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Date : 2022-02-23


Dossier : T-794-19

Référence : 2022 CF 260

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 février 2022

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

ALLERGAN INC. ET ALLERGAN PHARMACEUTICALS

INTERNATIONAL LIMITED

demanderesses

et

APOTEX INC.

défenderesse

P|||||||||||||||||||||||||| JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

Table des matières

I. Contexte 4

II. Aperçu 7

A. Résumé de la position d’Allergan 7

B. Résumé de la position d’Apotex 14

C. Résumé des conclusions de la Cour 18

III. Le brevet 188 19

IV. La preuve 26

A. Les témoins experts cités par Allergan 26

B. Témoins des faits cités par Allergan 34

C. Témoins experts cités par Apotex 36

D. Témoins des faits cités par Apotex 41

E. Observations sur les témoignages des experts 44

V. La personne versée dans l’art 47

A. La position d’Allergan sur la personne versée dans l’art 48

B. La position d’Apotex sur la personne versée dans l’art 49

C. Le témoignage des experts concernant la personne versée dans l’art 50

D. La personne versée dans l’art pour les besoins de la présente demande 52

VI. L’invention 54

A. L’interprétation des revendications 56

B. La question en litige concernant l’interprétation des revendications 59

C. Arguments d’Allergan 60

D. Arguments d’Apotex 63

E. La jurisprudence pertinente concernant l’interprétation des revendications 66

F. Aperçu de la preuve présentée par les experts concernant l’interprétation des revendications 67

G. L’interprétation des revendications par la Cour 72

VII. L’état de la technique 76

A. La demande BR 601 77

B. Effet des aliments dans l’intestin grêle 77

C. Bisphosphonates 79

D. Activateurs d’absorption, notamment l’EDTA 80

E. Innocuité de l’EDTA 84

F. Enrobage gastrorésistant/libération retardée 86

G. L’art postérieur : publications après 2005 89

VIII. Les connaissances générales courantes 91

A. Aperçu de la preuve présentée par les experts sur les connaissances générales courantes 91

B. La conclusion de la Cour sur les connaissances générales courantes 93

IX. Le brevet 188 est-il antériorisé par la demande BR 601? 94

A. Arguments d’Apotex 94

B. Arguments d’Allergan 100

C. La jurisprudence pertinente en matière d’antériorité 106

D. La demande B601 110

E. Aperçu de la preuve des experts sur l’antériorité 115

(1) Le Dr Yates 115

(2) M. Parr 119

(3) M. Cremers 120

(4) M. Sinko 122

F. La demande BR 601 ne divulgue pas et ne permet pas la réalisation des revendications invoquées du brevet 188 123

(1) La demande BR 601 est une antériorité 123

(2) La demande BR 601 ne fournit pas une divulgation suffisante des revendications du brevet 188 124

(a) Le problème traité dans la demande BR 601 126

(b) La demande BR 601 ne cherche pas à contrer l’effet des aliments 128

(c) La demande BR 601 et les éléments essentiels du brevet 188; aucune orientation claire 135

(d) La demande BR 601 ne divulgue pas une absorption pharmaceutiquement efficace 142

(3) La demande BR 601 ne permet pas de réaliser les revendications du brevet 188 144

G. Conclusion sur l’antériorité 149

X. Le brevet 188 est-il évident? 150

A. Arguments d’Apotex 150

(1) L’état de la technique 152

(2) Aucune différence entre l’état de la technique et l’objet des revendications 156

(3) Combler les différences n’a pas nécessité d’ingéniosité inventive 157

(4) Même si la demande BR 601 ne fait pas partie de la mosaïque, les revendications du brevet 188 sont malgré tout évidentes 158

(5) L’invention était un essai allant de soi 161

B. Arguments d’Allergan 164

(1) La demande BR 601 ne fait pas partie de la mosaïque de l’art antérieur 167

(2) La demande BR 601 ne rend pas le brevet 188 évident 168

(3) L’état de la technique et les antériorités n’incitant pas à aller dans le sens du brevet 169

(4) Les différences entre l’état de la technique et l’objet des revendications 174

(5) L’invention n’était pas un essai allant de soi. 175

C. La jurisprudence pertinente en matière d’évidence 179

D. Aperçu de la preuve des experts 184

(1) Le Dr Yates 184

(2) M. Parr 188

(3) Le Dr Dillberger 190

(4) M. Cremers 192

(5) M. Sinko 194

(6) M. Burgio 195

(7) M. Dansereau 197

E. Le brevet 188 n’est pas évident ‒ Aperçu 199

F. La personne versée dans l’art 202

G. Les connaissances générales courantes 203

H. L’objet des revendications 203

I. L’état de la technique 204

(1) La demande BR 601 fait partie de la mosaïque de l’art antérieur 204

(2) L’art antérieur 207

(a) La demande BR 601 208

(b) Utilisation de l’EDTA 213

(i) Conclusions sur l’EDTA 222

(c) Utilisation d’enrobages gastrorésistants 224

(i) Conclusions sur les enrobages gastrorésistants 229

J. Les différences entre l’état de la technique et l’objet des revendications 230

K. Combler les différences exigeait une ingéniosité inventive; il n’était pas évident de tenter d’arriver à l’invention. 234

(1) Il n’allait pas de soi de tenter d’arriver à l’invention et il n’était pas évident que l’invention fonctionnerait 235

(2) Motivation 238

(3) La nature et l’étendue de l’effort requis pour réaliser l’invention 240

(4) La démarche des inventeurs 242

XI. Le brevet 188 est-il invalide pour cause de manque d’utilité, de divulgation insuffisante ou de portée excessive? 248

A. Arguments d’Apotex 248

B. Arguments d’Allergan 249

C. La jurisprudence pertinente en matière d’utilité, de divulgation suffisante et de portée excessive 251

D. Les revendications ne sont pas invalides pour cause de manque d’utilité, de divulgation insuffisante ou de portée excessive. 254

XII. Apotex contrefait-elle les revendications du brevet 188? 258

A. Arguments d’Allergan 258

B. Arguments d’Apotex 264

C. La jurisprudence pertinente en matière de contrefaçon 268

D. Aperçu de la preuve des experts sur la contrefaçon 270

E. Le produit d’Apotex ne contrefait pas les revendications invoquées du brevet 188 274

(1) Les revendications et les éléments essentiels 276

(2) La jurisprudence invoquée par les parties 277

(3) « qui convient pour l’utilisation » 288

(4) La monographie du produit 289

(5) La monographie du produit n’indique pas une utilisation avec ou sans nourriture 291

(6) Le risque de douleurs abdominales 293

(7) Aucune contrefaçon directe 294

(8) Aucune incitation à la contrefaçon 295

XIII. Dépens 298

A. Les observations des parties 298

B. Dépens pour la partie qui obtient gain de cause 300

 

I. Contexte

[1] L’ostéoporose est une maladie courante chez les femmes de plus de 50 ans, caractérisée par l’affaiblissement des os et l’apparition de fractures. Les bisphosphonates sont largement utilisés dans le traitement de cette affection. Plusieurs bisphosphonates sont disponibles pour le traitement de l’ostéoporose, sous différentes formulations et selon différentes directives posologiques. La présente action en contrefaçon de brevet [l’action] concerne l’un des bisphosphonates ‒ le risédronate ‒ pris une fois par semaine à raison de 35 mg et connu sous le nom d’ACTONEL DRMD [ACTONEL DR]. ACTONEL DR différerait des autres formulations de risédronate et des formulations d’autres bisphosphonates en ce qu’il peut être pris avec ou sans nourriture, au choix de la personne qui prend le médicament.

[2] Les demanderesses ont établi (au moyen de l’affidavit de M. FooLim Yeh) qu’Allergan Inc. détient un avis de conformité [AC] pour ACTONEL DR et que le brevet canadien 2 602 188 [le brevet 188 ou le brevet] figure au registre des brevets pour ce produit (brevet délivré le 13 octobre 2009).

[3] ACTONEL DR se présente sous la forme d’un comprimé dont l’ingrédient principal est le risédronate sodique. Celui-ci est administré par voie orale une fois par semaine pour le traitement de l’ostéoporose chez les femmes postménopausées. Le comprimé d’ACTONEL DR est un comprimé à libération retardée enduit d’un enrobage gastrorésistant; il renferme 35 mg de risédronate et de l’acide éthylènediaminetétracétique [EDTA]. (En outre, Allergan fabrique et commercialise ACTONEL, un médicament à libération immédiate qui est administré à une dose quotidienne de 5 mg, hebdomadaire de 35 mg ou mensuelle de 150 mg.)

[4] Les demanderesses ont également établi leur propriété du brevet 188. Le brevet a été initialement délivré à Procter and Gamble [P&G]. P&G a cédé le brevet et ses droits à WarnerChilcott en octobre 2009. Warner-Chilcott a ensuite cédé le brevet à Allergan Pharmaceuticals International Limited en décembre 2015. Les demanderesses ont établi qu’Allergan Inc. est une société pharmaceutique innovante. Elles sont collectivement désignées sous le nom d’Allergan.

[5] Aux termes de l’article 42 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4 [la Loi sur les brevets], Allergan dispose du droit, de la faculté et du privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention revendiquée dans le brevet 188.

[6] Le brevet 188 (Formes galéniques du ris[é]dronate) a été déposé au Canada le 23 novembre 2005 et revendique la date de priorité du 15 avril 2005. Le brevet, délivré le 13 octobre 2009, compte 137 revendications. Les revendications invoquées sont décrites plus en détail ci-dessous.

[7] Apotex Inc. [Apotex] est une société productrice de médicaments génériques. En mars 2019, Apotex a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle [PADN] auprès de Santé Canada afin d’obtenir un avis de conformité pour son produit générique, un comprimé à libération retardée qui est administré par voie orale et contient 35 mg de risédronate sodique [APO-RISEDRONATE DR, ou le produit d’Apotex]. Apotex compare son produit à ACTONEL DR.

[8] Le 16 mai 2019, Apotex a signifié à Allergan un avis d’allégation [AA] concernant ACTONEL DR au sujet du brevet 188.

[9] Allergan intente maintenant la présente action en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 [le Règlement sur les MBAC]. Allergan cherche à obtenir une déclaration selon laquelle Apotex contrefera, directement ou indirectement, au moins une des revendications du brevet 188 en fabriquant, construisant, utilisant et vendant son produit générique.

[10] Apotex nie que son produit contrefera le brevet 188, et allègue que le brevet 188 est invalide pour cause d’antériorité, d’évidence, d’inutilité, de divulgation insuffisante et de portée excessive.

[11] Les parties conviennent que les dates pertinentes pour les questions en litige dans la présente action sont les suivantes : pour l’interprétation des revendications, la date de publication du brevet, soit le 26 octobre 2006; pour l’antériorité et l’évidence, la date de priorité, soit le 15 avril 2005; pour l’évaluation de l’utilité, la date de dépôt au Canada, soit le 23 novembre 2005.

II. Aperçu

A. Résumé de la position d’Allergan

[12] Allergan soutient que son produit, ACTONEL DR, est unique parmi les différents bisphosphonates actuellement disponibles pour traiter l’ostéoporose, car il surmonte l’« effet des aliments ».

[13] Allergan fait remarquer que cet « effet des aliments » sur les bisphosphonates était connu bien avant les années 1990 et que de nombreuses sociétés pharmaceutiques ont cherché à résoudre ce problème, sans succès.

[14] Allergan signale que les experts ont expliqué le fondement scientifique de l’« effet des aliments ». En termes simples, cela signifie que la nourriture présente dans l’estomac comprend du calcium et d’autres cations qui se lient au bisphosphonate et en empêchent l’absorption.

[15] L’absorption renvoie à la disponibilité du médicament pour traiter la pathologie visée. Allergan affirme (comme tous les experts) que les bisphosphonates sont très mal absorbés. L’absorption du médicament (aussi appelée biodisponibilité) devient encore plus faible, voire presque inexistante, lorsque le bisphosphonate est pris avec de la nourriture.

[16] Allergan soutient qu’ACTONEL DR demeure le seul bisphosphonate à administration orale « qui convient » pour l’utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons. Le comprimé offre une [traduction] « absorption pharmaceutiquement efficace » dans l’une ou l’autre des conditions d’administration – avec nourriture ou à jeun – et permet de traiter l’ostéoporose. Les autres bisphosphonates à administration orale, y compris le produit antérieur d’Allergan, ACTONELMD [ACTONEL], doivent être pris à jeun avant le déjeuner, avec de l’eau seulement et sans manger pendant au moins les 30 minutes suivantes. Cette administration à jeun d’ACTONEL (et des autres produits à base de bisphosphonates) est essentielle pour qu’une quantité suffisante de bisphosphonate soit absorbée.

[17] Allergan soutient que les exigences posologiques rigoureuses des autres bisphosphonates, y compris son propre précurseur, ACTONEL, incommodaient certaines personnes traitées et étaient presque impossibles à respecter pour d’autres. Ainsi, les directives posologiques peuvent s’avérer inapplicables lorsqu’une personne prend plusieurs médicaments ou reçoit l’aide d’autres personnes pour l’administration de ses médicaments. Cette incommodité contribue à une mauvaise observance du traitement médicamenteux et nuit au traitement de l’ostéoporose.

[18] Allergan souligne que d’autres sociétés pharmaceutiques ont tenté de réduire l’incommodité causée par l’effet des aliments, mais que seule Allergan l’a surmontée. Par exemple, certaines sociétés pharmaceutiques ont mis au point une dose hebdomadaire ou mensuelle pour réduire les inconvénients liés à la prise quotidienne du médicament à jeun. D’autres ont axé leurs recherches sur l’administration par voie intraveineuse. Les inventeurs du brevet 188 ont été les premiers à offrir une solution directe pour surmonter l’effet des aliments, du fait que ce brevet divulgue une forme orale de risédronate qui assure une absorption pharmaceutiquement efficace (c.-à-d. une absorption similaire avec des aliments et à jeun), que le médicament soit pris avec ou sans nourriture.

[19] Selon Allergan, le brevet 188 enseigne comment l’invention permet de surmonter l’effet des aliments et enseigne avec clarté, également, ce qui ne fonctionne pas. Le brevet 188 permet la libération ciblée de la bonne quantité d’agent chélatant et, simultanément, du risédronate dans l’intestin grêle. La quantité de cet agent est suffisamment élevée pour que les ions et minéraux présents dans les aliments soient liés, mais suffisamment faible pour que l’absorption ne soit pas modifiée de façon importante par rapport à l’absorption à jeun. Le brevet 188 enseigne également qu’une libération lente ou prolongée de l’agent chélatant et du risédronate dans l’intestin grêle ne permet pas de surmonter l’effet des aliments : en plus d’être retardée jusqu’à l’intestin grêle, la libération, lorsqu’elle se produit, doit être immédiate.

[20] Allergan soutient que le brevet 188 n’est pas antériorisé ou évident, qu’il satisfait aux exigences de la Loi sur les brevets en ce qui concerne l’utilité et la suffisance de la divulgation et qu’il n’a pas une portée excessive.

[21] Allergan nie que la demande de brevet brésilien 0106601 [la demande BR 601], citée par Apotex comme antériorité, antériorise le brevet 188. Allergan soutient que l’invention visée par la demande BR 601 n’aurait pas été trouvée par la personne versée dans l’art et, dans le cas improbable où elle aurait été portée à l’attention de la personne versée dans l’art, cette demande ne divulgue pas un bisphosphonate qui convient pour l’utilisation avec ou sans aliments et permettant une absorption pharmaceutiquement efficace avec consommation ou non d’aliments, ni ne permet la réalisation d’un tel bisphosphonate.

[22] Allergan reconnaît que le brevet 188 cite la demande BR 601 et qu’il s’agit par conséquent d’une antériorité, mais soutient que cette demande ne devrait pas être considérée comme faisant partie de la mosaïque de l’art antérieur aux fins de l’analyse des allégations d’évidence.

[23] Allergan prétend que le brevet 188 est inventif, c’est-à-dire qu’il n’est pas évident. Elle fait valoir que l’art antérieur incitait à éviter l’utilisation d’enrobages gastrorésistants pour le risédronate, car il était démontré que cela réduisait l’absorption. S’agissant de l’utilisation d’EDTA, Allergan fait observer que, selon l’art antérieur, les quantités d’EDTA requises pour surmonter l’effet des aliments étaient trop élevées pour un usage clinique. Il n’était pas évident que les faibles quantités d’EDTA utilisées conjointement avec les enrobages gastrorésistants pour permettre la libération du risédronate et de l’EDTA dans l’intestin grêle (en empêchant la libération dans l’estomac), comme le revendique le brevet 188, surmonteraient l’effet des aliments.

[24] Allergan soutient que l’art antérieur invoqué par Apotex est si large qu’il ne peut être considéré comme enseignant l’invention revendiquée dans le brevet 188.

[25] Selon Allergan, le milieu était fortement motivé à contrer l’effet des aliments, mais les autres sociétés pharmaceutiques n’ont pas poursuivi l’approche inventive du brevet 188. Allergan note qu’il n’existe toujours pas d’autre forme pharmaceutique orale qui remédie à l’effet des aliments. Elle ajoute que si l’invention était évidente, comme l’affirme Apotex, il est curieux qu’aucune des autres sociétés pharmaceutiques, malgré leurs efforts de recherche, n’ait trouvé cette solution.

[26] Allergan souligne également le travail des inventeurs, MM. Richard Dansereau et David Burgio, pendant de nombreuses années, qui ont finalement abouti à l’invention.

[27] Allergan explique que les chercheurs de P&G ont tenté de mettre au point une formulation qui permet la prise du risédronate « en tout temps ». Les approches initiales n’ont pas été fructueuses et, après plusieurs revers, les inventeurs en sont arrivés à la formulation divulguée dans le brevet 188, à savoir des formes pharmaceutiques orales de risédronate qui conviennent pour l’utilisation avec ou sans prise d’aliments ou de boissons, car elles permettent une absorption pharmaceutiquement efficace dans l’un et l’autre cas.

[28] En ce qui concerne l’allégation d’inutilité, Allergan soutient que la preuve présentée par MM. Burgio et Dansereau, et celle des experts, MM. Serge Cremers et Patrick Sinko, montrent que l’utilité a été démontrée à la date du dépôt au Canada, le 23 novembre 2005, par les résultats de l’étude pilote de biodisponibilité de P&G n° 2004132 [l’étude 132].

[29] Allergan soutient également que la divulgation de l’invention était suffisante. La preuve présentée par MM. Cremers et Sinko établit que la personne versée dans l’art pouvait fabriquer et utiliser l’invention sans contrainte excessive et sans faire preuve d’ingéniosité inventive en se fondant sur la divulgation du brevet 188 et ses connaissances générales courantes.

[30] Allergan soutient qu’Apotex contrefera les revendications invoquées pour les formes pharmaceutiques orales en fabriquant et en vendant le produit d’Apotex et contrefera les revendications liées à l’utilisation étant donné que le produit d’Apotex est également destiné à être utilisé pour traiter l’ostéoporose.

[31] Allergan décrit le premier ensemble de revendications comme des revendications de produit, comprenant la revendication 1 et plusieurs revendications dépendantes. Allergan soutient que les intentions d’Apotex et la façon dont le produit proposé sera finalement utilisé ne sont pas pertinentes. Les revendications exigent seulement que le produit proposé par Apotex soit « convenable pour » une utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons.

[32] Allergan note que le produit d’Apotex contient des ingrédients presque identiques et que la monographie du produit proposée est une copie de la monographie d’ACTONEL DR. Elle ajoute que le produit d’Apotex possède tous les éléments essentiels du brevet 188, et fait observer qu’il convient pour l’utilisation avec et sans aliments et qu’il fournira une absorption pharmaceutiquement efficace avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons; par conséquent, il contrefera le brevet 188.

[33] Allergan conteste l’argument d’Apotex selon lequel il n’y aura pas de contrefaçon parce que la monographie de produit et la notice d’emballage que cette dernière propose indiquent aux utilisateurs de ne pas prendre le comprimé sans nourriture. Allergan soutient que l’instruction posologique selon laquelle il faut prendre le comprimé avec des aliments ne sert qu’à éviter un éventuel effet secondaire de douleur abdominale et n’a rien à voir avec une absorption pharmaceutiquement efficace.

[34] En ce qui concerne la preuve, Allergan soutient que ses experts ont été francs et neutres, qu’ils ont fait des concessions lorsque cela était nécessaire et qu’ils n’ont pas défendu une interprétation ou un résultat particulier.

[35] Allergan déclare qu’en revanche les experts d’Apotex, le Dr John Yates, M. Alan Parr et le Dr John Dillberger, ont été évasifs dans certaines de leurs réponses et ont cherché à soutenir la position d’Apotex. Elle affirme en outre que les antériorités sélectionnées par Apotex et fournies à ses experts ont mené ces derniers à tirer des conclusions a posteriori. Allergan fait remarquer que lorsque les mots clairs des antériorités étaient en contradiction avec la théorie de l’invalidité proposée par Apotex, les experts se distanciaient de l’art antérieur.

[36] Allergan souligne également que M. Duane Terrill, directeur, Affaires réglementaires pour Apotex (Canada et Caraïbes), a initialement déclaré qu’Apotex avait demandé ||||| ||||| à Santé Canada ||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| en raison de préoccupations concernant la sécurité des participants à sa bioétude. Allergan soutient que cette préoccupation était ||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

B. Résumé de la position d’Apotex

[37] Apotex soutient qu’elle ne contrefait pas les revendications du brevet 188 parce que son produit n’est pas destiné à être utilisé avec ou sans prise d’aliments, mais seulement avec de la nourriture. Elle ajoute qu’elle ne les contrefera pas non plus parce que le brevet 188 est invalide pour cause d’antériorité, d’évidence, d’inutilité, de divulgation insuffisante et de portée excessive.

[38] En ce qui concerne l’invalidité, Apotex soutient que l’objet du brevet 188 a déjà été divulgué et rendu possible par la demande BR 601. Elle fait remarquer que la demande BR 601 est citée dans le brevet 188 et que, par conséquent, Allergan ne peut pas nier que la demande BR 601 fait partie de l’art antérieur ou qu’elle était accessible au public.

[39] Apotex fait valoir que le brevet 188 ne revendique rien de nouveau ou d’inventif, tous les éléments essentiels ayant été divulgués dans la demande BR 601. Apotex soutient que la demande BR 601 enseignait la combinaison de bisphosphonates (le risédronate est l’un d’entre eux), d’un agent chélatant (l’EDTA est l’un d’entre eux) et d’un enrobage gastrorésistant – lesquels sont tous les éléments essentiels du brevet 188.

[40] Apotex soutient en outre que la demande BR 601 divulguait la solution au problème de la faible biodisponibilité des bisphosphonates, à savoir l’utilisation de l’agent chélatant et d’un enrobage gastrorésistant pour permettre au bisphosphonate de franchir l’estomac, puis de se libérer immédiatement dans l’intestin grêle. Aux dires d’Apotex, la demande BR 601 remédie à l’effet des aliments et les revendications de celle-ci, si elles étaient mises en œuvre, assureraient une absorption pharmaceutiquement efficace, que la personne soit à jeun ou non.

[41] Apotex soutient également que la demande BR 601 permettait à la personne versée dans l’art de fabriquer les formulations du brevet 188 avec les renseignements de la demande BR 601.

[42] Apotex déclare aussi que les revendications du brevet 188 étaient évidentes. Elle ajoute que même si les revendications ne sont pas antériorisées par la demande BR 601, cette dernière fait partie de la mosaïque de l’art antérieur aux fins de l’analyse de l’évidence.

[43] Apotex note que, en avril 2005, l’art antérieur était bien développé en ce qui concerne les bisphosphonates, y compris le risédronate, et qu’il était bien connu que les bisphosphonates avaient une faible absorption, qui était encore plus faible s’ils étaient pris avec des aliments.

[44] Apotex avance qu’il n’y a aucune différence entre l’état de la technique en 2005 et l’objet des revendications. Le seul faible écart possible entre l’art antérieur et l’objet des revendications serait que l’art antérieur ne combinait pas spécifiquement le risédronate et l’EDTA dans un enrobage gastrorésistant afin de permettre l’administration avec ou sans nourriture, et qu’il n’enseignait pas explicitement que cette posologie permettrait une absorption pharmaceutiquement efficace. Apotex soutient que la personne versée dans l’art comblerait facilement ce faible écart en se fondant sur ses connaissances générales courantes.

[45] Apotex déclare que l’invention résultait d’un essai allant de soi et que les facteurs pertinents étayent cette conclusion. Elle affirme, entre autres, qu’il existait une motivation générale à surmonter l’effet des aliments, et une motivation particulière à le faire en combinant l’EDTA et le bisphosphonate sous un enrobage gastrorésistant.

[46] Apotex conteste que le travail des inventeurs ait été long ou ardu. Elle soutient que les inventeurs ont identifié l’utilisation possible de l’EDTA dès le début de leur projet. Cependant, ils ont gaspillé leurs efforts en poursuivant une administration colique qu’une personne versée dans l’art aurait su vouée à l’échec. Apotex soutient qu’une fois que les inventeurs ont été sur la bonne voie, l’invention est venue facilement.

[47] Apotex ajoute que le brevet comparable aux États-Unis pour le produit ATELVIAMD [ATELVIA] a été jugé évident aux États-Unis.

[48] Apotex allègue également que le brevet 188 est invalide pour cause d’inutilité, de divulgation insuffisante et de portée excessive.

[49] En ce qui concerne la contrefaçon, Apotex soutient que les allégations d’Allergan sont fondées sur la déformation des termes clairs des revendications et de la monographie proposée par Apotex pour APO-RISEDRONATE DR.

[50] Apotex se concentre sur l’exigence claire formulée dans les revendications du brevet 188 voulant que la forme pharmaceutique orale du risédronate soit utilisée [traduction] « avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons », au choix de la personne qui prend le médicament. Apotex conteste que les revendications invoquées soient des revendications de produit et les qualifie plutôt de revendications d’« utilisation de produit ».

[51] Apotex soutient que l’élément essentiel de la revendication 1, à savoir [traduction] « [l’]utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons », ne sera pas respecté par Apotex parce que APO-RISEDRONATE DR n’est pas une forme pharmaceutique orale pour utilisation avec ou sans nourriture. Il est uniquement destiné à être utilisé avec des aliments.

[52] Selon Apotex, la preuve est claire; la monographie proposée pour APO-RISEDRONATE DR (qui est identique à celle d’ACTONEL DR) indique aux personnes qui prennent le médicament de le prendre avec de la nourriture et de ne pas le prendre à jeun, car il peut causer des douleurs abdominales. Par conséquent, Apotex ne contrefait pas et n’incite pas les autres à contrefaire les revendications du brevet 188.

[53] Apotex note qu’elle a obtenu de Santé Canada ||||| ||||| ||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| en raison des préoccupations en matière d’innocuité liées à l’essai du produit sur des sujets humains susceptibles de souffrir de douleurs abdominales.

[54] Apotex soutient que, dans la mesure où les médecins prescrivent la prise du produit à jeun (sans aliments ni boissons), il s’agirait d’une utilisation non conforme et qui ne serait fondée sur aucune indication sur l’étiquette d’Apotex.

C. Résumé des conclusions de la Cour

[55] Les parties ont présenté un grand nombre d’éléments de preuve et ont abondamment cité des passages de la jurisprudence à l’appui de leurs arguments respectifs. Il est important de se concentrer sur les principes établis dans la jurisprudence plutôt que sur l’application des principes aux faits particuliers des affaires citées. Il n’y a pas deux affaires identiques; les faits diffèrent, la preuve diffère et les allégations et arguments diffèrent. Je n’ai pas traité de toutes les affaires citées par les parties dans les présents motifs. J’ai examiné les principales affaires et je me suis concentrée sur les principes bien établis et sur la façon dont ils sont liés aux questions qui se posent en l’espèce. J’ai examiné tous les éléments de preuve, dont certains s’appliquent à plus d’une question, mais je n’ai pas fait référence à tous les aspects de la preuve dans les présents motifs.

[56] Pour les raisons qui suivent, je conclus qu’Apotex n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que les revendications invoquées du brevet 188 sont invalides. Je conclus que les revendications invoquées ne sont pas antériorisées par la demande BR 601 et ne sont pas évidentes à la lumière de l’art antérieur, y compris de la demande BR 601. Je conclus également que les revendications invoquées ne sont pas invalides pour cause d’absence d’utilité démontrée, de divulgation insuffisante ou de portée excessive.

[57] Enfin, je conclus qu’Allergan n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’Apotex contrefera directement ou indirectement les revendications invoquées du brevet 188. Le produit d’Apotex est uniquement destiné à être utilisé avec des aliments. Il n’est pas destiné à être utilisé avec ou sans aliments, élément essentiel des revendications invoquées.

III. Le brevet 188

[58] Le brevet a pour titre « Formes galéniques du ris[é]dronate ».

[59] L’abrégé est rédigé ainsi :

Des formes galéniques à administration orale de ris[é]dronate constituées d’une préparation pharmaceutique comprenant une quantité sûre et efficace du ris[é]dronate, d’un agent chélatant, et de substances destinées à libérer le ris[é]dronate et l’agent chélatant de façon retardée dans l’intestin grêle, permettent la libération immédiate de la préparation pharmaceutique dans l’intestin grêle du sujet mammifère et une absorption pharmaceutiquement efficace du bisphosphonate avec ou sans aliments ou boissons. La présente invention diminue de façon substantielle l’interaction entre le ris[é]dronate et les aliments ou les boissons, ladite interaction résultant en la non-disponibilité du principe actif de type bisphosphonate pour l’absorption. La forme galénique résultante peut ainsi être prise avec ou sans aliments. En outre, la présente invention permet la libération du ris[é]dronate et de l’agent chélatant au niveau de l’intestin grêle, ce qui soulage de façon substantielle l’irritation de l’appareil gastro-intestinal supérieur associée aux thérapies employant des bisphosphonates. Ces avantages permettent de simplifier les régimes de traitement complexes existants et peuvent amener à une amélioration de l’observance des thérapies à base de bisphosphonates par le patient.

[60] Le brevet décrit le domaine de l’invention de la même manière que l’abrégé, ajoutant que [TRADUCTION] « l’invention se rapporte en outre à une méthode de traitement ou de prévention des maladies caractérisées par un métabolisme anormal du calcium et du phosphate, laquelle consiste à administrer à un humain ou à un autre mammifère qui en a besoin la forme pharmaceutique orale décrite dans le présent document ».

[61] Dans la section décrivant le contexte de l’invention, le brevet indique que les bisphosphonates ont d’abord été mis au point pour améliorer le rendement des détergents dans l’eau dure. Ils ont par la suite été jugés utiles pour le traitement et la prévention d’affections caractérisées par un métabolisme anormal du calcium et du phosphate. Ces affections se divisent en deux catégories : celles qui ont pour cause ou résultat des dépôts de calcium et de phosphate dans l’organisme, que l’on appelle des calcifications pathologiques (ce qui comprend l’ostéoporose); et celles qui se manifestent par des dépôts anormaux de calcium et de phosphate, ce qui comprend l’arthrite, la névrite, la bursite et d’autres affections inflammatoires.

[62] Le brevet décrit l’ostéoporose comme une affection qui cause une déperdition disproportionnée des tissus durs osseux par rapport à la formation de nouveaux tissus durs. La solidité osseuse est affaiblie et l’os devient moins dense et plus fragile.

[63] Le brevet souligne que les bisphosphonates ont tendance à inhiber la résorption des tissus osseux. Toutefois, l’administration de bisphosphonates entraîne parfois des brûlures d’estomac, des brûlures œsophagiennes, des douleurs à la déglutition, une difficulté à avaler ou une douleur au milieu du sternum. Le brevet indique que cette situation tiendrait au fait que le bisphosphonate adhère aux tissus muqueux, ce qui cause leur irritation. Pour éviter cette irritation, les patients recevaient la directive de prendre le médicament avec un grand verre d’eau et de rester en position verticale pendant une demi-heure.

[64] Le brevet indique que les bisphosphonates administrés par voie orale sont mal absorbés dans le tractus gastro-intestinal. Le brevet souligne également que des activateurs d’absorption, comme l’EDTA, ont été proposés pour accroître l’absorption des bisphosphonates, mais que leur utilisation était jugée impossible en raison de leur effet sur l’intégrité des muqueuses. Le brevet cite une publication d’Ezra, Aviva et coll., « Administration Routes and Delivery Systems of Bisphosphonates for the Treatment of Bone Resorption » (2000), Advanced Drug Delivery Reviews 42:175-195 [Ezra] (examinée dans les présents motifs dans le contexte de l’antériorité). Le brevet cite également Janner, Marco et coll., « Sodium EDTA enhances intestinal absorption of two bisphosphonates » (1991), Calcified Tissue International 49:280-283 [Janner] (publication aussi examinée dans le contexte de l’antériorité) quant à la conclusion selon laquelle la grande quantité d’EDTA requise afin d’accroître l’absorption excluait une éventuelle association de l’EDTA aux bisphosphonates administrés par voie orale.

[65] Le brevet souligne que le site principal d’absorption du bisphosphonate est l’intestin grêle et qu’une absorption similaire se produit dans la totalité de l’intestin grêle, peu importe le segment où le bisphosphonate est libéré (citant Mitchell, David Y. et coll., « Risedronate gastrointestinal absorption is independent of site and rate of administration » (1998), Pharmaceutical Research 15(2):228-232 [Mitchell 1998]). Le brevet précise que, pour cette raison, l’administration du bisphosphonate seul dans l’intestin grêle n’en augmenterait ni l’absorption ni l’efficacité.

[66] Le brevet indique également que [traduction] « d’autres ont tenté d’accroître l’absorption des bisphosphonates en augmentant la perméabilité de la muqueuse intestinale par la libération de microparticules d’agents chélatants et de bisphosphonate au site d’absorption précisé » (citant la demande BR 601).

[67] Le brevet souligne aussi que, même si certains organismes de réglementation ont approuvé les bisphosphonates en tant qu’options de traitement efficaces contre diverses pathologies osseuses, les interactions avec les aliments et les minéraux réduisent la quantité de bisphosphonate qui peut être absorbée. C’est ce que l’on appelle l’« effet des aliments ». Le brevet indique que selon l’article de Mitchell, David Y. et coll., « The effect of dosing regimen on the pharmacokinetics of risedronate » (1999), Br J Clin Pharmacol 48:536-542 [Mitchell 1999], l’administration du risédronate moins de 30 minutes avant un repas réduisait son absorption de 50 % par rapport à l’administration à jeun. Le brevet explique qu’en raison de l’effet des aliments, les directives posologiques indiquent au patient de prendre le médicament au moins 30 minutes avant le premier aliment de la journée. Le brevet ajoute que les directives posologiques peuvent être complexes et incommodes, et entraîner ainsi une piètre observance.

[68] Le brevet fait ensuite état du besoin toujours présent de mettre au point une forme pharmaceutique orale de bisphosphonate qui puisse, au choix du patient, être prise avec ou sans aliments ou boissons (c.-à-d. ayant la même absorption pharmaceutiquement efficace dans un cas comme dans l’autre) et qui n’irrite pas le tractus gastro-intestinal supérieur.

[69] Comme l’indique le brevet :

[traduction]

[i]l a été constaté qu’une préparation pharmaceutique comprenant du risédronate, une quantité suffisante d’agent chélatant pour lier les ions et les minéraux dans les aliments, et des substances destinées à libérer le risédronate et l’agent chélatant de façon retardée dans l’intestin grêle est utile en tant que forme pharmaceutique orale qui libère immédiatement le risédronate dans l’intestin grêle et qui garantit une absorption pharmaceutiquement efficace du risédronate, que cette préparation soit administrée avec ou sans prise d’aliments ou de boissons.

[70] Le brevet mentionne également que les formes pharmaceutiques orales de l’invention peuvent être prises avec ou sans aliments ou boissons, ce qui simplifie le traitement et accroît l’observance, ainsi que la commodité pour le patient. De plus, la forme pharmaceutique orale entraîne une libération retardée dans l’intestin grêle, ce qui peut atténuer l’irritation du tractus gastro-intestinal supérieur causée par les autres bisphosphonates oraux, de même que la nécessité de rester en position verticale après l’ingestion.

[71] Le résumé de l’invention décrit plusieurs aspects. L’un de ces aspects, de nature générale, concerne la forme pharmaceutique orale du risédronate pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons. On y décrit notamment une préparation pharmaceutique qui comprend entre 1 mg et 70 mg de bisphosphonate (ce qui inclut le risédronate), de l’EDTA dont la solubilité dans l’eau équivaut à au moins 50 % de celle du bisphosphonate, et un enrobage gastrorésistant.

[72] Les termes pertinents sont définis dans la description détaillée de l’invention. Il est à noter que l’expression [traduction] « absorption pharmaceutiquement efficace » désigne [traduction] « une quantité de composé chélatant suffisamment élevée pour assurer une liaison substantielle avec les ions métalliques et les minéraux dans les aliments, mais suffisamment faible pour que l’absorption ne soit pas modifiée de façon importante par rapport à l’absorption à jeun. Autrement dit, l’absorption est similaire avec ou sans prise de nourriture. Étant donné la grande variabilité de l’absorption du bisphosphonate, on s’attend à ce qu’une exposition avec prise de nourriture représentant environ 50 % de l’exposition à jeun corresponde à une absorption pharmaceutiquement efficace ».

[73] S’agissant des « trousses », le brevet indique que l’invention englobe des trousses utiles pour l’administration des formes orales selon un régime posologique continu d’une fois par jour, une fois par semaine, trois fois par mois, deux fois par mois ou une fois par mois. Les trousses comprennent un mode d’emploi, un emballage, des dispositifs de distribution ainsi que d’autres aide-mémoire.

[74] Le brevet comporte 12 exemples. Les exemples I à VIII concernent des comprimés à enrobage gastrorésistant contenant du risédronate et de l’EDTA. L’exemple IX concerne une capsule molle contenant du risédronate et de l’EDTA. Les exemples X à XII décrivent les patients qui prennent les formes pharmaceutiques précisées dans les exemples I et IV.

[75] Le brevet 188 comporte 137 revendications, dont deux revendications indépendantes : les revendications 1 et 98. Des revendications dépendantes précisent les plages de quantités du bisphosphonate ou de l’EDTA ou d’autres éléments, traitent de l’utilisation et du traitement et décrivent les trousses.

[76] Allergan a restreint les revendications invoquées, décrites plus en détail ci-dessous. La revendication clé est la revendication 1, car d’autres revendications en dépendent (les revendications dépendantes).

[77] La revendication 1 du brevet 188 est formulée ainsi :

[traduction]

1. Une forme pharmaceutique orale d’un bisphosphonate pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons, constituée d’une préparation pharmaceutique qui comprend :

a) entre 1 mg environ et 70 mg environ de bisphosphonate, le bisphosphonate étant le risédronate, un acide, sel, ester, hydrate, polymorphe ou solvate de ce bisphosphonate, ou une combinaison de deux ou plusieurs de ces éléments;

b) de l’EDTA, cet EDTA ayant une solubilité dans l’eau équivalant à au moins 50 % de celle du bisphosphonate;

c) un enrobage gastrorésistant,

l’enrobage gastrorésistant assurant la libération du bisphosphonate et de l’EDTA dans l’intestin grêle, et le rapport molaire entre l’EDTA et le bisphosphonate étant d’au moins 2, pour permettre une absorption pharmaceutiquement efficace du bisphosphonate avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons.

[78] Autres revendications : Les revendications 1 à 63 et 98 à 132 portent sur les formes pharmaceutiques orales; les revendications 64 à 77 et 133 à 136 concernent l’utilisation de ces formes pharmaceutiques orales aux fins de traitement; les revendications 79 et 137 ont trait à une trousse.

IV. La preuve

A. Les témoins experts cités par Allergan

[79] Le DJonathan Adachi est un médecin en exercice au Canada et un spécialiste du diagnostic de l’ostéoporose, du traitement de cette maladie et des soins assurés aux patients qui en sont atteints, notamment au moyen de bisphosphonates. Le Dr Adachi est le seul expert qualifié en qualité de médecin canadien. Il traite des patients atteints d’ostéoporose depuis plus de 35 ans et a été président d’Ostéoporose Canada, la seule organisation nationale se consacrant à l’ostéoporose. Son témoignage principal a porté sur l’interprétation des revendications et sur la contrefaçon du point de vue d’un médecin qualifié. Il a également répondu au rapport du Dr Yates concernant l’invalidité.

[80] Le Dr Adachi a décrit les connaissances générales courantes du médecin qualifié en date d’avril 2005, à savoir notamment que les bisphosphonates constituaient une catégorie bien connue de médicaments pour le traitement de l’ostéoporose et que plusieurs d’entre eux étaient sur le marché. Il a expliqué que les bisphosphonates avaient pour inconvénient une faible biodisponibilité par voie orale, biodisponibilité qui était considérablement réduite s’ils étaient pris avec des aliments. Il a également souligné que les exigences posologiques rigoureuses – prendre le médicament à jeun avec un grand verre d’eau, s’abstenir de nourriture et de boissons pendant au moins 30 minutes et rester en position verticale – posaient des problèmes aux patients et aux médecins. Il a ajouté que les patients ne respectaient pas toujours les directives posologiques, ce qui nuisait à leur traitement.

[81] De l’avis du Dr Adachi, les revendications du brevet 188 seront contrefaites par Apotex parce que le produit d’Apotex est destiné à être utilisé aussi bien avec nourriture que sans nourriture. Le Dr Adachi a expliqué que la monographie du produit d’Apotex doit être interprétée de façon globale et qu’elle informerait les médecins que, pris avec ou sans nourriture, le produit permettrait une absorption pharmaceutiquement efficace. Selon le Dr Adachi, le médecin qualifié comprendrait que les directives posologiques indiquant que le produit doit être pris avec de la nourriture visent uniquement à réduire au minimum le risque de douleurs abdominales, et saurait que le produit est efficace, peu importe qu’il soit pris avec ou sans nourriture. Le Dr Adachi a expliqué que, d’après son expérience, seule une minorité de personnes traitées souffrent de douleurs abdominales.

[82] Selon le Dr Adachi, le produit d’Apotex contrefait les revendications du brevet 188, et la monographie du produit d’Apotex incitera les médecins à prescrire ce produit d’une manière qui contrefera les revendications invoquées.

[83] Le Dr Adachi a déclaré que la directive selon laquelle ACTONEL DR « doit » être pris avec de la nourriture vise à réduire au minimum le risque de douleurs abdominales hautes, ce qui est signalé dans la monographie du produit. Le Dr Adachi a affirmé que le médecin qualifié comprendrait que la prise du produit avec de la nourriture peut réduire le risque de douleurs abdominales, mais que le produit est néanmoins efficace s’il est pris sans nourriture. Il a répété que, d’après son expérience, seule une minorité de personnes traitées souffrent de douleurs abdominales hautes au point d’interrompre le traitement. Le plus important est que le médicament soit pris. Le Dr Adachi a déclaré que la prise du produit avec nourriture et la prise sans nourriture constituent deux utilisations « conformes à l’étiquette ».

[84] Le Dr Adachi s’est dit d’avis que les médecins traitant l’ostéoporose sauraient qu’ACTONEL DR peut être pris avec ou sans nourriture, malgré les directives posologiques, car c’est ce qu’indique la monographie d’ACTONEL DR lorsqu’elle est interprétée dans son ensemble. Le Dr Adachi a affirmé que le médecin qualifié serait convaincu que la même formulation peut être prise avec ou sans nourriture et qu’elle assurera une absorption similaire dans les deux cas.

[85] M. Fakhreddin Jamali est un spécialiste de la pharmacocinétique dans le cadre d’études cliniques chez l’humain et de l’évaluation et l’approbation des demandes relatives aux médicaments génériques, notamment pour ce qui est des formes pharmaceutiques à enrobage gastrorésistant et des documents d’orientation connexes de Santé Canada. M. Jamali est titulaire d’un doctorat en pharmacie (Pharm. D.) et d’un doctorat (Ph. D.) dans une discipline connexe. Il a été membre du Comité consultatif scientifique sur la biodisponibilité et la bioéquivalence au sein du Programme des produits thérapeutiques de Santé Canada. Il a été consultant pour des fabricants de produits pharmaceutiques de marque et génériques. Son témoignage a porté sur les informations présentées par Apotex à Santé Canada concernant la bioéquivalence du produit d’Apotex comparativement à ACTONEL DR.

[86] M. Jamali a expliqué qu’il ne suffirait pas qu’un fabricant de médicaments génériques déclare qu’un médicament « doit » être pris avec de la nourriture pour que Santé Canada accepte qu’aucune étude de bioéquivalence ne soit effectuée chez des personnes à jeun, compte tenu des exigences strictes du document d’orientation de Santé Canada sur la bioéquivalence. M. Jamali a d’abord affirmé qu’il était probable qu’Apotex ait effectué des essais de bioéquivalence entre les deux médicaments pris à jeun et avec de la nourriture. À la suite de son examen de documents supplémentaires, M. Jamali a confirmé qu’Apotex avait demandé ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| pour des raisons d’innocuité lorsque le produit est pris à jeun.

[87] M. Serge Cremers est un pharmacologue qui possède une expertise en pharmacologie clinique et translationnelle des bisphosphonates, y compris pour le traitement des maladies métaboliques osseuses comme l’ostéoporose. M. Cremers a obtenu un Pharm. D. et un Ph. D. aux Pays-Bas. Il a beaucoup publié et est actuellement professeur au Centre médical Irving de l’Université Columbia, à New York. Son témoignage a porté sur l’interprétation des revendications et sur la contrefaçon du point de vue d’un pharmacologue. Il a également répondu aux rapports du Dr Yates et de M. Parr concernant les allégations d’invalidité.

[88] M. Cremers a souligné que l’on sait depuis longtemps que les aliments ont un effet sur les formulations orales de nombreux bisphosphonates. Le non-respect des directives posologiques rigoureuses entraîne une absorption moindre et des résultats cliniques inférieurs. M. Cremers a ajouté que de nombreux patients avaient de la difficulté à suivre le régime posologique.

[89] M. Cremers a souligné que le brevet 188 avait principalement pour objet de contrer l’effet des aliments qui entrave l’absorption du bisphosphonate et que la biodisponibilité constituait le facteur le plus important.

[90] M. Cremers a affirmé que la personne versée dans l’art comprendrait que le brevet 188 concerne une solution au problème de l’effet des aliments sur les bisphosphonates, à savoir des préparations pharmaceutiques qui comprennent du risédronate, une quantité suffisante d’agent chélatant pour lier les ions et les minéraux présents dans les aliments, et des substances destinées à libérer le risédronate et l’agent chélatant de façon retardée dans l’intestin grêle. La personne versée dans l’art comprendrait que le brevet divulgue que ces formes pharmaceutiques orales surmontent le problème de l’effet des aliments, car elles permettent une [TRADUCTION] « absorption pharmaceutiquement efficace du risédronate, que [ces préparations soient administrées] avec ou sans prise d’aliments ou de boissons ».

[91] M. Cremers a comparé le produit d’Apotex au produit de référence ACTONEL DR et a conclu que le produit d’Apotex contient tous les éléments essentiels des revendications invoquées du brevet 188 et qu’il contreferait ces revendications.

[92] M. Cremers a reconnu que les directives posologiques pour ACTONEL DR et aussi pour APO-RISEDRONATE DR étaient précises, mais il a ajouté qu’une monographie de produit devait être lue de manière globale.

[93] D’après M. Cremers, le brevet 188 n’était pas antériorisé par la demande BR 601 et n’était pas évident.

[94] En ce qui concerne l’allégation d’évidence, M. Cremers a déclaré que, au 15 avril 2005, l’art antérieur ne contenait, à sa connaissance, aucune solution directe au problème de l’effet des aliments pour les formulations orales de bisphosphonates.

[95] M. Cremers a déclaré que l’état de la technique ne comprenait pas les formes pharmaceutiques revendiquées de risédronate qui surmontaient l’effet des aliments et permettaient également une absorption similaire lorsqu’elles étaient prises avec ou sans aliments. Il faudrait faire preuve d’ingéniosité pour combler les différences et parvenir à l’invention.

[96] M. Patrick Sinko est un spécialiste des sciences pharmaceutiques, notamment en ce qui concerne la pharmacocinétique des produits pharmaceutiques, la formulation des médicaments, les systèmes d’administration de médicaments et la toxicologie. Il a obtenu son doctorat aux États‐Unis et est professeur au département des sciences pharmaceutiques de l’Université Rutgers, au New Jersey, depuis 1991. Il a beaucoup publié et a été réviseur et examinateur pour de nombreuses revues scientifiques. De plus, il est membre de la Society of Toxicology. Son témoignage répondait aux rapports de M. Parr et du Dr Dillberger sur les allégations d’invalidité. L’avocat d’Apotex s’est opposé à ce que M. Sinko soit reconnu comme expert en toxicologie, mais la Cour est convaincue qu’il est bel et bien un expert en toxicologie, compte tenu de son curriculum vitae et de l’explication qu’il a donnée de son expertise, y compris son rôle à l’Université Rutgers.

[97] M. Sinko a déclaré que l’invention du brevet 188 surmonte l’effet des aliments et qu’elle a comme avantage supplémentaire de ne pas augmenter de façon notable la perméabilité de la membrane de l’intestin grêle lorsque le médicament est pris sans nourriture. M. Sinko a mentionné que ce facteur est important, car une altération notable de la membrane de l’intestin grêle peut avoir des effets irréversibles. À son avis, le brevet 188 atteint deux objectifs : il fournit une forme pharmaceutique orale de risédronate qui peut être prise avec ou sans nourriture, et il le fait de façon sécuritaire.

[98] D’après M. Sinko, le brevet 188 n’est pas antériorisé par la demande BR 601 et n’est pas évident.

[99] En ce qui concerne l’évidence, M. Sinko a déclaré qu’aucune antériorité n’enseignait la combinaison d’une quantité précise de risédronate, d’une quantité précise d’EDTA ou d’un enrobage gastrorésistant précis permettant d’obtenir une [TRADUCTION] « absorption pharmaceutiquement efficace », telle que définie dans le brevet 188.

[100] Mme Maria Margarida Rodrigues Mittelbach est l’ancienne directrice du registre des brevets au bureau des brevets du Brésil (c.-à-d. l’Institut national de la propriété industrielle) et elle possède une expertise à l’égard des pratiques et procédures liées à ce registre, notamment pour l’année 2005. Elle est avocate et conseillère juridique au Brésil. De 1970 à 1999, elle a travaillé au bureau des brevets du Brésil comme examinatrice de brevets, puis comme directrice du registre des brevets pendant plus de 12 ans. En 2002, elle a lancé son propre cabinet d’avocats en propriété intellectuelle. Mme Mittelbach continue de bien connaître les pratiques et procédures relatives aux brevets au Brésil. Elle a expliqué comment il était possible de trouver une demande de brevet et a traité, en particulier, de la probabilité que la demande BR 601 soit trouvée et consultée.

[101] Mme Mittlebach a expliqué la procédure de recherche d’un brevet ou d’une demande de brevet au Brésil. Elle a reconnu que la base de données en ligne du bureau des brevets brésilien était accessible au public en 2005, mais a fait remarquer qu’elle n’était pas aussi fiable ou précise qu’actuellement. Mme Mittlebach a exprimé l’avis que les praticiens expérimentés ne pouvaient pas se fier uniquement à la base de données pour rechercher des demandes de brevet publiées, en raison du temps important qui s’écoule avant la première publication de la demande dans le journal du Brésil. Elle a également noté que le journal n’a été disponible sous forme numérique qu’à partir du 14 juin 2005 (deux mois après la date pertinente). Mme Mittlebach a expliqué que le journal du Brésil est publié chaque semaine et qu’il comprend des centaines de résumés qui nécessiteraient un examen de l’ensemble du document. Elle a précisé que la recherche d’un brevet doit être effectuée en portugais et que seuls le titre, le numéro de la demande et le résumé peuvent être recherchés à l’aide de mots clés. Le texte intégral de la demande de brevet n’est pas consultable au moyen de mots clés. Les demandeurs doivent se présenter en personne au bureau des brevets brésilien pour obtenir une copie d’un brevet.

[102] Mme Mittlebach a également noté que la base de données montre que la première fois qu’une copie de la demande BR 601 a été demandée au bureau des brevets brésilien était en avril 2013, même si elle a reconnu qu’une simple copie (non officielle) aurait pu être obtenue auparavant au moyen d’une demande en personne.

B. Témoins des faits cités par Allergan

[103] M. David Burgio est l’un des inventeurs du brevet 188. Il est actuellement vice-président principal de la recherche et du développement pour le secteur mondial des soins de santé personnels chez P&G. M. Burgio était le pharmacocinéticien et pharmacologue au sein de l’équipe qui a mis au point ACTONEL DR. M. Burgio a joint à son affidavit des documents confidentiels concernant le développement de l’invention chez P&G.

[104] M. Burgio a décrit ses travaux et ceux de M. Dansereau qui, après cinq ans, ont mené à l’invention d’une forme pharmaceutique orale pour surmonter l’effet des aliments. Il a notamment décrit les obstacles survenus, les préoccupations concernant l’utilisation de l’EDTA, l’augmentation de la perméabilité intestinale, les études sur Enterion qui ont donné lieu à une nouvelle stratégie ciblant la libération dans l’intestin grêle, la mise à l’essai de formulations prototypes et l’élaboration clinique de la formulation. M. Burgio a également expliqué divers documents de P&G qui relatent en détail leur projet.

[105] M. Burgio a expliqué qu’il ne se souvenait pas de la façon dont il avait pris connaissance de la demande BR 601, mais il a précisé que cela s’était produit après que M. Dansereau et lui eurent mis au point leur invention. Il a exprimé l’avis que la demande BR 601 avait probablement été fournie par quelqu’un de l’équipe de P&G chargée des poursuites en matière de brevets.

[106] M. Richard Dansereau est l’un des inventeurs nommés dans le brevet 188. Avant de prendre sa retraite, il a travaillé pour P&G à titre de scientifique et de chercheur associé pendant 35 ans. Il était le formulateur principal au sein de l’équipe qui a mis au point ACTONEL DR. M. Dansereau a joint à son affidavit des documents confidentiels relatifs à la mise au point de l’invention chez P&G.

[107] M. Dansereau a décrit le travail qu’il avait effectué avec M. Burgio, ainsi que d’autres, à P&G pour contrer l’effet des aliments sur le risédronate, un médicament qui comportait des directives posologiques incommodes, en particulier pour les femmes âgées, qui forment la principale population de patients atteints d’ostéoporose. Il a mentionné que P&G avait déterminé que l’effet des aliments constituait le plus important besoin non satisfait touchant les bisphosphonates. Il a expliqué que l’on ignorait à l’époque ce qui causait l’effet des aliments et que diverses hypothèses ainsi que diverses options avaient été formulées en vue de remédier à cet effet.

[108] M. Dansereau a décrit le travail des inventeurs d’une manière similaire à celle de M. Burgio, y compris en ce qui concerne les revers et les difficultés, les études avec Enterion et la mise à l’essai de formulations prototypes. Il a expliqué que l’hypothèse initiale de la libération dans le côlon n’avait pas été retenue. S’agissant de l’utilisation d’agents chélatants, il a mentionné qu’il s’était concentré sur l’EDTA en raison de ses fortes caractéristiques de liaison comparativement au risédronate. À l’époque, l’EDTA avait été utilisé comme stabilisateur ou agent de conservation, mais non pour ce type d’application pharmaceutique.

[109] Au sujet de la demande de brevet BR 601, M. Dansereau ne se rappelait pas comment elle avait été portée à son attention, mais, comme M. Burgio, il pensait qu’elle avait peut-être été fournie par le service des brevets de P&G. M. Dansereau a dit avoir eu l’impression, après avoir examiné la demande BR 601, que l’un des objectifs de celle-ci était d’utiliser un agent chélatant pour accroître la perméabilité de la muqueuse intestinale et accroître ainsi la capacité d’absorption du bisphosphonate. Il a expliqué que M. Burgio et lui-même ne voulaient pas modifier la perméabilité intestinale. À son avis, la demande BR 601 visait l’utilisation de plus faibles doses du bisphosphonate, et non à remédier à l’effet des aliments.

[110] M. Foo-Lim Yeh est le directeur des affaires réglementaires chez Allergan, responsable de la supervision de l’approbation réglementaire et du maintien des produits pharmaceutiques d’Allergan auprès de Santé Canada. M. Yeh a attesté l’avis de conformité d’Allergan pour ACTONEL DR.

C. Témoins experts cités par Apotex

[111] Le Dr John Yates est un expert en pharmacologie, notamment en ce qui concerne la pharmacologie et la chimie des bisphosphonates, le métabolisme osseux et minéral, la mise au point de produits pharmaceutiques pour traiter les troubles osseux, dont l’ostéoporose, et l’utilisation des bisphosphonates pour traiter les troubles osseux, dont l’ostéoporose. Il est titulaire de diplômes obtenus au Royaume-Uni qui équivalent à un doctorat en médecine et à un Ph. D. au Canada. De 1990 à 2003, le Dr Yates a dirigé une équipe de chercheurs chez Merck & Co. Inc. [Merck] qui a axé ses travaux sur le développement de l’alendronate, lequel est un bisphosphonate. Le Dr Yates a traité des allégations d’invalidité concernant le brevet 188, notamment de l’état de la technique en date du 15 avril 2005, du point de vue d’un pharmacologue. Il a également répondu à l’opinion du Dr Adachi sur les allégations de contrefaçon.

[112] Selon le Dr Yates, le produit d’Apotex ne contrefera pas le brevet 188, car il ne s’agit pas d’un produit qui peut être pris avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons.

[113] Le Dr Yates a déclaré que les revendications du brevet 188 exigent que la forme pharmaceutique orale assure une [TRADUCTION] « absorption pharmaceutiquement efficace », qu’elle soit administrée à jeun ou non. Il a souligné qu’aux termes du brevet, le patient peut, à son choix, prendre la dose à jeun ou avec de la nourriture, et que l’intention est de simplifier le traitement et d’en accroître l’observance.

[114] Selon le Dr Yates, le brevet 188 est antériorisé par la demande BR 601 et il est évident sur la base de l’art antérieur, y compris de la demande BR 601.

[115] En ce qui concerne l’évidence, le Dr Yates a déclaré qu’il n’y avait aucune différence entre l’état de la technique en 2005 et l’objet des revendications. Le Dr Yates ajoute que toute différence éventuelle aurait été comblée par la personne versée dans l’art qui aurait recouru à ses connaissances générales courantes et facilement combiné plusieurs autres antériorités pour développer l’objet des revendications invoquées.

[116] Le Dr Yates a insisté sur les enseignements de la demande BR 601, qui, selon lui, donne des indications sur chacun des éléments des revendications. Selon lui, la demande BR 601 divulgue une association gastrorésistante de bisphosphonate et d’EDTA qui assurera une absorption pharmaceutiquement efficace, parce que la demande n’inclut aucune exigence concernant la prise à jeun ou avec de la nourriture. Le Dr Yates a ajouté que même sans la demande BR 601, les revendications du brevet 188 seraient évidentes. Il a donné son avis sur les enseignements fournis par plusieurs antériorités. Entre autres choses, il n’était pas d’accord avec les experts d’Allergan pour dire que l’art antérieur décourageait l’utilisation de l’EDTA.

[117] M. Alan Parr est un expert en formulation pharmaceutique, notamment en ce qui concerne la préformulation de formes pharmaceutiques solides (tant classiques qu’à libération retardée ou contrôlée) et la biopharmaceutique des produits pharmaceutiques, y compris leur conception et leur évaluation, et notamment pour les médicaments à faible absorption ou faible solubilité. Il a obtenu un Pharm. D. et un Ph. D. aux États-Unis. Il possède 30 ans d’expérience dans l’industrie pharmaceutique, dont 28 ans chez GlaxoSmithKline. Il est actuellement consultant indépendant en biopharmaceutique. M. Parr a traité des questions de validité, notamment pour ce qui est des enseignements qu’on pouvait tirer de l’état de la technique au 15 avril 2005 et des connaissances générales courantes, du point de vue d’un pharmacologue.

[118] Selon M. Parr, le brevet 188 est antériorisé par la demande BR 601 et est évident au regard de la demande BR 601 et des enseignements de l’art antérieur.

[119] M. Parr a expliqué les enseignements de l’art antérieur de son point de vue, notant entre autres que des formulations d’EDTA et de bisphosphonates avaient été décrites dans l’art antérieur et que l’EDTA était connu pour être sans danger à des niveaux particuliers, y compris ceux dépassant les quantités indiquées dans le brevet 188. M. Parr n’a pas souscrit à l’avis de M. Sinko concernant les effets négatifs possibles de l’EDTA sur l’intestin.

[120] M. Parr a aussi exprimé l’opinion selon laquelle la demande BR 601 permet à la personne versée dans l’art, qui utilise ses connaissances générales courantes, de préparer le produit qui fait l’objet des revendications. Il a cité l’exemple de la formulation d’alendronate dans la demande BR 601. M. Parr a fait remarquer qu’un formulateur de produits pharmaceutiques saurait utiliser les excipients et les enrobages gastrorésistants précisés dans la demande BR 601 et que les formes pharmaceutiques revendiquées dans le brevet 188 ne seraient pas difficiles à préparer. M. Parr a ajouté que l’art antérieur incluait la divulgation de cette combinaison (citant la demande BR 601, la demande de brevet PCT WO 00/61111 [la demande WO 111], le brevet américain no 5,462,932 [le brevet 932] et le brevet américain no 5,730,715).

