passé en l’espèce, constitue une mesure de la Couronne qui fait entrer en jeu un éventuel droit ancestral ou issu de traités et qui peut avoir un effet préjudiciable sur la revendication ou sur le droit en question. Le ministre défendeur reconnaît l’existence de cette deuxième condition.

[Non souligné dans l’original.]

[94] Il n’existe aucune jurisprudence qui précise qu’une décision de ne pas désigner un projet constitue une « mesure ou décision de la Couronne » qui satisfait au deuxième volet du critère. Cela dit, j’estime que la décision Ermineskin est la plus instructive. Le passage ci-dessus de la décision Ermineskin semble appuyer la thèse selon laquelle c’est l’examen d’un arrêté de désignation – à déterminer comme favorable ou défavorable selon les circonstances de l’espèce – qui correspond à une mesure ou décision de la Couronne. Cela est conforme à « l’approche généreuse et téléologique que commande l’obligation de consulter » à la deuxième étape du cadre énoncé dans l’arrêt Rio Tinto (Rio Tinto, au para 43). En l’espèce, contrairement à la situation dans la décision Ermineskin, c’est Mikisew qui a présenté la demande au ministre. Toutefois, comme dans la décision Ermineskin, le ministre devait se demander s’il devait ou non prendre un arrêté de désignation. Par conséquent, guidé par la décision Ermineskin, je conclus que l’examen par le ministre de la demande de Mikisew constitue une mesure ou décision de la Couronne, ce qui satisfait à la deuxième étape du critère.

[95] En ce qui concerne le troisième volet du critère, le Canada et CNRL nient tous deux qu’il existe un lien de causalité entre la mesure ou décision contestée et un effet négatif potentiel sur les droits de Mikisew. Au paragraphe 38 de son mémoire des faits et du doit, Mikisew affirme que la décision pourrait avoir un effet négatif sur les droits issus de traités de Mikisew, et ce, d’au moins cinq façons :

[traduction]

1. Une décision de ne pas désigner le projet aux fins d’une évaluation fédérale ferait en sorte que le gouvernement fédéral n’aurait pas le pouvoir légal d’imposer au projet des conditions qui protégeraient le PNWB, un secteur essentiel de l’exercice des droits issus de traités de Mikisew.

2. Une décision de ne pas désigner le projet aux fins d’une évaluation fédérale ferait en sorte que le gouvernement fédéral n’aurait pas le pouvoir légal d’imposer au projet des conditions qui protégeraient les espèces en péril, comme le bison des bois, et d’autres espèces en péril qui sont nécessaires à l’exercice des droits issus de traités de Mikisew.

3. Une décision de ne pas désigner le projet, en fait, déterminerait la conception et la portée du processus utilisé pour permettre au gouvernement fédéral de s’acquitter de son obligation de consulter Mikisew au sujet du projet. Cela découle du fait que les lois canadiennes sur l’étude d’impact ont une incidence sur les personnes qui consultent Mikisew et la politique de consultation qui s’applique à cette mobilisation.

4. Une décision de ne pas désigner le projet déterminerait la capacité des organismes et ministères fédéraux, comme l’Agence Parcs Canada et [ECCC], de fournir des preuves d’expert concernant des questions d’intérêt fédéral (comme les effets du projet sur le [PNWB]) qui sont pertinentes pour évaluer les répercussions du projet sur les droits issus de traités de Mikisew. Cela s’explique par le fait que les ministères fédéraux ont l’obligation légale de participer aux évaluations environnementales fédérales et qu’ils n’ont pas le droit de participer aux évaluations provinciales.

5. Une décision de ne pas désigner le projet est préjudiciable à Mikisew, puisque, selon son expérience, les évaluations fédérales ont un niveau plus élevé de rigueur, d’indépendance et d’impartialité que les évaluations en Alberta, et que le processus réglementaire provincial interdit légalement d’entendre certains types d’éléments de preuve concernant les répercussions du projet sur les droits issus de traités de Mikisew et de fournir des possibilités pour vérifier les éléments de preuve qui seraient autrement autorisés dans le cadre d’une évaluation fédérale. Par exemple, il est légalement interdit à l’organisme de réglementation provincial d’exiger que les témoins du gouvernement fournissent des éléments de preuve concernant des questions comme les répercussions sur les droits issus de traités, et il est interdit de tenir compte des lacunes dans les instruments de réglementation ou de planification relativement aux effets cumulatifs.

