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Date : 20220218

Dossier : IMM-2268-21

Référence : 2022 CF 224

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 18 février 2022

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

EVALIMAMPO OBODORUKU

ONANEFE OMAGBEMI

ESE ASHLEY OMAGBEMI

ONOME FAVOUR OMAGBEMI

FLOURIST OMAGBEMI

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les cinq demanderesses, des citoyennes du Nigéria, sont membres d’une même famille : une mère et ses quatre filles. Elles ont présenté une demande de résidence permanente depuis le Canada dans laquelle elles sollicitent une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Elles ont présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue par un agent principal.

[2] Les demanderesses sont Mme Evalimampo Obodoruku et ses filles. Elles ont fui le Nigéria parce qu’elles craignaient la famille du père des enfants. Elles sont entrées au Canada en avril 2017 et ont demandé l’asile au titre de la LIPR. En septembre 2017, la Section de la protection des réfugiés a rejeté leur demande d’asile, et en octobre 2018, la Section d’appel des réfugiés a rejeté leur appel.

[3] En mars 2019, elles ont présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ainsi qu’une demande d’examen des risques avant renvoi.

[4] Dans une décision datée du 4 janvier 2021, l’agent a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par les demanderesses. À cette époque, Mme Obodoruku avait 48 ans et ses enfants avaient 15, 12, 10 et 5 ans. La famille comprend aussi un fils né au Canada.

[5] Dans la présente demande, les demanderesses soutiennent que la décision rendue par l’agent à l’égard de leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est déraisonnable, selon les principes établis dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov , 2019 CSC 65, et elles demandent à la Cour d’annuler la décision.

I. Les principes juridiques

[6] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de décider si la décision de l’agent était correcte sur le fond. Elle doit plutôt décider si la décision de l’agent était déraisonnable, comme l’a expliqué la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov.

[7] La cour de révision doit interpréter les motifs de l’agent de façon globale et contextuelle, et en corrélation avec le dossier de preuve et les observations dont disposait l’agent : Vavilov, aux para 91-96, 97 et 103; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 28-33. Le contrôle fait par la Cour s’intéresse à la fois au raisonnement suivi et au résultat : Vavilov, aux para 83 et 86. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles l’agent était assujetti : Vavilov, aux para 85, 99, 101, 105-106 et 194.

[8] Le paragraphe 25(1) de la LIPR accorde au ministre le pouvoir discrétionnaire de dispenser certains étrangers des exigences habituelles de la loi et de leur accorder le statut de résident permanent au Canada s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire le justifient. La disposition relative aux considérations d’ordre humanitaire vise à accorder une mesure à vocation équitable si des considérations d’ordre humanitaire le justifient. Les agents tiennent compte « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout[e] [personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la [LIPR] » : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 aux para 13, 21-22, 30-33 et 45.

[9] Selon l’interprétation qui a été faite du paragraphe 25(1), un agent doit évaluer les difficultés auxquelles le ou les demandeurs se heurteront lorsqu’ils quitteront le Canada. La jurisprudence d’appel dans laquelle a été interprété le paragraphe 25(1) a confirmé que les adjectifs « inhabituelles », « injustifiées » et « démesurées » décrivaient les difficultés susceptibles de justifier une dispense au titre de cette disposition. Ces adjectifs sont instructifs, mais non décisifs, ce qui permet au paragraphe 25(1) de répondre avec plus de souplesse aux objectifs d’équité qui le sous-tendent et d’assouplir la rigidité de la loi dans des cas spéciaux : Kanthasamy, aux para 33 et 45.

[10] Les considérations pertinentes doivent être soupesées cumulativement dans le cadre d’une évaluation globale pour décider si la dispense est justifiée dans les circonstances : Kanthasamy, aux para 27-28. Les agents qui rendent des décisions à l’égard de demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire doivent véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à leur connaissance et leur accorder du poids : Kanthasamy, aux para 25 et 33; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 74-75.

II. Analyse

[11] En l’espèce, l’agent a pris acte du fait que la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire reposait sur l’établissement des demanderesses au Canada, sur les difficultés auxquelles elles seraient exposées si elles devaient retourner au Nigéria en raison des conditions défavorables dans ce pays et sur l’intérêt supérieur des enfants.