[121] Selon M. Parr, il n’y a pas de différence entre l’état de la technique en avril 2005 et l’objet du brevet 188. La seule différence possible est qu’il n’y avait pas, dans l’art antérieur, d’exemple précis de fabrication d’un comprimé à enrobage gastrorésistant contenant du risédronate et de l’EDTA. M. Parr a déclaré que cette différence serait facilement comblée sans ingéniosité inventive.

[122] Le Dr John Dillberger est un expert en toxicologie et en application de la toxicologie, de la pathologie et de la pharmacologie à l’évaluation de l’innocuité des médicaments ainsi qu’à la préparation de trousses d’évaluation de l’innocuité pour les demandes d’homologation. Il a obtenu son doctorat en médecine vétérinaire et son doctorat en pathologie et toxicologie environnementales aux États-Unis. Il a été accrédité comme expert en pathologie vétérinaire et en toxicologie par des organismes professionnels américains, et il est membre associé de l’International Academy of Toxicologic Pathology. Son témoignage a porté sur l’innocuité de l’EDTA et sur l’utilisation de celui-ci dans les aliments et les produits pharmaceutiques au 15 avril 2005.

[123] Le Dr Dillberger n’était pas d’accord pour dire que l’art antérieur dont fait état le brevet 188 ainsi que les autres éléments de l’art antérieur incitaient à éviter d’utiliser l’EDTA. Il n’était pas d’accord avec M. Sinko pour dire que l’EDTA, en particulier associé à un bisphosphonate, avait un effet toxique sur la membrane intestinale. Le Dr Dillberger a affirmé que l’EDTA était largement utilisé dans les aliments et les produits pharmaceutiques au 15 avril 2005.

[124] M. Lélio Denicoli Schmidt est un expert en droit brésilien de la propriété intellectuelle, notamment en droit et pratique des brevets, y compris devant le bureau des brevets brésilien. Il est titulaire d’un doctorat en propriété intellectuelle. M. Schmidt est actuellement associé principal dans un cabinet d’avocats brésilien spécialisé dans la propriété intellectuelle et il est un agent de brevets et de marques inscrit auprès du bureau des brevets et des marques de commerce brésilien. Il est intervenu en tant qu’expert pour assister les juges brésiliens dans plusieurs affaires en matière de propriété intellectuelle. Son témoignage a porté exclusivement sur le dépôt et la publication de la demande BR 601 et sur la possibilité et la manière de la trouver et d’y accéder.

[125] M. Schmidt a confirmé que la demande BR 601 a été déposée le 21 décembre 2001 et a été publiée dans le journal officiel n° 1705 du bureau des brevets brésilien le 9 septembre 2003. Il a noté que le journal fournissait le numéro de la demande, la date de dépôt de la demande, le titre de l’invention, le résumé de l’invention, le nom du demandeur, le nom de l’inventeur et le nom de l’agent de brevets.

[126] Selon M. Schmidt, avant avril 2005, la demande BR 601 aurait été accessible au public sur la base de données en ligne du bureau des brevets brésilien, créée en 1997, qui comprend les brevets brésiliens délivrés et les demandes de brevet publiées. Il a expliqué que, pour obtenir une copie complète de la demande BR 601, on doit se présenter au bureau des brevets brésilien; la demande ne peut pas être faite par écrit ou transmise par voie électronique.

[127] En ce qui concerne la manière dont il a trouvé la demande BR 601, M. Schmidt a reconnu que le numéro de la demande lui a été fourni par l’avocat d’Apotex. Il a expliqué qu’il avait trouvé la demande BR 601 dans la base de données en saisissant le numéro de la demande, ce qui l’a conduit au journal officiel n° 1705. Il a également reconnu qu’il n’avait jamais cherché la demande BR 601 avant avril 2005 et que, en fait, la première fois qu’il l’a fait, c’était en 2020.

[128] M. Schmidt a reconnu que plus de 300 demandes de brevet sont publiées dans chaque édition hebdomadaire du journal officiel et que la demande BR 601 a été publiée dans un tel volume.

D. Témoins des faits cités par Apotex

[129] M. Duane Terrill est directeur, Affaires réglementaires pour le Canada et les Caraïbes pour Apotex. Il est employé par Apotex depuis 1990 et se concentre sur les affaires réglementaires depuis 2005. Entre autres responsabilités, il a supervisé les présentations réglementaires à Santé Canada pour le produit d’Apotex. M. Terrill a joint à son affidavit les documents déposés auprès de Santé Canada concernant le produit d’Apotex.

[130] M. Terrill a expliqué qu’Apotex a soumis à Santé Canada un supplément à une présentation abrégée de drogue nouvelle [SPADN] pour APO-RISEDRONATE DR. Il a fait remarquer qu’Apotex n’a mené une étude comparative de biodisponibilité que sur les comprimés APO‐RISEDRONATE DR et ACTONEL DR |||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||. Apotex a demandé ||||| ||||| à Santé Canada ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||v||||| |||||||||| ||||| |||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||, présenté à Santé Canada, mentionné les préoccupations en matière d’innocuité associées à l’administration du produit à jeun (c’est-à-dire des douleurs abdominales hautes), la position de la Food and Drug Administration des États-Unis [la FDA], qui n’a mené qu’une étude sur l’alimentation, et les instructions sur l’étiquetage selon lesquelles ACTONEL DR doit être consommé après le déjeuner. Santé Canada a accordé ||||||||| |||||||||.

[131] En contre‐interrogatoire, lorsqu’on lui a présenté |||||||||||||||||| |||||||||||||||||| une ||| ||| étude réalisée en 2016 à la demande d’Apotex, M. Terrill a déclaré qu’il ne savait pas qu’Apotex avait mené |||||||||||||||| |||||||||||||||| des études avec des comprimés de risédronate à libération retardée de 35 mg. Il a reconnu qu’il semblait qu’Apotex avait mené une telle étude ||| ||| en 2016.

[132] M. Terrill a déclaré qu’Apotex n’a pas mené ||| ||| d’étude sur la formulation précise qui a finalement été présentée à Santé Canada.

[133] M. Terrill n’a pas contesté la prétention de l’avocat d’Allergan selon laquelle Apotex cherchait à |||||||||||||pursue a course of action for other reasons||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||| .

[134] M. Martin Bonenfant est directeur, Affaires juridiques et Propriété intellectuelle chez la société biopharmaceutique Medicago Inc.. Il est titulaire d’un doctorat en biologie de la reproduction. Entre 2002 et 2005, il a été employé comme analyste scientifique par le Chemical Abstracts Service, une division de l’American Chemical Society et un fournisseur de renseignements scientifiques. Entre 2005 et 2008, M. Bonenfant a été employé par le cabinet canadien Ogilvy Renault en tant que conseiller technique en brevets.

[135] M. Bonenfant a expliqué que, pendant son emploi à Chemical Abstracts Service, il était chargé d’examiner les documents scientifiques et de saisir les renseignements pertinents dans la base de données « STN », une base de données qui offre une couverture mondiale des documents scientifiques, y compris les journaux internationaux, les brevets et les demandes de brevet. Il a noté que, étant donné l’équipe composée de plus de 800 analystes, qui parlent différentes langues, les publications en langues étrangères sont examinées et les renseignements pertinents sont inscrits dans la base de données, notamment le titre, le résumé, la date de publication, le type de publication (scientifique ou brevet), la langue et la date de saisie.

[136] M. Bonenfant a été chargé par Apotex d’effectuer une recherche sur le moteur de recherche STN pour trouver des documents scientifiques, y compris des demandes de brevet, dont les titres contenaient les mots « composition » et « bisphosphonates ». M. Bonenfant a attesté que, le 21 janvier 2021, il a effectué une recherche dans la base de données STN pour trouver des publications en utilisant des termes de recherche précis dont le titre contenait les mots « composition » et « bisphosphonates ». Il en est ressorti 27 documents scientifiques, dont l’un contenait des renseignements sur la demande BR 601.

En contre-interrogatoire, M. Bonenfant a convenu que l’accès à la base de données STN nécessite un abonnement payant.

E. Observations sur les témoignages des experts

[137] Les deux parties soutiennent que les témoignages de leurs experts sont plus crédibles et fondés sur une expérience plus grande ou plus pertinente que ceux de leur adversaire. Elles dénigrent les experts de la partie adverse pour diverses raisons, notamment leur participation à des litiges analogues aux États-Unis, leur défense d’une position particulière et leurs réponses parfois fabriquées, parfois vagues.

[138] Allergan soutient que les experts d’Apotex avaient des opinions prédéterminées sur l’enseignement de la technique. Allergan note que le Dr Yates et le Dr Dillberger avaient tous deux témoigné dans le litige américain concernant le produit analogue et ont tous deux reconnu qu’ils confirmaient les mêmes opinions que celles formulées dans le cadre du litige précédent.

[139] Allergan met également en garde contre le fait de se fier aux opinions, reposant sur une appréciation rétrospective, des experts d’Apotex, notant qu’Apotex a sélectionné les antériorités et les a fournies aux experts. Allergan ajoute que les experts d’Apotex n’ont pas effectué d’autres recherches sur l’art antérieur pertinent qui soutiendraient un point de vue différent.

[140] Comme je l’ai déclaré à l’audience, j’examine tous les éléments de preuve, y compris les témoignages des experts dans leur intégralité. Je suis sceptique lorsqu’on me montre des extraits d’interrogatoires et de contre-interrogatoires qui vont dans une direction particulière pour soutenir un argument particulier sans prise en compte de l’ensemble du contexte.

[141] Les experts ont tous apporté leur expertise et leur point de vue sur les questions et les mandats qui leur ont été confiés et ont fourni des réponses détaillées aux questions ainsi que des éléments de preuve détaillés.

[142] Cependant, malgré le fait que tous les experts étaient hautement qualifiés et que certains avaient une expertise semblable, leurs opinions différaient sur plusieurs questions clés. Ils ont interprété différemment l’art antérieur et certains ne souscrivaient pas à des déclarations formulées dans certaines antériorités, tandis qu’ils admettaient d’emblée d’autres déclarations, sans aucun examen ou sur la base d’hypothèses. Par exemple, malgré son expertise considérable et la grande estime que lui portent les autres experts, le Dr Yates n’était pas convaincant sur plusieurs questions en raison de ses interprétations, de ses hypothèses et de sa rigidité.

[143] En ce qui concerne l’argument d’Allergan selon lequel le témoignage de M. Parr rendu « en aveugle » (sans qu’il ait préalablement examiné les antériorités ou le brevet 188), ne mérite pas plus de poids que les autres témoignages étant donné la manière artificielle dont son opinion a été obtenue, je note que la jurisprudence est partagée quant au traitement d’une telle preuve. Je préfère l’approche préconisée aux paragraphes 58 et 59 de la décision Janssen Inc c Apotex Inc, 2019 CF 1355 [Janssen 2019], selon laquelle on n’accorde pas nécessairement plus de poids aux opinions « en aveugle » simplement en raison du fait qu’elles ont été données « en aveugle ». Comme l’a noté la Cour :

[58] Dans certaines de ses décisions, la Cour privilégie les témoins qui n’ont pas été mis au courant de l’invention. Toutefois, j’estime qu’une trop grande importance est peut-être accordée au fait de soustraire l’invention à la connaissance des témoins. Il peut s’agir d’un facteur à prendre en considération pour décider du poids à accorder à un témoignage, mais la Cour s’intéresse davantage à l’essence de l’opinion et du raisonnement qui sous‐tendent les conclusions. À cet égard, ma conclusion est semblable à celle que la Cour a tirée dans Shire Canada Inc c Apotex Inc., 2016 CF 382, 265 ACWS (3d) 456.

[59] Dans certains cas, il peut s’avérer inutile de soustraire l’invention à la connaissance du témoin, puisque l’opinion de celui-ci n’est pas mise en contexte. Dans d’autres, le fait de ne pas porter l’invention à la connaissance de l’expert lui évitera de témoigner dans tous les sens possibles. En l’espèce, je ne privilégie pas les experts d’Apotex simplement parce que l’invention a été soustraite à leur connaissance. Je suis favorable aux opinions qu’ils ont exprimées quant aux personnes versées dans l’art et aux connaissances générales courantes parce que leurs positions étaient plus solidement justifiées. Certains témoins d’Apotex, comme le Dr Nam, ont fait des déclarations portant à confusion, et parfois contradictoires, lorsqu’ils se sont exprimés sur l’utilité et l’absence de contrefaçon.

[144] Un raisonnement semblable s’applique en l’espèce. J’ai examiné les opinions de M. Parr dans leur contexte global, y compris les réponses qu’il a données en contre‐interrogatoire.

[145] L’importance accordée à certains éléments de preuve et ma préférence pour l’opinion d’un expert par rapport à celle d’un autre sont abordées dans l’analyse des questions.

V. La personne versée dans l’art

[146] La personne versée dans l’art n’est pas une personne réelle, mais plutôt une personne fictive ou une équipe de personnes possédant un amalgame de compétences et d’attributs différents. Cette personne fournit l’optique ou la perspective à travers laquelle le brevet est interprété, l’enseignement de l’art antérieur est examiné et les allégations – en l’espèce d’invalidité et de contrefaçon – sont évaluées (Pfizer Canada Inc c Pharmascience Inc, 2013 CF 120 au para 28; Teva Canada Limited c Janssen Inc., 2018 CF 754 au para 66, conf. par 2019 CAF 273; Teva Canada Innovation c Pharmascience Inc., 2020 CF 1158 au para 232).

[147] Il existe une abondante jurisprudence concernant la personne versée dans l’art.

[148] Au paragraphe 98 de la décision Janssen Inc c Teva Canada Ltd., 2020 CF 593 [Janssen 2020], la Cour a examiné la jurisprudence et a résumé la personne versée dans l’art comme suit :

La personne moyennement versée dans l’art est un travailleur doué d’habiletés moyennes dans la technique dont relève l’invention et possédant les connaissances générales moyennes qu’ont les gens de ce domaine d’activité précis (Consolboard Inc c Macmillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd, [1981] 1 RCS 504 à la p 523). La personne moyennement versée dans l’art peut être une équipe de personnes ayant des compétences différentes (Teva Canada Limitée c Janssen Inc., 2018 CF 754 au para 66 [Teva Canada], conf. par Millennium Pharmaceuticals Inc. c Teva Canada Limitée, 2019 CAF 273).

[149] Dans la décision Valeant Canada LP/Valeant Canada S.E.C. c Generic Partners Canada Inc., 2019 CF 253 [Valeant], la Cour a décrit la personne versée dans l’art à peu près de la même façon au paragraphe 44 :

La PVA est dépourvue d’imagination et d’esprit inventif, mais fait preuve d’une diligence raisonnable pour se tenir au courant des progrès dans le domaine (Pfizer Canada Inc. c Teva Canada Ltd., 2017 CF 777, paragraphe 183). La PVA n’est pas incompétente, elle possède des connaissances de base et une expérience considérables (AstraZeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2015 CF 322, paragraphe 276). La PVA n’est pas dépourvue de la capacité de poser des questions raisonnables et logiques et peut faire des déductions fondées sur les renseignements disponibles (Jay-Lor International Inc. c Penta Farms Systems Ltd., 2007 CF 358, paragraphe 75 [Jay-Lor], citant l’arrêt Beloit Canada Ltd c. Valmet Oy (1986), 8 CPR (3d) 289, page 294 (CAF) [Beloit]).

A. La position d’Allergan sur la personne versée dans l’art

[150] Allergan soutient que certains aspects du présent brevet s’adressent à un médecin qualifié et d’autres à une personne versée dans l’art ayant une expérience diversifiée, y compris en pharmacologie (et en formulation).

[151] En ce qui concerne les aspects du brevet 188 qui s’adressent à un médecin qualifié, Allergan soutient que cette personne est un médecin ayant une expérience pratique en traitement de patients atteints d’ostéoporose.

[152] Allergan soutient qu’en ce qui concerne les aspects du brevet 188 qui s’adressent à un pharmacologue qualifié (une partie de l’équipe composant la « personne versée dans l’art ») ‒ par opposition au médecin qualifié ‒ le niveau d’expertise attendu est celui du pharmacologue ordinaire. Allergan soutient que le point de vue et le témoignage du Dr Yates reposaient sur l’ensemble des compétences d’une équipe entière œuvrant dans la mise au point de médicaments, comme celle que le Dr Yates dirigeait chez Merck, acteur industriel de premier plan dans le domaine des bisphosphonates. Allergan soutient que les opinions du Dr Yates et de M. Parr reflètent leur point de vue, à savoir que le pharmacologue qualifié possède des compétences supérieures à celles de la personne moyennement versée dans l’art et qu’il convient de ne pas l’oublier.

B. La position d’Apotex sur la personne versée dans l’art

[153] Apotex soutient qu’il n’y a pas vraiment de désaccord quant aux attributs de la personne versée dans l’art. Selon elle, le brevet 188 est destiné à une équipe qui connaît bien la posologie orale des bisphosphonates, y compris leurs effets secondaires, leur biodisponibilité lors de l’administration à jeun et avec nourriture, et la façon d’administrer les bisphosphonates. L’équipe comprend un formulateur de médicaments qui possède un diplôme d’études supérieures dans une discipline pertinente et au moins quelques années d’expérience dans l’élaboration de formulations orales, y compris des formulations à libération retardée. L’équipe comprend également des chercheurs cliniciens qui possèdent un bagage scientifique pertinent, tel un doctorat en médecine, ainsi que plusieurs années d’expérience en conception, réalisation et interprétation d’essais cliniques, de même qu’une connaissance des études sur les animaux, notamment en toxicologie et en pharmacologie.

C. Le témoignage des experts concernant la personne versée dans l’art

[154] L’expert d’Allergan, M. Cremers, a donné son avis sur les attributs de la personne ou de l’équipe versée dans l’art en tenant compte de l’objet du brevet 188.

[155] M. Cremers a déclaré que le brevet 188 s’adresse à une équipe qui comprend un médecin qualifié et une personne versée dans l’art. La personne versée dans l’art pourrait soit détenir un doctorat en pharmacie, en sciences pharmaceutiques ou en pharmacologie et posséder une certaine expérience de travail connexe, soit détenir une maîtrise dans ces disciplines et posséder une plus grande expérience de travail connexe (environ trois ans), soit détenir un baccalauréat dans ces disciplines et posséder une plus grande expérience de travail connexe (environ cinq ans). Cette personne aurait une connaissance générale des formulations, y compris les formes pharmaceutiques et les enrobages, et une connaissance générale de la pharmacologie clinique des bisphosphonates.

[156] M. Cremers a ajouté que le médecin qualifié posséderait un doctorat en médecine dans un domaine pertinent quant au traitement des maladies décrites dans le brevet 188, ainsi qu’une certaine expérience de travail pratique dans le traitement de ces maladies.

[157] Le Dr Adachi, expert d’Allergan, a également pris en compte l’objet du brevet lors de la formulation de son opinion sur les attributs du médecin qualifié. Il a convenu que le brevet s’adressait à une équipe de personnes versées dans l’art.

[158] Selon le Dr Adachi, les aspects du brevet liés au traitement de l’ostéoporose et d’autres maladies osseuses s’adresseraient à un médecin qualifié ayant de l’expérience dans le diagnostic et le traitement de maladies caractérisées par un métabolisme anormal du calcium et du phosphate, dont l’ostéoporose. Ce médecin qualifié serait titulaire d’un doctorat en médecine et posséderait une expérience clinique et pratique de l’utilisation de bisphosphonates, y compris le risédronate, pour traiter des maladies caractérisées par un métabolisme anormal du calcium et du phosphate comme l’ostéoporose.

[159] Le Dr Yates, expert d’Apotex, a décrit sa conception de la personne versée dans l’art en soulignant ses propres qualifications étendues et sa propre expérience, dont ses 13 années à titre de chercheur clinicien chez Merck, où il a dirigé des équipes comprenant des scientifiques de nombreuses disciplines, notamment la formulation de médicaments, la fabrication de médicaments et la recherche fondamentale et clinique. Le Dr Yates s’est dit d’avis que [TRADUCTION] « c’est justement à une telle équipe que le brevet 188 s’adresse ».

[160] Le Dr Yates a précisé, se fondant sur les qualifications de l’équipe qu’il avait dirigée chez Merck, que la personne versée dans l’art comprendrait un formulateur de médicaments titulaire d’un doctorat ou d’une maîtrise dans une discipline pertinente, comme la science de la formulation, et ayant au moins quelques années d’expérience dans la mise au point de formulations orales, y compris des formulations à libération retardée. L’équipe comprendrait également des chercheurs cliniciens possédant un doctorat en médecine, une solide expérience scientifique et plusieurs années d’expérience dans la conception et la réalisation d’essais cliniques et l’interprétation de leurs résultats. Le Dr Yates a ajouté que ce même chercheur clinicien ou un autre scientifique de l’équipe connaîtrait les études pertinentes menées sur les animaux, y compris les études toxicologiques et pharmacologiques. Tous les membres de l’équipe connaîtraient la posologie orale des bisphosphonates, y compris leurs effets secondaires, leur biodisponibilité lorsqu’ils sont pris à jeun et avec nourriture, et la façon dont les bisphosphonates sont administrés.

[161] M. Parr a indiqué que la personne versée dans l’art consiste en une équipe qui comprend un formulateur titulaire d’un diplôme d’études supérieures (p. ex. maîtrise ou doctorat), tel qu’un formulateur de compositions pharmaceutiques possédant plusieurs années d’expérience dans l’élaboration de formes pharmaceutiques au sein de l’industrie. L’équipe comprendrait également des cliniciens, des pharmacologues du domaine préclinique et des toxicologues.

D. La personne versée dans l’art pour les besoins de la présente demande

[162] En ce qui concerne l’argument d’Allergan selon lequel les experts d’Apotex ont élevé les attributs et l’expertise de la personne versée dans l’art au-dessus de ceux de la personne moyennement versée dans l’art, ce point de vue est reflété dans une certaine mesure par le témoignage du Dr Yates. Ce dernier a déclaré que la personne ou l’équipe versée dans l’art est le type d’équipe qu’il a dirigée chez Merck. Il a toutefois nié que les membres de son équipe étaient plus experts ou mieux informés que ceux que d’autres entreprises pharmaceutiques souhaiteraient retenir pour des projets similaires.

[163] Il n’y a pas vraiment de désaccord sur les attributs de la personne ou de l’équipe versée dans l’art. La question de savoir si les experts d’Apotex ont retenu une norme de connaissance, de compétence et d’expérience plus élevée que la normale en ce qui concerne la personne versée dans l’art ou le médecin qualifié sera évaluée dans le contexte de leurs opinions et de leurs témoignages. Par exemple, dans plusieurs cas, le Dr Yates n’a pas souscrit aux déclarations figurant dans des antériorités, notant que la personne versée dans l’art ne serait pas d’accord. Il était également peu enclin à faire l’éloge des inventeurs ou des membres de sa propre équipe pour leurs connaissances et leur expertise. La question de savoir si son opinion sur les autres ou sur l’enseignement de l’art antérieur est due à l’application d’une norme plus élevée sera examinée dans ce contexte. À mon avis, cela ne change rien à la caractérisation de la personne versée dans l’art. Comme l’indique la jurisprudence, cette personne n’est pas imaginative ou inventive et possède des connaissances et des compétences ordinaires dans son domaine, même si celui-ci peut être hautement spécialisé. La personne ou l’équipe versée dans l’art, compte tenu de l’expérience et des attributs requis, est loin d’être « moyennement versée dans l’art » au sens où on l’entend généralement, mais, parmi ses pairs, elle n’est ni exceptionnellement brillante ni insignifiante.

[164] Je conclus que la personne versée dans l’art est une équipe ayant des compétences à deux égards : celles d’un médecin qualifié et celles d’une personne versée dans l’art (autre que le médecin qualifié), laquelle constitue également une équipe.

[165] Le médecin qualifié est un médecin qui possède de l’expérience en diagnostic et traitement de maladies caractérisées par un métabolisme anormal du calcium et du phosphate, dont l’ostéoporose. Il posséderait une expérience pratique de l’utilisation de bisphosphonates, y compris le risédronate, pour traiter des maladies caractérisées par un métabolisme anormal du calcium et du phosphate comme l’ostéoporose. Le médecin qualifié posséderait bien sûr un doctorat en médecine et plusieurs années d’expérience en pratique clinique, incluant le diagnostic de telles affections et leur traitement par des bisphosphonates. Seraient considérés comme étant versés dans l’art les médecins de famille, les endocrinologues, les rhumatologues, les gériatres ou les résidents dans ces domaines qui répondent aux critères énoncés.

[166] La personne ou l’équipe versée dans l’art (outre le médecin qualifié) connaîtrait bien la posologie orale des bisphosphonates, y compris leurs effets secondaires, leur biodisponibilité lorsqu’ils sont pris à jeun et avec nourriture, et la façon dont les bisphosphonates sont administrés. L’équipe comprend un formulateur de médicaments ou un autre scientifique qui possède une maîtrise ou un doctorat en pharmacie, en sciences pharmaceutiques ou en pharmacologie et une expérience de travail connexe, englobant une compréhension ou une expérience liées aux formulations et s’étendant notamment aux formes pharmaceutiques, aux enrobages et à la pharmacologie clinique des bisphosphonates, y compris les formulations à libération retardée. L’équipe comprend également des chercheurs cliniciens qui possèdent un bagage scientifique pertinent, de l’expérience en conception, réalisation et interprétation d’essais cliniques, de même qu’une connaissance des études sur les animaux, notamment en toxicologie et en pharmacologie.

VI. L’invention

[167] En ce qui concerne la divulgation du brevet 188, les experts ont décrit l’invention d’une manière similaire, en reprenant essentiellement les termes du brevet, comme ils sont énoncés ci‐dessus, avec peu d’explications en termes simples.

[168] Par exemple, le Dr Yates, expert d’Apotex, a mentionné que l’invention se rapporte à une forme pharmaceutique solide de risédronate, qui contient également de l’EDTA et qui est revêtue d’un enrobage gastrorésistant conçu pour demeurer intact dans l’estomac. Une fois que la forme pharmaceutique intacte traverse le pylore (le sphincter à la sortie de l’estomac) et est exposée au pH plus élevé de l’intestin grêle, l’enrobage gastrorésistant se dissout, ce qui permet l’absorption du contenu de la forme pharmaceutique. Le Dr Yates a expliqué que les formes pharmaceutiques à enrobage gastrorésistant, ou entérosoluble, sont aussi appelées formes pharmaceutiques à libération ou action retardée, parce que la libération ne se produit pas avant que la forme pharmaceutique n’atteigne l’intestin grêle.

[169] Le Dr Yates a ajouté que le brevet 188 indique qu’une fois la forme pharmaceutique parvenue dans l’intestin grêle, elle est conçue pour libérer rapidement le risédronate et l’EDTA et permettre ainsi l’absorption du risédronate. Le Dr Yates a expliqué que cette approche diffère des formulations antérieures à libération immédiate de bisphosphonates, dont l’alendronate et le risédronate, qui devaient être prises après une nuit de jeûne et sans consommation de nourriture pendant au moins 30 minutes après l’administration.

[170] Le Dr Yates a indiqué que l’interaction des bisphosphonates avec les aliments est appelée l’« effet des aliments ». La liaison des bisphosphonates à des cations polyvalents, en particulier le calcium, empêchait leur absorption. Le Dr Yates a affirmé que l’on savait que l’EDTA se liait fortement à de tels cations et pouvait éventuellement contrer l’effet des aliments.

[171] Les experts ont convenu que tous les éléments des revendications sont des éléments essentiels. Ils ont également convenu que le concept inventif de chaque revendication est l’objet de la revendication, et tous les éléments énoncés sont donc considérés comme essentiels.

A. L’interprétation des revendications

[172] Le brevet 188 comporte 137 revendications. Les revendications 1 et 98 sont des revendications indépendantes. Les autres revendications sont dépendantes de la revendication 1 et d’autres revendications dépendantes. Les experts ont donné leur avis sur la signification de toutes les revendications, en signalant l’existence de plusieurs groupes de revendications. Allergan a par la suite réduit ses allégations de contrefaçon à trois ensembles de revendications.

[173] Le premier ensemble, qu’Allergan appelle des « revendications de produit », comprend la revendication 63, laquelle dépend de la revendication 60, laquelle dépend de la revendication 54, laquelle dépend de la revendication 36, laquelle dépend de la revendication 6, laquelle dépend de la revendication 5, laquelle dépend de la revendication 4, laquelle dépend de la revendication 3, laquelle dépend de la revendication 1. Les revendications comprises sont les suivantes :

[traduction]

Revendication 1. Une forme pharmaceutique orale d’un bisphosphonate pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons, constituée d’une préparation pharmaceutique qui comprend :

  • a)entre 1 mg environ et 70 mg environ de bisphosphonate, le bisphosphonate étant le risédronate, un acide, sel, ester, hydrate, polymorphe ou solvate de ce bisphosphonate, ou une combinaison de deux ou plusieurs de ces éléments;

  • b)de l’EDTA, cet EDTA ayant une solubilité dans l’eau équivalant à au moins 50 % de celle du bisphosphonate;

  • c)un enrobage gastrorésistant, l’enrobage gastrorésistant assurant la libération du bisphosphonate et de l’EDTA dans l’intestin grêle, et le rapport molaire entre l’EDTA et le bisphosphonate étant d’au moins 2, pour permettre une absorption pharmaceutiquement efficace du bisphosphonate avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons.

Revendication 3. Une forme pharmaceutique orale selon la revendication 1, où la préparation contient entre environ 10 mg et environ 70 mg de bisphosphonate.

Revendication 4. Une forme pharmaceutique orale selon la revendication 3, où la préparation contient entre environ 15 mg et environ 55 mg de bisphosphonate.

Revendication 5. Une forme pharmaceutique orale selon la revendication 4, où la préparation contient entre environ 35 mg et environ 50 mg de bisphosphonate.

Revendication 6. Une forme pharmaceutique orale selon la revendication 5, où la préparation contient environ 35 mg de risédronate sodique.

Revendication 36. Une forme pharmaceutique orale selon la revendication 6, où la préparation contient environ 100 mg d’EDTA disodique.

Revendication 54. Une forme pharmaceutique orale selon l’une ou l’autre des revendications 3 à 7, 10 à 13, 16 à 20, 23 à 26, 29, 30, 33 à 36, 39, 42, 45, 48 et 51, où l’enrobage gastrorésistant se dissout à un pH d’environ 5,5.

Revendication 60. Une forme pharmaceutique orale selon l’une ou l’autre des revendications 3 à 7, 10 à 13, 16 à 20, 23 à 26, 29, 30, 33 à 36, 39, 42, 45, 48, 51, 54 et 57, où l’enrobage gastrorésistant est un copolymère d’acide méthacrylique.

Revendication 63. Une forme pharmaceutique orale selon l’une ou l’autre des revendications 3 à 7, 10 à 13, 16 à 20, 23 à 26, 29, 30, 33 à 36, 39, 42, 45, 48, 51, 54, 57 et 60, où la préparation ne pèse pas plus d’un gramme.

[174] Le deuxième ensemble, qu’Allergan appelle les « revendications d’utilisation », comprend la revendication 77, laquelle dépend de la revendication 72, laquelle dépend de la revendication 69, laquelle dépend de la revendication 66, laquelle dépend de l’ensemble de revendications de produit susmentionné. Les revendications de ce groupe sont les suivantes :

[traduction]

Revendication 66. L’utilisation d’une forme pharmaceutique orale selon l’une ou l’autre des revendications 3 à 7, 10 à 13, 16 à 20, 23 à 26, 29, 30, 33 à 36, 39, 42, 45, 48, 51, 54, 57, 60 et 63 pour le traitement ou la prévention d’une maladie caractérisée par un métabolisme anormal du calcium et du phosphate.

Revendication 69. L’utilisation selon la revendication 66, la maladie étant l’ostéoporose, la maladie de Paget, l’hyperparathyroïdie, l’hypercalcémie maligne, des métastases osseuses ostéolytiques ou une combinaison de l’une ou l’autre de ces affections.

Revendication 72. L’utilisation selon la revendication 69, la maladie étant l’ostéoporose.

Revendication 77. L’utilisation selon l’une ou l’autre des revendications 66, 39 et 72, où la préparation est destinée à une utilisation hebdomadaire.

[175] Le troisième ensemble comprend la « revendication relative à une trousse », soit la revendication 79, dépendante de l’ensemble des revendications de produit. La revendication 79 est formulée ainsi :

[traduction]

Revendication 79. Une trousse comprenant :

a) une ou plusieurs formes pharmaceutiques orales selon l’une ou l’autre des revendications 1 à 63;

b) des moyens de faciliter l’observance relative à l’utilisation de la forme pharmaceutique orale ou des formes pharmaceutiques orales.

B. La question en litige concernant l’interprétation des revendications

[176] Les revendications semblent être clairement formulées et la signification de [traduction] « pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons » n’est pas en soi controversée. Cependant, les parties ne sont pas d’accord sur la manière dont ces mots, tels qu’ils sont utilisés dans le contexte d’[traduction] « [u]ne forme pharmaceutique orale d’un bisphosphonate pour une utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons » à la revendication 1, ont une incidence sur l’interprétation de la revendication.

[177] Comme il est indiqué ci-dessus, Allergan qualifie le premier ensemble de revendications de « revendications de produit ». Apotex conteste cette caractérisation et fait valoir qu’elle ne tient pas compte de la formulation claire selon laquelle le produit doit être utilisé avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons. Apotex qualifie ces revendications de revendications d’« utilisation de produit ». Les observations des deux parties sur l’interprétation des revendications sont liées à leurs positions sur la contrefaçon. Le rôle de la Cour est d’interpréter les revendications de manière téléologique avant d’examiner les allégations et d’entreprendre une analyse des questions. L’interprétation de la Cour guide l’analyse de toutes les allégations; il n’y a qu’une seule interprétation pour toutes les fins.

C. Arguments d’Allergan

[178] Allergan soutient que le premier ensemble de revendications consiste en des « revendications de produit » qui dépendent toutes de la revendication 1, laquelle est indépendante et définit une forme pharmaceutique orale ‒ un objet matériel ‒ comprenant des ingrédients précis et un enrobage précis. Allergan prétend que la revendication 1 ne concerne que le produit, c’est-à-dire la forme pharmaceutique orale et ce qu’elle réalisera. Allergan soutient que la revendication 1 n’est pas, ainsi qu’Apotex la qualifie, une revendication concernant une « utilisation de produit », c’est-à-dire dont l’interprétation englobe les modalités d’utilisation du produit.

[179] Allergan ajoute que l’ensemble de revendications de produit n’est pas un ensemble de revendications d’utilisation. Les revendications ne concernent pas une nouvelle utilisation d’un ancien produit. La revendication 1 n’indique pas l’utilisation à laquelle la forme pharmaceutique est destinée (c.-à-d. pour quel traitement ou quelle affection). D’autres revendications (l’ensemble des revendications d’utilisation) portent sur l’utilisation du produit pour le traitement de l’ostéoporose. L’utilisation n’est pas une exigence dans les revendications de produit. L’expression [TRADUCTION] « pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments [...] » exprime une option ou une possibilité. Un patient n’est pas du tout tenu d’utiliser la forme pharmaceutique orale.

[180] Allergan soutient que la revendication 1 doit être interprétée de manière à refléter le fait que le patient a le choix de prendre les produits avec ou sans aliments parce que, dans les deux cas, le produit fournira une absorption pharmaceutiquement efficace et traitera son ostéoporose. La revendication ne doit pas être interprétée comme exigeant l’utilisation effective du produit.

[181] En ce qui concerne le sens de l’expression [TRADUCTION] « forme pharmaceutique orale [...] pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons », Allergan soutient que [TRADUCTION] « pour utilisation » signifie [TRADUCTION] « qui convient pour l’utilisation ». Allergan explique que puisque les formes pharmaceutiques orales assurent une absorption pharmaceutiquement efficace avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons, elles [TRADUCTION] « conviennent pour l’utilisation » avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons; autrement dit, elles peuvent être utilisées aussi bien à jeun et qu’avec de la nourriture.

[182] Allergan soutient que la jurisprudence a établi que le mot « pour » dans une revendication de produit est normalement interprété comme signifiant que le produit revendiqué [TRADUCTION] « convient pour » l’utilisation indiquée dans la revendication, citant Fox on the Canadian Law of Patents (Donald MacOdrum, Fox on the Canadian Law of Patents, 5e édition (Toronto : Carswell, 2021), au chapitre 8.9(c) [Fox]).

[183] Allergan soutient en outre que l’effet de l’interprétation de la revendication de produit comme signifiant [TRADUCTION] « qui convient pour l’utilisation », comme l’a déclaré Fox, est que la revendication s’étend à tout produit qui convient à cet objectif déclaré, qu’il soit utilisé à cette fin ou non. Allergan note que la jurisprudence a établi des exceptions à cette règle d’interprétation, mais aucune de ces exceptions n’est applicable en l’espèce. Allergan fait valoir que la jurisprudence citée par Apotex, y compris les décisions AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 2001 CFPI 1264 [AB Hassle], et Bristol-Myers Squibb Canada c Apotex Inc., 2017 CF 1061 [BMS 2017], portait sur des revendications rédigées comme des revendications d’utilisation de produit, mais ces revendications portaient en fait sur la nouvelle utilisation d’un ancien produit. En l’espèce, le premier ensemble de revendications invoquées, constitué de revendications qui dépendent de la revendication 1, vise des nouvelles revendications de produit.

[184] Allergan note que, comme il est indiqué dans les observations écrites d’Apotex, cette dernière a convenu qu’une forme pharmaceutique orale pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons est une forme pharmaceutique orale qui convient pour l’utilisation et/ou qui peut être utilisée avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons.

[185] Allergan souligne le témoignage de l’expert d’Apotex, le Dr Yates, dans son rapport répondant à l’avis du DAdachi sur la contrefaçon, où il a déclaré que l’expression [traduction] « avec ou sans aliments [...] » doit être lue conjointement avec les mots [traduction] « absorption pharmaceutiquement efficace » et a noté que, [traduction] « selon le brevet 188, la solution au problème de l’effet des aliments est une forme pharmaceutique de risédronate qui peut être prise soit avec des aliments, soit sans aliments (ou boissons), au choix du patient ».

[186] Allergan ajoute que M. Parr a également noté que la forme pharmaceutique orale peut être prise avec ou sans aliments, pourvu que l’absorption pharmaceutiquement efficace soit atteinte.

[187] Allergan a également présenté des arguments détaillés dans le contexte de ses allégations de contrefaçon, y compris la distinction entre les revendications de produit, les revendications d’utilisation et les revendications d’utilisation de produit, en renvoyant à la jurisprudence sur la contrefaçon.

D. Arguments d’Apotex

[188] Apotex note qu’il n’est pas contesté que l’expression [traduction] « pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons » est un élément essentiel des revendications invoquées. Apotex soutient que cette expression est utilisée dans des éléments distincts de la revendication 1.

[189] Apotex conteste la position d’Allergan selon laquelle l’expression [TRADUCTION] « forme pharmaceutique orale [...] pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons » signifie que la forme pharmaceutique revendiquée [TRADUCTION] « convient pour l’utilisation » ou [TRADUCTION] « peut être utilisée » avec ou sans aliments ou boissons, si cette interprétation indique que la forme pharmaceutique convient pour l’utilisation dans les deux états, dans la mesure où, lorsqu’elle est utilisée dans l’un ou l’autre état, elle permet une absorption pharmaceutiquement efficace. Apotex semble convenir que [TRADUCTION] « pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments... » pourrait signifier [TRADUCTION] « qui convient pour l’utilisation [...] » si cette interprétation s’applique uniquement à la forme pharmaceutique orale, c’est-à-dire à la façon dont elle doit être prise et non au résultat qu’elle produira.

[190] Apotex fait valoir que la Cour ne devrait pas introduire des mots ou faire omission de mots dans les revendications.

[191] Apotex soutient que la revendication 1 n’est pas simplement une revendication de produit, comme l’a fait valoir Allergan pour étayer ses allégations de contrefaçon, mais plutôt une revendication d’« utilisation de produit ».

[192] Apotex soutient que l’interprétation proposée par Allergan fait double emploi avec l’utilisation de la même phrase plus loin dans la revendication 1 ‒ que la forme pharmaceutique vise à [TRADUCTION] « permettre une absorption pharmaceutiquement efficace [...] avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons ». Apotex affirme qu’il s’agit d’un élément distinct et séparé du renvoi antérieur à une [TRADUCTION] « forme pharmaceutique orale pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments [...] », qui définit le but de la forme pharmaceutique orale et l’utilisation de cette forme pharmaceutique. La deuxième partie de la revendication indique ce qui constitue la forme pharmaceutique orale. Apotex fait valoir que l’absorption pharmaceutiquement efficace est le résultat de la forme pharmaceutique orale et qu’elle est obtenue lorsqu’elle est prise avec ou sans aliments. Apotex ajoute qu’il faut donner un sens à chaque élément distinct, ce que l’interprétation d’Allergan ne fait pas.

[193] Apotex soutient que les termes des revendications sont clairs, mais s’il faut faire appel à la divulgation pour obtenir une orientation pour leur interprétation, le brevet 188 décrit clairement l’invention comme un moyen de surmonter l’effet des aliments. Apotex note que le brevet 188 décrit le problème de l’effet des aliments avec les bisphosphonates, l’inconvénient des exigences posologiques strictes à jeun, les conséquences de cet inconvénient sur l’observance du patient et, par conséquent, sur le traitement. Le brevet 188 décrit l’invention comme une forme posologique orale qui peut être prise selon le choix du patient, avec ou sans aliments. L’interprétation des revendications doit être « liée » à la divulgation de l’invention.

[194] Apotex invoque également le témoignage de M. Cremers, qui a expliqué que les mots [TRADUCTION] « pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons » définissent le but de la forme posologique orale, c’est-à-dire son utilisation prévue, tandis que les mots [TRADUCTION] « pour permettre une absorption pharmaceutiquement efficace du bisphosphonate avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons » définissent le résultat pharmacologique de la forme pharmaceutique.

[195] Apotex soutient que cela signifie que la forme pharmaceutique orale peut être utilisée avec des aliments ou boissons et également sans aliments ou boissons. Une forme pharmaceutique orale qui est limitée à une utilisation dans un seul état, avec aliments, mais pas sans aliments, ou sans aliments, mais pas avec aliments, ne répondrait pas à cet élément essentiel.

E. La jurisprudence pertinente concernant l’interprétation des revendications

[196] Il appartient à la Cour de déterminer l’interprétation qu’il convient de donner aux revendications en s’appuyant sur la preuve d’expert au besoin. L’interprétation des revendications doit précéder l’examen des allégations d’invalidité. Les revendications sont interprétées à la date de publication du brevet, qui est en l’espèce le 26 octobre 2006.

[197] Dans Valeant, la Cour a énoncé les « principes fondamentaux de l’interprétation des revendications » au paragraphe 42 :

[42] Les principes fondamentaux de l’interprétation des revendications se trouvent dans les arrêts suivants de la Cour suprême du Canada : Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67, paragraphes 49 à 55; Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 [Free World Trust], paragraphes 44 à 54. Les voici :

(a) les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l’objet, dans un esprit désireux de comprendre et selon le point de vue de la personne versée dans l’art, à la date de la publication, en tenant compte des connaissances générales courantes;

(b) la teneur des revendications doit être interprétée selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu lui donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’[objectif] de l’inventeur, de sorte à favoriser tant l’équité que la prévisibilité;

(c) l’ensemble du mémoire descriptif doit être pris en considération afin de déterminer la nature de l’invention, et l’interprétation des revendications doit se faire sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et le public.

[198] Les parties ne contestent pas les principes applicables.

F. Aperçu de la preuve présentée par les experts concernant l’interprétation des revendications

[199] Le libellé des revendications est clair et, lorsqu’il est lu conjointement avec la divulgation du brevet, il reflète les intentions des inventeurs. Il ne devrait pas être nécessaire de recourir à l’avis des experts pour interpréter les revendications. Toutefois, le sens de l’expression [TRADUCTION] « pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments [...] » est contesté, en particulier parce que cette expression est utilisée dans le contexte suivant : [TRADUCTION] « forme pharmaceutique orale [...] pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments [...] ». [TRADUCTION] Dans la mesure où Allergan et Apotex ne sont pas d’accord, leur désaccord porte sur la caractérisation ou qualification des revendications, en particulier sur la question de savoir si le premier ensemble de revendications pour les formes pharmaceutiques orales vise des revendications de produit ou des revendications d’« utilisation de produit ».

[200] Compte tenu de ce désaccord et de la nécessité de lire les revendications du point de vue de la personne versée dans l’art, les avis des experts ont été pris en considération.

[201] Le Dr Adachi a décrit la divulgation du brevet 188 et les éléments essentiels des revendications. Donnant le point de vue du médecin qualifié, le Dr Adachi a décrit l’objectif du brevet comme étant de répondre au besoin permanent de mettre au point une forme pharmaceutique orale pouvant être prise avec ou sans aliments. Cela permet de tenir compte du choix du patient, ce qui améliore l’observation du traitement. Le Dr Adachi a noté que le plus grand obstacle avait été la prise correcte du médicament.

[202] Le Dr Adachi a fait valoir que, de son point de vue, le médecin qualifié comprendrait que le brevet 188 se rapporte à une solution au problème de l’effet des aliments sur les bisphosphonates. Il a expliqué que le médecin qualifié comprendrait que ces formes pharmaceutiques orales surmontent le problème de l’effet des aliments parce que la combinaison des éléments (le risédronate, une quantité suffisante d’agent chélatant et des substances destinées à libérer ceux-ci de façon retardée dans l’intestin grêle) entraîne une absorption pharmaceutiquement efficace du médicament, que celui-ci soit administré avec ou sans aliments ou boissons.

[203] Au sujet de la revendication 1, le Dr Adachi a indiqué que le médecin qualifié comprendrait que [TRADUCTION] « pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons » décrit [TRADUCTION] « une forme pharmaceutique orale d’un bisphosphonate » et désigne une forme pharmaceutique orale qui peut être utilisée avec ou sans prise d’aliments ou de boissons. Le médecin qualifié serait convaincu que la même formulation peut être prise avec ou sans nourriture et qu’elle assurera une absorption similaire dans les deux cas.

[204] Le Dr Adachi a noté que l’expression [TRADUCTION] « avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons » utilisée à la fin de la revendication 1 devrait avoir une signification cohérente. Le médecin qualifié comprendrait que cela signifie que l’absorption efficace peut être obtenue avec ou sans la consommation d’aliments ou de boissons.

[205] M. Cremers a fourni une description du brevet 188 qui renvoie au libellé du brevet, en notant les définitions des termes, et a donné son avis sur la signification des revendications en utilisant le langage utilisé dans les revendications (comme l’ont fait les autres experts).

[206] M. Cremers a déclaré que la personne versée dans l’art comprendrait que le brevet 188 concerne une solution au problème de l’effet des aliments associé aux médicaments bisphosphonates. Cette personne comprendrait que le brevet divulgue que les formes pharmaceutiques orales surmontent le problème de l’effet des aliments parce qu’elles permettent [traduction] « une absorption pharmaceutique efficace du risédronate avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons ».

[207] M. Cremers a expliqué que l’expression [traduction] « pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons » définit l’objectif de la [traduction] « forme pharmaceutique orale d’un bisphosphonate » (par exemple, le risédronate). L’expression signifie que la forme pharmaceutique orale est pour utilisation avec « ou » sans consommation d’aliments ou de boissons, ce qui signifie que la revendication vise les deux utilisations en tant que solutions de rechange. Selon M. Cremers, cela correspond à la description du brevet.

[208] M. Cremers a estimé que le choix de prendre le produit avec ou sans aliments fait partie intégrante de l’invention et constitue un élément essentiel des revendications.

[209] Le Dr Yates a donné son avis sur la signification des revendications dépendantes, de la même manière que les autres experts et en utilisant les mêmes mots que ceux utilisés dans le brevet.

[210] Le Dr Yates a déclaré que le brevet 188 divulgue des formulations à enrobage gastrorésistant de risédronate, plus l’EDTA, qui peuvent être prises avec ou sans aliments et qui surmontent l’effet des aliments.

[211] Le Dr Yates a affirmé que la revendication 1 et les revendications dépendantes exigent que la forme pharmaceutique permette une absorption pharmaceutiquement efficace [traduction] « indépendamment du fait que la forme pharmaceutique est administrée avec des aliments ou à jeun ». Il a noté que le problème résolu par le brevet 188 est décrit comme répondant au besoin d’une forme pharmaceutique orale d’un bisphosphonate [traduction] « qui peut être prise avec ou sans aliments ou boissons (c’est-à-dire qui a une absorption pharmaceutiquement efficace indépendamment de la consommation d’aliments ou de boissons) au choix du patient, et qui ne produit pas d’irritation gastro-intestinale haute ». Le Dr Yates a ajouté que l’intention est de simplifier la thérapie de traitement et de conduire à une meilleure observance.

[212] Dans son rapport répondant à celui du Dr Adachi sur la contrefaçon, le Dr Yates a réitéré que le brevet 188 [traduction] « décrit une forme pharmaceutique orale qui élimine les exigences restrictives en matière de posologie [...] » et que [traduction] « la forme pharmaceutique orale revendiquée est une forme qui donne aux patients la possibilité de la prendre ‟avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons”, au choix du patient ».

[213] Le D Yates a ajouté ceci, en ce qui concerne l’utilisation de l’expression [traduction] « pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments [...] » à la fin de la revendication 1 :

[traduction]

[...] les revendications 1 et 98 se concluent de la même manière : les formes pharmaceutiques des revendications 1 et 98 doivent libérer suffisamment d’EDTA dans l’intestin grêle « pour permettre une absorption pharmaceutiquement efficace du bisphosphonate avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons ». L’expression « absorption pharmaceutiquement efficace » est définie à la page 6 du brevet 188 comme signifiant que l’absorption du risédronate par un patient qui n’est pas à jeun doit correspondre à au moins 50 % de l’absorption à l’état à jeun. Par conséquent, la personne versée dans l’art comprendrait que les mots « avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons » dans les revendications 1 et 98 doivent être lus de concert avec « absorption pharmaceutiquement efficace » et signifient que la forme pharmaceutique fournira une absorption similaire du risédronate (avec un écart de moins de 50 %), qu’elle soit prise à jeun ou non, « au choix du patient ».

[214] M. Parr a mentionné que les revendications 1 à 63 du brevet 188 sont des revendications concernant une forme pharmaceutique orale d’un bisphosphonate pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons. Il a expliqué que la forme pharmaceutique permet une absorption pharmaceutiquement efficace du bisphosphonate avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons; il l’a exprimé en ces termes : [TRADUCTION] « qui permet l’absorption systématique des composés de bisphosphonate, peu importe qu’ils soient administrés à jeun ou non ».

[215] M. Parr a fait l’affirmation suivante :

[traduction]

L’expression « pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons » [dans la revendication 1] serait interprétée comme signifiant que la forme pharmaceutique orale peut être prise avec ou sans aliments ou boissons, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune limite quant au moment, à la quantité ni au type d’aliment ou de boisson, du moment que l’absorption pharmaceutiquement efficace est réalisée.

[216] M. Parr a noté que la personne versée dans l’art comprendrait qu’il est essentiel que la forme pharmaceutique orale puisse être administrée avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons.

G. L’interprétation des revendications par la Cour

[217] Les avis des experts étaient axés sur l’invention du brevet 188, qui donne au patient le choix de prendre la forme pharmaceutique orale avec ou sans aliments pour surmonter l’effet des aliments et obtenir une absorption pharmaceutiquement efficace, et non sur la question de savoir si [traduction] « une forme posologique orale [...] pour utilisation avec ou sans aliments [...] » signifie un médicament « convenable pour » une telle utilisation. Comme moi, les experts semblent être d’avis que la signification de « pour utilisation avec ou sans aliments [...] » est claire.

[218] Aucun des experts n’a déclaré que [traduction] « pour utilisation [...] » signifie [traduction] « qui convient pour l’utilisation » ni ne s’est prononcé sur la question de savoir si les revendications étaient des « revendications de produit » ou des « revendications d’utilisation de produit ». Tous les experts ont interprété les revendications comme reflétant l’invention supposée d’un bisphosphonate qui pourrait être utilisé avec ou sans aliments, au choix du patient, car dans les deux cas, une absorption pharmaceutiquement efficace serait obtenue.

[219] M. Cremers a déclaré que l’expression [traduction] « pour utilisation [...] » définit le but de la forme pharmaceutique orale, qui est de surmonter l’effet des aliments. Le Dr Yates a déclaré que la solution à l’effet des aliments proposée dans le brevet 188 est une forme pharmaceutique orale qui « peut être » être prise avec ou sans aliments. M. Parr a déclaré que la forme pharmaceutique orale peut être prise avec ou sans aliments ou boissons, [traduction] « tant que l’absorption pharmaceutiquement efficace est réalisée », et qu’il est essentiel que la forme pharmaceutique « puisse être » administrée avec ou sans aliments.

[220] Bien que les parties soutiennent chacune que les experts ont appuyé leur point de vue respectif sur l’interprétation, les témoignages des experts ont été assez cohérents. Personne n’a fait valoir que deux sens différents s’appliquaient au même terme utilisé dans deux parties de la revendication.

[221] L’expression [traduction] « avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons » ne nécessite pas d’interprétation. Elle indique clairement que le patient a le choix de prendre la forme pharmaceutique orale avec ou sans aliments.

[222] Les experts ont insisté sur l’objectif de l’invention et sur le fait que la forme pharmaceutique orale est pour utilisation avec et sans aliments, car cela reflète et réalise l’objectif de surmonter l’effet des aliments et aboutir à une absorption similaire, qu’elle soit prise à jeun ou non.

[223] Les parties ont présenté des observations très détaillées sur leur interprétation des revendications et la caractérisation du premier ensemble de revendications, en renvoyant à des précédents précis et en faisant des distinctions. La jurisprudence qui distingue les revendications de produits et les revendications de nouvelles utilisations de produits existants n’aide pas à l’interprétation de revendications clairement formulées. Cette jurisprudence est plus pertinente dans le contexte des allégations de contrefaçon et sera examinée dans ce contexte.

[224] Il existe une distinction entre une revendication d’utilisation, comme dans le cas d’une utilisation précise de la formulation pour traiter ou prévenir une maladie, et le mode d’utilisation d’un produit. Le brevet 188 comprend des revendications d’utilisation qui indiquent pour quelle maladie l’invention doit être utilisée (c’est-à-dire l’ostéoporose). Cependant, la question qui se pose maintenant concerne le mode d’utilisation de la forme pharmaceutique orale (c’est-à-dire l’utilisation avec ou sans aliments).

[225] Dans le cas du brevet 188, la capacité d’utiliser la forme pharmaceutique orale avec ou sans aliments est énoncée dans la revendication parce que l’objectif est de surmonter l’effet des aliments (à savoir le problème de l’absorption extrêmement faible du bisphosphonate lorsqu’il est pris avec de la nourriture plutôt qu’à jeun). La forme pharmaceutique orale peut être prise avec ou sans nourriture, au choix du patient, et l’effet du traitement sera similaire (c.-à-d. une absorption pharmaceutiquement efficace). L’invention du brevet 188 marquait un changement important dans l’administration orale des bisphosphonates, d’où l’accent mis sur cette caractéristique.

[226] La jurisprudence indique qu’« [i]l est nécessaire de prendre en considération le mémoire descriptif du brevet tout entier pour déterminer la nature de l’invention; cependant, le fait de s’en tenir au texte des revendications permet d’interpréter ces dernières de la manière dont l’inventeur est présumé l’avoir voulu, en mettant l’accent sur l’équité et la prévisibilité » (Biogen Canada Inc. c Taro Pharmaceuticals Inc., 2020 CF 621 au para 78 [Biogen]).

[227] À mon avis, il n’est pas nécessaire d’interpréter les revendications comme si elles contenaient l’expression [traduction] « qui convient pour ». L’ajout de ces mots à l’expression [traduction] « forme pharmaceutique orale [...] pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons » pour donner [traduction] « forme pharmaceutique orale [...] qui convient pour l’utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons » n’apporte rien.

[228] L’expression [TRADUCTION] « pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons » a un sens bien clair et reflète la divulgation du brevet ainsi que l’intention des inventeurs : que la forme pharmaceutique orale du bisphosphonate (le risédronate) peut être consommée, administrée ou prise (c.-à-d. utilisée) avec ou sans aliments ou boissons, au choix du patient. Lorsqu’elle est utilisée de l’une ou l’autre de ces façons, au choix du patient, il s’ensuit une absorption pharmaceutiquement efficace. La finalité est importante, sinon il ne serait pas nécessaire de préciser qu’une utilisation avec ou sans aliments serait possible. L’inclusion de l’expression [TRADUCTION] « pour utilisation avec ou sans aliments [...] » est un élément essentiel et fait partie intégrante de la revendication. Comme l’a noté Apotex, l’interprétation est « liée » à l’invention.

[229] Le premier ensemble de revendications est interprété comme visant une forme pharmaceutique orale qui peut être utilisée (c.-à-d. qui peut être consommée, administrée ou prise) au choix de l’utilisateur/patient avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons. Cette forme pharmaceutique orale contient environ 35 mg de risédronate sodique (revendication 6) et environ 100 mg d’EDTA disodique (revendication 36) dans un noyau recouvert d’un enrobage gastrorésistant de copolymère d’acide méthacrylique (revendication 60) qui commence à se dissoudre à un pH d’environ 5,5 (revendication 54). En outre, la forme pharmaceutique orale pèse moins d’un gramme (revendication 63). La revendication 1 exige que cette forme pharmaceutique orale fournisse une libération ciblée de l’EDTA et du risédronate dans l’intestin grêle, et ce, de façon immédiate. La revendication 1 exige également que cette forme pharmaceutique orale assure une absorption pharmaceutiquement efficace, qu’elle soit utilisée (c.-à-d. consommée, administrée ou prise) avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons.

[230] Le deuxième ensemble de revendications est constitué des revendications « d’utilisation », c’est-à-dire l’utilisation des produits tels qu’ils sont revendiqués et interprétés pour traiter l’ostéoporose. L’ensemble des revendications d’utilisation porte sur l’utilisation hebdomadaire des formes pharmaceutiques orales revendiquées (revendication 77) pour le traitement ou la prévention de l’ostéoporose (revendication 72).

[231] La revendication relative à une trousse concerne les formes pharmaceutiques orales revendiquées ainsi que certains moyens de faciliter l’observance par le patient (revendication 79), y compris l’emballage.

VII. L’état de la technique

[232] La technique clé citée par Apotex et à laquelle se réfèrent les experts d’Apotex et d’Allergan est présentée sous forme de résumé ci-dessous. Les opinions des experts sur l’enseignement de l’art sont décrites dans le contexte de l’analyse de l’antériorité et de l’évidence aux parties IX et X.

A. La demande BR 601

[233] La demande BR 601 est une demande de brevet brésilienne déposée en décembre 2001 et publiée en septembre 2003, mais le brevet n’a jamais été délivré par le bureau des brevets du Brésil. La demande BR 601 s’intitule [TRADUCTION] « Composition pharmaceutique contenant du bisphosphonate pour le traitement de maladies liées au métabolisme du calcium ou du phosphate [...] ». L’inventeur est Alcebiades de Mendonga Athayde et le demandeur, Libbs Pharmaceutical Company Ltda (BR/SP). La demande BR 601 divulgue que [TRADUCTION] « l’invention se rapporte à une composition pharmaceutique qui contient du bisphosphate et un agent chélatant pour le traitement de maladies liées au métabolisme du calcium ou du phosphate, comme l’ostéoporose, la maladie de Paget, l’ossification hétérotopique et l’hypercalcémie liée au cancer ». Apotex soutient que le brevet 188 est antériorisé par la demande BR 601. La demande BR 601 est décrite en détail ci-dessous.

B. Effet des aliments dans l’intestin grêle

[234] Dans Mahé, S., « Gastroileal nitrogen and electrolyte movements after bovine milk ingestion in humans » (1992), Am J Clin Nutr 56:410-416 [Mahé], on a étudié la digestion et l’absorption des protéines, en particulier des protéines du lait, dans l’intestin grêle chez les humains. Sept sujets humains ont participé à l’étude. Le rapport a révélé qu’après l’ingestion du lait, [TRADUCTION] « [42 %] de l’azote du lait a été absorbé avant le jéjunum et 93 %, avant la fin de l’iléon » [ce sont des parties de l’intestin]. À la lumière de ces résultats, les auteurs ont conclu que [TRADUCTION] « la partie inférieure de l’intestin est nécessaire pour l’achèvement de l’absorption des protéines alimentaires comme les protéines du lait ».

