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Date : 20220211


Dossier : IMM-936-21

Référence : 2022 CF 190

Ottawa (Ontario), le 11 février 2022

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

BEATE NAHRENDORF

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Beate Nahrendorf, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent principal d’immigration [Agent] le 6 février 2021, rejetant sa demande de dispense, fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], de l’obligation de déposer sa demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada.

[2] La demanderesse est citoyenne de l’Allemagne. Elle est entrée au Canada en 1997, accompagnée de son futur époux, un diplomate allemand qui représentait son pays au sein d’une organisation internationale. Deux (2) enfants sont nés de cette union. Ils sont âgés de 19 et 21 ans au moment de la réception de la demande de dispense.

[3] En février 2019, la demanderesse annonce à son époux qu’elle souhaite un divorce. Celui-ci la menace de quitter son poste au Canada afin que ses privilèges, à titre d’épouse de diplomate, lui soient retirés en raison du retrait de son visa diplomatique. En avril 2019, la demanderesse dépose une demande en divorce. Puisque son statut est lié au statut de diplomate de son époux, elle présente également une demande de dispense en mai 2019. Celle-ci est fondée sur son degré d’établissement au Canada, les difficultés qu’elle éprouverait advenant un retour en Allemagne et l'intérêt supérieur de ses enfants. Le jugement de divorce est prononcé en août 2019.

[4] L’Agent rejette la demande de dispense après avoir conclu que les considérations d’ordre humanitaire, examinées dans leur ensemble, étaient insuffisantes pour justifier la dispense en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[5] La demanderesse reproche à l’Agent d’avoir apprécié chacun des motifs d’ordre humanitaire sous l’angle des difficultés, sans tenir compte d’un éventail de motifs plus élargis concernant la prise de mesures spéciales, conformément à l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]. Elle fait également valoir que l’Agent a effectué une analyse déformée du degré de son établissement au Canada, minimisant la solidité de ses liens familiaux, sociaux et professionnels en raison de l’absence de preuve de participation à la vie communautaire. Enfin, elle reproche à l’Agent de ne pas avoir pris en compte ses enfants adultes dans l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants.

[6] La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’immigration d’accorder ou non une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17 [Vavilov]; Kanthasamy au para 44).

[7] Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour s’intéresse « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83). Elle doit se demander si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99). La partie qui conteste la décision a le fardeau d’en démontrer le caractère déraisonnable et doit convaincre la Cour que la décision souffre de lacunes graves qui sont « suffisamment capitale[s] ou importante[s] pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov au para 100).

[8] Après avoir examiné le dossier des parties et avoir considéré leurs observations, la Cour n’est pas persuadée qu’il y a matière à intervention en l’espèce. Contrairement à l’argument de la demanderesse, la demande de dispense n’a pas été examinée exclusivement sous l’angle des difficultés. Les conclusions de l’Agent relatives au degré d’établissement ainsi qu’aux difficultés qu’engendrerait un retour en Allemagne émanent plutôt d’une preuve déficiente. L’Agent a raisonnablement considéré l’ensemble des éléments avancés par la demanderesse et son analyse répond aux arguments formulés par celle-ci.

[9] La Cour n’est pas non plus convaincue que l’Agent a fait preuve d’un manque d’empathie à l’égard de la situation de la demanderesse. Bien que l’Agent n’ait pas tiré de conclusion explicite sur ses difficultés matrimoniales, la Cour ne considère pas que cela remet en question son analyse.

[10] Quant à l'intérêt supérieur des deux (2) enfants de la demanderesse, l’Agent a raisonnablement souligné qu’au moment de la demande, ces derniers étaient adultes. Généralement, l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant ne vaut que pour les enfants de moins de 18 ans. Bien que la jurisprudence de cette Cour reconnaisse que l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant peut être envisagée pour des enfants adultes (Chaudhary c Canada (Immigration, Refugiés et Citoyenneté), 2018 CF 128 aux para 32, 34; Noh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 529 au para 63; Yoo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 343 au para 32), l’Agent ne disposait d’aucun élément de preuve crédible démontrant que les enfants de la demanderesse ont des besoins spéciaux ou qu’ils dépendent largement de la demanderesse. La demande de dispense ne contenait que de vagues allégations selon lesquelles le lien entre la demanderesse et ses enfants était fort en raison du fait qu’elle s’était occupée d’eux depuis leur naissance et qu’ils demeuraient toujours chez elle. Il revenait à la demanderesse de préciser les besoins particuliers de ses enfants, ou encore de démontrer en quoi son absence mettrait en péril leur intérêt supérieur.

[11] De plus, la preuve du soutien financier apporté aux enfants de la demanderesse était plutôt laconique. Celle-ci démontrait en fait que les frais de scolarité de la plus jeune des enfants étaient payés par l’ex-époux de la demanderesse et que, advenant un départ de la maison familiale, une allocation lui serait versée par son père et la demanderesse jusqu’en mai 2021. Il incombait à la demanderesse d’articuler dans un premier temps, les répercussions de son départ sur l’intérêt supérieur de ses enfants et, dans un deuxième temps, de fournir suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer ses allégations (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 aux para 5, 8).

[12] L’Agent a néanmoins considéré leur intérêt à titre de membre de la famille. L’Agent a d’ailleurs raisonnablement noté que les enfants adultes n’avaient soumis aucun document pour étayer les conséquences qui pourraient découler du départ de leur mère.

[13] Les motifs de l’Agent reflètent les observations et les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Interprétés de façon globale et contextuelle, ils possèdent les caractéristiques d’une décision raisonnable conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Vavilov.

[14] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-936-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-936-21

INTITULÉ :

BEATE NAHRENDORF c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 FÉVRIER 2022

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 11 FÉVRIER 2022

COMPARUTIONS :

Jacques Beauchemin

Pour LA DEMANDERESSE

Daniel Latulippe

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Beauchemin Avocats

Montréal (Québec)

Pour LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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