Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220217


Dossier : IMM‐1614‐21

Référence : 2022 CF 212

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 17 février 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

ELEOJO HELEN OKPANACHI

EWAJESU IKOOJO OLUSESI

MORENIKE ENE OLUSESI

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Mme Eleojo Helen Okpanachi et ses deux filles [collectivement, les demanderesses] sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] selon laquelle elles n’ont ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, SC 2001, c 27 [la LIPR] [la décision]. Mme Okpanachi [la demanderesse principale] a demandé l’asile à l’égard du Nigéria, dont elle est une citoyenne, et ses deux filles [les demanderesses mineures] ont demandé l’asile à l’égard des États‐Unis d’Amérique [les États‐Unis], où elles sont nées. La demanderesse principale a été mariée à M. Olufemi Ayinde de 2014 à 2017, et sa demande d’asile est fondée sur sa crainte des membres de la famille de son ex‐époux.

[2] Les arguments présentés à la Cour visent à contester l’évaluation de la SAR quant à la crédibilité, à la crainte subjective et à la crainte prospective de la demanderesse principale. Le défendeur soutient que la décision de la SAR était raisonnable à tous égards.

[3] J’estime que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte des Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe] dans son évaluation du témoignage de la demanderesse. Pour cette raison, je conclus que la décision est déraisonnable et qu’il y a lieu de l’annuler.

II. Contexte

A. Le contexte factuel

[4] En 2010, la demanderesse principale, une chrétienne de l’État de Benue, a rencontré M. Ayinde, un musulman appartenant à un groupe ethnique différent (les Yoroubas). Ils sont devenus parents de jumelles en 2013. Lorsque M. Ayinde a demandé la demanderesse principale en mariage, celle‐ci a accepté à la condition qu’il se convertisse au christianisme. Il a accepté cette condition. Ils se sont mariés en mai 2014. Pour des motifs financiers, ils se sont installés chez le père de M. Ayinde. La demanderesse principale a allégué que la conversion de M. Ayinde au christianisme avait provoqué un conflit entre les membres de la famille de M. Ayinde et elle‐même et M. Ayinde.

[5] Dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA], la demanderesse principale a décrit un incident lors duquel des membres de sa belle‐famille ont tenté de l’empoisonner et un autre incident lors duquel des membres de sa belle‐famille ont versé de l’eau sur sa tête alors qu’elle priait et l’ont avertie que la prochaine fois, ce serait de l’acide.

[6] À l’audience, la demanderesse principale a relaté deux autres incidents qu’elle n’avait pas mentionnés dans son formulaire FDA. À une occasion, en décembre 2014, son beau‐père a glissé sur de l’eau qu’elle avait renversée accidentellement et des membres de sa belle‐famille l’ont forcée à s’agenouiller et à demeurer dans cette position pendant une longue période sans pouvoir s’alimenter jusqu’à ce que son beau‐père lui pardonne [l’incident de l’agenouillement]. À une autre occasion, des membres de sa belle‐famille l’ont forcée à se rendre à la mosquée pour prier [l’incident de la mosquée].

[7] En janvier 2015, la demanderesse principale et son époux ont déménagé à Abuja, car ils craignaient pour leur sécurité. Alors qu’ils vivaient à Abuja, un attentat à la bombe a été perpétré par Boko Haram. Ils ont donc décidé de quitter le pays. En 2015, ils ont obtenu des passeports et des visas pour se rendre aux États‐Unis et ont confié la garde de leurs filles jumelles aux parents de la demanderesse principale.

[8] Alors qu’ils se trouvaient aux États‐Unis, leur relation de couple s’est détériorée. La demanderesse principale a donné naissance aux demanderesses mineures. M. Ayinde a contesté être le père d’une des enfants et a rompu avec la demanderesse principale. La demanderesse principale a demandé le divorce le 10 avril 2017. Alors que la demanderesse principale se trouvait aux États‐Unis, ses beaux‐parents se seraient présentés chez ses parents et auraient emmené les jumelles de force; celles‐ci ont depuis été converties à l’islam.

[9] La demanderesse principale a affirmé que le fait de retourner dans la ville natale de son père dans l’État de Benue mettrait sa vie et celle de ses enfants en danger en raison des violences perpétrées par les pasteurs peuls. La demanderesse principale a dit avoir perdu un cousin au cours d’une de ces attaques.

[10] La demanderesse principale n’a entrepris aucune démarche en vue de régulariser son statut aux États‐Unis. Elle est entrée au Canada accompagnée des deux demanderesses mineures en mars 2019 et a demandé l’asile à son arrivée.

