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Date : 20220211


Dossier : IMM-917-21

Référence : 2022 CF 185

Ottawa (Ontario), le 11 février 2022

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

PEDRO ANTONIO ALVAREZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Monsieur Pedro Antonio Alvarez, est résident permanent du Canada et citoyen du Salvador. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision d’une commissaire de la Section de l’immigration [SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rendue le 25 janvier 2021 [Décision], aux termes de laquelle la SI a émis une mesure d’expulsion du Canada contre lui. La Décision fait suite à une enquête effectuée par les autorités canadiennes d’immigration en application du paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] eu égard à des plaintes d’agression sexuelle qui avaient été logées contre M. Alvarez aux États-Unis en 2005 par deux présumées victimes mineures. Dans la Décision, la SI a conclu que M. Alvarez est doublement interdit de territoire au Canada pour grande criminalité aux termes de l’alinéa 36(1)c) de la LIPR. Plus précisément, la SI a déterminé que, selon la prépondérance des probabilités, M. Alvarez avait commis deux infractions à l’extérieur du Canada qui, si elles avaient été commises au Canada, constitueraient une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

[2] M. Alvarez nie avec vigueur avoir perpétré les actes d’agression sexuelle que les plaignantes lui reprochent. En fait, il prétend avoir été faussement accusé par les deux plaignantes en 2005. Dans la demande de contrôle judiciaire par laquelle il conteste la Décision de la SI, M. Alvarez soutient que la Décision est déraisonnable parce qu’elle n’est pas appuyée par la preuve dont disposait la SI et qu’elle ignore les nombreuses incohérences qui ressortent des déclarations des plaignantes. Il plaide également que la SI aurait manqué aux règles de l’équité procédurale en abordant son dossier avec partialité et avec l’esprit fermé. M. Alvarez demande donc à la Cour d’annuler la Décision et de retourner l’affaire à la SI pour qu’un(e) autre commissaire procède à une enquête et évalue à nouveau son dossier d’une manière conforme aux motifs de la Cour.

[3] Après examen de la Décision, de la preuve dont disposait la SI et du droit applicable, je ne vois pas de raison qui m’autoriserait à annuler la Décision de la SI. Dans des motifs étoffés et longuement développés sur plus de 110 paragraphes, la SI a clairement expliqué, en se référant aux éléments de preuve soumis par le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [Ministre] et au témoignage de M. Alvarez, pourquoi elle concluait à la grande criminalité de M. Alvarez. La Décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la commissaire était assujettie. De plus, à tous égards, la commissaire a respecté les exigences en matière d’équité procédurale dans son traitement de la demande de M. Alvarez et n’a fait preuve d’aucune forme de partialité répréhensible. Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Alvarez.

II. Contexte

A. Les faits

[4] M. Alvarez est né le 19 avril 1984 au Salvador. Il est aujourd’hui résident permanent du Canada depuis janvier 2011, demeure dans la ville de Granby au Québec, et est maintenant marié et père de cinq enfants.

[5] De juin 2004 à janvier 2005, M. Alvarez a résidé dans l’État du Texas, aux États-Unis. En février 2005, pour des raisons indépendantes des plaintes d’agression sexuelle déposées contre lui, M. Alvarez a été déporté au Salvador par les autorités américaines.

[6] En janvier et mars 2005, deux filles mineures, J.G. et Y.H., qui sont des cousines, ont déposé des plaintes à l’effet que M. Alvarez les aurait agressées sexuellement pendant son séjour au Texas. M. Alvarez était l’ami de membres de la famille de J.G. et Y.H. Le 11 mai 2005, alors que M. Alvarez était au Salvador, les autorités texanes ont délivré deux mandats d’arrestation à l’encontre de M. Alvarez relativement à ces plaintes d’agressions sexuelles. Les allégations et le contexte qui entourent les agressions sexuelles alléguées sont colligés au sein de deux rapports d’enquête préparés par les autorités canadiennes d’immigration en vertu de l’article 44 de la LIPR.

[7] Le premier rapport, achevé le 28 février 2020, porte sur une agression perpétrée à l’égard de J.G. Selon le rapport, le ou vers le 16 janvier 2005, M. Alvarez (qui avait alors 20 ans) et J.G. (alors âgée de 13 ans) se seraient retrouvés dans un couloir, puis dans une salle de bain de la maison d’un membre de la famille de J.G. M. Alvarez aurait laissé entendre qu’il souhaitait avoir une relation sexuelle avec J.G., mais ils auraient été interrompus lorsque quelqu’un a frappé à la porte de la salle de bain. J.G. a déclaré que M. Alvarez lui avait demandé son âge lors de leur première rencontre en décembre 2004, et qu’elle aurait tenté de mettre fin aux avances de M. Alvarez avant que ne se déroule la relation sexuelle avec lui, si personne n’avait frappé à la porte de la salle de bain.

