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Date : 20220225


Dossiers : T-1904-21

T-24-22

Référence : 2022 CF 273

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 février 2022

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

DAVID ADAMS

demandeur

et

COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA, SECTION D’APPEL

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La défenderesse demande le rejet de chacune des deux présentes demandes de contrôle judiciaire. Étant donné que les demandes de contrôle judiciaire ont des contextes procéduraux connexes, j’aborderai conjointement les deux requêtes dans les présents motifs. La défenderesse soutient que la demande dans le dossier T-1904-21 est théorique et que la demande dans le dossier T-24-22 vise de façon inappropriée le contrôle des motifs de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada et non de son ordonnance, qui était en faveur du demandeur.

[2] Pour les motifs exposés plus en détail ci-après, j’accueille la requête de la défenderesse visant à faire rejeter la demande dans le dossier T-1904-21 en raison de son caractère théorique. Les conditions de la libération d’office du demandeur qui font l’objet de son premier appel devant la Section d’appel et de sa demande de contrôle judiciaire devant la Cour n’existent plus à la lumière de la révocation subséquente de sa libération d’office. Une décision par rapport à la présente demande de contrôle judiciaire n’aurait aucun effet pratique, et il ne s’agit pas d’une affaire qui convienne à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’instruire une affaire théorique. Même si les mêmes conditions peuvent par la suite être imposées de nouveau par la Commission des libérations conditionnelles, comme le prétend le demandeur, elles seraient imposées de nouveau en fonction des faits et des circonstances entourant l’affaire à ce moment-là et non en fonction des faits et des circonstances entourant l’affaire au moment où les conditions ont été imposées pour la première fois. Elles seraient également assujetties à un nouveau droit d’appel à la Section d’appel, comme la Section d’appel elle-même l’a confirmé. L’affaire est donc théorique et sera rejetée.

[3] Toutefois, je rejetterai la requête de la défenderesse visant à faire rejeter la demande dans le dossier T-24-22. Même si la Section d’appel a conclu que la décision de la Commission des libérations conditionnelles de révoquer la libération conditionnelle du demandeur était injuste sur le plan de la procédure et a renvoyé l’affaire à la Commission des libérations conditionnelles, elle n’a pas ordonné la libération d’office du demandeur comme elle avait compétence pour le faire. Comme le fait valoir le demandeur, il n’a pas eu entièrement gain de cause dans son appel, puisqu’il demeure incarcéré. Par conséquent, je ne peux accepter que la demande de contrôle judiciaire du demandeur constitue simplement une contestation des motifs de la Section d’appel et non de son ordonnance.

II. Questions en litige

[4] La principale question en litige dans les présentes requêtes est de savoir si l’une ou l’autre des présentes demandes de contrôle judiciaire, ou les deux, devraient être rejetées en tant que question préliminaire. De plus, les observations des parties soulèvent un certain nombre de questions supplémentaires qu’il vaut mieux aborder comme des questions préliminaires.

[5] J’aborderai donc ces diverses questions dans l’ordre suivant, après avoir établi le contexte factuel et procédural des demandes de contrôle judiciaire :

  1. Convient-il de statuer sur ces requêtes par écrit?

  2. L’ordonnance demandée par le demandeur concernant l’accès à un ordinateur pendant l’incarcération devrait-elle être rendue?

  3. Les questions sur le contre-interrogatoire écrit du demandeur sont-elles appropriées?

  4. La demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-1904-21 devrait-elle être rejetée parce qu’elle est théorique?

  5. La demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-24-22 devrait-elle être rejetée parce qu’elle vise uniquement à contester les motifs de la Section d’appel et non son ordonnance?

III. Contexte : Les décisions de la Section d’appel et les demandes de contrôle judiciaire

[6] Le demandeur est actuellement incarcéré à l’Établissement de Bowden. En janvier 2021, le demandeur a été libéré d’office suivant l’article 127 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la LSCMLC]. Sa libération d’office était assujettie à certaines conditions imposées par la Commission des libérations conditionnelles du Canada, y compris une assignation à résidence dans un établissement résidentiel communautaire (ERC), que j’appellerai la « condition de résidence », et l’interdiction d’être en possession d’un ordinateur qui permettrait l’accès à Internet sans surveillance, d’en utiliser un ou d’en avoir la propriété, ce que j’appellerai l’« interdiction liée aux appareils ».

[7] En mars 2021, des questions ont été soulevées concernant la présence d’un ordinateur permettant l’accès à Internet, à savoir un Xbox 360, dans la chambre du demandeur à l’ERC, et l’absence du demandeur de la résidence. Ces questions, et en particulier la découverte du Xbox, ont mené à la suspension de la libération d’office du demandeur, à son arrestation et à son retour en prison.

[8] Le demandeur a soutenu que le Xbox appartenait à un autre résident, qui assumait la responsabilité de l’article. Après examen de la suspension, la Commission des libérations conditionnelles a jugé cette explication plausible, bien qu’elle ait mentionné d’autres incidents de non-conformité aux règles de l’ERC et aux conditions de mise en liberté du demandeur. Dans une décision datée du 31 mai 2021, la Commission des libérations conditionnelles a adressé une réprimande au demandeur, mais a annulé la suspension de sa libération d’office, en imposant les mêmes conditions qui étaient en place auparavant.