[96] Mikisew allègue l’existence d’effets négatifs potentiels sur ses droits issus de traités, des effets qui sont reconnus dans la décision, mais qui, selon le ministre, sont atténués par l’EE provinciale. L’Agence reconnaît également qu’elle [traduction] « prévoit que le [projet d’agrandissement] et le projet de traitement de la mousse puissent contribuer de façon cumulative aux effets sur les usages traditionnels et culturels, et possiblement aux répercussions sur les droits ancestraux ou issus de traités ».

[97] Comme l’a déclaré la Cour suprême, « [i]l faut déterminer si une revendication ou un droit est susceptible d’être compromis par la mesure ou la décision actuelle du gouvernement » (Rio Tinto, au para 49).

[98] Tous les défendeurs soutiennent de façon convaincante qu’il est encore possible pour Mikisew de soulever toutes les questions qu’elle a soulevées dans la présente instance devant l’AER et dans toute EE provinciale qui pourrait être menée. Je ne suis pas en mesure de conclure que le refus du ministre de désigner le projet entraînera des répercussions potentiellement négatives sur les droits ancestraux ou issus de traités de Mikisew, car c’est l’AER qui est chargé d’examiner le projet d’agrandissement et toute préoccupation concernant l’environnement ou des droits ancestraux ou issus de traités. Mikisew participera à ce processus et aura la possibilité de présenter son avis. Par conséquent, même en tenant compte de l’approche généreuse et téléologique qui doit être suivie en matière d’obligation de consulter, je conclus que le troisième volet du cadre énoncé dans l’arrêt Rio Tinto n’a pas été satisfait.

[99] Après avoir examiné les circonstances de l’espèce et les principes juridiques applicables, je conclus que l’obligation de consulter n’a pas été déclenchée. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner si la Couronne s’est acquittée de l’obligation de consulter.

B. La décision du ministre était-elle raisonnable?

[100] La décision a été reproduite dans son intégralité au paragraphe 24 des présents motifs. Il est important de garder à l’esprit que c’est la décision qui fait l’objet du contrôle, et non pas la note de service no 1, la note de service no 2 ou l’analyse de l’Agence. La note de service no 1, la note de service no 2 et l’analyse de l’Agence ne peuvent être pertinentes que si elles sont si erronées que le ministre ne pourrait pas se fonder sur celles-ci pour rendre la décision (Tsleil-Watuth Nation c Canada (Procureur général), 2018 CAF 153 aux para 4-5 [TWN]).

[101] La principale préoccupation de Mikisew est que le CR et l’EIE étaient lacunaires, comme en témoignent l’examen du CR et l’examen de l’EIE, qui ont tous deux été fournis à l’Agence. La majorité des préoccupations de Mikisew découlent de la prémisse selon laquelle le CR et l’EIE, ensemble, omettent des renseignements essentiels ou contiennent des lacunes et, par conséquent, constituent un fondement peu fiable sur lequel l’Agence peut s’appuyer.

[102] Mikisew soutient également que l’analyse de l’Agence n’a pas tenu compte de son observation à l’Agence selon laquelle le CR et l’EIE étaient fondés sur des données erronées, ce qui remettait en question toute conclusion tirée en s’appuyant sur ces données. Mikisew affirme que ses préoccupations n’étaient pas reflétées dans le rapport d’analyse, la note de service no 2 ou la décision. Je conclus que les observations de Mikisew ne constituent qu’un désaccord avec la décision et les renseignements étayant la décision. Mikisew n’a rien signalé dans l’analyse de l’Agence, la note de service no 1 ou la note de service no 2 qui révélerait des renseignements ou processus erronés, si ce n’est d’affirmer qu’elle désapprouve le manque d’attention accordée à ses observations à l’Agence. C’est contraire au rapport de l’Office national de l’énergie dans TWN parce que la Cour avait conclu que ce rapport contenait des lacunes fondamentales. En l’espèce, tout ce dont nous sommes saisis, c’est le CR, l’EIE et l’examen de ceux-ci par Mikisew, qui indiquent certains points de vue contradictoires.