[8] Le deuxième rapport, établi en date du 17 juillet 2019, porte sur des agressions perpétrées à l’égard de Y.H. Sur une période de plusieurs mois, au cours de l’année 2004, M. Alvarez aurait commis des actes de nature sexuelle sans le consentement de Y.H., qui était alors âgée de 16 ans. Leur première rencontre aurait eu lieu à l’été 2004, rencontre où M. Alvarez aurait empoigné les mains de Y.H. de façon à l’empêcher de se libérer. M. Alvarez et Y.H. auraient continué à avoir des rapports sexuels par la suite (environ cinq fois), mais la preuve soumise par le Ministre laisse entendre que Y.H. n’était pas entièrement consentante lors de ces rapports.

[9] Les plaintes formulées par J.G. et Y.H. n’ont jamais débouché sur le dépôt d’actes d’accusation formels contre M. Alvarez, sur une déclaration de culpabilité ou sur une condamnation. De la même manière, puisque M. Alvarez n’est jamais retourné aux États-Unis suite à sa déportation, les mandats d’arrestation émis contre lui n’ont jamais été exécutés par les autorités américaines.

[10] Suite à sa déportation au Salvador, M. Alvarez a refait sa vie au Canada. Les autorités américaines ont informé les autorités canadiennes de la présence de M. Alvarez au Canada et des mandats d’arrestation qui existaient à son égard. M. Alvarez a été arrêté par l’Agence des Services frontaliers du Canada [ASFC] en juillet 2019, à sa résidence de Granby.

B. La Décision de la SI

[11] Dans la Décision, la SI devait déterminer si, aux termes de l’alinéa 36(1)c) de la LIPR et selon la prépondérance des probabilités, M. Alvarez avait commis un acte qui constituait une infraction à l’extérieur du Canada et si cet acte, commis au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. La SI n’avait pas à déterminer si M. Alvarez serait reconnu coupable d’une infraction dans la juridiction étrangère, mais uniquement si une infraction avait eu lieu.

[12] La SI débute en analysant les dispositions législatives et la jurisprudence qui fondent la procédure d’interdiction de territoire en droit canadien, puis évalue la crédibilité de M. Alvarez (qui a témoigné devant la commissaire). De plus, la SI note que le Ministre a soumis de nombreuses pièces au soutien de ses allégations, alors que M. Alvarez n’en a soumis aucune. De l’avis de la SI, deux éléments minent la crédibilité de M. Alvarez : d’une part, les contacts que M. Alvarez avait eus avec les deux jeunes filles durant la période visée; et d’autre part, la connaissance que M. Alvarez avait de l’enquête policière américaine au début de l’année 2005.

[13] Ainsi, la SI détermine que la crédibilité de M. Alvarez doit être mise en doute, notamment parce qu’elle est entachée d’invraisemblances et de contradictions avec la preuve au dossier. Par exemple, le témoignage de M. Alvarez par rapport à son lien avec J.G. et Y.H. est imprécis, alors que la preuve est claire à l’effet que M. Alvarez connaissait les jeunes filles, les avait rencontrées lors de la période visée et avait visité les résidences de leurs familles à plusieurs reprises, notamment dans le cadre de festivités. La SI conclut que, selon la prépondérance des probabilités, M. Alvarez fréquentait les membres des deux familles durant la période visée, et qu’il était ainsi en contact avec les jeunes filles.

[14] Par ailleurs, M. Alvarez prétendait n’avoir jamais entendu parler des plaintes à son endroit avant son arrestation par l’ASFC en 2019. Il soutenait n’avoir jamais parlé à l’enquêteur de la police texane responsable du dossier, et ajoutait qu’il n’aurait d’ailleurs pas pu être appelé par ce dernier, car il ne possédait pas de téléphone cellulaire à l’époque. À l’inverse, l’enquêteur affirmait dans son rapport avoir tenté de rejoindre M. Alvarez à de nombreuses reprises, et qu’il lui avait même parlé dans le cadre de son enquête le 8 février 2005. La SI retient la version de l’enquêteur de police, car elle s’inscrit dans le cadre d’une enquête policière minutieusement menée et documentée, et que M. Alvarez était incapable d’expliquer les contradictions entre son témoignage et la preuve émanant de l’enquête policière.

