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Date : 20220225


Dossier : IMM-4270-20

Référence : 2022 CF 274

Ottawa (Ontario), le 25 février 2022

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

OUMAR ABANI ABBAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Abbas sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] qui lui dénie le statut de réfugié, en raison de l’invraisemblance de son récit et du caractère évasif de son témoignage. J’accueille sa demande. J’estime que les conclusions d’invraisemblance de la SAR étaient déraisonnables, puisqu’elles ne tenaient pas compte du contexte politique autoritaire du Tchad, le pays de M. Abbas. De plus, pour conclure que le témoignage de M. Abbas était évasif, la SAR – comme la Section de la protection des réfugiés [SPR] avant elle – s’est indûment laissée influencer par son opinion préconçue selon laquelle M. Abbas devrait être exclu du statut de réfugié en raison de ses activités en tant que policier au Tchad.

I. Contexte

[2] M. Abbas fait partie de la police tchadienne, au grade de « gardien de la paix », le grade le plus bas de la hiérarchie policière. Après diverses affectations, il a été muté à la brigade fluviale, chargée de surveiller le fleuve Chari, qui sépare le Tchad du Cameroun, aux alentours de la capitale, N’Djamena. Il importe de mentionner dès maintenant que la police dont M. Abbas fait partie est une institution distincte de l’Agence nationale de sécurité [ANS], dont il sera question plus loin.

[3] M. Abbas fonde sa demande d’asile sur les événements suivants. Dans le cadre de ses fonctions, il a été appelé à plusieurs reprises à récupérer des cadavres échoués sur les berges du fleuve. Selon la rumeur persistante, ces corps seraient ceux de personnes tuées dans la prison de l’ANS située au palais présidentiel, un peu plus loin sur le fleuve. Il devait prendre des photos des cadavres à l’aide de son téléphone cellulaire, puis rédiger un rapport. Les cadavres étaient ensuite remis à la police judiciaire, une entité distincte de la brigade fluviale, pour fins d’enquête. Or, un jour, des agents de l’ANS l’ont surpris en train de converser avec son cousin qui habite en France. Ils ont saisi son téléphone cellulaire et ont constaté qu’il contenait des photos des cadavres retrouvés sur les berges du fleuve. Le soupçonnant d’avoir transmis ces photos à des opposants au régime qui résident à l’étranger, ils l’ont arrêté, puis torturé et détenu pendant trois jours. À la suite de l’intervention d’un autre cousin, il a réussi à s’évader. Il a ensuite quitté le Tchad, puis s’est rendu au Canada, où il a présenté une demande d’asile.

[4] La Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté sa demande, essentiellement parce qu’elle a estimé que M. Abbas n’était pas crédible et que son récit était invraisemblable. De plus, la SPR a noté qu’un avis avait été envoyé à l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] pour solliciter l’intervention du ministre dans l’affaire, mais que le ministre a choisi de ne pas intervenir. La SPR a souligné que si les faits allégués par M. Abbas étaient vrais, il y aurait des raisons sérieuses de penser que celui-ci serait exclu au terme de l’article 1F de la Convention relative au statut des réfugiés. Cette disposition exclut notamment de la définition de réfugié les personnes dont on a des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis un crime contre l’humanité ou un crime grave de droit commun.

[5] La SAR a rejeté l’appel logé par M. Abbas à l’encontre de la décision de la SPR. Elle a jugé que les conclusions d’invraisemblance tirées par la SAR s’appuyaient sur la preuve. Elle a qualifié le témoignage de M. Abbas d’« évasif, non circonstancié et laborieux ». Elle a aussi confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle M. Abbas s’était contredit au sujet des circonstances de sa sortie de prison.

[6] M. Abbas sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

II. Analyse

[7] J’accueille la demande de contrôle judiciaire de M. Abbas. J’examine d’abord les conclusions d’invraisemblance tirées par la SAR, puis les raisons qui ont poussée celle-ci à juger M. Abbas non crédible. J’évalue enfin si des contradictions portant sur la sortie de prison de M. Abbas auraient dû mener au rejet de sa demande.