[12] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demanderesses se sont concentrées sur l’analyse faite par l’agent de ces trois facteurs. J’aborderai ces facteurs un à un.

A. L’établissement

[13] Les demanderesses ont fait valoir que l’agent avait commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que [traduction] « peu de renseignements [avaient] été fournis concernant la profondeur et l’étendue de leurs relations au Canada ».

[14] Dans leurs observations écrites et à l’audience, les demanderesses ont soutenu que les lettres contenues dans le dossier dont disposait l’agent établissaient la profondeur et l’étendue des relations de Mme Obodoruku. Ces lettres avaient été rédigées par les amis que celle-ci s’était faits à l’église. Selon les observations des demanderesses, les lettres montraient que Mme Obodoruku passait presque tous les samedis avec eux et qu’ils la connaissaient bien.

[15] L’agent n’a pas mis en doute le contenu des lettres, mais il a décidé de n’accorder qu’un [traduction] « léger poids favorable » aux relations de Mme Obodoruku au Canada dans le cadre de son évaluation de l’établissement. À mon avis, il lui était loisible de tirer cette conclusion au vu du dossier. Il ne s’est pas fondamentalement mépris sur la preuve, et il n’a pas fait abstraction ni omis de tenir compte d’éléments de preuve cruciaux figurant au dossier : Vavilov, aux para 125-126. La Cour n’est pas autorisée à évaluer ou à soupeser à nouveau la preuve dans le cadre de la présente demande.

[16] De plus, je ne suis pas d’accord avec l’observation des demanderesses selon laquelle l’agent n’a présenté aucune analyse rationnelle qui, au vu de la preuve, permettrait raisonnablement d’étayer sa conclusion. Si les demanderesses ne sont pas d’accord avec l’analyse faite par l’agent et le poids accordé à la preuve, le raisonnement de celui-ci était intelligible et sa conclusion n’était pas indéfendable : Vavilov, aux para 101-102.

[17] M’appuyant sur les principes établis dans l’arrêt Vavilov, je conclus que les demanderesses n’ont pas démontré que l’évaluation de l’établissement faite par l’agent était déraisonnable.

B. Les inégalités et la violence fondées sur le sexe au Nigéria

[18] À l’appui de leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, les demanderesses ont fourni des éléments de preuve sur la situation des femmes au Nigéria. Elles ont fait valoir que, dans ce pays, les femmes et les filles sont victimes d’une grave discrimination ainsi que de violence fondée sur le sexe. À leur avis, en plus de subir les répercussions attribuables à leur sexe au Nigéria, elles y seraient personnellement ciblées.

[19] Devant la Cour, les demanderesses ont soutenu que l’agent avait commis une erreur susceptible de contrôle en n’appliquant pas le bon critère juridique, tel qu’il a été établi par la juge Gleason dans la décision Diabate c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 129.

[20] Dans cette décision, le demandeur sollicitait le contrôle judiciaire d’une décision relative à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agente avait relevé des problèmes en Côte d’Ivoire, d’où le demandeur était originaire. Ces problèmes touchaient l’ensemble de la population. L’agente a estimé que le demandeur n’avait pas montré en quoi sa situation différait de celle de l’ensemble de la population. La Cour a statué que l’énonciation, par l’agente, du critère applicable au titre du paragraphe 25(1) était fautive et déraisonnable et qu’en fait, elle allait à l’encontre de l’objet de la disposition : Diabate, aux para 32-33. La juge Gleason a déclaré qu’il était à la fois fautif et déraisonnable d’exiger du demandeur qu’il prouve que les circonstances qu’il devrait affronter n’étaient pas généralement celles que devait affronter la population dans son pays d’origine. Le cadre de l’analyse d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire doit plutôt être celui du demandeur lui-même, ce qui oblige l’agent à se demander si les difficultés entraînées par un départ du Canada et un renvoi dans le pays d’origine seraient inhabituelles, injustifiées ou démesurées. En appliquant cette norme à la situation du demandeur dans la décision Diabate, la juge Gleason a conclu que le demandeur pourrait fort bien être exposé à des difficultés inhabituelles s’il devait retourner en Côte d’Ivoire, un pays aux prises avec la violence, où le demandeur n’avait pas de proches parents et où il n’avait pas vécu depuis 26 ans. Elle a toutefois souligné qu’il fallait mettre ce facteur en balance avec les choix faits par le demandeur, choix qui impliquaient une désobéissance à la loi et qui ont eu pour effet de prolonger son absence de la Côte d’Ivoire : Diabate, aux para 36-37.