[15] Après avoir tiré une inférence négative sur la crédibilité de M. Alvarez, la SI procède ensuite à l’analyse de l’agression alléguée par J.G.

[16] M. Alvarez nie avoir tenté d’avoir une relation sexuelle avec J.G. dans la salle de bain le ou vers le 16 janvier 2005. M. Alvarez soutient que J.G. est animée par un esprit de vengeance, car elle était fâchée que M. Alvarez accorde plus d’attention à sa cousine, Y.H. La SI n’est pas convaincue par l’explication de M. Alvarez, et considère que la description chronologique et détaillée de l’événement donnée par J.G. dans ses déclarations écrites est davantage crédible. La SI note que les contradictions et invraisemblances entre le témoignage de M. Alvarez et la preuve provenant de l’enquête policière américaine laissent croire qu’elles n’ont pas pour cause un oubli ou une mémoire défaillante de M. Alvarez, mais plutôt la volonté de ce dernier de cacher la vérité. La SI conclut ainsi que, selon la prépondérance des probabilités, les événements du 16 janvier 2005 se sont bel et bien déroulés tels que rapportés par la preuve policière soumise.

[17] Après avoir déterminé qu’il y a bel et bien eu tentative d’avoir une relation sexuelle avec J.G., la SI se penche sur la nature délictuelle, au Texas, de cet acte. Sur la base de l’acte d’accusation et du mandat d’arrestation délivré à l’égard de M. Alvarez, la SI conclut que, selon la prépondérance des probabilités, cette tentative de relation sexuelle avec une fille mineure constitue un acte délictuel au Texas.

[18] Il reste alors à la SI de déterminer s’il existe, en droit canadien, un équivalent à l’acte délictuel commis au Texas par M. Alvarez contre J.G., et si cet équivalent est punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans au Canada. Aux États-Unis, l’infraction reprochée à M. Alvarez est considérée comme étant un aggravated sexual assault [Traduction] « agression sexuelle grave », car elle visait un enfant alors âgé de moins de 14 ans. M. Alvarez serait donc contrevenu à l’article 22.021(a)(2) du Texas Penal Code. Au Canada, l’équivalent serait l’article 151 du Code criminel, LRC 1985, c C-46 [Code criminel], soit l’infraction de contact sexuel visant un enfant de moins de 16 ans. Cette infraction est un acte criminel punissable par une peine d’emprisonnement maximale de 14 ans.

[19] En procédant à l’évaluation de l’équivalence des infractions, la SI choisit la troisième approche développée dans la décision Hill v Canada (Minister of Employment and Immigration), [1987] FCJ No 47, 73 NR 315 [Hill], laquelle prévoit que la SI doit procéder à un examen documentaire des lois et de la preuve présentée en l’instance afin d’établir si celles-ci démontrent de manière suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères. La SI conclut que les éléments essentiels de l’article 151 du Code criminel sont satisfaits, et qu’il y a ainsi équivalence entre les infractions canadienne et américaine. En regard de la preuve, dit la SI, il y a prépondérance des probabilités que M. Alvarez avait touché, de façon directe, une partie du corps de J.G., alors âgée de moins de 16 ans, à des fins d’ordre sexuel.

[20] La SI conclut donc que M. Alvarez est interdit de territoire pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)c) de la LIPR en raison de l’agression sexuelle qu’il a perpétrée à l’encontre de J.G. en janvier 2005.

[21] La SI procède ensuite à l’analyse de la plainte d’agression sexuelle à l’endroit de Y.H. La SI note à nouveau que le témoignage de M. Alvarez est truffé de contradictions avec la preuve soumise par le Ministre. De l’avis de la SI, la preuve démontre en effet que M. Alvarez connaissait Y.H. durant l’été 2004 – ce que M. Alvarez nie – et qu’il se serait rendu à de nombreuses reprises chez elle pour avoir des rapports sexuels avec elle. La SI ne retient pas l’explication de M. Alvarez voulant que Y.H. cherche, elle aussi, à se venger de lui. La SI conclut plutôt que, selon la prépondérance des probabilités, les actes reprochés ont eu lieu. Elle détermine aussi, en regard de la preuve, que ces actes sont délictuels au Texas.