[103] Par exemple, l’examen du CR a révélé que les données de référence sur la qualité de l’air [traduction] « ne fournissent pas suffisamment de renseignements sur les contaminants de l’air qui seront inclus dans l’analyse » [non souligné dans l’original]. L’analyse de l’Agence s’est appuyée sur les données de référence de CNRL pour conclure que [traduction] « des effets des changements de la qualité de l’air ou de l’eau sur les sources de nourriture récoltées sont peu probables » [non souligné dans l’original] (analyse de l’Agence, aux p 28-29). Ces déclarations ne se contredisent pas nécessairement. À ce stade, il n’y a tout simplement pas de renseignements clairs sur les effets potentiels, le cas échéant. Des conclusions similaires ont été tirées dans l’EES, dont il a été discuté ci-dessous.

[104] L’analyse de l’Agence reflète les positions des divers groupes autochtones qui ont été consultés, y compris Mikisew, ainsi que de divers ministères fédéraux. Après avoir examiné ces positions et les effets environnementaux négatifs potentiels sur les domaines de compétence fédérale, l’analyse de l’Agence se conclut comme suit :

[traduction]

Bien que le projet d’agrandissement et le projet de traitement de la mousse puissent entraîner des effets environnementaux négatifs en vertu de l’article 5 de [la Loi] et que des groupes autochtones aient soulevé des préoccupations concernant ces effets, l’Agence est d’avis qu’après avoir examiné les mécanismes d’évaluation provinciaux et les mécanismes de réglementation fédéraux et provinciaux existants, ni les effets environnementaux négatifs ni les préoccupations ne justifient une évaluation environnementale fédérale.

Par conséquent, l’Agence recommande que [le ministre] n’exerce pas son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 14(2) de [la Loi] pour désigner le projet d’agrandissement et le projet de traitement de la mousse aux fins d’une évaluation environnementale fédérale.

[Non souligné dans l’original.]

[105] Ce qui précède, à mon avis, illustre une appréciation des préoccupations et des positions exprimées, et l’octroi d’un certain poids à ces préoccupations et positions, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu de la Loi.

[106] Après la rédaction du rapport d’analyse et de la note de service no 1, Mikisew a présenté son examen de l’EIE à l’Agence. En réponse à la réception de ces renseignements, l’Agence a fourni la note de service no 2 au ministre. L’analyse de l’examen de l’EIE contenue dans la note de service no 2 contient deux paragraphes :

[traduction]

Les renseignements supplémentaires comprenaient des analyses détaillées des effets potentiels des projets sur la qualité et la quantité de l’eau souterraine et de surface, y compris : le [DRPA]; l’écologie aquatique; l’environnement terrestre, y compris le terrain, les sols, la végétation, les milieux humides, la remise en état, la faune et la biodiversité; la qualité de l’air; la santé humaine; les ressources traditionnelles et historiques; les conditions socio-économiques; le savoir autochtone; les renseignements de base; et les répercussions possibles sur les droits ancestraux et issus de traités, y compris la prise de terres.

L’Agence a examiné attentivement les observations et a déterminé que, même si les renseignements supplémentaires fournissent des détails supplémentaires, les effets environnementaux potentiels et les répercussions sur les droits ancestraux et issus de traités cernés ont déjà été pris en compte dans l’analyse initiale de l’Agence. Les renseignements supplémentaires ne modifient pas les conclusions et les recommandations de l’Agence. Par conséquent, il est recommandé de rendre votre décision comme prévu. D’autres détails sur les observations et l’analyse connexe sont disponibles dans le dossier du projet.

[Non souligné dans l’original.]