[9] La libération d’office du demandeur a de nouveau été suspendue le 13 août 2021. Cette suspension s’est produite après un incident impliquant le demandeur et un autre résident de l’ERC, que la Commission des libérations conditionnelles a décrit comme une [traduction] « altercation physique ». Le demandeur conteste cette description; il affirme que, lors de l’événement, l’autre résident l’a agressé. Toutefois, la description de cet événement n’est pas importante pour les questions dont la Cour est saisie relativement aux présentes requêtes.

[10] Le 27 août 2021, le demandeur a interjeté appel de la décision rendue le 31 mai 2021 par la Commission des libérations conditionnelles auprès de la Section d’appel. Son appel contestait (1) l’imposition de conditions à sa libération d’office, en particulier, l’interdiction liée aux appareils et la condition de résidence; (2) une déclaration dans la décision de la Commission des libérations conditionnelles selon laquelle le demandeur avait [traduction] « refusé de suivre un programme de traitement » pendant sa détention.

[11] Le 28 septembre 2021, la Section d’appel a informé le demandeur qu’elle [traduction] « ne prendrait aucune autre mesure à l’égard de [son] appel » compte tenu du fait que sa libération d’office avait été suspendue. La Section d’appel a confirmé que, une fois que la Commission des libérations conditionnelles aurait rendu sa décision sur la suspension d’août 2021, elle serait prête à examiner un nouvel appel fondé sur cette décision. Le demandeur a demandé à la Section d’appel de rouvrir l’appel, affirmant qu’elle ne pouvait pas [traduction] « prendre aucune mesure » à l’égard de l’appel en raison de la suspension de la libération d’office. La Section d’appel a refusé cette demande le 15 novembre 2021 au motif que sa décision du 28 septembre 2021 de rejeter l’appel était définitive.

[12] La demande du demandeur dans le dossier T-1904-21 vise le contrôle judiciaire de la décision rendue le 28 septembre 2021 par la Section d’appel, décision confirmée le 15 novembre 2021.

[13] Entre-temps, le 25 octobre 2021, la Commission des libérations conditionnelles a rendu sa décision découlant de la suspension de la libération d’office du demandeur en août 2021. Elle a conclu que le demandeur présentait toujours un risque élevé de récidive, qu’il n’avait réalisé aucun progrès pendant qu’il était en liberté d’office dans la collectivité et qu’il présenterait un risque inacceptable pour la société s’il était libéré d’office. Elle a donc décidé que la libération d’office serait révoquée [traduction] « pour la sécurité de la collectivité ».

[14] Le demandeur a interjeté appel de la décision rendue le 25 octobre 2021 par la Commission des libérations conditionnelles devant la Section d’appel, en soutenant que la Commission des libérations conditionnelles avait fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets, qu’elle n’avait pas appliqué ses propres politiques, et qu’elle n’avait pas respecté un principe de justice fondamentale en se fondant sur des renseignements qui n’avaient pas été communiqués au demandeur.

[15] Le 6 décembre 2021, la Section d’appel a annulé la décision de révocation de la Commission des libérations conditionnelles pour des motifs d’équité procédurale ou de justice fondamentale. Elle a conclu que la Commission des libérations conditionnelles n’avait pas veillé à ce que tous les documents pertinents soient communiqués avant l’audience et que les obligations de communication prévues par la LSCMLC n’avaient pas été respectées, ce qui a donné lieu à une décision injuste sur le plan de la procédure. La Section d’appel a renvoyé l’affaire pour un nouvel examen, tout en ordonnant que la décision du 25 octobre 2021 soit maintenue jusqu’à la conclusion de cet examen. En date de la preuve déposée par les parties, cet examen devait avoir lieu le 7 février 2022. La Cour ne dispose d’aucun renseignement concernant le déroulement de cet examen ou son résultat.

[16] La demande du demandeur dans le dossier T-24-22 vise le contrôle judiciaire de la décision rendue le 6 décembre 2021 par la Section d’appel.

IV. Analyse

A. Il est convenable de statuer sur les requêtes par écrit

[17] Le demandeur soutient, en réponse à chaque requête, qu’en cas de rejet, la Cour devrait permettre l’audition de la requête afin de donner au demandeur la possibilité de répondre compte tenu de sa situation et de son manque de connaissances juridiques.

[18] Le paragraphe 369(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, prévoit que, si elle demande l’audition de la requête, la partie intimée à une requête écrite peut inclure une mention à cet effet, accompagnée des raisons justifiant l’audition, dans ses prétentions écrites. Le paragraphe 369(4) des Règles des Cours fédérales prévoit que la Cour peut statuer sur la requête par écrit ou fixer les date, heure et lieu de l’audition de la requête. Ces dispositions donnent à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’évaluer si, à la lumière de la demande de l’intimé, il convient de traiter la question par écrit ou si une plaidoirie de vive voix est nécessaire.

[19] Les facteurs pertinents dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire sont notamment la nature de la requête, la complexité des questions en litige, la nature de la preuve et des arguments des parties, la possibilité que la tenue d’une audience ne fasse qu’augmenter les coûts et retarder le règlement de l’affaire, et la question de savoir si une audience est nécessaire pour statuer sur la requête : Oberlander c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 86 au para 10; SNC-Lavalin Group Inc c Canada (Service des poursuites pénales), 2019 CAF 108 au para 13 et annexe « A »; Règles des Cours fédérales, art 3b). En fin de compte, la question est de savoir si le fait de statuer par écrit sur la requête va de pair avec l’intérêt de la justice et permet d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible : Règles des Cours fédérales, art 3a).