[22] Encore une fois, il reste à la SI de déterminer s’il existe, en droit canadien, un équivalent aux actes délictuels commis au Texas par M. Alvarez, et si cet équivalent est punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans au Canada. Au Texas, l’acte délictuel reproché à M. Alvarez eu égard à Y.H. est une agression sexuelle, prévue à l’article 22.011(a)(2) du Texas Penal Code. Au Canada, cet acte serait considéré comme une agression sexuelle au sens du paragraphe 271(1) du Code criminel. La SI note qu’à l’époque, l’âge du consentement légal à une relation sexuelle au Texas était de 17 ans. Au Canada, en 2004, cet âge était plutôt de 14 ans. Dans les deux pays, les partenaires sexuels mineurs doivent toutefois consentir à la relation sexuelle. Or, le consentement de Y.H., aux yeux de la SI et selon la preuve soumise, n’était pas de plein gré.

[23] Pour procéder à l’analyse de l’équivalence entre les infractions canadienne et américaine, la SI choisit encore une fois la troisième approche développée par la décision Hill, qui prévoit que la SI doit procéder à un examen documentaire des lois et de la preuve présentée en l’instance afin d’établir si celles-ci démontrent de manière suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères. Sur la base de la preuve et selon la prépondérance des probabilités, la SI estime que les gestes de M. Alvarez à l’endroit de Y.H. constituent une agression sexuelle dans les deux pays.

[24] La SI conclut que M. Alvarez est également interdit de territoire pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)c) de la LIPR en raison de l’agression sexuelle qu’il a perpétrée à l’encontre de Y.H.

[25] La SI émet du même coup une mesure d’expulsion du Canada contre M. Alvarez.

C. La norme de contrôle

[26] Il est bien établi que la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique à une décision concluant qu’une personne est interdite de territoire pour grande criminalité ainsi qu’à l’établissement d’une équivalence, par la SI, en vertu de l’article 36 de la LIPR (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 946 au para 14; Randhawa c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 905 au para 19; Nshogoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1211 au para 21).

[27] Le fait que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable a récemment été renforcé par la Cour suprême du Canada [CSC] dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Dans ce jugement, les juges majoritaires ont établi un cadre révisé pour déterminer la norme de contrôle qui s’applique au fond des décisions administratives, décrétant que ces dernières devraient être, par présomption, contrôlées selon la norme de la décision raisonnable, sauf si l’intention du législateur ou la primauté du droit en exige une autre (Vavilov aux para 10, 17). Je suis convaincu que ni l’une ni l’autre de ces deux exceptions ne s’appliquent en l’espèce, et qu’il n’y a pas lieu de déroger à la présomption selon laquelle, dans le cas de la Décision en l’espèce, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[28] Pour ce qui est de la teneur proprement dite de la norme de la décision raisonnable, le cadre énoncé dans l’arrêt Vavilov ne constitue pas un écart marqué par rapport à la démarche que suivait auparavant la CSC, et qui est énoncée dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‐Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] et les arrêts qui l’ont suivi. Cette démarche était fondée sur les « caractéristiques d’une décision raisonnable », soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). La cour de révision est tenue de s’intéresser à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision », afin de décider si cette décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov aux para 83, 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes] aux para 2, 31).

[29] Le cadre révisé que présente l’arrêt Vavilov oblige la cour de révision à adopter, pour le contrôle judiciaire, une démarche qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision » (Société canadienne des postes au para 26). Lorsque le décideur a motivé sa décision, la cour de révision doit commencer son analyse du caractère raisonnable de la décision en examinant « les motifs donnés avec ‘une attention respectueuse’, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion » (Vavilov, au para 84). Les motifs doivent être lus de manière globale et contextuelle à la lumière du dossier dans son ensemble, et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils ont été donnés (Vavilov, aux para 91–94, 97). Cependant, « il ne suffit pas que la décision soit justifiable [...] le décideur doit également [...] justifier sa décision » [En italique dans l’original.] (Vavilov, au para 86).

[30] Avant de pouvoir infirmer une décision parce qu’elle est déraisonnable, la cour de révision doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov au para 100). L’évaluation du caractère raisonnable d’une décision doit être rigoureuse, mais rester sensible et respectueuse du décideur administratif (Vavilov aux para 12–13). Le contrôle fondé sur la décision raisonnable est une démarche qui tire son origine du principe de la retenue judiciaire et qui témoigne d’un respect envers le rôle distinct et la connaissance spécialisée des décideurs administratifs (Vavilov, aux para 13, 75, 93). Autrement dit, la cour de révision est tenue de suivre une démarche empreinte de déférence, surtout en ce qui concerne les conclusions de fait et de l’évaluation de la preuve. À moins de circonstances exceptionnelles, la cour de révision ne changera pas les conclusions de fait du décideur administratif (Vavilov aux para 125–126).