B. La décision de la SPR

[11] La SPR a jugé que la demanderesse principale manquait de crédibilité parce qu’elle avait omis de mentionner dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA des incidents qui touchaient au cœur de sa demande d’asile et parce que ses explications quant aux raisons pour lesquelles elle n’avait pas demandé l’asile aux États‐Unis étaient déraisonnables. La SPR a également conclu qu’elle ne serait pas exposée à un risque prospectif si elle devait retourner au Nigéria, car rien dans la preuve ne donnait à penser qu’elle chercherait à obtenir la garde de ses jumelles, que ses anciens beaux‐parents chercheraient à obtenir la garde des enfants nées aux États‐Unis ou que des menaces avaient récemment été proférées par ses anciens beaux‐parents. Enfin, la SPR a conclu que la demanderesse principale n’avait pas établi qu’elle risquait d’être persécutée au Nigéria en raison de son statut de femme divorcée.

[12] La SPR a également rejeté les demandes d’asile des demanderesses mineures, concluant que, bien qu’il puisse être très difficile pour des enfants d’un si jeune âge d’être séparés de leur mère, l’analyse des questions liées à la séparation d’avec les parents outrepassait la compétence du tribunal.

C. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[13] La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreurs dans son analyse de la crédibilité, dans son application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, dans son évaluation de la crainte subjective ou dans son appréciation du risque prospectif.

III. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[14] Les demanderesses soutiennent que la SAR : 1) n’a pas appliqué les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe de façon significative dans le cadre de son évaluation de la crédibilité, 2) a inadéquatement évalué la crainte subjective en ne tenant pas compte des explications raisonnables, en s’appuyant sur une jurisprudence dépassée et en ne donnant pas de motifs clairs, et 3) a inadéquatement évalué la crainte prospective en faisant abstraction d’éléments de preuve pertinents.

[15] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux trois questions qui précèdent est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[16] La norme de la décision raisonnable est fondée sur la déférence, mais elle demeure rigoureuse : Vavilov, aux para 12, 13. La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée eu égard à son résultat et au raisonnement sous‐jacent : Vavilov, au para 15. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. L’analyse du caractère raisonnable d’une décision tient compte du contexte administratif dans lequel elle a été rendue, du dossier dont disposait le décideur administratif et de l’incidence de la décision sur les personnes touchées par ses conséquences : Vavilov, aux para 88‐90, 94, 133‐135. Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100.

IV. Analyse

[17] Comme je l’ai déjà indiqué, j’estime que la SAR s’est trompée en ne tenant pas compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe dans son évaluation du témoignage de la demanderesse. Les erreurs commises par la SAR sont examinées ci‐dessous.

Erreur 1 : la SAR a accepté la conclusion de la SPR quant à la crédibilité sans tenir compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe

[18] La SAR a accepté la conclusion de la SPR quant à la crédibilité de la demanderesse principale au motif que cette dernière avait omis de mentionner l’incident de l’agenouillement et l’incident de la mosquée dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA. La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les événements ne s’étaient pas produits, et la SAR s’est rangée à l’avis de la SPR qui estimait que la demanderesse principale n’avait pas fourni d’explication raisonnable quant à ces omissions.

[19] Les demanderesses contestent cette analyse et font valoir que la SAR n’a pas évalué la crédibilité de la demanderesse principale à la lumière des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Les demanderesses soutiennent que, selon la décision Harry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 85 [Harry] au paragraphe 34, lorsqu’une femme a été victime de persécution et qu’il y a des incohérences entre son témoignage et l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, la SPR a l’obligation d’apprécier la preuve au regard des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

[20] Le défendeur soutient que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe visent à assurer la tenue d’une audience équitable; elles ne déchargent pas le demandeur d’asile du fardeau d’établir le bien‐fondé de sa demande et ne sont pas conçues pour corriger les lacunes que comportent la preuve ou la demande d’asile : Kiangebeni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 395 aux para 31‐33; et Karanja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 574 aux para 5, 6.

[21] Bien que je souscrive en principe à l’observation du défendeur, j’estime que, dans la présente affaire, la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe dans l’évaluation des omissions en question.