[235] Dans Fordtran, John S. et coll., « Ionic Constituents and Osmolality of Gastric and Small-Intestinal Fluid After Eating » (1996), Am J Digestive Diseases 11(7):503-521 [Fordtran ], les auteurs ont effectué une série d’expériences sur des sujets humains pour étudier les processus d’absorption normaux dans l’intestin grêle après l’ingestion d’aliments, plus particulièrement après la consommation d’un repas de steak (qui contient une faible quantité de calcium) et d’un repas constitué de lait et d’un beignet (qui contient une plus grande quantité de calcium). Vingt‐deux études ont été réalisées sur 10 participants ayant consommé le repas de steak et six études, sur un participant ayant consommé le repas de lait et beignet.

[236] L’introduction de Fordtran indique que [TRADUCTION] « la composition électrolytique et l’osmolalité [c.-à-d. la mesure du nombre de particules dissoutes dans un liquide] du fluide postprandial [c.-à-d. consécutif à un repas] dans [...] l’intestin grêle ne sont pas connues » et « présentent un intérêt ». Les auteurs ont signalé que [TRADUCTION] « la concentration de calcium dans le liquide duodénal proximal dépend en grande partie de l’apport alimentaire », et que la concentration de calcium était beaucoup plus élevée après l’ingestion du lait et du beignet qu’après le repas de steak. Dans le dernier paragraphe de la publication, les auteurs résument ainsi leurs observations : [TRADUCTION] « À partir des résultats, nous avons déterminé les constituants osmotiques des fluides gastrique et intestinal postprandiaux et les variations générales des électrolytes, du volume et de la pression osmotique en différents points de l’intestin grêle. »

[237] Parmi les autres antériorités citées, mais non traitées par les experts, figurent Davis 1984, Noach 1993, Berne 1998, Lee 1998 et Farhadi 2003.

C. Bisphosphonates

[238] Mitchell 1998 : Le brevet 188 cite Mitchell 1998 à l’appui de l’affirmation selon laquelle les bisphosphonates, comme le risédronate, présentent une absorption similaire dans la totalité de l’intestin grêle. Les résultats présentés dans Mitchell 1998 comparent l’absorption du risédronate administré en solution dans trois sites gastro-intestinaux distincts. Mitchell 1998 conclut que, selon l’étude menée, la vitesse et le degré d’absorption du risédronate sont indépendants du site d’administration le long du tractus gastro-intestinal.

[239] Mitchell 1999 : Cette étude a été financée par P&G pour [TRADUCTION] « examiner l’effet de l’intervalle entre la prise d’une dose de risédronate et la consommation d’aliments sur la vitesse et le degré d’absorption du risédronate après l’administration d’une seule dose par voie orale ». Mitchell 1999 a rapporté que le degré d’absorption du risédronate était comparable chez les sujets ayant pris la dose deux heures après le souper et 30 minutes avant le déjeuner, mais qu’un [TRADUCTION] « degré d’absorption nettement supérieur » survenait lorsque le risédronate était administré une ou quatre heures avant un repas. Mitchell 1999 est cité dans le brevet 188 comme montrant que l’administration du risédronate moins de 30 minutes avant un repas réduit l’absorption du risédronate de 50 % par rapport à la prise à jeun (c.-à-d. l’effet des aliments).

[240] Dans Twiss, Irene M. et coll., « The Sugar Absorption Test in the Evaluation of the Gastrointestinal Intolerance to Bisphosphonates: Studies with Oral Pamidronate » (2001), Clinical Pharmacology & Therapeutics 69(6):431-437 [Twiss], les auteurs ont constaté que les comprimés gastrorésistants de pamidronate dosés à 150 mg augmentaient la perméabilité de l’intestin grêle chez les participants humains. M. Cremers invoque Twiss à l’appui de ses affirmations selon lesquelles les bisphosphonates pourraient causer une toxicité gastro-intestinale dans l’intestin grêle.

[241] La demande de brevet PCT WO 2004/065397 A1 [la demande WO 397] est une demande de brevet internationale publiée le 5 août 2004 sous le titre « Risédronate sodium à très faible teneur en fer ». L’invention concerne un procédé de préparation visant à rendre le risédronate sodique essentiellement exempt de fer qui comporte les étapes suivantes : faire bouillir au reflux, notamment par agitation mécanique, une combinaison d’acide risédronique, d’une base de sodium et d’un volume réducteur de fer d’EDTA dans un liquide, et isoler de la combinaison le risédronate sodique essentiellement exempt de fer.

[242] Parmi les autres antériorités citées, mais non traitées par les experts, figurent Ebrahimpour 1995, Gertz 1995, Van Beek 1998, Powell 1999, Fleisch 2000 et Ogura 2004.

D. Activateurs d’absorption, notamment l’EDTA

[243] L’article de Poiger, H., et Schlatter, Ch., « Compensation of Dietary Induced Reduction of Tetracycline Absorption by Simultaneous Administration of EDTA » (1978), Europ J Clin Pharmacol 14:129-131 [Poiger], explore les effets du lait et les effets antagonistes de l’EDTA sur l’absorption de la tétracycline, un antibiotique utilisé dans le traitement des infections bactériennes et de l’acné. Quatre schémas posologiques ont été mis à l’essai chez cinq sujets humains : 1) tétracycline seule; 2) tétracycline avec 500 mg d’EDTA; 3) tétracycline avec du lait; 4) tétracycline avec du lait et 2,3 g d’EDTA. Les auteurs concluent que l’effet négatif du lait peut être surmonté par l’administration simultanée d’EDTA. Ils indiquent que, lors de l’utilisation d’une combinaison d’EDTA et de tétracycline, la biodisponibilité de la tétracycline demeurait constante, peu importe le régime alimentaire. Ils concluent qu’il n’est pas nécessaire de prendre le médicament à jeun, et que l’administration à jeun peut entraîner une irritation gastrique chez de nombreux patients. En outre, ils signalent que l’EDTA est utilisé comme additif alimentaire et que ses caractéristiques toxicologiques ont été examinées en 1974 par le JECFA, à savoir le Comité mixte d’experts des additifs alimentaires de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [JECFA 1974]. Enfin, ils concluent que l’administration combinée de tétracycline et d’EDTA [TRADUCTION] « pourrait mériter un examen plus poussé ».

[244] Dans Van Hoogdalem, E. J. et coll., « 3-Amino-1-hydroxypropylidene-1,l-diphosphonate (APD): a novel enhancer of rectal cefoxitin absorption in rats » (1989), J Pharm Pharmacol 41:339-341 [Van Hoogdalem], les auteurs affirment d’entrée de jeu que [TRADUCTION] « diverses études ont révélé que les agents qui lient le calcium, en particulier l’EDTA disodique, accroissent l’absorption intestinale des médicaments. [...] Toutefois, l’effet stimulant de l’EDTA sur l’absorption intestinale des médicaments semble s’accompagner d’un effet dommageable sur l’intégrité des muqueuses. Des concentrations de 0,8 à 1 % ont entraîné une perte réversible de cellules épithéliales rectales (Nakanishi et coll. 1983) et de graves lésions de l’épithélium de l’intestin grêle chez les rats (Nadai et coll. 1972). De plus, une perte de sang jéjunale a été observée chez les chiens (Tidball et Lipman 1962). Ces observations indiquent la nécessité d’autres composés dont le mécanisme d’action est semblable à celui de l’EDTA, mais dont l’effet sur l’intégrité des muqueuses est plus bénin ». Les auteurs ont mené une étude sur un autre agent liant le calcium (l’APD) pour évaluer ses effets sur l’absorption rectale de la céfoxitine chez les rats.

[245] Comme je l’ai mentionné plus haut, Janner est cité dans le brevet 188 pour son affirmation selon laquelle la grande quantité d’EDTA requise afin d’accroître l’absorption gastro-intestinale exclut une éventuelle association de l’EDTA aux bisphosphonates administrés par voie orale. Étant donné que les bisphosphonates sont mal absorbés par voie orale et que leur absorption est très variable, Janner a cherché à savoir si l’EDTA, agent chélatant du calcium, pouvait améliorer l’absorption intestinale de deux bisphosphonates chez des rats à jeun. Les auteurs ont constaté que l’EDTA augmentait l’absorption des bisphosphonates lorsque la dose d’EDTA était d’au moins 10 mg/kg (des doses de 100 mg/kg et 500 mg/kg ont également été soumises aux essais). Ils concluent que [TRADUCTION] « l’EDTA améliore l’absorption de l’AHBuBP (alendronate) et du Cl2MBP (clodronate). Toutefois, l’absorption demeure variable et ne se produit qu’à des concentrations d’EDTA qui rendent ce chélatant inadapté à un usage clinique. »

[246] Dans Lin, Jiunn H. et coll., « On the absorption of alendronate in rats » (1994), J Pharm Sci 83(12):1741-1746 [Lin], les auteurs ont étudié l’absorption de l’alendronate chez les rats. Ils ont conclu que [TRADUCTION] « la coadministration de l’alendronate et de l’EDTA améliore l’absorption; toutefois, l’utilisation clinique de l’EDTA est limitée ». Les doses d’EDTA mises à l’essai comprenaient les suivantes : 1,2, 2,4, 4,8, 9,6 et 18,6 mg/kg. Le résumé de l’article publié signalait en outre que [TRADUCTION] « si les aliments entravaient nettement l’absorption de l’alendronate, l’EDTA augmentait l’absorption proportionnellement à la dose administrée ». Ils ont également noté que [TRADUCTION] « l’absorption accrue de l’alendronate [...] a été attribuée à l’altération de l’intégrité de la membrane intestinale ».

[247] Ezra a passé en revue la documentation existante sur l’amélioration de la biodisponibilité et de l’innocuité des bisphosphonates. L’article d’Ezra examinait d’abord la documentation sur la biodisponibilité des bisphosphonates, l’effet des aliments sur l’absorption des bisphosphonates, le mécanisme de l’absorption des bisphosphonates et les effets gastro-intestinaux indésirables. La deuxième partie de l’article décrivait les méthodes utilisées pour améliorer la biodisponibilité des bisphosphonates. En ce qui concerne les activateurs d’absorption, Ezra a conclu que [TRADUCTION] « [m]algré les fortes propriétés d’amélioration de l’absorption de l’EDTA, l’applicabilité de cet agent en pharmacothérapie humaine est impossible, en raison de ses effets néfastes sur l’intégrité des muqueuses. Janner et coll. ont montré que l’EDTA améliore l’absorption de l’alendronate et du clodronate. Toutefois, l’absorption demeure variable et se produit à des concentrations d’EDTA qui rendent ce chélatant inadapté à un usage clinique ». Comme je le mentionne plus haut, Ezra est cité dans le brevet 188 pour l’affirmation selon laquelle les doses orales de bisphosphonates sont mal absorbées dans le tractus gastro‐intestinal et l’utilisation de l’EDTA [TRADUCTION] « en pharmacothérapie humaine a été jugée “impossible” compte tenu des effets de l’EDTA sur l’intégrité des muqueuses ».

[248] Le brevet 932, mentionné plus haut, s’intitule [TRADUCTION] « Formulations liquides d’alendronate administrées par voie orale » et a été publié en 1995. L’invention du brevet 932 [TRADUCTION] « concerne de manière générale l’utilisation de formulations liquides orales d’alendronate [...] pour inhiber la résorption osseuse chez les patients humains qui ont de la difficulté à avaler ». Plus précisément, l’invention [TRADUCTION] « fournit une méthode pour traiter ou prévenir la déperdition osseuse chez un sujet qui a de la difficulté à avaler en lui administrant une quantité d’alendronate pharmaceutiquement efficace dans une formulation liquide orale. La formulation liquide peut prendre la forme d’un sirop, d’une solution aqueuse ou d’une poudre d’alendronate reconstituée dans une solution aqueuse et elle contient un tampon pour réguler le pH de la solution ainsi qu’un agent complexant pour prévenir la formation de complexes insolubles d’alendronate. » Le brevet 932 indique ceci : [TRADUCTION] « Les agents complexants comprennent le tampon au citrate [...] ou l’EDTA. Lorsque l’EDTA est utilisé, il l’est dans une proportion de 0,005 à 0,1 % (en poids) de la composition et de 0,005 à 2 parties d’EDTA pour 1 partie (en poids) d’alendronate ainsi que, de préférence, environ 0,01 % (en poids) de la composition. L’utilisation du tampon au citrate seul est préférée. » Les revendications 11 et 12 revendiquent l’EDTA comme agent complexant.

E. Innocuité de l’EDTA

[249] Le Dr Dillberger a mentionné dans son rapport plusieurs publications qui portaient sur l’utilisation et l’innocuité de l’EDTA.

[250] Comme je l’ai indiqué plus haut, le JECFA a déterminé en 1974 que la dose journalière admissible d’EDTA pour les humains pouvait atteindre 2,5 mg/kg (ou 150 mg d’EDTA par jour pour un adulte de 60 kg). Le JECFA définit l’expression [TRADUCTION] « dose journalière admissible » comme étant la quantité d’additif alimentaire qui peut être prise quotidiennement dans l’alimentation, même au cours d’une vie entière, sans risque.

[251] L’examen effectué en 1993 par la FDA a confirmé que la dose journalière admissible d’EDTA était de 2,5 mg/kg.

[252] Dans Yonezawa, Michio, « Basic Studies of the Intestinal Absorption I. Changes in the Rabbit Intestinal Mucosa after Exposure to Various Surfactants » (1977), Nihon Univ J Med 19:125-141 [Yonezawa], l’auteur a signalé que l’EDTA n’avait pas endommagé l’épithélium intestinal des lapins après une exposition directe et continue à une forte concentration pendant une heure.

[253] Le Dr Dillberger a également cité d’autres publications à l’appui de son point de vue selon lequel l’EDTA était sans danger, notamment les suivantes : Heimbach, J. et coll., « Safety Assessment of Iron EDTA [Sodium Iron (Fe3+) Ethylenediaminetetraacetic Acid]: Summary of Toxicological, Fortification and Exposure Data », (2000) Food and Chemical Toxicology 38:99-111; Bothwell, Thomas H. et coll., « The Potential Role of NaFeEDTA as an Iron Fortificant », (2004) Int J Vitam Nutr Res 74(6):421-434; et Oser, Bernard L. et coll., « Safety Evaluation Studies of Calcium EDTA », (1963) Toxicology and Applied Pharmacology 5:142-162.

[254] Parmi les autres antériorités concernant l’EDTA qui ont été citées, mais non abordées ou mentionnées brièvement seulement, on compte Windsor 1961, Tidball 1962, Yamashita 1985, Noach 1993, Hochman 1994 et Quan 1998.

F. Enrobage gastrorésistant/libération retardée

[255] La demande de brevet PCT WO 1993/21907 [la demande WO 907] est une demande de brevet internationale intitulée « Préparation pharmaceutique et son procédé de fabrication ». L’invention se rapporte à une préparation pharmaceutique à administration orale qui contient du clodronate (un type de bisphosphonate). Selon l’invention, la préparation se présente sous une forme médicamenteuse enduite d’une pellicule gastrorésistante qui se dissout à une valeur de pH comprise entre 5 et 7,2.

[256] Le brevet canadien 2,122,479 (1993) [le brevet 479] a été déposé par P&G et est intitulé « Compositions de risédronate à libération lente ». M. Dansereau est l’un des inventeurs répertoriés. L’invention vise une nouvelle forme pharmaceutique orale de risédronate à enrobage gastrorésistant qui est insoluble à un pH inférieur à 5,5 (c.-à-d. dans l’estomac), mais soluble à un pH égal ou supérieur à 5,5 (c.-à-d. dans l’intestin grêle).

[257] Mitchell, D. Y. et coll., « Bioavailability of Immediate-Release and Delayed-Release Risedronate Formulations Upon Oral Administration To Healthy Male Subjects In Fasted And Fed State » (1996), Pharmaceutical Research 13(9) (Supp):S-458 [Mitchell 1996], est un résumé qui décrit une étude randomisée croisée à trois permutations qui a permis de déterminer la biodisponibilité relative de formulations de risédronate à libération retardée et à libération immédiate chez 14 sujets mâles, à jeun ou non à jeun. Les sujets ont reçu l’une des trois formulations suivantes : trois capsules à libération immédiate [IR] de 10 mg; une capsule contenant des microgranules à libération retardée [DR]; ou un comprimé à libération retardée [DR]. Mitchell 1996 a noté que la biodisponibilité n’était pas significativement différente entre les trois formulations lorsque celles-ci étaient administrées à jeun. Toutefois, la prise de nourriture une demi-heure après l’administration du comprimé DR et des microgranules DR réduisait la biodisponibilité relative médiane de chaque formulation de 80 à 100 %, tandis que celle de la capsule IR diminuait de 50 %. Mitchell 1996 a conclu que, d’après les résultats, tout passage d’une formulation IR à une formulation DR devrait s’accompagner [TRADUCTION] « non seulement d’une évaluation de la bioéquivalence, mais aussi d’une évaluation plus poussée de l’effet de l’administration des doses en fonction des repas ».

[258] La demande de brevet PCT WO 00/61111 (2000) [la demande WO 111] est intitulée « Formulation pharmaceutique comprenant un bisphosphonate et un agent d’addition favorisant l’absorption du bisphosphonate ». L’invention concerne des formulations pharmaceutiques qui comprennent au moins un bisphosphonate et un additif constitué d’un ou de plusieurs agents favorisant l’absorption, pour le traitement et la prévention de l’ostéoporose. La demande contient une longue liste d’agents favorisant l’absorption, d’additifs et de bisphosphonates. Elle fait état des inconvénients de la prise de bisphosphonates à jeun. Elle indique également que l’invention permettra à un patient de prendre le médicament avec de la nourriture, mais elle porte sur diverses voies d’administration et ne se limite pas à l’administration orale. Les revendications 1 à 34 ne visent pas l’administration orale. La revendication 35 concerne une formulation visée par les revendications 1 à 34 mais qui est adaptée en vue de l’administration orale. La revendication 36 concerne une formulation visée par les revendications 1 à 35 mais qui est adaptée à une libération non colique (c.-à-d. ailleurs que dans le côlon). La demande WO 111 donne plusieurs exemples relatifs à l’alendronate.

[259] Le brevet américain 6,468,559 B1 (2002) [le brevet 559] est intitulé [TRADUCTION] « Formulation de composés d’acide bisphosphonique à enrobage gastrorésistant et méthodes thérapeutiques connexes ». L’invention indique notamment que [TRADUCTION] « les formes pharmaceutiques orales sont fournies pour l’administration d’un composé d’acide bisphosphonique en vue de la prévention et du traitement d’affections associées à la résorption osseuse comme l’ostéoporose, la maladie de Paget, [etc.]. Les formes pharmaceutiques sont soit des capsules à enrobage gastrorésistant qui contiennent le médicament dans un support liquide ou semi-solide, soit des dispositifs d’administration du médicament à activation osmotique et à enrobage gastrorésistant ». Bien que le brevet 559 fasse référence à de nombreux exemples d’acides bisphosphoniques, il indique expressément que [TRADUCTION] « [l’]alendronate [...], le risédronate, le tiludronate et le zolédronate sont les composés privilégiés pour l’administration par les formes pharmaceutiques actuelles ». Au sujet du risédronate, le brevet 559 indique que, [TRADUCTION] « pour l’administration du risédronate [...], une dose quotidienne d’environ 20 mg à 40 mg, idéalement 30 mg, est indiquée dans le traitement de la maladie de Paget ». La revendication 4 englobe plusieurs bisphosphonates, dont l’acide risédronique. La revendication 6 énonce spécifiquement l’acide risédronique comme principe actif.

[260] Blümel, J. E. et coll., « Alendronate daily, weekly in conventional tablets and weekly in enteric tablets: preliminary study on the effects in bone turnover markers and incidence of side effects » (2003), J Obstet Gynaecol 23(3):278-81 [Blümel], rend compte d’une étude randomisée à double insu de trois mois à laquelle 75 sujets ont participé. Cette étude avait pour but de comparer les effets secondaires et les marqueurs de renouvellement osseux chez les femmes postménopausées qui avaient reçu de l’alendronate quotidiennement (10 mg/jour) ou hebdomadairement (70 mg/semaine), en comprimés avec ou sans enrobage gastrorésistant. La principale constatation rapportée par Blümel est que l’administration hebdomadaire d’alendronate est généralement associée à moins de troubles digestifs que l’utilisation quotidienne. Les auteurs ont également signalé que la réponse des marqueurs de renouvellement osseux était similaire chez les patients qui prenaient de l’alendronate standard et de l’alendronate gastrorésistant, ce qui laisse penser que l’enrobage gastrorésistant n’a pas d’incidence sur l’efficacité de l’alendronate. Ils ont toutefois souligné que [TRADUCTION] « la réalisation d’autres études bien conçues s’impose », en partie parce que son étude était de dimension limitée.

[261] Parmi les autres brevets sur les formes pharmaceutiques de bisphosphonates à enrobage gastrorésistant, on compte ceux qui ont été déposés par M. Dansereau et d’autres personnes liées à P&G : demande de brevet PCT WO 1993/009785; demande de brevet PCT WO 95/08331; brevet américain no 5,431,920; et brevet américain no 5,622,721.

G. L’art postérieur : publications après 2005

[262] Comme je l’ai mentionné précédemment, l’étude 132, dirigée par M. Dansereau, a été menée au printemps et à l’été 2005. Les résultats ont montré que l’ajout de 100 mg d’EDTA à une formulation de 35 mg de risédronate à enrobage gastrorésistant, assurant la libération dans l’intestin grêle, permettait de surmonter l’effet des aliments, sans que l’absorption à jeun se trouve accrue de façon importante. La formulation comprenant un noyau à libération immédiate et un enrobage gastrorésistant ayant pour déclencheur un pH de 5,5, enrobée à un taux de 10 %, présentait une absorption du risédronate similaire dans les conditions d’alimentation et de jeûne.

[263] McClung, M. R. et coll., « Treatment of postmenopausal osteoporosis with delayed-release risedronate 35 mg weekly for 2 years » (2013), Osteoporos Int 24:301-310 [McClung], rend compte d’une étude de non-infériorité randomisée et contrôlée, d’une durée de deux ans, qui a évalué l’efficacité et l’innocuité d’une formulation orale hebdomadaire de 35 mg de risédronate à libération retardée lorsqu’elle était prise avant ou immédiatement après le déjeuner. Les trois groupes de traitement recevaient, respectivement, une dose quotidienne de 5 mg à libération immédiate, une dose hebdomadaire de 35 mg à libération retardée prise après le déjeuner et une dose hebdomadaire de 35 mg à libération retardée prise avant le déjeuner. Les auteurs ont conclu que [TRADUCTION] « [l]a dose hebdomadaire de 35 mg de risédronate à libération retardée est aussi efficace et tolérée que la dose quotidienne de 5 mg de risédronate à libération immédiate et permettra aux sujets de prendre leur dose hebdomadaire de risédronate immédiatement après le déjeuner ». Dans la section sur les évaluations de l’innocuité, ils ont conclu que [TRADUCTION] « [l]a fréquence des effets préjudiciables touchant les parties supérieure et inférieure du tube digestif était semblable d’un groupe à l’autre. Toutefois, l’incidence des événements liés à des douleurs abdominales hautes était plus élevée dans le groupe à libération retardée avant le déjeuner que dans les deux autres; la plupart de ces événements ont été jugés légers ou modérés ». De plus, [TRADUCTION] « [l]es douleurs abdominales hautes étaient un peu plus fréquentes dans le groupe à libération retardée avec administration avant le déjeuner, tandis qu’un nombre légèrement plus élevé de sujets souffraient de diarrhée avec le régime à libération retardée avec administration après le déjeuner, mais ces différences n’ont pas amené un plus grand nombre de sujets à cesser de prendre le médicament à l’étude ».

VIII. Les connaissances générales courantes

[264] Allergan note que les propriétés des bisphosphonates étaient connues, que l’effet des aliments était connu, que le dosage strict nécessaire pour surmonter l’effet des aliments était un obstacle à l’observance du traitement, que plusieurs bisphosphonates étaient sur le marché et que certains dosages hebdomadaires et mensuels visaient à réduire les inconvénients de la prise à jeun en limitant la fréquence d’administration.

[265] Apotex soutient que, en plus des connaissances générales courantes relevées par Allergan, l’utilisation d’enrobages gastrorésistants et d’EDTA était connue pour remédier à l’effet des aliments. Apotex soutient également que l’EDTA était connu pour être sans danger pour les humains et non toxique aux doses en cause dans le brevet 188.

[266] Comme il est précisé au paragraphe 109 de la décision Janssen 2020 :

[109] Les connaissances générales courantes se limitent aux connaissances que possède généralement au moment considéré la personne versée dans l’art de la technique ou de la science dont relève l’invention. Elles n’englobent pas la totalité de l’information relevant du domaine public (Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC61 au para 37 [Sanofi]; Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219 aux para 63‐65 [Bell Helicopter]).

A. Aperçu de la preuve présentée par les experts sur les connaissances générales courantes

[267] M. Cremers a fait remarquer que la personne versée dans l’art aurait des connaissances liées à la pharmacologie des formes pharmaceutiques orales, aux compositions pharmaceutiques et aux principes pharmacologiques. Cette personne saurait que les bisphosphonates sont une catégorie de médicaments qui réduisent la résorption osseuse et sont utilisés dans le traitement de l’ostéoporose et d’autres maladies métaboliques des os. Elle saurait également qu’en 2005, plusieurs bisphosphonates avaient été approuvés aux fins de traitement, notamment l’alendronate et le risédronate.

[268] De plus, la personne versée dans l’art aurait été au courant des exigences posologiques rigoureuses concernant les bisphosphonates administrés par voie orale.

[269] M. Cremers a expliqué que les enrobages étaient connus pour être utilisés dans des compositions pharmaceutiques à plusieurs fins, dont la stabilité, et pour modifier la rapidité ou le site de la dissolution. On savait que les enrobages gastrorésistants empêchaient la dissolution du contenu d’un médicament dans l’œsophage et l’estomac.

[270] Le Dr Adachi a décrit les connaissances générales courantes du médecin qualifié, soulignant que ces connaissances comprenaient l’utilisation des médicaments disponibles à base de bisphosphonates, l’obstacle posé par l’« effet des aliments », à cause duquel ces médicaments étaient mal absorbés lorsqu’ils étaient pris avec des aliments ou des boissons, la nécessité de prescrire la prise des bisphosphonates seuls, à jeun avec de l’eau avant le déjeuner, ainsi que le fait que ce régime posologique rigoureux était jugé incommode et n’était pas toujours respecté par les patients.

[271] Le Dr Yates a convenu qu’on savait que les bisphosphonates administrés par voie orale ont une faible biodisponibilité, surtout lorsqu’ils sont consommés avec des aliments ou avec des boissons contenant du calcium (c.-à-d. l’effet des aliments), en raison de la formation de complexes de bisphosphonate et de calcium insolubles. Il a ajouté que les agents chélatants étaient connus pour se lier également aux ions calcium et que certains, comme l’EDTA, se liaient de manière préférentielle à ces ions à la place des bisphosphonates.

[272] M. Parr a indiqué, tout comme M. Cremers, que les connaissances générales courantes comprenaient les propriétés des bisphosphonates, la physiologie gastro-intestinale et l’utilisation d’enrobages gastrorésistants. M. Parr a ajouté que les formes pharmaceutiques à enrobage gastrorésistant contenant des bisphosphonates étaient également connues, tout comme l’étaient le but des agents chélatants, dont l’EDTA, et la dose journalière admissible d’EDTA.

B. La conclusion de la Cour sur les connaissances générales courantes

[273] Je conclus que les connaissances générales courantes en avril 2005 étaient les suivantes :

· Le fonctionnement du tractus gastro-intestinal était connu, notamment les temps de séjour, le pH ainsi que l’absorption dans les différents segments;

  • l’ostéoporose était une maladie bien connue, caractérisée par un affaiblissement progressif de l’os;
  • les bisphosphonates étaient une catégorie connue de médicaments utilisés pour traiter l’ostéoporose;
  • les bisphosphonates administrés par voie orale commercialisés au Canada en avril 2005 comprenaient l’alendronate (FOSAMAXMD) et le risédronate (ACTONEL);
  • les bisphosphonates administrés par voie orale présentaient l’inconvénient d’une faible biodisponibilité. Lorsqu’ils étaient pris avec des aliments, l’absorption était beaucoup plus faible; ce phénomène portait le nom d’« effet des aliments »;
  • pour éviter le problème de l’effet des aliments, les patients devaient prendre les bisphosphonates à jeun avec un grand verre d’eau, rester en position verticale et s’abstenir de manger ou de boire autre chose pendant au moins 30 minutes;
  • on croyait que l’effet des aliments était attribuable, du moins en partie, au fait que les bisphosphonates forment des complexes avec des ions, notamment de calcium et de magnésium, contenus dans les aliments présents dans l’estomac;
  • on savait que les bisphosphonates étaient absorbés dans l’intestin grêle;
  • l’EDTA était un chélatant bien connu;
  • l’utilisation d’enrobages gastrorésistants était connue à plusieurs fins, notamment pour réduire l’irritation du tractus gastro-intestinal supérieur (bouche, œsophage, estomac) causée par certaines formes pharmaceutiques orales, et pour prévenir la dissolution dans l’estomac, de sorte que la forme pharmaceutique se dissolve dans l’intestin;
  • la personne versée dans l’art savait comment mettre au point les formes pharmaceutiques, y compris avec un enrobage gastrorésistant.

IX. Le brevet 188 est-il antériorisé par la demande BR 601?

A. Arguments d’Apotex

[274] Apotex soutient que la demande BR 601 a été mise à la disposition du public avant le 15 avril 2005 et qu’elle constitue donc une antériorité. Elle ajoute que, puisque la demande BR 601 est citée dans le contexte du brevet 188, Allergan ne peut pas contester que la demande BR 601 constitue un document de l’art antérieur aux fins de l’évidence et de l’antériorité

[275] Apotex fait remarquer que la demande BR 601 a été publiée le 9 septembre 2003 et que son contenu intégral (description et revendications) pouvait être facilement obtenu auprès du bureau des brevets brésilien. Apotex conteste la prétention selon laquelle la demande BR 601 n’aurait pas pu être localisée par la personne versée dans l’art, notant que la base de données en ligne du bureau des brevets brésilien était opérationnelle à l’époque pertinente. Apotex note que Mme Mittelbach a reconnu qu’une « simple copie », par opposition à une copie officielle, aurait pu être fournie à un demandeur avant la date indiquée au dossier pour la fourniture d’une copie officielle.

[276] Apotex affirme également que les inventeurs ont reconnu qu’ils avaient reçu la demande BR 601. Elle soutient qu’Allergan aurait dû fournir une explication sur la façon dont les inventeurs ont obtenu cette demande, mais qu’elle ne l’a pas fait. Selon Apotex, il faut tirer une inférence défavorable de cette omission et conclure que les documents détenus par P&G démontreraient que la demande BR 601 était facilement accessible.

[277] Apotex soutient que la demande BR 601 divulgue des formulations qui possèdent tous les éléments essentiels des revendications invoquées du brevet 188. Elle ajoute que les formulations de la demande BR 601 possèdent intrinsèquement tous les attributs des formulations revendiquées dans le brevet 188. Apotex s’appuie sur les paragraphes 23 à 27 de l’arrêt Apotex Inc. c Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61 [Sanofi], pour affirmer que l’objet défini par les revendications est divulgué si les éléments de la revendication étaient explicitement ou intrinsèquement à la disposition du public avant la date de la revendication. Apotex soutient que la divulgation est suffisante si l’élément était inhérent à l’enseignement de l’art antérieur. Elle ajoute que la question de savoir s’il était manifeste pour la personne versée dans l’art qu’elle réalisait l’invention et qu’elle la contrefaisait n’est pas pertinente.

[278] Apotex indique que la demande BR 601 divulgue une composition à administration orale contenant un bisphosphonate, notamment le risédronate. Apotex souligne par ailleurs que la quantité de bisphosphonate indiquée dans la demande BR 601 chevauche celle du risédronate dans le brevet 188. De plus, les deux méthodes permettent la libération dans l’intestin grêle, elles présentent des vitesses de dissolution semblables, les enrobages gastrorésistants présentent des similitudes, et la demande BR 601 prévoit tant la libération immédiate que la libération retardée et prolongée.

[279] Apotex soutient que la demande BR 601 divulgue les éléments essentiels des revendications du brevet 188, y compris [TRADUCTION] « environ 35 mg de risédronate ». Premièrement, Apotex note que la demande BR 601 divulgue qu’une plage de 1 mg à 150 mg de bisphosphonate peut être incluse dans la composition pharmaceutique orale, et que le risédronate est l’un des bisphosphonates pouvant être employés. Deuxièmement, Apotex ajoute qu’en 2003 (date de publication de la demande BR 601), on savait que le risédronate était prescrit à une dose hebdomadaire de 35 mg, de sorte que cette quantité était une [traduction] « quantité efficace » d’un bisphosphonate telle que décrite dans la demande BR 601. Troisièmement, Apotex souligne que la revendication 11 de la demande BR 601, qui dépend de la revendication 1, décrit une composition pharmaceutique orale contenant un bisphosphonate, notamment le risédronate, un agent chélatant et un enrobage gastrorésistant. Apotex soutient que, même si la revendication 11 énumère d’autres bisphosphonates, à l’époque seuls le risédronate et l’alendronate avaient été approuvés et étaient utilisés pour traiter l’ostéoporose.

[280] Apotex souligne qu’Allergan a reconnu que la demande BR 601 divulgue les formulations du brevet 188 qui se retrouvent dans la demande BR 601. Elle fait valoir que cela comprend certaines formulations qui assureraient en soi une absorption pharmaceutiquement efficace et qui pourraient être prises avec ou sans nourriture. Apotex soutient que, même si le brevet 188 décrit en outre des formulations qui ne sont pas visées par la demande BR 601, il ne s’agit pas d’un fait pertinent pour l’évaluation de l’antériorité.

[281] Selon Apotex, la demande BR 601 enseigne que, grâce à la libération du bisphosphonate et de l’EDTA dans l’intestin grêle, l’interaction avec le contenu de l’estomac est évitée, et l’absorption peut être améliorée sans les quantités élevées d’EDTA que l’on croyait auparavant nécessaires.

[282] Apotex avance que la solution divulguée dans le brevet 188 ‒ une chélation compétitive au moyen de doses réduites d’EDTA ‒ est expressément divulguée dans la demande BR 601, comme l’un des deux mécanismes possibles d’absorption accrue.

[283] Apotex soutient en outre que la demande BR 601 divulgue que la composition vise une utilisation avec ou sans aliments. Apotex fait valoir que le renvoi dans la demande BR 601 à l’art antérieur, qui traite de l’effet des aliments et à la nécessité d’éviter le [TRADUCTION] « contenu de l’estomac », constitue une indication claire que la demande BR 601 visait à traiter l’effet des aliments. Apotex reconnaît que la demande BR 601 n’utilise pas des mots comme « à jeun » ou « avec des aliments », mais soutient que la demande BR 601 ne fait état d’aucune restriction. Apotex fait valoir que la personne versée dans l’art s’attendrait à ce que de telles limitations de l’utilisation du produit soient explicitées.

[284] Selon Apotex, si les formulations du brevet 188 permettent une absorption pharmaceutiquement efficace, les formulations de la demande BR 601 qui sont visées par les revendications du brevet 188 permettraient aussi naturellement une absorption pharmaceutiquement efficace.

[285] Apotex renvoie au témoignage de M. Parr selon lequel on s’attendrait à ce que l’absorption du bisphosphonate à partir de compositions comprenant de l’EDTA et un enrobage gastrorésistant, comme l’enseigne la demande BR 601, chez un patient non à jeun représente au moins 50 % de l’absorption à jeun (c.-à-d. une absorption pharmaceutiquement efficace).

[286] Apotex rappelle également l’opinion du Dr Yates selon laquelle la plage de valeurs de l’EDTA enseignée dans la demande BR 601 comprend des quantités suffisantes pour chélater les cations calcium et magnésium, mais assez faibles pour ne pas accroître défavorablement la perméabilité; autrement dit, la demande BR 601 enseignait comment obtenir une absorption pharmaceutiquement efficace.

[287] Apotex soutient également que la demande BR 601 enseigne que l’ajout de jusqu’à 175 mg d’EDTA dans un comprimé à enrobage gastrorésistant augmente l’absorption en réduisant la formation de complexes insolubles. La demande BR 601 enseigne aussi à éviter le contenu de l’estomac. Apotex fait référence au témoignage du Dr Yates au sujet de l’« onde de nettoyage », selon lequel la formulation serait conservée dans l’estomac jusqu’à ce que les aliments aient été expulsés, ce qui assurerait le passage de la formulation dans l’intestin grêle, qu’il y ait eu ou non consommation de nourriture. Par conséquent, la quantité de bisphosphonate absorbée serait similaire – et pharmaceutiquement efficace ‒, que la formulation soit administrée à jeun ou non.

[288] En réponse à la question de la Cour sur la raison pour laquelle il serait nécessaire d’ajouter de l’EDTA et un enrobage gastrorésistant pour assurer la libération dans l’intestin grêle si l’« onde de nettoyage » garantissait que la libération s’effectue seulement une fois l’estomac vide et seulement dans l’intestin grêle, Apotex a indiqué que l’enjeu résidait dans la quantité d’EDTA. Apotex a ajouté qu’en raison des faibles teneurs en calcium dans un estomac vide, il ne serait pas nécessaire d’ajouter une quantité excessive d’EDTA, et l’augmentation de l’absorption à jeun ne constituerait pas une préoccupation, mais l’enrobage gastrorésistant serait tout de même nécessaire pour éviter la dissolution dans l’estomac.

[289] Apotex soutient que, bien qu’il soit impossible de prédire avec exactitude l’incidence de l’effet des aliments sur la biodisponibilité, on s’attendrait à ce que la biodisponibilité soit similaire. Seuls des essais courants seraient nécessaires pour confirmer la biodisponibilité.

[290] Apotex soutient que la demande BR 601 a également rendu possible l’objet des revendications du brevet 188. Apotex affirme qu’il importe peu qu’il y ait de nombreux choix à faire dans le cadre de la demande BR 601. Il s’agit simplement d’exécuter ce que le brevet divulgue.

[291] Apotex fait observer que la demande BR 601 enseigne que la composition peut se présenter sous forme de capsules ou de comprimés, que le bisphosphonate et l’EDTA peuvent être contenus dans un seul noyau ou plusieurs, et que l’enrobage gastrorésistant peut être appliqué sur un noyau ou plusieurs. La demande BR 601 enseigne également comment préparer les compositions et indique les quantités des composants. L’exemple décrit la manière de préparer une grande quantité d’une forme pharmaceutique orale d’alendronate et d’EDTA dans un enrobage gastrorésistant.

[292] Apotex ajoute que les formes pharmaceutiques orales revendiquées dans le brevet 188 n’étaient pas difficiles à fabriquer et que la personne versée dans l’art, se fondant sur ses connaissances générales courantes, aurait pu facilement les fabriquer sur la base des enseignements de la demande BR 601. Si une quelconque expérimentation était nécessaire, elle aurait été routinière.

B. Arguments d’Allergan

[293] Allergan fait valoir que la demande BR 601 n’antériorise pas le brevet 188. La demande BR 601 ne divulgue pas l’objet des revendications invoquées et ne permet pas non plus leur réalisation. La demande BR 601 ne fournit pas « une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée » (Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 au para 26 [Free World Trust], citant Beloit Canada Ltd c Valmet OY, [1986] ACF no 87 (CAF) au para 29 [Beloit]).

[294] En outre, en suivant la demande BR 601, on n’arrive pas nécessairement et inévitablement à l’invention du brevet 188. Une personne versée dans l’art pourrait pratiquer l’invention de la demande BR 601 et ne pas parvenir à l’invention du brevet 188.

[295] Allergan soutient que la demande BR 601 prévoit de nombreuses combinaisons et permutations de bisphosphonates, d’agents chélatants et d’enrobages gastrorésistants, ainsi que les modes de libération retardée, prolongée et immédiate. La demande BR 601 ne divulgue aucune formulation contenant 35 mg de risédronate, 100 mg d’EDTA et un noyau à libération immédiate recouvert d’un enrobage gastrorésistant qui ne se dissout pas à un pH inférieur à 5,5. La demande BR 601 ne comprend pas de formes pharmaceutiques qui, si elles étaient fabriquées, permettraient de façon inhérente une absorption pharmaceutiquement efficace avec ou sans consommation d’aliments.

[296] Allergan reconnaît qu’il y a un chevauchement entre certaines des formulations de la demande BR 601 et du brevet 188. Toutefois, la personne versée dans l’art serait tenue de choisir ‒ parmi toutes les permutations et combinaisons de la demande BR 601 ‒ tous les composants essentiels en quantités exactes, par exemple 100 mg d’EDTA, et de choisir un noyau à libération immédiate. Allergan soutient que rien ne permet de conclure que la personne versée dans l’art choisirait tous les bons composants et les quantités exactes, ou un noyau à libération immédiate, parmi les possibilités offertes par la demande BR 601. Allergan reconnaît que la demande BR 601 divulgue la libération dans l’intestin grêle; cependant, une fois parvenu dans l’intestin grêle, le noyau doit être libéré immédiatement. La demande BR 601 ne comporte aucune indication concernant le choix d’un noyau à libération immédiate. Ce n’est que rétrospectivement qu’une personne versée dans l’art pourrait le savoir.

[297] Allergan reconnaît également que, si la personne versée dans l’art préparait une formulation correspondant exactement à ce qui est revendiqué dans le brevet 188, cette formulation fonctionnerait de la même façon que celle du brevet 188. Toutefois, cette éventualité est peu probable, car il y a de multiples choix à faire et la voie à suivre n’est pas évidente. Allergan ajoute que, là encore, un essai clinique serait nécessaire. La personne versée dans l’art ne saurait pas à l’avance – même si tous les bons choix étaient faits – que le dosage produirait une absorption pharmaceutiquement efficace. Des conjectures ne suffisent pas. Tous les experts s’entendaient pour dire que l’absorption est variable et imprévisible et qu’il serait nécessaire de l’évaluer au cours d’études cliniques chez l’humain. Ce travail va au-delà de l’expérimentation courante.

[298] Allergan fait valoir que, si la personne versée dans l’art adaptait le seul exemple fourni dans la demande BR 601 concernant le lot important d’alendronate, et utilisait du risédronate et des quantités égales d’EDTA comme dans l’exemple, la formulation se situerait hors de la portée des revendications et des enseignements du brevet 188.

[299] Allergan conteste l’argument d’Apotex selon lequel la demande BR 601 antériorise le brevet 188, car elle comprend des formes pharmaceutiques qui, si elles étaient fabriquées, relèveraient de la portée du brevet 188 et assureraient de façon inhérente une absorption pharmaceutiquement efficace. Allergan soutient que les propriétés pharmacocinétiques inhérentes sont inconnues et imprévisibles dans la demande BR 601 et qu’elles n’y sont pas divulguées. La demande BR 601 ne précise pas que les formulations peuvent être prises avec ou sans nourriture, ni qu’il en résulterait une absorption pharmaceutiquement efficace. Ainsi, il n’y a aucune antériorité qui soit fondée sur des résultats inhérents possibles. Les propriétés inhérentes, mais non divulguées, ne constituent pas de l’art antérieur (Novo Nordisk Canada Inc c Cobalt Pharmaceuticals Inc, 2010 CF 746 aux para 170‐175 [Novo Nordisk]).

[300] Allergan soutient que la demande BR 601 ne vise pas à résoudre le problème de l’effet des aliments. La demande BR 601 ne divulgue pas de formulations qui peuvent être prises avec ou sans nourriture, ne traite pas du tout de l’effet des aliments et ne traite pas du concept de l’absorption pharmaceutiquement efficace.

[301] La demande BR 601 décrit et résout le problème de la faible biodisponibilité des bisphosphonates pris à jeun par voie orale. Elle propose d’utiliser un enrobage gastrorésistant pour éviter que l’agent chélatant ne soit « consommé » dans l’estomac, où des ions calcium et magnésium sont présents même à jeun. La demande BR 601 indique qu’une fois libéré dans l’intestin grêle, l’agent chélatant ferait deux choses : chélater les métaux de manière compétitive et augmenter la perméabilité de la muqueuse intestinale. Comme l’indique la demande BR 601, cela nécessiterait moins de bisphosphonate que dans les « traitements actuels », tout en conservant l’administration à jeun (c.-à-d. en évitant une dose excessive de bisphosphonate).

[302] Allergan soutient que même si la demande BR 601 portait sur l’effet des aliments ‒ ce qui n’est pas le cas ‒, elle n’enseigne pas que les formulations peuvent être prises avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons. Allergan fait valoir que la personne versée dans l’art aurait conclu le contraire. La personne versée dans l’art comprendrait que la demande BR 601 vise à accroître l’absorption des bisphosphonates à jeun, ce que le brevet 188 cherche à éviter.

[303] Allergan conteste également le fait que, dans la demande BR 601, on puisse assimiler à une mention de l’effet des aliments l’affirmation selon laquelle les formulations sont recouvertes d’un enrobage gastrorésistant pour qu’elles soient libérées après leur sortie de l’estomac et éviter que l’agent chélatant ne soit consommé par chélation avec le [TRADUCTION] « contenu de l’estomac ». Allergan note que le Dr Yates et M. Parr ont finalement convenu que l’estomac à jeun contient du calcium qui consommerait l’agent chélatant.

[304] Allergan soutient que, puisque la demande BR 601 ne traite pas de l’effet des aliments, elle ne divulgue pas non plus que les formulations décrites permettraient une absorption pharmaceutiquement efficace avec ou sans nourriture. La demande BR 601 ne mentionne rien sur le fait que l’absorption non à jeun soit semblable à l’absorption à jeun pour l’une quelconque de des formulations décrites. Allergan ajoute que ce serait impossible de toute manière, car aucun essai n’est relaté dans la demande BR 601.

[305] Allergan soutient également que la demande BR 601 ne permet pas la réalisation de l’objet des revendications invoquées.

[306] Allergan souligne que la demande BR 601 fait référence à tous les bisphosphonates, mais met l’accent sur l’alendronate, et qu’elle s’applique à un large éventail d’agents chélatants et d’enrobages différents, ainsi qu’à des noyaux à libération immédiate, retardée et prolongée.

[307] La demande BR 601 ne fournit aucune indication à la personne versée dans l’art quant à la façon de concevoir des formulations qui peuvent être prises avec ou sans aliments ou qui assurent une absorption pharmaceutiquement efficace. Allergan fait remarquer que les inventeurs du brevet 188 ont déclaré qu’il était important de trouver la bonne quantité d’EDTA pour 35 mg de risédronate, et qu’une quantité de 100 mg d’EDTA s’est avérée être la bonne (cette quantité, correspondant selon eux au « point d’équilibre », était la quantité maximale recommandée pour des raisons d’innocuité par leurs experts en innocuité). Allergan note que la demande BR 601 ne divulgue pas la quantité optimale, et qu’elle prévoit de nombreuses options.

[308] Allergan ajoute que la demande BR 601 ne contient pas de revendication concernant un noyau à libération immédiate. Les formulations et les revendications de la demande BR 601 comprennent les formes de libération retardée, prolongée et immédiate. Les formes retardée et prolongée ne fonctionneraient pas.

[309] Allergan soutient que la personne versée dans l’art qui suivrait le seul exemple donné dans la demande BR 601 n’arriverait pas à l’objet des revendications invoquées dans le brevet 188. Il faudrait que l’exemple relatif à l’alendronate dans la demande BR 601 soit adapté au risédronate. L’absorption du risédronate ne serait pas prévisible. Si la personne versée dans l’art suivait ensuite l’exemple de l’utilisation de 35 mg de risédronate et d’une quantité égale d’EDTA, comme indiqué dans la demande BR 601, cela dépasserait la portée des revendications invoquées (premier ensemble de revendications) dans le brevet 188, qui divulguent 100 mg d’EDTA avec 35 mg de risédronate. En outre, le rapport molaire d’au moins 2 entre l’EDTA et le risédronate, comme l’indique la revendication 1, ne serait pas respecté. Allergan ajoute que la personne versée dans l’art parviendrait probablement à une formulation qui ne relève pas du brevet 188.

[310] Il faudrait beaucoup plus que de simples essais courants pour parvenir à l’invention et pour déterminer si la formulation orale administrée avec ou sans nourriture produirait une absorption pharmaceutiquement efficace.

C. La jurisprudence pertinente en matière d’antériorité

[311] Comme l’a récemment noté le juge Zinn aux paragraphes 74 et 75 de la décision Bristol-Myers Squibb Canada Co c Pharmascience Inc., 2021 CF 1 [BMS 2021] :

[74] Pour apprécier l’antériorité, il faut examiner deux questions : la divulgation et le caractère réalisable : Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61 [Sanofi] aux para 25‐27. Pour constituer une antériorité, un seul document de l’art antérieur (le brevet 303), doit à la fois (1) divulguer l’invention du brevet en cause (le brevet 202), et (2) permettre à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention grâce à l’art antérieur et à ses connaissances courantes, en permettant d’effectuer un certain nombre d’expériences par essais successifs pour la faire fonctionner.

[75] Au paragraphe 26 de l’arrêt Free World Trust, la Cour suprême du Canada a approuvé le critère de l’antériorité décrit dans la décision Beloit Canada Ltd c Valmet OY (1986), 8 CPR (3d) 289 (CAF) [Beloit] à la p 297, et a souligné qu’il était difficile de satisfaire au critère applicable en matière d’antériorité :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.

[312] Dans l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada a réitéré que pour qu’il y ait antériorité, il doit y avoir divulgation et établissement du caractère réalisable, et a expliqué ces deux exigences. Aux paragraphes 25 et 26, elle a renvoyé à une décision du Royaume-Uni, Synthon BV v SmithKline Beecham plc, [2006] 1 All ER 685, [2005] UKHL 59, rendue par lord Hoffman :

[25] Lord Hoffmann explique que suivant l’exigence de la divulgation antérieure, le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet (par. 22) :

[traduction] Si je puis me permettre de résumer ce qui découle de ces deux énoncés fort connus [tirés de General Tire et de Hills c. Evans], l’objet de l’antériorité alléguée doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait le brevet. [. . .] Il s’ensuit que, peu importe que cela aurait sauté ou non aux yeux de quiconque au moment considéré, lorsque ce qui est décrit dans la divulgation antérieure est réalisable et, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet, la condition de la divulgation antérieure est remplie.

En ce qui concerne la divulgation, la personne versée dans l’art [traduction] « est censée tenter de comprendre ce que l’auteur de la description [dans le brevet antérieur] a voulu dire » (par. 32). À cette étape, les essais successifs sont exclus. La personne versée dans l’art se contente de lire le brevet antérieur pour en comprendre la teneur.

[26] Lorsque l’exigence de la divulgation est remplie, le second élément établissant l’antériorité est le « caractère réalisable », à savoir la possibilité qu’une personne versée dans l’art ait pu réaliser l’invention (par. 26).

[313] La Cour suprême a expliqué les exigences de l’établissement du caractère réalisable au paragraphe 27 :

[27] Dès que l’objet de l’invention est divulgué dans un brevet antérieur, on suppose que la personne versée dans l’art est disposée à procéder par essais successifs pour arriver à l’invention. Bien que de tels essais soient exclus à l’étape de la divulgation, ils ne le sont pour les besoins du caractère réalisable, car la question n’est plus de savoir si la personne versée dans l’art saisit la teneur de la divulgation du brevet antérieur, mais bien si elle est en mesure de réaliser l’invention.

[314] Au paragraphe 37 de l’arrêt Sanofi, la Cour suprême a dressé une liste non exhaustive de facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer le caractère réalisable, notamment le fait que la personne versée dans l’art peut faire appel à ses connaissances générales courantes pour compléter les données du brevet antérieur, et que les essais courants sont admis, mais que les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants.

[315] Dans la décision Laboratoires Abbott c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 1359 [Abbott], conf par 2009 CAF 94, le juge Hughes a examiné, au paragraphe 75, l’arrêt Sanofi de la Cour suprême du Canada, et fait remarquer que l’exigence d’une description exacte de l’invention avait été jugée exagérée dans cet arrêt. Le juge Hughes a énoncé les principes généraux qui s’appliquent en matière d’antériorité. Aucune décision ultérieure ne semble indiquer que ces éléments ont changé (par exemple, Biogen, au para 116). Le juge Hughes a déclaré au paragraphe 75 :

[75] Pour résumer les exigences juridiques en matière d’antériorité, dans le contexte des circonstances de l’espèce :

1. Pour qu’il y ait antériorité, il doit y avoir à la fois divulgation et caractère réalisable de l’invention revendiquée.

2. Il n’est pas obligatoire que la divulgation soit une [traduction] « description exacte » de l’invention revendiquée. La divulgation doit être suffisante pour que, lorsqu’elle est lue par une personne versée dans l’art qui est disposée à comprendre ce qui est dit, il soit possible de la comprendre sans devoir procéder par essais successifs.

3. Si la divulgation est suffisante, ce qui est divulgué doit permettre à une personne versée dans l’art de l’exécuter. Il est possible de procéder à une certaine quantité d’essais successifs du type de ceux auxquels on s’attendrait habituellement.

4. La divulgation, lorsqu’elle est exécutée, peut l’être sans qu’une personne reconnaisse nécessairement ce qui est présent ou ce qui se passe.

5. Si l’invention revendiquée est axée sur une utilisation différente de celle qui a été divulguée antérieurement et réalisée, alors cette utilisation revendiquée n’est pas antériorisée. Cependant, si l’utilisation revendiquée est la même que l’utilisation antérieurement divulguée et réalisée, il y a alors antériorité.

6. La Cour est tenue de se prononcer sur la divulgation et la réalisation en se fondant sur la norme de preuve habituelle de la prépondérance des probabilités, et non sur une norme plus stricte, comme une norme quasi-criminelle [sic].

7. Si une personne exécutant la divulgation antérieure contrefaisait la revendication, alors cette dernière est antériorisée.

[316] Aux paragraphes 73 et 81 de l’arrêt Tearlab Corporation c I-MED Pharma Inc., 2019 CAF 179 [Tearlab], la Cour d’appel fédérale a noté la distinction entre l’antériorité et l’évidence, soulignant que l’antériorité doit être trouvée dans un seul document, et non dans une mosaïque de documents, comme cela est permis pour l’analyse de l’évidence, et a déclaré au paragraphe 73 :

Comme l’a souligné Donald MacOdrum dans Fox on the Canadian Law of Patents, 5e éd., feuilles mobiles (Toronto, Ont. : Thomson Reuters Canada, 2019), aux pages 4‐6 et 4‐ 7 [MacOdrum] :

[traduction] Il existe une différence importante dans l’évaluation de l’effet des documents antérieurs sur la question de l’antériorité et de l’évidence. Lorsque l’on tente de déterminer le caractère nouveau d’une invention, l’antériorité doit être déterminée dans un seul document. En d’autres termes, il n’est pas légitime de lire plusieurs documents simultanément et, comme les cas décrits, de composer une mosaïque d’extraits. En outre, ce document unique doit divulguer l’invention précise revendiquée dans le brevet en litige. Toutefois, lorsque l’on compare l’invention à l’évidence, l’art antérieur doit être examiné et ses effets cumulatifs doivent être pris en compte. [Références omises.]

D. La demande B601

[317] Les experts se sont exprimés sur leur conception de l’enseignement de la demande BR 601, et leurs avis sur cette question, comme sur toutes les autres, diffèrent. Avant d’examiner les avis des experts, il est utile de noter ce que la demande BR 601 a révélé dans ses propres termes.

[318] La demande BR 601 est une demande de brevet brésilien, déposée en décembre 2001 et publiée en septembre 2003 par le bureau des brevets brésilien dans son journal officiel, en portugais. Le brevet n’a jamais été délivré. Une traduction anglaise est utilisée pour les besoins de la présente action.

[319] L’inventeur est Alcebiades de Mendonga Athayde et la demanderesse est Libbs Pharmaceutical Company Ltda. (BR/SP).

[320] La demande BR 601 a pour titre [TRADUCTION] « Composition pharmaceutique contenant du bisphosphonate pour le traitement de maladies liées au métabolisme du calcium ou du phosphate, utilisations de cette composition dans la préparation de médicaments pour traiter les maladies liées au métabolisme du calcium ou du phosphate, et méthode de traitement des maladies liées au métabolisme du calcium ou du phosphate ». L’abrégé indique ceci : [TRADUCTION] « L’invention se rapporte à une composition pharmaceutique contenant du bisphosphonate et un agent chélatant pour le traitement de maladies liées au métabolisme du calcium ou du phosphate, comme l’ostéoporose, la maladie de Paget, l’ossification hétérotopique et l’hypercalcémie liée au cancer. L’invention fait également référence à l’utilisation de cette composition dans la préparation d’un médicament utile pour le traitement des maladies susmentionnées ainsi qu’à la méthode de traitement de ces maladies. »

[321] La demande BR 601 indique que les bisphosphonates posent tous le problème du peu de biodisponibilité orale en raison de leur faible taux d’absorption dans le tractus gastro-intestinal. La demande BR 601 indique que cela [TRADUCTION] « nécessite l’utilisation de doses élevées de médicament par rapport à la quantité réellement absorbée dans l’organisme, avec comme inconvénients une exposition indésirable de l’organisme à la quantité excédentaire de médicament, le coût du surdosage et la taille de l’unité posologique » (c.-à-d. le problème).

[322] Dans la demande BR 601, on souligne aussi que l’importance de « ce problème » se reflète dans le nombre de brevets et d’articles qui traitent de l’augmentation de la biodisponibilité des bisphosphonates. Il est fait entre autres référence à la demande WO 111 (bisphosphonates avec agents favorisant l’absorption) et à la demande de brevet internationale WO 9531203 (formulations d’alendronate liquide). La demande BR 601 renvoie également à Janner, soulignant que les auteurs de cet article ont démontré que l’administration orale d’EDTA dans une solution aqueuse améliore l’absorption du bisphosphonate par l’organisme, mais ont conclu que cette association n’est pas viable sur le plan clinique en raison des fortes doses requises pour que l’agent chélatant soit efficace (c.-à-d. plus de 100 mg/kg de poids corporel).

[323] La demande BR 601, se référant à Janner, indique que [traduction] « cela confirme que, même si l’effet des agents chélatants sur l’amélioration de l’absorption des bisphosphonates est connu, il reste à rendre l’utilisation de cette combinaison viable dans le traitement des maladies ».

[324] Dans la demande BR 601, on affirme que l’invention résout le problème rencontré dans l’art antérieur en rendant l’agent chélatant disponible uniquement dans l’intestin grêle, le site principal d’absorption des bisphosphonates. Il est indiqué que le fait de cibler la libération dans l’intestin grêle élimine l’interaction de ces agents avec le [traduction] « contenu de l’estomac ».

[325] La demande BR 601 souligne les [traduction] « mécanismes possibles » qui interviennent pour accroître l’absorption lors de l’utilisation d’agents chélatants, soit une formation réduite de complexes insolubles d’ions bivalents avec des bisphosphonates et l’augmentation de la perméabilité de la muqueuse intestinale. On explique que, puisque le contenu de l’estomac contient des ions calcium et magnésium, les agents chélatants sont consommés avant d’atteindre l’intestin grêle. Selon la demande BR 601, la libération des agents chélatants dans l’intestin grêle permet de réduire la dose de bisphosphonate pour obtenir le résultat souhaité, soit une absorption accrue.

[326] La demande BR 601 note de nouveau les restrictions relatives aux quantités d’agents chélatants susceptibles d’être nocives pour l’organisme. Il y est mentionné que [traduction] « la solution offerte par l’invention est différente et adopte l’approche inverse, puisqu’elle permet une utilisation efficace des bisphosphonates en présence d’agents chélatants en quantités inférieures aux quantités connues ».

[327] La demande BR 601 contient le résumé suivant :

[traduction]

En résumé, l’invention prévoit l’utilisation des compositions décrites avec une absorption accrue, contenant des bisphosphonates et des agents chélatants, pour le traitement des maladies liées au métabolisme du calcium et/ou du phosphate, car : a) il n’y a pas de perte d’agents chélatants par conversion en composés indésirables dans l’estomac, puisque ces agents ne deviennent disponibles que dans l’intestin grêle en raison de l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble utilisé; b) lorsqu’il est dans l’intestin, l’agent chélatant capte les ions bivalents de manière préférentielle au lieu du bisphosphonate, ce qui laisse le bisphosphonate libre en vue d’une absorption par l’organisme; c) l’agent chélatant augmente la perméabilité de la muqueuse intestinale et accroît ainsi la capacité d’absorption du bisphosphonate. Autrement dit, avec cette invention, on obtient un traitement efficace avec une petite quantité de bisphosphonate comparativement au traitement actuel, grâce à l’association avec un agent chélatant, et en quantités inférieures à celles déjà étudiées dans l’état de la technique.

[328] La demande BR 601 indique que la composition comprend au moins un noyau contenant des bisphosphonates, un noyau ou enrobage de noyau contenant un agent chélatant, le noyau ou les noyaux étant recouverts individuellement ou conjointement d’une couche entérosoluble. Trois options sont décrites concernant les noyaux. La demande BR 601 souligne que l’administration de bisphosphonates par voie orale est connue pour causer une irritation intestinale ou gastro‐œsophagienne et que, par conséquent, les formulations privilégiées incluent le bisphosphonate à l’intérieur d’une couche gastrorésistante et entérosoluble. Plusieurs brevets sont mentionnés à titre d’exemples. La demande BR 601 indique que l’un des avantages de l’invention décrite par rapport aux autres formulations est qu’elle évite l’inconfort causé par le contact entre la forme acide d’un bisphosphonate et la muqueuse de l’œsophage.

