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Date : 20220209


Dossier : IMM-4417-20

Référence : 2022 CF 168

Ottawa (Ontario), le 9 février 2022

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

MARIANA AVRAM

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Demanderesse, Mme Mariana Avram, demande le contrôle judiciaire du refus d’un agent d’immigration de lui accorder un permis de travail. De plus, elle a été interdite de territoire en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LIPR ou la Loi], LC 2001, ch. 27, pour fausse déclaration, ce qui entraîne que l’interdiction du territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort.

[2] La demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu de l’article 72 de la LIPR. À la fin de l’audience le 2 février dernier, la Cour a annoncé que la demande de contrôle judiciaire était rejetée, avec motifs écrits à suivre. Le présent jugement constitue ces motifs.

I. Les faits

[3] La Demanderesse est une citoyenne de Moldavie. En mars 2020, elle a présenté une demande de permis de travail pour venir occuper un emploi de couturière au Canada pour une période de 18 mois. L’étude sur l’impact sur le marché du travail avait été positive et un contrat d’emploi avait été conclu.

[4] Mme Avram est mariée depuis plus de 20 ans; son mari et elle sont les parents de deux enfants nés en 2008 et 2000. Toute la famille devait venir au Canada, mais c’est la situation de la Demanderesse qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire suite au refus d’émettre le permis de travail recherché.

[5] En mars 2020, Mme Avram faisait sa demande de permis de travail auprès de l’Ambassade de la Roumanie. Le processus était enclenché; ainsi, à la fin de mars, on demandait à Mme Avram de prouver sa capacité linguistique en français (l’emploi était au Québec). Cependant, une lettre dite « d’équité procédurale » était envoyée à la Demanderesse. On y indiquait ce qui suit :

Plus précisément, je suis préoccupé par le fait que vous n’ayez pas répondu sincèrement à la question suivante : « Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? »

Dans votre demande de permis de travail, vous avez répondu « Non » à la question mentionnée ci-dessus. Cependant, vous avez déjà été refusés des [sic] visas de résident temporaire au Canada.

Veuillez noter que s’il est conclu que vous avez fait une fausse déclaration en présentant votre demande de permis de travail, vous pourriez être jugée interdite de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

Il appert que la préoccupation de l’agent des visas s’est avérée. Mme Avram a fait deux demandes de visa de visiteur pour le Canada en 2013, et toutes deux ont été refusées.

[6] La lettre d’explication, en réponse à la lettre d’équité procédurale avisant que des refus de visas temporaires avaient été prononcés, venait le 8 juillet; elle aurait été rédigée par la Demanderesse et un consultant en immigration utilisé pour l’aider dans ses démarches. Les notes de l’agent d’immigration consignées au système mondial de gestion des cas (SMGC) révèlent que la lettre n’était pas signée. L’explication donnée était que l’omission était le résultat d’une mauvaise compréhension de la question posée, croyant que la question était plutôt relative à des refus de visas au cours des cinq dernières années. L’agent commentait dans ses notes ne pas croire l’explication puisqu’on ne trouvait nulle part au questionnaire une indication que l’information requise pouvait se limiter aux cinq dernières années. Pour l’agent, la non-divulgation était délibérée.

[7] La Demanderesse a bien tenté de faire en sorte que la décision soit reconsidérée. La lettre de décision est datée du 22 juillet 2020 (l’époux et les enfants de la Demanderesse ont reçu des lettres de refus le 27 juillet 2020). Il n’y eut aucune reconsidération. La décision précise bien l’interdit de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi qui se lit ainsi :

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

On aura compris que la réponse fausse au questionnaire est le fondement de l’interdit pour fausse déclaration. La lettre avise aussi la Demanderesse que l’interdit de territoire est pour cinq ans comme il est prévu au paragraphe 40(2) de la Loi.

II. La norme de contrôle

[8] La norme de contrôle proposée par la Demanderesse est celle de la décision correcte parce que, dit-elle, il s’agit en l’espèce d’une question de juridiction et d’interprétation de disposition de la LIPR. Ce n’est pas le cas. D’abord, il n’y a ici aucune question de juridiction ou d’interprétation législative. Personne ne conteste que les textes sont sans ambiguïté. Il ne s’agit que de l’application de la Loi aux faits de l’espèce. Et, de façon plus importante, la Cour suprême du Canada, dans Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], affirme la présomption de la norme de la décision raisonnable lorsqu’il s’agit de l’interprétation de la loi habilitante par le décideur administratif (para 25). Aucune tentative de réfuter la présomption n’a même été tentée par la Demanderesse (Vavilov, para 17). De fait, cela aurait été futile dans le contexte d’une demande de révision d’un refus d’émettre un visa, tellement la jurisprudence est bien fixée. (Ibe-Ani c Canada (Immigration, réfugiés et citoyenneté) [Ibe-Ani], 2020 CF 1112).