[20] En l’espèce, les questions à trancher ne sont pas particulièrement complexes, puisque les requêtes de la défenderesse reposent sur une seule question dans chaque cas. Je suis convaincu que les positions des parties sont bien expliquées dans leurs observations respectives. Cela comprend les observations du demandeur, qui présentaient des arguments pertinents malgré son manque de connaissances juridiques. Après avoir examiné les facteurs susmentionnés, je conclus qu’il est dans l’intérêt d’une décision juste et expéditive de statuer sur les requêtes par écrit.

B. La Cour n’accueillera pas la demande du demandeur visant à obtenir une ordonnance exigeant l’accès à un ordinateur

[21] Dans son affidavit du 2 février 2022, le demandeur affirme qu’il est [traduction] « en confinement plus de 23 heures par jour ». Il mentionne les difficultés à préparer des documents en réponse aux requêtes de la défenderesse et demande une ordonnance enjoignant au Service correctionnel du Canada ou au procureur général de lui permettre d’accéder à un ordinateur chaque jour où il est en confinement.

[22] L’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, prévoit que la Cour peut, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, rendre l’ordonnance interlocutoire qu’elle estime indiquée avant de rendre sa décision définitive. La Cour s’est récemment appuyée sur cette disposition pour rendre une ordonnance accordant l’accès à un ordinateur afin de permettre à un délinquant de se représenter adéquatement dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, dans le contexte d’une ordonnance de surveillance de longue durée : Watts c Canada (Procureur général), 2020 CF 209, aux para 17-19.

[23] Cependant, contrairement à l’affaire Watts, le demandeur n’a pas présenté de requête pour demander une telle ordonnance d’une manière qui permettrait à la défenderesse de répondre à pareille demande. Dans le contexte des requêtes de la défenderesse visant le rejet, la Cour n’est pas en mesure d’évaluer la demande du demandeur ou de prétendre dicter les conditions de son incarcération. Comme il a été mentionné précédemment, le demandeur a été en mesure de répondre par écrit de façon substantielle aux requêtes de la défenderesse. Il semble qu’il ait pu le faire sans qu’il soit nécessaire de prolonger le délai, ce qui constitue un autre moyen de répondre aux préoccupations concernant la capacité de répondre si le besoin se présentait. Je ne suis donc pas disposé à rendre une ordonnance liée à l’accès à un ordinateur à ce stade-ci.

C. L’interrogatoire écrit de la déposante de la défenderesse fait par le demandeur

[24] Dans son dossier de réponse à chaque requête, le demandeur a inclus des questions de contre-interrogatoire écrites adressées à la déposante de la défenderesse, Raylean Ballard. Mme Ballard est gestionnaire à la Commission des libérations conditionnelles et a fourni un affidavit à l’appui des requêtes de la défenderesse dans chaque affaire, établissant les faits trouvés dans les dossiers de la Commission des libérations conditionnelles pertinents dans le processus menant aux décisions faisant l’objet du contrôle. Des documents comme les décisions de la Commission des libérations conditionnelles et de la Section d’appel sont joints à chacun de ses affidavits.

[25] Une partie à une requête peut contre-interroger l’auteur d’un affidavit qui a été signifié par une partie adverse : Règles des Cours fédérales, art 83. Cet interrogatoire peut se faire de vive voix ou par écrit : Règles des Cours fédérales, art 87c) et 88(1). Bien que les questions écrites du demandeur, qui se trouvent à juste titre dans le formulaire 99A, fassent référence à l’interrogatoire préalable, il est clair qu’il s’agit d’un contre-interrogatoire écrit de la déposante de la défenderesse, conformément aux règles susmentionnées.

[26] La défenderesse n’a pas présenté de réponse aux questions écrites du contre-interrogatoire, ce qui doit généralement se faire par affidavit : Règles des Cours fédérales, art 99(3). La défenderesse a plutôt écrit à la Cour en soulignant que les questions ne lui avaient pas été signifiées avant le dépôt des dossiers de requête du demandeur, en s’opposant à la nature des questions et en soutenant que les questions sont inutiles, car le demandeur a déjà présenté ses arguments. La défenderesse déclare donc qu’elle n’a pas l’intention de fournir de réponses, à moins d’indication contraire de la Cour.

[27] Certaines des objections de la défenderesse ne sont pas fondées. Les Règles des Cours fédérales prévoient la remise des dossiers de requête contenant des affidavits et des observations écrites dans un certain délai : Règles des Cours fédérales, art 365(1) et 369(2). La remise de ces affidavits doit se faire avant le contre-interrogatoire : Règles des Cours fédérales, art 84(1). Bien que les parties puissent convenir d’un calendrier, ou que la Cour puisse en imposer un, pour la présentation d’une requête prévoyant la remise des affidavits et la tenue des contre-interrogatoires avant le dépôt des dossiers, les Règles des Cours fédérales elles-mêmes envisagent la tenue des contre-interrogatoires après le dépôt des dossiers. En effet, le paragraphe 364(2) des Règles des Cours fédérales, que cite la défenderesse, précise que l’inclusion de transcriptions dans un dossier de requête est « sous réserve de la règle 368 ». L’article 368 des Règles des Cours fédérales prévoit que les transcriptions des contre-interrogatoires des auteurs des affidavits doivent être déposées avant l’audition de la requête. Le fait que les interrogatoires écrits du demandeur ont été remis en même temps que ses dossiers de requête, qui comprennent ses affidavits et ses observations écrites, ne signifie pas que la défenderesse peut tout simplement refuser d’y répondre parce qu’ils sont inutiles.

