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Date : 20220225


Dossier : IMM-51-20

Référence : 2022 CF 266

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 février 2022

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

DAVINDER SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Singh, sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 4 novembre 2019, par laquelle un agent des visas [l’agent] a, au titre de l’article 200 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], rejeté sa demande de permis de travail présentée dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée. La décision de l’agent est raisonnable, elle est étayée par la preuve et elle commande la retenue. L’agent n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale en ne donnant pas à M. Singh la possibilité de dissiper les doutes, qui découlaient tous de la preuve produite par M. Singh et des exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] et du Règlement.

I. Le contexte

[3] M. Singh, un citoyen de l’Inde, a présenté une demande de permis de travail dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires en vue de travailler au Canada comme conducteur de camion sur long parcours.

[4] M. Singh avait reçu une offre d’emploi et un contrat de travail de la société SMS Logistics Inc. [SMS], située à Caledon, en Ontario, pour un poste de conducteur de camion sur long parcours d’une durée de 24 mois. SMS avait obtenu une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) favorable, laquelle énonçait les renseignements relatifs à l’emploi, notamment la durée et le salaire, ainsi que les exigences, notamment un diplôme d’études secondaires et la connaissance de l’anglais à l’oral et à l’écrit.

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[5] Dans une lettre datée du 4 novembre 2019, l’agent a avisé M. Singh que sa demande de permis de travail était rejetée pour deux motifs. Premièrement, l’agent n’était pas convaincu que M. Singh quitterait le Canada à la fin de son séjour, comme l’exige le paragraphe 200(1) du Règlement. Deuxièmement, l’agent a estimé que M. Singh n’avait pas démontré qu’il serait en mesure d’exercer adéquatement l’emploi pour lequel il avait été embauché.

[6] La lettre de l’agent et les notes consignées par celui-ci dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], qui constituent les motifs de la décision, mentionnent ce qui suit :

[traduction]
Le demandeur, un Indien âgé de 25 ans, est originaire de Kapurthala, dans l’état du Pendjab. Il souhaite travailler comme conducteur de camion de transport (code 7511 de la CNP) durant 24 mois selon le contrat qui lui a été offert par SMS Logistics, une société située à Caledon, en Ontario. La demande et les observations ont été examinées. Le demandeur principal a fourni un curriculum vitæ, des lettres de recommandation et les résultats obtenus à l’examen du Système international de tests de la langue anglaise (IELTS) indiquant une note globale de 5,5. Bien que le demandeur principal semble avoir une certaine expérience en tant que conducteur de camion, j’ai des doutes quant à ses compétences linguistiques en anglais (oral et écrit), qui constituent une exigence de l’emploi selon l’EIMT. Il a obtenu une note globale de 5,5 à l’examen de l’IELTS, soit 5,5 en expression orale et 5,0 en expression écrite. Si l’EIMT n’indique pas explicitement de note minimale requise à l’examen de l’IELTS pour le poste visé, je souligne que le British Council qualifie un utilisateur de ce niveau comme étant un « utilisateur modeste – ce qui indique une maîtrise partielle de la langue ». Je ne suis pas convaincu que la capacité [du] demandeur à lire et à parler l’anglais soit suffisante pour qu’il puisse comprendre la signalisation routière en anglais, répondre aux demandes de renseignements officielles, interagir efficacement avec les services de police et les services d’urgence, et consigner des données dans des rapports et des dossiers. Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincu que le demandeur possède les compétences nécessaires pour remplir les fonctions du poste offert au Canada. De plus, je crains que, vu la grande disparité entre la rémunération que peut toucher le demandeur au Canada et celle qu’il peut toucher dans son pays de résidence ou en Inde, et vu les conditions de travail qui sont meilleures au Canada qu’en Inde, le demandeur ne serait guère incité financièrement à retourner en Inde s’il était admis au Canada. Le demandeur est actuellement au chômage, il semble être un célibataire très mobile et sans personnes à charge, et il ne semble pas suffisamment bien établi sur le plan économique dans son pays d’origine pour être motivé à y retourner à la fin de sa période de séjour autorisée au Canada. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que le demandeur principal est un véritable travailleur étranger temporaire qui quitterait le Canada à la fin du séjour autorisé. La demande est rejetée au titre des alinéas 200(3)a) et 200(1)b) du Règlement.