A. Les conclusions d’invraisemblance

[8] Il est bien connu que la SPR et la SAR peuvent « tirer des conclusions au sujet de la crédibilité d’un demandeur en se fondant sur des invraisemblances, le bon sens et la rationalité » : Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au paragraphe 26. Néanmoins, « les conclusions d’invraisemblance soulèvent des questions particulières dans le contexte des demandes d’asile, vu le contexte politico-culturel différent dans lesquels ces demandes sont déposées, la nature subjective des conclusions de cette nature, de même que la possibilité d’importer des paradigmes canadiens inapplicables » : Al Dya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 901 au paragraphe 27. Pour ces raisons, la jurisprudence constante de notre Cour souligne que des conclusions d’invraisemblance ne peuvent être tirées que dans les cas les plus évidents et qu’après avoir pris en considération le contexte social et politique du pays en question : Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776 au paragraphe 7.

[9] En l’espèce, il y a peu de doute que le gouvernement du Tchad est un régime autoritaire. Le dernier rapport du Département d’État des États-Unis sur les droits de la personne au Tchad fait état d’arrestations arbitraires, de torture et d’exécutions extrajudiciaires. La corruption est endémique et l’indépendance de la magistrature est sérieusement compromise.

[10] M. Abbas a témoigné à ce sujet. En particulier, il a décrit l’ANS comme une forme de police politique, distincte de la police nationale et qui se rapporte directement au président. L’ANS serait en quelque sorte au-dessus des lois. Voici ce qu’il a dit à ce sujet lors de son témoignage :

ANS c’est une institution très puissante qui est là. C’est une institution qui est formée par le président de la république qui contrôle tout au Tchad et elle fait ce qu’elle veut et personne ne peut contredire la décision. S’ils décident de faire quelque chose, ils le feront.

[11] C’est dans ce contexte qu’il faut analyser la conclusion suivante de la SAR :

Il est vrai que la SPR a tiré une inférence négative basée sur une invraisemblance comme quoi il n’était pas raisonnable que les supérieurs n’aient rien fait à la suite de l’emprisonnement de l’appelant. Mais cette conclusion de la SPR est basée sur des faits. Ainsi, la preuve révèle que l’appelant avait reçu des éloges de ses supérieurs, qu’il n’avait pas été discriminé en vertu de son ethnie, que de prendre des photos des cadavres faisait partie de ses fonctions, que d’autres policiers assignés aux mêmes tâches n’avaient pas eu de problèmes et enfin, qu’aucune accusation n’avait été portée contre lui.

[12] À mon avis, en tirant une telle conclusion, la SAR est tombée dans le piège qui consiste à juger la situation comme si elle se déroulait au Canada. Je conviens qu’il est fort improbable que des policiers canadiens se comportent comme les supérieurs de M. Abbas ou comme les agents de l’ANS qui l’ont arrêté, détenu et torturé. Par contre, dans un régime autoritaire, ces événements n’ont rien d’intrinsèquement invraisemblable et les faits mentionnés par la SAR ne sont pas incompatibles avec le récit de M. Abbas.

[13] Ainsi, dès lors que M. Abbas était soupçonné – à tort ou à raison – de collaborer avec les opposants au régime, il est tout à fait plausible que ses supérieurs se soient abstenus d’intervenir en sa faveur, malgré leur appréciation positive de son travail. Il n’y a rien d’invraisemblable à ce qu’aucune accusation n’ait été portée contre lui, dans un pays connu pour la pratique courante des arrestations arbitraires, ni à ce qu’il ait été ciblé, plutôt que d’autres personnes exerçant les mêmes fonctions que lui.

[14] La SAR a également conclu qu’après avoir confisqué le téléphone de M. Abbas, les agents de l’ANS auraient facilement pu vérifier si celui-ci avait transmis des photos des cadavres à des personnes non autorisées. Un tel raisonnement pourrait être logique dans le contexte d’un État de droit, où les sanctions pénales doivent s’appuyer sur des preuves légalement recueillies. Dans le contexte du Tchad, cependant, on ne peut tenir pour acquis que l’ANS souhaitait mener une enquête rigoureuse dans le but de présenter une preuve étoffée devant un tribunal. De plus, la conclusion de la SAR est fondée sur l’hypothèse que les agents de l’ANS n’auraient pas persécuté M. Abbas s’ils avaient échoué à trouver des preuves que celui-ci envoyait des photos à l’étranger. Or, on peut tout aussi bien supposer l’inverse, c’est-à-dire que l’absence de preuve concrète étayant leurs soupçons aurait renforcé leur détermination à torturer M. Abbas.