[21] Dans le cadre de la présente demande, le défendeur a soutenu que l’agent n’avait pas commis d’erreur susceptible de contrôle et que les demanderesses demandaient à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. Selon lui, l’agent n’a pas exigé des demanderesses qu’elles prouvent qu’elles seraient personnellement ciblées en raison de leur sexe. Il a plutôt conclu que, compte tenu de leur profil, elles ne seraient probablement exposées qu’à des difficultés mineures en raison de leur sexe. Le défendeur a fait observer que l’agent avait tenu compte de la brillante carrière de Mme Obodoruku et que les demandes d’asile des demanderesses avaient été rejetées en partie au motif que leurs allégations selon lesquelles elles risquaient d’être victimes de violence fondée sur le sexe de la part des membres de leur famille élargie n’étaient pas crédibles.

[22] Renvoyant au paragraphe 16 de la décision Arsu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 617, le défendeur a aussi soutenu que l’agent était autorisé à évaluer :

[...] la relation entre les circonstances particulières d’un demandeur et la preuve de la situation générale dans le pays, en ce qui a trait au degré de risque ou à l’étendue du préjudice qu’il pourrait subir. En d’autres termes, si la preuve de la situation dans le pays d’origine fait état d’un éventail de risques ou de difficultés auxquels peuvent être confrontés les ressortissants qui y retournent, il est approprié qu’un agent évalue où se situe le demandeur CH sur cet éventail afin de mener « [l’]analyse sérieuse et individualisée » qui est requise : Kanthasamy, au paragraphe 56, citant Aboubacar c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 714, au paragraphe 12.

Voir aussi Demetrio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1139 au para 29; Meniuk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1374 au para 40.

[23] En réponse à cette observation, les demanderesses ont fait valoir que, même s’il y avait eu [traduction] « très peu » de changements au Nigéria depuis leur départ, comme l’avait conclu l’agent, leur situation personnelle avait changé : les filles étaient plus âgées et elles s’apprêtaient à entrer sur le marché du travail, où elles seraient victimes de discrimination, et leur père n’était plus là pour les protéger.

[24] À mon avis, l’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en l’espèce. Au vu de ses motifs, je ne crois pas qu’il ait commis l’erreur en cause dans la décision Diabate. À mon avis, il a procédé au type d’évaluation considéré par le juge McHaffie dans la décision Arsu.

[25] Dans ses motifs, l’agent a pris acte du fait que Mme Obodoruku possédait une boutique de vêtements à Lagos avant de quitter le Nigéria. Avant cela, elle avait été propriétaire d’un salon de coiffure de 2009 à 2014. En 2018, alors qu’elle se trouvait au Canada, elle a ouvert une autre boutique de vêtements appelée New Looks, spécialisée dans les produits de beauté et les accessoires. L’agent a conclu qu’étant donné le profil particulier des demanderesses et leur expérience des affaires, l’écart de salaire entre les hommes et les femmes et le caractère informel du marché du travail au Nigéria n’auraient probablement pas d’effet nuisible sur elles. Il a déclaré que les demanderesses devaient établir un lien entre les conditions générales au Nigéria et leur situation personnelle. Il a conclu que les questions concernant le mariage forcé et le risque de préjudice de la part des membres de la famille du père avaient été abordées dans la décision de la Section de la protection des réfugiés et que Mme Obodoruku ne courrait plus le risque de subir un rituel parce qu’elle n’avait donné naissance qu’à des filles puisqu’elle avait aussi donné naissance à un garçon.