[31] En ce qui concerne les questions d’équité procédurale (qui englobent la crainte de partialité du décideur), l’approche à adopter n’a pas changé dans la foulée de l’arrêt Vavilov (Vavilov au para 23). Les tribunaux ont généralement conclu que la norme de la décision correcte est la norme de contrôle applicable pour déterminer si un décideur se conforme à l’obligation d’équité procédurale et aux principes de justice fondamentale (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43).

[32] Toutefois, dans plusieurs décisions, la Cour d’appel fédérale a affirmé que les questions d’équité procédurale ne sont pas vraiment tranchées selon une norme de contrôle particulière. Il s’agit plutôt d’une question juridique pour la cour de révision, et la cour doit être convaincue que la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14; Canadian Airport Workers Union c Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, 2019 CAF 263 aux para 24–25; Perez c Hull, 2019 CAF 238 au para 18; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CFCP] au para 54). Cette évaluation comprend notamment les cinq facteurs contextuels non exhaustifs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] (Vavilov au para 77).

[33] Par conséquent, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire met en jeu l’équité procédurale et que des atteintes à la justice fondamentale ou à l’impartialité sont alléguées, la question ultime qui se pose est de savoir si, compte tenu du contexte particulier et des circonstances en jeu, le processus suivi par le décideur était équitable et s’il offrait aux parties le droit d’être entendues ainsi qu’une possibilité complète et équitable de connaître la preuve à réfuter et d’y répondre (CFCP au para 56; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 aux para 51–54).

III. Analyse

A. La SI n’a pas commis d’erreurs révisables dans le cadre de son analyse de la preuve

[34] M. Alvarez soutient d’abord que la Décision est déraisonnable parce qu’elle n’est pas appuyée par la preuve dont disposait la SI et que la commissaire a ignoré les nombreuses incohérences qui ressortent des déclarations des deux plaignantes. M. Alvarez ne conteste pas la façon dont la SI a procédé à l’équivalence des infractions canadiennes et texanes. Il conteste plutôt l’évaluation faite par la SI de la preuve soumise par le Ministre. De fait, M. Alvarez soutient qu’aucune preuve matérielle n’existe quant à sa prétendue commission des agressions sexuelles invoquées. D’après lui, les seuls éléments employés par la SI pour se satisfaire, par prépondérance des probabilités, qu’il a bel et bien perpétré les agressions sexuelles sont les déclarations de J.G. et de Y.H., de leurs proches parents, et de l’enquêteur responsable du dossier. Or, soumet M. Alvarez, la SI a simplement écarté son témoignage, sans pour autant questionner avec attention et minutie la véracité et la cohérence des récits mis en preuve par le Ministre. Selon M. Alvarez, la commissaire a omis de passer au peigne fin la preuve écrite soumise par le Ministre et de relever les nombreuses contradictions que contenaient notamment les déclarations des deux plaignantes et des membres de leurs familles.

[35] Considérant le test que la SI devait appliquer, je ne suis pas convaincu par les prétentions de M. Alvarez.

[36] Il est utile, d’entrée de jeu, de reproduire les articles pertinents de la LIPR. Ce sont les alinéas 36(1)c) et 36(3)d) de la Loi. Ils se lisent comme suit :

Grande criminalité

Serious criminality

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

[...]

[...]

Application

Application

(3) Les dispositions suivantes régissent l’application des paragraphes (1) et (2) :

(3) The following provisions govern subsections (1) and (2):

a) l’infraction punissable par mise en accusation ou par procédure sommaire est assimilée à l’infraction punissable par mise en accusation, indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu;

(a) an offence that may be prosecuted either summarily or by way of indictment is deemed to be an indictable offence, even if it has been prosecuted summarily;

b) la déclaration de culpabilité n’emporte pas interdiction de territoire en cas de verdict d’acquittement rendu en dernier ressort ou en cas de suspension du casier — sauf cas de révocation ou de nullité — au titre de la Loi sur le casier judiciaire;

