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Date : 20220119


Dossier : IMM‑6104‑20

Référence : 2022 CF 55

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2022

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

DAHIR AHMED MOHAMED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire déposée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] à l’égard de la décision rendue le 10 novembre 2020 par la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. La SAR a confirmé la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] avait conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. La SPR et la SAR ont toutes deux estimé que le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités. Pour les motifs qui suivent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Aperçu des faits

[2] Monsieur Dahir Ahmed Mohamed (M. Mohamed) prétend être un citoyen de la Somalie. Il affirme qu’il est né dans la ville de Mogadiscio, où il a résidé jusqu’en 2006. Il ajoute qu’il est ensuite déménagé au Soudan pour effectuer des études postsecondaires. Il soutient qu’il a obtenu un baccalauréat en études islamiques de l’Université internationale d’Afrique. Il allègue qu’après ses études, il s’est procuré un passeport frauduleux au Kenya en 2012 afin d’obtenir un permis de travail du Soudan du Sud. Il prétend qu’il a résidé et travaillé au Soudan du Sud sous une fausse identité jusqu’en 2015. Il allègue qu’il est ensuite retourné dans sa ville natale de Mogadiscio. Il y a ouvert une école, où il a également travaillé comme enseignant. Des membres du groupe extrémiste Al‑Shabaab auraient alors attaqué son école au motif qu’y étaient enseignés des sujets profanes et qu’il y était fait la promotion des idéologies occidentales. M. Mohamed prétend que deux enseignants ont été tués pendant l’attaque. Il a pu s’échapper, et il s’est enfui dans un autre district de Mogadiscio avec sa famille.

[3] M. Mohamed prétend qu’il est ensuite allé au Kenya où il a obtenu un visa pour les États‑Unis au moyen de son passeport frauduleux kenyan. Il allègue qu’il est retourné à Mogadiscio pour se rendre aux États‑Unis. Il est entré aux États‑Unis le 24 juillet 2017, puis est entré au Canada par un point d’entrée non officiel le 31 juillet 2017. Il a demandé l’asile à la même date.

[4] La SPR a rejeté la demande d’asile de M. Mohamed. Elle a conclu que celui‑ci n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités. Elle a conclu que M. Mohamed n’était pas crédible de façon générale et que ses documents d’identité étaient frauduleux ou n’étaient pas fiables. Les conclusions de fait de la SPR sont les suivantes :

  • Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) et lorsqu’il a été invité à donner son nom au complet, M. Mohamed a indiqué qu’il s’appelait « Dahir Ahmed Mohamed ». Ce nom est inscrit sur des documents de la Somalie, tandis que les documents émanant du Soudan mentionnent qu’il s’appelle « Dahir Ahmed Mohamed Kulmie ». M. Mohamed a affirmé que « Kulmie » est un nom qui lui a été donné à la naissance. La SPR a tiré une inférence défavorable à l’égard de l’absence du nom « Kulmie » dans ses documents somaliens et dans ses documents relatifs à la demande d’asile au Canada.

  • Les éléments de preuve présentés par M. Mohamed quant à la façon dont il a obtenu son passeport kenyan n’étaient pas crédibles. La SPR a estimé que les nombreuses fois où M. Mohamed a parlé de son passeport kenyan comme étant [traduction] « son » passeport jettent un doute sur sa véritable identité et nationalité.

  • M. Mohamed a affirmé que, à son entrée aux États‑Unis , il n’avait pas révélé sa véritable identité parce qu’il craignait d’être renvoyé au Kenya, où son passeport frauduleux et sa fausse identité risquaient d’être découverts. Il a cependant affirmé qu’il avait utilisé son passeport kenyan pour voyager à l’étranger maintes fois au fil des ans et qu’il n’avait jamais eu peur d’être appréhendé. La SAR a tiré une conclusion défavorable à partir de cette contradiction.

  • Les affirmations de M. Mohamed au sujet de ce qui était advenu de son passeport kenyan étaient contradictoires, ce qui a jeté un doute sur la question de savoir s’il s’en était vraiment départi.

