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Date : 20220222


Dossier : IMM-3770-21

Référence : 2022 CF 244

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 février 2022

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

IBITISAM FARAJ JIRJEES JIRJEES

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Ibitisam Faraj Jirjees Jirjees [Mme Jirjees], sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 1er avril 2021 par un agent de migration [l’agent] à l’ambassade du Canada à Beyrouth, au Liban. L’agent a rejeté sa demande de résidence permanente présentée en tant que membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil, au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] et des articles 139, 145 et 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]. L’agent a également rejeté la demande du fils de 22 ans de la demanderesse, Yousif, qui n’est pas partie à la présente demande de contrôle judiciaire.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les motifs de l’agent révèlent qu’il s’est demandé si Mme Jirjees et Yousif étaient des réfugiés au sens de la Convention et s’ils appartenaient à la catégorie de personnes de pays d’accueil. La décision de l’agent est raisonnable, car elle est justifiée, transparente et intelligible; l’agent a tenu compte de tous les éléments de preuve, a examiné les témoignages de Mme Jirjees et de Yousif afin de bien comprendre leur demande, a donné à Mme Jirjees et à Yousif l’occasion de dissiper les doutes qu’il avait exprimés quant à la crédibilité de leur version des faits et a appliqué le droit aux faits.

I. Le contexte

[3] Mme Jirjees et son fils, Yousif, sont des citoyens de l’Iraq. Ils ont quitté l’Iraq et se sont installés au Liban en juin 2019.

[4] À la suite de l’approbation d’une demande de parrainage pour venir au Canada, ils ont présenté une demande de résidence permanente en tant que membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

[5] Dans leur demande de résidence permanente, Mme Jirjees a déclaré qu’ils fuyaient [traduction] « l’oppression, l’injustice et les menaces quotidiennes » à leur vie. Elle a déclaré que Yousif et elle ne pouvaient pas retourner en Iraq, car on leur ferait du mal et on les tuerait probablement du fait qu’ils sont chrétiens, un groupe minoritaire en Iraq, et parce qu’ils ont [traduction] « tout perdu ».

[6] Mme Jirjees et Yousif ont été interrogées par un agent de migration le 1er avril 2021. Les notes de l’agent de migration sont inscrites dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC].

[7] L’agent s’est informé sur les raisons pour lesquelles ils ont quitté l’Iraq en 2019. Mme Jirjees a répondu qu’ils étaient partis parce qu’ils craignaient pour la sécurité de Yousif, dont un camarade de classe avait été kidnappé et tué en 2017. L’agent a demandé plus de détails sur cet incident. Yousif a très peu parlé, mais lorsqu’on lui a posé la question directement, il a d’abord répondu qu’il ne connaissait pas les personnes qui avaient tué son camarade ni leurs motifs.

[8] Yousif a également répondu qu’il craignait pour sa propre vie parce qu’il avait aussi été menacé par les mêmes personnes, mais n’a pas fourni de détails sur les menaces en question. Yousif a indiqué qu’il serait ciblé du fait de sa religion, car il était le seul chrétien de sa classe.

[9] L’agent a examiné la réponse de Yousif et a déclaré ce qui suit : [traduction] « J’ai des doutes quant à la crédibilité de votre histoire; il est musulman et vous êtes chrétien. Vous avez dit que les personnes qui avaient kidnappé votre camarade ont également menacé de vous kidnapper en raison de votre religion, mais votre camarade était musulman. »

[10] L’agent a cherché à savoir pourquoi Mme Jirjees avait quitté l’Iraq. Mme Jirjees a répondu que la situation y était très mauvaise, soulignant notamment l’instabilité, les enlèvements et les meurtres, ainsi que le fait qu’elle était veuve et qu’elle avait peur pour Yousif.

[11] L’agent a également cherché à savoir pourquoi Mme Jirjees et Yousif avaient attendu deux ans après l’assassinat de l’ami de Yousif avant de quitter l’Iraq et pourquoi ils étaient retournés en Iraq après avoir rendu visite à l’une des filles de Mme Jirjees au Liban en 2017, soulignant que cette visite avait eu lieu juste après l’assassinat de l’ami de Yousif. Mme Jirjees a répondu qu’ils devaient prendre des dispositions et récupérer leurs effets personnels, et que, comme ils n’avaient pas les moyens financiers de partir définitivement, ils ont [traduction] « juste attendu que [son] frère envoie de l’argent pour pouvoir partir ». Elle a également expliqué que l’une de ses filles était restée en Iraq parce que son mari ne voulait pas partir.