[329] La demande BR 601 décrit ses réalisations, en notant entre autres qu’il est préférable que l’apport quotidien en agent chélatant, en particulier l’EDTA, ne dépasse pas 175 mg. Elle fournit plusieurs exemples de polymères qui peuvent être utilisés comme enrobage insoluble gastrorésistant, en indiquant que ceux-ci devraient être solubles dans le pH intestinal prédominant d’environ 5,5 ou plus.

[330] La demande BR 601 décrit comme un aspect de l’invention la méthode de traitement des maladies telles que l’ostéoporose par l’ingestion d’une [traduction] « quantité efficace de la composition pharmaceutique décrite ci-dessus (par exemple, entre 1 et 150 mg de bisphosphonate pour chaque ingestion, ou environ 0,01 à 2,15 mg par kg de poids corporel) à intervalles réguliers (par exemple, quotidiens ou hebdomadaires) ou à intervalles irréguliers, avec libération immédiate, retardée ou prolongée du bisphosphonate – l’intervalle de temps, la quantité efficace et la vitesse de libération dépendant de la pathologie à traiter, suivant les connaissances d’une personne versée dans l’art ».

[331] Le seul exemple présenté dans la demande BR 601 est la formulation d’une grande quantité d’alendronate; dans cet exemple, l’EDTA est recouvert individuellement par une couche intermédiaire hydrosoluble, chaque noyau est également recouvert, et la dissolution se produit à un pH de 6,8.

[332] Il y a 34 revendications dans la demande BR 601. La revendication 1 concerne les bisphosphonates de façon générale, un agent chélatant et des noyaux qui sont enrobés individuellement ou ensemble. La revendication 11 traite de la composition d’un bisphosphonate choisi parmi 14 (dont le risédronate). La revendication 15 prévoit que l’enrobage est soluble dans l’intervalle de pH observé dans l’intestin grêle. La revendication 16 prévoit que l’enrobage est soluble à un pH supérieur à environ 5,5.

[333] La revendication 23 semble être la première à établir une plage de quantités pour le bisphosphonate (c.-à-d. n’importe lequel des bisphosphonates énumérés). La revendication 23 indique qu’il s’agit d’une composition conforme à la revendication 1, caractérisée par le fait qu’elle renferme entre 1 et 150 mg de bisphosphonate.

E. Aperçu de la preuve des experts sur l’antériorité

(1) Le Dr Yates

[334] Le Dr Yates a exprimé l’avis que la demande BR 601 divulguait tous les éléments essentiels des revendications du brevet 188 et permettait à la personne versée dans l’art de préparer l’objet des revendications.

[335] Le Dr Yates a affirmé que la demande BR 601 révèle une composition pharmaceutique contenant un bisphosphonate, qui [traduction] « peut être » du risédronate, et un agent chélatant pour le traitement des maladies liées au métabolisme du calcium et/ou du phosphate, y compris l’ostéoporose. Il a indiqué que la demande BR 601 règle le problème de la faible biodisponibilité en assurant la libération de l’agent chélatant et du bisphosphonate dans l’intestin grêle, et en éliminant l’interaction avec le contenu de l’estomac. Il s’est dit d’avis que, même si la demande BR 601 ne mentionne pas les aliments ni l’effet des aliments, la personne versée dans l’art comprendrait que l’objectif de la demande BR 601 est de surmonter l’effet des aliments en évitant le contenu de l’estomac où se trouvent des aliments et, donc, en libérant le médicament uniquement dans l’intestin grêle.

[336] Il a également exprimé l’avis que, étant donné que la demande BR 601 ne donne aucune restriction concernant la manière dont les formulations décrites sont administrées, la personne versée dans l’art comprendrait que les formulations peuvent être prises avec ou sans aliments.

[337] Le Dr Yates a reconnu que la demande BR 601 ne fait pas référence à une [traduction] « absorption pharmaceutiquement efficace », mais a exprimé l’avis que la personne versée dans l’art comprendrait que les formulations qui peuvent être utilisées avec ou sans aliments devraient avoir une biodisponibilité similaire que l’on soit ou non à jeun.

[338] De façon générale, je ne suis pas convaincue par les avis du Dr Yates sur l’enseignement de la demande BR 601 ou sur le fait que cette demande a divulgué ou permis les revendications du brevet 188. Comme on le verra plus en détail ci-dessous, le Dr Yates a introduit des mots et des concepts dans la demande BR 601 et a fait des suppositions sur l’enseignement de cette demande, notamment qu’elle visait l’effet des aliments et que le médicament pouvait être administré à jeun ou non à jeun, même si la demande BR 601 ne le mentionnait pas, décrivait le problème de la faible biodisponibilité et la nécessité de quantités élevées de bisphosphonates et faisait référence au [traduction] « traitement actuel » qui était l’administration à jeun.

[339] Bien que le Dr Yates était prêt à introduire des mots et des concepts qui ne figuraient pas dans la demande BR 601, il n’était pas disposé à accepter la formulation claire d’autres publications. Par exemple, il ne serait pas d’accord pour dire que Janner a étudié des rats à jeun parce qu’il n’a pas trouvé suffisamment de détails dans la section des méthodes de Janner, bien que cela soit clairement décrit dans l’article.

[340] Le Dr Yates a également soutenu que la demande BR 601 portait sur l’effet des aliments en raison des références à Janner et à la demande WO 111 qui concernaient l’effet des aliments. Cependant, Janner ne traite pas de l’effet des aliments et la demande WO 111 est une demande de brevet très large qui ne se limite pas aux formulations orales et qui ne mentionne que brièvement l’effet des aliments sans y apporter de solution.

[341] Le Dr Yates a également affirmé que la demande BR 601 divulgue l’EDTA comme agent chélatant privilégié, car celui-ci est expressément mentionné, mais il n’était pas d’accord pour dire que la demande BR 601 divulgue l’alendronate comme étant le bisphosphonate privilégié, bien qu’il soit expressément mentionné et qu’il soit le seul bisphosphonate ayant fait l’objet d’un exemple.

[342] Le Dr Yates n’a pas reconnu que d’autres personnes dans le domaine étaient de bons scientifiques ou parmi les chefs de file dans leur domaine, mais simplement qu’il s’agissait de personnes compétentes ou adéquates. Par exemple, il a soutenu que le Dr Mitchell n’était pas à la hauteur des normes du Dr Yates lorsqu’il travaillait chez Merck et qu’il doutait des conclusions de la publication Ezra, qui était un examen et un résumé des documents sur les bisphosphonates. Il a également soutenu que l’examinateur des brevets s’était trompé dans son évaluation de la demande BR 601 dans le contexte de la demande du brevet 188.

[343] Malgré son examen minutieux des autres antériorités et de la compétence des autres scientifiques, le Dr Yates n’a appliqué le même examen minutieux à aucun aspect de la demande BR 601. Il a reconnu qu’il n’avait jamais vu la demande BR 601 avant qu’elle ne lui soit fournie dans le cadre du litige et qu’il ne savait rien de l’inventeur ou de la société pharmaceutique.

[344] Bien qu’Apotex soutienne qu’il n’est pas pertinent que l’on sache peu de choses sur l’inventeur de la demande BR 601 ou sur Libbs Pharmaceutical Company parce que, quoi qu’il en soit, la demande BR 601 est une antériorité, je suis d’avis que cette information est pertinente pour l’évaluation des témoignages des experts. En particulier, la volonté du Dr Yates de faire des suppositions sur l’intention de l’inventeur et d’intégrer des concepts qui ne sont pas divulgués dans les termes clairs de la demande BR 601, et ce, même s’il sait peu de choses sur l’inventeur, et de manière opposée à la façon dont il a minutieusement traité d’autres scientifiques mieux connus dans le domaine des bisphosphonates, ainsi que d’autres déclarations incohérentes, me conduisent à accorder moins de poids au témoignage du Dr Yates sur cette question.

(2) M. Parr

[345] M. Parr a expliqué que la solution enseignée par la demande BR 601 est qu’en libérant le bisphosphonate et l’EDTA dans l’intestin grêle et en évitant le contenu de l’estomac, on peut améliorer l’absorption sans utiliser les quantités élevées d’EDTA enseignées dans l’art. M. Parr a souligné que la demande BR 601 fait référence à deux mécanismes possibles pour accroître l’absorption : la chélation compétitive et la modification de la perméabilité intestinale. M. Parr a reconnu que la mention de la demande BR 601 dans le brevet 188 ne fait référence qu’à l’augmentation de la perméabilité intestinale.

[346] Selon M. Parr, tous les éléments essentiels des revendications du brevet 188 sont divulgués dans la demande BR 601. M. Parr a reconnu que la demande BR 601 ne mentionne pas expressément la prise de la forme pharmaceutique orale avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons. Toutefois, il était d’avis que, dans la demande BR 601, l’affirmation selon laquelle la forme pharmaceutique évite le contenu de l’estomac signifiait que la forme pharmaceutique orale peut être administrée avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons.

[347] M. Parr a également reconnu que la demande BR 601 ne précise pas que l’invention permettra une absorption pharmaceutiquement efficace du bisphosphonate avec ou sans aliments. Toutefois, M. Parr s’est dit d’avis que la personne versée dans l’art comprendrait que les compositions de la demande BR 601 le permettraient, en se fondant sur son extrapolation des renseignements contenus dans le brevet 188 comparativement au comprimé à libération immédiate préexistant.

[348] M. Parr a également exprimé l’avis que la demande BR 601 permet à la personne versée dans l’art de préparer l’objet des revendications en faisant appel à ses connaissances générales courantes, notant que la préparation des formulations était courante.

[349] Le témoignage de M. Parr était fondé sur son expérience de formulateur qualifié, mais il ne m’a pas convaincue que la demande BR 601 traitait de l’effet des aliments ou de l’absorption pharmaceutiquement efficace, ni que la demande BR 601 contenait tous les renseignements nécessaires pour préparer les formulations du brevet 188.

(3) M. Cremers

[350] M. Cremers a déclaré que la demande BR 601 ne divulgue pas ou ne rend pas réalisables les revendications du brevet 188. M. Cremers a notamment souligné que la demande BR 601 ne mentionne pas l’effet des aliments et ne vise pas à résoudre cet effet. M. Cremers a fait remarquer que l’effet des aliments était un problème si important et si bien connu que, si la demande BR 601 avait cherché à y remédier, cela aurait été mentionné. M. Cremers a expliqué que le problème que cherchait à résoudre la demande BR 601 ‒ comme indiqué dans la demande BR 601 ‒ est la nécessité d’utiliser des quantités relativement élevées de bisphosphonates dans les formes pharmaceutiques orales à cause de leur faible biodisponibilité orale. Il a fait remarquer que la solution proposée dans le demande BR 601 est l’inverse de ce que le brevet 188 vise à accomplir.

[351] M. Cremers a expliqué que la demande BR 601 divulgue des formulations à enrobage gastrorésistant, à utiliser sans nourriture, avec un agent chélatant pour chélater les ions et augmenter la perméabilité intestinale au niveau du tractus gastro-intestinal, ce qui permet de réduire la quantité de bisphosphonate employée dans la formulation. La demande BR 601 ne fournit que des renseignements très généraux sur les formulations potentielles.

[352] M. Cremers a ajouté que, même si la demande BR 601 pouvait être interprétée comme divulguant une formulation destinée à être utilisée avec des aliments (interprétation qui, à son avis, n’est manifestement pas possible, étant donné notamment qu’à l’époque tous les bisphosphonates oraux étaient administrés à jeun), elle ne divulgue pas pour autant une forme pharmaceutique orale de risédronate qui peut être administrée avec ou sans aliments et qui permet une absorption similaire dans l’un ou l’autre cas. Il a également souligné que la demande BR 601 ne présente qu’un seul exemple, dans lequel le bisphosphonate est l’alendronate fabriqué en un grand lot et sans réalisation d’essais.

[353] M. Cremers a ajouté que l’expérimentation à l’échelle requise pour fabriquer les formes pharmaceutiques orales des revendications invoquées, en tenant compte uniquement de la demande BR 601 et des connaissances générales courantes, serait un projet de développement de formulation et de recherche clinique important et de longue haleine.

[354] Je préfère le témoignage de M. Cremers sur la question de l’enseignement de la demande BR 601. Il n’a pas réinterprété les termes clairs de la demande BR 601 et a clairement expliqué le problème identifié dans la demande BR 601 et en quoi il différait du problème identifié dans le brevet 188 et la raison pour laquelle la demande BR 601 ne divulgue pas ou ne permet pas la réalisation des revendications du brevet 188.

(4) M. Sinko

[355] M. Sinko a expliqué que la demande BR 601 divulgue des formulations de bisphosphonates visant à accroître l’absorption à jeun par l’inclusion d’un agent chélatant dans une forme pharmaceutique à enrobage gastrorésistant, ce qui permet une réduction des doses de bisphosphonate. Les formulations ne sont pas enseignées comme étant propres à un bisphosphonate en particulier, et la demande BR 601 ne présente pas de résultats d’essais effectués sur une quelconque formulation.

[356] M. Sinko a ajouté que la demande BR 601 ne mentionne jamais les aliments, l’atténuation de l’effet des aliments, ni une forme pharmaceutique dont l’absorption serait similaire chez un patient à jeun ou qui a mangé.

[357] M. Sinko a noté que la demande BR 601 permet la combinaison d’un bisphosphonate retenu parmi au moins 14 bisphosphonates différents, dans une plage de 1 à 150 mg, avec [traduction] « de préférence » 175 mg d’EDTA et l’un des huit enrobages gastrorésistants mentionnés. M. Sinko a déclaré que la demande BR 601 est de nature si générale qu’elle ne divulgue pas les éléments essentiels des revendications du brevet 188 et qu’elle ne pourrait pas permettre à une personne versée dans l’art de réaliser l’invention qui fait l’objet du brevet 188 sans effectuer un nombre considérable d’essais successifs, en ne sachant pas même si le succès est réalisable.

[358] M. Sinko a reconnu qu’il y avait un chevauchement entre les formulations de la demande BR 601 et du brevet 188. Il a expliqué que les ingrédients « génériques » se chevauchent, mais qu’il faudrait, pour arriver à la formulation du brevet 188, faire de nombreux choix et procéder à des sélections parmi une vaste gamme de quantités. Il a également expliqué qu’aucune prédiction ne peut être faite concernant l’absorption sans réalisation d’essais.

[359] Le témoignage de M. Sinko était équilibré. Il a reconnu que si tous les choix corrects étaient faits à partir de la demande BR 601, il y aurait un chevauchement avec le brevet 188. Cependant, il a défendu son avis selon lequel il y avait trop de choix et peu ou pas d’orientation dans la demande BR 601.

F. La demande BR 601 ne divulgue pas et ne permet pas la réalisation des revendications invoquées du brevet 188

(1) La demande BR 601 est une antériorité

[360] Comme cela est expliqué plus en détail ci-dessous en ce qui concerne l’évidence, il serait très difficile pour la personne versée dans l’art de trouver la demande BR 601, même si elle effectuait une recherche diligente.

[361] Indépendamment de la difficulté de trouver la demande BR 601, il n’est pas contesté que la demande BR 601 est l’antériorité citée par Apotex. De plus, le brevet 188 renvoie à la demande BR 601 dans l’affirmation suivante : [traduction] « d’autres ont tenté d’accroître l’absorption des bisphosphonates en augmentant la perméabilité de la muqueuse intestinale par la libération de microparticules d’agents chélatants et de bisphosphonate au site d’absorption précisé » (à la page 3). Toutefois, le brevet 188 précise également que [traduction] « la citation d’un document ne doit pas être interprétée comme une admission qu’il s’agit d’une antériorité au regard de l’invention » (à la page 35).

[362] Les inventeurs ont reconnu avoir eu une copie de la demande BR 601, mais n’ont pas pu préciser la façon dont elle leur avait été fournie ni le moment où elle leur a été fournie. M. Burgio a indiqué qu’il n’avait pas examiné la demande BR 601, car son travail était déjà bien avancé au moment où cette question a été portée à son attention.

(2) La demande BR 601 ne fournit pas une divulgation suffisante des revendications du brevet 188

[363] Comme il est indiqué dans l’arrêt Free World Trust, il est difficile de satisfaire au critère applicable en matière d’antériorité. Pour antérioriser le brevet 188, la demande BR 601 doit fournir une orientation claire à la personne versée dans l’art qui suit la divulgation, et cela mène nécessairement cette personne à contrefaire le brevet. Or, la demande BR 601 ne le fait pas.

[364] Bien qu’une antériorité ne doive pas nécessairement donner une description « exacte », la divulgation doit être suffisante pour que, lorsqu’elle est lue par la personne versée dans l’art qui est disposée à comprendre ce qui est dit, il soit possible de la comprendre sans devoir procéder par essais successifs (Abbott, au para 75; Biogen, au para 116).

[365] Pour commencer, la demande BR 601 ne décrit ni ne traite le même problème que celui abordé dans le brevet 188, et ne fournit aucune indication à la personne versée dans l’art sur l’invention du brevet 188. La demande BR 601 ne concerne pas l’effet des aliments ou l’obtention d’une absorption pharmaceutiquement efficace. La personne versée dans l’art, lisant le brevet pour essayer de le comprendre, comprendrait qu’il traite d’un problème différent.

[366] La demande BR 601 divulgue une large gamme de bisphosphonates, d’agents chélatants et d’enrobages, sans indication suffisante pour orienter la personne versée dans l’art vers les formulations du brevet 188. Malgré le fait que les « ingrédients » du brevet 188 sont noyés dans la divulgation très large de la demande BR 601, la demande BR 601 ne [traduction] « divulgu[e] [pas]l’invention précise revendiquée » (Tearlab, au para 73) et n’est pas non plus « d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée » (Free World Trust, au para 26; Tearlab, au para 72; BMS 2021, au para 75).

[367] Je ne suis pas d’accord avec Apotex pour dire que la demande BR 601 divulgue de manière inhérente les attributs du brevet 188. Comme on le verra plus loin, la demande BR 601 ne concernait pas l’effet des aliments et ne divulguait pas que l’absorption pharmaceutiquement efficace serait obtenue si les formulations décrites étaient prises avec ou sans aliments. En l’absence d’une telle divulgation, même si la personne versée dans l’art lisait la demande BR 601 et choisissait exactement tous les éléments essentiels dans les quantités précises divulguées dans le brevet 188 (ce qui nécessiterait des essais et des erreurs importants) et parvenait à une certaine formulation du brevet 188, l’absence de divulgation dans la demande BR 601 des propriétés inhérentes interdit de conclure que la demande BR 601 antériorise le brevet 188 (Novo Nordsik). La demande BR 601 ne mentionne pas l’administration avec des aliments ou à jeun ni l’absorption pharmaceutiquement efficace.

(a) Le problème traité dans la demande BR 601

[368] Le contexte, le résumé et la description de l’invention de la demande BR 601 sont exposés ci-dessus. L’auteur de la demande BR 601 constate la faible biodisponibilité des bisphosphonates et identifie le problème à résoudre comme étant la nécessité d’augmenter la biodisponibilité. Il prend note de l’inquiétude suscitée par l’utilisation de quantités élevées d’agents chélatants nécessaires pour augmenter l’absorption, mais qui peuvent être nocifs pour l’organisme. La demande BR 601 indique ensuite qu’elle adopte l’approche inverse et utilise de faibles quantités d’agents chélatants.

[369] Tous les experts ont convenu que la demande BR 601 répondait au problème de la faible biodisponibilité des bisphosphonates. Cependant, ils n’étaient pas d’accord sur la manière d’y parvenir. Ils n’étaient pas non plus d’accord sur le fait que la demande BR 601 traite de l’effet des aliments et assure une absorption pharmaceutiquement efficace.

[370] M. Parr a souligné que la solution enseignée par la demande BR 601 est qu’en libérant le bisphosphonate et l’EDTA dans l’intestin grêle et en évitant le contenu de l’estomac, on peut améliorer l’absorption sans utiliser de grandes quantités d’EDTA. Il a signalé que la demande BR 601 fait référence à deux mécanismes possibles pour accroître l’absorption : la chélation compétitive et la modification de la perméabilité intestinale. M. Parr a ajouté que le brevet 188 fait référence à la demande BR 601 uniquement en ce qui concerne l’augmentation de la perméabilité intestinale.

[371] M. Cremers a fait observer, tout comme M. Parr, que la demande BR 601 mentionne les deux mécanismes possibles selon lesquels l’agent chélatant pourrait accroître l’absorption des bisphosphonates : la réduction de la formation de complexes d’ions bivalents avec les bisphosphonates et l’augmentation de la perméabilité de la muqueuse intestinale.

[372] M. Cremers a expliqué qu’il s’agit d’une différence par rapport au brevet 188. Le brevet 188 vise à utiliser une quantité suffisante d’agent chélatant (l’EDTA) pour complexer les ions et les minéraux présents dans les aliments qui parviennent à l’intestin grêle (où le risédronate et l’EDTA sont libérés), si la forme pharmaceutique est prise avec des aliments. Le brevet 188 vise également à utiliser une quantité suffisamment faible d’EDTA pour qu’il n’y ait pas d’augmentation notable de la perméabilité de la muqueuse intestinale si la forme pharmaceutique est prise sans nourriture. M. Cremers a déclaré qu’il s’agit du contraire de ce que revendique la demande BR 601 : l’intention de l’auteur de la demande BR 601 est d’utiliser un agent chélatant afin d’accroître la perméabilité de la muqueuse intestinale et d’accroître l’absorption de manière à permettre l’utilisation d’une dose réduite de médicament.

[373] Le témoignage de M. Cremers confirme, et il ressort du libellé de la demande BR 601 , que la personne versée dans l’art comprendrait que la demande BR 601 vise un problème différent de celui dont traite le brevet 188 et qu’elle saurait donc ce qu’elle tirerait de la demande BR 601.

(b) La demande BR 601 ne cherche pas à contrer l’effet des aliments

[374] Contrairement à ce que soutient Apotex, la demande BR 601 ne traite pas de l’effet des aliments et ne résout pas non plus ce problème.

[375] Tous les experts ont convenu qu’il n’y a, dans la demande BR 601, aucune mention de l’effet des aliments ni de la façon dont les formulations divulguées sont administrées. Comme l’a souligné M. Cremers, le [traduction] « traitement actuel », à l’époque de la demande BR 601, signifiait l’administration à jeun des bisphosphonates. Les experts d’Apotex ont présumé que, comme la demande BR 601 n’indique pas comment les formulations décrites sont administrées, l’administration à jeun et l’administration avec de la nourriture constituaient des options. Cette hypothèse n’est ni logique ni étayée. Un changement important dans l’administration des bisphosphonates oraux ne serait pas passé sous silence. De plus, comme l’a souligné M. Cremers, si l’inventeur avait remédié à l’effet des aliments, qui était un problème bien connu et préoccupant pour les personnes s’intéressant aux bisphosphonates, il est [traduction] « inconcevable » qu’il ne l’ait pas mentionné dans la divulgation de l’invention.

[376] L’inventeur de la demande BR 601, étant donné l’accent mis sur une vaste gamme de bisphosphonates et les références citées, aurait été au courant de l’effet des aliments. Si l’inventeur avait réglé ou même cherché à régler l’effet des aliments, cela aurait été clairement énoncé.

[377] J’accorde peu de poids au témoignage du Dr Yates sur cette question. La demande BR 601 traite d’un problème différent de celui du brevet 188. La demande BR 601 ne mentionne pas du tout les aliments. Comme l’ont souligné MM. Cremers et Sinko, elle fait référence au [traduction] « traitement actuel ». MM. Cremers, Sinko et Parr ont tous convenu que le [traduction] « traitement actuel » qui avait cours en 2003 (date de publication de la demande BR 601) consistait à administrer les bisphosphonates à jeun, et qu’il existe un [traduction] « contenu de l’estomac » même chez une personne à jeun. En se fondant sur le renvoi à Janner et au [traduction] « contenu de l’estomac », le Dr Yates n’a pas tenu compte du fait que l’étude Janner portait sur des sujets à jeun et que le contenu de l’estomac, même s’il est vide, comprend de faibles quantités de calcium et d’autres ions. De plus, le Dr Yates introduit des mots et des concepts qui ne sont tout simplement pas énoncés et qui ne peuvent pas être présumés.

[378] Le silence de la demande BR 601 concernant l’effet des aliments peut être mis en contraste avec la divulgation du brevet 188, qui mentionne clairement l’effet des aliments, la préoccupation concernant l’administration à jeun et la façon de surmonter ce problème.

[379] Bien que le Dr Yates affirme que les renvois à Janner et à la demande WO 111 constituent des références à l’effet des aliments dans la demande BR 601, il s’agit d’une hypothèse non étayée. Le renvoi à la demande WO 111 dans la demande BR 601 porte sur la nécessité d’accroître la biodisponibilité des bisphosphonates, sans qu’aucune mention ne soit faite de l’effet des aliments. Plusieurs autres brevets sont également cités pour ce même problème. Le renvoi à Janner concerne aussi l’utilisation d’agents chélatants pour accroître l’absorption, et il est conclu dans Janner que la quantité d’EDTA requise serait extrêmement élevée et non viable sur le plan clinique.

[380] Le Dr Yates a déclaré ceci :

[traduction]

Même si le mot « aliment » n’est pas utilisé dans la demande BR 601, je pense que la personne versée dans l’art comprendrait que l’estomac à jeun contient très peu de calcium. La demande BR 601 vise donc à surmonter l’effet des aliments en évitant le contenu de l’estomac qui contient des aliments et en libérant ainsi le médicament uniquement dans l’intestin grêle, où il y a une séparation, comme nous l’avons vu plus tôt, entre les aliments et le médicament en raison de la libération différentielle du comprimé lorsqu’il parvient au pylore de l’estomac.

[381] Bien que le Dr Yates ait reconnu qu’à l’époque de la publication de la demande BR 601, toute administration de bisphosphonates nécessitait un jeûne ‒ aucun aliment pendant les 30 minutes suivant la prise ‒ et que la demande BR 601 [traduction] « ne mentionne pas les aliments [...] », il s’est appuyé sur le fait que la demande BR 601 ne mentionne aucune exigence de jeûne et s’est dit d’avis que la demande BR 601 serait interprétée comme signifiant que les formulations décrites pouvaient être prises avec ou sans aliments.

[382] En ce qui concerne la divulgation de la demande BR 601, le Dr Yates n’a pas admis que le seul problème abordé dans la demande BR 601 est celui de l’absorption à jeun, bien que les documents cités dans la demande BR 601 concernent l’absorption à jeun (p. ex., Janner). Le Dr Yates a soutenu que Janner n’a pas clairement indiqué que les rats à jeun étaient étudiés, mais il a finalement accepté, à contrecœur, que Janner étudiait la liaison préférentielle par l’EDTA et la question de savoir si cela augmentait l’absorption à jeun.

[383] Le Dr Yates a finalement reconnu que la description de la faible biodisponibilité des bisphosphonates faisait référence à des quantités qui reflètent une absorption à jeun. Cependant, il a maintenu que l’effet des aliments est un problème dont traite la demande BR 601 et que la personne versée dans l’art le saurait, même s’il n’est pas discuté dans la demande.

[384] Comme on l’a vu, le Dr Yates était disposé à interpréter la demande BR 601 de manière à aller au-delà de la divulgation claire.

[385] M. Parr s’est dit d’avis que le renvoi au contenu de l’estomac [traduction] « désigne ce qui se trouvait dans l’estomac d’un patient ayant mangé ou même à jeun » [non souligné dans l’original].

[386] M. Parr a reconnu que la demande BR 601 ne mentionne pas expressément la prise de la forme pharmaceutique orale avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons. Toutefois, selon lui, dans la demande BR 601, la mention du fait que la forme pharmaceutique évite le contenu de l’estomac signifie que la forme pharmaceutique orale décrite dans la demande peut être administrée avec ou sans apport d’aliments ou de boissons. Cette affirmation diffère de sa reconnaissance du fait qu’il y a un « contenu » dans l’estomac à jeun.

[387] M. Parr a convenu que la mention [traduction] « traitement actuel » dans la demande BR 601 renvoie aux exigences posologiques rigoureuses, notamment au fait que le bisphosphonate doit être pris à jeun au moins 30 minutes avant le premier aliment de la journée. Il a également convenu que la demande BR 601 n’enseigne pas que ces exigences posologiques rigoureuses (c.‐à‐d. être à jeun) n’ont pas à être respectées.

[388] Malgré la reconnaissance de ces faits, M. Parr n’est pas allé jusqu’à convenir que la demande BR 601 porte sur l’administration à jeun. Il a uniquement convenu qu’il est difficile de savoir si la demande BR 601 renvoie à l’état à jeun ou à l’état non à jeun. Toutefois, M. Parr a fait remarquer que la demande BR 601 reconnaît la faible absorption à jeun et que la demande BR 601 indique que cela [traduction] « nécessite l’utilisation de doses élevées de médicament par rapport à la quantité réellement absorbée dans l’organisme, avec comme inconvénients une exposition indésirable de l’organisme à la quantité excessive de médicament ».

[389] Le témoignage de M. Parr n’étaye pas l’opinion selon laquelle la demande BR 601 porte sur l’effet des aliments.

[390] Je ne suis pas d’accord avec le Dr Yates et M. Parr pour dire que la référence dans la demande BR 601 au [traduction] « contenu de l’estomac » renvoie à l’effet des aliments ou que les formulations de la demande BR 601 pourraient être prises avec ou sans nourriture. Étant donné que la demande BR 601 ne dit rien au sujet de la modification de l’administration des bisphosphonates, l’état de la technique à ce moment-là était que les bisphosphonates étaient pris à jeun, et comme l’inventeur faisait référence à l’état « actuel » et ne disait rien au sujet des aliments ou de l’effet des aliments, cette hypothèse ne peut être avancée. De plus, tous les experts s’entendent pour dire que même un estomac à jeun renferme un certain contenu.

[391] M. Cremers a déclaré sans équivoque que la demande BR 601 ne traite pas de l’effet des aliments et ne cherche pas à le résoudre. Il a déclaré que la demande BR 601 porte sur des formulations qui permettent l’utilisation de doses réduites de bisphosphonates, ce qui, pour l’administration par voie orale, signifierait pour la personne versée dans l’art qu’elles doivent être prises au moins 30 minutes avant le premier aliment de la journée, c’est-à-dire à jeun.

[392] M. Cremers a souligné que la demande BR 601 ne vise pas à résoudre le problème de l’effet des aliments et ne vise pas à permettre la prise de bisphosphonates avec des aliments. La demande BR 601 ne mentionne pas l’effet des aliments ni l’inconvénient de devoir prendre des bisphosphonates sans nourriture. La demande BR 601 ne mentionne pas [traduction] « pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons », un aspect essentiel de chacune des revendications invoquées du brevet 188. La demande BR 601 n’enseigne pas non plus à la personne versée dans l’art comment préparer une formulation qui peut être administrée avec ou sans nourriture. La demande BR 601 vise à accroître l’absorption des bisphosphonates lorsqu’ils sont pris à jeun afin qu’une dose réduite puisse être utilisée.

[393] M. Cremers a déclaré que la mention du [traduction] « traitement actuel » dans la demande BR 601 renvoie à la nécessité de prendre un bisphosphonate à jeun. M. Cremers a ajouté que la demande BR 601 ne suggère aucun changement de ces directives posologiques.

[394] M. Cremers a expliqué que la personne versée dans l’art comprendrait que la référence dans la demande BR 601 au [traduction] « contenu de l’estomac » renvoie aux fluides gastriques présents dans l’estomac à jeun, contenant par exemple du calcium, qui sont reconnus pour interagir avec les agents chélatants et les inactiver, ce qui les empêche d’accroître l’absorption lorsqu’ils quittent l’estomac et atteignent l’intestin grêle. La demande BR 601 préconise l’utilisation d’un enrobage gastrorésistant afin d’éviter la libération de l’agent chélatant dans l’estomac et d’en permettre la libération après que la forme pharmaceutique a quitté l’estomac. Il a déclaré que la personne versée dans l’art comprendrait que la raison pour laquelle la demande BR 601 utilise un enrobage gastrorésistant est d’empêcher l’agent chélatant d’être libéré dans l’estomac, de sorte qu’il ne soit pas inactivé.

[395] M. Cremers jugeait inconcevable que la demande BR 601 ait visé à résoudre l’effet des aliments sans le préciser ni même faire référence au problème de l’effet des aliments. M. Cremers a ajouté qu’il était également inconcevable que la demande BR 601 ait tenté de résoudre l’effet des aliments de chaque bisphosphonate connu à l’époque, tout en permettant une réduction de la dose. Il a insisté sur le fait qu’aucune personne versée dans l’art n’interpréterait la demande BR 601 de cette façon.

[396] M. Cremers a indiqué que le Dr Yates avait tiré, pour étayer son opinion, plusieurs inférences que la personne versée dans l’art n’aurait pas faites. Premièrement, le terme [traduction] « contenu de l’estomac » ne signifie pas « nourriture ». Comme il a été mentionné, la personne versée dans l’art saurait que l’estomac comporte un contenu, par exemple du calcium, même à jeun et que ce contenu interagit avec les bisphosphonates et avec un agent chélatant. M. Parr l’avait également souligné. M. Cremers a expliqué que c’est en partie la raison pour laquelle la biodisponibilité orale des bisphosphonates est si faible, même lorsqu’ils sont pris sans nourriture. C’est également la raison pour laquelle la demande BR 601 enseigne à éviter la libération dans l’estomac en utilisant un enrobage gastrorésistant, pour que l’agent chélatant ne soit pas « consommé » avant qu’il atteigne l’intestin grêle (comme le précise la demande BR 601). Deuxièmement, le Dr Yates a supposé que la demande BR 601 réglait les inconvénients des restrictions posologiques. M. Cremers a fait valoir que la demande BR 601 ne mentionne jamais l’inconvénient de devoir prendre des bisphosphonates sans nourriture.

[397] Le témoignage de M. Sinko faisait écho à celui de M. Cremers. M. Sinko a signalé que la demande BR 601 ne mentionne jamais les aliments, l’atténuation de l’effet des aliments, ni une forme pharmaceutique dont l’absorption serait similaire chez un patient à jeun ou qui a mangé.

(c) La demande BR 601 et les éléments essentiels du brevet 188; aucune orientation claire

[398] Selon le Dr Yates et M. Parr, tous les éléments essentiels du brevet 188 étaient divulgués dans la demande BR 601. M. Cremers s’est dit d’avis que la demande BR 601 ne divulguait pas les éléments essentiels du brevet 188, étant donné la gamme de combinaisons et de permutations présentées et l’absence d’essais. M. Sinko a reconnu que les éléments essentiels du brevet 188 avaient été divulgués de façon générale dans la demande BR 601, mais que de trop nombreux choix avaient été énoncés sans d’autres indications.

[399] M. Parr a déclaré que la demande BR 601 divulguait tous les éléments essentiels des revendications du brevet 188; les compositions pharmaceutiques comprenant des bisphosphonates, y compris le risédronate, l’EDTA en quantités pouvant atteindre 175 mg et les enrobages gastrorésistants. Il a souligné que la demande BR 601 comprend un seul exemple, qui concerne de l’alendronate formulé avec de l’EDTA et recouvert d’un enrobage gastrorésistant, le Methocel, lequel empêche le noyau de se dissoudre dans l’estomac et permet la dissolution dans l’intestin.

[400] S’agissant des quantités de bisphosphonate, M. Parr a souligné que la demande BR 601 révèle qu’entre 1 et 150 mg de bisphosphonate peuvent être utilisés. M. Parr a déclaré que, d’après les produits contenant du risédronate sur le marché à l’époque, la personne versée dans l’art envisagerait d’abord les quantités de risédronate de 5 mg pour l’administration quotidienne et de 35 mg pour l’administration hebdomadaire.

[401] M. Parr a également fait observer que l’EDTA est un élément essentiel de toutes les revendications du brevet 188 en litige. La demande BR 601 indique que les formes pharmaceutiques orales peuvent contenir un agent chélatant et cite l’EDTA à titre d’exemple particulier.

[402] En ce qui concerne la quantité d’EDTA, la demande BR 601 indique que le rapport entre l’agent chélatant et le bisphosphonate devrait être supérieur à 10 % mol/mol, voire supérieur à 50 % mol/mol. La demande BR 601 enseigne également que la quantité d’EDTA ne doit pas dépasser 175 mg. Les rapports molaires enseignés dans la demande BR 601 comprennent un rapport molaire supérieur à 2.

[403] M. Parr a fait valoir qu’un enrobage gastrorésistant qui assure la libération dans l’intestin grêle est un élément essentiel de toutes les revendications du brevet 188. M. Parr a déclaré que cet élément avait été divulgué dans la demande BR 601, soulignant que la demande BR 601 révélait que la formulation devient disponible dans l’intestin en raison de l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble utilisé.

[404] M. Parr a été interrogé au sujet de la divulgation de la demande BR 601, des références de celle-ci à Janner, et de l’affirmation dans la demande BR 601 selon laquelle la demande de brevet adopte l’approche opposée en assurant une utilisation efficace des bisphosphonates avec des agents chélatants en quantités moindres. M. Parr a convenu que la demande BR 601 propose d’utiliser des quantités réduites parce que la libération ne s’effectue que dans l’intestin grêle.

[405] Le Dr Yates était également d’avis que la demande BR 601 divulguait tous les éléments essentiels du brevet 188.

[406] Le Dr Yates a convenu que la demande BR 601 n’enseignait pas un bisphosphonate en particulier, une quantité précise de l’agent chélatant, ni un agent chélatant à privilégier. Le Dr Yates a affirmé que l’EDTA est l’agent chélatant privilégié parce que celui-ci est expressément mentionné, mais il n’était pas d’accord pour dire que l’alendronate est le bisphosphonate privilégié, bien qu’il soit expressément mentionné et qu’il soit le seul bisphosphonate ayant fait l’objet d’un exemple.

[407] En ce qui concerne la plage de quantités d’EDTA dans la demande BR 601, le Dr Yates a noté que la limite quotidienne supérieure privilégiée est de 175 mg et que la limite quotidienne inférieure serait de 3 mg. Le Dr Yates semblait convenir qu’il serait nécessaire de réaliser des essais pour déterminer le [traduction] « point d’équilibre », c’est-à-dire la bonne quantité d’EDTA en fonction de la quantité de bisphosphonate.

[408] Le Dr Yates a convenu que la revendication 28 de la demande BR 601 prévoit que la libération du médicament contenu dans la forme pharmaceutique gastrorésistante peut être immédiate, retardée ou prolongée, et que le brevet 188 ne revendique qu’une forme pharmaceutique à libération immédiate. Le Dr Yates a reconnu que seule la libération immédiate permettrait de surmonter l’effet des aliments, et non la libération retardée ou prolongée. Toutefois, le Dr Yates a indiqué que la demande BR 601 enseigne un noyau unique en plus de microparticules, bien que le seul exemple dans la demande BR 601 concerne les microparticules contenues dans une capsule ou un comprimé.

[409] Le Dr Yates a convenu que la demande BR 601 ne démontre pas que l’une ou l’autre des formes pharmaceutiques qu’elle présente permettrait d’améliorer l’absorption d’un quelconque bisphosphonate. La demande BR 601 ne contient aucune donnée – aucune formulation n’a été soumise à des essais. Le seul exemple concerne l’alendronate.

[410] De l’avis de M. Cremers, la demande BR 601 ne divulgue pas les éléments essentiels du brevet 188 et ne constitue pas une antériorité. M. Cremers a fait remarquer que la demande BR 601 concerne tous les bisphosphonates, mais ne fournit aucun résultat d’essais sur l’un quelconque d’entre eux et ne donne qu’un exemple. M. Cremers a déclaré que la personne versée dans l’art comprendrait que le bisphosphonate privilégié dans la demande BR 601 est l’alendronate, et a fait remarquer qu’il s’agit du seul bisphosphonate revendiqué en tant que tel dans la demande BR 601.

[411] S’agissant de la quantité d’agent chélatant, M. Cremers a fait observer que la demande BR 601 n’impose pas de limite supérieure à la quantité d’agent chélatant ou d’EDTA, mais indique une préférence à l’égard d’un apport quotidien ne dépassant pas 175 mg. La demande BR 601 ne fournit pas de gamme de valeurs plus étroite ni de quantités plus précises, et n’enseigne pas la ou les quantités à utiliser avec l’un ou l’autre des bisphosphonates.

[412] M. Cremers a souligné que la demande BR 601 ne fournit qu’un seul exemple contenant de l’alendronate, des noyaux de microparticules d’EDTA, un enrobage intermédiaire hydrosoluble et un enrobage gastrorésistant. Il a ajouté que l’exemple ne précise pas la quantité d’alendronate ni d’EDTA par unité posologique de la formulation, mais fournit plutôt des quantités pour un lot de très grande taille.

[413] M. Sinko a expliqué que la demande BR 601 permet la combinaison d’un bisphosphonate retenu parmi au moins 14 bisphosphonates différents, dans une plage de 1 à 150 mg, avec « de préférence » 175 mg d’EDTA et l’un des huit enrobages gastrorésistants mentionnés.

[414] M. Sinko a reconnu qu’il y avait un chevauchement entre les formulations de la demande BR 601 et du brevet 188. Il a expliqué que les ingrédients « génériques » se chevauchent, mais il a fait observer que, pour arriver à de telles formulations, il faudrait faire de nombreux choix et procéder à une sélection parmi une vaste gamme de quantités, sans qu’aucune indication soit donnée à cet égard dans la demande BR 601. Il a signalé que la demande BR 601 ne divulgue pas le noyau à libération immédiate. M. Sinko avait déjà expliqué qu’il y avait une différence fondamentale entre un noyau à libération immédiate ‒ revendiqué dans le brevet 188 et essentiel à l’invention ‒ et la demande BR 601, qui permet des noyaux à libération prolongée, retardée et immédiate et ne revendique pas un noyau en particulier. M. Sinko a par ailleurs fait valoir qu’aucune prédiction ne peut être faite concernant l’absorption sans réalisation d’essais.

[415] Il n’est pas contesté que la demande BR 601 ne divulgue pas l’invention précise, à savoir la combinaison des « ingrédients » de la formulation ou les quantités requises, c’est-à-dire 35 mg de risédronate, 100 mg d’EDTA et un enrobage gastrorésistant, ainsi qu’un noyau à libération immédiate, selon l’utilisation indiquée dans le brevet 188. La question est de savoir si la demande BR 601 divulgue suffisamment de renseignements pour permettre à la personne versée dans l’art de comprendre ce qui est inventé et de réaliser l’invention du brevet 188 en se fondant sur la divulgation et sur ses propres connaissances générales courantes, sans inventivité et sans plus que la réalisation d’essais courants.

[416] Allergan a reconnu qu’il existe un chevauchement entre certaines des formulations de la demande BR 601 et du brevet 188. Toutefois, je suis d’accord avec Allergan pour dire qu’il n’y a aucune indication dans la demande BR 601 qui amènerait la personne versée dans l’art à choisir tous les éléments ou composants essentiels du brevet 188, dans les quantités requises, et à choisir un noyau à libération immédiate, ce qui est essentiel à l’invention du brevet 188, pour assurer une libération immédiate une fois la formulation parvenue dans l’intestin grêle, afin de surmonter l’effet des aliments.

[417] Allergan a également reconnu que, si la personne versée dans l’art en venait à préparer une formulation correspondant exactement à ce qui est revendiqué dans le brevet 188, cette formulation fonctionnerait de la même façon que celle du brevet 188. Dans ce cas, toutefois, il ne serait toujours pas possible de prédire si une absorption pharmaceutiquement efficace en résulterait. Tous les experts s’entendent pour dire que des études cliniques chez les humains seraient nécessaires.

[418] Malgré le fait qu’hypothétiquement, une personne versée dans l’art pourrait ‒ si elle faisait tous les bons choix à partir d’un éventail de bisphosphonates, d’agents chélatants et d’enrobages gastrorésistants, et concernant un noyau à libération immédiate ‒ reproduire tous les éléments essentiels dans les quantités exactes du brevet 188 et, à son insu, obtenir une absorption pharmaceutiquement efficace, que la formulation soit administrée à jeun ou non, ce résultat ou cet attribut n’est pas divulgué dans la demande BR 601. La demande BR 601 ne mentionne jamais cet attribut ni l’atténuation de l’effet des aliments, effet dont elle ne traite tout simplement pas. Il ne s’agit donc pas d’un attribut inhérent et le résultat n’est pas intrinsèquement divulgué (Novo Nordisk; voir aussi Sanofi, au para 32).

[419] Aux paragraphes 170 à 175 de la décision Novo Nordisk, la Cour a affirmé que le simple fait de revendiquer les composés, sans en divulguer les avantages pharmacocinétiques, ne signifie pas que les propriétés ou les avantages sont intrinsèquement compris dans le brevet antérieur, et ne constitue pas une antériorité.

[420] Comme l’a souligné Allergan, les propriétés pharmacocinétiques inhérentes sont inconnues et imprévisibles dans la demande BR 601. Elles n’ont pas été divulguées dans la demande BR 601. La demande BR 601 ne vise pas à atténuer l’effet des aliments et l’on ignore si les formulations qu’elle décrit pourraient être prises avec ou sans aliments et si elles permettraient une absorption pharmaceutiquement efficace, comme il est expliqué plus loin.

[421] Une personne versée dans l’art qui mettrait en application la divulgation de la demande BR 601 ne serait pas clairement dirigée vers l’invention revendiquée et serait tout aussi susceptible de préparer une formulation ne s’approchant d’aucune des formulations du brevet 188.

(d) La demande BR 601 ne divulgue pas une absorption pharmaceutiquement efficace

[422] Comme je l’ai mentionné, la demande BR 601 ne porte pas sur l’effet des aliments, ne divulgue pas que les formulations décrites peuvent être prises avec ou sans aliments et se rapporte au traitement actuel, lequel est l’administration à jeun. Pour ces raisons, et puisque la demande BR 601 ne mentionne rien au sujet d’une absorption pharmaceutiquement efficace ou de tout concept similaire, la demande BR 601 ne divulgue pas que les formulations décrites assureraient une absorption pharmaceutiquement efficace, qu’elles soient administrées à un patient à jeun ou non à jeun. La demande BR 601 ne fait aucune mention de ce concept. De plus, tous les experts convenaient que l’obtention d’une absorption pharmaceutiquement efficace ne pouvait pas être prédite; des études cliniques sur des humains seraient nécessaires à cette fin. Aucune étude de ce genre – ni quelque étude que ce soit – n’est divulguée dans la demande BR 601.

[423] Le Dr Yates a reconnu que la demande BR 601 n’utilise pas le terme [traduction] « absorption pharmaceutiquement efficace », mais il s’est dit d’avis que la personne versée dans l’art comprendrait que la demande BR 601 prévoit une telle absorption. Le Dr Yates s’est fondé sur son hypothèse voulant que la demande BR 601 porte sur l’effet des aliments, ainsi que sur son explication de l’« onde de nettoyage ».

[424] M. Parr a également reconnu que la demande BR 601 n’indique pas expressément que les formulations décrites permettront une absorption pharmaceutiquement efficace du bisphosphonate avec ou sans nourriture. M. Parr s’est dit d’avis que la personne versée dans l’art comprendrait que les compositions de la demande BR 601 satisferaient à cette exigence, en se fondant sur son extrapolation de renseignements concernant l’absorption du comprimé à libération immédiate préexistant (ACTONEL). Il a conclu que la composition contenant de l’EDTA enseignée dans la demande BR 601 entraînerait une réduction de moins de 50 % de l’absorption du fait de sa libération dans l’intestin grêle, et qu’elle répondrait à la définition d’[traduction] « absorption pharmaceutiquement efficace ».

[425] Toutefois, il a été rappelé à M. Parr, en contre-interrogatoire, que son hypothèse concernant le comprimé à libération immédiate était fondée sur l’administration de celui-ci au moins 30 minutes avant le premier aliment de la journée au lieu de l’administration avec de la nourriture.

[426] M. Cremers a déclaré que la demande BR 601 n’incite en rien la personne versée dans l’art à simplement penser au concept d’absorption pharmaceutiquement efficace, soulignant que celui‐ci n’est pas du tout décrit dans la demande BR 601.

[427] M. Cremers n’a pas souscrit à l’opinion du Dr Yates selon laquelle la personne versée dans l’art prédirait qu’une absorption pharmaceutiquement efficace serait probablement réalisée pour une ou plusieurs formulations de la demande BR 601, soulignant que cette opinion se fondait sur l’hypothèse du Dr Yates selon laquelle la demande BR 601 s’attaquait au problème de l’effet des aliments en lien avec les bisphosphonates, ce qui n’est pas le cas.

[428] Contrairement à l’opinion d’Apotex selon laquelle le témoignage du Dr Yates concernant l’« onde de nettoyage » n’était pas contesté, M. Cremers a affirmé que la personne versée dans l’art ne supposerait pas, comme le Dr Yates l’a fait, que [traduction] « la composition serait libérée dans un intestin grêle proximal presque vide, qu’elle soit prise ou non avec de la nourriture ». M. Cremers a déclaré que rien dans la demande BR 601 ne justifie cette hypothèse.

[429] M. Cremers ne souscrivait pas non plus à l’opinion de M. Parr, faisant valoir que M. Parr s’était appuyé sur des renseignements externes et non sur la divulgation de la demande BR 601 en ce qui concerne le comprimé à libération immédiate, ainsi que sur des renseignements relatifs aux mécanismes de chélation compétitive, et les avait combinés aux ratios molaires divulgués dans la demande BR 601 pour inférer que la composition de la demande BR 601 répondrait à la définition d’[traduction] « absorption pharmaceutiquement efficace ». M. Cremers n’était pas d’accord pour dire que la personne versée dans l’art combinerait la divulgation de la demande BR 601 avec des renseignements externes afin d’inférer quoi que ce soit au sujet de l’absorption à jeun ou non, ou qu’elle en arriverait à cette conclusion.

(3) La demande BR 601 ne permet pas de réaliser les revendications du brevet 188

[430] Le volet du « caractère réalisable » du critère de l’antériorité évalue si la personne versée dans l’art pourrait réaliser l’invention en se fondant sur la divulgation et les connaissances générales courantes et en effectuant quelques essais courants. Les essais successifs ardus ou prolongés ne sont pas tenus pour courants.

[431] Bien que la demande BR 601 ait divulgué des formulations qui chevauchent le brevet 188, la divulgation dans cette demande n’a fourni aucune indication à la personne versée dans l’art. Cependant, en supposant que la divulgation soit suffisante, la personne versée dans l’art ne pouvait pas [traduction] « réaliser » l’invention du brevet 188 sans beaucoup d’essais successifs et une expérimentation importante, y compris des essais cliniques sur des humains, pour déterminer si une absorption pharmaceutiquement efficace était obtenue, que la formulation soit administrée à jeun ou non.

[432] La personne versée dans l’art pourrait choisir d’autres bisphosphonates et d’autres agents chélatants dans d’autres quantités et un noyau à libération retardée ou prolongée, plutôt qu’un noyau à libération immédiate, ce qui ferait en sorte que la formulation ne serait pas couverte par le brevet 188.

[433] Le Dr Yates a soutenu que la demande BR 601 satisfaisait à l’exigence du caractère réalisable du critère de l’antériorité, parce que la demande BR 601 fournissait des renseignements [traduction] « détaillés » sur la forme que peuvent prendre les compositions pharmaceutiques, comme les capsules et les comprimés, l’inclusion possible du bisphosphonate et de l’EDTA dans un seul noyau solide ou dans plusieurs noyaux, l’incorporation possible d’autres excipients dans la composition pharmaceutique, l’application possible de l’enrobage gastrorésistant sur le ou les noyaux et la quantité de chacun des ingrédients principaux. Le Dr Yates a renvoyé à l’exemple de la demande BR 601 qui explique comment préparer de grandes quantités de la composition pharmaceutique visée par l’invention. Il a fait observer qu’il n’y a aucune limite concernant les exemples possibles et que le risédronate était également un bisphosphonate largement commercialisé à l’époque.

[434] Le Dr Yates a ajouté que les types de formes pharmaceutiques orales décrits et revendiqués dans le brevet 188, à savoir les formes pharmaceutiques à enrobage gastrorésistant contenant du risédronate, bisphosphonate bien connu, et de l’EDTA, agent chélatant bien connu, ne présentaient pas de défi particulier d’un point de vue technique. Selon lui, toute expérimentation requise serait simple et courante pour la personne versée dans l’art.

[435] M. Parr a également affirmé que les formes pharmaceutiques revendiquées dans le brevet 188 ne seraient pas difficiles à préparer pour le formulateur de compositions pharmaceutiques. Il a soutenu qu’il aurait été courant pour le formulateur de substituer le risédronate à l’alendronate dans l’exemple donné concernant l’alendronate et l’EDTA.

[436] M. Cremers n’était pas d’accord. Il a affirmé que la demande BR 601 ne rend pas la personne versée dans l’art capable de réaliser et de préparer des formes pharmaceutiques orales satisfaisant aux éléments essentiels du brevet 188.

[437] M. Cremers a fait remarquer que, puisque la demande BR 601 fournit une divulgation extrêmement vaste des formulations potentielles, ce travail aurait nécessité une série exhaustive d’essais successifs comportant la mise au point de formulations et des travaux cliniques. La personne versée dans l’art qui s’appuierait uniquement sur la demande BR 601 et les connaissances générales courantes aurait à préparer des formulations d’essai avec comme variables, dans chaque formulation, des paramètres relatifs au risédronate, à un agent chélatant et à un enrobage gastrorésistant, et soumettre chaque formulation à des essais dans le cadre d’une étude pharmacocinétique mettant à contribution des volontaires humains. Bien que la personne versée dans l’art soit généralement familiarisée avec ce genre de travail, compte tenu de la nature très générale de la divulgation de la demande BR 601, il aurait fallu des ressources considérables pour réaliser les travaux sur un quelconque ensemble de formulations d’essai. Dans l’éventualité où aucune des formulations d’essai n’aurait assuré une [traduction] « absorption pharmaceutiquement efficace », il aurait fallu mettre au point des formulations supplémentaires et les soumettre à des essais cliniques.

[438] M. Sinko était d’accord, notant que bien que la demande BR 601 divulgue [traduction] « génériquement » les éléments essentiels de certaines formulations, elle est si large qu’elle ne pourrait pas permettre à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention sans une expérimentation importante par essais successifs et sans savoir si le succès (c’est-à-dire l’absorption pharmaceutiquement efficace) serait même au rendez-vous.

[439] La preuve d’expert de MM. Cremers et Sinko est plus convaincante en ce qui concerne le caractère réalisable. Dans l’hypothèse où la demande BR 601 aurait divulgué l’invention du brevet 188, les indications étaient insuffisantes pour permettre à la personne versée dans l’art d’exécuter l’invention.

[440] Bien que le Dr Yates ait affirmé qu’il serait simple et courant pour un formulateur expérimenté de préparer les formulations du brevet 188 à partir de la divulgation de la demande BR 601 et de ses propres connaissances générales courantes, il a également mentionné les [traduction] « renseignements détaillés » contenus dans la demande BR 601 sur les nombreux choix de bisphosphonates, d’excipients, d’agents chélatants, etc. Ces renseignements détaillés ainsi que les combinaisons et les permutations énoncées dans la demande BR 601, sans guère de directives, laissent penser qu’il serait beaucoup plus difficile de réaliser l’invention que ne le prétend le Dr Yates.

[441] De plus, le Dr Yates et M. Parr ont tous deux reconnu qu’étant donné la faible biodisponibilité des bisphosphonates, leur absorption ne peut pas être prédite et des études cliniques chez les humains seraient nécessaires. Je ne suis pas d’accord avec le Dr Yates pour dire qu’une telle étude clinique serait courante.

[442] La personne versée dans l’art n’est pas inventive – même si elle connaît bien la préparation de formulations. Comme l’a fait remarquer M. Cremers, l’expérimentation à l’échelle requise pour produire les formes pharmaceutiques orales décrites dans les revendications invoquées constituerait un projet considérable de mise au point de formulations et de recherche clinique qui exigerait beaucoup de temps.

[443] Ainsi que l’a souligné Allergan, le fait de suivre l’exemple de la demande BR 601 et de substituer le risédronate à l’alendronate ne permettrait pas d’obtenir une formulation conforme aux revendications du brevet 188. Bien qu’Apotex appelle l’attention sur le témoignage de M. Cremers selon lequel l’exemple donné dans la demande BR 601 ne précise pas les quantités d’EDTA à utiliser, M. Cremers a en fait déclaré que l’exemple ne fournissait pas de quantités pour une dose unitaire, mais seulement pour un lot de grande taille. L’exemple prévoit des quantités égales de bisphosphonate et d’EDTA, ce qui, comme le fait observer Allergan, ne reflète pas les quantités indiquées dans le brevet 188.

G. Conclusion sur l’antériorité

[444] La preuve présentée n’établit pas, selon la prépondérance des probabilités, que la demande BR 601 a divulgué les revendications invoquées du brevet 188 ou rendu possible leur réalisation. La demande BR 601 ne fournit pas tous les renseignements nécessaires pour produire l’invention revendiquée, c’est-à-dire la forme pharmaceutique orale du risédronate qui peut être prise avec ou sans aliments et qui permettra une absorption pharmaceutiquement efficace dans les deux cas. La personne versée dans l’art qui lirait la demande BR 601 ne considérerait pas qu’elle divulgue la manière de résoudre le problème de l’effet des aliments. La demande BR 601 divulgue les éléments génériques des revendications du brevet 188, mais ne donne pas d’indications claires à la personne versée dans l’art. La personne versée dans l’art ne comprendrait pas que la demande BR 601 cherche à remédier à l’effet des aliments (car ce n’est pas le cas) et considérerait la demande BR 601 comme traitant le problème de la faible absorption à jeun. Même si le volet « divulgation » du critère de l’antériorité était respecté, la demande BR 601 ne permet pas à la personne versée dans l’art d’exécuter l’invention. Les essais successifs nécessaires pour obtenir une formulation du brevet 188 permettant une absorption pharmaceutiquement efficace dépasseraient ce qui est normalement attendu.

X. Le brevet 188 est-il évident?

A. Arguments d’Apotex

[445] Apotex soutient que « l’état de la technique » est simplement l’état de l’art antérieur sur lequel Apotex s’appuie.

[446] Selon Apotex, la question est de savoir si la personne versée dans l’art pourrait combler la différence entre l’état de la technique et l’objet défini par une revendication en faisant appel à ses connaissances générales courantes et à toute autre technique supplémentaire qui pourrait être découverte en effectuant une recherche raisonnablement diligente.

[447] L’inventivité exige d’aller au-delà de ce que la personne versée dans l’art aurait été censée faire. On suppose que la personne versée dans l’art va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec (Free World Trust, au para 44). Un travail qualifié n’est pas nécessairement un travail inventif.

[448] Apotex affirme que la personne versée dans l’art est un « parangon de déduction et de dextérité » (Beloit) et qu’elle est présumée posséder les connaissances courantes dans le domaine, la littérature qui peut être trouvée au moyen d’une recherche diligente, la capacité de mener des essais routiniers et la capacité de faire des déductions logiques sur la base de ses connaissances et des résultats de ces essais.

[449] Apotex soutient qu’une invention est un essai allant de soi si la personne versée dans l’art trouverait plus ou moins évidente la tentative d’arriver à l’invention (c’est-à-dire de réaliser l’essai et d’observer les résultats). Ce critère n’exige pas de démontrer qu’il allait « plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention », bien que ce soit un facteur à prendre en considération (Sanofi, aux para 66, 69).

[450] Apotex ajoute qu’il n’est pas nécessaire que la personne versée dans l’art ait la certitude que l’« essai » sera couronné de succès – une certaine incertitude est autorisée. Apotex soutient que si les mesures concrètes prises pour parvenir à l’invention sont un facteur qu’il faut prendre en considération pour le critère de l’essai allant de soi, cela ne change rien au fait que la question de l’évidence doit faire l’objet d’un examen objectif. Il s’agit de savoir comment la personne versée dans l’art aurait agi à la lumière de l’art antérieur (Sanofi, aux para 70‐71; Aux Sable Liquid Products LP c JL Energy Transportation Inc., 2019 CF 581 au para 42). Apotex met en garde contre le fait de se fonder sur la démarche suivie pour parvenir à l’invention, car la personne versée dans l’art peut avoir eu plus de renseignements que les inventeurs et avoir évité les [traduction] « démarches vaines et inutiles ».

[451] Apotex soutient également que s’il était évident de parvenir à l’invention et que cela avait entraîné la découverte consécutive d’un avantage de l’invention ou d’une propriété bénéfique inhérente à l’invention, la découverte de cette [traduction] « bonification inespérée » n’ajoute rien d’inventif à ce qui avait déjà été obtenu. En outre, le fait que la personne versée dans l’art puisse disposer d’autres voies évidentes ne rend pas une voie particulière moins évidente.