  • Le fait que M. Mohamed a reconnu avoir utilisé une autre identité au Soudan du Sud a miné sa crédibilité puisque cela montre qu’il ne répugne pas à adopter une autre identité pour ses intérêts personnels.

  • Selon la prépondérance des probabilités, les documents somaliens présentés par M. Mohamed ont été achetés sur le marché noir.

  • Le passeport somalien de 2010 produit par M. Mohamed n’était pas fiable. M. Mohamed n’a produit qu’une copie d’une page de son passeport, et il a affirmé que le document lui avait été envoyé par courriel et qu’il l’avait obtenu d’un ami sans présenter la moindre pièce d’identité.

  • Les timbres gouvernementaux apposés sur les documents somaliens présentés par M. Mohamed indiquent le nom [traduction] « République démocratique somalienne » tandis que, d’après les éléments de preuve documentaires, la Somalie n’est plus désignée par le nom [traduction] « République démocratique somalienne » depuis 1991. La SPR a conclu que ces documents étaient frauduleux selon la prépondérance des probabilités.

  • Les affidavits de sept proches de M. Mohamed en Somalie, qui ont été présentés la veille de son audience, n’étaient pas fiables.

  • M. Mohamed a affirmé dans ses documents relatifs à la demande d’asile qu’il avait fréquenté l’école secondaire « Al‑Hikma » en Somalie. À la question que lui a posée la SPR à ce sujet, il a répondu qu’il avait fréquenté l’école secondaire « Usama Ben Zeid », pour ensuite prétendre que l’école avait changé de nom. De plus, il a produit un certificat scolaire de l’école secondaire « Usama Ben Zeid ». La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur avait modifié son témoignage pour le faire concorder avec le certificat.

  • M. Mohamed a présenté une lettre des « Midaynta Community Services » de Toronto, dans laquelle il était indiqué qu’il parle très bien le somali courant, que son dialecte correspond au somali courant, et qu’il pouvait décrire la ville, la population, les coutumes, la culture et les principales attractions de Mogadiscio. La SPR a estimé que la lettre ne contenait pas assez de précisions et d’explications pour montrer comment son auteur avait établi que M. Mohamed était bel et bien la personne qu’il prétend être et avait pu vérifier son identité personnelle.

[5] Un représentant du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté est intervenu dans la demande d’asile de M. Mohamed en raison des doutes soulevés quant à son identité.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[6] À l’instar de la SPR, la SAR a établi que M. Mohamed n’était pas crédible et qu’il n’avait pas établi son identité. Elle a admis les documents qui suivent en tant que nouveaux éléments de preuve :

  • Le passeport original somalien expiré de l’épouse présumée de M. Mohamed;

  • L’avis de saisie des titres de voyage et des pièces d’identité délivré par l’Agence des services frontaliers du Canada daté du 27 novembre 2018;

  • La déclaration d’envoi [traduction] « de l’expédition » datée du 19 novembre 2018;

  • Une copie certifiée d’une carte d’identité somalienne de Fadumo Ali Mohamud (la mère présumée de M. Mohamed et l’une des sept auteurs d’affidavits);

  • Une copie certifiée d’un passeport somalien expiré de Fadumo Ali Mohamud;

  • La déclaration d’envoi de Maqdis Abdulle Roble (présumée épouse de M. Mohamed) datée du 19 novembre 2018, à laquelle était jointe une copie de la page des données biographiques du passeport;

  • Une lettre de l’école secondaire Al‑Hikma datée du 18 novembre 2018.

