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Date : 20220301


Dossier : IMM‑1613‑21

Référence : 2022 CF 294

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2022

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

VICTORIA ONYEMA MUKORO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

(Rendus oralement à l’audience tenue par vidéoconférence le 28 février 2022)

[1] La demanderesse sollicite, au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, le contrôle judiciaire de la décision du 12 janvier 2021 par laquelle un agent des visas (l’agent) de l’ambassade du Canada à Beijing a rejeté sa demande de permis d’études, au motif qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour et que les études qu’elle envisageait de faire n’étaient [traduction] « pas raisonnables, compte tenu d’un ou de plusieurs des facteurs suivants : [ses] compétences, [ses] études antérieures, [son] degré d’établissement, [ses] aptitudes linguistiques ou [ses] perspectives d’avenir et plans futurs ».

[2] Dans les notes qu’il a versées au Système mondial de gestion des cas (le SMGC), qui font partie de la décision contestée, l’agent a écrit que le plan d’études de la demanderesse était [traduction] « vague et mal documenté » et que [traduction] « la demanderesse n’avait pas décrit clairement le cheminement de carrière que lui ouvriraient les études qu’elle envisageait de faire, compte tenu de ses compétences, de ses études, de ses antécédents professionnels et de l’ampleur de l’investissement ».

[3] Le dossier du tribunal contient des éléments de preuve démontrant que la demanderesse avait été acceptée dans un programme de deux ans en gestion culinaire au Collège Algonquin, à Ottawa, et qu’elle avait versé un dépôt pour payer les frais de sa première année de scolarité. La demanderesse a également présenté un relevé des notes qu’elle avait obtenues lorsqu’elle a étudié le français à l’Université du Bénin, un certificat d’achèvement d’une formation en restauration et une « déclaration d’intention ».

[4] Dans sa déclaration d’intention, la demanderesse décrit son expérience en restauration et en pâtisserie et son rêve de devenir propriétaire d’une entreprise alimentaire, et elle précise les raisons pour lesquelles elle a choisi le Canada et le programme du Collège Algonquin en particulier, qui permet d’acquérir à la fois des compétences culinaires et des compétences en affaires.

[5] La demanderesse a également fourni la preuve qu’elle bénéficiait d’un soutien financier, et qu’elle possédait des biens et une entreprise. Le dossier contenait aussi des éléments de preuve concernant des voyages internationaux antérieurs, mais rien n’indiquait que la demanderesse n’avait pas respecté la durée prévue de ses séjours.

[6] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, que la Cour suprême du Canada a exposée en détail dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. La cour de révision qui procède au contrôle selon la norme de la décision raisonnable cherche à savoir si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, afin de vérifier si elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci (Vavilov, au para 99).

[7] En l’espèce, la demanderesse m’a convaincu que la décision de l’agent était déraisonnable. J’en arrive à cette conclusion pour deux raisons : les motifs fournis par l’agent n’étaient pas justifiés au regard des faits et ils n’étaient pas intelligibles.

[8] Les agents des visas traitent souvent de nombreuses demandes chaque jour, et ils n’ont aucune obligation d’étayer leurs décisions par des motifs détaillés ou exhaustifs, mais ils doivent tout de même s’appuyer sur les faits qui leur ont été présentés et sur les règles de droit pertinentes.

[9] En l’espèce, l’agent était d’avis que les études envisagées par la demanderesse n’étaient pas raisonnables, [traduction] « compte tenu d’un ou de plusieurs » des cinq facteurs mentionnés précédemment. Ce n’est qu’en lisant les notes consignées dans le SMGC que je peux déduire lesquels de ces cinq facteurs étaient pertinents quant à la décision (les compétences, les études antérieures et les perspectives d’avenir et plans futurs de la demanderesse).