(b) inadmissibility under subsections (1) and (2) may not be based on a conviction in respect of which a record suspension has been ordered and has not been revoked or ceased to have effect under the Criminal Records Act, or in respect of which there has been a final determination of an acquittal;

c) les faits visés aux alinéas (1)b) ou c) et (2)b) ou c) n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui, à l’expiration du délai réglementaire, convainc le ministre de sa réadaptation ou qui appartient à une catégorie réglementaire de personnes présumées réadaptées;

(c) the matters referred to in paragraphs (1)(b) and (c) and (2)(b) and (c) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or foreign national who, after the prescribed period, satisfies the Minister that they have been rehabilitated or who is a member of a prescribed class that is deemed to have been rehabilitated;

d) la preuve du fait visé à l’alinéa (1)c) est, s’agissant du résident permanent, fondée sur la prépondérance des probabilités;

(d) a determination of whether a permanent resident has committed an act described in paragraph (1)(c) must be based on a balance of probabilities;

[...]

[...]

[37] L’alinéa 36(1)c) couvre donc les situations où, même en l’absence d’une déclaration de culpabilité, une personne commet un acte qui constitue une infraction visée par la disposition. L’objet de l’analyse requise par cette disposition n’est pas une déclaration de culpabilité prononcée à l’étranger ni même une accusation (comme c’est le cas pour les alinéas 36(1)a) et b)), mais plutôt la commission d’un acte. Comme l’a noté la commissaire dans la Décision, l’alinéa 36(1)c) prévoit deux exigences. D’une part, l’acte reproché doit constituer « une infraction » à l’endroit où il a été commis. D’autre part, cet acte, s’il avait été commis au Canada, doit constituer une infraction punissable d’un emprisonnement maximum d’au moins dix ans. Et, aux termes de l’alinéa 36(3)d), pour conclure à une interdiction de territoire pour grande criminalité sous l’alinéa 36(1)c) dans le cas d’un résident permanent, il faut que la preuve du fait visé à cette disposition soit faite sur la base de la prépondérance des probabilités. D’ailleurs, les parties ne contestent pas l’application du standard de prépondérance des probabilités en l’instance, et la SI devait donc déterminer si M. Alvarez avait commis une agression sexuelle sur une enfant de moins de 14 ans, J.G., et sur une enfant de moins de 17 ans, Y.H.

[38] L’examen de cette question exige d’établir si les deux infractions sont équivalentes, c’est‐à‐dire qu’il faut comparer leurs éléments constitutifs pour voir s’ils se correspondent. La norme de preuve selon la prépondérance des probabilités requiert que la preuve soit claire et convaincante. Toutefois, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’une preuve est suffisamment claire et convaincante; cette détermination doit se faire par le juge des faits en fonction des circonstances de l’instance et en examinant la preuve attentivement (FH c McDougall, 2008 CSC 53 aux para 45–46).

[39] Suite à ma revue de la Décision, je suis d’avis que c’est là l’exercice auquel la commissaire s’est consacrée dans la Décision. Dans des motifs exhaustifs, la commissaire a rigoureusement analysé en détail le témoignage de M. Alvarez, qu’elle a elle-même entendu et vu témoigner. Elle a ensuite évalué ce témoignage en regard de la preuve documentaire que le Ministre lui avait soumise, et qui provenait essentiellement de l’enquête policière des autorités américaines. La commissaire a notamment relevé le fait que M. Alvarez niait avoir communiqué avec l’enquêteur de police alors que celui-ci disait le contraire dans son rapport et ses notes. Elle a aussi observé plusieurs contradictions entre le témoignage de M. Alvarez, qui minimisait la fréquence de ses rencontres avec les jeunes filles, et la preuve documentaire qui faisait état de relations remontant à mars 2004 dans le cas de Y.H. La commissaire a aussi estimé que M. Alvarez n’avait pas démontré une grande candeur dans la description de ses relations avec le père de Y.H. et de ses fréquentations des familles de J.G. et Y.H. À la lumière de la preuve analysée, la commissaire a déterminé que M. Alvarez avait commis les actes identifiés dans les mandats d’arrestation de la police du Texas, que ces actes constituaient des infractions, et qu’il y avait des équivalences au Canada. La commissaire a notamment procédé à une analyse rigoureuse quant à l’équivalence des infractions. Je considère qu’il n’était donc pas déraisonnable pour la commissaire de préférer la version des faits qui ressortait de la preuve documentaire, plutôt que le témoignage de M. Alvarez, et que son analyse des infractions était justifiée, transparente et intelligible.