[7] Le 28 septembre 2020, la SAR a fait savoir à M. Mohamed que deux nouvelles questions concernant la crédibilité, au sujet desquelles il était invité à présenter des observations, seraient examinées en appel. Elle a énoncé les questions en ces termes :

  • i)L’appelant a affirmé que Maqdis Abdulle Roble est son épouse, alors que le document d’autorisation d’envoi qu’elle a signé le 19 novembre 2018 la désigne comme étant la cousine de l’appelant. En outre, le passeport de Maqdis Abdulle Roble indique que sa mère à elle est Hawo Abdi Mohamed (dossier de la SPR, p. 139), alors que l’affidavit signé par Hawo Abdi Mohamed désigne cette dernière comme étant la tante de l’appelant;

  • ii)L’appelant a affirmé dans son exposé circonstancié qu’il fait partie du clan Murusade et il a ajouté : [TRADUCTION] « aucune protection ne m’est accessible en Somalie parce que je fais partie d’un clan minoritaire » (dossier de la SPR, p. 30‑33). Cependant, la lettre fournie par les services communautaires Midaynta (Midaynta Community Services) (dossier de la SPR, p. 102 103) indique que l’appelant [TRADUCTION] « dit faire partie du sous‑clan Murusade du clan Hawiye, qu’il a correctement défini comme un clan majoritaire ». Le point 13.2 du cartable national de documentation (CND) sur la Somalie daté du 31 mars 2020 confirme que le clan Murusade est un sous‑clan du clan Hawiye, et le point 1.10 du CND indique que le clan Hawiye est majoritaire à Mogadiscio et que l’armée nationale somalienne est essentiellement composée de membres du clan Hawiye.

[8] M. Mohamed a produit un affidavit en réponse aux questions. La SAR a établi que l’affidavit n’était pas crédible et elle a refusé de l’admettre à titre de nouvelle preuve.

[9] La SAR a refusé de tenir une audience, puisqu’elle a établi que les exigences législatives concernant la tenue d’une audience n’étaient pas satisfaites. Elle a fait remarquer que les nouveaux éléments qu’elle avait admis en preuve étaient pertinents pour ce qui était de la crédibilité des affidavits des proches de M. Mohamed, mais qu’ils ne soulevaient aucune question importante en ce qui concernait la crédibilité de celui‑ci, comme le prévoit l’alinéa 110(6)a) de la LIPR.

[10] La SAR s’est dite d’accord avec la SPR quand celle‑ci affirme que M. Mohamed n’a pas raisonnablement expliqué pourquoi le nom « Kulmie » ne figurait pas dans sa demande et qu’il figurait dans certains de ses documents qu’il a présentés pour établir son identité. La SAR a également souscrit à la position de la SPR selon laquelle le certificat de naissance, le certificat d’identité et le certificat de mariage somaliens de M. Mohamed étaient frauduleux. Elle a fait remarquer que les timbres gouvernementaux figurant sur ces documents, outre qu’ils renvoyaient de façon erronée à la [traduction] « République démocratique somalienne », contenaient des erreurs d’orthographe. Ainsi, le mot « Foreign » est orthographié « Forian » [en anglais] dans l’expression [traduction] « ministère des affaires étrangères » sur le timbre apposé sur le certificat d’identité, et « Foraign » sur le timbre apposé sur le certificat de mariage. La SAR a également convenu avec la SPR que le passeport somalien de 2010 de M. Mohamed n’était pas fiable.

[11] La SAR a effectué un examen indépendant des documents scolaires de M. Mohamed. Elle a conclu que la SPR avait eu raison de ne leur accorder aucun poids pour établir l’identité de M. Mohamed. Elle a jugé que ces documents étaient frauduleux, selon les éléments qui suivent :

La lettre, qui est censée provenir de la faculté des études de la charia et des études islamiques de l’Université internationale d’Afrique , contient une erreur dans l’en ‑ tête sur laquelle le mot « Africa » est orthographié « Afirca » [en anglais]. La page suivante du dossier est une lettre qui est censée provenir du doyen des étudiants du même établissement. La lettre contient un timbre officiel sur lequel le mot en anglais « University » est orthographié « Unversity » [en anglais]. Le bulletin de notes et le diplôme officiel de l’université Al Neelain, qui sont censés être des documents originaux délivrés par l’université, et non pas des documents traduits, comportent tous deux une faute d’orthographe dans le titre en anglais « Academic Secretary », qui est orthographié « Acadimic Secretary » [en anglais].