[26] L’agent a convenu que la violence et les mauvais traitements fondés sur le sexe étaient répandus au Nigéria et il a reconnu que les demanderesses étaient toutes des femmes. Il s’est dit [traduction] « conscient que les femmes ne vivent pas toutes la même expérience » et il a mentionné que [traduction] « les difficultés fondées sur le sexe [étaient] influencées par des facteurs tels que la situation socio-économique, le lieu et la race ou l’origine ethnique, pour n’en nommer que quelques-uns ». Il a convenu que la violence fondée sur le sexe était plus courante au Nigéria qu’au Canada et que Mme Obodoruku ou ses filles pourraient être victimes de discrimination ou de violence fondées sur le sexe. Il a ajouté être [traduction] « conscient que la crainte d’être victime [était] susceptible de causer une certaine souffrance morale au sein de la famille ». Il a néanmoins conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements à l’appui de l’affirmation selon laquelle les demanderesses seraient plus susceptibles d’être ciblées que les autres femmes dans la région où elles retourneraient au Nigéria. Malgré ce qu’indiquait la preuve sur les conditions dans le pays, Mme Obodoruku avait sa propre entreprise et elle travaillait. Elle n’a pas mentionné qu’elle était auparavant limitée dans sa capacité à obtenir un emploi stable ou à mener une belle carrière en raison de son sexe. Compte tenu de l’absence de changement dans les conditions au Nigéria depuis le départ des demanderesses, l’agent a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, elles ne seraient exposées [traduction] « qu’à des difficultés mineures en raison de leur sexe ».

[27] Se fondant sur la décision Diabate, les demanderesses ont contesté la déclaration de l’agent selon laquelle il n’y avait [traduction] « pas suffisamment de renseignements à l’appui de l’affirmation selon laquelle [elles] seraient plus susceptibles d’être ciblées que les autres femmes dans la région où elles retourneraient » au Nigéria. Dans le contexte du raisonnement global de l’agent sur cette question, je conclus que celui-ci a tenu compte des difficultés auxquelles seraient exposées les demanderesses si elles devaient retourner au Nigéria, en se fondant sur la preuve dont il disposait, notamment la preuve concernant le succès en affaires que Mme Obodoruku avait déjà connu dans ce pays. En substance, l’évaluation faite par l’agent s’apparente davantage à une évaluation individualisée des difficultés que pourraient subir les demanderesses si elles devaient retourner au Nigéria : Arsu, aux para 16-17. Je ne crois pas que l’agent ait élevé la norme juridique à laquelle devaient satisfaire les demanderesses, ni qu’il ait écarté ou minimisé les difficultés qu’elles pourraient subir parce que d’autres femmes se trouvent aussi dans la même situation. Bien que l’agent n’ait pas accordé le même poids à l’exposition des demanderesses aux conditions défavorables dans le pays que ne l’avait fait l’agent dans l’affaire Arsu, c’est à l’agent qu’il revient d’apprécier la preuve.

[28] De plus, je souligne que l’analyse de l’agent, exposée dans les motifs, n’est pas tenue d’être parfaite : Vavilov, aux para 91 et 104; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 aux para 39-40. À mon avis, dans ses motifs, l’agent n’a pas commis d’erreur de droit et il n’a pas omis d’apprécier les éléments de preuve versés au dossier qui étaient importants ou essentiels au raisonnement au point de le rendre déraisonnable : Vavilov, aux para 101 et 125-126; Mason, aux para 35-36.

C. L’intérêt supérieur des enfants

[29] Les demanderesses ont soutenu que l’agent ne s’était pas montré réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants directement touchées par la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, comme il est exigé dans l’arrêt Kanthasamy (aux para 38-39). Elles ont insisté sur la preuve relative aux conditions défavorables au Nigéria, qui indiquait que [traduction] « la violence fondée sur le sexe exercée contre les femmes et les filles, y compris la violence familiale, demeure répandue ». Elles ont souligné la preuve concernant l’exploitation sexuelle et l’exploitation de la main-d’œuvre chez les femmes et les filles, ainsi que la discrimination et les importantes inégalités entre les sexes à l’égard desquelles le gouvernement nigérian n’a rien fait. Elles ont fait valoir que l’agent avait rejeté le lien évident existant entre la situation des femmes et des filles au Nigéria et le fait qu’elles étaient toutes des femmes, ou qu’il n’en avait pas tenu compte. Elles ont aussi fait valoir que le seul scénario qui servait l’intérêt supérieur des enfants était de rester au Canada et de ne pas retourner dans un pays où elles seraient exposées à la discrimination et à la violence.