[40] Par ailleurs, je note également, tout comme l’a fait la SI dans la Décision, que M. Alvarez n’a pas soumis d’éléments de preuve, et que l’ensemble de sa position dans ce dossier repose sur son propre témoignage devant la SI. Face à ce témoignage, la SI avait devant elle les rapports de police, les notes de l’enquêteur, et les déclarations des victimes et d’autres personnes faites à un moment plus rapproché des événements, et ces multiples éléments de preuve soumis par le Ministre allaient bien souvent à l’encontre du témoignage de M. Alvarez. Pour les motifs expliqués dans sa Décision, la SI a donné plus de poids à la preuve documentaire et aux déclarations qu’elle contenait, et elle a conclu au manque de crédibilité de M. Alvarez en raison des nombreuses contradictions ou imprécisions de son propre témoignage.

[41] Dans ses soumissions écrites et orales, M. Alvarez demande en fait à cette Cour de réévaluer la preuve qui était devant la SI. En effet, M. Alvarez traite longuement des différentes déclarations des plaignantes afin de démontrer qu’elles sont incohérentes et qu’elles ne peuvent fonder, sur la prépondérance des probabilités, une conclusion quant au fait qu’il aurait agressé les deux cousines. Or, un aspect fondamental du contrôle judiciaire en droit canadien est que la Cour, dans son exercice de révision, doit s’abstenir de réévaluer la preuve et doit plutôt adopter une attitude de déférence envers les conclusions du décideur administratif (Vavilov au para 125). C’est d’ailleurs l’une des différences importantes entre le contrôle judiciaire et l’appel, distinction qui semble avoir échappé à M. Alvarez (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 943 au para 20).

[42] Lors du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit accorder une « attention respectueuse [...] à l’expertise établie » et aux connaissances spécialisées du décideur, tel qu’en font foi les motifs de ce dernier (Vavilov au para 93). La norme de la décision raisonnable est ancrée dans le principe de la retenue judiciaire. Cette déférence « repose sur le choix du législateur de confier à un tribunal administratif spécialisé la responsabilité d’appliquer les dispositions législatives, ainsi que sur l’expertise de ce tribunal en la matière » (Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd, 2016 CSC 47 au para 33; Dunsmuir aux para 48, 49). Dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, lorsqu’une question mixte de fait et de droit relève directement du champ d’expertise d’un décideur, le rôle de la cour de révision n’est pas d’imposer l’approche de son choix (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 57). Bien sûr, le devoir de déférence envers le décideur administratif n’est pas sans limites, et la Cour ne peut faire fi des situations où un décideur aurait rendu une décision qui ne serait pas fondée sur la preuve à sa disposition (Vavilov aux para 125–126). Mais ce n’est manifestement pas le cas ici.

[43] En fin de compte, les observations de M. Alvarez expriment tout simplement son désaccord avec l’appréciation de la preuve et la Décision de la SI. Or, lors d’un contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve.

[44] Cela dit, je suis bien conscient que la Décision de la SI est lourde de conséquences pour M. Alvarez, considérant qu’il est aujourd’hui résident permanent du Canada depuis 2011 et père d’une famille de cinq enfants établie au Québec. Je réalise aussi que la Décision de la SI peut laisser à M. Alvarez l’impression de risquer l’expulsion du Canada pour des allégations et des accusations d’ordre criminel qui remontent à plus de 15 ans, qui n’ont pas débouché sur des déclarations de culpabilité et qui n’ont pas été prouvées devant une cour de justice. Toutefois, je dois constater que l’alinéa 36(1)c) de la LIPR est clair : il stipule que la seule commission de certains actes criminels peut emporter une interdiction de territoire pour grande criminalité, si la preuve de ces actes est faite selon la prépondérance des probabilités devant la SI, et ce, peu importe qu’il y ait eu ou pas une déclaration de culpabilité ou même une accusation. Cela peut sembler injuste à M. Alvarez, mais c’est ce que le législateur a expressément prévu à la LIPR.

[45] Dans le cas de M. Alvarez, la Décision de la SI est longuement motivée, riche en détails, et elle explique adéquatement les raisons qui ont permis à la commissaire de conclure, sur la base de la prépondérance des probabilités, que M. Alvarez avait commis les actes délictuels qui lui sont reprochés. J’insiste sur le fait que la commissaire n’a pas pris son rôle à la légère, loin de là, et que ses motifs témoignent du fait qu’elle a procédé à une analyse rigoureuse et minutieuse de la preuve devant elle, en tous points conformes aux exigences de la loi et de la jurisprudence applicable. Dans un tel contexte, et considérant la norme de la décision raisonnable qui encadre le rôle de la Cour dans la présente demande de contrôle judiciaire, rien ne permet à cette Cour d’intervenir dans la Décision de la SI.