Même si la SAR a tenu compte de la jurisprudence qui met en garde contre le fait d’imposer des normes occidentales à des documents délivrés dans des pays en voie de développement, elle a affirmé qu’elle ne pouvait pas accepter que ces documents comportent ces types d’erreurs s’ils ont été délivrés par une université.

[12] La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en tirant une inférence défavorable au sujet de la divergence liée au nom de l’école secondaire qu’a fréquentée M. Mohamed en Somalie. En ce qui concerne la lettre envoyée par l’école secondaire Al‑Hikma qui a été admise en tant que nouvel élément de preuve, la SAR a relevé des divergences, lesquelles jettent un doute supplémentaire sur la crédibilité de M. Mohamed. Par exemple, la lettre faisait mention de l’école secondaire Osama Bin Zeyd, tandis que les certificats de fin d’études présentés par M. Mohamed la désignaient comme l’école Usama Bin Zeid. De plus, elle contenait un grand nombre d’erreurs grammaticales, notamment la mention du « principle » [en anglais] de l’école, alors qu’il s’agissait clairement du « principal » [directeur]. La SAR a conclu que le certificat de fin d’études que M. Mohamed a initialement présenté à la SPR était frauduleux.

[13] La SAR a convenu avec la SPR que la volonté de M. Mohamed d’utiliser une fausse identité à des fins personnelles minait sa crédibilité. De plus, la SAR s’est dite d’accord avec la SPR quand celle‑ci affirme que les incohérences concernant le moment où M. Mohamed a obtenu le passeport kenyan et les circonstances dans lesquelles le document a été délivré n’avaient pas été expliquées de manière crédible.

[14] Au sujet des affidavits corroborants présentés par les proches prétendus de M. Mohamed, la SAR a fait remarquer que les nouveaux éléments de preuve dissipaient certaines des préoccupations de la SPR quant à son identité, mais que des préoccupations demeuraient au sujet de l’identité de sa mère et de son épouse. Tout en admettant que l’une d’elles pouvait être à la fois sa cousine et son épouse, la SAR a exprimé des réserves à l’égard du fait que M. Mohamed avait d’abord désigné Maqdis Abdulle Roble comme étant sa cousine, et non pas son épouse. Lorsqu’il lui a été demandé comment il avait rencontré son épouse, M. Mohamed a répondu qu’ils s’étaient connus à l’école. Il n’a jamais fait savoir qu’elle était sa cousine et qu’il l’avait connue du fait de leurs liens familiaux. De plus, la SAR a exprimé des doutes quant à l’identité de la mère de M. Mohamed.

IV. Dispositions pertinentes

[15] Les dispositions qui s’appliquent en l’espèce sont les articles 96, 97 et 106 et le paragraphe 110(6) de la LIPR, qui sont reproduits dans l’annexe ci‑dessous.

V. Question en litige

[16] Les questions en litige concernent le caractère raisonnable de la décision finale et le caractère raisonnable de la décision de ne pas tenir d’audience.

VI. Analyse

[17] Tous les aspects de la décision de la SAR sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, 441 DLR (4e) 1 [Vavilov] au para 25. Aucune des exceptions à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce (Vavilov, au para 17).

[18] L’omission d’un demandeur d’établir son identité selon la prépondérance des probabilités entraîne le rejet d’une demande d’asile (Edobor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1064 au para 8). J’estime que la SAR a raisonnablement conclu que M. Mohamed avait omis d’établir son identité en tant que ressortissant de la Somalie.

[19] M. Mohamed affirme, entre autres, que la SAR a manqué à son obligation d’équité procédurale lorsqu’elle a rejeté l’affidavit qu’il a produit en réponse à la lettre du 28 septembre 2020, sans convoquer d’audience. Le refus de la SAR d’admettre en preuve de nouveaux éléments ou de tenir une audience est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Awonusi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 385 au para 10). Par conséquent, je me demanderai si la SAR a raisonnablement appliqué les critères législatifs énoncés aux paragraphes 110(4) et 110(6) de la LIPR (Homauoni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1403 au para 16).