II. La décision contestée

[12] Dans une lettre datée du 1er avril 2021, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente, jugeant que Mme Jirjees et Yousif ne respectaient pas les critères d’admissibilité à remplir pour appartenir à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou à la catégorie de personnes de pays d’accueil

[13] La lettre énonçait les dispositions applicables de la LIPR et du RIPR concernant les deux catégories et indiquait que l’agent n’était pas convaincu que Mme Jirjees et son fils respectaient les exigences. L’agent a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Vous avez déclaré que vous craigniez de retourner en Iraq parce que l’ami de votre fils Yousif a été kidnappé et tué. Toutefois, lorsqu’on vous a demandé des détails sur l’incident, Yousif et vous n’avez pas été en mesure d’en donner. Lorsqu’on vous a demandé pourquoi, après cet incident, vous n’en avez pas profité pour fuir l’Iraq lors de votre voyage à l’étranger en 2017 pour rendre visite à votre fille, vous avez répondu que vous deviez prendre des dispositions et que vous ne pourriez venir au Liban qu’une fois que votre frère vous aurait offert une aide financière pour vous soutenir au Liban et vous parrainer au Canada, ce qui a été fait en 2019. Par conséquent, je crains que vous ne remplissiez pas les exigences de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil, car vous n’avez pas pu donner de détails concernant vos allégations, et il semble que vous ayez voyagé à l’extérieur de votre pays dans le but principal de présenter une demande d’immigration au Canada.

[14] Les notes du SMGC qui, avec la lettre, constituent les motifs de la décision, énoncent les principaux éléments de la version des faits donnée par Mme Jirjees et Yousif pour expliquer pourquoi ils ont quitté l’Iraq ainsi que les circonstances qui ont mené à leur arrivée au Liban, tel qu’il a été décrit précédemment. Elles reflètent également les doutes de l’agent, que celui-ci a clairement communiqués à Mme Jirjees et à Yousif lors de l’entrevue, particulièrement en ce qui concerne le manque de détails quant à l’enlèvement de l’ami de Yousif, les menaces envers Yousif et les raisons données pour ne pas avoir quitté l’Iraq avant 2019.

[15] Les notes du SMGC indiquent que l’agent a expliqué à Mme Jirjees et à Yousif qu’il n’était pas convaincu qu’ils avaient fui en raison d’une crainte réelle d’être persécutés ou de subir un préjudice grave. Elles indiquent également que l’agent a expliqué la définition de réfugié au sens de la Convention outre-frontières et de personne de pays d’accueil. L’agent a expliqué à Mme Jirjees et à Yousif ce qui suit : [traduction] « Je comprends que la situation des chrétiens en Iraq est généralement difficile, mais vous devez me montrer que vous craignez personnellement d’être persécutés ou que la guerre et les conflits ont des conséquences personnelles pour vous. » L’agent a récapitulé la version des faits de Mme Jirjees et de Yousif et a résumé ses réserves à l’égard de leur récit. Mme Jirjees et Yousif ont réitéré les réponses qu’ils avaient données précédemment.

[16] L’agent a conclu ainsi :

[traduction]
D’après leur témoignage, je ne suis pas convaincu que les demandeurs craignent d’être persécutés, ou que la guerre, les conflits et une violation des droits de la personne ont des conséquences personnelles pour eux, ni qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas quitter le pays dont ils ont la nationalité du fait de cette crainte. J’ai fait part de mes réserves aux demandeurs, et la demanderesse principale a répondu qu’elle ne craignait pas d’être persécutée et qu’elle avait pris toutes ces mesures pour son fils. Lorsque j’ai demandé à Yousif de répondre à mes réserves, il m’a expliqué qu’il avait peur sur tous les plans, notamment sur le plan de la sécurité et de l’argent. Je comprends que les contraintes financières peuvent être difficiles, mais je ne suis pas convaincu qu’elles l’emporteraient sur une crainte de persécution ou de préjudice grave et personnel.

III. La question en litige et la norme de contrôle applicable

[17] La seule question soulevée par Mme Jirjees est l’erreur que l’agent aurait commise en n’évaluant pas s’ils respectaient les critères de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

[18] Nul ne conteste que la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’immigration statuant sur une demande de résidence permanente est celle de la décision raisonnable : Housou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 964 au para 13; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17 [Vavilov]).

[19] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a fourni des indications détaillées à l’intention des cours de révision, notamment de commencer par examiner les motifs de la décision avec une attention respectueuse et de chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à une conclusion. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para 85, 102, 105-110).

IV. Les dispositions législatives applicables

[20] La résidence permanente sera accordée à un étranger qui a besoin de protection s’il peut prouver qu’il appartient à l’une des catégories prévues, y compris la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et la catégorie de personnes de pays d’accueil.