B. La question de la partialité

[46] Sur la question de la partialité, les arguments avancés par M. Alvarez semblent se limiter à une redite de ses arguments reprochant à la SI d’avoir mal évalué la preuve au dossier et sa crédibilité. En somme, M. Alvarez met en doute la partialité de la commissaire, car il considère qu’elle aurait fermé les yeux sur les lacunes de la preuve des plaignantes et en aurait tiré des inférences mal fondées. Aux dires de M. Alvarez, les conclusions négatives à son endroit traduisent une prédisposition qu’avait la commissaire pour conclure à son interdiction pour grande criminalité et à son exclusion du Canada, et la commissaire n’était aucunement disposée à se laisser persuader du contraire.

[47] Les soumissions de M. Alvarez sur la partialité de la commissaire ne me convainquent pas.

[48] Le critère qu’il convient d’appliquer en ce qui a trait aux craintes de partialité est bien établi, et le standard à rencontrer est élevé. Il a notamment été énoncé dans l’arrêt Baker, où la CSC a réitéré que, pour déterminer s’il y a une crainte raisonnable de partialité, il faut se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » et si cette personne croirait, selon toute vraisemblance, que le décideur, « consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste » (Baker au para 46). Dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369 [Committee for Justice], la CSC a aussi déclaré que « la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‐même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet » (Committee for Justice à la p 394). Une crainte raisonnable de partialité ne peut donc reposer « sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur [et doit] être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme » (Arthur c Canada (Canada (Procureur général), 2001 CAF 223 au para 8).

[49] Une allégation de partialité ne peut donc être soulevée à la légère et doit être démontrée au moyen de preuves concrètes. Ici, je n’en décèle aucune. Certes, je comprends que M. Alvarez puisse être en profond désaccord avec la Décision rendue par la SI, mais un désaccord sur l’appréciation de la preuve est insuffisant pour rimer avec une accusation de partialité. Au surplus, les allégations générales de M. Alvarez selon lesquelles la commissaire aurait eu un parti pris ne résistent tout simplement pas à l’analyse. En fait, les motifs de la SI démontrent plutôt une ouverture d’esprit de la part de la commissaire, qui a multiplié les questions adressées à M. Alvarez lors de son témoignage devant elle, lui a fourni toutes les opportunités nécessaires pour expliquer sa version des faits, et n’a pas hésité à faire venir l’interprète lorsqu’elle doutait que M. Alvarez avait pu faire correctement valoir son point de vue. Des allégations de partialité ne peuvent se fonder sur de simples impressions d’un demandeur ou de son avocat, et doivent plutôt être étayées par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. M. Alvarez n’a soumis aucune preuve de cette nature en ce qui a trait aux démarches et analyses de la commissaire dans son dossier.

[50] Une allégation de partialité est grave, et la Cour doit faire preuve de beaucoup de rigueur avant de tirer une conclusion de partialité (Shahein c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 987 au para 21). De fait, « l’allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l’intégrité personnelle du [décideur], mais celle de l’administration de la justice toute [sic] entière » (R c S (RD), [1997] 3 RCS 484 au para 113). Dans le dossier de M. Alvarez, je ne vois tout simplement aucun indice de partialité dans le comportement ou les remarques de la commissaire.

IV. Conclusion

[51] Pour les motifs exposés ci‐dessus, la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Alvarez est rejetée. Selon la norme de la décision raisonnable, il suffit que les motifs exposés dans la Décision démontrent que la conclusion est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. C’est le cas en l’espèce. De plus, à tous égards, la SI a respecté les exigences de l’équité procédurale dans son traitement de la demande de M. Alvarez et n’a fait preuve d’aucune forme de partialité répréhensible. La Décision n’est donc entachée d’aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour.

[52] Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification. Je conviens qu’il n’y en a pas en l’espèce.


JUGEMENT au dossier IMM-917-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-917-21

 

INTITULÉ :

PEDRO ANTONIO ALVAREZ c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 décembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Victoria Robert-Jodoin

 

Pour lE DEMANDEUR

 

Daniel Latulippe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jodoin & Associés Avocats

Montréal (Québec)

 

PouR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

 

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