[10] Cependant, il ne fait aucun doute que la demanderesse a abordé ces trois facteurs énumérés par l’agent dans les documents qu’elle a fournis à l’appui de sa demande, bien que l’agent ait indiqué que ces documents étaient [traduction] « vague[s] et mal documenté[s] ». L’avocat du défendeur a fait de son mieux pour expliquer pourquoi l’agent avait mentionné que ces documents étaient [traduction] « vague[s] et mal documenté[s] ». Toutefois, le dossier n’indique pas précisément en quoi la déclaration d’intention ou les autres documents fournis pour étayer les antécédents professionnels et les plans futurs de la demanderesse posaient problème.

[11] Le défendeur s’est appuyé sur la décision Nimely c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 282, et a attiré mon attention sur les paragraphes 8 et 9 de cette décision, qui se lisent ainsi :

Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable que l’agent conclue que son plan d’études semblait vague et mal documenté. Sa demande de permis d’études indique qu’il est pasteur de l’église de sa congrégation depuis 2008 et qu’il a suivi des études bibliques en 2016 au WEPA College of Theology and Mission au Libéria. Selon le demandeur, l’agent aurait dû prendre en considération que ce cours d’un an au Canada n’était qu’une progression naturelle dans sa vie biblique, éducative et professionnelle.

Même si l’agent avait pu examiner le plan d’études du demandeur de la manière dont le demandeur laisse entendre, il lui était tout à fait loisible de conclure que le plan était effectivement vague et mal documenté. Il n’y avait pas de plan d’études décrivant les objectifs à long terme du demandeur. Le demandeur n’a pas expliqué en quoi ces études lui seraient profitables. Rien n’indiquait en quoi ces études étaient différentes de celles qu’il avait suivies en 2016. Outre les déclarations du demandeur dans son formulaire de demande et la lettre d’acceptation du Collège, il n’y avait tout simplement pas d’autres renseignements que l’agent puisse évaluer.

[12] En l’espèce, je souligne qu’à l’inverse du demandeur dans cette affaire, la demanderesse a présenté un plan, comme il est mentionné précédemment, dans lequel elle démontre qu’elle a un réel attachement à l’égard de la profession pour laquelle elle veut faire des études (dans le domaine de la gestion culinaire) et qu’elle a le sens de l’entrepreneuriat (parce qu’elle possède une entreprise), et elle fait référence à ses antécédents professionnels (en restauration et en pâtisserie). Elle a également fourni des documents à l’appui pour étayer tous ces éléments.

[13] Cela dit, il ne m’appartient pas de substituer mon appréciation des faits à celle de l’agent.

[14] Comme l’agent a négligé, ignoré ou écarté ces éléments, ou du moins comme il n’a pas su expliquer ce qui rendait la demande, et en particulier la déclaration d’intention, vague et mal documentée, je suis d’avis que sa décision n’est ni justifiée ni intelligible. Pour ces motifs, la décision de l’agent ne peut être maintenue.

[15] La demanderesse sollicite en outre les dépens de sa demande, et bien qu’elle ait fait des déclarations exagérées dans ses observations écrites, notamment lorsqu’elle a affirmé que l’agent avait commis des erreurs en agissant [traduction] « de manière flagrante, extrêmement désinvolte et de mauvaise foi », je ne suis pas convaincu qu’il existe des raisons spéciales justifiant une ordonnance relative aux dépens (Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, art 22).


JUGEMENT MODIFIÉ dans le dossier IMM‑1613‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La demande de visa de la demanderesse est renvoyée à un nouvel agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

  3. Aucune question n’a été soulevée aux fins de certification.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Manon Pouliot, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM‑1613‑21

 

INTITULÉ :

VICTORIA ONYEMA MUKORO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER MARS 2022

 

DATE DES MOTIFS MODIFIÉS :

LE 4 MARS 2022

COMPARUTIONS :

TAIWO OLALERE

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

NATHAN JOYAL

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

OLALERE LAW OFFICE

OTTAWA (ONTARIO)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

MINISTÈRE DE LA JUSTICE CANADA

OTTAWA (ONTARIO)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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