[21] Le RIPR énonce les exigences applicables à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et à la catégorie de personnes de pays d’accueil :

145 Est un réfugié au sens de la Convention outre-frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

145 A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the Convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an officer to be a Convention refugee.

[22] L’article 96 de la LIPR définit un réfugié au sens de la Convention de la façon suivante :

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

[23] L’article 147 du RIPR énonce les critères applicables à la catégorie de personnes de pays d’accueil :

147 Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

147 A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.

V. La décision est raisonnable et l’agent n’a pas omis d’examiner l’appartenance à la catégorie de personnes de pays d’accueil

[24] Mme Jirjees soutient que, bien que la lettre de décision et les notes du SMGC mentionnent la catégorie de personnes de pays d’accueil, l’agent s’est concentré exclusivement sur la question de savoir si Yousif et elle répondaient aux critères de la définition de réfugié au sens de la Convention. Elle fait valoir que l’interrogatoire de l’agent n’a porté que sur la définition de réfugié au sens de la Convention, et particulièrement sur leur [traduction] « crainte d’être persécutés ou de subir un préjudice grave ». Mme Jirjees évoque la décision Saifee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 589 [Saifee], dans laquelle la Cour a souligné que les membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil n’ont pas à remplir les conditions de la définition de réfugié au sens de la Convention. Elle affirme qu’elle a expliqué sa crainte de l’instabilité, des meurtres et des enlèvements en Iraq et celle d’être persécutée en tant que chrétienne. Elle ajoute que le fait que l’agent n’a même pas abordé la situation générale en Iraq démontre qu’il n’a pas tenu compte de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

[25] Je ne suis pas d’accord pour dire que l’agent n’a pas examiné l’admissibilité de Mme Jirjees ou de Yousif à la catégorie de personnes de pays d’accueil. L’agent a raisonnablement conclu qu’ils n’étaient pas admissibles à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou à la catégorie de personnes de pays d’accueil.

[26] Il n’est pas contesté que la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et la catégorie de personnes de pays d’accueil sont distinctes, comme l’a souligné la Cour dans la décision Saifee, au para 39 :

Les membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil n’ont pas à remplir les conditions de la définition de réfugié au sens de la Convention, ni donc à prouver qu’ils craignent avec raison d’être persécutés du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social ou de leurs opinions politiques. Ils doivent en revanche prouver qu’ils ont été déplacés hors du pays dont ils ont la nationalité et dans lequel ils avaient leur résidence habituelle, qu’une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour eux et qu’aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à leur égard, réalisable ailleurs dans un délai raisonnable.

[27] Dans la décision Saifee, la Cour a jugé que l’agent d’immigration avait eu tort de conclure qu’un demandeur devait répondre à la définition de réfugié au sens de la Convention pour être considéré comme appartenant à la catégorie de personnes de pays d’accueil. En l’espèce, l’agent n’a tiré aucune conclusion ou n’a commis aucune erreur de ce genre.

[28] L’agent a examiné tous les renseignements fournis par Mme Jirjees et Yousif, a mené une entrevue, a examiné en profondeur leur version des faits et leurs réponses, et leur a offert plusieurs occasions de dissiper ses doutes, qu’il leur a clairement communiqués, notamment au sujet de la crédibilité de leur récit. Les réponses fournies n’ont pas permis de dissiper les doutes de l’agent.

[29] Les motifs de la décision (la lettre et les notes du SMGC) montrent clairement que l’agent s’est demandé si Mme Jirjees et Yousif satisfaisaient aux critères de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

[30] Dans la lettre de décision, l’agent a énoncé les dispositions législatives applicables, notamment l’alinéa 139(1)e) et l’article 147 du RIPR, de même que l’article 96 de la LIPR, et a déclaré ce qui suit : [traduction] « [a]près mûre réflexion, j’ai conclu que vous ne remplissez pas les critères d’admissibilité à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou à la catégorie de personnes de pays d’accueil » [Non souligné dans l’original].

[31] L’agent a également déclaré ce qui suit :

[traduction]
Plus précisément, vous avez déclaré que vous craigniez de retourner en Iraq parce que l’ami de votre fils Yousif a été kidnappé et tué. Toutefois, lorsqu’on vous a demandé des détails sur l’incident, Yousif et vous n’avez pas été en mesure d’en donner. Lorsqu’on vous a demandé pourquoi, après cet incident, vous n’en avez pas profité pour fuir l’Iraq lors de votre voyage à l’étranger en 2017 pour rendre visite à votre fille, vous avez répondu que vous deviez prendre des dispositions et que vous ne pourriez venir au Liban qu’une fois que votre frère vous aurait offert une aide financière pour vous soutenir au Liban et vous parrainer au Canada, ce qui a été fait en 2019. Par conséquent, je crains que vous ne remplissiez pas les exigences de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil, car vous n’avez pas pu donner de détails concernant votre demande, et il semble que vous ayez voyagé à l’extérieur de votre pays dans le but principal de présenter une demande d’immigration au Canada.

