Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220202


Dossier : T‑1715‑19

Référence : 2022 CF 120

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 février 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

VICTORIA MOSHINSKY-HELM

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Moshinsky-Helm, conteste la décision par laquelle l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] a refusé de lui accorder accès à des documents se rapportant aux revenus et aux entreprises de son ex‑époux. Mme Moshinsky-Helm a demandé ces renseignements en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 [la LAI].

[2] L’ARC a rejeté la demande de Mme Moshinsky-Helm, parce qu’il lui est interdit de communiquer des renseignements concernant M. Helm sans son consentement et qu’aucune des exceptions à cette exigence énoncées dans la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c‑1 (5supp) [la LIR] ne s’appliquerait à la situation de Mme Moshinsky-Helm.

[3] Je conclus qu’il n’y a aucune erreur dans la décision de l’ARC de rejeter la demande de Mme Moshinsky-Helm. Je souscris à l’interprétation que l’ARC a faite des dispositions applicables de la LAI et de la LIR. À mon avis, il n’existait aucun fondement à partir duquel l’ARC aurait pu accorder à Mme Moshinsky-Helm l’accès aux documents qu’elle demandait.

[4] Pour les motifs exposés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Moshinsky-Helm est rejetée.

II. Historique de la procédure

[5] Le 9 juillet 2018, Mme Moshinsky-Helm a envoyé à l’ARC une demande d’accès à l’information afin d’obtenir des renseignements sur les revenus de M. Helm. En particulier, elle demandait des renseignements sur les entreprises dont M. Helm était propriétaire ou dans lesquelles il avait une participation de plus de 1 pour 100 entre 2004 et 2017.

[6] Le 17 juillet 2018, l’ARC a informé Mme Moshinsky-Helm que, pour traiter sa demande, elle avait besoin du numéro d’assurance sociale de M. Helm et de l’autorisation de ce dernier à la communication de ses dossiers. Mme Moshinsky-Helm a fourni le numéro d’assurance sociale de M. Helm, mais n’a pas fourni l’autorisation demandée.

[7] Dans une lettre datée du 7 août 2018, l’ARC a conclu que la demande de Mme Moshinsky-Helm était considérée comme abandonnée, parce qu’elle n’avait pas reçu les renseignements qu’elle avait demandés pour traiter le dossier.

[8] Mme Moshinsky-Helm a contesté la décision concluant à l’abandon de sa demande en déposant une plainte au Commissariat à l’information du Canada [le CIC]. Après quelques échanges avec le CIC, l’ARC a accepté d’examiner encore une fois la demande et, le 23 août 2019, elle a rendu une décision rejetant la demande d’accès à l’information présentée par Mme Moshinsky-Helm.

[9] C’est la décision du 23 août 2019 qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Mme Moshinsky-Helm a déposé une deuxième plainte auprès du CIC, cette fois‑ci au sujet de cette décision du 23 août 2019 concernant le rejet de sa demande d’accès.

[10] Le 25 septembre 2019, le CIC a communiqué les résultats de son enquête sur la première plainte (la décision quant à l’abandon). Le CIC a conclu que la plainte de Mme Moshinsky-Helm était bien fondée et que l’ARC avait commis une erreur lorsqu’elle avait conclu à l’abandon de sa demande. Le CIC a ensuite examiné la décision du 23 août 2019, qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire, et a conclu que cette décision définitive était conforme à la LAI.

[11] Le 21 octobre 2019, Mme Moshinsky-Helm a déposé devant la Cour une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 41(1) de la LAI. L’instance a été suspendue en attendant la réception de la décision définitive du CIC concernant l’enquête qu’il menait sur la plainte de Mme Moshinsky-Helm au sujet de la décision du 23 août 2019.

[12] Le 3 février 2021, le CIC a publié son rapport final en réponse à la deuxième plainte de Mme Moshinsky-Helm concernant la décision définitive du 23 août 2019. Le CIC a conclu que cette décision était conforme à la LAI et que la plainte de Mme Moshinsky-Helm n’était pas fondée.

[13] Mme Moshinsky-Helm a présenté une requête en provision pour frais devant la Cour. La juge Ring, chargée de la gestion de l’instance, a entendu cette requête et l’a rejetée le 19 février 2021.

III. Analyse

[14] Mme Moshinsky-Helm a présenté sa demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 41(1) de la LAI. Sous le titre « révision de novo », l’article 44.1 de la LAI dispose que les recours en révision judiciaire exercés en vertu des articles 41 et 44 « sont entendus et jugés comme une nouvelle affaire ». La présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne joue donc pas en l’espèce, puisque la situation tombe sous le coup de l’exception énoncée dans l’arrêt Vavilov, à savoir les cas dans lesquels le législateur énonce clairement qu’une norme de contrôle différente devrait s’appliquer (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 32, 34‑35; Concord Premium Meats Ltd c Canada (Agence d’inspection des aliments), 2020 CF 1166 aux para 33, 40‑43; Suncor Énergie Inc c Office Canada‑Terre‑Neuve‑et‑Labrador des hydrocarbures extracôtiers), 2021 CF 148 aux para 51, 52; Beniey c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2021 CF 164 aux para 18‑23).