[15] Bref, on ne peut qualifier le récit de M. Abbas d’invraisemblable sans se perdre en conjectures sur la conduite qu’auraient dû adopter ses supérieurs ou les agents de l’ANS. Il ne s’agit pas d’un des cas les plus évidents évoqués dans la décision Valtchev. De plus, la SAR a fait abstraction du contexte politique du Tchad et a analysé la conduite des agents de l’ANS à l’aune de ce que des policiers canadiens raisonnables feraient dans une situation similaire, contrairement aux enseignements de notre Cour : Senadheerage c Canada (Citizenship and Immigration), 2020 CF 968 au paragraphe 19, [2020] 4 RCF 617. En s’écartant ainsi des principes de base établis par la jurisprudence de notre Cour, la SAR a rendu une décision déraisonnable.

B. La difficulté à répondre à certaines questions

[16] La SAR a aussi reproché à M. Abbas d’avoir rendu un témoignage évasif au sujet des circonstances du décès des personnes dont il a repêché les corps ou du sort réservé aux personnes qu’il interceptait sur le fleuve parce qu’elles n’étaient pas autorisées à traverser la frontière.

[17] La lecture de la transcription de l’audience devant la SPR démontre que ces questions sont rattachées à une préoccupation plus générale du commissaire au sujet de l’implication de M. Abbas dans les forces policières du Tchad. Comme je l’ai mentionné plus haut, le ministre a choisi de ne pas intervenir dans le dossier. Tant au début qu’à la fin de l’audience, le commissaire a indiqué que la question de l’exclusion n’était pas en jeu dans cette affaire. Néanmoins, il est manifeste qu’une partie importante des questions posées par le commissaire portait sur la question de l’exclusion et que ces questions s’inspiraient des facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 RCS 678.

[18] Ainsi, le commissaire a posé la question suivante :

Je dis que le personnel de sécurité publique […] soit les policiers dans les différents niveaux, ceux qui étaient responsables pour garder la paix, pour garder la sécurité des personnes, mais ils faisaient plus que ça. Ça veut dire qu’ils pouvaient torturer les personnes. Ils pourraient les arrêter. Ils pourraient les battre. Ils pourraient commettre des violations des droits de la personne, et cetera. Est-ce que vous étiez au courant de ça?

[19] M. Abbas a initialement répondu par la négative. Après que son avocate a précisé que la question portait sur la « force de sécurité », M. Abbas a reconnu qu’il était au courant de ces choses, mais que ni lui, ni son service y avaient participé. Questionné sur la répression des manifestations, il a affirmé qu’il s’agissait de la responsabilité d’une unité spéciale de la police. Le commissaire a poursuivi en demandant à M. Abbas s’il faisait partie des « forces de sécurité ». Après avoir répondu positivement, M. Abbas a précisé qu’il y avait deux sortes de police au Tchad, la « police du peuple » et la « police de la famille présidentielle », et qu’il faisait partie de la première.

[20] Par la suite, M. Abbas a été questionné sur son travail. Il a affirmé que lorsque son équipe interceptait des personnes qui tentaient de traverser le fleuve illégalement, ceux-ci étaient amenés à la police judiciaire qui s’occupait du cas. De la même manière, lorsqu’un cadavre était retrouvé sur les berges du fleuve, il était remis à la police judiciaire. À ce moment, tant le commissaire que l’avocat de M. Abbas ont invité celui-ci à dire ce qu’il advenait des personnes interceptées sur le fleuve. Il a répondu qu’il ne le savait pas. Le commissaire a ensuite posé la question suivante :

Est-ce que vous étiez intéressé à apprendre qu’est-ce qui arrive? Peut-être qu’ils les prenaient et puis les tuaient. Est-ce que vous étiez intéressé d’apprendre, vous, comme policier, comme quelqu’un là, vous les arrêtez. Vous les amenez pour faire quoi? Vous les amenez pour les emprisonner, pour les tuer, pour les torturer ou vous les libérez? Vous n’étiez pas intéressé à savoir qu’est-ce qu’ils font avec les personnes que vous-même vous arrêtez?

[21] M. Abbas a alors déclaré que les membres de la police judiciaire amenaient ces personnes dans leur prison, et que « c’est eux qui décident de juger ces gens et de les libérer ». Quant aux corps trouvés dans le fleuve, M. Abbas a affirmé que des rumeurs persistantes voulaient qu’il s’agisse de personnes tuées dans la prison de l’ANS située au palais présidentiel, non loin de là. Le commissaire a ensuite demandé : « Est-ce que ça pourrait être des personnes qui ont essayé de traverser la rivière et ils n’ont pas pu? », ce à quoi M. Abbas a répondu oui, tout en rappelant qu’il appartenait à la police judiciaire de déterminer la cause du décès.