III. Les observations du demandeur

[7] Comme il est expliqué plus en détail ci-après, M. Singh soutient que la décision de l’agent de rejeter sa demande de permis de travail au motif qu’il ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour est irrationnelle et illogique.

[8] M. Singh soutient aussi que la décision de l’agent de rejeter sa demande en se fondant sur la conclusion selon laquelle sa maîtrise de l’anglais n’était pas suffisante pour occuper le poste visé de conducteur de camion est déraisonnable et arbitraire. Il fait remarquer que l’offre d’emploi de SMS ne mentionnait pas de note précise à obtenir à l’examen de l’IELTS; il a obtenu une note de 5,5 à cet examen, ce qui indique une maîtrise modérée de l’anglais, il a fait ses études secondaires en anglais et il a travaillé aux Émirats arabes unis où il utilisait l’anglais.

[9] M. Singh prétend que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de dissiper les doutes concernant sa maîtrise de l’anglais ou de répondre aux autres conclusions quant à la crédibilité.

[10] De plus, M. Singh fait valoir que le dossier certifié du tribunal [le DCT] ne contient pas tous les documents qu’il avait présentés avec sa demande de permis de travail. Il affirme que la présomption selon laquelle l’agent a examiné tous les éléments de preuve ne tient pas parce que les éléments de preuve qu’il avait présentés et qui ne figurent pas dans le DCT contredisent les conclusions de l’agent.

IV. Les observations du défendeur

[11] D’emblée, le défendeur admet que le DCT ne contient pas toute la preuve documentaire présentée par M. Singh à l’appui de sa demande. Il explique que des efforts ont été déployés pour obtenir le DCT complet, sans succès. Il affirme que les éléments de preuve présentés par M. Singh avaient été fournis à l’agent. Selon lui, il ressort clairement des notes consignées dans le SMGC, lesquelles renvoient précisément aux éléments de preuve en question, que ceux-ci ont été examinés par l’agent même s’ils ne figurent pas dans le DCT.

[12] Le défendeur soutient qu’il incombait à M. Singh de présenter une preuve suffisante à l’appui de sa demande et que l’agent a raisonnablement conclu qu’il ne l’avait pas fait. De l’avis du défendeur, l’agent a raisonnablement conclu que M. Singh avait peu de biens personnels et des ressources financières limitées pour financer son voyage pour venir au Canada et en repartir. Il ajoute que l’agent a souligné que M. Singh n’avait pas de personnes à charge, qu’il était au chômage en Inde depuis quatre mois et que les conditions de travail et le revenu seraient meilleurs au Canada, des facteurs qui appuient tous la conclusion selon laquelle il ne serait guère incité à repartir.

[13] Le défendeur soutient aussi que l’agent a raisonnablement conclu que la maîtrise de l’anglais de M. Singh était insuffisante, soulignant qu’un conducteur de camion devait être capable de lire et d’interpréter la signalisation routière et d’autres documents pour garantir la sécurité du public. Il ajoute que, contrairement à ce que prétend M. Singh, la preuve dont disposait l’agent ne démontrait pas que M. Singh avait fait ses études en anglais.

[14] Le défendeur affirme que le degré d’équité procédurale qui s’applique dans ce contexte se situe à la limite inférieure de l’échelle variable. À son avis, aucune des circonstances susceptibles d’élever le degré d’équité procédurale requis ne s’applique, l’agent n’ayant pas mis en doute la crédibilité de M. Singh ni la véracité de ses documents.

V. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[15] La présente demande soulève deux questions :

  • ·La décision de l’agent est-elle raisonnable?

  • ·L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale dans les circonstances en ne donnant pas à M. Singh la possibilité de dissiper les doutes concernant sa demande?

[16] La décision d’un agent à l’égard d’une demande de permis de travail temporaire est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Grewal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 627 au para 5 [Grewal]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 16 [Vavilov].

[17] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para 85, 102, 105-107). Une cour ne doit pas juger des motifs au regard d’une norme de perfection (Vavilov, au para 91). Une décision ne devrait pas être annulée à moins qu’elle souffre de « lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). La décision commande la retenue, et il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, même si elle aurait peut-être tiré d’autres conclusions.