[452] Apotex fait en outre valoir que si d’autres sociétés pharmaceutiques ont résolu le problème de façon indépendante, on ne peut pas dire que l’objet revendiqué est inventif (Mediatube Corp c Bell Canada, 2017 CF 6 au para 154).

[453] Apotex conteste les critiques d’Allergan à l’égard du Dr Yates. Selon Apotex, le DYates n’adhérait pas aux propositions qui lui étaient présentées parce qu’elles n’étaient pas solides. Il a également dit qu’il ne souscrivait pas à certaines déclarations tirées d’antériorités, mais a donné une explication. Apotex a répondu que s’il est vrai que le Dr Yates n’a pas critiqué les déclarations figurant dans la demande BR 601, [traduction] « les propositions de la demande BR 601 sont ce qu’elles sont ».

(1) L’état de la technique

[454] Apotex soutient que l’état de la technique consiste en les antériorités qu’elle a citées et sur lesquelles elle s’est appuyée. Elle ajoute que le Dr Yates a confirmé que toute cette technique était bien connue de la personne versée dans l’art ou aurait été trouvée à la suite d’une recherche raisonnablement diligente.

[455] Apotex soutient en outre que le brevet 188 énonce des renseignements qui faisaient partie de l’état de la technique et des connaissances générales courantes, notamment les éléments suivants : l’intestin grêle est le site principal d’absorption des bisphosphonates (Mitchell 1998); des tentatives ont été faites pour accroître l’absorption des bisphosphonates (BR 601); les bisphosphonates interagissent avec les cations, comme le calcium, dans les aliments, ce qui réduit leur absorption (Mitchell 1999); les directives posologiques des bisphosphonates oraux étaient [traduction] « complexes et incommodes ».

[456] Apotex se fonde également sur la demande BR 601 en tant qu’antériorité. Elle soutient que cette demande a révélé des compositions à enrobage gastrorésistant contenant un bisphosphonate, notamment le risédronate, et un chélatant, notamment l’EDTA, qui évitent le contenu de l’estomac et sont libérées dans l’intestin grêle, où le chélatant concurrence efficacement le bisphosphonate et améliore ainsi l’absorption de ce dernier.

[457] Apotex soutient que, puisque la demande BR 601 est citée dans le brevet 188, Allergan ne peut pas considérer qu’il ne s’agit pas d’une antériorité. En outre, selon l’arrêt Hospira Healthcare Corporation c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30 aux para 86‐87 [Hospira], un document disponible au public avant la date de revendication peut être considéré comme faisant partie de l’art antérieur, même s’il n’était pas trouvé lors d’une recherche raisonnablement diligente.

[458] Apotex soutient que les bisphosphonates étaient bien connus. Le problème de l’effet des aliments était également bien connu, de même que les directives posologiques rigoureuses.

[459] Apotex ajoute que l’utilisation d’enrobages gastrorésistants était également connue, car ces enrobages étaient utiles pour contourner l’estomac et assurer la dissolution dans l’intestin grêle. Plusieurs enrobages gastrorésistants différents étaient divulgués dans des brevets antérieurs.

[460] Apotex soutient que Mitchell 1996 ne constitue pas une publication dissuadant l’utilisation de l’EDTA ou proposant de faire d’une quelconque façon obstacle à l’utilisation de l’EDTA. Apotex note que Mitchell 1996 n’est même pas cité dans le brevet 188 et n’était pas pertinent en 2005.

[461] Apotex soutient que l’EDTA était connu comme étant un agent chélatant très puissant, qui pouvait faire concurrence aux bisphosphonates en matière de liaison et laisser ainsi une plus grande quantité de bisphosphonate disponible pour l’absorption. Apotex souligne que des quantités plus élevées d’EDTA étaient nécessaires pour accroître la perméabilité intestinale.

[462] Apotex se reporte à l’art antérieur, notamment à Poiger, qui a rendu compte de l’étude des effets du lait et des effets neutralisants de l’EDTA sur l’absorption de la tétracycline. Apotex soutient que Poiger a confirmé que l’EDTA surmonte l’effet des aliments en concurrençant efficacement la tétracycline pour la liaison avec le calcium intestinal, et que les quantités d’EDTA pouvant atteindre 2,3 g étaient sûres et n’auraient pas augmenté la perméabilité intestinale ni causé d’effets nocifs sur la membrane intestinale.

[463] Apotex soutient qu’en 2005, la technique avait évolué et la personne versée dans l’art savait que les quantités élevées d’EDTA nécessaires selon Poiger ne seraient pas requises si un enrobage gastrorésistant était utilisé.

[464] Apotex souligne que Janner a indiqué que l’EDTA peut améliorer l’absorption des bisphosphonates de deux façons : en concurrençant efficacement le bisphosphonate et en laissant ainsi une plus grande quantité de bisphosphonate pour l’absorption, et en ouvrant les jonctions serrées de l’intestin et en augmentant la perméabilité. Apotex reconnaît que Janner a conclu que la quantité d’EDTA soumise aux essais était trop élevée pour un usage clinique.

[465] Apotex se reporte à Lin, qui a indiqué que des quantités plus faibles d’EDTA augmentaient l’absorption des bisphosphonates par chélation compétitive, mais que des quantités plus élevées modifiaient la perméabilité intestinale.

[466] Apotex note qu’Ezra ne faisait pas état de données supplémentaires. Apotex ajoute que la conclusion tirée dans Ezra en 2000 n’était plus convaincante en 2005. Apotex renvoie au témoignage du Dr Yates et de M. Parr, qui ont contesté la conclusion d’Ezra selon laquelle l’utilisation de l’EDTA était « impossible ». Apotex ajoute que la demande BR 601 n’a pas accepté cette proposition.

[467] Apotex soutient que la demande WO 111 a divulgué des formulations contenant des bisphosphonates et un chélatant, notamment l’EDTA, pour améliorer l’absorption et a exposé que ces formulations pouvaient être administrées dans des conditions d’alimentation ou de jeûne.

[468] Apotex soutient que l’innocuité de l’EDTA pour les humains était connue. Elle souligne que la dose journalière admissible d’EDTA avait été fixée par la FDA et l’OMS à 2,5 mg/kg/jour, faisant observer que cette quantité comportait une grande marge de sécurité. Apotex souligne également que le Dr Dillberger a expliqué qu’une dose de 810 mg d’EDTA, qui est inférieure à la limite supérieure du brevet 188, serait considérée comme sûre.

[469] Apotex conteste le fait que l’EDTA, seul ou en association avec le risédronate, endommagerait la muqueuse de l’intestin grêle. Elle renvoie au témoignage du Dr Dillberger concernant les études effectuées sur l’EDTA dans l’intestin grêle.

[470] Apotex soutient que le témoignage de M. Sinko selon lequel les bisphosphonates pris seuls pourraient endommager la muqueuse de l’intestin grêle n’est pas corroboré. Elle ajoute que les experts ont convenu que la muqueuse intestinale a la capacité de se réparer si elle est endommagée.

[471] Comme le souligne Apotex, les inventeurs ont utilisé de l’EDTA, et la dose de 100 mg d’EDTA contenue dans ses comprimés a été décrite comme étant sans danger, d’après ce que l’on savait sur l’EDTA à l’époque, dans les présentations soumises à la FDA.

(2) Aucune différence entre l’état de la technique et l’objet des revendications

[472] Apotex décrit l’objet des revendications du brevet 188 comme une forme pharmaceutique à enrobage gastrorésistant, pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments et de boissons, qui comprend du risédronate et de l’EDTA destinés à être libérés dans l’intestin grêle, ce qui assure une absorption similaire chez les personnes à jeun et non à jeun.

[473] Apotex soutient que si la demande BR 601 n’antériorise pas le brevet 188, elle le rend clairement évident, compte tenu de la divulgation de la demande BR 601, des autres antériorités et des connaissances générales courantes. Selon Apotex, dans la mesure où il existe une petite différence entre l’état de la technique et les revendications du brevet 188, c’est uniquement parce que, dans l’art antérieur, on n’a pas explicitement combiné le risédronate et l’EDTA dans une forme pharmaceutique orale à enrobage gastrorésistant pour une utilisation avec ou sans consommation d’aliments, et on n’a pas explicitement enseigné qu’une telle forme pharmaceutique fournira une absorption similaire, répondant à la définition d’[traduction] « absorption pharmaceutiquement efficace ». Apotex fait valoir que combler cette petite différence aurait été simple et n’aurait pas nécessité d’ingéniosité inventive.

[474] Apotex soutient que, puisque le brevet 188 cite la demande BR 601, Allergan ne peut contester que la demande BR 601 était accessible au public et qu’elle fait donc partie de la mosaïque de l’art antérieur. Apotex s’appuie également sur le témoignage de M. Bonenfant et soutient qu’il a effectué une « recherche raisonnablement diligente » et a trouvé la demande BR 601.

(3) Combler les différences n’a pas nécessité d’ingéniosité inventive

[475] Apotex soutient que la personne versée dans l’art qui aurait voulu résoudre l’effet des aliments pour les bisphosphonates oraux aurait fabriqué les formulations enseignées dans la demande BR 601 et découvert que ces formulations permettaient une absorption pharmaceutiquement efficace. Apotex affirme que toute différence entre les enseignements de la demande BR 601 et l’objet des revendications invoquées aurait été facilement comblée par la personne versée dans l’art faisant appel à ses connaissances générales courantes.

[476] Apotex soutient à nouveau, comme elle l’a fait dans ses observations sur l’antériorité, que la demande BR 601 a enseigné que les formulations qu’elle décrit peuvent être prises avec ou sans aliments. Apotex soutient en outre qu’une absorption pharmaceutiquement efficace résulterait du respect de l’enseignement de la demande BR 601 et que la personne versée dans l’art n’aurait qu’à effectuer des essais courants et non inventifs pour le confirmer. Apotex s’appuie sur le témoignage de M. Parr où il a extrapolé des renseignements en se fondant sur le comprimé ACTONEL à libération immédiate pour soutenir son opinion qu’une absorption pharmaceutiquement efficace en résulterait.

[477] Apotex s’appuie également sur le témoignage du Dr Yates concernant l’« onde de nettoyage » pour faire valoir que l’utilisation d’EDTA et d’un enrobage gastrorésistant ferait en sorte que la libération dans l’intestin ne s’effectuerait qu’une fois l’estomac vide et que, par conséquent, la formulation pourrait être prise avec des aliments ou à jeun et permettrait une absorption pharmaceutiquement efficace.

[478] Apotex ajoute que l’ajustement de la formulation, y compris de la quantité d’enrobage gastrorésistant, pour obtenir une absorption pharmaceutiquement efficace, constituait un travail courant pour la personne versée dans l’art.

(4) Même si la demande BR 601 ne fait pas partie de la mosaïque, les revendications du brevet 188 sont malgré tout évidentes

[479] Apotex soutient que les revendications du brevet 188 sont évidentes même si la demande BR 601 n’est pas considérée comme faisant partie de la mosaïque de l’art antérieur. La personne versée dans l’art qui aurait entrepris de surmonter l’effet des aliments aurait su que cet effet était causé par les cations dans les aliments et aurait recherché des chélatants pouvant lier les cations. Cette personne aurait séparé la forme pharmaceutique de la nourriture et utilisé un chélatant pour assurer une liaison compétitive avec les cations. Les formulations de risédronate avec un enrobage gastrorésistant et de bisphosphonates avec de l’EDTA étaient déjà enseignées. De plus, la personne versée dans l’art aurait su que l’ajout d’une quantité suffisante d’EDTA à une forme pharmaceutique de risédronate à enrobage gastrorésistant favoriserait la chélation des cations dans l’intestin grêle et améliorerait l’absorption.

[480] Apotex attire l’attention sur le témoignage du Dr Dillberger concernant les essais relatifs à l’administration d’EDTA dans l’intestin, lesquels n’ont révélé aucun problème d’innocuité, mais il a reconnu que ces essais avaient été effectués sur des lapins démembrés et non sur des humains.

[481] Apotex souligne également le témoignage « en aveugle » de M. Parr, qui est arrivé à cette approche en se basant uniquement sur les renseignements relatifs aux bisphosphonates dans l’édition 2004 de Canadian Pharmaceutics and Speciality et sans connaître l’art antérieur ou le brevet 188. M. Parr a également fourni un témoignage « en aveugle » sur l’obtention d’une absorption pharmaceutiquement efficace en utilisant les connaissances générales courantes et les principaux éléments de l’art antérieur. Apotex reconnaît que les témoignages « en aveugle » ne sont pas une garantie de fiabilité, mais soutient qu’ils sont convaincants.

[482] Apotex note l’explication du Dr Yates au sujet de l’« onde de nettoyage » ‒ selon laquelle l’EDTA concurrence efficacement le bisphosphonate, et les formes pharmaceutiques à enrobage gastrorésistant demeurent dans l’estomac jusqu’à ce que tous les aliments soient expulsés, puis libèrent le contenu de la formulation dans un intestin vide. Apotex souligne également les antériorités concernant l’utilisation d’enrobages gastrorésistants.

[483] Apotex soutient que l’ajout d’un agent chélatant tel que l’EDTA à de telles formes pharmaceutiques était évident parce que la personne versée dans l’art savait que l’EDTA chélaterait de manière préférentielle les cations dans l’intestin grêle à la place du risédronate, empêchant ainsi le risédronate de former des complexes insolubles.

[484] Apotex ajoute que les cations seraient relativement peu nombreux dans l’intestin grêle parce que la forme pharmaceutique gastrorésistante ne quitterait l’estomac qu’après les aliments ingérés. Apotex soutient que cela [TRADUCTION] « indique fortement » que l’absorption serait similaire, que la forme pharmaceutique soit prise à jeun ou avec de la nourriture.

[485] Apotex soutient également que l’ajustement des composants de la formulation, y compris de la quantité d’enrobage gastrorésistant, afin d’obtenir une absorption pharmaceutiquement efficace constituait un travail courant pour la personne versée dans l’art. Celle‐ci savait qu’elle devait éviter des quantités élevées étant donné que la libération s’effectuait dans l’intestin grêle et qu’elle devait éviter d’accroître la perméabilité à jeun. En ce qui concerne les autres ensembles de revendications, Apotex soutient que l’utilité de l’administration hebdomadaire de 35 mg de risédronate pour le traitement de l’ostéoporose faisait partie des connaissances générales courantes, car il s’agissait de la quantité contenue dans le précurseur ACTONEL. La personne versée dans l’art saurait également qu’une forme pharmaceutique contenant 35 mg de risédronate, 100 mg d’EDTA et un enrobage gastrorésistant ne pèserait pas plus d’un gramme, étant donné que les autres excipients ajoutés n’entraîneraient pas un dépassement de ce poids. De plus, la plupart des formes pharmaceutiques orales sur le marché en avril 2005 pesaient moins d’un gramme pour permettre l’ingestion du comprimé.

[486] Apotex ajoute qu’il n’y a rien d’inventif à fournir des bisphosphonates dans une « trousse », qui contient des directives posologiques, en soulignant qu’ACTONEL et FOSAMAXMD contenaient tous deux des directives similaires.

(5) L’invention était un essai allant de soi

[487] Apotex souligne que la personne versée dans l’art, bien qu’elle ne soit pas inventive, applique un raisonnement déductif, c’est-à-dire un raisonnement qui aboutit à une conclusion logique à partir de prémisses établies. Apotex soutient que cette personne aurait fait des déductions à partir de l’état de la technique et des connaissances générales courantes et serait facilement arrivée à l’invention du brevet 188, sans faire preuve d’aucune inventivité.

[488] Apotex soutient qu’il aurait été évident de tenter d’arriver à l’invention du brevet 188. Elle renvoie au témoignage « en aveugle » de M. Parr, selon lequel la personne versée dans l’art aurait tenté d’arriver à l’invention et se serait attendue à réussir. Apotex note qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait une certitude de réussite.

[489] Apotex ajoute que l’essai allait de soi, car il était évident de combiner de l’EDTA et un bisphosphonate sous une forme gastrorésistante pour surmonter l’effet des aliments, ce qui permettrait également une absorption similaire chez des personnes à jeun ou non à jeun.

[490] En ce qui concerne les autres facteurs qui éclairent le critère de l’essai allant de soi, Apotex soutient qu’il n’y avait que quelques solutions identifiables et prévisibles à l’effet des aliments : la libération dans l’intestin grêle grâce à un enrobage gastrorésistant, l’ajout d’EDTA en raison de ses fortes propriétés chélatrices, et en quantités sûres établies par la FDA et le JECFA. Apotex soutient également qu’il y avait une motivation à résoudre l’effet bien connu des aliments sur les bisphosphonates, notamment en raison des exigences posologiques incommodes.

[491] Apotex prétend également que l’étendue du travail et les efforts requis pour réaliser l’invention correspondaient simplement au travail courant d’une personne versée dans l’art. Apotex fait valoir que les témoignages des inventeurs n’indiquent pas qu’ils ont éprouvé des difficultés au cours de la formulation des formes pharmaceutiques. Apotex soutient que les personnes concernées chez P&G ont retenu l’utilisation de comprimés de risédronate et d’EDTA à enrobage gastrorésistant au début de leur projet (l’approche dite de la médaille d’or), car ils croyaient que les cations dans les aliments causaient le problème de l’effet des aliments. Apotex soutient que la personne versée dans l’art aurait adopté la même approche.

[492] Apotex ajoute que l’accent mis par les inventeurs sur la libération dans le côlon était un faux pas, et non ce que la personne versée dans l’art aurait fait. Les inventeurs ont perdu du temps en s’engageant dans cette voie. Apotex fait remarquer qu’après le tournant décisif en 2004, lorsque les inventeurs se sont concentrés sur l’intestin grêle, leur travail s’est déroulé rapidement et était de nature courante. Les inventeurs ont utilisé 100 mg d’EDTA sans soumettre d’autres quantités à des essais et sans hésitation. L’étude 132 des inventeurs a confirmé ce à quoi la personne versée dans l’art se serait attendue : un enrobage gastrorésistant de 10 % sur des comprimés de risédronate et d’EDTA procurait une absorption pharmaceutiquement efficace.

[493] Apotex fait valoir que d’autres indices d’évidence devraient également être pris en compte, notamment le fait que d’autres sociétés pharmaceutiques ont trouvé des solutions identiques ou semblables à l’effet des aliments. Apotex cite à nouveau la demande BR 601, l’utilisation par Elan d’un activateur de pénétration et le développement par Takeda du risédronate pour traiter l’effet des aliments. En ce qui concerne Takeda, Apotex met en doute l’ignorance de MM. Dansereau et Burgio, étant donné que, dans le litige américain, un représentant de P&G a fourni des preuves concernant l’invention de Takeda. Apotex fait valoir que la Cour devrait tirer une conclusion défavorable à Allergan, car cette dernière aurait pu fournir une preuve pour expliquer les allégations notées dans le litige américain selon lesquelles P&G est intervenue auprès de Takeda, ce qui a entraîné le retrait de la demande de brevet de Takeda.

[494] Apotex fait valoir qu’il ressort du témoignage des inventeurs rendu en contre‐interrogatoire et des conclusions tirées dans le cadre du litige américain qu’Allergan doit se renseigner auprès de P&G et régler cette question. Apotex nie qu’elle insinue une fraude commise par P&G. Toutefois, Apotex soutient que la Cour devrait tirer une conclusion défavorable, à savoir qu’il y a eu une demande de brevet de Takeda et qu’elle englobait l’invention qui est maintenant revendiquée dans le brevet 188.

[495] Apotex note également que le produit analogue aux États-Unis, ATELVIA, a été jugé évident.

B. Arguments d’Allergan

[496] Allergan soutient que le brevet 188 est inventif et non évident. Rien dans l’art antérieur n’enseignait les combinaisons des composants du brevet 188 ni ne donnait d’indications sur une formulation du risédronate qui permettrait une absorption pharmaceutiquement efficace lorsqu’il est pris avec ou sans aliments.

[497] Premièrement, Allergan soutient que, bien que certains des éléments du brevet 188 étaient connus dans le domaine, la combinaison du risédronate avec la quantité appropriée d’EDTA et un enrobage gastrorésistant à libération immédiate n’était pas connue. Deuxièmement, Allergan soutient que la théorie de l’évidence d’Apotex est défectueuse pour plusieurs raisons : la seule antériorité pertinente enseigne l’absence d’EDTA (Poiger); la théorie de l’« onde de nettoyage » du Dr Yates est incompatible avec la technique et la réalité; l’hypothèse de M. Parr selon laquelle une absorption pharmaceutiquement efficace résulterait de formulations contenant de l’EDTA et un enrobage gastrorésistant est fondée sur une prémisse erronée; enfin, la nécessité d’un noyau à libération immédiate, qui est essentiel à l’invention du brevet 188, n’était pas enseignée antérieurement. Troisièmement, la demande BR 601 n’aurait pas été trouvée par la personne versée dans l’art. En outre, cette demande ne rend pas le brevet 188 évident. Elle ne concernait pas l’effet des aliments, divulguait un nombre incalculable de composants possibles, ne donnait aucune indication sur ce qu’il fallait choisir et ne divulguait aucun essai. Quatrièmement, il a fallu faire preuve d’ une ingéniosité inventive pour combler les différences entre l’état de la technique et l’objet des revendications. L’invention n’était pas un essai allant de soi pour plusieurs raisons, notamment les suivantes : la personne versée dans l’art ne s’attendrait pas à une réussite; des essais cliniques sur des humains, qui étaient loin d’être routiniers, seraient nécessaires pour déterminer si l’absorption pharmaceutiquement efficace de toute formulation avait été obtenue; le travail des inventeurs était long et inventif; malgré la motivation à traiter l’effet des aliments, personne d’autre ne l’avait fait.

[498] Allergan cite le paragraphe 21 de l’arrêt Beloit, où la Cour d’appel fédérale a fait observer que :

Une fois qu’elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été embauché pour témoigner, l’infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « j’aurais pu faire cela »; avant d’accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l’avez-vous pas fait? »

[499] Allergan soutient, de façon générale, que l’analyse de l’évidence faite par Apotex est défectueuse parce qu’elle est fondée sur l’hypothèse que chaque forme posologique combinant l’EDTA et un enrobage gastrorésistant permettrait une absorption pharmaceutiquement efficace avec ou sans prise d’aliments. La théorie de l’« onde de nettoyage » du Dr Yates – selon laquelle un enrobage gastrorésistant permet à lui seul la forme pharmaceutique de pénétrer dans un intestin grêle pratiquement vide et d’assurer une absorption similaire, peu importe que l’on soit ou non à jeun – ne tient pas.

[500] Allergan note qu’il existe d’autres produits à enrobage gastrorésistant pour lesquels l’effet des aliments demeure problématique (p. ex. PREVACID®). De plus, d’autres médicaments sur lesquels les aliments ont un effet n’ont pas été recouverts d’un enrobage gastrorésistant (p. ex. tétracycline, ciprofloxacine, estramustine) et n’ont pas été formulés avec de l’EDTA. Allergan soutient que, si un enrobage gastrorésistant empêchait l’absorption dans l’estomac, d’autres sociétés pharmaceutiques auraient utilisé de tels enrobages pour atténuer l’effet des aliments sur d’autres médicaments, ce qu’elles n’ont pas fait.

[501] Allergan signale en outre que Mitchell 1996, la seule antériorité qui traite de l’utilisation d’enrobages gastrorésistants pour le risédronate, n’incitait pas à utiliser des bisphosphonates à enrobage gastrorésistant.

[502] Allergan soutient que M. Parr se fonde sur une prémisse erronée lorsqu’il affirme que les formulations avec EDTA et enrobage gastrorésistant (y compris celles de la demande BR 601) permettraient une absorption pharmaceutiquement efficace, parce que les comprimés de risédronate à libération immédiate (ACTONEL) le faisaient.

[503] Allergan souligne que M. Parr a fondé son opinion sur son extrapolation au sujet des comprimés à libération immédiate quant au fait qu’elles offrent une absorption pharmaceutiquement efficace, parce que l’absorption n’était réduite que de 50 % s’ils étaient pris avec des aliments. Allergan fait aussi remarquer que l’opinion de M. Parr au sujet de la demande BR 601 reposait également sur cette extrapolation. Toutefois, M. Parr s’est fondé sur des données relatives à l’administration 30 minutes avant la prise de nourriture, et non avec de la nourriture (comme requis pour une absorption pharmaceutiquement efficace). Allergan soutient que la preuve démontre que, lorsqu’un bisphosphonate est pris avec des aliments, l’absorption est réduite de beaucoup plus que 50 %.

[504] Allergan ajoute que M. Parr a admis en contre‐interrogatoire qu’il ne savait pas si, dans le cas où le bisphosphonate serait pris en même temps que de la nourriture, la réduction serait plus importante. Allergan ajoute que les théories du Dr Yates et de M. Parr ne tiennent pas compte du fait que le brevet 188 exige une libération immédiate dans l’intestin grêle pour remédier à l’effet des aliments.

(1) La demande BR 601 ne fait pas partie de la mosaïque de l’art antérieur

[505] Allergan soutient que la demande BR 601 ne devrait pas être considérée comme faisant partie de la mosaïque de l’art antérieur pour l’analyse de l’évidence, car elle n’aurait pas été trouvée par une personne versée dans l’art en avril 2005. Allergan note que les experts d’Apotex ont reçu la demande BR 601 et une traduction en anglais. Aucun des experts n’a cherché ou trouvé la demande BR 601. Allergan reconnaît que les inventeurs ont reçu la demande BR 601, mais la source n’est pas connue.

[506] Allergan conteste l’argument d’Apotex selon lequel la demande BR 601 est considérée comme une antériorité ou une admission contraignante pour Allergan du fait qu’elle est citée dans le brevet 188. Allergan note que le brevet 188 indique expressément que [traduction] « [l]a citation d’un document ne doit pas être interprétée comme une admission qu’il s’agit d’une antériorité au regard de l’invention ».

(2) La demande BR 601 ne rend pas le brevet 188 évident

[507] Allergan soutient que, même si la demande BR 601 est comprise dans la mosaïque, cela ne rend pas l’invention du brevet 188 évidente.

[508] Allergan reconnaît que la demande BR 601 combine un agent chélatant et des enrobages gastrorésistants dans des formulations de bisphosphonates. Même si certaines formulations de la demande BR 601 permettaient une absorption pharmaceutiquement efficace, la demande BR 601 n’enseigne pas quelles combinaisons (quel bisphosphonate, quel agent chélatant, en quelles quantités et avec quel type de noyau) le permettraient. Aucun essai n’est divulgué dans la demande BR 601. Comme je l’ai mentionné plus haut, la personne versée dans l’art qui suivrait le seul exemple de la demande BR 601 et qui l’adapterait au risédronate obtiendrait une formulation qui échapperait à la portée des revendications du brevet 188. De plus, rien n’indique le degré de succès que permettrait d’obtenir la réalisation de l’exemple donné dans la demande BR 601. En outre, aucune antériorité n’enseigne comment adapter l’exemple de la demande BR 601 afin d’obtenir une absorption pharmaceutiquement efficace.

[509] Allergan affirme que la personne versée dans l’art aurait dû choisir l’EDTA dans une quantité couverte par les revendications du brevet 188, ce qui diffère de l’exemple de la demande BR 601. Il n’y a aucune indication à cet égard dans la demande BR 601 ou une autre antériorité.

[510] Allergan souligne également que les personnes versées dans l’art auraient à choisir un noyau à libération immédiate parmi les possibilités en vue d’obtenir une absorption pharmaceutiquement efficace. Les documents de l’art antérieur ‒ dont la demande BR 601 ‒ n’indiquent pas que l’administration de risédronate et d’EDTA sous une forme à libération immédiate est nécessaire pour résoudre le problème de l’effet des aliments ou que la libération retardée ou prolongée ne fonctionnera pas. Le brevet 188 enseigne cela.

[511] Allergan soutient qu’Apotex ne dispose d’aucune preuve indiquant qu’il aurait été évident de choisir l’option à libération immédiate ou que la personne versée dans l’art choisirait la libération immédiate plutôt que la libération prolongée ou retardée, les autres options présentées de la demande BR 601.

[512] Allergan souligne que le Dr Yates et M. Parr ont tous deux convenu que la personne versée dans l’art aurait à mener des études cliniques chez les humains pour déterminer si l’une ou l’autre des nombreuses combinaisons et permutations de la demande BR 601 produirait une absorption pharmaceutiquement efficace. Allergan soutient que les études cliniques chez les humains sont loin d’être « courantes » pour la personne moyennement versée dans l’art.

(3) L’état de la technique et les antériorités n’incitant pas à aller dans le sens du brevet

[513] Allergan soutient que la position d’Apotex selon laquelle l’EDTA ne présentait aucun risque devrait être rejetée, car les antériorités ne préconisaient pas son utilisation pour les compositions pharmaceutiques. Allergan affirme que, en avril 2005, il n’y avait aucun document publié divulguant des études utilisant l’EDTA pour surmonter l’effet des aliments connu des bisphosphonates. Allergan ajoute que les antériorités n’enseignent pas l’utilisation de l’EDTA pour améliorer l’absorption des bisphosphonates par voie orale, à l’exception de la demande BR 601, dans la mesure qu’il s’agit effectivement d’une antériorité.

[514] Allergan soutient qu’il n’y a rien dans l’art antérieur qui suggère même d’utiliser l’EDTA dans les quantités revendiquées dans le brevet 188 pour résoudre l’effet des aliments du risédronate sans augmenter l’absorption à jeun.

[515] Allergan souligne que la seule antériorité ayant fait état de l’utilisation d’EDTA pour tenter de surmonter l’effet des aliments concernait la tétracycline. Dans Poiger, on a conclu qu’il fallait 2,3 g d’EDTA pour surmonter l’effet des aliments causé par la consommation de 200 mL de lait.

[516] Allergan soutient que la personne versée dans l’art n’aurait aucune raison de penser que cette quantité élevée d’EDTA pourrait être utilisée pour contrer l’effet des aliments sur les bisphosphonates, encore moins sans augmenter également l’absorption à jeun. Selon Allergan, Poiger n’incite aucunement à utiliser l’EDTA comme solution au problème de l’effet des aliments sur les bisphosphonates oraux.

[517] Allergan note que la demande WO 111 reconnaît la nécessité de bisphosphonates qui pourraient être pris avec de la nourriture. Toutefois, la demande WO 111 n’est pas axée sur les bisphosphonates oraux; elle envisage plutôt plusieurs mécanismes de libération et ne divulgue aucun mécanisme qui permettrait de prendre le médicament avec de la nourriture.

[518] Allergan soutient que Janner et Lin ont montré que le recours à l’EDTA n’était pas cliniquement possible. Janner et Lin ont signalé que l’EDTA peut entraîner l’absorption de l’alendronate et du clodronate à jeun et seulement à des doses beaucoup plus élevées que ce qui aurait été jugé cliniquement possible. Allergan souligne que le brevet 188 vise à éviter une absorption accrue à jeun. Allergan fait observer que Janner et Lin n’ont pas étudié si l’EDTA pouvait résoudre le problème de l’effet des aliments.

[519] Allergan soutient que la personne versée dans l’art qui examinerait les résultats de Lin constaterait que même la plus faible dose d’EDTA soumise à des essais (1,2 mg/kg, ce qui équivaut à 84 mg chez un humain moyen de 70 kg) augmentait l’absorption à jeun chez les rats – ce que le brevet 188 enseigne à éviter chez les humains.

[520] Allergan souligne que le Dr Yates a reconnu que même la plus faible quantité d’EDTA produisant quelque effet que ce soit (10 mg/kg) selon Janner ne serait pas envisageable pour une utilisation clinique.

[521] Allergan mentionne également Ezra, une revue de la documentation sur les bisphosphonates dans laquelle les comptes rendus de Janner et Lin sont inclus. Dans Ezra, on a conclu que [TRADUCTION] « l’applicabilité de [l’EDTA] en pharmacothérapie humaine est impossible, en raison de ses effets néfastes sur l’intégrité des muqueuses ». Ezra a signalé que l’EDTA améliore l’absorption de l’alendronate, mais a ajouté que [TRADUCTION] « l’absorption demeure variable et se produit à des concentrations d’EDTA qui rendent ce chélatant inadapté à un usage clinique ».

[522] Allergan souligne que le Dr Yates a contesté l’affirmation que l’on trouve dans Ezra au sujet de l’inadéquation de l’EDTA, même si d’autres ne l’ont pas fait et même si cette affirmation est appuyée par d’autres antériorités, par exemple, Van Hoogdalem.

[523] Allergan soutient en outre que la personne versée dans l’art ne pouvait pas prédire les quantités des composants qui amélioreraient l’absorption non à jeun sans augmenter l’absorption à jeun.

[524] Allergan signale également que MM. Cremers et Sinko ont expliqué que la personne versée dans l’art aurait eu des doutes réels devant la perspective de libérer dans l’intestin grêle un bisphosphonate et de l’EDTA en quantités qui, localement, seraient relativement élevées. Allergan fait remarquer que leurs opinions n’ont pas été ébranlées en contre‐interrogatoire.

[525] Allergan reconnaît qu’en avril 2005, la personne versée dans l’art était au courant des enrobages gastrorésistants, mais soutient que les antériorités n’enseignaient pas le recouvrement des formulations de bisphosphonates par des enrobages gastrorésistants en vue d’atténuer l’effet des aliments.

[526] Allergan fait valoir que le seul document de l’art antérieur qui a étudié les comprimés de risédronate à enrobage gastrorésistant est Mitchell 1996, lequel était un résumé. Mitchell 1996 indiquait qu’il n’y avait pas de différence notable entre les comprimés pris à jeun, mais que dans des conditions d’administration avec nourriture, l’absorption des préparations à enrobage gastrorésistant était grandement réduite, de 80 à 100 %. L’absorption des formulations à libération immédiate était réduite de seulement 50 %. Allergan soutient que cela n’incitait pas à poursuivre des recherches sur des formes pharmaceutiques à enrobage gastrorésistant.

[527] Allergan note que M. Parr a reconnu que la personne versée dans l’art aurait eu connaissance de Mitchell 1996, mais il n’en a pas parlé dans son rapport. Allergan ajoute que la critique de Mitchell 1996, formulée par M. Parr lors du nouvel interrogatoire mené par l’avocat d’Apotex, ne doit pas être prise en compte, car il semble s’agir d’une tentative tardive de reconsidérer Mitchell 1996 et de soutenir la position d’Apotex.

[528] Allergan note également que le Dr Yates a supposé que les résultats présentés dans Mitchell 1996 se rapportaient peut-être à la libération dans le côlon et que l’épaisseur de l’enrobage gastrorésistant, le repas utilisé et d’autres facteurs pourraient expliquer la faible absorption des comprimés gastrorésistants chez les sujets non à jeun. Allergan ajoute que le Dr Yates n’a pas formulé cette opinion dans son rapport, mais qu’il a émis des suppositions afin d’écarter Mitchell 1996, parce que ce document ne concordait pas avec la position d’Apotex. Allergan souligne que, bien que les détails de l’étude ne soient peut-être pas entièrement connus, Mitchell 1996 demeure la seule étude portant sur l’absorption du risédronate recouvert d’un enrobage gastrorésistant.

[529] Allergan affirme que Blümel et la demande WO 907, sur lesquels s’appuient M. Parr et le Dr Yates, ne contredisent pas l’enseignement de Mitchell 1996.

[530] Allergan soutient que la preuve démontre que personne n’utilisait en 2005 des enrobages gastrorésistants pour résoudre le problème de l’effet des aliments sur quelque médicament que ce soit.

[531] Allergan soutient également que les enrobages gastrorésistants ne sont pas la solution pour résoudre le problème de l’effet des aliments, comme le veulent les affirmations du Dr Yates et sa théorie de l’« onde de nettoyage ». Allergan souligne que le Dr Yates s’est fondé sur sa théorie selon laquelle les formes pharmaceutiques orales à enrobage gastrorésistant – à elles seules, sans EDTA – règlent essentiellement le problème de l’effet des aliments, parce qu’elles restent intactes dans l’estomac jusqu’à ce que la nourriture soit expulsée et que l’estomac redevienne à jeun, après quoi elles entrent dans un intestin grêle [TRADUCTION] « presque vide ». Allergan soutient que la théorie du Dr Yates est incompatible avec l’information présentée dans Blümel et Mitchell 1996, qui ont montré que les bisphosphonates à enrobage gastrorésistant administrés à peu près au même moment que la nourriture (ce qui correspond à l’hypothèse du Dr Yates au sujet de Blümel) présentaient des profils d’absorption très différents.

(4) Les différences entre l’état de la technique et l’objet des revendications

[532] Allergan note qu’en avril 2005, la personne versée dans l’art connaissait les agents chélatants comme l’EDTA. Toutefois, l’art n’enseignait pas à combiner l’EDTA avec le risédronate (ou tout bisphosphonate) sous une forme pharmaceutique orale pour surmonter le problème de l’effet des aliments; l’ajout d’un enrobage gastrorésistant n’était pas non plus enseigné.

[533] Aucun document de l’art antérieur n’enseignait le « point d’équilibre », à savoir la quantité d’EDTA suffisante pour lier les ions métalliques et les minéraux provenant des aliments, mais pas au point de modifier considérablement l’absorption à jeun.

[534] Les antériorités n’incitaient pas à utiliser de l’EDTA et des enrobages gastrorésistants, et ne fournissaient aucune motivation à combiner les deux pour régler le problème de l’effet des aliments. L’élaboration de l’invention concernant les revendications invoquées a nécessité des travaux inventifs. Allergan note qu’en avril 2005, d’autres chercheurs avaient essayé de surmonter l’effet des aliments, mais n’y étaient pas parvenus. D’autres stratégies ont été tentées, notamment la réduction de la fréquence d’administration, mais cela ne représente pas une solution.

(5) L’invention n’était pas un essai allant de soi.

[535] Même si la demande BR 601 est prise en compte (bien qu’Allergan soutienne que la personne versée dans l’art n’aurait pas disposé de cette demande), et même si elle pouvait être interprétée comme se rapportant à l’effet des aliments (ce qui n’est pas le cas), il aurait fallu faire preuve d’ingéniosité inventive pour combler l’écart entre l’état de la technique et les revendications invoquées.

[536] Allergan fait valoir que l’inventivité peut résider dans la combinaison d’éléments connus. Elle affirme que si les composants individuels du brevet 188 étaient connus, leur combinaison pour contrer l’effet des aliments et aboutir à une absorption pharmaceutiquement efficace n’était pas connue. La combinaison n’était pas évidente (Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188 au para 51 [Bridgeview]).

[537] Allergan soutient qu’il n’allait pas plus ou moins de soi que la tentative d’arriver à l’invention fonctionnerait. Elle réitère que la personne versée dans l’art ne saurait pas à l’avance si une formulation quelconque permettrait une absorption similaire lorsqu’elle est prise avec ou sans aliments. Tous les experts ont convenu que des études cliniques sur les humains sont nécessaires.

[538] Allergan note qu’il y avait une motivation à résoudre l’effet des aliments pour les bisphosphonates, qui était un problème de longue date, et que d’autres sociétés pharmaceutiques exploraient des moyens de réduire les inconvénients des exigences de dosage. Or, personne n’avait réussi à résoudre l’effet des aliments jusqu’à ce que MM. Dansereau et Burgio l’aient fait.

[539] Selon le Dr Yates, Merck a réglé le problème en mettant au point une forme pharmaceutique à prise hebdomadaire pour réduire l’inconvénient de la consommation à jeun en proposant un médicament devant être pris seulement un jour par semaine, mais cela ne constitue pas une solution à l’effet des aliments.

[540] Allergan soutient que la démarche suivie par les inventeurs confirme l’inventivité du brevet 188. Le travail mené par MM. Dansereau et Burgio pendant cinq ans a abouti à l’invention de la première et unique forme pharmaceutique orale de bisphosphonate qui résolvait directement le problème de l’effet des aliments et permettait une absorption similaire que l’on soit ou non à jeun.

[541] Allergan soutient qu’au départ, la cause de l’effet des aliments n’était pas connue. Plusieurs approches ont été envisagées. La première option explorée ‒ la libération dans le côlon ‒ n’a pas été fructueuse. Son partenaire, Aventis, a retiré son soutien après l’échec de l’étude sur les chiens. Les inventeurs ont poursuivi les études relatives à Enterion. Dans la deuxième étude portant sur Enterion, les inventeurs ont de nouveau constaté que l’absorption colique était mauvaise, mais que l’absorption dans l’intestin grêle, avec nourriture ou à jeun, était prometteuse. Cela a amené les inventeurs à se concentrer sur la libération dans l’intestin grêle et sur la mise au point et la mise à l’essai des formulations dans l’étude 132. Les résultats ont permis de confirmer que la quantité de 100 mg d’EDTA pour 35 mg de risédronate garantissait une absorption similaire avec nourriture ou à jeun. Allergan fait observer que, grâce à cette découverte prometteuse, Aventis a réinvesti dans le projet.

[542] Allergan conteste également l’argument d’Apotex selon lequel les inventeurs ont retenu l’utilisation d’EDTA tôt dans le processus. Allergan renvoie aux documents de P&G fournis par MM. Burgio et Dansereau, y compris des notes de service et des rapports d’étape relatifs à leur projet, qui faisaient état de leurs interrogations concernant la possibilité d’utilisation de l’EDTA, l’innocuité de l’EDTA et la nécessité de déterminer, entre autres choses, les quantités pouvant être considérées comme sûres. Allergan note que ||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||| ||||||||||||| Allergan ajoute que P&G ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||| |||||||||||||| et a dû mener des études cliniques de phase III et surveiller l’innocuité.

[543] Allergan ajoute que les critiques et les opinions du Dr Yates et de M. Parr sur ce que les inventeurs auraient dû faire sont formulées avec du recul, alors qu’ils connaissaient les résultats.

[544] Allergan conteste également la prétention d’Apotex, faite lors du contre‐interrogatoire des inventeurs, selon laquelle P&G aurait volé l’invention de la demande BR 601 ou d’une demande de brevet qu’aurait faite Takeda. Allergan souligne que les inventeurs ont clairement déclaré qu’ils n’avaient pas connaissance d’une quelconque demande de brevet de Takeda et que leur invention était bien entamée à cette époque. De plus, P&G n’est pas partie à la présente procédure et ne peut répondre à ces allégations. Allergan fait remarquer que la demande de brevet qu’aurait faite Takeda n’a pas été présentée à la Cour, et qu’il n’y a aucune preuve à son sujet. Apotex affirme simplement que cette demande chevauche le brevet 188. Allergan fait remarquer qu’il n’y a aucune preuve des détails de la solution proposée par Elan; la seule preuve est qu’Elan n’avait aucune donnée à l’appui de ses affirmations et que cette solution a finalement été rejetée par M. Dansereau. Allergan ajoute que même si d’autres sociétés pharmaceutiques exploraient des moyens de traiter l’effet des aliments, il n’y a aucune preuve de ce en quoi ils consistaient ou s’ils appuieraient l’allégation d’évidence.

[545] Allergan soutient que l’invention ‒ commercialisée sous le nom d’ACTONEL DR ‒ a « changé la donne » et demeure le seul bisphosphonate à administration orale qui s’attaque directement à l’effet des aliments et traite l’ostéoporose.

[546] Allergan fait également observer que si Apotex et ses experts soutiennent que n’importe qui aurait pu arriver à l’invention, il n’y a aucune preuve de la raison pour laquelle d’autres ne l’ont pas fait.

C. La jurisprudence pertinente en matière d’évidence

[547] Dans l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada définit le droit applicable en matière d’évidence. La jurisprudence ultérieure a fourni des indications supplémentaires sur son interprétation et son application.

[548] Aux paragraphes 166 à 169 de la décision Janssen 2020, la Cour a énoncé les principes pertinents et a réitéré que le critère énoncé dans Sanofi régit la détermination de l’évidence :

[166] Le cadre d’analyse de l’évidence en quatre parties a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sanofi, précité, au paragraphe 67 :

[traduction]

i. Identifier la « personne versée dans l’art » [et] [d]éterminer les connaissances courantes pertinentes de cette personne;

ii. Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

iii. Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée générale qui sous‐tend la revendication ou son interprétation;

iv. Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‐elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

[167] Dans les domaines d’invention où des progrès sont souvent le fruit d’expérimentations, comme l’industrie pharmaceutique, le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué (Sanofi, au para 68). Dans ces situations, les éléments énumérés ci-après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence (Sanofi, aux para 69‐71) :

i. Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

ii. Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

iii. L’antériorité fournit-elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‐tend le brevet?

iv. Quelles ont été les mesures concrètes ayant mené à l’invention?

[168] La Cour a considéré le facteur des « mesures concrètes » comme faisant partie de la « nature et de l’ampleur des efforts requis pour réaliser l’invention » (Teva Canada, au para 85; Tensar Technologies, Limited c Enviro-Pro Geosynthetics Ltd, 2019 CF 277 au para 157). Cette approche n’est pas incompatible avec l’orientation de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sanofi, selon lesquelles l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur, mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention (Sanofi, au para 70). La Cour d’appel fédérale a qualifié le facteur des mesures concrètes de « développement du deuxième facteur » (Bristol-Myers Squibb Canada Co c Teva Canada Limitée, 2017 CAF 76 au para 44 [Bristol-Myers Squibb]).

[169] La Cour doit se méfier de la sagesse rétrospective des témoins experts. Comme notre Cour l’a récemment expliqué, « [i]l ne serait pas juste vis‐à‐vis la personne revendiquant une invention de combinaison de décomposer la combinaison en ses éléments pour conclure que, chacun de ceux‐ci étant bien connu, ladite combinaison est nécessairement évidente » (Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188 au para 51 [Bridgeview]). La question à se poser est celle de savoir si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes, la personne moyennement versée dans l’art serait directement et facilement arrivée à la solution enseignée par le brevet (Beloit Canada Ltd c Valmet Oy (1986), 8 CPR (3d) 289 (CAF) à la p 294).

[549] Au paragraphe 29 de l’arrêt Pfizer Canada Inc. c Apotex Inc., 2009 CAF 8 [Pfizer], la Cour d’appel fédérale a précisé que l’expression « allant de soi » signifie « très clair », et que le critère s’entend non pas de la possibilité ou de l’hypothèse que quelque chose « va[ut] d’être tenté », mais plutôt que l’invention va « plus ou moins de soi », comme il est indiqué dans l’arrêt Sanofi.

[550] Contrairement à l’analyse relative à l’antériorité, l’analyse requise pour déterminer l’évidence ne porte pas sur un unique élément de l’art antérieur. En ce qui concerne l’évidence, la question est de savoir si la personne versée dans l’art, se fondant sur l’ensemble des antériorités pertinentes et sur les connaissances générales courantes complétées par des renseignements pouvant être découverts par une recherche raisonnablement diligente (au moment considéré), atteindrait l’invention directement et sans difficulté ou si une ingéniosité inventive serait nécessaire.

[551] Dans l’arrêt Tearlab, la Cour d’appel fédérale a expliqué comment l’art antérieur est utilisé différemment dans l’examen des allégations d’antériorité et d’évidence, soulignant au paragraphe 73 :

[73] [...] Il n’y a rien de « contradictoire » dans la conclusion selon laquelle une référence à l’art antérieur, lorsqu’elle est examinée seule, n’est pas antérieure, mais qu’elle peut néanmoins rendre une revendication évidente lorsqu’elle est combinée à une autre référence.

[552] Au paragraphe 81, la Cour d’appel fédérale a expliqué qu’en ce qui concerne l’évidence, « [...] c’est l’effet cumulatif de l’art antérieur qui doit être examiné pour déterminer si un technicien compétent, mais dépourvu d’imagination, serait directement et facilement arrivé à la solution qu’enseigne le brevet ».

[553] Dans l’arrêt Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited’s c SNF Inc., 2017 CAF 225 [Ciba], la Cour d’appel fédérale a déclaré au paragraphe 62 que, pour combler les différences entre l’invention et l’art antérieur, « [l]a personne versée dans l’art peut avoir recours à ses connaissances générales courantes ainsi qu’à l’art antérieur qui peut être repéré lors d’une recherche raisonnablement diligente ».

[554] Au paragraphe 90 de l’arrêt Hospira, la Cour d’appel fédérale a précisé la distinction qui existe entre le critère de l’essai allant de soi (étape 4) et les facteurs qui le sous-tendent :

[90] Il convient de mentionner que, tandis qu’aller « plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention » (voir Sanofi, au paragraphe 66) est une exigence pour l’essai allant de soi, être « plus ou moins évident que l’essai sera fructueux » (voir Sanofi, au paragraphe 69) n’est pas une exigence, mais simplement un facteur à prendre en considération.

[555] Dans l’arrêt Hospira, la Cour d’appel fédérale s’est également intéressée au contenu de l’art antérieur qui est pertinent pour l’analyse de l’évidence, soulignant que, à l’étape de l’essai allant de soi, le fait qu’une antériorité n’ait pas été trouvée au terme d’une recherche raisonnablement diligente ou fasse partie d’une mosaïque est pertinent. Elle a fait observer ce qui suit, au paragraphe 86 :

[86] À la lumière de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, ainsi que la jurisprudence et la doctrine pertinentes, je conclus qu’il est erroné de ne pas tenir compte des antériorités qui étaient accessibles au public à la date pertinente simplement parce qu’une recherche raisonnablement diligente ne les aurait pas révélées. La probabilité que la personne versée dans l’art n’aurait pas trouvé une antériorité peut avoir une pertinence pour l’examen de l’étape 4 de l’analyse de l’évidence (la question de savoir si les différences entre l’état de la technique et l’idée originale sont des étapes qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art), en ce que la personne versée dans l’art, mais sans inventivité, pourrait ne pas avoir pensé à combiner cette antériorité avec les autres antériorités pour faire l’invention revendiquée. Cependant, exclure l’antériorité simplement parce qu’elle est difficile à trouver pose problème, car cela entraînerait la possibilité d’un brevet valide pour une invention qui, sauf pour certaines modifications non inventives, avait déjà été communiquée au public. À mon avis, ce n’est pas ce que le régime canadien des brevets vise à permettre.

[556] Au paragraphe 51 de l’arrêt Bridgeview, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’inventivité peut résider dans la combinaison de parties connues et la question est de savoir si la combinaison est évidente. Elle a souligné qu’« [i]l ne serait pas juste vis‐à‐vis la personne revendiquant une invention de combinaison de décomposer la combinaison en ses éléments pour conclure que, chacun de ceux‐ci étant bien conn[u], ladite combinaison est nécessairement évidente [...] ».

[557] La Cour d’appel a ajouté, au paragraphe 52, que « [l]a question que le juge aurait dû se poser, et qu’il n’a pas fait, est de savoir si les connaissances générales qu’il a identifiées auraient pu mener une personne talentueuse mais dépourvue d’esprit inventif à en venir directement et sans difficulté à cette combinaison particulière d’éléments constituant l’invention divulguée dans le brevet 334 telle qu’interprétée par le juge ».

D. Aperçu de la preuve des experts

(1) Le Dr Yates

[558] Le Dr Yates a exprimé l’avis qu’il n’y avait aucune différence entre l’état de la technique et l’objet des revendications du brevet 188 invoquées. Il a réitéré que la demande BR 601 divulguait tous les éléments essentiels du brevet 188 et qu’elle traitait de l’effet des aliments, alors que la demande BR 601 n’en fait pas mention.

[559] Le Dr Yates a ajouté que, s’il y avait des différences entre la demande BR 601 et l’objet des revendications invoquées, la personne versée dans l’art aurait comblé l’écart en faisant appel à ses connaissances générales courantes et d’autres antériorités trouvées lors d’une recherche diligente. Selon lui, la personne versée dans l’art aurait facilement combiné plusieurs autres antériorités, même sans connaître la demande BR 601.

[560] En ce qui concerne les autres antériorités, le Dr Yates était d’avis que l’EDTA était bien connu, tout comme l’utilisation d’enrobages gastrorésistants qui, à eux seuls, empêcheraient l’absorption de la dose orale avant qu’elle ne soit libérée dans l’intestin grêle. Selon lui, la personne versée dans l’art combinerait les deux, guidée par les antériorités, et obtiendrait une forme pharmaceutique qui produirait une absorption pharmaceutiquement efficace, qu’elle soit prise avec nourriture ou à jeun.

[561] Le Dr Yates n’était pas d’accord pour dire que l’art antérieur n’incitait pas à utiliser l’EDTA. À son avis, Janner, Lin ou Ezra (sur lesquels Allergan s’appuie pour montrer l’absence d’incitatifs à utiliser l’EDTA) n’auraient en rien dissuadé la personne versée dans l’art d’utiliser l’EDTA pour accroître la biodisponibilité d’un bisphosphonate, surtout compte tenu de l’utilisation d’un enrobage gastrorésistant pour assurer la libération dans l’intestin grêle seulement.

[562] Le Dr Yates a finalement reconnu que ni Janner ni Lin n’avaient étudié l’effet des aliments, mais qu’ils s’étaient plutôt concentrés sur l’absorption des bisphosphonates à jeun.

[563] Le Dr Yates a déclaré que l’article de revue Ezra n’était qu’une recension récapitulant les résultats présentés dans Janner et Lin. Selon lui, la personne versée dans l’art ne souscrirait pas à la conclusion d’Ezra selon laquelle il était impossible d’utiliser l’EDTA en raison de ses effets néfastes sur l’intégrité des muqueuses.

[564] Le Dr Yates a cité d’autres documents de l’art antérieur qui, selon lui, montraient que l’EDTA pouvait être utilisé avec les bisphosphonates afin d’accroître l’absorption, notamment avec un enrobage gastrorésistant. Par exemple, le Dr Yates s’est fondé sur Poiger, estimant que cet article montrait que l’EDTA pouvait atténuer l’effet du calcium sur la tétracycline.

[565] Le Dr Yates a reconnu que, selon Mitchell 1996, la formulation de risédronate à enrobage gastrorésistant, administrée 30 minutes avant la prise de nourriture, entraînait une très faible absorption, mais il ne considérait pas que Mitchell 1996 éloignait de l’utilisation d’enrobages gastrorésistants. Le Dr Yates a supposé que les résultats obtenus dans Mitchell 1996 étaient attribuables à d’autres facteurs, comme le repas consommé. Il a fait référence à Blümel, qui avait constaté qu’avec des quantités accrues d’alendronate, on pouvait obtenir une formulation gastrorésistante dont l’efficacité se comparait à celle de la formulation à libération immédiate. Le Dr Yates a convenu que Blümel n’avait pas étudié l’effet des aliments ni mesuré l’absorption ou la biodisponibilité, mais a affirmé qu’il l’avait fait indirectement. Le Dr Yates a également renvoyé à la demande WO 907, qui signalait une biodisponibilité du clodronate de deux à quatre fois plus élevée lorsque la préparation était recouverte d’un enrobage gastrorésistant. Toutefois, il a convenu que la demande WO 907 ne porte pas sur l’effet des aliments.

[566] Le Dr Yates a également souligné que le brevet 559 divulguait des formulations de risédronate à libération retardée avec enrobage gastrorésistant, mais il a convenu qu’il s’agissait dans ce cas d’une formulation liquide.

[567] Le Dr Yates a reconnu qu’il ne connaissait pas de nombreuses d’antériorités sur lesquelles il s’est appuyé pour donner son avis avant sa participation à un litige aux États-Unis ou au présent litige. Par exemple, il n’avait pas connaissance de la demande BR 601, de Poiger, de la demande WO 907 ni de la demande WO 111 en avril 2005.

[568] Le Dr Yates a expliqué que, s’il y avait une quelconque différence entre l’état de la technique et l’objet des revendications, on pourrait, dans un cas, combiner le risédronate et l’EDTA en une forme pharmaceutique orale à enrobage gastrorésistant et, dans l’autre cas, fournir suffisamment d’EDTA pour permettre une absorption pharmaceutiquement efficace.

[569] Le Dr Yates a déclaré qu’il était évident que, si une personne versée dans l’art disposait d’une formulation de risédronate à enrobage gastrorésistant et qu’elle souhaitait obtenir une certaine amélioration de la biodisponibilité, elle pourrait y arriver en ajoutant de l’EDTA comme excipient. Il a ajouté qu’en raison de la séparation par rapport aux aliments assurée par l’utilisation de comprimés gastrorésistants, on s’attendrait à ce que l’absorption soit pharmaceutiquement efficace. Le Dr Yates a expliqué que l’« onde de nettoyage » est la raison pour laquelle un comprimé à enrobage gastrorésistant ne parvient à l’intestin grêle qu’une fois l’estomac vide, et que la formulation peut donc être prise avec nourriture ou à jeun.

[570] En ce qui concerne l’atténuation de l’effet des aliments au moyen d’enrobages gastrorésistants, le Dr Yates a reconnu que plusieurs médicaments touchés par cet effet n’avaient pas été recouverts d’un tel enrobage et que plusieurs médicaments recouverts d’un tel enrobage restaient sujets à un effet des aliments.

[571] Le Dr Yates a également reconnu qu’en avril 2005, on ne disposait pas de données d’essais concernant l’association d’un bisphosphonate à administration orale et de l’EDTA pour déterminer si cela permettrait de surmonter l’effet des aliments. De plus, il a reconnu qu’il est impossible de prévoir avec exactitude les conséquences de l’effet des aliments sur la biodisponibilité sans mener une étude de la biodisponibilité chez des sujets non à jeun, et que la détermination des quantités appropriées, notamment pour l’EDTA, nécessite une étude.

[572] Le Dr Yates a exprimé l’avis qu’il allait de soi de tenter d’arriver à l’invention, car il aurait été évident pour la personne versée dans l’art que l’essai fonctionnerait. Il a noté qu’il existait un nombre déterminé de solutions prévisibles connues, que le travail décrit dans le brevet 188 est couramment et ordinairement effectué par la personne versée dans l’art et qu’il y avait une motivation claire ‒ au moins pour les inventeurs de P&G ‒ à trouver la solution visée par le brevet.

(2) M. Parr

[573] M. Parr a d’abord fourni un témoignage « en aveugle » ‒ c’est-à-dire sans avoir examiné préalablement les antériorités ou le brevet 188 ‒ basé sur son examen d’un extrait de l’édition de 2004 de l’ouvrage Canadian Pharmaceutics and Speciality.

[574] M. Parr a déclaré que, pour contrer l’absorption réduite des bisphosphonates en présence d’ions divalents provenant des aliments, le formulateur pharmaceutique envisagerait des moyens d’isoler la forme pharmaceutique des ions divalents et de la nourriture, et d’empêcher les ions divalents d’interagir avec les bisphosphonates. Il a ajouté que le formulateur pharmaceutique saurait que les enrobages gastrorésistants peuvent être utilisés pour protéger les formes pharmaceutiques contre le faible pH gastrique et contre les concentrations élevées de composants alimentaires, et que les chélatants peuvent réduire ou bloquer l’interaction entre les ions, comme le calcium, et les bisphosphonates en séquestrant les ions.

[575] M. Parr a ensuite examiné une sélection d’antériorités et a confirmé son opinion. Il a par la suite examiné d’autres antériorités et le brevet 188. D’après lui, le brevet 188 est évident compte tenu de la demande BR 601 et de l’art antérieur. M. Parr a ajouté que d’autres antériorités divulguaient cette combinaison (par exemple, la demande WO 111 et le brevet 932).

[576] M. Parr n’a pas convenu que la demande BR 601 ne traitait pas de l’effet des aliments, affirmant que cela n’était pas clair. Il a déclaré que les formulations de la demande BR 601 produiraient une absorption pharmaceutiquement efficace, qu’elles soient prises avec nourriture ou à jeun. Il a extrapolé des renseignements sur les formulations à libération immédiate et d’autres renseignements pour calculer l’absorption. En contre-interrogatoire, on a attiré son attention sur le fait que ses calculs étaient fondés sur l’hypothèse selon laquelle la formulation à libération immédiate était prise 30 minutes avant la nourriture plutôt qu’avec la nourriture.

[577] M. Parr a convenu qu’il était impossible de faire des prévisions sur la biodisponibilité et que des essais étaient nécessaires.

[578] M. Parr a expliqué que les formulations d’EDTA et de bisphosphonates avaient été décrites dans des antériorités et que l’EDTA était reconnu comme étant sans danger en certaines quantités, y compris des concentrations qui dépassaient les quantités indiquées dans le brevet 188. Il a renvoyé à Poiger et au brevet 932. M. Parr était d’avis que les conclusions tirées dans Janner, Lin et Ezra ne dissuaderaient pas la personne versée dans l’art.

[579] M. Parr n’a pas souscrit à l’opinion de M. Sinko concernant les effets néfastes possibles de l’EDTA sur l’intestin.

[580] M. Parr adhérait à l’opinion générale du Dr Yates selon laquelle il n’y a aucune différence entre l’état de la technique en avril 2005 et l’objet du brevet 188. À son avis, la seule différence possible serait qu’il n’y avait pas d’exemple précis dans l’art antérieur concernant la fabrication d’un comprimé à enrobage gastrorésistant contenant du risédronate et de l’EDTA. M. Parr a ajouté qu’il n’aurait pas fallu faire preuve d’ingéniosité inventive pour combler cette différence en se fondant sur les enseignements de l’art antérieur et sur les connaissances générales courantes.