[22] Dans sa décision, la SPR a tiré les conclusions suivantes :

Le tribunal est d’avis que si le demandeur d’asile est crédible quand il allègue que les corps des prisonniers qu’il trouvait dans la rivière pourraient être ceux de personnes que lui et ses collègues de la Brigade fluviale interceptaient et transféraient à l’ANS, il aurait des raisons sérieuses de penser que l’article d’exclusion 1F pourrait s’appliquer à ce cas.

Cependant, le témoignage du demandeur d’asile au sujet des corps était général, vague et incohérent. Il a répété le contenu de l’exposé circonstancié, mais il n’a pas été capable de fournir des clarifications ni des précisions. Par exemple, à la question à savoir comment il savait qu’il s’agissait de corps de prisonniers, il a répondu qu’il n’avait aucune connaissance, mais que tout le monde disait cela.

[23] La SAR, quant à elle, a formulé les commentaires suivants :

Une lecture attentive du procès-verbal de l’audience m’a permis de constater à quel point le témoignage au compte-goutte de l’appelant sur des éléments centraux de son récit était évasif, non circonstancié et laborieux. Par exemple, interrogé sur le sort réservé aux personnes interceptées qui traversaient le fleuve sans documents acceptables, l’appelant a répondu qu’il n’était pas à son niveau de savoir ce que la police judiciaire faisait avec ces gens. Interrogé encore une fois à ce sujet par la SPR, il a cependant ajusté son témoignage pour dire que les personnes arrêtées étaient emprisonnées par l’ANS, mais qu’il n’en savait pas plus. En réponse aux interrogations répétées de la SPR, il ajoutera qu’il était possible que les corps soient ceux de personnes qui avaient essayé de traverser le fleuve qu’il patrouillait, avaient été interceptés et emprisonnés. […]

Dans ces circonstances, son incapacité à répondre à des questions fondamentales, y compris celle touchant les cadavres dans le fleuve, dont la tâche lui incombe de les photographier et d’en dresser des rapports, et le peu d’intérêt démontré, minent sa crédibilité.

[24] Il est évident que l’analyse de la SPR et de la SAR a été faussée par les préoccupations concernant l’exclusion potentielle de M. Abbas. La SPR a réduit l’affaire à une alternative : ou bien M. Abbas n’est pas crédible, ou bien il l’est, mais il est alors exclu. Or, puisque la SPR avait écarté d’emblée la question de l’exclusion, elle se condamnait en quelque sorte à tirer une conclusion négative quant à la crédibilité. C’est ce qui l’a poussée à questionner vigoureusement M. Abbas au sujet de la provenance des cadavres ou de ce qu’il advenait aux personnes qu’il arrêtait. Puisque celui-ci ne donnait pas les réponses auxquelles elle s’attendait, la SPR l’a jugé non crédible. Un tel procédé n’est ni juste, ni logique, ni raisonnable. Plus précisément, il présente les failles suivantes.

[25] Premièrement, l’alternative crédibilité/exclusion est fausse. Il est possible que le récit de M. Abbas soit vrai, mais qu’il n’entraîne pas son exclusion en vertu de l’article 1F. À cet égard, l’arrêt Ezokola exige que l’on prenne en considération des facteurs tels la taille et la nature de l’organisation, la fonction que M. Abbas y occupait, son grade et la section à laquelle il était affecté. Étant donné que l’affaire sera renvoyée pour un nouvel examen, je m’abstiendrai de formuler des commentaires plus précis.

[26] Deuxièmement, il est tout à fait compréhensible que M. Abbas ait été pris de court par des questions comme celles que j’ai reproduites plus haut et qu’il ait hésité à répondre. La lecture de la transcription ne révèle cependant aucune incohérence majeure dans son témoignage.