[28] Cependant, la défenderesse s’oppose également au contenu de l’interrogatoire écrit, au motif que les questions sont [traduction] « largement non pertinentes ou inappropriées, soulèvent des scénarios hypothétiques et sont davantage de la nature de l’interrogatoire préalable que de l’interrogatoire de l’auteur d’un affidavit ». D’après mon examen des questions écrites du demandeur, ces objections sont bien fondées. Le demandeur a signifié 99 questions écrites, qui sont les mêmes dans les deux affaires. La liste de questions comprend des questions de la nature suivante, que je présente avec l’évaluation de la Cour :

  • Des questions visant à savoir si des décisions de Mme Ballard concernant l’examen du cas d’un délinquant ont été annulées, la fréquence à laquelle les appels sont renvoyés à son bureau et la fréquence à laquelle ils donnent lieu à une nouvelle décision. Ces questions ne sont pas pertinentes par rapport aux présentes requêtes et ne découlent pas du contenu des affidavits de Mme Ballard.

  • Des questions au sujet de la référence de Mme Ballard à la suspension du demandeur [traduction] « à la suite d’une altercation physique avec un autre délinquant », y compris la source de ses renseignements, les détails de l’événement et des renseignements à propos de l’autre délinquant. Il est évident que la référence de Mme Ballard à une altercation physique est tirée de la décision de révocation rendue par la Commission des libérations conditionnelles le 25 octobre 2021, qui fait référence à [traduction] « une altercation physique avec un autre délinquant ». Il est également évident que le demandeur s’oppose à cette description. Toutefois, l’affidavit procédural de Mme Ballard faisant référence aux décisions dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire ne crée pas de nouveaux éléments de preuve concernant l’événement et ne rend pas pertinent le contre-interrogatoire sur sa connaissance de l’événement. Les détails concernant l’autre délinquant n’ont rien à voir non plus avec les présentes requêtes.

  • Des questions demandant à Mme Ballard des conclusions juridiques et des conclusions en matière de politique, comme son point de vue sur l’équité procédurale, le caractère raisonnable, les pratiques efficaces de la Commission des libérations conditionnelles ou l’interprétation des principes de la Commission des libérations conditionnelles. Ces questions sont inappropriées.

  • Des questions au sujet de la profession antérieure de Mme Ballard et d’autres membres de la Commission des libérations conditionnelles et des questions qui demandent [traduction] « toute connaissance ou tout exemple de partialité ou de préjudice des membres de la Commission des libérations conditionnelles ». Ces questions sont inappropriées, non pertinentes et constituent une recherche à l’aveuglette inappropriée, car aucune allégation de partialité n’a été établie.

  • Des questions à propos des croyances de Mme Ballard au sujet de scénarios visant vraisemblablement à décrire les expériences du demandeur lors de son incarcération. Encore une fois, ces questions sont inappropriées et n’ont rien à voir avec les questions soulevées dans les demandes de contrôle judiciaire et les requêtes.

  • Des questions au sujet du contenu des décisions de la Commission des libérations conditionnelles et de la preuve dont elle dispose. Un affidavit procédural joint à une décision ne signifie pas que le déposant a rendu la décision et ne donne pas à une partie le droit de poser des questions qui sont en fait des questions juridiques sur le contenu de cette décision.

[29] Je comprends que le demandeur n’est pas représenté par un avocat. Toutefois, il est important que le demandeur comprenne qu’une demande de contrôle judiciaire est une évaluation de l’équité et du caractère raisonnable de la décision d’un tribunal en fonction des renseignements dont il disposait. À de rares exceptions près, elle est donc fondée sur le dossier dont disposait le tribunal dont la décision est examinée : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Office des transports), 2019 CAF 257 au para 12; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 14-20. Ni les demandes de contrôle judiciaire ni les requêtes actuelles ne sont l’endroit où chercher à présenter de nouveaux éléments de preuve concernant les événements qui sous-tendent les décisions. Il n’est pas non plus possible de demander à un déposant, même à un membre de la Commission des libérations conditionnelles, de tirer des conclusions ou de présenter des opinions juridiques au sujet des décisions ou du régime législatif pertinent.

[30] Après avoir examiné l’ensemble des questions écrites du demandeur, je conclus qu’elles ne sont pas appropriées. Je ne tire donc aucune conclusion défavorable du refus de la défenderesse d’y répondre.

D. La demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-1904-21 doit être rejetée

(1) Cadre d’analyse

[31] Les requêtes préliminaires visant à rejeter une demande de contrôle judiciaire sont rares. Étant donné que les demandes de contrôle judiciaire sont elles-mêmes des procédures accélérées, la façon appropriée de contester une demande de contrôle judiciaire consiste généralement à contester le bien-fondé de la demande : David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 CF 588 (CA), aux p 596-597. Toutefois, la Cour a le pouvoir inhérent de radier ou de rejeter une demande de contrôle judiciaire sur requête préliminaire lorsqu’elle est « manifestement irrégul[ière] au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[e] » ou qu’elle a un caractère « voué à l’échec » : David Bull, à la p 600; Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 aux para 47-48; Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 au para 33.

[32] Une demande de contrôle judiciaire peut être vouée à l’échec et être radiée ou rejetée à l’étape préliminaire parce qu’elle ne revêt plus qu’un caractère théorique : Wenham, au para 36(1); Kardava c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 159 au para 12, citant la décision Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CF 137 aux para 8-11.

