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Date : 20220222


Dossier : IMM-1831-21

Référence : 2022 CF 242

Ottawa (Ontario), le 22 février 2022

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

BIDASSA, ESSO-SOLAM KEVIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Kevin Esso-Solam Bidassa, le demandeur, est citoyen du Togo. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 29 janvier 2021, par laquelle un agent (« l’agent ») de l’ambassade du Canada à Guangzhou en Chine rejette, pour la seconde fois, sa demande d’un permis d’études.

I. Contexte

[2] Le demandeur détient une licence en droit des affaires qu’il a terminée en 2018. À la fin de 2019, le demandeur a soumis une première demande de permis d’études avec l’intention de commencer un baccalauréat en affaires et gestion à l’Université du Québec à Montréal. Le 27 janvier 2020, sa demande a été refusée.

[3] Le 30 novembre 2020, le demandeur a soumis une nouvelle demande de permis d’études afin de lui permettre de commencer un baccalauréat en sociologie avec spécialisation en criminologie à l’Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick. Cette deuxième demande précise que le père du demandeur prendra en charge les coûts relatifs au séjour d’études de son fils au Canada.

[4] Dans sa lettre de refus, l’agent indique qu’il n’est pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour en vertu du paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‐227, (Règlement) compte tenu de la raison de sa visite, de ses biens mobiliers et de sa situation financière.

[5] Les notes consignées au Système mondial de gestion des cas, qui font partie de la décision, mentionnent ce qui suit :

  • - La preuve présentée pour appuyer la situation financière du demandeur ne démontre pas que les fonds disponibles seraient suffisants eu égard au plan d’études;

  • - Les dépenses associées au programme d’études seraient prises en charge par les parents du demandeur, mais la provenance et la disponibilité de ces fonds sont préoccupantes. L’agent craint que les fonds ne soient mentionnés qu’à des fins de démonstration et ne croit pas que les études proposées constitueraient une dépense raisonnable;

  • - Le plan d’études ne semble pas raisonnable à la lumière des antécédents de travail et d’études du demandeur; et

  • - Le plan d’études et les arguments du représentant du demandeur ne réussissent pas à apaiser les réserves de l’agent à l’égard de la demande de permis d’études.

II. Les questions en litige

[6] Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. L’agent a-t-il violé l’équité procédurale :

  • (1) en omettant d’informer le demandeur de ses préoccupations quant à la source du financement de son garant avant de refuser sa demande de permis d’études?

  • (2) en fournissant des motifs presque identiques dans deux dossiers différents? Existe-t-il donc une crainte raisonnable de partialité?

  1. La décision de l’agent de rejeter la demande de permis d’études est-elle raisonnable?

III. Analyse

A. L’agent a-t-il manqué à son devoir d’équité procédurale?

La norme de contrôle applicable

[7] La Cour d’appel fédérale a précisé dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au paragraphe 54, que « [l]a cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances », y compris les cinq facteurs contextuels non exhaustifs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux pages 837 à 841. Si l’équité procédurale n’a pas été respectée, la Cour se doit d’intervenir.

La possibilité de fournir des explications

[8] Le demandeur soutient que l’agent a porté atteinte à son devoir d’équité procédurale en doutant de la source de certains dépôts dans le compte bancaire de son père sans lui offrir la possibilité de répondre à cette préoccupation. Selon le demandeur, il n’y avait aucun motif quant à la suffisance des fonds; il s’agit plutôt d’une question de crédibilité. Il maintient que l’agent aurait dû lui accorder l’occasion de répondre à cette inquiétude avant de refuser sa demande (Nsiegbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1262 au para 13). Le demandeur fait valoir que cette violation de la justice naturelle justifie à elle seule l’intervention de la Cour.