[20] Pour accepter de nouveaux éléments de preuve en appel, la SAR doit être convaincue que la preuve satisfait aux exigences législatives prévues au paragraphe 110(4) de la LIPR et aux exigences établies dans la jurisprudence en ce qui concerne la crédibilité, la pertinence et la nouveauté ((Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 438 aux para 29‑30). Selon le paragraphe 110(6) de la LIPR, la SAR peut tenir une audience si elle estime que des nouveaux éléments admis en preuve soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité d’une personne en cause, sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile et justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée.

[21] J’estime que la SAR a eu raison de conclure que l’affidavit n’était pas crédible. En premier lieu, la SAR a conclu que l’affidavit n’était pas crédible au regard de la relation de M. Mohamed avec sa prétendue épouse. Contrairement à ce que prétend M. Mohamed, la SAR a accepté qu’il était possible que M. Mohamed et sa prétendue épouse soient cousins. La conclusion quant à la crédibilité tirée par la SAR n’a rien à voir avec ce fait. Elle a trait au fait que M. Mohamed n’a jamais révélé l’information lors de l’audience devant la SPR. De plus, jusqu’à ce que l’information soit dévoilée à l’audience devant la SAR, ni M. Mohamed ni son épouse n’ont mentionné leur lien en tant que cousins. J’estime qu’il était raisonnable que la SAR s’attende à ce que M. Mohamed, lorsque la question [traduction] « comment avez‑vous connu votre épouse? » lui a été posée, réponde, en partie du moins, qu’ils étaient cousins. J’estime aussi que la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la SAR est raisonnable. À ce sujet, la Cour doit faire preuve d’une grande déférence (Koech c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 752 au para 32).

[22] En deuxième lieu, la SAR a conclu que l’affidavit n’était pas crédible au regard de l’appartenance de M. Mohamed à un clan. M. Mohamed prétend que la SAR a omis de prendre en compte le fait que les clans majoritaires peuvent avoir des sous‑clans minoritaires. Il affirme que la conclusion de la SAR est déraisonnable étant donné qu’il a écrit dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA qu’il appartenait à un clan mineur. Ces arguments ne sont pas fondés. La conclusion de la SAR repose sur le fait que M. Mohamed a mentionné un nouveau sous‑clan pour la première fois dans son affidavit, tandis que l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, son témoignage de vive voix et ses documents justificatifs ne mentionnent aucunement ce sous‑clan. Il est bien établi que tous les faits et détails importants relatifs à une demande d’asile doivent figurer dans le formulaire FDA initial. Le fait qu’ils ne s’y trouvent pas peut affecter la crédibilité du demandeur d’asile (Occilus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 374 au para 20). Contrairement à ce que M. Mohamed prétend, le dévoilement d’une appartenance à un sous‑clan aurait été pertinent quand il s’agissait d’établir son identité en tant que Somalien. Étant donné que M. Mohamed a allégué un facteur de risques découlant de son appartenance à un clan, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il inscrive ce sous‑clan dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA. J’estime que la conclusion quant à la crédibilité tirée par la SAR était raisonnable. À la lumière de ces observations, la SAR n’était nullement obligée de tenir une audience.

[23] M. Mohamed soutient que la SAR a eu tort d’écarter ses documents d’identité selon que le nom « Kulmie » y figurait ou non. Il affirme que la SAR a adopté une approche occidentale en omettant de prendre en compte les traditions somaliennes concernant les noms. Bien que je sois porté à souscrire à l’opinion de M. Mohamed, la décision ne me revient pas. La SAR s’est appuyée sur les circonstances, les nuances dans l’usage et l’omission d’expliquer comme il se devait la différence entre les usages pour tirer sa conclusion défavorable.