[33] Pour déterminer si une question est théorique, la Cour applique l’analyse en deux parties établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342. Il convient d’abord de se demander s’il existe un « litige actuel » qui porte ou pourrait porter atteinte aux droits des parties. S’il n’en existe pas, la seconde question qui se pose consiste à se demander si le tribunal devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher l’affaire : Borowski, aux p 353-363; Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2018 CAF 195 au para 10. Lorsqu’elle examine s’il convient d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire une affaire théorique, la Cour tient compte de chacune des trois principales raisons d’être de la doctrine du caractère théorique en évaluant (1) la présence ou l’absence d’un contexte contradictoire; (2) la question de savoir s’il est approprié d’utiliser des ressources judiciaires limitées; (3) la sensibilité de la Cour à l’égard de son rôle par rapport à celui du législateur : Borowski, aux p 358-363; Démocratie en surveillance, au para 13.

(2) La demande de contrôle judiciaire est théorique

[34] La demande de contrôle judiciaire du demandeur conteste la décision du 28 septembre 2021 par laquelle la Section d’appel a refusé de prendre d’autres mesures relativement à l’appel interjeté par le demandeur contre la décision rendue le 31 mai 2021 par la Commission des libérations conditionnelles concernant sa libération d’office. L’appel interjeté par le demandeur devant la Section d’appel avait contesté à la fois l’imposition de conditions par la Commission des libérations conditionnelles et l’affirmation de cette dernière selon laquelle il avait refusé de participer à un programme de traitement lorsqu’il était en détention. Le demandeur semble avoir anticipé les préoccupations relatives au caractère théorique, en présentant des observations à la Section d’appel dans son appel quant à la raison pour laquelle l’affaire n’était pas théorique, à savoir [traduction] « parce que ces conditions seront imposées de nouveau si vous n’en ordonnez pas autrement, et l’erreur continuera d’être invoquée ».

[35] Bien qu’elle n’ait pas mentionné le caractère théorique dans sa lettre de décision, dans les faits, la Section d’appel a décidé que l’appel dont elle était saisie était théorique parce que les événements subséquents à la décision de la Commission des libérations conditionnelles qui était contestée, soit la révocation subséquente de la libération d’office du demandeur, l’avaient emporté sur la décision.

[36] Devant la Cour, le demandeur soutient que la Section d’appel a outrepassé sa compétence en rejetant l’appel en raison de sa suspension subséquente. Il renvoie au paragraphe 147(2) de la LSCMLC, qui énonce les motifs pour lesquels le vice-président de la Section d’appel peut refuser d’entendre un appel sans qu’il y ait réexamen complet du dossier. Le paragraphe énonce quatre situations, dont aucune ne concerne la suspension subséquente de la libération d’office de l’appelant. Le demandeur sollicite une ordonnance déclarant que la Section d’appel a rejeté l’appel illégalement et ordonnant à la Section d’appel de faire droit à l’appel.

[37] Je conclus que la défenderesse a raison d’affirmer que la demande de contrôle judiciaire est théorique.

[38] Même si la Cour devait conclure que la Section d’appel n’avait pas le pouvoir de rejeter l’appel du demandeur en raison de son caractère théorique, il ne servirait à rien de renvoyer l’affaire à la Section d’appel, parce que les questions en litige devant la Section d’appel ne sont plus des litiges actuels.

[39] En ce qui concerne l’imposition de conditions à la libération d’office du demandeur, les conditions en cause dans le premier appel devant la Section d’appel, à savoir celles imposées par la Commission des libérations conditionnelles le 31 mai 2021, ne sont plus en vigueur, vu la suspension subséquente de la libération d’office du demandeur. Le renvoi de l’affaire à la Section d’appel ne pourrait donc avoir aucune incidence sur ces conditions particulières.

[40] À cet égard, je ne suis pas convaincu par l’argument que le demandeur a fait valoir à la Cour et à la Section d’appel, selon lequel l’affaire n’est pas théorique pour la raison que les mêmes conditions pourraient être imposées de nouveau par la Commission des libérations conditionnelles. La Commission des libérations conditionnelles a le pouvoir d’imposer à la libération d’office les conditions qu’elle juge raisonnables et nécessaires « pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant » : LSCMLC, art 133(3). La Commission des libérations conditionnelles peut également inclure une exigence de résider dans un ERC si elle est « convaincue qu’à défaut de cette condition la perpétration par le délinquant » de certaines infractions avant l’expiration de sa peine « présentera un risque inacceptable pour la société » : LSCMLC, art 133(4.1).

[41] Dans un cas comme dans l’autre, l’évaluation visant à se pencher sur les critères d’imposition des conditions — en particulier l’interdiction liée aux appareils et la condition de résidence contestées par le demandeur — est nécessairement effectuée au moment où les conditions sont imposées, en fonction des renseignements les plus récents et les plus pertinents. Cela a deux conséquences. Premièrement, le fait que des conditions ont déjà été imposées ne signifie pas que ces conditions seront nécessairement imposées de nouveau dans les nouvelles circonstances. Deuxièmement, cela veut dire qu’une décision quant à savoir si les conditions ont été imposées de façon déraisonnable ou inappropriée la première fois ne signifie pas qu’il sera déraisonnable ou inapproprié d’imposer ces conditions dans les nouvelles circonstances.