[581] M. Parr a commenté les facteurs qui sous-tendent le critère de l’« essai allant de soi », soulignant entre autres qu’il allait de soi de tenter d’arriver à l’invention et qu’il allait de soi que l’essai serait fructueux. Selon lui, la personne versée dans l’art s’attendrait à ce qu’une formulation de risédronate et d’EDTA avec enrobage gastrorésistant prise non à jeun entraîne une absorption du risédronate correspondant à environ 50 % de l’absorption à jeun. M. Parr a reconnu que des essais cliniques chez les humains seraient nécessaires pour le confirmer, mais, à son avis, ces essais feraient partie des compétences de la personne versée dans l’art et seraient courants.

[582] En ce qui concerne le travail des inventeurs, M. Parr a déclaré que la personne versée dans l’art n’aurait pas mené des recherches sur la libération dans le côlon. Autrement, les inventeurs ont suivi les étapes que la personne versée dans l’art aurait suivies et ont retenu l’approche consistant à ajouter un chélatant et un enrobage gastrorésistant au début du projet. Les inventeurs ont choisi l’EDTA en sachant qu’il s’agissait d’un chélatant puissant du calcium. ||||||||||||| ||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.|

(3) Le Dr Dillberger

[583] Le témoignage du Dr Dillberger portait sur l’innocuité de l’EDTA. Il a déclaré que l’EDTA était largement utilisé dans les aliments et les produits pharmaceutiques au 15 avril 2005 et il a cité plusieurs rapports et publications à l’appui de son opinion. Par exemple, dans JECFA 1974, il a été établi que la dose journalière admissible d’EDTA pour les humains pouvait atteindre 2,5 mg/kg (ou 150 mg d’EDTA par jour pour un adulte de 60 kg). Le Dr Dillberger a souligné que le JECFA avait appliqué un facteur de sécurité de 100 à la dose journalière admissible pour l’extrapolation des données d’études animales aux humains.

[584] Le Dr Dillberger a ajouté qu’en 1993, la FDA avait confirmé que la dose journalière admissible d’EDTA était de 2,5 mg/kg.

[585] Le Dr Dillberger n’était pas d’accord avec l’expert d’Allergan, M. Sinko, pour dire que l’EDTA seul et en combinaison avec un bisphosphonate a un effet toxique irréversible sur la membrane intestinale. Il a expliqué que l’accroissement de la perméabilité de l’intestin grêle n’est pas nocif et que, même si l’épithélium de l’intestin grêle est endommagé, il peut se régénérer. Il a maintenu son opinion selon laquelle l’EDTA, en quantité raisonnable, était suffisamment sûr pour être inclus dans un médicament.

[586] Le Dr Dillberger était d’avis que ni Janner, ni Lin, ni Ezra ne décourageraient l’utilisation de l’EDTA. Toutefois, il a convenu que l’objectif des études de Janner et de Lin n’était pas lié aux effets nuisibles potentiels de l’EDTA sur l’intestin grêle.

[587] Le Dr Dillberger n’était pas d’accord pour dire que Janner et Lin n’avaient pas présenté de données sur l’innocuité de l’EDTA. Selon lui, le fait que Janner et Lin aient pu produire des données sur l’absorption des bisphosphonates montrait que les rats avaient survécu à l’expérience et toléré l’EDTA pendant au moins 24 heures (avant leur euthanasie).

[588] Le Dr Dillberger n’était pas d’accord avec M. Sinko pour dire que la combinaison de l’EDTA et du risédronate serait particulièrement préoccupante si un enrobage gastrorésistant était ajouté. Il a déclaré qu’une personne versée dans l’art saurait qu’une forme pharmaceutique avec enrobage gastrorésistant contenant du bisphosphonate et de l’EDTA serait sûre et n’endommagerait pas l’intestin grêle. Il a fait référence à Yonezawa, qui a signalé que l’EDTA n’avait pas endommagé l’épithélium intestinal des lapins étudiés même après une exposition directe et continuelle pendant une heure à une forte concentration d’EDTA. Le Dr Dillberger n’a pas souscrit à l’affirmation de l’avocat selon laquelle Yonezawa, qui a signalé des hémorragies et de l’enflure dans l’intestin grêle des lapins, avait en fait démontré les effets dommageables de l’EDTA sur l’intestin grêle.

(4) M. Cremers

[589] M. Cremers a d’abord donné un aperçu de toutes les antériorités citées et de leur enseignement. L’avis de M. Cremers est que, pour combler les différences entre l’état de la technique et l’objet des revendications, il fallait faire preuve d’une ingéniosité inventive. L’art antérieur et les connaissances générales courantes n’orientaient pas la personne versée dans l’art vers la combinaison des quantités nécessaires de risédronate et d’EDTA dans un enrobage gastrorésistant à libération immédiate afin de traiter l’effet des aliments.

[590] M. Cremers a déclaré qu’au 15 avril 2005, la personne versée dans l’art aurait su que l’EDTA avait été soumis à des essais en tant qu’activateur de l’absorption de formulations de bisphosphonates dans des études sur des animaux et que les résultats dissuadaient d’utiliser l’EDTA dans les formulations de bisphosphonates à des fins cliniques. M. Cremers a également traité plus en détail des résultats de Janner, de Lin et d’Ezra, etc. Comme je l’ai mentionné précédemment, M. Cremers a déclaré que la demande BR 601 ne portait pas du tout sur l’effet des aliments, mais visait plutôt à accroître l’absorption d’un bisphosphonate à jeun.

[591] M. Cremers a expliqué qu’en avril 2005, les agents chélatants comme l’EDTA étaient connus, mais qu’ils étaient utilisés pour augmenter la perméabilité intestinale, ce qui est l’opposé de ce qu’enseigne le brevet 188. Il a souligné les antériorités qui déconseillaient d’utiliser l’EDTA dans les formulations de bisphosphonates (Janner, Lin, Ezra). M. Cremers a déclaré que la personne versée dans l’art hésiterait à combiner un agent chélatant dans une formulation de bisphosphonate à libération retardée en raison du risque d’effets nocifs liés à une trop grande perméabilité intestinale.

[592] M. Cremers a noté que les enrobages gastrorésistants étaient également connus, mais principalement comme moyen de réduire au minimum les effets secondaires gastro-œsophagiens. De plus, il avait été constaté qu’une formulation de risédronate à enrobage gastrorésistant entraînait une absorption plus faible que la formulation existante dépourvue d’un tel enrobage (Mitchell 1996).

[593] M. Cremers n’était pas d’accord avec le Dr Yates quant aux enseignements de diverses demandes de brevet et de certaines antériorités, y compris celles concernant l’innocuité de l’EDTA utilisé dans une forme pharmaceutique orale de bisphosphonate à libération retardée.

[594] M. Cremers a traité des facteurs liés à l’étape de l’essai allant de soi de l’analyse de l’évidence. Entre autres facteurs, il a examiné le travail des inventeurs de P&G et a fait observer qu’il n’était pas routinier et que ces inventeurs ne sont pas arrivés rapidement ou facilement à l’invention.

(5) M. Sinko

[595] Comme l’indique son avis sur l’antériorité, M. Sinko a reconnu qu’il y avait un chevauchement entre les formulations de la demande BR 601 et les revendications du brevet 188, mais n’a pas admis que la demande BR 601 antériorisait le brevet 188. M. Sinko a fait remarquer que de nombreux choix devraient être faits et que des essais seraient nécessaires pour déterminer si une absorption efficace sur le plan pharmaceutique avait été obtenue. Il s’est dit d’avis que la demande BR 601 ne rendait pas le brevet 188 évident, qu’elle soit considérée seule ou avec d’autres antériorités.

[596] De l’avis de M. Sinko, il y avait des différences entre l’état de la technique et les revendications du brevet 188 qui auraient obligé à faire preuve d’ingéniosité inventive. M. Sinko estimait que la personne versée dans l’art serait dissuadée de combiner l’EDTA et le risédronate sous une forme pharmaceutique orale parce que ces substances étaient toutes deux susceptibles d’avoir un effet nocif sur la membrane intestinale. Il a souligné que les antériorités avaient soulevé des préoccupations au sujet de l’utilisation de l’EDTA en combinaison avec les bisphosphonates.

[597] M. Sinko a aussi fait remarquer que les antériorités enseignaient que les comprimés de risédronate à enrobage gastrorésistant réduisaient l’absorption par rapport aux comprimés non enrobés lorsque les deux formes étaient administrées 30 minutes avant la prise de nourriture. Selon M. Sinko, cela indiquerait à une personne versée dans l’art que l’on pourrait s’attendre à ce qu’un enrobage gastrorésistant réduise l’absorption si la formulation était administrée avec de la nourriture. Il n’aurait pas été évident qu’une combinaison de risédronate et d’EDTA sous une forme pharmaceutique gastrorésistante permettrait non seulement de surmonter l’effet des aliments, mais aussi d’assurer une absorption similaire du risédronate, que la forme pharmaceutique soit prise avec ou sans aliments.

[598] D’après M. Sinko, le travail réalisé par les inventeurs pour parvenir au brevet 188 n’était pas routinier. Les documents révèlent qu’il a fallu de nombreuses années et de nombreux essais pour parvenir à l’invention revendiquée dans le brevet 188, et que les inventeurs ont fait preuve de persévérance pour parvenir à leurs fins, malgré plusieurs échecs.

(6) M. Burgio

[599] M. Burgio a décrit son travail avec M. Dansereau sur ce qui a d’abord été appelé le projet [TRADUCTION] « Actonel à tout moment », ainsi nommé parce que l’objectif était de mettre au point un produit à base de bisphosphonate qui ne serait pas soumis aux directives posologiques compliquées exigeant un jeûne. Le rôle de M. Burgio était de concevoir et de superviser les études cliniques afin de vérifier l’hypothèse principale des chercheurs selon laquelle l’administration de risédronate loin de l’estomac, dans le côlon ascendant, avec un agent chélatant pourrait permettre une absorption similaire dans des conditions d’alimentation ou de jeûne. M. Burgio a indiqué que d’autres membres de l’équipe avaient poursuivi d’autres hypothèses et approches qui n’avaient pas fonctionné.

[600] M. Burgio a expliqué que M. Dansereau et lui avaient surmonté plusieurs obstacles. M. Burgio a décrit l’absence de succès de l’étude sur les chiens visant à mettre à l’essai la libération dans le côlon. M. Burgio a souligné que, malgré cet échec, ils avaient persévéré en réalisant un essai sur des sujets humains dans lequel des capsules à enrobage Enterion étaient utilisées afin d’assurer une libération ciblée dans le tractus intestinal. Il a expliqué pourquoi ils avaient choisi d’utiliser des quantités particulières de risédronate et d’EDTA. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||

[601] M. Burgio a décrit la première étude au moyen d’Enterion et ses résultats, qui ont ensuite mené à une deuxième étude sur 79 sujets humains. Il a indiqué que la deuxième étude utilisant Enterion avait montré de façon inattendue que l’absorption du risédronate associé à l’EDTA dans l’intestin grêle, avec et sans prise de nourriture, était comparable à l’absorption du risédronate à libération immédiate administré à jeun (c.-à-d. le produit qui existait avant 2005). Ce résultat a mené à une nouvelle stratégie consistant à cibler la libération dans l’intestin grêle.

[602] M. Burgio a signalé que M. Dansereau et lui-même étaient préoccupés par la nécessité d’éviter une augmentation importante de la perméabilité de la membrane intestinale.

[603] M. Burgio a expliqué que l’objectif était de chélater les cations provenant des aliments afin que le risédronate puisse être pris avec de la nourriture, sans utiliser une quantité d’EDTA et de risédronate telle que l’absorption soit considérablement augmentée lorsque le patient est à jeun et qu’il n’y a pas de cations présents en provenance des aliments pour lier les agents chélatants. M. Burgio a fait observer que, même si la deuxième étude au moyen d’Enterion avait montré que cet équilibre était possible, il était nécessaire de vérifier s’il pouvait être réalisé avec un comprimé. M. Burgio a décrit l’étude sur la biodisponibilité (appelée l’étude 132) qui visait à mettre à l’essai les formulations prototypes afin de déterminer laquelle donnerait des résultats optimaux pour l’obtention d’une absorption similaire dans des conditions d’alimentation et de jeûne.

[604] M. Burgio a expliqué qu’il ne se rappelait pas comment il avait pris connaissance de la demande BR 601, mais il a noté que cela s’était produit après que M. Dansereau et lui furent parvenus à leur invention. Il s’est dit d’avis que la demande BR 601 avait probablement été fournie par un membre de l’équipe des demandes de brevet de P&G.

(7) M. Dansereau

[605] M. Dansereau a décrit la caractérisation de son projet avec M. Burgio dans le contexte des Jeux olympiques de 2000 et l’identification par P&G des approches de type médaille d’or, d’argent et de bronze pour résoudre l’effet des aliments. L’approche de la médaille d’or serait une solution permettant l’obtention d’une forme pharmaceutique « infaillible », pouvant être administrée « en tout temps », c’est-à-dire que l’absorption du risédronate serait similaire avec ou sans nourriture.

[606] |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Il a noté, tout comme M. Burgio, que l’hypothèse initiale consistait à accroître le plus possible la distance entre le risédronate et les aliments avant de le libérer, dans la région du côlon ascendant, où les taux de calcium seraient vraisemblablement beaucoup plus faibles, et à libérer simultanément avec le risédronate un agent chélatant qui se lierait de manière préférentielle aux ions calcium présents. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||

[607] M. Dansereau a décrit de la même façon que M. Burgio l’étude infructueuse sur les chiens et les deux études subséquentes au moyen d’Enterion. |||||||||||||||||| |||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[608] M. Dansereau a expliqué les résultats des études avec Enterion de la même manière que M. Burgio. Il a indiqué que |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||

[609] M. Dansereau a décrit l’étude pilote sur la biodisponibilité (l’étude 132) en signalant que, d’après ce que révélaient les résultats, une quantité de 100 mg d’EDTA dans une formulation de 35 mg de risédronate à enrobage gastrorésistant, libérée dans l’intestin grêle, permettait de surmonter l’effet des aliments sans augmentation considérable de l’absorption à jeun. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

E. Le brevet 188 n’est pas évident ‒ Aperçu

[610] Comme je l’explique ci-dessous, je conclus que le brevet 188 n’était pas évident.

[611] Dans l’ensemble, je trouve les témoignages de MM. Cremers et Sinko plus convaincants que ceux des autres sur la question de l’évidence. M. Cremers tient clairement le Dr Yates en haute estime, et était d’accord avec lui et M. Parr sur plusieurs principes de base, mais il a fourni des avis contraires sur l’enseignement de l’art sur lequel s’appuient le Dr Yates et M. Parr et a expliqué ses raisons d’une manière claire, détaillée et objective, le tout conformément aux déclarations figurant dans les antériorités.

[612] Le Dr Yates voyait l’art antérieur différemment, laissant de nombreuses questions sur les raisons pour lesquelles il n’acceptait pas certaines propositions et en acceptait d’autres. De plus, une grande partie des antériorités sur lesquelles il s’appuie pour donner son avis n’étaient pas connues de lui au moment pertinent, mais lui ont été fournies dans le cadre d’un litige. L’interprétation de l’art antérieur par le Dr Yates ‒ y compris les antériorités qui ne traitaient pas de l’effet des aliments, de l’innocuité de l’EDTA ou de l’administration orale de bisphosphonates ‒ était dans certains cas basée sur des présomptions et dans certains cas semblait être fabriquée pour soutenir son opinion que le brevet 188 était évident.

[613] Il n’est pas justifié d’accorder plus de poids au témoignage « en aveugle » de M. Parr qu’aux autres. Ce témoignage a été examiné de la même manière que ceux des autres témoins (Janssen 2019, aux para 58‐59).

[614] L’état de la technique en 2005 n’enseignait pas la combinaison des éléments essentiels du brevet 188 dans les quantités nécessaires pour obtenir une absorption pharmaceutiquement efficace des conditions d’alimentation et de jeûne.

[615] Comme point de départ, la personne versée dans l’art ne considérerait pas la demande BR 601 comme le guide montrant la voie vers une solution à l’effet des aliments sur les bisphosphonates, et ce, pour plusieurs raisons. La demande BR 601 ne fait même pas mention de l’effet des aliments ou de l’absorption pharmaceutiquement efficace (comme il a été mentionné précédemment dans la partie relative à l’antériorité); elle met plutôt l’accent sur l’augmentation de l’absorption à jeun, elle ne fournit pas de résultats d’essais et elle ne comporte qu’un exemple concernant un grand lot d’alendronate.

[616] Bien que la demande BR 601 ait divulgué les éléments essentiels « génériques » du brevet 188, elle n’a fourni aucune indication à la personne versée dans l’art sur ce qu’il fallait choisir et en quelles quantités. Comme Allergan l’a reconnu, certaines formulations de la demande BR 601 chevaucheraient le brevet 188, mais l’obtention de ces formulations nécessiterait beaucoup d’essais successifs et d’expérimentation. La demande BR 601 n’a fourni aucune indication à la personne versée dans l’art pour la conduire aux combinaisons nécessaires.

[617] Si la personne versée dans l’art se voyait remettre la demande BR 601, elle considérerait probablement qu’il s’agit uniquement d’une demande qui n’a jamais abouti à un brevet. Elle ne connaîtrait pas non plus l’inventeur et la société pharmaceutique, étant donné qu’aucun des experts n’en a jamais entendu parler. La personne versée dans l’art examinerait minutieusement l’« enseignement » de la demande BR 601 en gardant cela à l’esprit. Comme on l’a vu, l’accent mis sur l’augmentation de l’absorption à jeun, l’absence d’essais et l’exemple unique n’enseigneraient pas à la personne versée dans l’art que les formulations de la demande BR 601 résolvent l’effet des aliments et permettent une absorption pharmaceutiquement efficace. Même si elle examinait la demande BR 601 conjointement avec les autres antériorités ‒ comme s’il s’agissait d’un document faisant partie de la mosaïque ‒ cette personne ne parviendrait pas à l’invention du brevet 188. Il lui faudrait encore beaucoup de travail pour combler les lacunes.

[618] Il a fallu faire preuve d’une ingéniosité inventive pour combler les différences entre l’état de la technique et l’objet des revendications.

[619] Alors qu’Apotex soutient que toute petite différence serait facilement comblée par la personne versée dans l’art, la preuve étaye le point de vue contraire; plus qu’un simple travail routinier était nécessaire. Il n’était pas évident de tenter d’arriver à l’invention pour plusieurs raisons. Premièrement, il n’allait pas de soi que l’invention fonctionnerait. Tous les experts ont noté, entre autres choses, que des essais cliniques sur les humains seraient nécessaires. Deuxièmement, il y avait une motivation à résoudre l’effet des aliments, mais les solutions n’étaient pas prévisibles et d’autres approches n’avaient fait qu’atténuer les inconvénients de la prise du médicament à jeun, mais n’avaient pas résolu l’effet des aliments. Troisièmement, le travail nécessaire était plus que des essais courants pour une personne moyennement versée dans l’art. Le Dr Yates a exprimé l’avis qu’il était facile pour une personne versée dans l’art de réaliser des essais cliniques. Cependant, M. Cremers a décrit un processus beaucoup plus complexe qui nécessiterait plus que des essais courants et dépasserait le travail d’une personne moyennement versée dans l’art. Quatrièmement, les inventeurs ont décrit le travail qu’ils ont accompli pendant cinq ans comme étant vaste et difficile. La critique d’Apotex concernant l’approche et les faux pas des inventeurs est beaucoup plus facile avec le recul, mais la preuve documentaire corrobore et appuie le récit des inventeurs selon lequel plusieurs approches ont été envisagées, mises à l’essai, repensées, retestées et, finalement, les inventeurs ont trouvé la solution, après avoir fait quelques faux pas.

[620] Mes conclusions sont fondées sur l’application du critère à quatre volets de l’arrêt Sanofi et sur les autres précédents applicables.

F. La personne versée dans l’art

[621] La personne versée dans l’art a été décrite aux paragraphes 162 à 166 ci-dessus. Comme on l’a vu, c’est cette personne qui sert de référence.

[622] Dans la mesure où le Dr Yates peut avoir élevé le niveau des compétences de la personne versée dans l’art en se fondant sur l’équipe qu’il dirigeait chez Merck, par exemple en ce qui concerne la capacité de cette personne à mener des études cliniques de façon routinière, j’ai tenu compte des compétences de la personne moyennement versée dans l’art.

G. Les connaissances générales courantes

[623] Les connaissances générales courantes ne font pas l’objet d’un différend important et sont exposées au paragraphe 273 des présents motifs.

[624] En bref, les bisphosphonates et leur faible biodisponibilité étaient connus, l’effet des aliments était connu, les inconvénients de l’administration de bisphosphonates à jeun étaient connus, l’utilisation d’enrobages gastrorésistants pour réduire l’irritation gastrique et prévenir la dissolution dans l’estomac était connue, l’EDTA était connu comme étant un agent chélatant puissant et les moyens de mettre au point des formes pharmaceutiques, y compris celles comportant des enrobages gastrorésistants, étaient connus.

H. L’objet des revendications

[625] L’objet des ensembles de revendications invoquées est énoncé aux paragraphes 229 à 231.

[626] En bref, le premier groupe de revendications est axé sur une forme pharmaceutique orale pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons, qui contient 35 mg de risédronate et 100 mg d’EDTA, dans un enrobage gastrorésistant assurant une libération ciblée et immédiate dans l’intestin grêle. La forme pharmaceutique orale assure une absorption pharmaceutiquement efficace, qu’elle soit prise avec ou sans nourriture.

[627] À cela s’ajoutent des revendications d’utilisation, concernant l’administration hebdomadaire des formes pharmaceutiques orales revendiquées (revendication 77) pour le traitement ou la prévention de l’ostéoporose (revendication 72), et des revendications relatives à une trousse qui facilite l’observance du traitement par certains moyens (revendication 79), notamment l’emballage.

I. L’état de la technique

[628] Comme il est indiqué dans l’arrêt Tearlab, pour l’analyse de l’évidence, c’est l’effet cumulatif de l’art antérieur qui doit être examiné. La question est de savoir si la personne versée dans l’art, dénuée d’imagination, serait arrivée à l’invention directement et sans difficulté en se basant sur l’ensemble des antériorités et des renseignements qui pouvaient être découverts par une recherche raisonnablement diligente, ainsi que sur ses connaissances générales courantes.

(1) La demande BR 601 fait partie de la mosaïque de l’art antérieur

[629] Comme indiqué ci-dessus, je ne pense pas que la demande BR 601 antériorisait les revendications du brevet 188. Toutefois, un document de l’art antérieur qui n’antériorise pas une invention peut être considéré comme faisant partie de la mosaïque dans l’analyse de l’évidence (Tearlab).

[630] Une question préliminaire se pose : la demande BR 601 doit‐elle être considérée comme faisant partie de l’art découlant du cumul des documents ou de la « mosaïque de l’art antérieur »?

[631] M. Bonenfant a expliqué comment il a trouvé la demande BR 601 en utilisant des bases de données spécialisées qui étaient à sa disposition, mais il a reconnu que les termes de recherche lui ont été fournis. De plus, M. Bonenfant ne répondrait pas à la définition de la « personne versée dans l’art »; il possède plutôt une expertise particulière tant dans la saisie de renseignements sur les brevets dans des bases de données spécialisées que dans la récupération de tels renseignements.

[632] M. Schmidt et Mme Mittelbach ont tous deux décrit la procédure à suivre pour trouver un brevet au Brésil. Les deux ont indiqué qu’il fallait se présenter en personne au bureau des brevets brésilien. Sans savoir exactement ce qu’on recherche, il serait difficile ‒ même pour la personne qui se présente en personne ‒ de trouver la demande BR 601. M. Schmidt a reconnu que le numéro de la demande lui a été fourni par l’avocat d’Apotex. Il a expliqué qu’il avait trouvé la demande BR 601 dans la base de données en saisissant le numéro de la demande, ce qui l’a conduit au journal officiel n° 1705. Il a également reconnu qu’il n’avait jamais recherché la demande BR 601 avant d’être engagé par Apotex pour le faire en 2020. M. Schmidt et Mme Mittelbach ont tous deux expliqué qu’une fois la publication du journal officiel disponible, qui répertorie en moyenne plus de 300 demandes de brevet par semaine, une personne devrait parcourir des centaines de pages pour trouver l’abrégé, ce qui pourrait ensuite l’amener à demander une copie d’une demande de brevet.

[633] Rien n’indique que l’un des experts ait cherché ou trouvé la demande BR 601, ni même qu’il en ait eu connaissance avant qu’elle ne lui soit fournie. Le DYates a reconnu qu’il n’avait pas connaissance de la demande BR 601 avant qu’elle ne lui soit fournie dans le cadre d’un litige similaire aux États-Unis. Il a ajouté qu’il ne savait rien sur l’inventeur ou sur la Libbs Pharmaceutical Company. M. Parr a également déclaré qu’il n’était pas au courant de l’existence de la demande BR 601. M. Cremers a lui aussi déclaré qu’il n’avait pas connaissance de la demande BR 601 avant le présent litige.

[634] À mon avis, la demande BR 601 n’aurait pas été découverte par une « recherche raisonnablement diligente ». Il aurait fallu des compétences de recherche très spéciales et des termes de recherche qui nécessitaient une certaine connaissance préalable de ce qui était recherché. Quoi qu’il en soit, la demande BR 601 sera considérée comme faisant partie de la mosaïque de l’art antérieur.

[635] Selon le paragraphe 86 de l’arrêt Hospira, il serait erroné de la part de la Cour d’exclure la demande BR 601 de la mosaïque de l’art antérieur au motif qu’elle n’aurait pas été trouvée par la personne versée dans l’art lors d’une recherche raisonnablement diligente.

[636] Selon l’arrêt Hospira, la probabilité que la demande BR 601 ne soit pas découverte (et, d’après la preuve présentée, elle ne l’a pas été) est pertinente pour le critère de l’essai allant de soi. La personne versée dans l’art aurait-elle pensé à combiner la demande BR 601 avec les autres antériorités pour combler les différences entre l’état de la technique et l’invention?

[637] L’application de cette distinction aux faits est périlleuse. Si la demande BR 601 fait partie de l’art antérieur, les différences entre l’état de la technique et l’invention devraient tenir compte de tout ce qui peut être distillé de la demande BR 601 en tant partie de « l’art antérieur ». Or, si la personne versée dans l’art n’aurait pas trouvé la demande BR 601, comment peut-elle la prendre en considération pour la combiner à d’autres antériorités à l’étape de l’essai allant de soi de l’analyse de l’évidence? Cela n’est possible que dans des circonstances où l’antériorité inconnue est remise à la personne versée dans l’art. Afin d’éviter ce dilemme et d’aller à l’encontre de l’arrêt Hospira, j’ai considéré la demande BR 601 comme une antériorité, mais, comme on l’a vu, l’« enseignement » de la demande BR 601 nécessite un examen minutieux.

(2) L’art antérieur

[638] L’art antérieur est décrit dans la partie VII ci‐dessus, aux paragraphes 232 et 263, et est basé sur des déclarations figurant dans des antériorités et non sur la manière dont les experts l’ont interprété.

[639] Apotex s’appuie sur l’enseignement de l’art antérieur pour faire valoir que les éléments essentiels des revendications du brevet 188 ont été divulgués dans les antériorités, en particulier dans la demande BR 601, et que l’art antérieur n’enseignait pas de s’écarter de l’utilisation de l’EDTA ou d’enrobages gastrorésistants pour les bisphosphonates. Apotex soutient également que l’état de la technique en 2005 doit être pris en considération, et non seulement axer l’examen sur des antériorités dépassées, comme Mitchell 1996.

[640] Allergan soutient que rien dans l’art antérieur n’enseignait que l’utilisation du risédronate et de l’EDTA dans un enrobage gastrorésistant avec une libération immédiate résulterait en une absorption pharmaceutiquement efficace. Au contraire, l’art antérieur enseignait qu’il ne fallait pas utiliser d’enrobages gastrorésistants et d’EDTA, que l’EDTA n’était pas sûr pour l’utilisation sur les humains à des niveaux élevés et, plus généralement, que certains éléments de l’art antérieur ne peuvent être interprétés de la manière décrite par les experts d’Apotex.

[641] Les antériorités invoquées et les avis des experts sur l’enseignement de celles‐ci sont décrits ci-dessous.

(a) La demande BR 601

[642] Le Dr Yates et M. Parr ont tous deux déclaré que la demande BR 601 divulguait tous les éléments essentiels du brevet 188 et que les petites différences ‒ la combinaison du risédronate et de l’EDTA sous une forme pharmaceutique à enrobage gastrorésistant, ou l’inclusion d’une quantité suffisante d’EDTA pour permettre une absorption pharmaceutiquement efficace – auraient été facilement comblées par la personne versée dans l’art.

[643] Le Dr Yates a convenu que la description de la faible biodisponibilité des bisphosphonates dans la demande BR 601 renvoie à des quantités qui correspondent à l’absorption à jeun. Bien que le Dr Yates ait convenu qu’à l’époque de la demande BR 601, tous les bisphosphonates nécessitaient un jeûne ‒ aucune nourriture pendant 30 minutes après l’administration ‒, il s’est concentré sur le fait que la demande BR 601 ne dit rien au sujet d’une exigence de jeûne. Le Dr Yates a soutenu que la personne versée dans l’art saurait que la demande BR 601 se rapporte aussi à l’effet des aliments, même si cela n’est pas mentionné.

[644] Le Dr Yates a également convenu que la demande BR 601 ne démontre pas que l’une quelconque des formes pharmaceutiques qu’elle contient permettrait d’améliorer l’absorption d’un bisphosphonate quel qu’il soit. Il a reconnu que la demande BR 601 ne contient pas de données, qu’aucune formulation n’a été soumise à des essais et que le seul exemple donné concernait l’alendronate.

[645] Le Dr Yates a en outre convenu que la demande BR 601 n’enseigne pas l’utilisation d’un bisphosphonate en particulier ni d’une quantité précise d’agent chélatant ou d’un agent chélatant privilégié. Le Dr Yates a prétendu que l’EDTA est le chélatant privilégié parce que celui‐ci est mentionné, mais il n’était pas d’accord pour dire que l’alendronate est privilégié, même si celui-ci est aussi mentionné expressément et qu’il s’agit du seul bisphosphonate faisant l’objet d’un exemple.

[646] En ce qui concerne la plage de valeurs de l’EDTA déclarée dans la demande BR 601 (de 3 à 175 mg), le Dr Yates semblait convenir qu’il serait nécessaire de réaliser des essais afin de déterminer le « point d’équilibre » – c’est-à-dire la bonne quantité d’EDTA en fonction de la quantité de bisphosphonate.

[647] Le Dr Yates a également convenu que la revendication 28 de la demande BR 601 prévoit que le médicament contenu dans la forme pharmaceutique à enrobage gastrorésistant soit libéré de façon immédiate, retardée ou prolongée. Il a reconnu que seule la libération immédiate surmonterait l’effet des aliments et que la libération retardée ou prolongée ne le ferait pas.

[648] Même si le Dr Yates était fermement d’avis que la demande BR 601 divulguait tout ce qu’il fallait pour parvenir à l’invention du brevet 188, il a reconnu que des essais seraient nécessaires en vue de déterminer la bonne quantité d’EDTA, que la forme pharmaceutique à libération immédiate était nécessaire et qu’il n’y avait aucune autre utilisation connue de l’EDTA avec un bisphosphonate. Il a maintenu avec insistance son opinion selon laquelle la demande BR 601 portait sur l’effet des aliments, bien que rien dans la demande BR 601 n’indique que ce soit le cas et que le problème qu’elle vise à résoudre soit différent. Cela contraste avec la description détaillée du brevet 188 concernant l’effet des aliments et la nécessité d’y remédier.

[649] M. Parr a également déclaré que tous les éléments essentiels des revendications du brevet 188 sont divulgués dans la demande BR 601.

[650] En contre-interrogatoire, M. Parr a convenu que la demande BR 601 mentionnait le problème de la faible absorption des bisphosphonates à jeun. En ce qui concerne son opinion selon laquelle la demande BR 601 traite de l’effet des aliments, M. Parr a reconnu que la demande BR 601 ne définit pas le [traduction] « contenu de l’estomac » et que l’estomac à jeun contient du calcium et d’autres ions divalents qui nuiraient à l’absorption des bisphosphonates.

[651] M. Parr a également convenu que la mention du [traduction] « traitement actuel » dans la demande BR 601 renvoyait aux exigences posologiques rigoureuses, notamment la prise du bisphosphonate à jeun au moins 30 minutes avant le premier aliment de la journée, et que la demande BR 601 n’indiquait pas que le respect des exigences posologiques rigoureuses de l’époque (être à jeun) était facultatif. Toutefois, M. Parr s’est contenté d’affirmer qu’il n’est pas clair si la demande BR 601 renvoyait à l’état à jeun ou à l’état non à jeun.

[652] M. Parr a été interrogé au sujet de son opinion selon laquelle la demande BR 601 impliquait une absorption pharmaceutiquement efficace, opinion qu’il fondait sur les renseignements concernant ACTONEL à libération immédiate. Lorsque ses hypothèses ont été mises en doute, M. Parr n’a pas convenu que, si ACTONEL à libération immédiate était pris avec de la nourriture plutôt que 30 minutes avant le premier aliment de la journée, l’absorption serait réduite de plus de 50 %. Il a fait remarquer qu’il n’avait pas vu de telles données et qu’il ne pouvait pas se prononcer. Il a souligné que les données indiquent seulement que, si le médicament est administré 30 minutes avant la prise de nourriture, l’absorption est réduite de 50 %.

[653] On a demandé à M. Parr si, en tant que formulateur et connaissant la formulation, il pouvait prédire l’absorption dans des conditions d’administration avec nourriture ou à jeun. Il a répondu que cela dépendrait des données disponibles; s’il y avait suffisamment de données, la personne versée dans l’art pourrait prédire de façon générale si l’absorption augmenterait ou diminuerait.

[654] M. Cremers n’était pas d’accord pour dire que la demande BR 601 divulguait l’invention. Il a déclaré que la demande BR 601 ne fournissait que des renseignements très généraux. Il a répété que la demande BR 601 ne traite pas de l’effet des aliments et n’enseigne pas non plus l’utilisation de l’EDTA, ni les quantités d’EDTA nécessaires pour lier les ions métalliques et les minéraux provenant des aliments, sans toutefois modifier considérablement l’absorption à jeun par une augmentation de la perméabilité intestinale. M. Cremers a affirmé que la demande BR 601 ne fournit à la personne versée dans l’art aucun enseignement quant à la recherche d’une solution au problème de l’effet des aliments, ni motivation à effectuer une telle recherche.

[655] M. Cremers a fait remarquer que la demande BR 601 comprend un seul exemple, mais aucun essai. Il a déclaré qu’il est impossible de prédire que cette formulation pourrait être prise avec des aliments et garantir une absorption pharmaceutiquement efficace.

[656] On a posé la question suivante à M. Cremers : si la personne versée dans l’art appliquait l’exemple donné dans la demande BR 601 et utilisait 35 mg de risédronate et 100 mg d’EDTA avec un enrobage gastrorésistant, et que cette formulation était prise avec des aliments, y aurait-il absorption pharmaceutiquement efficace? M. Cremers a répondu qu’il l’ignorait, car la demande BR 601 était axée sur l’augmentation de la biodisponibilité du médicament pris à jeun. Il a reconnu que, si la formulation était administrée avec de la nourriture, il pourrait y avoir une absorption pharmaceutiquement efficace, mais des essais supplémentaires seraient nécessaires. Il a ajouté qu’il lui faudrait examiner des études de bioéquivalence et des profils de dissolution.

[657] M. Sinko a reconnu qu’il y avait un chevauchement entre les formulations de la demande BR 601 et les revendications du brevet 188, mais il n’était pas d’accord pour dire que la demande BR 601 rendait le brevet 188 évident.

[658] Comme je l’ai conclu plus haut au sujet de l’antériorité, la demande BR 601 ne portait pas sur l’effet des aliments. Là encore, la mesure dans laquelle une personne versée dans l’art se pencherait sur la demande BR 601 est discutable. De plus, la demande BR 601 présente de nombreux choix sans donner d’orientations quant aux choix nécessaires et ne fournit pas de résultats d’essais. Bien que certaines formulations de la demande BR 601 permettraient une absorption pharmaceutiquement efficace, ce résultat obligerait la personne versée dans l’art à retenir exactement tous les choix et toutes les quantités figurant dans le brevet 188. Tous les experts ont convenu qu’aucune prédiction ne pouvait être faite quant à savoir si l’une ou l’autre des formulations de la demande BR 601 permettrait une absorption pharmaceutiquement efficace.

[659] Bien que certaines formulations de la demande BR 601 permettraient une absorption pharmaceutiquement efficace, ce résultat obligerait la personne versée dans l’art à retenir exactement tous les choix et toutes les quantités figurant dans le brevet 188.

(b) Utilisation de l’EDTA

[660] Le DYates a cité Poiger, qui a étudié l’utilisation de l’EDTA chez les humains en association avec la tétracycline, comme une « preuve » que l’EDTA pouvait empêcher l’inhibition de l’absorption d’un médicament attribuable au calcium.

[661] Le Dr Yates a reconnu qu’il n’avait pas connaissance de Poiger en 2005 ou avant le litige aux États-Unis. Il a reconnu qu’il n’avait pas effectué de recherche documentaire indépendante pour connaître l’état de la technique en avril 2005.

[662] Le Dr Yates a reconnu que la quantité de 2,3 g d’EDTA utilisée dans Poiger pour éliminer l’effet du calcium contenu dans 200 mL de lait était 23 fois plus élevée que les quantités divulguées dans le brevet 188. Le Dr Yates a convenu que l’effet de 2,3 g d’EDTA sur l’absorption de la tétracycline administrée à jeun ne serait pas connu. Le Dr Yates a aussi convenu que Poiger avait indiqué que la grande quantité d’EDTA utilisée ne serait pas envisageable d’un point de vue pratique. Le Dr Yates a souscrit à la conclusion de Poiger selon laquelle l’administration combinée de tétracycline et d’EDTA [TRADUCTION] « pourrait mériter un examen plus poussé ».

[663] S’agissant des études animales concernant les effets de l’EDTA sur les bisphosphonates, le Dr Yates n’était pas d’accord pour dire que les conclusions exposées dans Janner, Lin et Ezra dissuaderaient la personne versée dans l’art d’utiliser l’EDTA parce que, à son avis, l’ajout d’un enrobage gastrorésistant causerait une libération dans l’intestin grêle seulement.

[664] Le Dr Yates a convenu que dans Janner on n’avait pas examiné directement l’effet des aliments, mais on avait plutôt signalé que les bisphosphonates oraux, même pris à jeun, sont mal absorbés. Il a également convenu que Janner étudiait la liaison préférentielle de l’EDTA et la possibilité que cela accroisse l’absorption à jeun. Toutefois, en contre-interrogatoire, le Dr Yates a affirmé qu’il n’était pas clair que l’étude de Janner n’avait porté que sur des rats à jeun.

[665] Le Dr Yates a convenu que Janner ne mentionnait pas les enrobages gastrorésistants. Il a aussi reconnu que l’effet des aliments était connu à ce moment-là et que l’étude de Poiger avait été publiée plus de 10 ans auparavant, mais que Janner n’avait pas étudié si l’EDTA réglerait le problème de l’effet des aliments.

[666] Le Dr Yates a noté qu’il y avait de nombreuses différences entre les rats et les humains. Des expériences seraient nécessaires pour déterminer l’effet sur la biodisponibilité chez les humains. Le Dr Yates a ajouté que, si la formulation était revêtue d’un enrobage gastrorésistant, des études seraient nécessaires pour confirmer la quantité d’EDTA nécessaire afin d’obtenir l’effet souhaité.

[667] Le Dr Yates s’est également fondé sur la demande WO 111 pour étayer son opinion selon laquelle le brevet 188 est évident, faisant remarquer que la demande WO 111 combinait les bisphosphonates et les activateurs d’absorption. Toutefois, le Dr Yates a convenu que la demande WO 111 laisse à la personne versée dans l’art le soin de réaliser un [TRADUCTION] « projet de recherche » pour déterminer quelle combinaison activateur-bisphosphonate fournirait les résultats présentés. Le Dr Yates a convenu que la demande WO 111 indique que le bisphosphonate privilégié est l’alendronate et que le brevet énumère un vaste éventail d’activateurs de l’absorption qui pourraient être utilisés avec cette substance. Il a reconnu que tous les exemples dans la demande WO 111 concernent l’alendronate, que plusieurs sont des solutions orales ou des solutions liquides – et non des comprimés – et que l’EDTA n’était utilisé comme activateur d’absorption dans aucun exemple. Le Dr Yates a aussi convenu que des essais seraient nécessaires pour déterminer la quantité exacte et l’effet de tout additif, y compris l’EDTA.

[668] Le Dr Yates a convenu que la demande WO 111 prévoit plusieurs voies d’administration, et non seulement l’administration orale, et considère notamment l’absorption colique.

[669] De façon plus générale, le Dr Yates a convenu qu’en avril 2005, on ne disposait pas de données d’essais concernant l’association d’un bisphosphonate à administration orale et de l’EDTA pour déterminer si cela permettrait de surmonter l’effet des aliments. Le Dr Yates a mentionné la demande BR 601, mais a convenu que cette demande de brevet ne contenait pas de données.

[670] En ce qui concerne les autres médicaments qui contiennent de l’EDTA, le Dr Yates ne se rappelait pas la quantité d’EDTA utilisée, mais il a affirmé qu’elle était inférieure à 100 mg. Il a admis que les documents pertinents qui lui avaient été soumis indiquaient que la quantité la plus élevée d’EDTA dans les formulations précédentes était de 4 mg.

[671] M. Parr a fait remarquer que la personne versée dans l’art aurait su que le moyen le plus facile d’empêcher les ions divalents présents dans la nourriture d’interagir avec le risédronate serait de séquestrer les ions, afin qu’ils ne puissent pas se lier avec le risédronate, et que la personne versée dans l’art aurait cherché à utiliser des agents chélatants, y compris l’EDTA, pour y arriver.

[672] M. Parr a renvoyé à Poiger et a déclaré que la personne versée dans l’art aurait compris que les problèmes liés à la tétracycline étaient les mêmes que ceux liés au risédronate. Il a déclaré que la personne versée dans l’art saurait que l’EDTA est sûr. Cette personne saurait également que des formulations d’EDTA et de bisphosphonates avaient été décrites dans la demande BR 601, la demande WO 111 et le brevet 932. M. Parr a déclaré que le brevet 932 indiquait que l’EDTA pouvait être utilisé pour maintenir la biodisponibilité d’un bisphosphonate, en l’occurrence l’alendronate inclus dans une formulation liquide à administration orale.

[673] M. Parr a également affirmé que la personne versée dans l’art n’aurait pas été préoccupée par l’augmentation de la perméabilité intestinale lorsque la quantité utilisée n’excède pas 175 mg d’EDTA, comme dans les revendications du brevet 188, car des doses beaucoup plus fortes seraient nécessaires à cette fin.

[674] M. Parr s’est dit d’avis que ni Janner ni Lin ni Ezra n’auraient dissuadé la personne versée dans l’art d’utiliser l’EDTA parce que l’EDTA n’était pas utilisé comme activateur d’absorption, mais pour chélater les ions métalliques.

[675] En contre-interrogatoire, M. Parr a reconnu que ni Janner ni Lin n’avaient cherché à savoir si l’EDTA avait des effets néfastes sur l’intégrité des muqueuses.

[676] Comme je l’ai mentionné précédemment, selon l’opinion générale exprimée par le Dr Dillberger, l’EDTA est parfaitement sûr et était largement utilisé dans les aliments et les produits pharmaceutiques au 15 avril 2005. Il n’était pas d’accord pour dire que Janner, Lin et Ezra incitaient à éviter l’utilisation de l’EDTA.

[677] M. Cremers a fait remarquer que la personne versée dans l’art aurait su que l’EDTA avait été soumis à des essais comme activateur de l’absorption avec des formulations de bisphosphonates dans le cadre d’études sur des animaux et que les résultats incitaient à écarter l’utilisation de l’EDTA dans les formulations de bisphosphonates pour l’usage clinique.

[678] M. Cremers a déclaré que la personne versée dans l’art comprendrait que ni Janner ni Lin ne fournissent un enseignement sur une forme pharmaceutique pouvant assurer une absorption semblable lorsqu’elle est prise avec ou sans nourriture. La personne versée dans l’art comprendrait que Janner et Lin découragent tous deux l’utilisation clinique de l’EDTA avec des bisphosphonates chez les humains.

[679] M. Cremers a affirmé que Lin avait étudié l’absorption de l’alendronate dans le tractus gastro-intestinal en utilisant également des rats à jeun. Les résultats montraient que l’EDTA améliore l’absorption de l’alendronate, mais mettaient en garde contre son utilisation.

[680] M. Cremers a souligné que Lin n’avait pas évalué l’effet de l’EDTA sur l’absorption de l’alendronate en présence d’aliments ni après une libération directe dans l’intestin grêle. Contrairement à l’opinion du Dr Yates, M. Cremers a déclaré que la personne versée dans l’art n’appliquerait pas les résultats de Lin au contexte d’une formulation à enrobage gastrorésistant qui libère l’EDTA et un bisphosphonate directement dans l’intestin grêle.

[681] M. Cremers n’était pas d’accord avec M. Parr pour dire que le brevet 932, la demande BR 601 ou la demande WO 111 révélaient l’utilisation d’EDTA dans des formulations de bisphosphonates pour contrer l’effet des aliments ou pour obtenir une absorption similaire avec ou sans nourriture.

[682] Ainsi que le décrit M. Cremers, le brevet 932 porte sur des formulations liquides d’alendronate destinées à accroître l’observance chez les patients ayant de la difficulté à avaler, et ne concerne pas l’absorption d’un bisphosphonate administré par voie orale au moyen de formes pharmaceutiques solides. Bien que le brevet mentionne l’EDTA comme exemple d’agent complexant, la personne versée dans l’art comprendrait que les tableaux relatifs aux formulations inclus dans le brevet 932 font référence à l’utilisation d’acide citrique et de citrate de sodium.

[683] M. Cremers a noté que la demande WO 111 porte de façon générale sur à peu près tout bisphosphonate, quelle qu’en soit la quantité, combiné à essentiellement tout composé susceptible d’améliorer l’absorption (ou à plusieurs de ces composés), quelle qu’en soit la quantité également. M. Cremers a fait remarquer que la demande WO 111 mentionne l’EDTA comme additif potentiel, mais que seules les formulations décrites dans la demande WO 111 figurent dans les exemples et qu’aucune ne contient de l’EDTA (ni un quelconque agent chélatant) et qu’aucune n’a un enrobage gastrorésistant.

[684] M. Cremers a également noté qu’un seul paragraphe de la demande WO 111 précise que [TRADUCTION] « [d]ans une forme privilégiée, la formulation pharmaceutique selon l’invention est adaptée pour l’administration orale et peut être administrée à jeun ou avec de la nourriture ».

[685] Selon M. Cremers, la personne versée dans l’art ne trouverait dans la demande WO 111 aucune indication concernant quels bisphosphonates devraient être combinés avec quels « agents d’addition » parmi les nombreux choix possibles, et en quelles quantités, afin d’adapter l’invention pour une administration orale. La demande WO 111 n’enseigne pas comment une telle formulation adaptée fonctionne en ce qui a trait à l’absorption des bisphosphonates pris à jeun ou avec de la nourriture, et la personne versée dans l’art ne saurait pas si une telle formulation adaptée permettrait d’obtenir une [traduction] « absorption pharmaceutiquement efficace ». La demande WO 111 ne divulgue pas de forme pharmaceutique qui assure une absorption similaire lorsqu’elle est prise avec ou sans nourriture, ni n’indique que cela est même possible. De plus, la demande WO 111 n’enseigne pas à la personne versée dans l’art à préparer une formulation orale qui libère ensemble un bisphosphonate et un additif dans l’intestin grêle, en empêchant la libération dans l’estomac, comme dans le cas d’une forme pharmaceutique à enrobage gastrorésistant, ni quels seraient les taux d’absorption avec ou sans aliments.

[686] M. Cremers n’était pas d’accord avec le Dr Yates et M. Parr pour dire que Poiger enseignait l’utilisation de l’EDTA pour atténuer l’effet des aliments. M. Cremers a noté que la tétracycline n’est pas un bisphosphonate et que les résultats qui la concernent ne peuvent être transférés à une formulation libérant de l’EDTA directement dans l’intestin grêle. Poiger n’indique pas que la formulation pourrait être administrée à jeun. M. Cremers n’était pas d’accord pour dire que Poiger avait établi que 2,3 g d’EDTA étaient sûrs, bien que cette quantité ait été utilisée avec du lait. M. Cremers a souligné que la prise de 2,3 g d’EDTA à jeun aurait un effet considérable sur la perméabilité intestinale et serait très dangereuse.

[687] M. Cremers a décrit Poiger comme une petite étude de validation de principe, menée chez cinq volontaires humains, dans le cadre de laquelle on examinait la coadministration de la tétracycline avec de l’EDTA, avec du lait et avec les deux, leur mélange se produisant ensuite dans l’estomac. M. Cremers a fait remarquer que Poiger n’avait pas utilisé d’enrobages gastrorésistants pour éviter la libération dans l’estomac, ce qui rendait la technique étudiée fondamentalement différente des formulations du brevet 188.

[688] M. Cremers n’a pas souscrit à l’opinion du Dr Yates sur les enseignements de Poiger, à savoir que des parallèles pouvaient être établis entre la tétracycline et les bisphosphonates. Il a expliqué que, même si les bisphosphonates et la tétracycline posent le problème de l’effet des aliments, la tétracycline possède une biodisponibilité élevée, contrairement aux bisphosphonates. Il a ajouté que la personne versée dans l’art ne présumerait pas que les résultats s’appliquent aux bisphosphonates ou à toute autre catégorie de médicaments, ou s’appliquent lorsque les deux médicaments sont libérés dans l’intestin, comme c’est le cas pour une forme pharmaceutique gastrorésistante. Cette personne remarquerait également que Poiger a conclu que [TRADUCTION] « l’administration combinée de [tétracycline] et d’EDTA pourrait mériter un examen plus poussé ». M. Cremers a ajouté qu’il n’avait connaissance d’aucune formulation contenant de la tétracycline et de l’EDTA qui aurait été élaborée et commercialisée en date du 15 avril 2005 ni à quelque moment que ce soit.

[689] M. Cremers a contesté l’opinion du Dr Yates selon laquelle l’EDTA était connu comme étant [TRADUCTION] « extrêmement sûr chez les humains ». Il a fait remarquer qu’aucun des articles invoqués par le Dr Yates pour étayer son point de vue sur l’innocuité de l’EDTA chez les humains n’est lié à l’utilisation de l’EDTA avec un bisphosphonate ni à la libération de l’EDTA dans l’intestin grêle, comme dans le cas des formulations à enrobage gastrorésistant.

[690] M. Cremers ne souscrivait pas non plus à l’opinion de M. Parr selon laquelle l’utilisation de l’EDTA ne posait aucune préoccupation en matière d’innocuité. Il a répété que la personne versée dans l’art aurait des préoccupations liées à l’innocuité si de l’EDTA était ajouté à une forme pharmaceutique orale gastrorésistante de risédronate à libération retardée.

[691] M. Cremers a reconnu que, bien que l’EDTA soit généralement sans danger, la quantité utilisée doit faire l’objet d’un examen minutieux et, s’il est inclus dans une formulation qui se libère rapidement dans l’intestin grêle, ce qui produit « une très forte concentration » de bisphosphonate et d’EDTA, les deux substances sont potentiellement toxiques.

[692] M. Cremers a déclaré que la personne versée dans l’art ne serait pas en mesure de prédire si une quantité d’EDTA de l’ordre de 100 ou 200 mg, libérée dans l’intestin grêle sur une courte période, augmenterait sensiblement la perméabilité ou entraînerait des lésions tissulaires. Des études cliniques chez les humains seraient nécessaires. De plus, la personne versée dans l’art ne serait pas en mesure de prédire, à partir des antériorités, si cette quantité d’EDTA lierait de façon substantielle les ions métalliques et les minéraux dans les aliments, sans modifier de façon importante l’absorption du risédronate par rapport à l’absorption à jeun.

(i) Conclusions sur l’EDTA

[693] Compte tenu de l’opinion des experts sur leur interprétation des antériorités par rapport à l’EDTA et des descriptions de ces antériorités, la preuve étaye la conclusion selon laquelle l’art antérieur incitait à écarter l’utilisation de l’EDTA et n’enseignait pas qu’il était sûr, particulièrement en association avec des bisphosphonates.

[694] Janner, Lin et Ezra ont découragé l’utilisation de l’EDTA, n’en ont pas étudié l’innocuité et se sont concentrés uniquement sur l’absorption à jeun. Bien que l’on s’entende généralement pour dire que l’EDTA peut être sans danger pour les humains en certaines quantités, les antériorités n’enseignaient pas quelle quantité serait sécuritaire avec un bisphosphonate pour la libération dans l’intestin.

[695] Poiger n’est pas le guide montrant la voie, étant donné qu’il rend compte d’une très petite étude, axée exclusivement sur un type de médicament différent et comportant l’administration de doses élevées d’EDTA pour lutter contre l’effet d’une petite quantité de lait. La demande WO 111 ne fournit pas non plus d’indications sur la combinaison de bisphosphonates et de chélatants particuliers ni sur la façon d’adapter une formulation en vue de l’administration orale.

[696] Le Dr Yates a convenu que la plus grande quantité d’EDTA utilisée dans un médicament approuvé à l’époque pertinente était de 4 mg.

[697] Le témoignage du Dr Dillberger sur l’innocuité de l’EDTA dans les aliments et autres produits ne renseigne pas la personne versée dans l’art sur la quantité sécuritaire d’EDTA dans un bisphosphonate à administration orale. L’hypothèse du Dr Dillberger selon laquelle Janner et Lin ont indirectement étudié l’innocuité de l’EDTA, puisque les rats utilisés pour les essais ne sont pas morts avant leur euthanasie le lendemain, est une hypothèse erronée et n’atteste aucunement l’innocuité de l’EDTA chez les rats, et encore moins chez les humains. La référence du Dr Dillberger à l’étude menée par Yonezawa sur les lapins démembrés n’étaye pas non plus l’innocuité de l’EDTA.

[698] Comme je l’ai mentionné, même si la demande BR 601 divulguait l’utilisation d’EDTA avec les bisphosphonates, ce n’était pas lié à l’effet des aliments et aucun essai n’a été mentionné.

(c) Utilisation d’enrobages gastrorésistants

[699] Le Dr Yates a déclaré qu’il était évident que la biodisponibilité d’une formulation de risédronate à enrobage gastrorésistant pourrait être améliorée par l’ajout d’EDTA comme excipient. Il a affirmé qu’en raison de la séparation par rapport aux aliments assurée par l’utilisation de comprimés gastrorésistants, on s’attendrait à ce que l’absorption soit pharmaceutiquement efficace.

[700] Le Dr Yates a déclaré qu’il importe peu qu’une personne soit à jeun ou non lorsqu’elle prend un comprimé gastrorésistant, parce qu’un tel comprimé ne parvient à l’intestin grêle que lorsqu’il n’y a [traduction] « presque aucun contenu alimentaire dans la partie supérieure de l’intestin grêle » (c.-à-d. lorsque l’estomac est vide).

[701] Le Dr Yates a reconnu que, dans Mitchell 1996, on avait signalé qu’une formulation de risédronate à enrobage gastrorésistant, administrée 30 minutes avant la prise de nourriture, avait entraîné une réduction importante (de 80 à 100 %) de l’absorption. Toutefois, le Dr Yates ne souscrivait pas à cette conclusion. Le Dr Yates a indiqué que les détails de l’étude de Mitchell n’étaient pas connus et que Mitchell avait peut-être procédé à une libération colique.

[702] Le Dr Yates a mentionné que Blümel appuyait l’utilisation d’enrobages gastrorésistants avec des quantités plus élevées de bisphosphonates (alendronate) pour obtenir une efficacité pharmacologique similaire à celle d’une formulation à libération immédiate.

[703] Le Dr Yates considérait que Blümel avait indirectement mesuré l’absorption et la biodisponibilité. Il a également convenu que l’étude de Blümel n’avait pas été conçue pour mesurer l’effet des aliments. Toutefois, le Dr Yates a dit présumer qu’on n’avait pas demandé aux patients de jeûner pendant plus de 30 minutes, de sorte qu’à son avis, l’effet des aliments était pris en compte, parce que certains comprimés n’auraient pas quitté l’estomac 30 minutes après l’administration du médicament.

[704] En contre-interrogatoire, le Dr Yates a admis que Blümel ne mesurait pas directement l’absorption, de sorte qu’aucune comparaison ne pouvait être faite entre l’absorption d’un comprimé à enrobage gastrorésistant administré avec de la nourriture et l’absorption après quatre heures de jeûne. Le Dr Yates a déclaré ce qui suit : [TRADUCTION] « tout ce que nous pouvons dire, c’est que le comprimé à enrobage gastrorésistant s’est comporté, sur le plan de la suppression du renouvellement osseux, d’une manière très semblable à l’alendronate à libération immédiate pris une fois par jour ou une fois par semaine. C’est donc le point à retenir de Blümel. »

[705] Le Dr Yates a de nouveau fait référence à l’« onde de nettoyage », soulignant qu’un comprimé à enrobage gastrorésistant sera conservé dans l’estomac jusqu’à ce que la nourriture ait quitté l’estomac. Le Dr Yates a déclaré ceci : [TRADUCTION] « de toute évidence, cela signifie que l’interaction entre la nourriture et l’objet solide, tel qu’un comprimé gastrorésistant sera – il y aura une séparation. C’est tout ce que l’on doit savoir ». Il a ajouté qu’il était évident que l’effet des aliments serait ainsi surmonté.

[706] L’avocat d’Allergan a interrogé le Dr Yates au sujet de sa théorie selon laquelle il n’y aura pas d’effet des aliments si la forme pharmaceutique est recouverte d’un enrobage gastrorésistant. Le Dr Yates a ensuite nuancé son affirmation, indiquant que [TRADUCTION] « cela dépend des détails de la formulation, quant à savoir s’il y aura ou non une séparation adéquate entre l’aliment et le comprimé. Cela dépend des particularités de l’enrobage, du pH auquel il se dissout. Mais certainement, on s’attendrait à ce qu’un enrobage qui se dissout relativement rapidement après avoir quitté l’estomac surmonte l’effet des aliments ». Le Dr Yates a répondu que c’était l’explication probable de l’efficacité d’absorption de l’alendronate constatée par Blümel.

[707] Le Dr Yates a également soutenu que la demande WO 907 enseignait que la biodisponibilité du clodronate augmente de deux à quatre fois lorsqu’il est administré au moyen d’une formulation à enrobage gastrorésistant. Le Dr Yates a reconnu qu’il ne se rappelait pas s’il connaissait l’existence de la demande WO 907 avant sa participation au présent litige. Il a également reconnu que la demande WO 907 ne mentionne pas l’effet des aliments.

[708] Le Dr Yates estimait qu’il y avait plusieurs raisons possibles aux résultats contradictoires énoncés dans Blümel et dans la demande WO 907 par rapport aux résultats de Mitchell 1996, notamment le type de repas pris dans l’étude de Mitchell. Il a ajouté que cela donnait à penser qu’il faudrait modifier la formulation du risédronate à enrobage gastrorésistant afin d’améliorer la biodisponibilité.

[709] Le Dr Yates a convenu que personne n’avait étudié l’administration d’un comprimé à enrobage gastrorésistant 30 minutes avant la prise de nourriture, à l’exception de l’étude de McClung (qui n’est pas une antériorité), qui portait sur le risédronate.

[710] En contre-interrogatoire, le Dr Yates a convenu que de nombreux médicaments à enrobage gastrorésistant continuent d’être touchés par l’effet des aliments. De plus, des médicaments touchés par un effet des aliments n’ont pas été formulés avec un enrobage gastrorésistant. Le Dr Yates a mentionné qu’environ la moitié des médicaments administrés par voie orale subissent un certain effet des aliments.

[711] Le Dr Yates a également reconnu qu’il n’avait connaissance d’aucun médicament approuvé autre qu’ACTONEL DR et ATELVIA (aux États-Unis) qui comprenne à la fois un enrobage gastrorésistant et de l’EDTA.

[712] M. Parr a convenu que Mitchell 1996 avait étudié les formes pharmaceutiques de risédronate à enrobage gastrorésistant, par rapport au risédronate à libération immédiate, après quatre heures de jeûne et 30 minutes avant la prise de nourriture, et qu’il avait obtenu comme résultat que l’administration du produit à libération immédiate 30 minutes avant la prise de nourriture entraînait une réduction de 50 % de l’absorption, et que la forme pharmaceutique à enrobage gastrorésistant entraînait une réduction de l’absorption de 80 % à 100 %. M. Parr était d’accord pour dire que cela montrait un effet marqué des aliments, mais il a ajouté que la personne versée dans l’art aurait des questions concernant les détails de cette étude. Il a ajouté que la formulation présentait un vice de conception si elle entraînait une réduction de 100 % de l’absorption.