[30] Je comprends les préoccupations des demanderesses concernant le traitement réservé aux femmes et aux filles au Nigéria, comme en témoigne la preuve sur les conditions dans le pays. Comme je l’ai déjà souligné, le rôle de la Cour n’est pas d’approuver ou de rejeter les observations des demanderesses sur ce qui est dans l’intérêt supérieur des enfants (ou sur la question de savoir si elles devraient rester au Canada ou retourner au Nigéria). Dans le cadre de la présente demande, la Cour a pour tâche de décider si la décision de l’agent était déraisonnable, en appliquant les normes établies dans l’arrêt Vavilov et dans les autres jugements d’appel déjà cités.

[31] Je conviens avec les demanderesses qu’il y a un passage dans les motifs de l’agent qui, pris séparément, pourrait être interprété comme laissant entendre qu’elles n’ont pas établi de lien entre la preuve sur les conditions générales dans le pays et leur situation personnelle. Cependant, comme il a été expliqué précédemment, l’agent avait déjà expressément reconnu dans ses motifs que la violence et les mauvais traitements fondés sur le sexe étaient répandus au Nigéria et que Mme Obodoruku et ses filles étaient toutes des femmes. Par conséquent, je ne puis conclure que l’agent a rejeté le lien existant entre la situation des demanderesses et la preuve qu’elles ont produite sur les conditions dans le pays puisque celle-ci traite des difficultés subies par les femmes et les filles au Nigéria.

[32] Dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a tenu compte de l’intérêt des demanderesses mineures, y compris de leur établissement au Canada et du contenu du rapport d’un psychothérapeute (aucun de ces éléments n’étant contesté dans la présente demande). En ce qui concerne les conditions au Nigéria, il a reconnu que Mme Obodoruku s’inquiétait pour la sécurité de ses enfants et que, de façon générale, les conditions étaient défavorables pour certains habitants de ce pays. Il a souligné que la maltraitance des enfants était répandue et que les mariages et les enlèvements d’enfants étaient un fléau dans certaines régions. Il a conclu que peu d’éléments de preuve donnaient à penser que Mme Obodoruku et les membres de sa famille avaient souffert de pauvreté ou de maladie ou avaient été victimes d’inégalités ou d’actes criminels fondés sur le sexe. En outre, peu d’éléments de preuve donnaient à penser qu’elles n’avaient pas eu de bonnes expériences en matière d’éducation et de services de santé. L’agent s’est penché sur la preuve concernant la mutilation génitale féminine et il a constaté que les deux parents des enfants s’opposaient à cette pratique. Il a conclu que les demanderesses n’avaient pas démontré en quoi les demanderesses mineures seraient exposées au risque de subir une mutilation génitale féminine. Dans l’ensemble, en ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que le rejet de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire aurait des conséquences néfastes sur les enfants.

[33] Compte tenu du raisonnement de l’agent dans son ensemble, et plus particulièrement en ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, les demanderesses n’ont pas établi que l’agent avait commis une erreur susceptible de contrôle en faisant abstraction des éléments de preuve sur les conditions dans le pays ou que la seule conclusion qu’il était loisible à l’agent de tirer était que les enfants devaient rester au Canada. Le raisonnement de l’agent était transparent et intelligible, et la justification de sa conclusion quant à la question de l’intérêt supérieur des enfants était adéquatement étayée. Il était loisible à l’agent de tirer la conclusion qu’il a tirée relativement à cette question compte tenu du dossier.

[34] Pour ces motifs, je conclus que la décision de l’agent à l’égard de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire était raisonnable selon les principes établis dans l’arrêt Vavilov.

III. Conclusion

[35] La demande est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune ne sera énoncée.

JUGEMENT dans le dossier IMM-2268-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Blanc

« Andrew D. Little »

Blanc

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2268-21

 

INTITULÉ :

EVALIMAMPO OBODORUKU, ONANEFE OMAGBEMI, ESE ASHLEY OMAGBEMI, ONOME FAVOUR OMAGBEMI, FLOURIST OMAGBEMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JANVIER 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Hart Kaminker

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Leila Jawanko

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hart Kaminker

Kaminker & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Leila Jawanko

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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