[107] Mikisew soutient qu’il aurait fallu en mentionner davantage dans l’analyse de l’Agence ou dans la décision. En toute déférence, je ne suis pas de cet avis. Ni l’Agence ni le ministre n’étaient tenus d’examiner l’examen du CR et l’examen de l’EIE, et de signaler toute conclusion contraire (Vavilov, au para 128). Cela ne serait pas compatible avec le large pouvoir discrétionnaire conféré au ministre en vertu de la Loi, lequel se voit accorder une grande retenue lors d’un contrôle judiciaire. En fait, pour qu’une décision soit justifiée et transparente, un décideur doit simplement répondre aux observations d’une partie. Autrement dit, les « motifs du décideur […] [doivent tenir] valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties » (Vavilov, au para 27). En l’espèce, je suis convaincu que les motifs du ministre l’ont fait.

[108] Le ministre a reçu près de 200 pages d’examen selon lesquelles le CR et l’EIE étaient lacunaires. Il n’était pas tenu d’accepter ces conclusions s’il croyait qu’il existait un autre processus qui permettrait d’examiner ces questions. Ce n’est pas parce que ces éléments de preuve n’ont pas été explicitement mentionnés dans la décision que le ministre n’a pas réussi à s’y attaquer dûment. Comme il a été souligné ci-dessus, la note de service no 1 a évalué la position de Mikisew et d’autres personnes et était fondée sur l’analyse de l’Agence, tandis que la note de service no 2 résumait les observations supplémentaires. Un tel résumé, aussi bref soit-il, n’indique pas nécessairement que la décision n’a pas tenu compte des préoccupations de Mikisew, puisque la décision elle-même n’a pas eu à renvoyer à chaque observation. Lorsqu’elles sont examinées ensemble de manière globale, les préoccupations exprimées par Mikisew concernant l’environnement et les effets cumulatifs sur les droits ancestraux et issus de traités ont été reconnues dans la décision. En fin de compte, le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire et a déterminé que l’AER pouvait trancher ces questions.

[109] L’affirmation de Mikisew selon laquelle l’EES n’a pas été explicitement mentionnée dans la décision est exacte. Toutefois, dans la section intitulée [traduction] « Terre domaniale » de l’analyse de l’Agence, cette dernière indique qu’elle [traduction] « comprend que l’[EES] du [SPM PNWB] présentée au Comité du patrimoine mondial des Nations Unies a recommandé que les effets environnementaux des projets qui pourraient avoir une incidence importante sur les valeurs universelles exceptionnelles du [SPM PNWB] fassent l’objet d’une évaluation ». La recommandation générale de l’EES est également incluse dans la section intitulée [traduction] « Avis de l’Agence Parcs Canada ».

[110] De plus, les conclusions générales de l’EES telles qu’elles sont énoncées dans le sommaire, n’influent pas sur ma conclusion selon laquelle la décision est raisonnable :

[traduction]

Le DRPA, en particulier, est un écosystème très complexe; par conséquent, il y aura toujours des questions qui resteront sans réponse. Toutefois, si l’on applique un principe de précaution, l’absence de renseignements ne doit pas nous empêcher d’agir. Les solutions de gestion adaptative doivent être proposées avec le concours des peuples autochtones et l’intégration du savoir traditionnel autochtone. De plus, il faudra adopter une approche de collaboration entre toutes les parties visées si l’on veut imposer les meilleures mesures d’atténuation possible et rehausser les chances de réussite. Tout particulièrement, il faudra collaborer avec les peuples autochtones, puisque ce sont eux qui subissent le plus directement la majorité des répercussions, vu le lien indissociable qui les unit au territoire.