[22] Je souligne, en premier lieu, que la SAR a séparé son analyse de la conclusion de la SPR quant à la crédibilité de son analyse de l’application par la SPR des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Sous la rubrique « La Section de la protection des réfugiés n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a évalué la crédibilité », la SAR présente une analyse détaillée des divergences entre le formulaire FDA et le témoignage de la demanderesse principale à l’audience, sans mentionner une seule fois les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

[23] Je prends acte de l’observation du défendeur selon laquelle un tribunal n’est pas tenu de mentionner les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe pour démontrer qu’il a fait preuve de la sensibilité requise à l’égard du sexe du demandeur : Pozos Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 31 au para 22; Sargsyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 333 au para 15; Tovar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 598 aux para 30‐34; Nsimba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 542 au para 17. En l’espèce, la SAR a mentionné et analysé les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, mais seulement après avoir déjà conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en mettant en doute la crédibilité de la demanderesse principale en raison des omissions en question.

[24] Les demanderesses font valoir que, bien qu’elle ait procédé à sa propre évaluation des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, la SAR n’a pas tenu compte de la possibilité que le vécu de la demanderesse principale ait pu contribuer aux omissions et aux incohérences, notamment au regard de l’explication que cette dernière a donnée à l’audience, à savoir que « [p]arfois, on ne se souvient pas de tout pour l’écrire quand on vit de mauvaises choses ».

[25] Je souscris aux arguments des demanderesses. Se rangeant à la conclusion de la SPR quant à la crédibilité fondée sur les omissions, la SAR a déclaré que les deux incidents omis n’étaient pas des événements secondaires et a formulé l’observation suivante : « l’explication ne concorde pas, selon la prépondérance des probabilités, avec l’importance qu’elle accorde à sa foi, avec les actions répétées ou avec le fait d’avoir été contrainte de prier, malgré les instructions du formulaire FDA et l’assistance du conseil dans la préparation de son formulaire FDA ». Elle n’a fait, dans cette analyse, aucune mention des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

[26] Dans l’affaire Harry, la demanderesse prétendait avoir été victime de graves violences aux mains de son conjoint, le père de son enfant. La SPR a jugé que la crédibilité était la question déterminante. La SPR a souligné que la demanderesse avait omis de mentionner dans son exposé circonstancié plusieurs incidents où elle aurait été battue entre 2007 et 2009 et qu’elle n’avait pas été en mesure d’expliquer ces omissions. La SPR a ensuite conclu que sa demande d’asile manquait de crédibilité. Devant la Cour, Mme Harry a soutenu que la SPR avait commis une erreur en n’appliquant pas les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et en tirant des conclusions défavorables quant à sa crédibilité parce qu’elle avait omis d’inclure plusieurs incidents de violence conjugale dans son exposé circonstancié écrit, faisant valoir qu’il n’était pas possible pour une femme maltraitée de décrire chaque incident de violence. Le juge Russell a souscrit à ces arguments et a déclaré ce qui suit au paragraphe 34 :

[34] [...] Les omissions et les contradictions ne constituent pas, en soi, un motif valable pour ne pas tenir compte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Les directives concernant la persécution fondée sur le sexe visent à ce que tout examen des omissions et des contradictions prenne en compte les facteurs énoncés dans les directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Si ce que la SPR dit en l’espèce est que les « omissions » et la « contradiction » en question ne peuvent pas être expliquées par les facteurs énoncés dans les directives concernant la persécution fondée sur le sexe et, en particulier, par la façon dont ces facteurs peuvent avoir une influence sur le témoignage des femmes qui ont été victimes de persécution, alors la SPR ne fournit pas, dans les faits, de motifs expliquant pourquoi les directives concernant la persécution fondée sur le sexe n’ont aucune incidence sur l’analyse en l’espèce. Par conséquent, à mon avis, la SPR n’a pas tenu compte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe de façon significative. Je pense que les propos de la juge Gagné dans Odia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 FC 663, s’appliquent également en l’espèce :

[9] Je conviens avec la demanderesse que, pour que la SPR prenne en compte de façon significative les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, elle doit apprécier le témoignage de la demanderesse tout en étant attentive et sensible à son sexe, aux normes sociales, culturelles, économiques et religieuses de sa communauté et « aux facteurs susceptibles d’influencer le témoignage des femmes qui ont été victimes de persécution » (Bennis c Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté), 2001 CFPI 968, au paragraphe 14). En l’espèce, le commissaire de la SPR n’a pas montré la sensibilité voulue dans son appréciation du témoignage de la demanderesse. En ce sens, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe n’ont pas été appliquées comme il se devait, et les attentes de la demanderesse n’ont pas été satisfaites.

[Non souligné dans l’original]

[27] En l’espèce, non seulement la SAR n’a pas mentionné les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe dans son analyse de la crédibilité, mais elle a accepté la conclusion de la SPR quant à la crédibilité fondée sur les omissions sans même avoir cherché à savoir pourquoi les omissions ne pouvaient pas être expliquées par les facteurs énoncés dans lesdites Directives. Par conséquent, je conclus que la SAR n’a pas tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe « de façon significative » avant d’adopter la conclusion quant à la crédibilité à laquelle la SPR était arrivée en raison des omissions dans le formulaire FDA.