[9] C’est donc le fardeau de la Demanderesse que d’établir le caractère déraisonnable de la décision de l’agent d’immigration (Vavilov, para 100) alors même que la cour de révision ne doit intervenir que lorsque « cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov, para 13). C’est ainsi que la cour de révision fait preuve de retenue judiciaire et adopte une attitude de respect à l’égard du décideur administratif à qui le Parlement a confié la tâche de décider des mérites de ces questions. C’est ainsi que la cour de révision ne se penche pas directement sur le mérite, mais examine plutôt la légalité de la décision sous étude en en contrôlant la raisonnabilité.

[10] Il en résulte que la cour de révision cherche à voir si la décision administrative a les caractéristiques de la décision raisonnable, « soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, para 99). Seulement des lacunes graves peuvent convaincre une cour de révision. Deux grandes catégories de lacunes fondamentales ont été identifiées par la Cour dans Vavilov : un manque de logique interne au raisonnement qui ferait en sorte que le raisonnement est intrinsèquement incohérent et une décision qui serait indéfendable. C’est donc à cela que la Demanderesse est conviée pour espérer avoir gain de cause.

III. La position de la Demanderesse

[11] La Demanderesse avance que son erreur en était une involontaire. Elle aurait compris, selon son mémoire des faits et du droit, qu’alors qu’elle devait répondre au sujet de refus dans les dix dernières années, elle aurait plutôt compris que ce devrait être dans les cinq dernières années (para 20). Or, on comprend mal comment on aurait pu mal comprendre quel était le délai, dix ans ou cinq ans, alors même que le questionnaire ne comporte aucun tel délai, que ce soit dix ans ou cinq ans. Ainsi, la confusion entre cinq et dix ans apparaît inexplicable en l’absence au formulaire de ces deux délais. Comment la Demanderesse aurait-elle pu croire en la présence de deux délais alors qu’aucun ne se trouve au formulaire?

[12] L’autre argument mis de l’avant est que la fausse déclaration n’est pas importante puisque l’agent d’immigration avait à sa disposition l’information nécessaire et ne pouvait être trompé par la fausse déclaration.

IV. Analyse

[13] Le Défendeur a noté que l’article 16 de la Loi prévoit spécifiquement que l’auteur d’une demande en vertu de la Loi a l’obligation de répondre véridiquement et de donner les renseignements et éléments de preuve pertinents. Cette obligation n’a pas été respectée. De fait, il n’est pas contesté que l’information donnée en réponse à la question sur des refus de visas dans le passé est incorrecte.

[14] La Demanderesse trouvait appui sur la décision Koo c Canada (Citoyenneté et Immigration) [Koo], 2008 CF 931; [2009] 3 RCF 446. Dans cette affaire, le demandeur avait changé de nom; cependant, les deux noms se trouvaient aux différents documents soumis en appui à la demande de visa de résidence permanente (Koo, para 25). De fait, certains de ceux-ci avaient été fournis lors de l’entrevue qui avait eu lieu et faisaient partie du dossier pour l’obtention du visa. Comme le note la Cour dans Koo, « (i)l est bien reconnu en droit que l’agent est tenu de tenir compte de l’ensemble des renseignements qui lui sont soumis » (para 23). Ainsi, le dossier qu’avait l’agente d’immigration contenait les deux noms. La Cour a conclu à erreur par inadvertance. Ce n’est pas le cas en notre espèce où l’information sur les refus antérieurs n’était pas partie du dossier.

[15] Ce n’aura pas été le cas dans une décision récente de Ibe-Ani. Dans cette affaire, c’est un refus d’émettre un permis d’étude qui était en cause. On reprochait au demandeur d’avoir omis de révéler qu’un visa américain avait été révoqué, ce qui n’avait pas été dévoilé. Celui-ci réclamait qu’il s’agissait d’une déclaration inexacte faite de bonne foi : il ne savait pas que le visa américain avait été révoqué.

[16] La question à laquelle M. Ibe-Ani avait répondu faussement était la même qu’en notre espèce. Il avait répondu par l’affirmative au sujet de permis d’étude canadiens qui lui avaient été refusés, mais il n’a pas divulgué la révocation d’un visa américain. M. Abe-Ani a fourni des explications qui n’ont pas été crues.