[42] Si la Commission des libérations conditionnelles impose de nouveau les mêmes conditions, le demandeur peut interjeter appel de cette décision auprès de la Section d’appel. La Section d’appel a confirmé que c’était le cas dans sa décision, en déclarant que [traduction] « lorsque la CLCC rendra une nouvelle décision sur votre suspension, la Section d’appel sera prête à examiner un nouvel appel fondé sur la nouvelle décision de la CLCC ». Il se trouve que c’est ce qui s’est produit. La Commission des libérations conditionnelles a rendu une nouvelle décision, le demandeur a interjeté appel de cette décision auprès de la Section d’appel, et la Section d’appel a statué sur l’appel dans la décision qui fait l’objet du dossier T-24-22.

[43] Par conséquent, et contrairement aux observations du demandeur, une ordonnance de la Cour déclarant que la Section d’appel n’avait pas le droit de rejeter l’appel pour des motifs de caractère théorique n’aurait aucun effet pratique. De même, une décision de la Section d’appel selon laquelle la Commission des libérations conditionnelles a imposé de façon déraisonnable ou injuste l’interdiction liée aux appareils ou la condition de résidence en mai 2021 ne s’appliquerait plus, puisque la libération d’office du demandeur a été suspendue. Autrement dit, contrairement aux observations du demandeur, les conditions imposées antérieurement ne continuent pas [traduction] « de s’appliquer à toute décision future ». Les décisions futures concernant les conditions à imposer reposeront plutôt sur l’évaluation par la Commission des libérations conditionnelles du respect des critères nécessaires pour imposer ces conditions au moment où elles sont imposées.

[44] Il en va de même pour la préoccupation du demandeur au sujet de la déclaration de la Commission des libérations conditionnelles selon laquelle il avait refusé un programme de traitement. Lors d’un examen futur de sa libération d’office, le demandeur aura le droit d’exposer des arguments et des éléments de preuve selon lesquels il n’a pas refusé les programmes de traitement. La Commission des libérations conditionnelles ne sera pas liée par la déclaration antérieure dans sa décision du 31 mai 2021 sur cette question, particulièrement dans le contexte d’une décision qui a été portée en appel, mais pour laquelle l’appel a été rejeté parce qu’il était théorique.

[45] Le demandeur soutient également que, si la Section d’appel procède à l’audition complète d’un appel de la décision du 31 mai 2021 à la suite d’une ordonnance de la Cour l’obligeant à le faire, il pourrait obtenir de meilleurs résultats, y compris une mise en liberté immédiate. Je ne puis accepter cet argument. Il faut se rappeler que l’appel en question porte sur l’imposition de conditions de libération d’office qui présupposent que le demandeur a déjà été libéré de prison. En rendant une décision sur la décision rendue le 31 mai 2021 par la Commission des libérations conditionnelles au sujet de l’imposition de conditions à la libération d’office, la Section d’appel n’aborderait pas les raisons pour lesquelles la libération d’office a été suspendue par la suite. Peu importe l’issue de l’appel sur la présente ordonnance, cela n’aurait aucune incidence sur la suspension subséquente de la libération d’office du demandeur et ne pourrait pas entraîner sa libération immédiate, comme il le prétend.

[46] Comme les ordonnances demandées à la Cour dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire n’auraient aucune incidence sur les droits des parties découlant de la loi, je conclus que la demande est théorique.

(3) La Cour n’exercera pas son pouvoir discrétionnaire d’instruire une demande théorique.

[47] Le demandeur demande à la Cour de statuer sur sa demande de contrôle judiciaire, même si elle est théorique. Il soutient que la Cour doit clarifier les critères législatifs pour que la Section d’appel refuse d’entendre un appel, ainsi que [traduction] « l’avis approprié d’une décision définitive ». Je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’une affaire appropriée pour exercer le pouvoir discrétionnaire d’instruire une demande théorique. Comme je l’ai signalé précédemment, les facteurs dont la Cour tient compte pour exercer son pouvoir discrétionnaire sont les suivants : (1) la présence ou l’absence de contexte contradictoire (2) la question de savoir s’il convient d’utiliser les ressources judiciaires limitées et (3) la sensibilité de la Cour à l’égard de son rôle par rapport à celui du législateur.

[48] La défenderesse soutient qu’il n’y a plus de contexte contradictoire entre les parties, car les conditions de la libération d’office ne sont plus en vigueur. À mon avis, cela confond la question du caractère théorique et celle du contexte contradictoire. Dans l’arrêt Borowski, la Cour suprême a reconnu qu’il y avait une relation contradictoire malgré le fait que l’affaire était théorique, parce que l’appel avait été « plaidé avec autant de zèle et de ferveur de la part des deux parties que si la question n’avait pas été théorique » : Borowski, à la p 363. En l’espèce, je suis convaincu, du fait que le demandeur souhaite toujours argumenter sur les questions théoriques, qu’il existe toujours un contexte contradictoire.

[49] Cependant, à mon avis, ni les intérêts de l’économie des ressources judiciaire ni le rôle de la Cour à l’égard des autres organes du gouvernement n’appuient l’option d’instruire l’affaire. Je souligne que la demande de contrôle judiciaire en est encore à l’étape préliminaire. Si l’instance devait aller de l’avant, de nombreuses étapes de la demande de contrôle judiciaire devraient être entreprises, y compris une audience complète sur le bien-fondé, dans le but de rendre une décision qui n’aurait pas d’incidence sur les droits des parties découlant de la loi. Cela joue en défaveur de l’instruction de l’affaire par la Cour.