[713] D’après l’hypothèse qu’il avait tirée au sujet de la formulation à libération immédiate et d’après ses calculs, M. Parr s’est dit d’avis que la personne versée dans l’art s’attendrait à ce qu’une formulation de risédronate et d’EDTA à enrobage gastrorésistant prise avec de la nourriture assurerait une absorption du risédronate de l’ordre d’environ 50 % de l’absorption à jeun. Il a par la suite reconnu que des essais seraient nécessaires pour déterminer si l’absorption était pharmaceutiquement efficace.

[714] M. Cremers a convenu que la divulgation d’enrobages gastrorésistants pour les bisphosphonates en vue de réduire l’irritation des voies gastro-intestinales supérieures était connue. Il a aussi fait remarquer que les enrobages gastrorésistants peuvent être formulés pour libérer un médicament dans l’intestin ou dans l’estomac.

[715] M. Cremers a renvoyé à Mitchell 1996, affirmant que la personne versée dans l’art ne croirait pas qu’un enrobage gastrorésistant serait la solution si elle envisageait des moyens de surmonter l’effet des aliments en ce qui concerne le risédronate.

[716] M. Cremers ne souscrivait pas à certaines des opinions du Dr Yates sur Mitchell 1996 et les différences entre Mitchell 1996 et Blümel, soulignant qu’elles étaient fondées sur des conjectures.

[717] M. Cremers a rappelé que l’étude de Blümel portait sur l’alendronate, parfois avec un enrobage gastrorésistant, et avait pour objet de comparer les effets secondaires, en particulier les troubles digestifs. Blümel n’a pas directement évalué l’absorption de l’alendronate et ne visait pas à atténuer l’effet des aliments ni à déterminer si les formes pharmaceutiques étudiées pouvaient être prises avec ou sans nourriture.

[718] M. Cremers a décrit la demande WO 907, également citée par le Dr Yates, comme une étude sur six sujets concernant le clodronate avec enrobage gastrorésistant, laquelle ne portait pas sur l’effet des aliments sur les bisphosphonates ni sur la conception de formes pharmaceutiques pouvant être prises avec ou sans aliments.

[719] M. Cremers a fait remarquer que certains brevets révélaient l’utilisation d’enrobages gastrorésistants pour les bisphosphonates oraux, par exemple les brevets 479 et 559, mais qu’aucun n’enseignait que les enrobages gastrorésistants permettaient de surmonter l’effet des aliments ou d’obtenir une absorption similaire chez des sujets à jeun ou non à jeun.

(i) Conclusions sur les enrobages gastrorésistants

[720] Dans l’ensemble, la preuve relative à l’art antérieur au sujet des enrobages gastrorésistants n’enseigne pas à la personne versée dans l’art qu’un enrobage gastrorésistant atténuera l’effet des aliments sur le risédronate, que ce soit le risédronate seul ou le risédronate avec de l’EDTA. Mitchell 1996 n’est pas contredit par Blümel ou la demande WO 907, car ni l’un ni l’autre ne traitait de l’effet des aliments. Le point de vue du Dr Yates selon lequel Blümel traitait indirectement de l’effet des aliments repose sur une hypothèse et n’est pas convaincant. Mitchell 1996 demeure un document qui décourage l’utilisation d’une formulation de risédronate recouverte d’un enrobage gastrorésistant si l’objectif est de remédier à la faible biodisponibilité et à l’effet des aliments.

[721] L’explication du Dr Yates au sujet de l’« onde de nettoyage » ne me convainc pas que les enrobages gastrorésistants seraient en eux-mêmes la solution à l’effet des aliments et que la personne versée dans l’art s’en remettrait à cette théorie. Si cette théorie était largement acceptée, il semblerait logique que les enrobages gastrorésistants aient été utilisés régulièrement et plus tôt pour surmonter l’effet des aliments.

J. Les différences entre l’état de la technique et l’objet des revendications

[722] Pour résumer, en avril 2005, l’art antérieur ne comportait pas d’études où l’EDTA était utilisé pour surmonter l’effet des aliments sur les bisphosphonates. Comme je l’ai dit, la demande BR 601 ne portait pas sur l’effet des aliments et, de plus, elle ne divulguait aucun essai. Les antériorités ‒ en particulier Janner et Lin ‒ incitaient à éviter l’utilisation de l’EDTA pour améliorer l’absorption des bisphosphonates administrés par voie orale. L’EDTA était généralement sans danger, mais rien n’indiquait qu’il pouvait être utilisé dans les quantités mentionnées dans le brevet 188 ni que de telles quantités n’entraîneraient pas également une augmentation de l’absorption à jeun, ce que le brevet 188 cherchait à éviter.

[723] Comme l’a reconnu le Dr Yates, expert d’Apotex, la quantité d’EDTA utilisée comme excipient dans un médicament approuvé n’avait jamais dépassé 4 mg, et l’EDTA n’avait jamais été utilisé pour résoudre le problème de l’effet des aliments dans un médicament approuvé.

[724] Poiger ne [TRADUCTION] « prouve » pas – comme l’avançait le Dr Yates – que l’EDTA réglera l’effet des aliments. Poiger a étudié la tétracycline qui, comme l’a expliqué M. Cremers, n’a pas les mêmes propriétés que les bisphosphonates. Poiger était une petite étude qui concluait que des études plus poussées étaient justifiées et il semble que de telles études plus poussées n’aient pas été menées. Étant donné la quantité importante d’EDTA nécessaire (2,3 g) pour neutraliser moins d’une tasse de lait prise avec l’administration de tétracycline, Poiger n’enseignait pas, et prouvait encore moins, que l’EDTA constituait une solution au problème de l’effet des aliments sur les bisphosphonates oraux.

[725] Janner et Lin demeurent les antériorités qui incitaient à éviter l’utilisation de l’EDTA en date d’avril 2005.

[726] Même si l’EDTA était réputé être généralement sûr en certaines quantités, le Dr Dillberger a reconnu en contre-interrogatoire que ni Janner ni Lin n’avaient procédé à un examen de l’innocuité de l’EDTA ni fourni de renseignements à ce sujet. M. Parr a également convenu que ni l’étude de Janner ni celle de Lin n’avaient été conçues pour déterminer si l’EDTA avait des effets néfastes sur l’intégrité des muqueuses.

[727] En ce qui concerne les enrobages gastrorésistants, Mitchell 1996 demeure un document incitant à éviter leur utilisation avec le risédronate. Le fait que M. Parr et le Dr Yates se fondent sur d’autres antériorités n’étaye pas une opinion différente. Blümel n’a pas mesuré l’absorption du bisphosphonate (l’alendronate) ni rendu compte de cette absorption. Blümel n’a rien divulgué sur le moment de la prise de nourriture par rapport au moment de l’administration de la formulation. La conjecture du Dr Yates n’est que rien de plus que ce qu’elle est : une conjecture. La demande WO 907 porte sur une formulation de clodronate recouverte d’un enrobage gastrorésistant et ne fait aucune mention d’aliments ni de l’effet des aliments. Les brevets 559 et 932 concernent des capsules à enrobage gastrorésistant qui contiennent des liquides ou des semi-solides et des pompes osmotiques, et ne font pas mention de l’effet des aliments.

[728] Dans l’ensemble, la preuve étaye l’opinion que l’état de la technique en date d’avril 2005 ne révélait pas l’utilisation d’enrobages gastrorésistants pour résoudre le problème de l’effet des aliments sur un médicament. Comme je l’ai conclu précédemment, la demande BR 601 ne porte pas sur l’effet des aliments. Comme l’a reconnu le Dr Yates, d’autres médicaments à enrobage gastrorésistant continuent d’être touchés par l’effet des aliments et d’autres médicaments touchés par l’effet des aliments ne sont pas formulés avec un enrobage gastrorésistant. Si un enrobage gastrorésistant était la solution, il semble que l’utilisation des enrobages gastrorésistants à cette fin serait beaucoup plus répandue.

[729] L’explication du Dr Yates concernant l’onde de nettoyage ‒ selon laquelle les formes pharmaceutiques orales recouvertes d’un enrobage gastrorésistant, sans EDTA, règlent le problème de l’effet des aliments parce que la forme pharmaceutique séjourne dans l’estomac jusqu’à ce que tous les aliments en soient sortis et que l’estomac redevienne à jeun, après quoi elle est libérée dans un intestin grêle [TRADUCTION] « presque vide » ‒ n’est pas convaincante en ce qui concerne les bisphosphonates. Si les choses se présentaient comme le dit le Dr Yates, l’effet des aliments ne poserait pas le problème qu’il pose.

[730] Même si, d’après leur interprétation de l’art antérieur, les experts d’Apotex ne voyaient aucune différence entre l’état de la technique et l’objet des revendications, ils ont reconnu l’existence de différences possibles qui, à leur avis, étaient petites et faciles à combler.

[731] Allergan soutient que les différences n’étaient pas si petites et qu’elles résidaient dans la combinaison de tous les éléments, en quantités exactes, conjuguée avec une libération immédiate.

[732] Premièrement, à mon avis, les différences notées par le Dr Yates et M. Parr ne sont pas petites et ne sont pas les seules différences. Ces différences sont ce qui distingue le brevet 188 des antériorités, dont certaines concernaient les composants du brevet 188, mais ne portaient pas sur leur combinaison ni sur les quantités qui, ensemble, assurent une absorption pharmaceutiquement efficace dans des conditions d’administration avec nourriture et à jeun.

[733] Deuxièmement, bien que la demande BR 601 ait divulgué l’utilisation de bisphosphonates avec un agent chélatant et un enrobage gastrorésistant, la demande BR 601 ne comble pas les écarts pour les raisons susmentionnées, notamment le fait qu’elle ne portait pas sur l’effet des aliments et ne fournissait pas d’indications suffisantes quant au choix des substances, à leurs quantités ou à la nécessité d’un noyau à libération immédiate. La demande BR 601, combinée aux autres antériorités, ne comble pas non plus cet écart. Trop de choix doivent être faits sans aucune orientation ni possibilité de prédire ce qui fonctionnera.

K. Combler les différences exigeait une ingéniosité inventive; il n’était pas évident de tenter d’arriver à l’invention.

[734] Comme il est indiqué au paragraphe 169 de la décision Janssen 2020, la Cour citant l’arrêt Bridgeview :

[169] La Cour doit se méfier de la sagesse rétrospective des témoins experts. Comme notre Cour l’a récemment expliqué, « [i]l ne serait pas juste vis‐à‐vis la personne revendiquant une invention de combinaison de décomposer la combinaison en ses éléments pour conclure que, chacun de ceux‐ci étant bien connu, ladite combinaison est nécessairement évidente » (Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188 au para 51 [Bridgeview]). La question à se poser est celle de savoir si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes, la personne moyennement versée dans l’art serait directement et facilement arrivée à la solution enseignée par le brevet (Beloit Canada Ltd c Valmet Oy (1986), 8 CPR (3d) 289 (CAF) à la p 294).

[735] Bien que je n’attribue à aucun expert une subjectivité découlant d’un examen rétrospectif, je prends acte de l’appel à la prudence de l’arrêt Bridgeview. Cette jurisprudence est particulièrement pertinente en l’espèce parce que la question clé est de savoir si tous les enseignements et les antériorités qui incitaient à s’éloigner de l’invention permettraient à la personne versée dans l’art, dénuée d’imagination, d’utiliser sa capacité de déduction et de parvenir aux combinaisons nécessaires des composants essentiels pour réaliser l’objet des revendications en cause. Me fondant sur l’ensemble de la preuve, j’ai conclu que la personne versée dans l’art, faisant appel à ses connaissances générales courantes et à l’art antérieur, n’aurait pas été amenée directement et sans difficulté à combiner les éléments des revendications invoquées du brevet 188.

[736] Cette conclusion est soutenue par tous les facteurs qui guident l’examen de la question de savoir si le brevet 188 était évident.

(1) Il n’allait pas de soi de tenter d’arriver à l’invention et il n’était pas évident que l’invention fonctionnerait

[737] Il n’allait pas de soi de tenter d’arriver à l’invention ‒ la combinaison de risédronate et de l’EDTA dans un enrobage gastrorésistant avec une libération immédiate pour obtenir une absorption pharmaceutiquement efficace ‒, car il n’y avait aucune indication en ce sens dans l’art antérieur. Il n’allait pas de soi non plus que cette combinaison permettrait une absorption pharmaceutiquement efficace, qu’elle soit administrée avec ou sans aliments. Comme l’indique la jurisprudence, il ne s’agit pas de savoir s’il vaut la peine de tenter d’arriver à l’invention. Ce n’est pas le critère approprié (Pfizer, au para 29).

[738] Le Dr Yates a dit être d’avis qu’il allait de soi de tenter d’arriver à l’invention et que l’on pouvait s’attendre à ce que le nouveau médicament permette une absorption pharmaceutiquement efficace lorsqu’il est administré à une personne à jeun ou non à jeun, mais il a convenu qu’il n’existait en avril 2005 aucune donnée divulguant les résultats d’un quelconque essai portant sur un bisphosphonate oral et l’EDTA pour déterminer s’ils permettraient de surmonter l’effet des aliments.

[739] Le Dr Yates a reconnu que pour les médicaments oraux dont la biodisponibilité est faible, comme les bisphosphonates, il est nécessaire de mener une étude afin d’évaluer l’effet des aliments. Il a convenu qu’il est impossible de prévoir avec exactitude les conséquences de l’effet des aliments sur la biodisponibilité sans réaliser des études sur la biodisponibilité chez des personnes non à jeun.

[740] Le Dr Yates était également d’accord pour dire que, si une société pharmaceutique cherchait à élaborer une formulation à utiliser avec de la nourriture, en adoptant la même approche que le brevet 188, elle aurait à réaliser une étude clinique pour en déterminer l’efficacité. Les résultats ne pourraient être fondés sur des conjectures.

[741] M. Parr a également affirmé qu’il allait plus ou moins de soi, pour la personne versée dans l’art, de tenter d’arriver à l’invention. Il a ajouté qu’il allait plus ou moins de soi que la combinaison du risédronate et de l’EDTA dans une forme pharmaceutique à enrobage gastrorésistant permettrait d’administrer le risédronate avec de la nourriture et d’obtenir une absorption pharmaceutiquement efficace. Se fondant sur l’hypothèse qu’il avait tirée au sujet de la formulation à libération immédiate et sur ses calculs, M. Parr s’est dit d’avis que la personne versée dans l’art s’attendrait à ce qu’une formulation de risédronate et d’EDTA à enrobage gastrorésistant prise avec de la nourriture assurerait une absorption du risédronate de l’ordre d’environ 50 % de l’absorption à jeun. Toutefois, il a reconnu plus tard que des essais seraient nécessaires pour déterminer si l’absorption était pharmaceutiquement efficace.

[742] M. Cremers estimait au contraire qu’il ne serait pas allé de soi, pour la personne versée dans l’art, d’essayer de combler les écarts et d’arriver à l’invention. M. Cremers a noté que, même si l’art antérieur fournissait une motivation solide à résoudre le problème de l’effet des aliments, il ne contenait aucune solution directe à ce problème, et orientait vers d’autres directions pour tenter d’atténuer les inconvénients pour les patients, notamment la réduction de la fréquence d’administration. L’art antérieur ne fournissait pas de motivation à résoudre le problème de l’effet des aliments de la manière divulguée dans le brevet 188.

[743] M. Cremers a noté qu’en avril 2005, la personne versée dans l’art était au courant des exigences posologiques rigoureuses relatives aux bisphosphonates oraux et du fait que des sociétés pharmaceutiques et d’autres chercheurs travaillaient à réduire ces inconvénients, mais qu’ils n’étaient pas parvenus à obtenir une forme pharmaceutique orale de bisphosphonate surmontant directement l’effet des aliments.

[744] M. Cremers a affirmé qu’il avait fallu faire preuve d’inventivité pour poursuivre et mettre au point l’utilisation de l’EDTA en une quantité qui pourrait lier les ions métalliques et les minéraux, mais qui ne modifierait pas considérablement l’absorption des bisphosphonates en accroissant la perméabilité intestinale, signalant que l’art antérieur ne fournissait aucune indication quant à la quantité. De plus, il fallait de l’inventivité pour combiner le risédronate et l’EDTA dans une forme pharmaceutique orale à enrobage gastrorésistant de manière à libérer le risédronate et l’EDTA dans l’intestin grêle, et avec une quantité d’EDTA qui lierait efficacement les ions métalliques et les minéraux présents dans les aliments, sans pour autant modifier de manière importante l’absorption en accroissant la perméabilité intestinale à jeun. Il fallait également faire preuve d’ingéniosité inventive pour élaborer et obtenir les types, les quantités et les caractéristiques énoncés dans les revendications respectives afin d’assurer une [traduction] « absorption pharmaceutiquement efficace » et d’arriver à une forme pharmaceutique orale de bisphosphonate atténuant l’effet des aliments.

[745] M. Cremers a déclaré qu’il n’aurait pas été évident que ce qui faisait l’objet d’un essai devait fonctionner, car l’art antérieur n’enseignait pas de solution directe au problème de l’effet des aliments et il n’y avait pas de solutions ou d’approches prévisibles.

[746] Tous les experts ont convenu qu’il était impossible de faire des prédictions et que des essais cliniques sur les humaines seraient nécessaires. Le Dr Yates a nuancé ce point de vue en mettant l’accent sur les prédictions « exactes ». M. Parr a quant à lui déclaré que si les détails des formulations étaient connus, il pourrait faire des prédictions générales concernant les augmentations ou les diminutions. Cependant, de tels détails ne seraient pas connus sans essais successifs et de telles prédictions ne sont pas suffisantes pour qu’il soit évident que l’invention fonctionnerait.

[747] La jurisprudence a établi que la norme des chances raisonnables de succès – ce qui semble être le maximum qu’on puisse tirer des témoignages du Dr Yates et de M. Parr ‒ n’est pas suffisante (Eli Lilly Canada Inc. c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CAF 286 au para 4).

(2) Motivation

[748] Les témoignages des experts d’Apotex sont incohérents en ce qui concerne la motivation. D’après le Dr Yates, l’effet des aliments et les exigences restrictives en matière de prise à jeun des bisphosphonates ne représentaient que de petits inconvénients pour les patients, car ils pouvaient opter pour une prise hebdomadaire.

[749] Le Dr Yates a soutenu que P&G était motivée à résoudre l’effet des aliments uniquement parce qu’elle cherchait à se différencier sur le marché, notamment par rapport à Merck, qui avait une forme pharmaceutique hebdomadaire. Cependant, dans son rapport écrit, le Dr Yates a déclaré qu’il y avait une motivation « claire » à résoudre l’effet des aliments. Il a nuancé son point de vue, déclarant que son opinion écrite [traduction] « concerne la motivation d’une société comme P&G qui cherche à avoir une certaine différenciation de son produit par rapport au chef de file du marché, qui était Fosamax [...] Mais P&G était motivée parce qu’elle avait un problème pour différencier la prise de Fosamax une fois par jour et une fois par semaine et elle a vu cela comme un moyen de fournir une certaine différenciation ». Le Dr Yates a expliqué que seuls P&G ou d’autres qui avaient déjà un bisphosphonate sur le marché et qui cherchaient à différencier leurs produits auraient été très motivés à résoudre l’effet des aliments.

[750] Les commentaires du Dr Yates sur la motivation sont curieux, étant donné que cet expert a été prompt à déclarer que la demande BR 601 cherchait à résoudre l’effet des aliments parce qu’il s’agissait d’un problème important et bien connu, même si la demande BR 601 ne dit rien sur l’effet des aliments. Le Dr Yates a également interprété une autre antériorité comme traitant de l’effet des aliments, alors qu’elle ne le faisait pas. Le point de vue du Dr Yates contrastait également avec celui des autres experts, y compris celui de M. Parr, qui a déclaré que l’effet des aliments constituait un problème, tout comme les exigences rigides en matière de prise du médicament qui nuisaient à l’observance et au traitement des patients, et qu’il y avait une motivation à résoudre le problème. Les inventeurs ont expliqué que la résolution de ce problème était devenue leur défi personnel.

[751] Le point de vue du Dr Yates est celui d’une personne en marge, en particulier au regard de l’insinuation d’Apotex selon laquelle P&G pourrait avoir repris l’idée de l’invention de la demande BR 601 ou de Takeda. S’il n’y avait pas de motivation à résoudre l’effet des aliments, comme le soutient le Dr Yates, pourquoi les autres voudraient-ils s’attaquer à cette question?

[752] M. Cremers a expliqué qu’il y avait une motivation très profonde à remédier à l’effet des aliments et à alléger les exigences rigides en matière de prise du médicament, mais que personne ne l’avait fait directement. Or, l’art antérieur ne donnait aucune indication quant à la solution du problème. Les entreprises pharmaceutiques et les chercheurs ont exploré d’autres approches pour atténuer le problème, mais ces approches n’ont pas résolu l’effet des aliments.

(3) La nature et l’étendue de l’effort requis pour réaliser l’invention

[753] Les experts d’Apotex étaient généralement d’avis que les scientifiques de P&G ont perdu du temps devant l’impasse de l’administration colique, mais qu’à partir du moment où ils ont trouvé la bonne voie, ils ont fait ce que toute personne qualifiée aurait fait en se guidant sur l’art antérieur et les connaissances générales courantes pour réaliser l’invention. Cependant, en contre‐interrogatoire, M. Parr a reconnu que l’administration colique n’était pas inconnue et que d’autres brevets, y compris la demande WO 111, faisaient état de l’administration colique.

[754] Le Dr Yates a déclaré que le travail décrit dans le brevet 188 serait routinier pour la personne versée dans l’art. Il a fait remarquer que tous les exemples contenaient des quantités connues de risédronate et d’EDTA et comprenaient des excipients connus habituellement utilisés dans les formes à enrobage gastrorésistant. Il a ajouté qu’aucune des formulations présentées dans les exemples n’était [traduction] « hors du commun ».

[755] M. Parr a également déclaré que ce travail aurait fait partie des compétences et de la routine de la personne versée dans l’art.

[756] M. Cremers a adopté un point de vue différent, déclarant que, étant donné le manque d’orientation dans l’art antérieur, la personne versée dans l’art aurait dû s’engager dans un projet de mise au point de médicaments pour résoudre l’effet des aliments.

[757] M. Cremers a fait remarquer que la personne versée dans l’art aurait eu à élaborer un grand nombre de formulations d’essai, avec différents types et quantités de bisphosphonates et d’agents chélatants et de paramètres d’enrobage gastrorésistant comme variables dans chaque formulation, et mettre à l’essai chaque formulation dans le cadre d’une étude pharmacocinétique faisant appel à des volontaires humains afin de déterminer lesquelles, le cas échéant, permettraient une absorption similaire dans des conditions d’administration avec nourriture et à jeun. La personne versée dans l’art n’aurait pas été en mesure de prédire que la combinaison de ces éléments permettrait de surmonter l’effet des aliments.

[758] Selon M. Cremers, ce travail aurait été, de façon générale, familier à la personne versée dans l’art, mais il aurait nécessité une recherche considérable, une pensée innovante et de la créativité (que la personne versée dans l’art n’est pas censée avoir), et une expérimentation importante ‒ sans garantie de réussite. Il aurait probablement fallu plusieurs années à une équipe de mise au point de médicaments, même hautement qualifiée, pour parvenir au résultat souhaité.

[759] Le témoignage de M. Cremers sur la nature du travail nécessaire pour parvenir à l’invention est plus réaliste et plus convaincant que celui du Dr Yates et de M. Parr. Ces derniers semblent s’appuyer sur le fait que la divulgation du brevet 188 permettrait au formulateur versé dans l’art de parvenir facilement à l’invention. Ce n’est pas l’approche à adopter pour déterminer ce qui serait nécessaire pour parvenir à l’invention en l’absence de cette divulgation.

(4) La démarche des inventeurs

[760] La nature et l’étendue du travail requis et l’histoire de l’invention ou la démarche des inventeurs sont des facteurs étroitement liés (Bristol-Myers Squibb Canada Co c Teva Canada Ltd., 2017 CAF 76 au para 44). Dans la présente affaire, les deux facteurs mènent à la même conclusion : il ne s’agissait pas d’un travail simple, routinier ou rapide.

[761] Le Dr Yates a soutenu que la quantité de travail effectuée par les inventeurs était facilement à la portée des capacités d’une société pharmaceutique qui serait même de taille moyenne. Les études menées par les inventeurs, y compris l’étude 132, étaient relativement petites et du genre de celles qu’une personne versée dans l’art effectuerait couramment. Le Dr Yates a affirmé que la personne versée dans l’art aurait été étonnée du fait que les inventeurs aient concentré leurs efforts sur la libération dans le côlon. Selon lui, les inventeurs ont gaspillé environ trois ans à examiner cette possibilité. Le Dr Yates souligne que les inventeurs |||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| . Ils ont également utilisé 35 mg de risédronate dans toutes les formulations.

[762] M. Parr a déclaré que, mis à part les efforts consacrés à la libération dans le côlon, ce qu’aucune personne versée dans l’art n’aurait fait, les inventeurs et leur équipe de P&G ont suivi les étapes que la personne versée dans l’art aurait suivies. M. Parr a affirmé que les inventeurs avaient formulé l’idée d’ajouter de l’EDTA au début du projet ||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[763] En contre-interrogatoire, M. Parr a reconnu qu’il n’était pas au courant des antériorités qui prévoyaient l’administration colique de bisphosphonates. Il n’était pas non plus au courant d’autres médicaments permettant une absorption dans le côlon. M. Parr a convenu qu’il n’existait pas d’études dans l’art antérieur sur la possibilité de fournir un bisphosphonate qui soit absorbé dans le côlon. Selon lui, la question demeure toujours de savoir si une absorption colique est possible avec un bisphosphonate.

[764] MM. Burgio et Dansereau ont produit une preuve orale, écrite et documentaire qui décrivait en détail leur travail et en relataient l’évolution, notamment les diverses approches envisagées, les questions qu’ils se posaient, les revers essuyés et leurs efforts globaux sur une période de cinq ans. MM. Burgio et Dansereau ont décrit l’absence de succès de l’étude sur les chiens qui consistait à mettre à l’essai la libération colique; toutefois, malgré cet échec, ils ont persévéré en réalisant un essai sur des humains au moyen de capsules Enterion pour permettre une libération ciblée dans le tractus gastro-intestinal. Ils ont expliqué pourquoi ils avaient choisi d’utiliser certaines quantités de risédronate et d’EDTA. |||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||| Ils ont également expliqué leur choix d’un enrobage gastrorésistant et la nécessité de la libération immédiate dans l’intestin.

[765] D’après M. Cremers, les efforts des scientifiques de P&G ne seraient pas considérés comme routiniers pour la personne versée dans l’art.

[766] M. Cremers a examiné les documents de P&G qui relatent le travail des inventeurs. Il n’a pas souscrit à l’avis du Dr Yates et de M. Parr selon lequel le travail des inventeurs était routinier et non inventif. M. Cremers a décrit divers documents qui exposent le problème et les approches proposées à explorer, selon l’analogie des médailles de bronze, d’argent et d’or.

[767] Selon M. Cremers, il était évident que les scientifiques de P&G avaient envisagé de nombreuses options et approches différentes, ce qui indique qu’ils n’étaient pas sûrs qu’une solution particulière puisse réussir.

[768] M. Cremers a mentionné que les chercheurs avaient d’abord exploré l’absorption colique du risédronate. Selon M. Parr et le Dr Yates, le fait qu’il s’agissait d’une impasse aurait été connu, mais M. Cremers a exprimé un point de vue différent et a également souligné que le temps et les efforts consacrés à l’exploration de cette approche montraient qu’ils ignoraient quelle serait la solution.

[769] M. Cremers a également fait remarquer qu’Aventis, un partenaire de recherche de P&G dans le cadre de ce projet, avait retiré son soutien après l’échec de l’étude sur les chiens concernant la libération colique. M. Cremers a qualifié ce retrait de signe qu’Aventis ne pensait pas que P&G trouverait une solution à l’effet des aliments.

[770] M. Cremers a également décrit les deux études menées par P&G au moyen des capsules Enterion pour déterminer si la libération du risédronate et de l’EDTA dans le côlon ascendant pouvait accroître l’absorption par rapport à l’administration sans EDTA chez des patients à jeun. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. En 2004, une deuxième étude reposant sur l’utilisation d’Enterion, conçue pour simuler la présence d’aliments, a été réalisée. L’étude a révélé que, lorsque 35 mg de risédronate et 100 mg d’EDTA étaient administrés dans l’intestin grêle, aucun effet des aliments n’était observé.

[771] En plus des opinions divergentes des experts – d’une part, qu’il s’agissait d’un travail simple pour la personne versée dans l’art et, d’autre part, que des recherches, un engagement, des tâtonnements et des essais cliniques sur des humains étaient nécessaires – nous avons des preuves directes des deux inventeurs qui ont dirigé l’équipe de P&G. Rien ne laisse penser que les inventeurs étaient moins compétents que la personne versée dans l’art.

[772] À mon avis, les détails fournis par les inventeurs montrent que leur projet de recherche d’une solution à l’effet des aliments exigeait un engagement, du temps et des tâtonnements. La description qu’ont donnée les inventeurs de leurs travaux étaye la conclusion selon laquelle ils ne sont pas arrivés rapidement ou facilement à la solution à l’effet des aliments sur les bisphosphonates. Une équipe entière a exploré plusieurs options, dont certaines n’ont pas abouti. Les inventeurs ont connu plusieurs revers, mais ont persévéré. Leur premier examen portant sur l’administration dans le côlon n’a pas été fructueux, mais on ne peut pas dire qu’ils aient « gaspillé » leurs efforts, car l’administration colique n’était pas aussi inédite que l’ont laissé entendre M. Parr et le Dr Yates.

[773] Apotex cherche maintenant à minimiser la démarche suivie par les inventeurs comme s’il s’agissait simplement de l’un des nombreux facteurs qui permettent de trancher la question de savoir si l’invention résultait d’un essai allant de soi. J’ai examiné tous les facteurs et ils appuient tous la conclusion qu’il n’allait pas de soi tenter d’arriver à l’invention.

[774] La preuve n’établit pas, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était plus ou moins évident de tenter d’arriver à l’invention. La possibilité théorique qu’une formulation de la demande BR 601 soit conforme au brevet 188 ne rend pas l’invention évidente (Bridgeview, aux para 51‐52).

[775] En ce qui concerne l’argument d’Apotex selon lequel la personne versée dans l’art aurait fait des déductions ‒ qui ne sont pas inventives ‒ et serait facilement arrivée à l’invention du brevet 188 en se fondant sur plusieurs prémisses, je n’accepte pas toutes les prémisses sur lesquelles Apotex se fonde, notamment le fait que Poiger a enseigné l’utilisation de l’EDTA pour remédier à l’effet des aliments (utilisation que cette antériorité n’a pas appliqué aux bisphosphonates), le fait que la demande BR 601 enseignait l’utilisation de plus faibles quantités d’EDTA et d’enrobages gastrorésistants – également pour remédier à l’effet des aliments (ce qu’elle ne faisait pas) –, l’onde de nettoyage et l’utilisation d’enrobages gastrorésistants pour remédier à l’effet des aliments (ce que ces deux facteurs ne peuvent pas faire à eux seuls), et les essais courants permettant de déterminer les combinaisons et les quantités nécessaires.

[776] Je rejette la prétention d’Apotex selon laquelle il convient de tirer une inférence défavorable du fait qu’Allergan n’a pas expliqué la demande de brevet de Takeda, qui, selon Apotex, divulgue des éléments du brevet 188. La Cour ne dispose d’aucune preuve quant à l’objet de la demande de brevet de Takeda ou quant à son aboutissement, mais seulement d’insinuations fondées sur des extraits de transcriptions de la contestation similaire d’ATELVIA aux États-Unis. MM. Burgio et Dansereau ont déclaré qu’ils n’étaient pas au courant du contenu de la demande de Takeda. J’accepte ces témoignages.

[777] Je ne suis pas non plus influencée par les conclusions tirées par la cour américaine concernant l’évidence d’ATELVIA. Le droit canadien n’est pas identique au droit américain, et les témoignages que j’ai entendus ne sont pas non plus identiques. En outre, il semble que, dans le litige américain, les questions ont été restreintes à la suite d’un accord. J’ai évalué, en l’espèce, l’ensemble de la preuve concernant ACTONEL DR ‒ ni plus ni moins ‒ et j’ai tiré mes propres conclusions.

XI. Le brevet 188 est-il invalide pour cause de manque d’utilité, de divulgation insuffisante ou de portée excessive?

A. Arguments d’Apotex

[778] Apotex soutient que les revendications du brevet 188 comprennent des éléments qui ne mènent pas à ce que l’invention prétend inventer, c’est-à-dire des formulations qui permettent une absorption pharmaceutiquement efficace. Elle ajoute que les formulations à épaisseur d’enrobage plus élevée de l’étude 132, qui sont données comme exemples dans le brevet 188, ne fonctionnent pas.

[779] Apotex souligne que, dans le cadre du marché inhérent à l’octroi d’un brevet, le breveté doit décrire pleinement l’invention et la manière de la mettre en pratique en termes clairs et précis. Apotex soutient que le brevet 188 omet des détails pertinents et est trompeur. Elle fait valoir que le brevet 188 divulgue que les formulations à enrobage épais fonctionneront, ce qui n’est pas le cas, et ne divulgue pas que les enrobages épais et minces auront des performances différentes.

[780] Apotex fait valoir que la personne versée dans l’art qui s’appuierait sur la divulgation découvrirait que certaines formulations ne permettront pas d’absorption pharmaceutiquement efficace et qu’il lui faudrait entreprendre des recherches, élaborer des formulations et mener des études sur la biodisponibilité pour ajuster la formulation. Autrement dit, la divulgation ne lui permettrait pas de réaliser l’invention à la lecture du brevet, ce qui contrevient au marché inhérent à l’octroi d’un brevet.

[781] Apotex soutient qu’une seule des quatre formulations de l’étude 132 ‒ la formulation avec un enrobage gastrorésistant de 10 % ‒ a entraîné une absorption pharmaceutiquement efficace. Une formulation identique et deux autres, qui présentaient toutes un enrobage gastrorésistant de 30 %, ne l’ont pas fait. Apotex soutient que le témoignage de MM. Burgio et Dansereau ‒ ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||| ‒ présente une nouvelle théorie.

[782] Apotex affirme que le fait qu’elle se soit appuyée sur la divulgation pour mettre au point son propre produit, qui permet également une absorption pharmaceutiquement efficace, n’est pas pertinent pour déterminer le caractère suffisant de la divulgation ou l’utilité du brevet 188.

[783] Apotex soutient également que le brevet 188 revendique plus que ce qu’il a divulgué et qu’il est par conséquent également invalide pour cause de portée excessive.

B. Arguments d’Allergan

[784] Allergan fait observer que le seuil pour établir l’utilité est bas et qu’il n’est pas nécessaire que chaque utilisation potentielle soit réalisée; une parcelle d’utilité suffit. Une seule utilisation liée à la nature de l’objet est suffisante (AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc., 2017 CSC 36 au para 55 [AstraZeneca]).

[785] Allergan soutient que l’utilité des revendications du brevet 188 a été démontrée. Elle précise que l’utilité ne doit pas être démontrée dans le brevet lui-même. Allergan souligne le travail des inventeurs avant la date de dépôt, y compris l’étude 132.

[786] Allergan conteste l’allégation d’Apotex selon laquelle le brevet 188 revendique des réalisations qui ne fonctionnent pas. Allergan soutient que les résultats de l’étude 132 ont montré qu’un comprimé à libération retardée de 35 mg de risédronate et de 100 mg d’EDTA, dont la libération serait immédiate et ciblée dans l’intestin grêle, permettrait une absorption pharmaceutiquement efficace. Allergan renvoie aux témoignages MM. Burgio et Dansereau.

[787] Allergan souligne que, dans la décision Astrazeneca Canada Inc. c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 1023, conf par 2012 CAF 109, la Cour a déclaré, au paragraphe 168, que « [p]our démontrer l’utilité, il suffit que les résultats des tests [traduction] “donnent fortement à penser” que l’invention est utile et qu’aucune autre explication logique n’est envisageable en ce qui concerne les résultats des tests ». Allergan soutient que l’étude 132 donne fortement à penser que les formulations revendiquées dans le brevet 188 permettront une absorption pharmaceutiquement efficace et qu’il n’y a pas d’autre explication aux résultats de l’étude 132.

[788] Allergan note que les inventeurs ont expliqué que dans l’étude 132, ||||||||||||||| ||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. MM. Burgio et Dansereau ont également expliqué que l’étude 132 incluait d’autres formulations ||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| .

[789] Allergan ajoute que les résultats des essais de l’étude 132 pour le ||||||||||||||| ||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[790] Allergan conteste que le brevet 188 revendique plus que ce qu’il a divulgué; il n’a pas une portée excessive.

[791] Allergan souligne que le brevet ne rend pas intelligible l’invention en omettant de divulguer que l’épaisseur d’enrobage de 10 % fonctionne, alors qu’une épaisseur d’enrobage de 30 % ne fonctionnerait pas. Elle réaffirme que les deux fonctionneront. Allergan précise que les exemples I et III du brevet 188 enseignent des formulations qui permettront une absorption pharmaceutiquement efficace, qu’elles soient prises avec ou sans aliments ou boissons.

[792] Allergan soutient que le brevet 188 divulgue tous les éléments nécessaires pour que la personne versée dans l’art puisse réaliser l’invention.

C. La jurisprudence pertinente en matière d’utilité, de divulgation suffisante et de portée excessive

[793] La Cour suprême du Canada a clarifié, aux paragraphes 42 et 43 de l’arrêt AstraZeneca, le critère de l’utilité et la distinction entre les exigences de la Loi sur les brevets énoncées à l’article 2 (concernant l’utilité) et au paragraphe 27(3) (concernant la divulgation) :

[42] Le paragraphe 27(3) de la Loi prévoit que, dans le mémoire descriptif, un « breveté doit fournir une description de l’invention “comportant des détails assez complets et précis pour qu’un ouvrier, versé dans l’art auquel l’invention appartient, puisse construire ou exploiter l’invention après la fin du monopole” » : Whirlpool, par. 42, citant Consolboard, p. 517).

[43] Il existe une différence entre la condition prévue à l’art. 2 voulant que l’invention soit « utile » (« useful » dans la version anglaise de la disposition) et l’obligation de divulguer l’« application ou exploitation » de l’invention énoncée au par. 27(3). Comme l’a expliqué le juge Dickson (plus tard juge en chef) dans Consolboard, la première est une « condition essentielle pour qu’il y ait invention », et la seconde une « exigence de divulgation, indépendante de la première » :

. . . la Cour d’appel fédérale a aussi commis une erreur en jugeant que le par. 36(1) [aujourd’hui les par. 27(3) et (4)] exige une indication distincte de l’utilité réelle de l’invention en cause. Il y a un exposé utile dans Halsbury’s Laws of England, (3e éd.), vol. 29, à la p. 59 sur le sens de « inutile » en droit des brevets. Le terme signifie [traduction] « que l’invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu’elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu’elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu’elle fera ». On n’a pas prétendu que l’invention ne produirait pas les résultats promis. . . .

. . . la Cour d’appel fédérale a confondu l’exigence de l’art. 2 de la Loi sur les brevets, qui définit une invention comme une chose nouvelle et « utile » et celle du par. 36(1) [aujourd’hui l’al. 27(3)] de la Loi sur les brevets selon laquelle le mémoire descriptif doit faire état de l’usage auquel l’inventeur a prévu employer l’invention. La première est une condition essentielle pour qu’il y ait invention, et la seconde est une exigence de divulgation, indépendante de la première. [Je souligne.]

(Consolboard, p. 525 et 527).

Même si le passage cité précédemment utilise le terme « promis », celui‐ci ne renvoie pas à la doctrine de la promesse ni ne l’incarne.

[794] Dans l’arrêt AstraZeneca, la Cour a également énoncé le critère de l’utilité, aux paragraphes 54 et 55 :

[54] Pour déterminer si un brevet divulgue une invention dont l’utilité est suffisante au sens de l’art. 2, les tribunaux doivent procéder à l’analyse suivante. Ils doivent d’abord cerner l’objet de l’invention suivant le libellé du brevet. Puis, ils doivent se demander si cet objet est utile – c’est‐à‐dire, se demander s’il peut donner un résultat concret.

[55] La Loi ne prescrit pas le degré d’utilité requis. Elle ne prévoit pas non plus que chaque utilisation potentielle doit être réalisée — une parcelle d’utilité suffit. Une seule utilisation liée à la nature de l’objet est suffisante, et l’utilité doit être établie au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable à la date de dépôt (AZT, par. 56).

[795] Récemment, dans l’arrêt Apotex Inc. c Janssen Inc., 2021 CAF 45 [Apotex 2021], la Cour d’appel fédérale a abordé le droit en ce qui concerne l’utilité, confirmant au paragraphe 49 ce qui suit :

[49] De plus, il n’est pas nécessaire que les tests montrent de façon concluante l’utilité requise : Donald H. MacOdrum, Fox on the Canadian Law of Patents, 5e éd., s. 6:13(a); Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2009 CF 638, 76 CPR (4th) 83 au para. 87, conf. par 2010 CAF 242, 88 CPR (4th) 405, infirmé pour d’autres motifs, 2012 CSC 60, [2012] 3 R.C.S. 625. Il suffit que les résultats des tests donnent fortement à penser que l’invention est utile et qu’aucune autre explication logique n’est envisageable en ce qui concerne les résultats des tests : AstraZeneca Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 1023, 96 CPR (4th) 159, au para. 168, conf. par 2012 CAF 109, 101 CPR (4th) 275. À cet égard, les taux d’APS semblent suffisants.

[796] La Cour d’appel fédérale a également convenu que les résultats des essais doivent être interprétés dans le contexte de l’ensemble des résultats, déclarant au paragraphe 41 ce qui suit :

[41] La Cour fédérale a précisé les lacunes de chacune des études 001 et 004, mais elle a fait remarquer que les résultats de celles-ci doivent être interprétés à la lumière de l’ensemble des résultats, à moins qu’un seul essai ne montre de façon concluante que le composé n’avait aucune utilité : motifs, au paragraphe 214; Teva Canada Limited c. Novartis AG, 2013 CF 141, 428 F.T.R. 1 aux para. 215 et 216 (la décision Teva). Je souscris à l’énoncé au paragraphe 215 de la décision Teva suivant lequel les essais devraient être pris dans leur ensemble pour évaluer l’utilité démontrée.

[797] Au paragraphe 112 de la décision Valeant, la Cour a expliqué ceci, en ce qui concerne la divulgation suffisante :

[112] En vertu du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, le mémoire descriptif d’un brevet doit décrire d’une façon exacte et complète l’invention. Les questions que la Cour doit se poser pour déterminer si la description est suffisante sont les suivantes : a) En quoi consiste l’invention? b) Comment fonctionne‐t‐elle? et c) N’ayant que le mémoire descriptif, une PVA peut‐elle réussir à produire l’invention en utilisant uniquement les instructions contenues dans la divulgation? Le fait qu’il pourrait être nécessaire pour la PVA de procéder à des essais dénués de caractère inventif pour réaliser l’invention ne rend pas la divulgation d’un brevet insuffisante (Apotex Inc. c Shire LLC, 2018 CF 637, paragraphe 151; Teva Canada Limited c Leo Pharma Inc., 2017 CAF 50, paragraphes 55, 56 et 60; Teva Canada Ltd. c Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, paragraphes 50 et 51).

D. Les revendications ne sont pas invalides pour cause de manque d’utilité, de divulgation insuffisante ou de portée excessive.

[798] Apotex n’a pas établi que les revendications du brevet 188 sont invalides pour cause de manque d’utilité ou de divulgation insuffisante, ni que leur portée est excessive.

[799] Il n’y a pas de preuve concluante que les formulations à enrobage plus épais de l’étude 132 ne permettraient pas une absorption pharmaceutiquement efficace. La preuve est le témoignage des inventeurs, à savoir que dans une étude plus large, les formulations le permettraient. Comme il est indiqué dans la décision AstraZeneca, le fait que les résultats donnent fortement à penser que l’invention est utile peut être suffisant.

[800] M. Burgio a expliqué que, dans l’étude 132, les résultats du prototype à enrobage mince ont montré que la quantité de 100 mg d’EDTA avec 35 mg de risédronate facilitait l’absorption chez un patient qui a consommé des aliments, sans modifier considérablement l’absorption (c.‐à‐d. accroître la perméabilité intestinale) chez un patient à jeun. Il a expliqué en outre que ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[801] M. Burgio a reconnu que les résultats obtenus pour les trois autres formulations prototypes ne montraient pas une absorption similaire lorsqu’elles sont prises avec nourriture ou à jeun. Il a expliqué que ||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[802] M. Burgio a aussi expliqué ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||| |||||||.

[803] |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[804] M. Sinko a également expliqué qu’en raison de ||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||, on ne pouvait pas conclure que cela ne permettrait pas une absorption pharmaceutiquement efficace. Il a expliqué que cette formulation aurait pu le faire, et le ferait dans une étude plus large.

[805] L’objet des revendications – une formulation orale qui peut être prise avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons, contenant 35 mg de risédronate et de 100 mg d’EDTA dans un enrobage gastrorésistant assurant une libération immédiate dans l’intestin grêle – a une utilité concrète. La preuve corrobore que la formulation, même avec l’enrobage plus épais, compte tenu de la grande variabilité de l’absorption, permettra probablement aussi une absorption pharmaceutiquement efficace, qu’elle soit prise avec ou sans nourriture. De plus, même si l’absorption ne correspond pas à la définition stricte d’une [traduction] « absorption pharmaceutiquement efficace », il y aura absorption et effet positif sur le traitement de l’ostéoporose. Il y aurait davantage qu’une parcelle d’utilité.

[806] Comme il a été confirmé dans l’arrêt Apotex 2021, les résultats des essais doivent être considérés dans le contexte de l’ensemble des essais. Un essai ou une formulation qui pourrait ne pas permettre une absorption pharmaceutiquement efficace n’indique pas nécessairement que l’invention ne satisfait pas à l’exigence d’utilité.

[807] Il n’y a aucun doute que la formulation contenant 35 mg de risédronate et 100 mg d’EDTA dans un enrobage gastrorésistant de 10 % fonctionnait et qu’elle respecterait le critère peu exigeant d’une « parcelle d’utilité ». De plus, tout porte à croire que les formulations avec un enrobage de 30 % procureraient également une absorption pharmaceutiquement efficace, et il n’existe aucune preuve concluante ni même convaincante que les formulations avec un enrobage de 30 % ne seraient pas utiles.

[808] Apotex n’a pas fourni d’éléments de preuve contredisant les témoignages de MM. Dansereau ou Burgio quant à leur opinion ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||about a larger study|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. De plus, même les experts d’Apotex ont indiqué que, malgré la variabilité de l’absorption d’une dose à l’autre, il y a un effet positif sur le traitement tant que la formulation est prise régulièrement; autrement dit, les formulations seraient utiles.

[809] Le Dr Yates, en se prononçant sur la question de savoir si l’invention était un essai allant de soi et s’il était évident qu’elle fonctionnerait, a fait remarquer que les formulations du brevet 188 étaient à la portée de la personne versée dans l’art et que leur préparation serait simple et relèverait du cours normal de son travail. Contrairement à la prétention d’Apotex, cette opinion confirme la conclusion selon laquelle la divulgation était suffisante pour la personne versée dans l’art et que celle-ci pouvait procéder à des essais successifs dénués de caractère inventif pour ajuster l’enrobage au besoin (Valeant, au para 112).

[810] La divulgation du brevet 188 fournit suffisamment de détails pour permettre à la personne versée dans l’art de réaliser les revendications du brevet 188. Le fait qu’un travail non inventif puisse être nécessaire ne signifie pas que la divulgation n’est pas suffisante.

[811] En conclusion, Apotex n’a pas réfuté la présomption de validité du brevet 188. Elle n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que le brevet 188 est antériorisé par la demande BR 601 ni qu’il est évident. Elle n’a pas non plus établi, selon la prépondérance des probabilités, que le brevet 188 est invalide pour cause de manque d’utilité, de divulgation insuffisante ou de portée excessive.

XII. Apotex contrefait-elle les revendications du brevet 188?

A. Arguments d’Allergan

[812] Allergan soutient qu’Apotex contrefera le premier ensemble de revendications invoquées en fabriquant et en vendant APO-RISEDRONATE DR et incitera également à la contrefaçon du deuxième ensemble de revendications (les revendications d’utilisation) parce que APO‐RISEDRONATE DR est destiné à être utilisé pour traiter l’ostéoporose.

[813] Allergan conteste la position d’Apotex selon laquelle le premier ensemble de revendications invoquées vise des revendications d’« utilisation de produit » et ces revendications ne seraient contrefaites que si le produit est indiqué dans la monographie de produit proposée pour exactement la même utilisation. Allergan soutient que l’ensemble de revendications invoquées vise simplement des revendications de produit, à savoir la forme pharmaceutique orale.

[814] Allergan soutient que le premier ensemble de revendications concerne une nouvelle forme pharmaceutique de risédronate; l’invention est la forme pharmaceutique (c’est-à-dire une chose) qui peut être utilisée avec ou sans prise d’aliments ou de boissons. Le brevet ne revendique pas une nouvelle utilisation d’un ancien produit. Il ne revendique pas non plus une utilisation pour le traitement d’une autre affection ou maladie. Allergan soutient que la jurisprudence invoquée par Apotex ne s’applique pas, car les revendications invoquées sont simplement des revendications de produit.

[815] Comme il est indiqué dans l’analyse relative à l’interprétation des revendications, Allergan s’appuie sur Fox et sur le principe selon lequel le mot [traduction] « pour » dans une revendication de produit doit être interprété comme signifiant que le produit [traduction] « convient pour l’utilisation ». Allergan soutient que la forme pharmaceutique orale revendiquée peut être utilisée avec ou sans aliments ou boissons, car elle permet une absorption pharmaceutiquement efficace dans les deux cas.

[816] Allergan souligne qu’Apotex concède que APO-RISEDRONATE DR comprendra tous les éléments revendiqués de l’ensemble des revendications invoquées et que son produit permettra une absorption pharmaceutiquement efficace, qu’il soit pris avec ou sans aliments. Par conséquent, APO-RISEDRONATE DR convient pour l’utilisation avec ou sans aliments et, par conséquent, il contrefera les revendications du brevet 188.

[817] Allergan ajoute que la question de savoir si le produit est utilisé n’est pas pertinente pour la contrefaçon du premier ensemble de revendications invoquées. Tant la fabrication que la vente du produit par Apotex est un acte de contrefaçon; il n’est pas nécessaire d’utiliser le produit pour qu’il y ait contrefaçon.

[818] Allergan soutient que lorsque ce qui est revendiqué est nouveau et inventif, comme dans le premier ensemble de revendications invoquées, les revendications sont de pures revendications de produit et la fabrication et la vente du produit par un fabricant de produits génériques peuvent constituer une contrefaçon. Si le produit est ancien et que l’utilisation est nouvelle, la fabrication et la vente ne constituent pas une contrefaçon, à moins que l’intention de contrefaire ne soit prouvée, par exemple dans la monographie de produit.

[819] Selon Allergan, le deuxième ensemble de revendications, concernant l’utilisation du produit pour le traitement de l’ostéoporose, ne serait pas directement contrefait par Apotex par la fabrication et la vente de son produit. Toutefois, l’utilisation du produit d’Apotex constituerait une contrefaçon.

[820] Allergan soutient que la jurisprudence invoquée par Apotex (par exemple, AB Hassle et BMS 2017) n’est pas pertinente et ne s’applique pas, car les revendications en cause dans les affaires invoquées visaient une nouvelle utilisation d’un produit ancien ou existant.

[821] Allergan soutient que la décision Bayer AG c Apotex Inc., [1995] OJ No 141, 60 CPR (3d) 58 (Div gén) [Bayer (Nifedipine)], conf par [1998] OJ No 3849, 82 CPR (3d) 526 (CA), est analogue et applicable à la présente affaire. Allergan souligne que dans la décision Bayer (Nifedipine), le brevet revendiquait une nouvelle capsule à libération orale instantanée d’un ancien médicament, la nifédipine, pour traiter l’angine de poitrine (l’utilisation existante). La capsule à libération orale était décrite dans le brevet comme ayant une enveloppe qui contenait la composition pharmaceutique; on pouvait libérer la composition en mordant et en brisant l’enveloppe, plutôt que d’avaler la capsule entière. La Cour a indiqué qu’il s’agissait d’une revendication de produit et n’a pas abordé la façon dont la capsule orale devait être utilisée, mais a conclu que le principe actif pouvait être libéré en mordant l’enveloppe, caractéristique que le produit générique possédait également. La Cour a conclu que l’intention de contrefaire n’était pas pertinente pour la contrefaçon de fait.

[822] Allergan soutient que, puisque le premier ensemble de revendications invoquées vise des revendications de produit, ce qui est important selon la décision Bayer (Nifedipine) n’est pas de savoir comment le produit doit être utilisé, mais plutôt en quoi consiste le produit. Allergan ajoute qu’en fait, le produit d’Apotex est une forme pharmaceutique orale qui peut être utilisée avec ou sans aliments ou boissons et qui permettra une absorption pharmaceutiquement efficace dans les deux cas.

[823] Allergan fait remarquer que dans la décision Bayer (Nifedipine), la Cour a conclu qu’Apotex avait contrefait la revendication, même si la monographie de son produit indiquait que le comprimé devait être avalé entier. La Cour a rejeté l’argument d’Apotex selon lequel cette dernière n’avait pas contrefait la revendication parce que son produit générique devait être avalé entier et non maché. Allergan soutient que le même raisonnement s’applique en l’espèce; il importe peu qu’il soit indiqué que le produit d’Apotex peut être pris avec ou sans aliments, car il convient et peut être pris des deux façons.

[824] Allergan soutient également que la décision Janssen 2020, également invoquée par Apotex, ne s’applique pas, car les revendications en cause dans cette affaire concernaient un nouveau schéma posologique pour un produit existant destiné à être utilisé pour traiter la même maladie. Allergan fait valoir que, même si la décision Janssen 2020 était applicable, elle n’appuierait pas la position d’Apotex. Allergan fait remarquer que la Cour a conclu que, même si la monographie de produit générique n’était pas une instruction de contrefaçon, quand on la lisait dans son intégralité, on trouvait des renseignements qui enseignaient que le produit pouvait être administré selon le nouveau schéma posologique revendiqué.

[825] Allergan soutient que, malgré la monographie proposée d’APO-RISEDRONATE DR, qui reproduit la monographie d’ACTONEL DR, et qui indique que le produit [traduction] « doit être pris avec des aliments » et avertit [traduction] « [n]e pas prendre APO-RISEDRONATE DR avant de manger ou à jeun, car il peut causer des douleurs abdominales », la monographie proposée enseigne, si on lit l’ensemble du document, que APO‐RISEDRONATE DR peut être utilisé avec ou sans aliments et qu’il en résultera une absorption similaire. En d’autres termes, le médicament n’est pas limité à une utilisation avec des aliments.

[826] Allergan affirme que le produit d’Apotex contrefera les revendications invoquées, parce que APO-RISEDRONATE DR [traduction] « convient pour » l’utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons parce qu’il permettra, dans un cas comme dans l’autre, une absorption pharmaceutiquement efficace. Allergan soutient en outre qu’il importe peu que le produit soit utilisé ou non, ou de quelle manière il est censé être utilisé, car le résultat est qu’il permet une absorption pharmaceutiquement efficace et un traitement de l’ostéoporose.

[827] Allergan signale la mention, dans la monographie du produit, de l’étude croisée qui a comparé la biodisponibilité du produit lorsqu’il était pris au déjeuner et quatre heures avant la consommation d’aliments (c.-à-d. à jeun), et qui a montré une réduction de 30 % de l’absorption. Allergan soutient que ce renseignement, tel que l’a expliqué le Dr Adachi, informerait le médecin et d’autres personnes que le produit peut être pris avec ou sans nourriture et permettrait une absorption pharmaceutiquement efficace.

[828] Allergan signale également que l’avertissement concernant les douleurs abdominales hautes figure aussi dans la monographie d’ACTONEL DR. Allergan note que le Dr Adachi a expliqué que les réactions gastro-intestinales hautes étaient légères ou modérées et n’ont pas entraîné l’interruption du traitement. Allergan ajoute que des douleurs abdominales hautes pourraient aussi survenir si le médicament est pris avec de la nourriture. Elle soutient que l’étude de Modi, A. et coll., « Gastrointestinal symptoms and association with medication use patterns, adherence, treatment satisfaction, quality of life, and resource use in osteoporosis: baseline results of the MUSIC-OS study » (2016), Osteoporos Int 27:1227-38 [l’étude MUSIC‐OS], qui a fait état d’une gamme d’effets secondaires des bisphosphonates en général, ne porte pas à penser que les douleurs abdominales hautes étaient une raison pour laquelle les patients interrompaient leur traitement au risédronate, soulignant que seule une minorité de tous les utilisateurs de bisphosphonates l’ont fait dans l’étude.

[829] En ce qui concerne les revendications d’utilisation (pour le traitement) et la revendication relative à une trousse, Allergan note qu’APO-RISEDRONATE DR est indiqué dans le traitement de l’ostéoporose chez les femmes postménopausées, selon un régime posologique hebdomadaire. Par conséquent, Apotex incitera à la contrefaçon de l’ensemble de revendications d’utilisation. De même, la revendication relative à la trousse sera contrefaite, car APO-RISEDRONATE DR sera offert en plaquettes alvéolées, ce qui constitue un moyen de faciliter l’observance.

B. Arguments d’Apotex

[830] Apotex soutient qu’Allergan ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir qu’APO-RISEDRONATE DR contrefera les revendications invoquées. Selon Apotex, une revendication relative à une composition pharmaceutique ou à une forme pharmaceutique qui est [traduction] « pour utilisation » d’une certaine façon ne sera contrefaite que s’il est indiqué dans la monographie de produit d’une composition ou forme pharmaceutique que celle‐ci vise cette utilisation.

[831] Apotex renvoie à la monographie de produit qu’elle propose, qui indique clairement qu’APO-RISEDRONATE DR ne doit être pris qu’avec des aliments. Le patient n’a pas le choix de prendre la forme pharmaceutique orale avec ou sans aliments, contrairement à l’invention revendiquée dans le brevet 188. Apotex soutient que son produit ne contient pas l’invention du brevet 188 et qu’il ne contient pas l’élément essentiel de l’expression [traduction] « pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons ». Par conséquent, il n’y a pas de contrefaçon.

[832] Apotex soutient que l’argument d’Allergan – selon lequel les revendications invoquées sont des revendications de produit et que l’intention d’utilisation ne compte pas – ne tient pas compte des mots clairs des revendications.

[833] Comme on l’a vu ci-dessus en ce qui concerne l’interprétation des revendications, Apotex qualifie le premier ensemble de revendications invoquées de revendications d’« utilisation de produit » étant donné que la forme pharmaceutique orale est [traduction] « pour utilisation avec ou sans aliments [...] », ce qui fait partie intégrante de la revendication et de l’invention.

[834] Apotex soutient que la décision Bayer (Nifedipine), invoquée par Allergan, ne s’applique pas. Dans cette affaire, la revendication portait simplement sur le produit, sans aucune référence à la manière dont il devait être utilisé.

[835] Apotex soutient que la décision AB Hassle s’applique en l’espèce. La revendication en cause dans cette affaire concernait l’oméprazole pour une utilisation dans le traitement d’une infection bactérienne (campylobacter). La Cour a conclu que son utilisation pour des infections autres que le campylobacter ne constituerait pas une contrefaçon. Apotex soutient que la situation est analogue en l’espèce, car l’utilisation d’APO-RISEDRONATE DR n’est pas [traduction] « pour utilisation avec ou sans aliments ou boissons [...] » et, selon la décision AB Hassle, Apotex ne commettrait pas de contrefaçon.

[836] Apotex invoque également la décision BMS 2017. Dans cette affaire, la revendication en cause concernait une composition pharmaceutique d’aripiprazole (un médicament existant) pour le traitement du trouble bipolaire et non pour la schizophrénie comme il était revendiqué initialement. La Cour s’est référée à la monographie de produit et a conclu que le produit générique n’était pas fabriqué pour l’usage revendiqué et, par conséquent, qu’il ne constituait pas une contrefaçon. Apotex a reconnu que si son produit était utilisé pour le trouble bipolaire, il fonctionnerait, mais qu’il n’était pas destiné à cet usage.

[837] Apotex soutient qu’en l’espèce APO-RISEDRONATE DR est destiné à être utilisé uniquement avec des aliments et non pour l’utilisation revendiquée [traduction] « avec ou sans aliments [...] ». Cependant, si APO-RISEDRONATE DR était pris sans aliments, il serait quand même efficace. Selon la décision BMS 2017, le fait qu’il puisse être utilisé de la sorte n’est pas pertinent, car il n’est clairement pas destiné ou indiqué pour une telle utilisation, mais uniquement pour une utilisation avec des aliments.

[838] Apotex fait valoir que la décision Janssen 2020 n’appuie pas la position d’Allergan. Contrairement à la situation dans l’affaire Janssen 2020, il n’y a rien dans la monographie proposée pour APO-RISEDRONATE DR qui indique que le produit est destiné au schéma posologique revendiqué, c’est-à-dire à être utilisé avec ou sans aliments. Apotex soutient qu’une [traduction] « phrase sortant du sujet » concernant la pharmacocinétique n’indique pas que le produit peut être utilisé avec ou sans aliments. La partie essentielle de la monographie de produit est la section « Posologie et administration ».