[18] Lorsqu’une question d’équité procédurale est soulevée, la Cour doit se demander si la procédure suivie par le décideur était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54). Lorsqu’un manquement à l’équité procédurale est constaté, aucune déférence n’est due au décideur.

VI. La décision de l’agent est raisonnable

[19] Selon M. Singh, un certain nombre d’erreurs alléguées dans la décision de l’agent rendent celle-ci déraisonnable.

[20] M. Singh cite plusieurs jugements portant sur des demandes de visa temporaire et de permis de travail temporaire, qui étaient tous fondés sur les faits qui leur étaient propres. Il n’existe pas deux jugements identiques. Le rôle de la Cour n’est pas d’adopter le raisonnement dans un jugement en particulier et de s’y conformer, mais plutôt de déterminer si la décision de l’agent était raisonnable, compte tenu de la preuve dont celui-ci disposait et des principes établis dans la jurisprudence, et si l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale envers M. Singh dans les circonstances particulières.

[21] M. Singh soutient que l’agent s’est déraisonnablement fondé sur la disparité entre la rémunération et les conditions de travail qu’il pourrait obtenir au Canada par rapport à ce qu’il pourrait obtenir en Inde pour conclure qu’il n’avait pas établi qu’il serait susceptible de quitter le Canada à la fin de son séjour autorisé. Il affirme que cette conclusion est irrationnelle puisque c’est essentiellement la perspective de meilleures possibilités d’emploi qui poussent les demandeurs à présenter des demandes de permis de travail, et que ce facteur ne devrait pas être défavorable à l’octroi d’un permis.

[22] M. Singh soutient également que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve concernant ses liens familiaux en Inde et ses antécédents en matière d’emploi et de voyage, qui démontre qu’il est toujours retourné en Inde après avoir terminé son travail aux Émirats arabes unis. En outre, les documents établissent qu’il héritera de la propriété de sa famille en Inde. Il ajoute qu’il a fourni des éléments de preuve montrant que sa famille l’aiderait à payer ses frais de déplacement et ses frais de subsistance au Canada. Il prétend que l’agent a transformé des facteurs favorables, à savoir sa jeunesse, sa mobilité et son indépendance, en facteurs défavorables.

[23] La Cour a conclu que les possibilités économiques au Canada ne devraient pas être considérées comme un facteur défavorable lorsqu’il s’agit de déterminer si un demandeur est susceptible de prolonger indûment son séjour (voir, par exemple, Dhanoa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 729). Le Canada compte sur les travailleurs étrangers temporaires, et les possibilités économiques qu’offre le pays sont attrayantes.

[24] La Cour a aussi conclu que les antécédents en matière d’immigration sont les meilleurs indicateurs de la probabilité qu’un demandeur se conforme à l’obligation de quitter le pays à la fin de son séjour : Momi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 162 au para 20; Murai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 186 au para 12.

[25] Toutefois, l’agent est présumé avoir examiné tous les éléments de preuve, en l’absence d’indications contraires, et il n’était pas tenu de renvoyer à chacun des éléments de preuve.

[26] Outre l’incitatif financier à travailler au Canada ou l’emploi antérieur de M. Singh aux Émirats arabes unis, la conclusion de l’agent reposait sur d’autres facteurs, notamment le statut de célibataire sans personnes à charge de M. Singh, son établissement financier limité en Inde et le fait qu’il était au chômage au moment où il avait présenté sa demande de permis de travail.

[27] Comme le fait remarquer le défendeur, l’explication fournie par M. Singh concernant sa période de chômage n’avait pas été présentée à l’agent.

[28] L’agent a raisonnablement conclu que la situation financière de M. Singh ne lui permettait pas de financer son voyage pour venir au Canada et en repartir. Bien que M. Singh prétende que sa famille s’est engagée à le soutenir financièrement, l’évaluation de l’agent était, à juste titre, axée sur M. Singh. L’agent a raisonnablement conclu que M. Singh ne semblait pas suffisamment bien établi sur le plan économique en Inde pour être motivé à y retourner. Le seul élément de preuve présenté quant à sa situation financière était son relevé de compte bancaire, qui montrait une situation financière modeste. Le rapport coûts-avantages que présente le fait de s’appuyer sur le soutien financier de sa famille pour venir au Canada et y vivre dans le but de gagner de l’argent durant une période relativement courte appuie aussi la conclusion de l’agent.