[50] Je ne suis pas non plus d’accord avec le demandeur pour dire que la Cour doit se prononcer sur le pouvoir du vice-président de la Section d’appel de rejeter un appel pour son caractère théorique en l’espèce. Si cette question devait de nouveau se présenter, il serait préférable de la trancher dans le contexte d’une affaire où le résultat influerait sur les droits des parties découlant de la loi. Ce n’est pas simplement parce qu’une décision peut avoir une incidence sur des affaires futures que la Cour procédera à l’instruction d’une demande théorique.

[51] Pour ce qui est du troisième facteur, j’estime comme pertinent le fait que le législateur a créé un régime administratif pour trancher les questions liées aux conditions de la libération d’office qui comprend un appel administratif à la Section d’appel. Ce choix législatif laisse croire que les processus administratifs pertinents devraient être suivis pour trancher des questions relatives à la libération d’office et que la Cour devrait adopter une approche restrictive pour trancher les questions relatives aux pouvoirs et à la compétence de la Section d’appel, particulièrement dans des circonstances où la décision rendue sur ces questions n’aura pas d’incidence sur les droits d’une partie découlant de la loi.

[52] La défenderesse soulève également la question du caractère opportun de la demande de contrôle judiciaire, et en particulier le fait qu’elle a été déposée plus de 30 jours après la décision initiale rendue par la Section d’appel le 28 septembre 2021. Dans les circonstances, y compris l’incarcération du demandeur et sa compréhension du fait que la décision de la Section d’appel n’était pas définitive, je ne considère pas qu’il s’agit d’une question importante dans l’évaluation de l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

[53] Néanmoins, pour les autres motifs susmentionnés, je conclus qu’il ne convient pas que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire en l’espèce en vue de l’instruction d’une demande de contrôle judiciaire théorique.

[54] Par conséquent, je vais accueillir la requête de la défenderesse et rejeter la demande. La défenderesse ne demande pas de dépens pour la présente requête.

E. La demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-24-22 ne doit pas être rejetée

[55] La seconde demande de contrôle judiciaire du demandeur conteste la décision rendue le 6 décembre 2021 par laquelle la Section d’appel a renvoyé la révocation de la libération d’office du demandeur à la Commission des libérations conditionnelles en vue d’un nouvel examen. Le demandeur sollicite une ordonnance pour annuler la décision de la Section d’appel et y substituer la décision de la Cour annulant la suspension de sa libération d’office. Subsidiairement, il demande une ordonnance pour annuler la décision de la Section d’appel et renvoyer l’affaire à la Section d’appel en vue d’un examen complet de son dossier. Le demandeur soutient que la Section d’appel a commis une erreur en n’abordant pas ses motifs d’appel concernant le bien-fondé de la décision de la Commission des libérations conditionnelles et en ne tranchant son dossier que sur le motif de l’équité procédurale.

[56] La défenderesse soutient que la demande de contrôle judiciaire du demandeur devrait être rejetée au motif qu’elle conteste indûment une décision de la Section d’appel dans laquelle le demandeur a eu gain de cause. Il est bien établi qu’une demande de contrôle judiciaire est tirée de l’ordonnance d’un tribunal administratif et non des motifs. Par conséquent, les motifs d’une décision ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire indépendamment de la décision elle-même : Rogerville c Canada (Procureur général), 2001 CAF 142 au para 28, Fournier c Canada (Procureur général), 2019 CAF 265 au para 28.

[57] La défenderesse soutient que ce principe s’applique en l’espèce, car la Section d’appel, dans sa décision du 6 décembre 2021, a ordonné un nouvel examen de la décision de la Commission des libérations conditionnelles du 25 octobre 2021, laquelle révoquait la libération d’office du demandeur. La défenderesse soutient que le demandeur a, en réalité, eu gain de cause dans son appel et qu’il ne peut pas demander le contrôle judiciaire des motifs exposés pour ce résultat favorable. La défenderesse fait également valoir que la Cour n’a pas compétence pour accueillir la demande d’ordonnance de libération immédiate du demandeur et qu’il est donc évident que cet aspect de la demande de contrôle judiciaire ne peut être accueilli.

[58] Le demandeur affirme qu’il n’a eu que partiellement gain de cause devant la Section d’appel, puisqu’il demeure incarcéré. Il soutient qu’il cherche à obtenir un résultat différent de celui ordonné par la Section d’appel, à savoir l’annulation de la suspension de sa libération d’office et de sa libération de prison.

[59] Après avoir examiné la demande de contrôle judiciaire du demandeur et la décision de la Section d’appel, je conclus que la demande n’est pas si manifestement vouée à l’échec au point où elle devrait être radiée à cette étape.

[60] Bien qu’elle ait renvoyé l’affaire à la Commission des libérations conditionnelles, la Section d’appel n’a pas accueilli l’appel du demandeur au point de substituer sa propre décision à celle de la Commission des libérations conditionnelles. Il s’agit d’une décision qui peut être rendue par la Section d’appel en vertu de l’alinéa 147(4)d) de la LSCMLC, qui donne à la Section d’appel le pouvoir d’« infirmer ou modifier la décision » de la Commission des libérations conditionnelles. Dans ses motifs de décision, la Section d’appel a déclaré qu’elle [traduction] « a compétence pour réévaluer la question du risque de récidive et pour substituer son jugement à celui des commissaires qui ont rendu la décision initiale, mais seulement si elle conclut que la décision n’était pas fondée et n’était pas étayée par l’information disponible au moment où elle a été rendue ». Ce libellé, qui se trouve également au paragraphe 12.1(9) du Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des commissaires publié par la Commission des libérations conditionnelles, semble courant dans les décisions de la Section d’appel et a été cité avec l’approbation de la Cour : voir, p. ex., Reid c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 2002 CFPI 741 au para 22; Bonamy c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 2001 CFPI 121 au para 15.