[839] Apotex soutient que les parties les plus pertinentes de la monographie de produit se trouvent dans la section « Posologie et administration », qui indique clairement que le médicament « doit être pris le matin, avec le déjeuner ». Apotex ajoute que cette directive est réitérée dans la section « Renseignements pour le patient sur le médicament » et dans le feuillet de renseignements à l’intention des patients, fournie par les pharmaciens et les médecins comme faisant partie de la monographie de produit d’Apotex.

[840] Apotex fait également valoir que le Dr Adachi a tenté de minimiser l’incidence des douleurs abdominales hautes associées à la prise du médicament à jeun, en faisant remarquer que la majorité des patients n’en souffraient pas et qu’elles n’étaient que légères ou modérées, malgré la preuve contraire qui a été présentée. Apotex souligne notamment que le site Web d’Ostéoporose Canada confirme la mise en garde concernant l’administration à jeun d’ACTONEL DR et indique clairement aux patients de le prendre uniquement avec des aliments.

[841] Apotex indique également qu’elle a obtenu |||||||| |||||||| de Santé Canada, |||||||| |||||||| |||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||| en raison des mêmes risques de douleurs abdominales hautes, ainsi que d’autres considérations, notamment le fait qu’elle indiquerait sur l’étiquette de son produit qu’il devrait être pris uniquement avec des aliments. Apotex a également renvoyé au témoignage de M. Jamali, selon lequel |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[842] Apotex soutient également qu’elle n’incitera pas à la contrefaçon, notant qu’il n’est pas facile de satisfaire au critère en la matière, qui comporte trois volets (Corlac Inc c Weatherford Canada Inc., 2011 CAF 228 au para 162 [Corlac]). Apotex renvoie à nouveau à la monographie de produit qu’elle propose. Elle soutient que s’il y avait des actes de contrefaçon de la part d’un médecin, qui prescrirait une utilisation « hors indication », ces actes ne découleraient d’aucune façon d’une influence de sa part.

C. La jurisprudence pertinente en matière de contrefaçon

[843] Comme l’a déclaré la Cour aux paragraphes 225 et 226 de la décision Janssen 2020 :

[225] [...] La contrefaçon s’entend de tout acte qui prive le breveté et son représentant légal du droit, de la faculté et du privilège exclusif de fabriquer, construire et vendre l’invention à d’autres (Loi sur les brevets, art 42). Il incombe à Janssen de prouver la contrefaçon (Monsanto Canada Inc c Schmeiser, 2004 CSC 34 au para 29 [Monsanto]).

[226] Pour déterminer si une revendication d’un brevet est violée, la Cour doit en donner une interprétation téléologique et en déterminer les éléments essentiels, puis déterminer si le produit qui emporterait contrefaçon est visé par les revendications du brevet (Free World Trust, aux para 48‐49). Il n’y a pas contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis, mais il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis (Free World Trust, au para 31).

[844] Le critère de l’incitation à la contrefaçon a été établi dans l’arrêt Corlac, au paragraphe 162 :

i. L’acte de contrefaçon doit avoir été exécuté par le contrefacteur direct;

ii. L’exécution de l’acte de contrefaçon doit avoir été influencée par les agissements du présumé incitateur de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu;

iii. L’influence doit avoir été exercée sciemment par l’incitateur, autrement dit l’incitateur doit savoir que son influence entraînera l’exécution de l’acte de contrefaçon.

[845] Dans l’arrêt Corlac, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer qu’il n’est pas facile de satisfaire à ce critère.

[846] Comme il est indiqué au paragraphe 234 de la décision Janssen 2019, le produit générique doit inciter à la contrefaçon de tous les éléments essentiels des revendications invoquées. La Cour a fait remarquer, au paragraphe 235, que des déductions raisonnables peuvent être tirées de la monographie de produit :

[235] Pour déterminer l’existence de contrefaçon par incitation, la Cour peut tirer des inférences raisonnables à partir de la monographie de produit ou des éléments de preuve se rapportant à la posologie d’APO-ABIRATERONE ou à son étiquetage et à sa mise en marché (Ramipril, au par. 11). La simple mention de l’utilisation brevetée dans des explications relatives aux contre‐indications ou dans une bibliographie scientifique ne suffit pas à établir qu’il y a incitation.

[847] Au paragraphe 273 de la décision Janssen 2020, la Cour a noté que la deuxième partie du critère énoncé dans Corlac est l’aspect clé de l’analyse de l’incitation. Au paragraphe 276, la Cour a déclaré que la monographie de produit est un document clé :

[276] La jurisprudence confirme que la MP est un document clé pour l’analyse de l’incitation, et que l’intégralité de la MP doit être prise en compte (Aventis Pharma, aux para 51‐52). En ce qui concerne le schéma posologique recommandé, la section « Posologie et administration » de la MP de Teva est pertinente.

[848] Les principes pertinents à appliquer en l’espèce sont les suivants :

  • Il incombe au détenteur de la marque (en l’espèce, Allergan) d’établir la contrefaçon par Apotex.
  • Un acte de contrefaçon est un acte qui prive le breveté (Allergan) de ses droits de fabriquer, construire et utiliser et vendre à d’autres l’objet de l’invention (Loi sur les brevets, art 42).
  • Les revendications, telles qu’elles sont interprétées, et leurs éléments essentiels constituent le point de départ.
  • La Cour doit déterminer si le produit visé par les allégations de contrefaçon (en l’espèce, APO-RISEDRONATE DR) relève de la portée des revendications invoquées. Il n’y a pas contrefaçon si un élément essentiel est différent.
  • Le critère à trois volets énoncé dans l’arrêt Corlac permet de déterminer si le fabricant du produit générique (en l’espèce, Apotex) a incité à la contrefaçon de tous les éléments essentiels des revendications invoquées.
  • oLa deuxième partie du critère de l’arrêt Corlac ‒ l’exécution de l’acte de contrefaçon doit avoir été influencée par les agissements du présumé incitateur de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu (le critère du « sans cette influence ») ‒ est essentielle pour l’analyse de l’incitation.

  • oLa monographie de produit (en l’espèce, la monographie proposée pour APO-RISEDRONATE DR) est un document clé dans l’analyse de l’incitation; l’ensemble de la monographie de produit doit être prise en compte.

D. Aperçu de la preuve des experts sur la contrefaçon

[849] M. Cremers a déclaré que le produit d’Apotex comprenait tous les éléments essentiels du brevet 188.

[850] M. Cremers a souligné que la dose orale décrite dans la revendication sera efficace, peu importe si elle est prise avec ou sans aliments. D’après M. Cremers, un médecin conseillerait au patient, conformément à la monographie de produit, de prendre normalement la dose orale au déjeuner, mais soulignerait également que, si le patient la prend à jeun, cela ne pose pas un gros « problème ». Le médicament serait toujours efficace.

[851] M. Cremers a pris acte des directives posologiques dans les monographies d’ACTONEL, d’ACTONEL DR et du produit d’Apotex. Il a déclaré qu’il aurait besoin de plus de renseignements pour déterminer si une directive posologique indiquant clairement de « ne pas prendre ce médicament avec des aliments » pouvait permettre que le médicament soit pris avec ou sans aliments. Il a convenu que s’il concluait que le médicament ne pouvait être pris qu’avec des aliments, le médicament ne serait pas visé par une revendication qui précise que le médicament peut être pris avec ou sans aliments.

[852] D’après le Dr Adachi, le produit d’Apotex contrefera tous les ensembles de revendications invoquées.

[853] Le Dr Adachi a reconnu que les directives posologiques de la monographie d’ACTONEL DR indiquent que le produit doit être pris avec des aliments. Or, il a déclaré que les médecins traitant l’ostéoporose sauraient qu’ACTONEL DR peut être pris avec ou sans aliments. Il a expliqué que les médecins liraient la monographie de produit dans son ensemble. Le Dr Adachi a souligné les résultats de l’étude croisée sur la biodisponibilité, rapportés dans la monographie de produit, qui, selon lui, appuient l’utilisation de la forme pharmaceutique orale sans aliments ou avec aliments.

[854] Le Dr Adachi a fait remarquer que la monographie proposée pour le produit APO‐RISEDRONATE DR comprend les mêmes directives et renseignements et serait lue de la même façon.

[855] Le Dr Adachi a expliqué que la consigne de prendre la forme pharmaceutique orale avec des aliments était due au risque de douleurs abdominales légères à modérées. Le Dr Adachi a reconnu les résultats de l’étude MUSIC-OS qui concernaient les bisphosphonates en général, mais il a fait remarquer que, d’après son expérience, plus de 90 % des patients ne ressentaient pas de douleurs abdominales. D’après le Dr Adachi, s’assurer que le patient prend la forme pharmaceutique orale est la chose la plus importante pour obtenir l’effet du traitement.

[856] Même si l’avis du Dr Adachi est que la forme pharmaceutique orale peut être prise avec ou sans aliments et qu’elle sera efficace, il a expliqué qu’il prescrit la prise d’ACTONEL DR [traduction] « autour du déjeuner », soit un peu avant, pendant ou un peu après le déjeuner.

[857] Le Dr Adachi est le seul expert qui est un médecin compétent, ayant des années d’expérience dans le traitement des patients atteints d’ostéoporose. Son avis, concernant la façon dont ACTONEL DR (et APO-RISEDRONATE DR) serait prescrit et comment il serait utilisé, est utile, mais a évolué depuis son avis écrit initial. Le Dr Adachi a indiqué que, bien que la forme pharmaceutique orale soit efficace, qu’elle soit prise avec ou sans aliments, les directives posologiques dans la monographie de produit sont généralement suivies. Dans son propre cabinet, il explique qu’il conseille à ses patients de prendre le médicament [traduction] « autour du déjeuner ». Pour certains patients sans antécédents de douleurs abdominales ou d’autres patients qui, pour d’autres raisons, ne prenaient pas de déjeuner, l’administration sans aliments était une option. Pour la majorité, le Dr Adachi semble convenir que la forme pharmaceutique orale doit être prise avec aliments (déjeuner) et non à jeun.

[858] D’après le Dr Yates, le produit d’Apotex ne contrefera pas les revendications du brevet 188, que ce soit directement ou indirectement.

[859] Se fondant sur le libellé clair de la monographie de produit proposée par Apotex, le Dr Yates a conclu que le produit APO-RISEDRONATE DR ne relève pas de la portée des revendications invoquées, car il ne s’agit pas d’un produit qui peut être pris avec ou sans aliments ou boissons.

[860] Le Dr Yates a déclaré que le renvoi à l’étude pharmacocinétique croisée dans la monographie de produit proposée par Apotex n’est pas pertinent pour la question de la contrefaçon pour deux raisons. Premièrement, l’étude croisée compare des patients qui ont pris la dose orale après une nuit de jeûne et qui sont restés à jeun pendant quatre heures (ce qui, selon le Dr Yates, est un scénario peu probable) avec des patients qui ont pris la dose orale au déjeuner. Deuxièmement, le Dr Yates a déclaré que la seule partie du projet de monographie de produit qu’un médecin et un patient consulteraient pour savoir comment prendre le médicament est la section « Posologie et administration » et non les renvois à d’autres études.

[861] Même si le Dr Yates n’a pas traité de patients souffrant d’ostéoporose, sauf dans un cadre expérimental, il est médecin et son avis concernant les directives posologiques dans les monographies de produits ne peut être écarté pour cette raison.

E. Le produit d’Apotex ne contrefait pas les revendications invoquées du brevet 188

[862] Je conclus qu’Apotex ne contrefera pas les revendications du brevet 188 en fabriquant, construisant, utilisant ou vendant son produit APO-RISEDRONATE DR. Apotex n’incitera pas non plus à la contrefaçon des revendications d’utilisation du brevet 188. Cette conclusion est fondée sur l’interprétation des revendications et de leurs éléments essentiels, l’application des principes établis dans la jurisprudence, le libellé clair des monographies des produits ACTONEL DR et APO-RISEDRONATE DR, qui sont presque identiques, et les témoignages des experts.

[863] Il ne s’agit pas d’une situation où le fabricant de produits génériques s’est réservé un usage différent de celui du produit de marque pour ne pas commettre de contrefaçon. Alors qu’Apotex demande que son produit soit utilisé uniquement avec des aliments, ce qui diffère des revendications du brevet 188 ‒ qui incluent comme élément essentiel que la forme pharmaceutique orale peut être utilisée avec ou sans aliments ‒ le fabricant du médicament de marque ACTONEL DR demande également que son produit soit utilisé uniquement avec des aliments. ACTONEL DR ne semble pas être à la hauteur de l’invention revendiquée et de son objectif de [traduction] « Actonel n’importe quand » ou de donner au patient le choix et la commodité de prendre la dose orale avec ou sans aliments. Cette restriction de l’invention est attribuable au risque de douleurs abdominales. Toutefois, comme on l’a vu, le brevet est valide et nul ne conteste que le produit serait efficace pour traiter l’ostéoporose, qu’il soit pris avec ou sans aliments.

[864] Allergan a elle-même contribué à ce résultat en soulignant dans la monographie de son produit ACTONEL DR qu’il ne doit être pris qu’avec des aliments et en incluant des avertissements clairs qu’il ne doit pas être pris sans aliments. En d’autres termes, ACTONEL DR, tel qu’il est décrit dans la monographie de son produit et dans le feuillet de renseignements à l’intention des patients, ne reflète pas l’invention décrite dans le brevet 188. Bien qu’Allergan insiste désormais sur le fait que les douleurs abdominales hautes pouvant résulter de l’administration à jeun sont modérées ou légères et n’affectent pas la majorité des patients, le risque de douleurs abdominales hautes est toujours souligné dans la monographie de produit. En effet, les douleurs abdominales hautes sont identifiées comme un effet indésirable, même lorsque le médicament est pris comme indiqué (c’est-à-dire avec des aliments). Une incidence plus élevée de douleurs abdominales hautes est notée en cas de prise sans aliments. S’il ne s’agissait pas d’une préoccupation réelle pour les patients en général, pourquoi serait-elle soulignée au point d’être incompatible avec l’invention revendiquée?

[865] La monographie d’ACTONEL DR ne souligne pas que, malgré le risque de douleurs abdominales, le produit peut être pris sans aliments. Elle n’indique pas non plus qu’il n’existe qu’un faible risque de douleur légère ou modérée. Allergan aurait pu mettre en contexte les risques de douleurs abdominales, s’il s’agit effectivement d’un risque faible de douleurs légères seulement, et mentionner l’efficacité du produit lorsqu’il est pris avec ou sans aliments ‒ s’il y avait des preuves scientifiques à l’appui ‒ mais elle ne l’a pas fait. De plus, on peut difficilement considérer que le renvoi à l’étude de biodisponibilité croisée indique que les directives posologiques peuvent être ignorées.

(1) Les revendications et les éléments essentiels

[866] Le point de départ pour évaluer la contrefaçon est l’interprétation des revendications invoquées et l’identification des éléments essentiels.

[867] Le premier ensemble de revendications est interprété comme visant une forme pharmaceutique orale qui peut être utilisée (c.-à-d. qui peut être consommée, administrée ou prise) au choix de l’utilisateur/patient avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons. Cette forme pharmaceutique orale contient environ 35 mg de risédronate sodique (revendication 6) et environ 100 mg d’EDTA disodique (revendication 36) dans un noyau recouvert d’un enrobage gastrorésistant de copolymère d’acide méthacrylique (revendication 60) qui commence à se dissoudre à un pH d’environ 5,5 (revendication 54). En outre, la forme pharmaceutique orale pèse moins d’un gramme (revendication 63). La revendication 1 exige que cette forme pharmaceutique orale fournisse une libération ciblée de l’EDTA et du risédronate dans l’intestin grêle, et ce, de façon immédiate. La revendication 1 exige également que cette forme pharmaceutique orale assure une absorption pharmaceutiquement efficace, qu’elle soit utilisée (c.-à-d. consommée, administrée ou prise) avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons.

[868] Un élément essentiel des revendications est que la forme pharmaceutique orale peut être prise avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons. L’objectif de l’invention est de contrer l’effet des aliments et de permettre au patient de choisir quand et comment prendre la dose orale de risédronate.

[869] M. Cremers a énuméré huit éléments essentiels de la revendication 1 du brevet 188 (sur lesquels le premier ensemble de revendications invoquées est fondé), soulignant que le premier élément essentiel est [TRADUCTION] « une forme pharmaceutique orale d’un bisphosphonate pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons, constituée [...] » et que le dernier élément essentiel est [TRADUCTION] « pour permettre une absorption pharmaceutiquement efficace du bisphosphonate avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons ».

[870] Le Dr Yates a déclaré qu’une forme pharmaceutique qui pourrait être prise uniquement sans nourriture, c’est-à-dire à jeun, dépasserait la portée des revendications. Le Dr Yates a indiqué que le choix de prendre le produit avec ou sans nourriture, au choix de la personne, fait partie intégrante de l’invention.

(2) La jurisprudence invoquée par les parties

[871] La jurisprudence invoquée par les parties à l’appui de leurs positions respectives ne correspond pas aux revendications en cause en l’espèce. Ces dernières ne peuvent pas être qualifiées d’une certaine façon pour correspondre à un courant jurisprudentiel ou des principes d’interprétation particuliers. La jurisprudence guide la Cour pour qu’elle se concentre sur le libellé des revendications, telles qu’elles ont été interprétées, et pour qu’elle détermine si le produit d’Apotex relève des revendications invoquées. Tous les éléments de preuve pertinents, en particulier la monographie de produit proposée, doivent être pris en compte dans cette détermination.

[872] Le premier ensemble de revendications invoquées ne vise pas des revendications d’« utilisation de produit » en ce sens que celles‐ci revendiqueraient une utilisation pour traiter une condition particulière. Les revendications d’utilisation pour le traitement de l’ostéoporose constituent un ensemble de revendications distinct. Le premier ensemble de revendications invoquées concerne la manière dont le produit doit être utilisé. Le mode d’utilisation fait partie intégrante de l’invention. La forme pharmaceutique orale permet une absorption pharmaceutiquement efficace, que l’on soit à jeun ou nourri. Cependant, ce qui fait sa renommée, c’est que le médicament peut être pris à jeun ou non à jeun, au choix du patient. Si cette condition n’est pas remplie, le produit ne relève pas des revendications.

[873] Apotex s’appuie sur la jurisprudence qui traite des revendications portant sur l’utilisation d’un produit existant pour traiter une nouvelle affection ou maladie, non revendiquée auparavant. Aucun de ces précédents ni aucune des décisions invoquées par les parties ou que la Cour a trouvées n’utilise l’expression revendications d’« utilisation de produit » pour caractériser les revendications.

[874] À mon avis, la jurisprudence invoquée par les parties ou à l’égard de laquelle les parties ont fait une distinction ne porte pas sur des revendications analogues aux revendications invoquées en l’espèce. Les revendications en litige sont différentes. Toutefois, on peut dégager de la jurisprudence certains principes généraux qui peuvent être appliqués.

[875] Dans l’affaire AB Hassle, la revendication en litige concernait une nouvelle utilisation d’un ancien médicament, l’oméprazole, pour traiter une infection bactérienne (campylobacter). La Cour a conclu que l’utilisation du médicament pour des infections autres que le campylobacter ne constituerait pas une contrefaçon de la revendication. La Cour s’est concentrée sur l’invention revendiquée, qui serait la nouvelle utilisation. La Cour a conclu que l’utilisation par le fabricant du produit générique de l’ancien médicament pour son ancienne utilisation, conformément aux indications figurant sur l’étiquette du produit, ne constituait pas une contrefaçon.

[876] Apotex soutient que cette situation est analogue à celle qui nous occupe, car l’utilisation d’APO-RISEDRONATE DR n’est pas [traduction] « pour utilisation avec ou sans aliments ou boissons [...] » et, aux termes de la décision AB Hassle, Apotex ne commettrait pas de contrefaçon. Allergan soutient que l’affaire AB Hassle est différente de celle dont la Cour est saisie, car, dans la présente affaire, les revendications portent sur un nouveau produit, et non sur des revendications d’« utilisation de produit ».

[877] Dans la décision AB Hassle, la Cour a noté, au paragraphe 32, que le brevet ne comportait aucune revendication à l’égard du composé lui-même, mais visait seulement pour la nouvelle utilisation du composé. La Cour a conclu, au paragraphe 36 :

[36] Pour établir avec succès qu’Apotex contrefait la revendication 3, les demanderesses doivent démontrer, compte tenu de la preuve, qu’Apotex a l’intention de fabriquer et de vendre ladite préparation pharmaceutique pour le traitement des infections à Campylobacter. À mon avis, les demanderesses n’ont pas démontré, vu l’ensemble de la preuve, qu’Apotex entend fabriquer, utiliser ou vendre la préparation pharmaceutique pour le traitement des infections à Campylobacter.

[878] À mon avis, les revendications en cause dans l’affaire AB Hassle ne sont pas analogues aux revendications en litige. Comme l’a signalé la Cour, le composé ne faisait l’objet d’aucune revendication, contrairement à la présente affaire. La revendication en cause dans l’affaire AB Hassle concernait uniquement l’utilisation du composé pour traiter une affection qui n’avait pas été revendiquée auparavant en tant qu’utilisation. L’affaire AB Hassle portait sur le scénario plus typique d’une revendication d’une nouvelle utilisation d’un composé ou d’un produit existant.

[879] Dans l’affaire BMS 2017, les revendications en cause concernaient également une nouvelle utilisation d’un ancien produit (aripiprazole), dont l’utilisation avait été revendiquée précédemment pour traiter la schizophrénie. La nouvelle utilisation était destinée à traiter les troubles bipolaires. Le fabricant du produit générique a affirmé qu’il ne fabriquait pas l’aripiprazole pour le traitement des troubles bipolaires, mais pour son utilisation initiale, le traitement de la schizophrénie. La monographie proposée par le fabricant du produit générique indiquait que l’utilisation se limitait à la schizophrénie. La Cour n’a trouvé aucune preuve, autre que des conjectures, que le produit générique serait utilisé pour le nouvel usage et, par conséquent, n’a pas conclu à la contrefaçon par le produit générique. La Cour a déclaré ceci au paragraphe 27 : « En termes simples, si Apotex [le fabricant du produit générique] ne fabrique pas l’apo‐aripiprazole pour les utilisations revendiquées, mais plutôt pour l’utilisation non revendiquée, il ne peut y avoir de contrefaçon directe de la revendication 16 ».

[880] Les revendications en litige dans l’affaire BMS 2017 concernaient la nouvelle utilisation liée au traitement ou à l’affection et non la manière dont le produit devait être utilisé.

[881] Dans l’arrêt Novopharm Limited c Sanofi-Aventis Canada Inc., 2007 CAF 167 [Novopharm], la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la question de savoir si le produit générique contrefait les revendications relatives à une nouvelle utilisation d’un produit existant (ramipril). Le ramipril avait déjà été approuvé pour le traitement de l’hypertension. À l’époque pertinente, il n’y avait pas de brevet pour le ramipril lui-même ni pour le ramipril relativement au traitement de l’hypertension. D’autres utilisations ont ensuite été revendiquées et approuvées. Le fabricant du produit générique, Novopharm, a demandé un avis de conformité pour sa version générique du ramipril, uniquement pour son utilisation originale – le traitement de l’hypertension – et non pour l’une des nouvelles utilisations.

[882] La Cour d’appel fédérale a conclu que l’allégation de non-contrefaçon était justifiée, puisque le fabricant du médicament générique ne cherchait qu’à obtenir un avis de conformité pour un usage qui ne faisait pas partie de la nouvelle utilisation revendiquée. La Cour d’appel fédérale a également conclu que le fabricant du produit générique n’inciterait pas d’autres personnes à contrefaire le brevet en prescrivant ou en utilisant le produit générique pour la nouvelle utilisation.

[883] Dans les affaires AB Hassle, BMS 2017 et Novopharm, les revendications en litige portaient sur de nouvelles utilisations (c’est-à-dire des utilisations pour le traitement d’affections non revendiquées auparavant) et n’étaient pas du même type que les revendications en litige dans la présente affaire, mais la Cour a examiné à quoi servirait le produit générique, en se référant à la monographie de produit et à d’autres éléments de preuve, et a cherché à savoir si cette utilisation était conforme aux revendications. À mon avis, voilà le fil conducteur de la jurisprudence.

[884] Allergan fait valoir que la décision Bayer (Nifedipine) fournit des indications pour l’analyse de la contrefaçon d’une revendication de produit. Allergan soutient que le comprimé à libération orale instantanée en litige dans l’affaire Bayer (Nifedipine) a été traité comme une revendication de produit, comme devraient l’être les revendications du brevet 188 en litige en l’espèce.

[885] Dans l’affaire Bayer (Nifedipine), l’invention était une capsule à libération orale instantanée de nifédipine. Le brevet définissait ainsi la capsule à libération orale instantanée : [TRADUCTION] « une capsule pourvue d’une enveloppe, généralement de gélatine, contenant une composition pharmaceutique fluide que l’on peut libérer de l’enveloppe en mordant et en brisant celle-ci ». Toutefois, les revendications font seulement référence à la capsule à libération orale instantanée et au procédé permettant de la fabriquer.

[886] Apotex, le fabricant du produit générique dans cette affaire, a soutenu que les ventes de sa capsule, Apo-Nifed, n’avaient pas été effectuées conformément à sa licence avec Bayer parce que ses capsules étaient destinées uniquement à être avalées entières et non à assurer une libération instantanée par morsure.

[887] La Cour s’est notamment penchée sur la question de savoir si les revendications du brevet de Bayer étaient contrefaites par Apotex. La Cour a qualifié les revendications en cause de revendications de produit et a conclu qu’Apotex avait directement contrefait les revendications en fabriquant et en vendant Apo-Nifed. La Cour a fait remarquer ce qui suit au paragraphe 25 :

[traduction]

[25] Outre l’aveu, la Cour dispose de nombreux éléments de preuve supplémentaires pour conclure que le médicament d’Apotex est bel et bien visé par les revendications du brevet 582. Apotex a fait valoir que les revendications de produit et de procédé du brevet 582 se limitaient à l’utilisation par morsure pour le traitement de l’angine de poitrine, tandis que le médicament d’Apotex était destiné à être avalé. Les revendications 1 et 14 du brevet 582 sont des revendications de produit. Elles décrivent un produit physique. Les revendications de produit ne traitent pas de la manière d’utiliser la capsule. Elles prévoient seulement que la capsule contient une composition que l’on « peut libérer de l’enveloppe en mordant et en brisant celle-ci ». Ce qui importe, ce n’est pas la façon dont les capsules d’Apotex sont destinées à être utilisées, mais ce qu’elles sont de fait. Elles sont formulées de telle sorte qu’elles conviennent de fait à une administration perlinguale. La question de savoir si elles sont destinées à être utilisées ou si elles sont en fin de compte utilisées de cette manière n’est pas pertinente.

[888] La Cour a également noté que Apo-Nifed était aromatisé au citron et qu’il n’y aurait aucune raison d’aromatiser la solution à l’intérieur de l’enveloppe, sauf pour masquer son goût lorsqu’on mordait dans le comprimé. La Cour a ajouté, au paragraphe 45, que [traduction] « [l]’intention de contrefaire ou de ne pas contrefaire n’est pas pertinente pour trancher la question de la contrefaçon ».

[889] Je ne suis pas d’accord avec Allergan pour dire que les revendications dans l’affaire Bayer (Nifedipine) sont semblables aux revendications en litige. Le brevet en litige dans l’affaire Bayer (Nifedipine) compte 28 revendications. Les revendications 1 à 18 font toutes référence à une capsule à libération orale instantanée [TRADUCTION] « pourvue d’une enveloppe de gélatine qui contient une solution de [...] » ou [TRADUCTION] « une capsule à libération orale instantanée telle que définie dans [...] [une revendication précédente] », avec des variantes concernant la solution. Contrairement à ce que la Cour a affirmé au paragraphe 25, aucune des revendications ne dit quoi que ce soit au sujet d’une capsule contenant une composition [TRADUCTION] « que l’on peut libérer de l’enveloppe en mordant et en brisant celle-ci ». Une telle précision peut figurer dans la divulgation du brevet, et l’interprétation de la Cour peut avoir renvoyé à l’utilisation par morsure, mais cela n’est clairement mentionné dans aucune des revendications de ce brevet. Les revendications 1 à 18 sont des revendications visant le produit, qui est le comprimé à libération orale instantanée. Les revendications 19 à 28 sont des revendications de procédé.

[890] Dans l’affaire Bayer (Nifedipine), la Cour a traité les revendications comme des revendications de produit, parce qu’elles étaient des revendications de produit. Les revendications ne limitaient pas l’utilisation du comprimé à libération orale à la morsure. La conclusion de la Cour ‒ selon laquelle Apo-Nifed convenait pour le même usage que celui revendiqué et que l’intention d’Apotex quant à l’utilisation de son produit n’était pas pertinente pour savoir s’il y a contrefaçon ‒ est fondée sur le libellé des revendications ‒ en tant que produits ‒ et sur les preuves sur lesquelles la Cour s’est appuyée pour conclure qu’Apo-Nifed relevait des revendications.

[891] Allergan soutient que l’approche adoptée par la Cour dans l’affaire Bayer (Nifedipine) reflète le principe d’interprétation énoncé dans Fox, selon lequel un produit [TRADUCTION] « pour utilisation » signifie un produit [TRADUCTION] « qui convient pour l’utilisation », et Apo-Nifed convenait pour l’utilisation et, par conséquent, la façon dont il était destiné à être utilisé n’était pas pertinente pour la question de sa contrefaçon. Cependant, dans l’affaire Bayer (Nifedipine), les revendications concernaient simplement le comprimé à libération orale instantanée. Les revendications ne revendiquaient même pas une utilisation pour le traitement.

[892] À mon avis, l’affaire Bayer (Nifidepine) n’est pas analogue à celle qui nous occupe. La Cour a conclu, au vu des faits de cette affaire, que la preuve établissait qu’Apo-Nifed était formulé pour [TRADUCTION] « convenir pour l’administration perlinguale », mais je ne suis pas d’accord pour dire qu’elle a établi un principe général selon lequel tout produit adapté au même mode d’utilisation (même lorsque l’utilisation ne fait pas partie de la revendication) serait contrefait. Comme on l’a vu, Apotex ne conteste pas que son produit permettra une absorption pharmaceutiquement efficace s’il est pris avec ou sans aliments. Le fait qu’elle reconnaisse cela ne signifie pas que les éléments essentiels des revendications peuvent être ignorés.

[893] Allergan soutient également que la Cour devrait considérer ce que les revendications sont en fait et que, dans la présente affaire, les revendications sont des revendications de produit. Toutefois, l’analyse de la contrefaçon commence par la question de savoir si le produit générique comprend tous les éléments essentiels des revendications. Le libellé des revendications doit être pris en considération. Dans la présente affaire, l’expression [traduction] « pour utilisation avec ou sans consommation d’aliments ou de boissons » apparaît deux fois dans la revendication principale; les experts s’entendent pour dire qu’il s’agit d’un élément essentiel des revendications, et l’interprétation de la Cour reflète qu’il s’agit d’un élément essentiel.

[894] Bien que l’affaire Bayer (Nifedepine) ne soit pas tout à fait pertinente, elle énonce les principes généraux selon lesquels le libellé des revendications est le point de départ de l’analyse de la contrefaçon ‒ pour déterminer ce qui est effectivement revendiqué ‒ et tous les éléments de preuve pertinents doivent être examinés pour déterminer si le produit générique relève des revendications.

[895] Dans l’affaire Janssen 2020, la revendication en litige concernait un nouveau schéma posologique, à savoir une injection dans le tissu musculaire. La Cour a conclu à la contrefaçon directe parce que la monographie du fabricant du produit générique mentionnait l’injection intramusculaire comme une voie d’administration possible dans la section « indications ». La Cour a noté que même si la monographie de produit ne donnait pas des directives qui menaient à la contrefaçon, on trouvait, si on lisait l’intégralité du document, des renseignements qui enseignaient que le produit générique pouvait être administré selon le nouveau schéma posologique revendiqué.

[896] Dans la décision Janssen 2020, la Cour a identifié les éléments essentiels de la revendication 1, qui comprenaient le schéma posologique. La Cour a conclu que le produit de Teva incorporerait tous les éléments essentiels de la revendication 1. La Cour a convenu que « l’utilisation possible, approuvée et voulue du produit de Teva précisée dans la MP de Teva intègre tous les éléments de la posologie et de l’administration ».

[897] Aux paragraphes 253 et 254, la Cour a déclaré ce qui suit :

[253] La MP de Teva indique que les seringues préremplies qui seront vendues par Teva peuvent être administrées conformément au schéma posologique revendiqué. Bien que cette information ne puisse pas atteindre le niveau [traduction] d’« incitation à contrefaire » suffisant pour inciter les professionnels à prescrire et à utiliser les seringues conformément au schéma posologique revendiqué, il suffit d’établir une contrefaçon directe des revendications de produit.

[254] La MP de Teva indique également que ses seringues préremplies peuvent être administrées selon d’autres schémas posologiques non contrefaisants. Cependant, Teva n’a pas besoin d’ordonner que le schéma posologique revendiqué soit le seul schéma, ou même le schéma recommandé, suivant lequel ses seringues devraient être administrées. La vente de seringues préremplies adaptées à l’administration conformément au schéma posologique revendiqué, comme indiqué dans la MP de Teva, privera Janssen de la pleine jouissance du monopole conféré par le brevet 335 (Monsanto, au para 34). L’utilisation réelle des seringues conformément au schéma posologique revendiqué n’est pas requise.

[898] Bien que les revendications dans l’affaire Janssen 2020 ne soient pas les mêmes que les revendications en litige en l’espèce, il y a plus de similitudes entre ces revendications qu’entre les revendications en litige et celles en cause dans la jurisprudence concernant la contrefaçon de revendications pour de nouvelles utilisations de produits anciens. Dans la décision Janssen 2020, la Cour a noté que l’invention revendiquée était un schéma posologique, « et non de simples formes pharmaceutiques » (au para 147). Les revendications invoquées en litige dans la présente affaire concernent une forme pharmaceutique orale pour utilisation avec ou sans aliments ou boissons. Cependant, à mon avis, que les revendications soient considérées comme visant une forme pharmaceutique (un produit) ou un schéma posologique (ce que la Cour, dans la décision Janssen 2020, a assimilé à des revendications de combinaison) ou une « utilisation de produit », la question reste de savoir si le produit d’Apotex correspond aux éléments essentiels des revendications invoquées. Dans toutes les affaires citées, la Cour a examiné la monographie de produit et toute autre preuve pertinente pour déterminer si le produit générique sera utilisé pour les mêmes usages ou de la même manière que ce qui est précisé dans les revendications.

[899] En l’espèce, si l’on applique l’approche adoptée dans l’affaire Janssen 2020, la question est de savoir si la monographie proposée par Apotex pour APO-RISEDRONATE DR indique qu’il s’agit d’un produit qui relève des revendications du brevet 188. Il n’est pas nécessaire que la monographie de produit contienne des directives claires menant à la contrefaçon, mais il doit y avoir une indication dans la monographie de produit que le produit générique peut être utilisé de la même manière que les revendications du brevet 188. Comme il est indiqué ci-dessous, il n’y a pas de telle indication dans la monographie proposée pour APO-RISEDRONATE DR.

(3) « qui convient pour l’utilisation »

[900] Les indications données dans Fox, concernant l’interprétation « normale » du terme [traduction] « pour » dans une revendication, n’aident pas Allergan dans la présente affaire.

[901] Fox déclare :

[traduction] Le terme « pour » dans une revendication de produit de brevet est normalement interprété comme signifiant « qui convient pour ». L’effet de cette interprétation d’une revendication de produit est que la revendication vise tout produit qui convient à l’objectif déclaré, qu’il soit ou non effectivement utilisé ou destiné à être utilisé pour cet objectif.

[902] Comme on l’a vu, les revendications invoquées ne sont pas simplement des revendications de produit. Selon l’interprétation faite des revendications, un élément essentiel est le fait que la dose orale peut être prise avec ou sans aliments. Même si l’expression [TRADUCTION] « pour utilisation avec ou sans aliments [...] » est interprétée comme [TRADUCTION] « qui convient pour l’utilisation avec ou sans aliments [...] », le produit d’Apotex ne convient pas à cette utilisation, comme l’indique clairement la monographie proposée, qui reproduit celle d’ACTONEL DR. Bien que le produit puisse entraîner une absorption pharmaceutiquement efficace s’il est pris avec ou sans aliments, et qu’il [TRADUCTION] « convienne pour l’utilisation » comme traitement de l’ostéoporose, il est clairement indiqué qu’il ne doit pas être utilisé sans aliments, en raison des avertissements concernant les douleurs abdominales.

[903] Je note également que l’interprétation « normale » donnée dans Fox peut avoir des exceptions. En particulier, Fox indique que [traduction] « si le terme “pour” dans une revendication de produit breveté est normalement interprété comme “qui convient pour’’, il faut être très prudent à l’égard de tout principe d’interprétation qui est censé codifier le sens de mots particuliers ».

[904] Je comprends que cette précision reflète la nécessité d’examiner d’abord les revendications et de les interpréter conformément aux principes d’interprétation des revendications.

(4) La monographie du produit

[905] J’ai examiné la monographie des produits ACTONEL et ACTONEL DR (une monographie de produit mixte) ainsi que la monographie du produit APO‐RISEDRONATE DR dans leur intégralité. En ce qui concerne ACTONEL DR et APO‐RISEDRONATE DR, les monographies de produit sont presque identiques.

[906] Sous le titre « Mises en garde et précautions », il est indiqué que « [l]es comprimés d’ACTONEL DR à action retardée sont formulés de manière à libérer le risédronate dans l’intestin grêle, ce qui lui permet d’être absorbé efficacement lorsqu’il est pris au même moment que le déjeuner ». Sous la rubrique « Interactions médicament-aliment », la monographie du produit indique : « ACTONEL DR doit être pris avec de la nourriture. Lorsqu’il a été comparé à celui par ACTONEL à 5 mg, le traitement par ACTONEL DR a donné lieu à une incidence supérieure de douleurs abdominales hautes alors qu’il était administré avant le déjeuner, à jeun. Voir POSOLOGIE ET ADMINISTRATION pour obtenir des renseignements concernant la posologie du médicament. »

[907] Sous la rubrique « POSOLOGIE ET ADMINISTRATION », la monographie de produit contient une liste de six directives. On y indique qu’« ACTONEL DR doit être pris le matin, avec le déjeuner, qui peut être composé d’aliments riches en matières grasses [...]. Une incidence supérieure de douleurs abdominales hautes a été enregistrée lorsqu’ACTONEL DR a été pris à jeun, avant le déjeuner (voir MISES EN GARDE ET PRÉCAUTIONS [...] ». De plus, cette section indique que le comprimé doit être avalé en entier avec suffisamment d’eau ordinaire alors que le patient est en position verticale, qu’il ne doit pas s’allonger pendant au moins 30 minutes et que le comprimé ne doit pas être mâché, coupé ou écrasé, mais qu’il doit demeurer intact. Dans la section « Posologie recommandée et ajustement posologique », il est indiqué que pour toutes les indications et les posologies, « [i]l est important que les patients soient informés d’accorder une attention particulière aux recommandations posologiques, car le défaut de s’y conformer pourrait nuire aux avantages cliniques du traitement. »

[908] Dans les Renseignements pour le patient sur le médicament (feuillet de renseignements à l’intention des patients), sous la rubrique « Comment prendre ACTONEL DR », on indique de prendre ACTONEL DR le même jour chaque semaine, « le matin avec le déjeuner [...] » et de ne pas prendre « ACTONEL DR avant le déjeuner ou à jeun, car vous pourriez ressentir des douleurs abdominales ». Il est ajouté dans ce passage que le comprimé doit être avalé entier, avec de l’eau, en position verticale et que la personne ne doit pas s’allonger pendant 30 minutes.

[909] La monographie de produit donne à plusieurs reprises au patient l’instruction de prendre le produit avec de la nourriture, en particulier avec le déjeuner, et de ne pas le prendre à jeun.

[910] Bien que le Dr Adachi ait soutenu que la monographie du produit appuie l’utilisation de la forme pharmaceutique orale avec ou sans nourriture, il a reconnu que les directives posologiques mettent l’accent sur l’administration avec des aliments.

[911] Le Dr Adachi a reconnu qu’il prescrit de prendre ACTONEL DR [TRADUCTION] « environ au moment » du déjeuner. Il se conforme aux directives de la monographie du produit, sauf lorsqu’un patient ne peut pas le prendre avec le déjeuner ou n’a pas ressenti de douleurs abdominales hautes. Cela laisse penser que, dans la plupart des cas, il suit les indications de la monographie du produit. Le site Web d’Ostéoporose Canada, qui fait écho à la monographie du produit, fournit les mêmes directives posologiques. Bien qu’un médecin expérimenté puisse s’écarter de ces directives pour certains patients, le message principal est qu’ACTONEL DR (et APO-RISEDRONATE DR) ne doivent être pris qu’avec de la nourriture – c’est-à-dire avec le déjeuner.

(5) La monographie du produit n’indique pas une utilisation avec ou sans nourriture

[912] La seule phrase de la partie de la monographie du produit qui traite de la pharmacocinétique, d’une longueur de plus d’une page et sur laquelle le Dr Adachi se fonde pour étayer cette opinion, indique que « [d]ans une étude de pharmacocinétique croisée ayant évalué les effets de la nourriture sur le médicament, la biodisponibilité des comprimés d’ACTONEL DR à 35 mg à libération retardée a diminué d’environ 30 % lorsqu’ils ont été administrés immédiatement après un déjeuner riche en matières grasses, comparativement à leur administration 4 heures avant un repas ». Cette courte mention n’est pas suffisante pour écarter les directives posologiques claires qui indiquent à maintes reprises que le produit ne doit être pris qu’avec de la nourriture. Bien que ces renseignements puissent révéler que la biodisponibilité est accrue dans le cas des personnes à jeun et que la réduction de 30 % à l’état postprandial peut quand même fournir un traitement – c’est-à-dire qu’il y a absorption pharmaceutiquement efficace ‒ cette information n’est pas utile pour le médecin prescripteur ou le patient. De plus, il est peu probable que le médecin lise le brevet pour déterminer ce qui a été revendiqué, mais il lira la monographie du produit pour s’informer.

[913] Comme l’a souligné le Dr Yates, la mention de l’étude pharmacocinétique croisée ne figure pas dans la section « Posologie et administration », qui est la partie de la monographie du produit qu’un médecin et un patient examineraient pour s’informer sur la façon de prendre le médicament.

[914] Le Dr Adachi a reconnu que l’information sur le site Web d’Ostéoporose Canada indique clairement qu’ACTONEL DR doit être pris « avec le déjeuner » (« WITH breakfast » dans la version anglaise, le mot « WITH » figurant en majuscules dans le document) avec un grand verre d’eau et la directive que la personne doit se tenir droite durant 30 minutes. Le Dr Adachi a expliqué qu’Ostéoporose Canada ne contredirait pas les monographies de produit, mais qu’au quotidien, les patients prenaient le médicament avec ou sans nourriture dès le lever « environ au moment du déjeuner » (soit avant, en même temps ou peu après).

[915] Je ne suis pas convaincue par l’opinion du Dr Adachi selon laquelle les médecins traitant l’ostéoporose sauraient qu’ACTONEL DR peut être pris avec ou sans nourriture, car c’est ce que la monographie du produit ACTONEL DR indique. Bien que les médecins puissent le savoir d’après leur propre expérience, la monographie du produit n’appuie pas cette affirmation.

[916] Les experts s’entendent pour dire qu’avec ou sans nourriture, il y aura une absorption pharmaceutiquement efficace. Apotex a concédé que son produit permettra une absorption pharmaceutiquement efficace. Toutefois, les directives posologiques n’offrent pas aux patients un choix véritable quant au moment ou à la manière de prendre le médicament. Ni ACTONEL DR ni l’APO-RISEDRONATE DR ne sont à la hauteur des revendications du brevet 188.

[917] La divulgation qu’Apotex a remise à Santé Canada concernant sa demande |||||||||||||||||| |||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||, fondée sur le risque d’exposer les sujets à des douleurs abdominales, pourrait avoir ||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||. Toutefois, il s’agit d’un problème entre Apotex et Santé Canada. Apotex s’est vu accorder |||||||||| |||||||||| en raison du risque de douleurs abdominales et en fonction de la mention sur l’étiquetage que le produit doit être pris seulement avec de la nourriture.

(6) Le risque de douleurs abdominales

[918] La prétention d’Allergan selon laquelle le risque de douleurs abdominales n’est pas majeur et n’empêche pas le traitement n’est d’aucune utilité pour faire la lumière sur la question de la contrefaçon. La preuve relative à l’ampleur et à la nature du risque de douleurs abdominales est contradictoire, mais tout indique que ce risque existe pour certains patients, dans la mesure où les deux monographies de produit le mettent en évidence.

[919] M. Cremers a convenu que les effets secondaires dans le tractus gastro-intestinal supérieur peuvent être un problème chez certaines personnes, mais il ignorait s’il s’agissait d’un problème majeur qui avait entraîné l’arrêt de la médication. Toutefois, il a reconnu avoir coécrit un article dans lequel il est indiqué que les effets secondaires touchant le tractus gastro-intestinal supérieur sont le principal motif d’intolérance aux bisphosphonates oraux. Il a expliqué que l’article n’indiquait pas que c’était la raison pour laquelle une personne aurait cessé son traitement. Je note que l’opinion de M. Cremers est liée de façon plus générale aux bisphosphonates oraux et non seulement au risédronate.

[920] Le Dr Adachi a reconnu que le médecin qualifié comprendrait que la prise d’ACTONEL DR (ou d’APO-RISEDRONATE DR) à jeun peut entraîner des douleurs [TRADUCTION] « légèrement plus fortes » dans la partie haute de l’abdomen. Il a également convenu que la prise du produit avec de la nourriture [TRADUCTION] « réduira le risque [de douleurs abdominales] dans une certaine mesure pour tous les patients ».

(7) Aucune contrefaçon directe

[921] Le produit d’Apotex, APO-RISEDRONATE DR, ne relève pas de la portée des revendications invoquées. L’utilisation avec ou sans aliments au choix du patient est un élément essentiel des revendications invoquées. Le produit d’Apotex n’est pas destiné à être utilisé avec ou sans aliments, mais uniquement avec des aliments. Bien que le produit d’Apotex permette une absorption pharmaceutiquement efficace s’il est pris sans aliments, il n’est pas indiqué pour une utilisation sans aliments. La monographie de produit l’indique clairement.

[922] La fabrication et la vente par Apotex de la forme pharmaceutique orale que cette dernière propose ne priveront pas Allergan de ses droits et privilèges exclusifs découlant du brevet.

(8) Aucune incitation à la contrefaçon

[923] Apotex n’incitera pas d’autres personnes à contrefaire l’ensemble des revendications invoquées pour l’utilisation de son produit dans le traitement de l’ostéoporose.

[924] Dans la décision Janssen 2020, la Cour, qui examinait la question de la contrefaçon par incitation, a indiqué au paragraphe 262 que la jurisprudence plus récente a appliqué « scrupuleusement » le critère à trois volets énoncé dans l’arrêt Corlac. La Cour a fait remarquer ceci aux paragraphes 265 à 266, en ce qui concerne le critère – auquel il est difficile de satisfaire :

[265] Lorsque la Cour a examiné le critère de l’incitation énoncé dans la décision Corlac, le résultat a porté sur les renvois particuliers dans la MP. Dans l’affaire Bayer, bien que la MP indiquait que le produit de moxifloxacine de l’entreprise fabricant des médicaments génériques était « compatible » avec des solutions de chlorure de sodium, la MP a en fait recommandé de ne pas respecter la coadministration des solutions de moxifloxacine et de chlorure de sodium, qui constituait une contrefaçon. À l’inverse, dans les affaires Hospira et Janssen, les MP recommandaient expressément les polythérapies constituant des contrefaçons.

[266] Un autre facteur important dans toutes ces affaires est le libellé des revendications elles-mêmes. Comme l’a souligné le juge Phelan dans la décision Janssen, pour établir l’incitation, l’incitateur présumé doit inciter à la contrefaçon de tous les éléments essentiels des revendications en cause. Lorsque les revendications visent une nouvelle utilisation d’un composé existant, la MP doit prescrire directement ou indirectement la nouvelle utilisation afin d’établir l’incitation. De même, lorsque le brevet revendique l’utilisation d’un composé, la MP doit prescrire au contrefacteur d’utiliser le composé afin d’établir l’incitation.

[925] La Cour a noté, au paragraphe 267, que la revendication en litige visait un schéma posologique, qu’elle a jugé analogue à une combinaison. La Cour a appliqué le critère à trois volets de l’arrêt Corlac, en soulignant que le deuxième volet était l’aspect clé (le critère du « sans cette influence »). La Cour a conclu que la monographie de produit proposée faisait plus qu’une référence subtile au schéma posologique contrefait; il s’agissait plutôt de l’un des schémas posologiques recommandés. Toutefois, elle a conclu que Teva n’inciterait pas à la contrefaçon. Se fondant sur la monographie de produit et la preuve présentée par les experts concernant les pratiques des médecins, notamment le fait qu’ils tiennent compte des caractéristiques individuelles des patients et ne consultent pas les monographies des produits génériques, la Cour a conclu que la contrefaçon ne serait pas influencée par la monographie de produit de Teva (le produit générique).

[926] Bien que certains médecins puissent conseiller à leurs patients – contrairement aux directives claires de la monographie de produit – de prendre le produit sans aliments, cela n’établit pas une contrefaçon de la part d’Apotex. Si un médecin, comme le Dr Adachi, prescrit ACTONEL DR pour une utilisation sans aliments, la monographie de produit d’Apotex n’a pas influencé cette décision. Dans la mesure où elle était au courant d’une telle prescription « hors indication », Apotex n’incite pas sciemment les médecins à adopter une telle pratique.

[927] Dans la présente affaire, en appliquant le critère énoncé dans l’arrêt Corlac, la Cour est d’avis qu’il est évident que la monographie d’Apotex indique clairement que le produit doit être pris uniquement avec des aliments. Apotex ne cherche pas sciemment à influencer les médecins à prescrire APO-RISEDRONATE DR ou les patients à utiliser son produit avec ou sans aliments. Au contraire, elle conseille aux médecins et aux utilisateurs de ne prendre son produit qu’avec des aliments.

[928] Compte tenu du libellé clair de la monographie proposée pour APO-RISEDRONATE DR, qui indique que le produit ne doit être pris qu’avec des aliments et déconseille de le prendre à jeun, et de la preuve des experts, y compris le fait que le médecin prescrirait le produit de marque et que, par conséquent, la monographie de produit générique n’influencerait pas cette pratique, la Cour ne peut conclure qu’Apotex incite à la contrefaçon des revendications invoquées.

[929] Le Dr Yates a exprimé l’opinion qu’Apotex n’incitera pas à la contrefaçon des revendications d’utilisation (l’utilisation pour le traitement de l’ostéoporose) parce que la forme pharmaceutique orale n’est pas visée par les revendications du brevet 188. Le Dr Yates a fait remarquer que la monographie d’Apotex ne donne pas de directives ni de conseils aux patients pour qu’ils prennent le produit avec ou sans aliments, selon leur préférence, mais dit plutôt l’inverse aux patients et aux médecins ‒ à savoir de ne prendre APO‐RISEDRONATE DR qu’avec des aliments.

[930] En ce qui concerne les ordonnances faites par les médecins, le Dr Adachi a expliqué que ces derniers prescriraient le médicament de marque (c’est-à-dire ACTONEL DR) plutôt que le produit générique, bien que le pharmacien puisse fournir la version générique. Par conséquent, la monographie d’APO‐RISEDRONATE DR n’influencera pas les médecins dans leur façon de prescrire le médicament de marque, ACTONEL DR.

XIII. Dépens

A. Les observations des parties

[931] Les parties ont présenté des observations concernant les dépens avant que la Cour ne rende le présent jugement.

[932] Les parties s’entendent sur les principes qui régissent le pouvoir discrétionnaire de la Cour d’adjuger des dépens et toutes deux soulignent la jurisprudence récente concernant la tendance à adjuger une somme globale au titre des dépens, particulièrement dans les affaires complexes, y compris les actions intentées en vertu du Règlement sur les MBAC (par exemple, Apotex Inc. c Shire LLC, 2021 CAF 54 aux para 16‐24 [Shire]; Allergan Inc. c Sandoz Canada Inc., 2021 CF 186 aux para 19‐28 [Allergan]; Seedlings Life Science Centures, LLC c Pfizer Canada ULC, 2020 CF 505 aux para 2‐7 [Seedlings]).

[933] Les deux parties ont joint à l’appui de leurs observations au sujet des dépens des affidavits et des pièces, qui établissent, entre autres choses, le taux horaire des avocats et leurs années d’expérience, les heures de travail des avocats, des parajuristes et autres, les honoraires versés aux experts et les autres débours. La Cour est convaincue que les honoraires et débours dont font état les documents ont été engagés et sont raisonnables dans les circonstances, compte tenu notamment de la complexité du litige, de l’importance des questions pour les deux parties et du recours aux nombreux experts.

[934] Allergan fait valoir qu’en cas de succès total, elle devrait se voir adjuger une somme globale représentant 45 % des honoraires réellement payés, plus 100 % de ses débours. Elle soutient subsidiairement que si Apotex obtient gain de cause sur un ou plusieurs points (c’est‐à‐dire qu’Apotex ne contrefait pas le brevet 188 et/ou que le brevet 188 est invalide), cette dernière devrait se voir adjuger une somme globale correspondant à 30 % des honoraires qu’elle a payés et de 100 % de ses débours (à l’exclusion des honoraires et débours liés à M. Leslie Z. Benet).

[935] Allergan renvoie à la jurisprudence récente pour faire observer que les sommes globales octroyées peuvent varier de 25 % à 50 % des honoraires réellement payés. Elle soutient qu’Apotex, si elle obtient gain de cause, ne devrait pas se voir accorder comme dépens une somme globale correspondant à l’extrémité supérieure de la fourchette en raison de sa conduite dans le présent litige. Allergan mentionne, entre autres choses : le changement d’approche d’Apotex au dernier moment sur plusieurs questions, ce qui a entraîné une perte de temps de préparation pour Allergan; le refus d’Apotex d’accepter les qualifications des témoins experts d’Allergan; les objections d’Apotex à l’égard d’extraits au cours du procès, qui ont ultérieurement été retirées. Allergan souligne également la conduite d’Apotex dans |||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||, concernant la présentation d’Apotex à Santé Canada qui |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. Allergan conteste également les insinuations d’Apotex concernant le brevet de Takeda, qui frisent des allégations de fraude.

[936] Apotex fait valoir que la partie qui obtient gain de cause devrait se voir adjuger une somme globale correspondant à 25 % des honoraires juridiques raisonnables qu’elle a dû assumer, plus 100 % des débours qu’elle a raisonnablement engagés.

[937] Apotex note qu’elle a exclu tous les dépens liés au rapport d’expertise de M. Benet, qui s’est retiré peu avant le procès.

[938] En prévision des arguments éventuels d’Allergan concernant la conduite d’Apotex, Apotex fait valoir que les deux parties ont contribué à la perte de temps et au gaspillage d’énergie et que la Cour ne devrait pas s’aventurer dans la répartition des responsabilités. Apotex fait remarquer, par exemple, qu’Allergan a réduit les revendications invoquées à un stade tardif du litige, a nié que la demande BR 601 avait été divulguée publiquement et a maintenu une interprétation intenable de l’expression [traduction] « avec ou sans prise d’aliments ou de boissons ».

B. Dépens pour la partie qui obtient gain de cause

[939] Dans la décision Allergan, le juge en chef a déclaré que la règle générale est que la partie qui obtient gain de cause a droit à ses dépens, même si elle n’a pas gain de cause sur chacun de ses arguments.

[940] Le juge en chef a précisé, au paragraphe 31, qu’il y avait deux courants jurisprudentiels sur la question de savoir « si la défense victorieuse dans une action en contrefaçon de brevet, ou un succès à l’égard de certains motifs d’invalidité seulement, constitue un “succès partagé” lorsque le défendeur dans l’action principale ne parvient pas à faire aboutir au moins une autre allégation d’invalidité ». Il a souligné qu’il était lié par la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale, expliquant ce qui suit :

Un autre courant jurisprudentiel a explicitement jugé que ce type de résultats ne constituait pas un « succès partagé » ni des « succès partiels » et, donc, que le défendeur a droit aux dépens : Raydan, précité; Illinois Tool Works Inc c. Cobra Fixations Cie Ltée/Cobra Anchors Co, 2003 CAF 358, aux paragraphes 10‐11; Betser‐Zilevitch c. Petrochina Canada Ltd, 2021 CF 151, au paragraphe 11([Betser‐Zilevitch 2); Johnson & Johnson Inc. c. Boston Scientific Ltd, 2008 CF 817, au paragraphe 4. Il en est ainsi, que les allégations d’invalidité du défendeur aient été formulées dans le cadre d’une défense à l’action principale ou d’une demande reconventionnelle distincte : Raydan, précité, aux paragraphes 6‐7; Eurocopter CF, précitée, au paragraphe 11. Nonobstant la sympathie que m’inspire l’approche adoptée par le premier courant jurisprudentiel, je me sens liée par le second.

[941] Dans la présente affaire, je reconnais qu’Allergan a défendu avec succès de nombreuses allégations d’invalidité du brevet 188 et qu’une partie importante de ses dépens a été consacrée à ces allégations. Le brevet 188 est valide, mais le produit d’Apotex ne le contrefait pas. Si ce n’était de la jurisprudence qui s’impose à moi, je qualifierais le résultat de « succès partagé ». Cependant, Allergan a initié la présente action en contrefaçon et n’a pas établi la contrefaçon. Apotex est la partie qui obtient gain de cause et qui a droit aux dépens.

[942] En l’espèce, les deux parties sont favorables à l’octroi d’une somme globale. Comme je l’ai indiqué précédemment, la tendance de la jurisprudence est l’adjudication d’une somme globale pour les dépens, en particulier dans les « litiges complexes opposant des parties averties » (Seedlings, au para 4). Les deux parties étaient d’un niveau semblable sur le plan de l’expertise et du caractère « averti », disposaient d’équipes comparables et ont poursuivi le litige avec vigueur pour faire défendre leurs positions respectives. Les honoraires et les débours des deux parties sont comparables. Les honoraires et les débours sont également comparables à ceux de litiges récents similaires.

[943] En ce qui concerne le montant approprié pour l’adjudication d’une somme globale, la Cour d’appel fédérale a souligné dans l’arrêt Shire le besoin de prévisibilité dans l’éventail des sommes globales adjugées (au para 24). La Cour d’appel fédérale a reconnu, au paragraphe 22, que la jurisprudence indique que les sommes globales varient entre 10 % et 50 % des honoraires effectivement dépensés, mais a conclu que l’adjudication d’une somme correspondant à une fourchette entre un quart et un tiers des honoraires constitue la norme, et que l’octroi de montants plus élevés demeure exceptionnel.

[944] Comme il a été mentionné précédemment, Allergan soutient que si Apotex obtient gain de cause, elle devrait se voir accorder une somme globale de 30 % des honoraires raisonnables qu’elle a payés plus 100 % de ses débours. Apotex demande moins, à savoir que si elle a gain de cause, qu’on lui accorde une somme globale correspondant à 25 % de ses dépens.

[945] Une somme globale de 25 % des honoraires effectivement payés par Apotex se situe bien dans la fourchette normale récemment clarifiée par la Cour d’appel fédérale, et aucun montant supérieur n’est demandé ni ne serait justifié.

[946] Apotex a établi que les honoraires qu’elle a payés s’élevaient à 4 447 981,75 $. La somme globale adjugée au titre des honoraires, correspondant à 25 % de ce montant, s’élève à 1 111 995,44 $. Apotex a également établi qu’elle a eu des débours (elle a soustrait ceux associés au rapport de M. Benet) de 492 420,64 $. Par conséquent, Apotex a droit à des dépens de 1 604 416,08 $.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. L’action en contrefaçon des demanderesses contre la défenderesse à l’égard du brevet canadien 2 602 188 est rejetée.
  2. Les revendications invoquées du brevet canadien 2 602 188 ne sont pas invalides pour cause d’antériorité, d’évidence, d’inutilité, de divulgation insuffisante ou de portée excessive.
  3. Allergan versera à Apotex une somme globale représentant 25 % des honoraires payés par Apotex et 100 % des débours payés par Apotex, soit un montant total de 1 604 416,08 $.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-794-19

 

INTITULÉ :

ALLERGAN INC. ET ALLERGAN PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL LIMITED c APOTEX INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

du 1er au 12 février et du 1er au 3 mars 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS CONFIDENTIELS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 février 2022

 

COMPARUTIONS :

David Tait

Deborah Templer

James Holtom

Edwin Mok

Tracey Doyle

 

Pour les demanderesses

 

Harry Radomski

Benjamin Hackett

Dino Clarizio

Sandon Shogilev

Daniel Cappe

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

 

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