L’appel à une action immédiate a été répété tout au long de l’élaboration de l’EES, en particulier par les collectivités autochtones qui dépendent du DRPA. Même si la surveillance écologique et le savoir traditionnel autochtone démontrent que, avec les fluctuations des inondations, par exemple, les écosystèmes peuvent se rétablir, des changements permanents à l’environnement du delta sont possibles et non souhaitables. Les changements permanents pourraient compromettre les valeurs universelles exceptionnelles du DRPA et son intégrité écologique, et ils seraient particulièrement indésirables pour les peuples autochtones qui transmettent leurs connaissances culturelles et leurs compétences à la génération suivante dans l’exercice de leurs activités traditionnelles sur le territoire. Si ces connaissances ne sont pas transmises, les collectivités risquent de perdre leur culture et leurs liens avec le territoire. Plus l’absence d’un accès aux ressources est longue ou plus il y a des modifications de la qualité et de la quantité des ressources, plus le risque d’interrompre ou d’empêcher cette transmission des connaissances est élevé.

Les recommandations du présent rapport sont présentées pour examen aux administrations responsables du Plan d’action intergouvernemental concernant le PNWB en cours de rédaction.

[111] L’affirmation du Canada selon laquelle l’EES n’avait pas été déposée auprès du ministre est exacte. L’analyse de l’Agence n’a pas discuté en détail de l’EES, mais elle a bien résumé le contenu essentiel de l’EES. Ni l’EES ni ses recommandations et conclusions particulières n’ont été spécifiquement mentionnées dans la décision, mais on ne peut pas affirmer que les renseignements contenus dans l’EES n’avaient pas été déposés auprès du ministre, comme il a été mentionné dans l’analyse de l’Agence. De plus, les conclusions de l’EES sont générales et ne sont pas spécifiques au projet d’agrandissement. Comme l’indique la section 7.3.2 de l’EES, [traduction] « l’un des objectifs de la présente EES était d’éclairer les évaluations environnementales du projet », et celui-ci a été atteint en tenant compte des valeurs universelles exceptionnelles. Quoi qu’il en soit, les recommandations et les conclusions de l’EES, qui font partie du plan d’action concernant le PNWB, seront instructives dans le cadre de l’EE provinciale. La décision n’a pas renvoyé à chaque élément qui faisait partie du processus décisionnel.

[112] L’avis d’ECCC est exposé aux pages 22 et 23 de l’analyse de l’Agence. À mon avis, il est clair que l’avis d’ECCC ne fait qu’indiquer des possibilités :

[traduction]

  • Le projet d’agrandissement peut influer sur les espèces suivantes d’oiseaux migrateurs suivantes […]
  • Il est possible qu’il y ait des effets cumulatifs liés à la perte d’habitat pour les oiseaux migrateurs, y compris les espèces en péril […]
  • Le projet d’agrandissement peut influer sur la qualité de l’air et les émissions de gaz à effet de serre […] d’autres renseignements sont nécessaires pour déterminer l’ampleur de ces effets potentiels […]
  • Des effets potentiels sur la qualité du ruissellement, de l’érosion et de la sédimentation peuvent survenir […]
  • Le projet d’agrandissement peut influer sur les conditions hydrologiques de la rivière Calumet […]. La rivière Calumet contribue à moins de 0,1 % du débit annuel de la rivière Athabasca.
  • Un retrait d’eau supplémentaire peut contribuer à des effets cumulatifs négatifs dans la région.
  • En ce qui concerne le projet de traitement de la mousse, [ECCC] n’a relevé aucune préoccupation concernant les oiseaux migrateurs, les espèces en péril et la qualité de l’eau […] l’effet global du projet de traitement de la mousse sur la qualité de l’air est peu susceptible d’être significatif […]

[113] Mikisew soutient que l’analyse de l’Agence, à la page 26, interprète mal ou ignore l’avis d’ECCC. Je ne suis pas de cet avis. À la page 26, on indique que [traduction] « [b]ien que les groupes autochtones aient exprimé des préoccupations concernant les effets sur le SPM PNWB, l’Agence estime qu’il est peu probable que le projet d’agrandissement et le projet de traitement de la mousse entraînent des effets environnementaux négatifs sur le SPM PNWB en ce qui a trait à la qualité et à la quantité de l’eau ou des effets sur les oiseaux migrateurs, puisque [ECCC] n’a relevé aucune préoccupation concernant ces aspects ». L’avis d’ECCC concerne directement le projet d’agrandissement et le projet de traitement de la mousse, et ECCC a clairement exprimé son avis selon lequel des effets cumulatifs sont possibles. Le passage que souligne Mikisew renvoie à la région plus vaste du SPM PNWB, qui ne semble pas être la région visée par les commentaires d’ECCC, du moins en se fondant sur le résumé contenu dans l’analyse de l’Agence.