[27] Troisièmement, tant la SPR que la SAR font grand cas du fait que M. Abbas ait reconnu que les corps repêchés pourraient être ceux de personnes qu’il avait interceptées et livrées à la police judiciaire. Or, M. Abbas n’a rien dit – ou « allégué » – de tel. Je reproduis à nouveau la question qui lui a été posée : « Est-ce que ça pourrait être des personnes qui ont essayé de traverser la rivière et ils n’ont pas pu? » Dire qu’une personne dont on retrouve le corps a échoué à traverser une rivière connote sans aucun doute la noyade. Bien que le membre de la SPR ait pu vouloir poser une question au sujet des personnes que M. Abbas interceptait, ce n’est pas ce qu’il a fait. La SPR et la SAR ne pouvaient ensuite lui reprocher sa réponse, ni en déduire que les individus que M. Abbas arrêtait dans le cadre de ses fonctions étaient ensuite tués.

[28] Bref, le raisonnement de la SPR et de la SAR est fondé sur la prémisse que M. Abbas devrait être exclu selon l’article 1F en raison de son appartenance aux forces policières du Tchad et qu’il ment s’il n’admet pas les faits qui justifieraient une telle exclusion. Il ne s’agit pas là d’une manière raisonnable de tirer une conclusion relative à la crédibilité.

C. Les circonstances de la sortie de prison

[29] Le ministre soutient que malgré ce qui précède, la conclusion de la SAR concernant les contradictions entre les allégations du formulaire de fondement de la demande d’asile [FDA] et le témoignage de M. Abbas suffit à rejeter la demande de celui-ci.

[30] Dans son formulaire FDA, M. Abbas a écrit ceci :

Après trois jours de pires supplices et de souffrance extrême, j’ai pu grâce à mon cousin Oumar Hassan qui a pu soudoyer, « corrompre un agent » de l’ANS de me faire évader de prison.

[31] L’échange suivant a eu lieu lors du témoignage de M. Abbas :

PAR LE COMMISSAIRE :

Votre cousin, il avait écrit une lettre d’appui à votre demande d’asile. Dans la lettre, il n’indique pas exactement comment il a pu vous libérer de la prison, mais comment il a fait tous ces efforts pour avoir un visa, pour vous cacher? Est-ce que vous savez comment… quelles démarches lui il avait fait pour vous libérer de la prison de l’ANS, qui est une prison quand même avec beaucoup de pouvoir, vous dites… ou l’organisation a beaucoup de pouvoir?

PAR LE DEMANDEUR :

Mon cousin ne m’a pas expliqué comment il a procédé pour qu’on puisse m’évader de prison. Tout ce que je sais c’est qu’il m’a parlé d’un ami, qu’ils ont étudié ensemble, et il m’a rien dit encore d’autre. Il a fait le nécessaire que j’ai pu m’évader et je suis allé me cacher.

PAR LE COMMISSAIRE :

Est-ce qu’il a payé un montant d’argent pour vous libérer?

PAR LE DEMANDEUR :

Oui. Effectivement, il y a eu une (inaudible). Il m’a pas précisé combien il a donné. Il ne m’a pas précisé.

PAR LE COMMISSAIRE :

Mais vous, vous n’avez pas demandé?

PAR LE DEMANDEUR :

Je lui ai demandé, mais il m’a dit, pour lui, ce qui est essentiel est que je sois sorti, que je sois… il cherche la solution pour que je ne sois pas en danger.

[32] Malgré toute la retenue dont je dois faire preuve envers les conclusions de fait de la SPR, je peine à voir quelque incohérence ou contradiction dans ce témoignage, ou entre ce témoignage et le contenu du formulaire FDA. M. Abbas répète essentiellement la même chose : son cousin a soudoyé un ami afin de le faire sortir de prison, mais il ne connaît pas le montant du pot-de-vin et n’en sait pas davantage. Je vois donc mal comment cette conclusion de la SAR pourrait conduire au rejet de la demande d’asile.

D. La nouvelle preuve

[33] M. Abbas soutient également que le refus de la SAR d’admettre une nouvelle preuve était déraisonnable. Étant donné que je suis d’avis que la décision est déraisonnable quant au fond, il n’est pas nécessaire que je tranche cette question.

III. Conclusion

[34] Puisque la décision de la SAR est déraisonnable, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre membre de la SAR pour nouvel examen.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-4270-20

LA COUR STATUE que

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2. La décision rendue par la Section d’appel des réfugiés le 20 août 2020 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre membre de la Section d’appel des réfugiés pour nouvel examen.

3. Aucune question n’est certifiée.

 

« Sébastien Grammond »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-4270-20

 

INTITULÉ :

OUMAR ABANI ABBAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VISIOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 février 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 février 2022

 

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

 

Pour le demandeur

 

Mathieu Laliberté

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphanie Valois

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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