[29] Il convient de faire preuve de retenue à l’égard de la conclusion de l’agent selon laquelle M. Singh n’avait pas démontré qu’il était en mesure d’exercer adéquatement l’emploi pour lequel il avait été embauché en raison de ses compétences insuffisantes en anglais. Aucune erreur n’a été relevée dans l’évaluation faite par l’agent compte tenu de la preuve qui lui avait été présentée.

[30] Je ne suis pas d’accord pour dire que l’agent a fait abstraction des éléments de preuve corroborant les compétences de M. Singh en anglais. Les relevés scolaires de 11e et de 12e année de M. Singh indiquent que l’une de ses matières était [traduction] « [l’]anglais de base », mais ils n’indiquent pas qu’il a fait ses études secondaires en anglais. Contrairement à ce que prétend M. Singh, l’agent n’était pas tenu d’effectuer d’autres recherches concernant l’école qu’il avait fréquentée. De plus, si, comme il a été soutenu, toutes les écoles du district avaient pour langue d’enseignement l’anglais ou l’hindi, il incombait à M. Singh d’en fournir la preuve. L’observation de M. Singh selon laquelle il avait suivi sa formation de conducteur de camion en anglais et avait travaillé comme conducteur de camion aux Émirats arabes unis, ce qui l’obligeait à communiquer en anglais, ne contredit pas l’évaluation de l’agent selon laquelle les compétences en anglais de M. Singh n’étaient pas suffisantes pour lui permettre d’exercer un emploi au Canada.

[31] M. Singh fait valoir que, puisque l’EIMT n’énonçait aucune exigence linguistique précise, l’agent a arbitrairement déterminé que ses compétences linguistiques étaient insuffisantes. Il ajoute que SMS lui avait fait passer une entrevue et qu’aucune préoccupation n’avait été soulevée quant à sa capacité à exercer l’emploi ou à ses compétences linguistiques.

[32] Les agents des visas sont en droit de procéder à une évaluation indépendante de la capacité d’un demandeur à exercer l’emploi envisagé; ils ne sont pas liés par l’EIMT ni par le point de vue de l’employeur éventuel : Grewal, au para 17; Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132 au para 28 [Sulce].

[33] Plus récemment, aux paragraphes 9 et 10 de la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 80, le juge Pamel a fait observer ce qui suit :

[9] Je reconnais que, depuis l’arrêt Vavilov, il faut justifier tout écart par rapport à la politique antérieure, mais M. Singh n’a pas démontré qu’il existait une politique selon laquelle la demande de permis de travail d’un demandeur doit être accueillie lorsque ce dernier satisfait aux exigences linguistiques énoncées dans la CNP ou l’EIMT. Au contraire, la politique actuelle – qui a été appliquée à M. Singh – confère aux agents des visas le pouvoir discrétionnaire de décider si un demandeur satisfait aux exigences linguistiques établies en utilisant les résultats obtenus par ce dernier à l’examen de l’IELTS ainsi que la CNP et l’EIMT comme des lignes directrices, et non comme des instruments contraignants. Quoi qu’il en soit, la CNP (code 7511) énonce un certain nombre de tâches qui doivent être accomplies par les conducteurs de camion sur long parcours – telles qu’obtenir les permis et les documents de transport requis et communiquer au moyen d’ordinateurs de bord – et qui exigent nécessairement un certain niveau de compétences en lecture. Le fait que l’agent a évalué les compétences en lecture d’un demandeur sans tenir compte de la note qu’il aurait obtenue à des tests d’évaluation linguistique ne me semble pas déraisonnable étant donné la nature du poste proposé.

[Non souligné dans l’original.]