[114] Mikisew soutient également que l’analyse de l’Agence ne tient pas compte des observations de Parcs Canada. Je ne suis pas de cet avis. Une lettre d’août 2018 rédigée par Parcs Canada indique clairement que [traduction] « [l]e projet proposé pourrait contribuer à des changements dans la qualité de l’eau de la rivière Athabasca, lesquels pourraient entraîner des répercussions cumulatives supplémentaires sur la qualité de l’eau du DRPA ». Cela est reflété à la page 23 de l’analyse de l’Agence. L’analyse de l’Agence a également renvoyé à la collaboration de Parcs Canada avec Mikisew et d’autres intervenants dans le cadre de l’élaboration du plan d’action concernant le PNWB. Je ne considère pas que l’élaboration du plan d’action concernant le PNWB n’est pas pertinente. Elle a été mentionnée dans l’analyse de l’Agence et dûment prise en compte pour arriver à la décision.

[115] De même, je ne considère pas que le PE n’est pas un facteur pertinent. Tout comme le plan d’action concernant le PNWB, le PE n’était ni le fondement ni le principal motif du refus du ministre de désigner le projet d’agrandissement. L’objectif du PE est d’établir les intentions communes des parties en ce qui a trait à la collaboration et à la responsabilisation en vue de concevoir et de mettre en œuvre un système intégré de surveillance, d’évaluation et de production de rapports en matière de répercussions environnementales de l’exploitation des sables bitumineux, ce qui aiderait à éclairer les mesures de gestion et de réglementation. Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire qu’il était raisonnable que le ministre examine ce document.

[116] La décision mentionne que le PE engage le Canada à travailler avec les groupes autochtones et que Parcs Canada contribue à la mise en œuvre du plan d’action concernant le PNWB. Toutefois, aucune de ces initiatives n’a servi de fondement à la décision du ministre. En fait, le ministre a fondé sa décision sur sa compréhension du fait que [traduction] « les mécanismes d’évaluation provinciaux et les mécanismes de réglementation fédéraux et provinciaux seront appliqués à ces projets ». À cette fin, le ministre a refusé de désigner le projet d’agrandissement et le projet de traitement de la mousse [traduction] « [a]près avoir également examiné les mécanismes d’évaluation et de réglementation provinciaux utilisés pour atténuer les répercussions possibles associées à ces projets ». Le PE et la participation de Parcs Canada au plan d’action concernant le PNWB n’étaient que des mesures additionnelles.

[117] Pour tous les motifs susmentionnés, je conclus que la décision est raisonnable.

IX. Conclusion

[118] L’obligation de consulter n’a pas été déclenchée.

[119] La décision ne manque pas d’intelligibilité, de transparence et de justification. Elle est raisonnable.


JUGEMENT dans le dossier T-481-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée. L’obligation de consulter n’a pas été déclenchée. La décision est raisonnable.

  2. Les dépens sont adjugés aux défendeurs.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-481-19

 

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION CRIE MIKISEW c AGENCE CANADIENNE D’ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE, MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, ET CANADIAN NATURAL RESOURCES LIMITED

LIEU DE L’AUDIENCE :

Tenue par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 juin 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

Le 4 février 2022

COMPARUTIONS :

Tim Dickson

Mark Gustafson

Pour la demanderesse

 

Tamela Coates

Michelle Jones

POUR LES DÉFENDEURS

(AGENCE CANADIENNE D’ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE, ET MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE)

 

James Elford

Pour la défenderesse

(CANADIAN NATURAL RESOURCES LIMITED)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JFK Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour la demanderesse

 

Lawson Lundell LLP

Calgary (Alberta) et

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS

(AGENCE CANADIENNE D’ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE, ET MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE)

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

Pour la défenderesse

(CANADIAN NATURAL RESOURCES LIMITED)

 

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