[15] Par conséquent, il n’est pas nécessaire que je fasse preuve de retenue à l’égard de la décision de l’ARC de refuser à Mme Moshinsky-Helm l’accès aux dossiers. Je dois moi‑même examiner les éléments de preuve et les dispositions applicables et trancher la question de savoir si l’ARC a commis une erreur en ne fournissant pas les documents.

[16] Mme Moshinsky-Helm a demandé à l’ARC de lui fournir les documents fiscaux de son ex‑époux, parce qu’elle affirme que, sans ces documents, elle est incapable de poursuivre l’action qu’elle a intentée devant le tribunal de la famille et d’obtenir une ordonnance concernant le versement des sommes auxquelles elle a droit au titre de la pension alimentaire pour époux et de la pension alimentaire pour enfants. Compte tenu des dispositions de la LAI et de la LIR, je conclus que de demander à l’ARC de lui donner accès aux dossiers de M. Helm n’est pas une option qui s’offre à Mme Moshinsky-Helm.

[17] Le paragraphe 24(1) de la LAI dispose que l’accès aux documents est refusé pour des « renseignements dont la communication est restreinte en vertu d’une disposition figurant à l’annexe II ». L’annexe II de la LAI comprend la disposition suivante de la LIR, sur laquelle l’ARC s’est fondée pour rejeter la demande de documents de Mme Moshinsky-Helm :

241(1) Sauf autorisation prévue au présent article, il est interdit à un fonctionnaire ou autre représentant d’une entité gouvernementale :

a) de fournir sciemment à quiconque un renseignement confidentiel ou d’en permettre sciemment la prestation;

b) de permettre sciemment à quiconque d’avoir accès à un renseignement confidentiel;

c) d’utiliser sciemment un renseignement confidentiel en dehors du cadre de l’application ou de l’exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’assurance‑chômage ou de la Loi sur l’assurance‑emploi, ou à une autre fin que celle pour laquelle il a été fourni en application du présent article.

[18] Le paragraphe 241(5) de la LIR autorise la communication de renseignements confidentiels d’un contribuable au contribuable lui‑même ou à toute autre personne, avec le consentement du contribuable. Il ne fait aucun doute que Mme Moshinsky-Helm ne cherche pas à obtenir ses propres renseignements confidentiels et qu’elle n’a pas non plus le consentement du contribuable, M. Helm, dont elle cherche à obtenir les renseignements et les documents.

[19] La LIR prévoit une liste d’exceptions à cette interdiction générale de fournir des renseignements confidentiels à d’autres personnes que le contribuable, sans le consentement de ce dernier. Les paragraphes 241(3.1) à (9.5) de la LIR énoncent ces exceptions. Aucune d’entre elles ne pouvait s’appliquer à la situation de Mme Moshinsky-Helm.

[20] Mme Moshinsky-Helm a précisément demandé si le [traduction] « revenu familial » constituait une exception à cette interdiction générale de communiquer les renseignements confidentiels du contribuable à des tiers. Une telle exception n’existe pas. Les époux, même s’ils sont encore mariés, n’ont pas le droit d’obtenir les renseignements fiscaux de l’un ou l’autre époux sans son consentement; il n’existe aucun « droit » d’accès aux renseignements fiscaux concernant les revenus gagnés par l’un des époux pendant le mariage.

[21] Dans sa demande de contrôle judiciaire, Mme Moshinsky-Helm ne conteste pas la constitutionnalité d’une quelconque loi, mais invoque de manière générale la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte], faisant valoir que son affaire concerne une violation du droit à l’égalité garanti à l’article 15 de la Charte et que la décision de l’ARC de [traduction] « refuser la communication de renseignements sur le revenu familial a des conséquences négatives sur la vie de l’enfant et la mienne depuis 2018 ». Ce renvoi à la Charte est vague et n’est appuyé par aucune preuve ni aucun argument juridique précis. Il n’a aucune incidence sur ma décision selon laquelle l’ARC a conclu à juste titre que les dispositions applicables lui interdisaient de fournir à Mme Moshinsky-Helm les documents de M. Helm qu’elle avait demandés.

[22] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[23] Le ministre a précisé qu’il sollicitait des dépens de 1 000 $ concernant la requête en provision pour frais présentée par Mme Moshinsky-Helm qui avait été rejetée par la juge Ring, chargée de la gestion de l’instance, en février 2021. La juge Ring a rejeté la requête et a ordonné que les dépens suivent l’issue de l’instance. Compte tenu des circonstances de la présente affaire, et surtout de la situation financière de la demanderesse, j’exerce le pouvoir discrétionnaire que me confère le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 de ne pas adjuger de dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‑1715‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1715‑19

 

INTITULÉ :

VICTORIA MOSHINSKY-HELM c LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 AOÛT 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 2 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Victoria Moshinky-Helm

 

POUR LA DEMANDERESSE,

POUR SON PROPRE COMPTE

Courtney Davidson

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.