[Non souligné dans l’original.]

[32] Les notes du SMGC indiquent également que l’agent a évalué l’admissibilité des demandeurs aux catégories des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et des personnes de pays d’accueil. Elles indiquent notamment ce qui suit : [TRADUCTION] « [d]’après leur témoignage, je ne suis pas convaincu que les demandeurs craignent d’être persécutés, ou que la guerre, les conflits ou une violation des droits de la personne ont des conséquences personnelles pour eux, ni qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas quitter le pays dont ils ont la nationalité du fait de cette crainte. »

[33] Je conviens également avec le défendeur que, dans les notes du SMGC, y compris les notes de l’entrevue, les autres références de l’agent à un [traduction] « préjudice grave » démontrent que celui-ci s’est demandé si « une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne [...] ont eu [...] des conséquences graves et personnelles » pour Mme Jirjees et son fils (art 147 du RIPR). Les références à un [traduction] « préjudice grave » reflètent les critères de la catégorie de personnes de pays d’accueil (art 145 du RIPR), qui diffèrent de la crainte de persécution exigée par l’article 96 de la LIPR.

[34] Les notes de l’entrevue consignées dans le SMGC montrent que l’agent s’est penché sur la crainte de persécution alléguée par les demandeurs, ainsi que sur les conséquences graves et personnelles que la situation en Iraq pouvait avoir pour Mme Jirjees et son fils. L’agent a expressément demandé à Yousif, qui est majeur, de parler en son propre nom (car, autrement, Mme Jirjees répondait pour lui) et d’expliquer sa crainte, l’enlèvement de son ami et les menaces qu’il avait subies. Yousif n’a fourni aucun détail, notamment sur la nature des menaces qu’il avait subies, la façon dont elles avaient été communiquées ou la personne qui les avait proférées. Son hypothèse selon laquelle ces menaces étaient dues au fait qu’il était chrétien n’avait pas de sens, étant donné que son ami, qui avait été kidnappé et assassiné, apparemment par les mêmes inconnus, n’était pas chrétien. L’agent a formulé des réserves en matière de crédibilité et a ensuite demandé à Mme Jirjees de lui expliquer pourquoi elle avait quitté l’Iraq et y était retournée en 2017 et pourquoi elle avait attendu encore deux autres années avant de quitter le pays.

[35] D’après les notes du SMGC, Mme Jirjees a répondu qu’ils étaient restés en Iraq après le meurtre de l’ami de Yousif en grande partie parce qu’ils avaient attendu l’aide financière de son frère avant de s’enfuir au Liban. Par conséquent, l’agent n’était pas convaincu que la situation en Iraq avait eu des conséquences graves et personnelles pour Mme Jirjees et son fils. Comme l’a souligné l’agent, les contraintes financières font qu’il est difficile de fuir, mais pas au point de rester en Iraq s’ils craignaient d’être persécutés ou de subir un préjudice grave et personnel.

[36] Étant donné que Mme Jirjees et Yousif n’ont pas démontré l’existence d’une crainte subjective et n’ont pas fourni d’éléments de preuve expliquant les conséquences de la situation en Iraq pour eux, l’agent n’a pas commis d’erreur en n’abordant pas expressément la situation en Iraq : Abreham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 908 au para 23; Gebrewldi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 621 au para 27. Quoi qu’il en soit, l’agent est présumé être au courant de la situation dans le pays et rien n’indique qu’il ne l’était pas.

[37] De plus, il incombe au demandeur de démontrer qu’il satisfait aux critères de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil, notamment en fournissant des éléments de preuve qui permettent d’établir un lien entre la situation dans le pays et sa situation personnelle. En l’espèce, Mme Jirjees n’a pas convaincu l’agent que la situation en Iraq avait eu des conséquences personnelles pour elle. Elle a constamment mis l’accent sur ses préoccupations pour Yousif et sur le fait que plusieurs membres de sa famille se trouvaient déjà au Canada. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas peur pour elle-même. L’agent n’a pas écarté l’argument selon lequel les demandeurs, en tant que chrétiens, subiraient des conséquences personnelles, mais il a jugé que cet argument ne suffissait pas en soi pour démontrer qu’ils remplissent les critères de la catégorie de personnes de pays d’accueil.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3770-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3770-21

 

INTITULÉ :

IBITISAM FARAJ JIRJEES JIRJEES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Dorab Colah

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Aminollah Sabzevari

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Embarkation Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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