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Date : 20220216


Dossier : IMM-4839-20

Référence : 2022 CF 206

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 février 2022

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

MANUEL SIMEI PEREZ BECERRA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Le contexte

[1] M. Manuel Simei Perez Becerra [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 18 septembre 2020 par laquelle un agent principal d’immigration d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [l’agent] a rejeté sa demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] M. Becerra est citoyen du Mexique. Il est entré au Canada à l’aéroport Pearson de Toronto le 11 novembre 2007, en compagnie de ses parents et de deux membres de sa fratrie. Il avait 12 ans au moment de son arrivée. La famille a présenté une demande d’asile dès son entrée au Canada.

[3] La demande d’asile du demandeur et celle de ses parents et des deux membres de sa fratrie ont été rejetées le 4 septembre 2008. La demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire qu’a présentée la famille a été rejetée le 9 avril 2010. Une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] a ensuite été déposée en juillet 2009, laquelle a été rejetée le 30 mai 2011. À ce moment-là, le demandeur avait presque 16 ans.

[4] Le demandeur et sa famille sont restés au Canada. Les parents du demandeur détenaient initialement un permis de travail, mais celui-ci a expiré en 2011. Étant donné que les parents du demandeur ne se sont pas présentés à une entrevue préalable au renvoi en 2009, les autorités de l’immigration ont délivré des mandats d’arrestation contre eux.

[5] En 2013, le demandeur a abandonné sa dernière année d’études secondaires parce qu’il estimait qu’il devait aider ses parents financièrement. Depuis, il travaille comme charpentier.

[6] En 2014, peu avant que le demandeur ait 19 ans, l’Agence des services frontaliers du Canada a délivré un mandat d’arrestation contre lui. Le demandeur et sa famille sont restés au Canada.

[7] En plus des deux membres de la fratrie qui l’accompagnaient lui et ses parents à leur arrivée au Canada, le demandeur a une sœur cadette, née au Canada en 2008, et un frère aîné qui est maintenant un résident permanent du Canada.

[8] Le demandeur a présenté une deuxième demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en février 2019, laquelle a été rejetée le 18 septembre 2020. Il s’agit de la décision relative à cette deuxième demande qui fait l’objet du présent contrôle.

[9] Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable au motif que l’agent a) a commis une erreur dans son évaluation de l’établissement du demandeur au Canada; et b) a commis une erreur en concluant que le demandeur ne connaîtrait pas de difficultés au Mexique.

[10] Le défendeur soutient que l’agent a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire dans les circonstances, et que les observations du demandeur équivalent à demander à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve, ce qu’elle ne peut pas faire.

II. La question en litige et la norme de contrôle

[11] Les parties conviennent que la seule question est celle de savoir si la décision de l’agent était raisonnable. Les parties soutiennent, et je suis d’accord avec elles, que la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable, comme nous l’enseigne l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (voir aussi Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] au para 44).

III. Analyse

[12] Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de dispenser certains étrangers des exigences habituelles de la loi et de leur accorder le statut de résident permanent au Canada s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire le justifient. Le pouvoir discrétionnaire à cet égard représente une exception sensible et flexible qui vise à accorder un redressement en equity, notamment pour mitiger la rigidité de la LIPR dans les cas appropriés (Rainholz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 121 aux para 13 et 14). Les considérations d’ordre humanitaire s’entendent des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne dans la mesure où ses malheurs justifient l’octroi d’un redressement spécial aux fins des dispositions par ailleurs applicables de la LIPR (Kanthasamy, aux para 13 et 21)

[13] Un agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids (Rainholz, au para 17, citant Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 et Kanthasamy). L’établissement d’un demandeur au Canada fait partie des facteurs fréquemment invoqués dans les demandes de dispense pour des considérations d’ordre humanitaire.

[14] En l’espèce, le demandeur a présenté des éléments de preuve pour étayer son degré d’établissement au Canada. Il a notamment démontré qu’il travaillait comme charpentier, qu’il était membre d’un syndicat, qu’il faisait du bénévolat, qu’il participait à des activités confessionnelles, qu’il avait un cercle social et qu’il avait des liens avec des membres de sa famille au Canada. Comme il a été mentionné précédemment, le demandeur avait 12 ans lorsqu’il est arrivé au Canada.

[15] En ce qui concerne l’établissement, l’agent a constaté que depuis qu’il est devenu adulte, le demandeur a choisi de rester au Canada et d’y travailler sans autorisation. Par conséquent, l’agent n’a pratiquement pas tenu compte de l’établissement du demandeur au Canada à partir de 2013. De plus, il a accordé [traduction] « une pondération négative au mépris du demandeur à l’égard des lois sur l’immigration au Canada ». L’agent a souligné que le demandeur était au Canada depuis plus de 12 ans.

[16] Contrairement aux observations du demandeur, je conclus qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agent de tenir compte de la décision du demandeur de travailler au Canada sans autorisation une fois devenu adulte.

[17] Je conclus, toutefois, que l’agent a commis une erreur en n’examinant pas véritablement les facteurs d’établissement applicables à la période qui a précédé l’âge adulte du demandeur. Comme l’a énoncé mon collègue le juge McHaffie dans la décision Damian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1158 :

[1] Une enfant qui a été amenée au Canada par un parent ne peut être blâmée pour être restée au Canada sans statut juridique pendant son enfance. Si cette enfant, devenue adulte, demande la résidence permanente, il est déraisonnable de la part d’un agent d’immigration de retenir contre elle le fait que le temps qu’elle a passé au Canada pendant son enfance résultait d’un non-respect de la loi sur l’immigration.

[18] L’agent semble retenir contre le demandeur la période que celui-ci a passée au Canada à la fois en tant que mineur et en tant qu’adulte, sans examiner véritablement les facteurs favorables de l’établissement du demandeur pendant qu’il était mineur. Ces facteurs doivent faire l’objet d’un examen de fond en fonction d’une norme fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (Mitchell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 190 au para 28). Le défaut de l’agent à cet égard rend la décision déraisonnable (Rainholz, au para 17).

[19] Ayant conclu que l’agent a traité de manière déraisonnable l’établissement du demandeur lorsqu’il était mineur, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions soulevées par le demandeur.

IV. Conclusion

[20] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Aucune question n’a été proposée en vue de la certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4839-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen;

  3. Aucune question n’a été proposée en vue de la certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

« Vanessa Rochester »

Juge

Traduction certifiée conforme

Noémie Pellerin Desjarlais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4839-20

INTITULÉ :

MANUEL SIMEI PEREZ BECERRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec) PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 JANVIER 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 16 FÉVRIER 2022

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

POUR LE DEMANDEUR

Kevin Doyle

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wazana Law

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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