Erreur 2 : la SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreurs dans son application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe

[28] Plutôt que d’évaluer l’interaction entre l’application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et la conclusion de la SPR quant à la crédibilité fondée sur les omissions dans le formulaire FDA, la SAR a examiné séparément la question de savoir si la SPR avait commis une erreur dans l’application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et a conclu que non. La SAR a avancé deux motifs pour justifier cette conclusion : a) la demanderesse principale n’avait pas fourni de diagnostic professionnel indiquant qu’elle souffrait du syndrome de la femme battue, et b) rien n’indiquait que la demanderesse principale avait hésité à témoigner à l’audience de la SPR. Pour ces motifs, la SAR a rejeté l’argument des demanderesses voulant que, si les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe avaient été prises en considération, l’explication de la demanderesse principale aurait été jugée convaincante et raisonnable.

[29] J’estime que le raisonnement de la SAR à cet égard est entaché de trois erreurs. Premièrement, comme je l’ai indiqué, la SAR avait déjà conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en mettant en doute la crédibilité de la demanderesse principale en raison des omissions. En fait, la SAR a suivi un raisonnement circulaire; elle a mis en doute la crédibilité de la demanderesse principale – et, donc, de ses allégations concernant la violence qu’elle a subie – et s’est ensuite appuyée sur cette conclusion pour soutenir que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne s’appliquaient pas puisqu’il n’y avait au dossier aucun élément de preuve justifiant de les appliquer.

[30] Deuxièmement, les demanderesses soutiennent qu’en tenant compte de l’absence d’un diagnostic professionnel, la SAR a accordé de l’importance à un facteur non pertinent; elles citent à l’appui la décision Nara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 364 au paragraphe 35. Je souscris à cet argument. Comme le soulignent à juste titre les demanderesses, il n’est nulle part fait mention dans les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe qu’un diagnostic médical est nécessaire pour que les facteurs liés au genre soient considérés comme pertinents lorsqu’il s’agit d’expliquer les difficultés d’un demandeur d’asile à témoigner. En concluant de la sorte, la SAR imposait à la demanderesse principale, ainsi qu’aux autres demandeurs victimes de persécution fondée sur le genre, un lourd fardeau de preuve, soit de prouver sa vulnérabilité au moyen d’un diagnostic médical pour que la SAR puisse tenir compte de la violence fondée sur le genre dans son évaluation de la crédibilité.

[31] L’approche adoptée par la SAR va également à l’encontre des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, qui reconnaissent les problèmes particuliers auxquels les demanderesses d’asile sont confrontées lorsqu’il s’agit de démontrer que leurs allégations sont crédibles et dignes de foi, notamment en raison de malentendus liés aux différences culturelles et d’autres facteurs comme les traumatismes. Le fait que le syndrome de la femme battue soit mentionné dans les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne signifie pas que celui‐ci constitue une condition préalable à l’application des Directives; il s’agit plutôt d’une des nombreuses raisons pour lesquelles les femmes peuvent être réticentes à témoigner lors de l’audience.

[32] Enfin, le fait que la demanderesse principale a eu une audience équitable n’aurait pas dû être le seul facteur pris en considération pour déterminer si la SPR avait appliqué les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

[33] Le défendeur soutient que la SAR pouvait très bien être sensible à la situation particulière de la demanderesse principale en tant que femme, mais néanmoins avoir des réserves raisonnables quant à la crédibilité de la preuve, notamment en raison des omissions importantes dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA. Je conviens que l’application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne garantit aucun résultat précis et qu’elle ne signifie assurément pas que la SAR était tenue de conclure à la crédibilité de la demande d’asile de la demanderesse principale. Cependant, puisque j’ai conclu que la SAR n’a pas valablement appliqué les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, il y a lieu de renvoyer l’affaire à un autre commissaire pour nouvelle décision.

[34] Étant donné que cette erreur justifie à elle seule de renvoyer l’affaire, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres questions soulevées par les demanderesses.

V. Conclusion

[35] La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire afin qu’il rende une nouvelle décision.

[36] Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‐1614‐21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour nouvelle décision.

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« Avvy Yao‐Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‐1614‐21

 

INTITULÉ :

ELEOJO HELEN OKPANACHI, EWAJESU IKOOJO OLUSESI, MORENIKE ENE OLUSESI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 février 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Debie Eze

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Prathima Prashad

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Debie Eze

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.