[34] L’agent a indiqué correctement les notes obtenues par M. Singh à l’examen de l’IELTS, soit une note globale de 5,5 et une note de 5 en expression écrite. Selon le site Web de l’IELTS, une note globale de 5 indique que [traduction] « [l]e candidat a une maîtrise partielle de la langue et parvient à dégager le sens général dans la plupart des situations, bien qu’il soit susceptible de commettre de nombreuses erreurs. Il devrait pouvoir gérer les communications de base dans son propre domaine. » La conclusion de l’agent selon laquelle ce niveau n’était pas suffisant pour un conducteur de camion sur long parcours, qui doit notamment pouvoir lire et interpréter les panneaux de signalisation, est une conclusion raisonnable et elle n’appuie en rien l’argument de M. Singh, qui affirme que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve ou a imposé un niveau arbitraire lorsqu’il a évalué ses compétences linguistiques.

VII. L’agent n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale

[35] M. Singh fait valoir que l’agent aurait dû le convoquer en entrevue pour lui donner la possibilité de dissiper les doutes quant à ses compétences en anglais (Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 484 [Li]). Il fait aussi valoir que la déclaration de l’agent selon laquelle il n’était peut-être pas un [traduction] « véritable travailleur étranger temporaire » montre que l’agent doutait de sa crédibilité.

[36] Je ne suis pas de cet avis.

[37] Le degré d’équité procédurale auquel un demandeur de permis de travail temporaire a droit se situe à la limite inférieure de l’échelle variable (Grewal, au para 19; Sulce, au para 10; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 782 au para 19; Li, au para 31). L’agent n’était pas tenu de faire part de ses doutes qui découlaient des exigences de la Loi ou du Règlement ou de la preuve du demandeur. Il n’avait aucun doute quant à la crédibilité de M. Singh ou à la véracité des documents que celui-ci avait présentés à l’appui de sa demande. Il n’était pas convaincu que la preuve établissait que M. Singh était en mesure d’exercer l’emploi ou qu’il quitterait le Canada à la fin de la période de 24 mois.

[38] Les agents ne sont pas tenus de demander des éclaircissements ou de donner aux demandeurs la possibilité d’améliorer leur demande, sauf lorsque les doutes portent sur l’authenticité ou la véracité de la preuve; par exemple, si l’agent met en doute la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis : Kong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1183 au para 24; Perez Enriquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1091 au para 26; Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283 au para 24.

[39] Comme la Cour l’a souligné dans plusieurs décisions, les agents ne sont pas tenus de fournir aux demandeurs un « résultat intermédiaire ». Dans la décision Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 573, portant elle aussi sur le rejet d’une demande de permis de travail présentée par un conducteur de camion sur long parcours, le juge Brown a fait remarquer ce qui suit au paragraphe 20 :

[...] les agents des visas n’ont pas l’obligation de fournir aux demandeurs un « résultat intermédiaire » des lacunes que comporte leur demande (Kong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1183, juge Kane, au para 29 (Kong). Il appartient au demandeur de présenter une demande raisonnablement complète au départ. De plus, il ressort assez clairement, et je n’ai pas entendu le demandeur se dire généralement en désaccord, que l’obligation d’informer de l’agent intervient seulement « s’il a des doutes quant à la crédibilité, à l’exactitude ou à l’authenticité des renseignements fournis » (Kong, au para 29). À mon humble avis, l’agente ne se préoccupait pas de la crédibilité, de l’exactitude ni de l’authenticité des renseignements, mais évaluait le caractère suffisant d’une demande qui lui semblait laisser à désirer.

[40] En l’espèce, l’agent a admis que les notes obtenues par M. Singh à l’examen de l’IELTS étaient exactes, mais il a conclu qu’elles n’étaient pas suffisantes pour répondre aux exigences de l’emploi. La déclaration de l’agent selon laquelle M. Singh n’était peut-être pas un [traduction] « véritable travailleur étranger temporaire » ne concerne pas sa crédibilité; elle indique plutôt que l’agent n’était pas convaincu, d’après la preuve, que M. Singh quitterait le Canada à la fin de son séjour. L’agent n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale en n’informant pas M. Singh des doutes quant à sa demande.


JUGEMENT dans le dossier IMM-51-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question à certifier n’est proposée.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-51-20

 

INTITULÉ :

DAVINDER SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 février 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 février 2022

 

COMPARUTIONS :

Parveer Singh Ghuman

 

Pour le demandeur

 

Adrienne Copithorne

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Citylaw Group LLP

Surrey (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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