[24] J’en arrive maintenant aux documents gouvernementaux et aux documents scolaires somaliens. Je suis convaincu que les préoccupations soulevées au sujet de ces documents sont suffisantes, en soi, pour rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Le fait de continuer à utiliser le nom [traduction] « République démocratique somalienne » dans les documents officiels, longtemps après que le pays a adopté le nom [traduction] « République fédérale somalienne » constitue une contradiction flagrante. Je ne peux pas dire que la SAR a eu tort de prendre en compte ce facteur. Il était raisonnablement loisible à la SAR de conclure que l’utilisation de timbres désuets jetait un doute sur l’authenticité de ces documents. (Vavilov, au para 86.) Quoi qu’il en soit, les documents contiennent aussi des lacunes graves, telles que des erreurs d’orthographe sur les timbres gouvernementaux. En dépit du fait que le demandeur invoque la décision Oranye pour soutenir que la présence d’erreurs d’orthographe dans un document ne suffit pas pour justifier une conclusion de fraude, cette affaire est différente de celle en l’espèce. Dans Oranye, la Cour avait des préoccupations quant à la façon dont la SAR avait traité des erreurs d’orthographe dans un affidavit. En l’espèce, la SAR a examiné des erreurs d’orthographe dans des timbres gouvernementaux apposés sur des documents prétendument officiels. Comme la Cour l’a affirmé dans la décision Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au paragraphe 37 :

Là encore, j’estime que la SAR s’est fondée raisonnablement sur ces aspects en tant qu’un des éléments de son appréciation des documents. La SAR a soulevé une préoccupation concernant un des affidavits, qui compte deux pages et dont chacune a une police de caractères différente. Je ne suis pas convaincu par la réponse de la famille Azenabor à ce sujet, qui s’est bornée à souligner que les timbres et les signatures sur chaque page étaient les mêmes, sans autre explication quant à la différence évidente dans la police de caractères entre les deux pages. En ce qui concerne les erreurs typographiques, j’estime qu’il y a une différence entre une erreur de rédaction dans le corps d’un document et des erreurs importantes dans les parties imprimées de ce qui est présenté comme une carte d’identité officielle d’une organisation. On pourrait, par exemple, établir une distinction entre une erreur typographique relevée dans un paragraphe de la présente décision et une faute dans l’appellation « Cour fédérale » figurant dans l’en‑tête de la Cour : Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 814 au para 31. Bien que l’une ou l’autre soit possible, la faute dans l’appellation pourrait raisonnablement soulever des préoccupations plus sérieuses quant à l’authenticité d’un document censé être une décision de la Cour. [Non souligné dans l’original.]

Vu la présence d’erreurs d’orthographe dans les timbres gouvernementaux apposés sur ces documents, et les autres contradictions relevées par la SAR, j’estime que celle‑ci a eu raison d’estimer que ces documents étaient frauduleux.

[25] De plus, M. Mohamed invoque la décision Oranye pour fonder son affirmation selon laquelle la SAR a conclu à tort que les documents scolaires étaient frauduleux. J’estime que cette observation n’est pas crédible. Ces documents prétendument officiels contiennent des erreurs d’orthographe inexcusables. Quel établissement d’enseignement écrit incorrectement les mots « Africa », « university » et « academic » [en anglais] dans les sections préimprimées de ses en‑têtes, ses timbres officiels et les titres des signataires? Le raisonnement de la Cour dans la décision Azenabor s’applique également en l’espèce. La SAR a raisonnablement, et correctement à mon avis, conclu que ces documents étaient frauduleux.

[26] M. Mohamed, essentiellement, demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qu’elle ne peut pas faire (Vavilov au para 125).

VII. Conclusion

[27] J’estime que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau consistant à établir que la décision de la SAR est déraisonnable. Prise dans son ensemble, la décision de la SAR est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Pour les motifs énoncés précédemment, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6104‑20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

« B. Richard Bell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


ANNEXE

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Définition de réfugiée

Convention Refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays; ni

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner. »

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes ‑ sauf celles infligées au mépris des normes internationales ‑ et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

Crédibilité :

Credibility

106 La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106 The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

Audience

Hearing

110(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile; et

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

110(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6104‑20

 

INTITULÉ :

DAHIR AHMED MOHAMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 décembre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 janvier 2022

 

COMPARUTIONS :

Tina Hlimi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alison Engel‑Yan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Tina Hlimi Law

Scarborough (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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