[61] Il se peut fort bien qu’il soit rare que la Section d’appel exerce son pouvoir discrétionnaire d’annuler une décision de la Commission des libérations conditionnelles et annule la suspension de la libération d’office que celle-ci a ordonné plutôt que de lui renvoyer l’affaire en vue d’un nouvel examen. Toutefois, il figure parmi les issues possibles à la présente demande de contrôle judiciaire que la Cour conclue que la Section d’appel a commis une erreur en omettant d’examiner la question de savoir si elle devrait substituer sa décision à celle de la Commission des libérations conditionnelles. Je suis donc d’accord avec le demandeur pour dire que ce qui est contesté dans la présente demande de contrôle judiciaire, ce ne sont pas seulement les motifs de l’ordonnance de la Section d’appel, mais aussi la nature de l’ordonnance elle-même.

[62] J’hésite quelque peu à tirer cette conclusion puisqu’il n’est pas évident que le demandeur a demandé une décision de substitution à la Section d’appel à titre de réparation. Dans son appel présenté par écrit de la décision rendue par la Commission des libérations conditionnelles le 25 octobre 2021, le demandeur n’a pas demandé à la Section d’appel d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’annuler la décision de la Commission des libérations conditionnelles. Dans la mesure où il a parlé de réparation, le demandeur a suggéré qu’il devrait y avoir une nouvelle audience de révocation devant la Commission des libérations conditionnelles. Toutefois, en plus du fait que le demandeur n’était pas représenté par un avocat dans le cadre de son appel, je souligne la référence du demandeur au paragraphe 12.1(8) du Manuel des politiques décisionnelles de la Commission des libérations conditionnelles dans ses observations écrites devant la Cour. Ce paragraphe prévoit que la Section d’appel « n’est pas tenue d’examiner uniquement les motifs invoqués dans l’avis d’appel écrit et peut également prendre en considération tout motif, conformément au paragraphe 147(1) de la LSCMLC, pour déterminer si la Commission a commis une erreur ayant causé un préjudice ou une iniquité envers le délinquant ». Compte tenu de ce libellé, la règle générale selon laquelle un demandeur ne peut pas, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, présenter d’arguments ou obtenir une issue qu’il n’a pas demandée au tribunal administratif dont la décision fait l’objet du contrôle, pourrait être atténuée.

[63] En ce qui concerne la demande du demandeur que la Cour ordonne sa mise en liberté, je n’ai pas à l’examiner comme une question distincte, puisque la défenderesse ne demande pas la radiation partielle de certains paragraphes de l’avis de demande. Quoi qu’il en soit, il convient de souligner que, bien qu’il soit rarement exercé, la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’accorder une réparation de substitution indirecte, ordonnant effectivement à un tribunal administratif relevant de sa compétence de surintendante d’en arriver à une issue particulière : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 142; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tennant, 2019 CAF 206 aux para 74-82. Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec la défenderesse pour dire qu’il est évident et manifeste que la Cour n’a pas compétence pour accorder une telle réparation à l’égard de la Section d’appel ou que, comme la défenderesse le soutient, cela équivaudrait à une attaque indirecte contre la condamnation criminelle et la peine du demandeur.

[64] Par conséquent, je conclus que la demande de contrôle judiciaire du demandeur ne se limite pas aux motifs donnés par la Section d’appel et que la norme élevée du caractère « voué à l’échec » pour le rejet d’une demande de contrôle judiciaire au stade des mesures préliminaires n’est pas respectée. Je vais donc rejeter la requête de la défenderesse en radiation de la seconde demande de contrôle judiciaire.

[65] Bien que la défenderesse n’ait pas demandé les dépens de la requête, le demandeur l’a fait. À la lumière de ma décision à l’égard de la présente requête, je conclus que le demandeur a droit à ses dépens, que je fixerai au montant de 250 $, qui lui sont payables peu importe l’issue de la cause. Par souci de clarté, cela signifie que le demandeur aura droit à des dépens de 250 $ à la conclusion de la demande de contrôle judiciaire, peu importe l’issue du contrôle judiciaire, montant qui pourrait être déduit d’autres dépens qui peuvent être éventuellement payables.

[66] L’autre réparation demandée par le demandeur, comme une déclaration selon laquelle la défenderesse ne déposera pas d’autres requêtes en rejet, ne sera pas accordée.


ORDONNANCE dans les dossiers T-1904-21 et T-24-22

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-1904-21 est rejetée en raison de son caractère théorique, sans dépens.

  2. La requête de la défenderesse visant à rejeter la demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-24-22 est rejetée; les dépens payables au demandeur s’élèvent à 250 $, peu importe l’issue de la cause.

« Nicholas McHaffie »

juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1904-21

 

INTITULÉ :

DAVID ADAMS c LA COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA – SECTION D’APPEL

 

ET DOSSIER :

T-24-22

 

INTITULÉ :

DAVID ADAMS c LA COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA – SECTION D’APPEL

 

REQUÊTE EXAMINÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 25 FÉVRIER 2022

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

David Adams

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Keelan Sinnott

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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