[17] Pour notre Cour, un principe prépondérant de la Loi est l’exigence de franchise (Sidhu c Canada (Citoyenneté et immigration), 2019 CAF 169, para 17). Il faudra donc des circonstances exceptionnelles ou extraordinaires pour que l’exception relative aux déclarations erronées faites de bonne foi puisse trouver application. Une interprétation restrictive est appropriée, et seulement dans des circonstances limitées pourra-t-on prétendre à inadvertance de bonne foi; on parle alors d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté. Encore là, ce n’est pas notre cas d’espèce. Dans Ibe-Ani, la Cour a conclu qu’« (i)l n’est tout simplement pas plausible que le demandeur n’ait pas su que son visa américain avait été révoqué, ou qu’il était tenu de confirmer son statut avant de présenter sa demande de permis d’études au Canada » (para 28).

[18] Ici, la Demanderesse avait le fardeau de démontrer que la décision de l’agent d’immigration était déraisonnable; pour une question aussi cruciale que de demander si la personne s’est vu refuser un visa dans le passé, Mme Avram disait croire honnêtement que la question était limitée aux cinq dernières années. Elle n’a pas été crue. La cour de révision, qui doit déférence au décideur administratif, ne peut conclure que la Demanderesse a démontré le caractère déraisonnable de la décision. C’était là son fardeau dont elle ne s’est pas déchargée. Il n’y a aucune forme d’ambiguïté dans la question posée, ou dans le reste du questionnaire qui donne à penser qu’il y ait quelque forme de délai limite au sujet des renseignements requis. Il en résulte que l’agent d’immigration n’a pas agi de façon déraisonnable en concluant que l’omission de répondre correctement à la question posée n’était pas par mégarde ou inadvertance. Quelqu’un qui demande un visa aura un intérêt à ne pas dévoiler qu’à deux reprises un visa demandé aura été refusé. En la matière, un demandeur ne doit pas tenter de convaincre la cour de révision d’une erreur innocente. Tel n’est pas son rôle. Il est plutôt de voir si face à l’information présentée en réponse à la lettre d’équité procédurale, les conclusions tirées par l’agent d’immigration sur les fausses représentations sont déraisonnables. À mon avis la preuve est clairement insuffisante pour en venir à une telle conclusion.

[19] La Demanderesse a aussi prétendu que s’il y avait eu une déclaration fausse, celle-ci n’était pas importante puisque l’agent d’immigration avait accès à l’information pour en faire la vérification. Aucune autorité n’a été offerte par la Demanderesse en soutien d’une telle proposition.

[20] Il me semble que la proposition participe du sophisme. La Loi prévoit expressément à son article 16 une obligation de répondre véridiquement aux questions posées. Le fait important dont parle l’article 40 de la Loi (en anglais « material facts ») est relatif à l’objet de cet article. Il s’agira de faits qui se rapportent à l’adjudication qui doit avoir lieu pour déterminer s’il y a fausse déclaration au sens de l’article. De plus, ce fait est « important » s’il risque d’entrainer une erreur dans l’application de la loi.

[21] Il me semble indéniable que les refus de visas qui ne sont pas dévoilés risquent d’entraîner une erreur dans l’application de la loi. Il ne suffit que de penser aux cas, non infréquents, où le refus d’accorder un visa était par crainte que la porteur de visa ne retourne pas dans son pays d’origine à l’expiration de la permission de venir au Canada.

[22] Alors que la LIPR précise l’obligation de candeur, l’exigence de franchise qui est un principe prépondérant de la Loi, la Demanderesse rétorque que cela ne s’applique pas parce que l’agent d’immigration peut enquêter et découvrir que la réponse donnée à une question importante pourra être contredite grâce à cette enquête. En quelque sorte l’exigence de franchise a pour ainsi dire été oblitérée parce que l’agent pourrait trouver l’information ailleurs que dans le dossier qui lui est présenté par un demandeur de visa.

[23] À mon avis, on ne saurait chercher à court-circuiter l’obligation statutaire de répondre véridiquement, à l’article 16, en prétendant qu’en cherchant en dehors du dossier devant elle/lui, l’agent pourrait trouver sa réponse à sa question sur l’émission, ou non, de visas canadiens. L’obligation de donner des réponses véridiques est sans équivoque. Le fardeau doit être sur qui veut venir au Canada (article 11 de la LIPR) d’obtenir les documents et information nécessaires, et non pas de renverser le fardeau sur l’agent d’immigration.

V. Conclusion

[24] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[25] Les parties ont à bon droit déclaré ne pas avoir de question grave de portée générale. Aucune question n’est certifiée.

 


JUGEMENT au dossier IMM-4417-20

LA COUR STATUE:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-4417-20

INTITULÉ :

MARIANA AVRAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 2 février 2022

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 9 février 2022

COMPARUTIONS :

Ion Ciobanu

Pour la partie demanderesse

 

Chantal Chatmajian

Pour le partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Montréal (Québec)

Pour la partie demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour la partie défenderesse

 

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