[9] Je ne suis pas d’accord avec le demandeur. Un agent des visas est tenu de faire part au demandeur de ses préoccupations quant à la crédibilité de la preuve ou l’authenticité de documents et de lui donner la possibilité d’y répondre, de vive voix ou par écrit (Noulengbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1116 au para 10 (Noulengbe)). L’agent n’est toutefois pas tenu de fournir au demandeur l’occasion d’expliquer davantage sa demande. Il incombe toujours au demandeur de présenter tous les renseignements nécessaires à l’appui d’une demande convaincante (Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001 aux para 35, 37). En plus, le demandeur est réputé connaître le contenu de ses propres documents.

[10] En l’espèce, l’agent note que le demandeur a fourni des relevés bancaires qui font état de multiples récents dépôts en espèces n’ayant aucune commune mesure avec le revenu déclaré de son père. L’agent émet des réserves quant à la provenance et la disponibilité de ces fonds, et craint donc que les fonds ne soient inscrits qu’à des fins de démonstration.

[11] L’agent ne remet pas en question la crédibilité du demandeur ou la fiabilité de ses documents. Il soulève plutôt des doutes concernant la nouveauté de certains dépôts bancaires considérables qui devaient constituer la base des fonds disponibles pour payer les frais de scolarité et de subsistance du demandeur au Canada. Selon moi, eu égard à la preuve, il incombait au demandeur d’anticiper ces préoccupations défavorables. Je conclus donc que l’agent n’était pas tenu d’offrir au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations. La question de l’équité procédurale n’est pas soulevée à chaque fois qu’un agent a des inquiétudes que le demandeur ne pouvait raisonnablement prévoir (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 526 au para 52).

L’existence d’une crainte raisonnable de partialité

[12] Le demandeur allègue qu’il existe une crainte raisonnable de partialité en raison des similarités entre les motifs de l’agent en l’espèce et les motifs de ce même agent dans le cadre d’une demande de permis d’études d’un autre togolais. Il soutient que les ressemblances marquées entre les deux décisions de l’agent soulèvent la question de savoir s’il les aurait rendus sans avoir examiné le contenu des demandes devant lui.

[13] Je ne suis pas d’accord avec le demandeur. Il incombe à la partie qui allègue une crainte raisonnable de partialité (réelle ou perçue) de faire la preuve qu’une personne raisonnable et bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendrait pas une décision juste (Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 633 au para 39). Une allégation de partialité ne peut uniquement reposer sur les impressions ou les soupçons du demandeur. Il s’agit d’une allégation grave qui met en doute l’intégrité de l’agent et qui doit être étayée par des preuves concrètes (Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223 au para 8).

[14] À mon avis, le demandeur n’a présenté rien de plus qu’une simple allégation de partialité. Bien que certains passages des deux décisions soient similaires, ils se distinguent de façon importante. Les différences suggèrent fortement une analyse nuancée de la preuve dans les deux dossiers. L’utilisation de langage similaire ne sous-entend pas forcément la partialité de l’agent (Fraser c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 821 au para 115). Le demandeur ne s’est donc pas acquitté de son fardeau de présenter des preuves concrètes.

[15] L’intervention de la Cour n’est pas requise en l’espèce.

B. La décision est‐elle raisonnable?

[16] La norme de contrôle applicable à la révision d’une décision d’un agent des visas refusant une demande de permis d’études est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 (Vavilov); Chantale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 544 au para 5). La décision de l’agent est « une décision administrative prise dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire » (My Hong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 463 au para 10).

[17] Le demandeur note d’abord que le libellé des articles 179, 216 et 220 du Règlement précise que l’émission d’un permis se fait à « l’issue d’un contrôle ». Il fait valoir que l’exigence d’un contrôle requiert une vérification accrue de ce qui est en preuve et que le terme « établir » suggère une appréciation objective du fardeau du demandeur, et non en vertu de la satisfaction ou de la conviction discrétionnaire et subjective de l’agent.

[18] Cet argument du demandeur n’est pas convaincant. Le critère objectif qu’il favorise n’est pas compatible avec le fait que l’octroi d’un permis d’études soit l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Pour cette raison, une retenue considérable est nécessaire compte tenu de la spécialisation et de l’expérience de l’agent des visas (Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 au para 12 (Solopova)).

[19] L’ensemble des arguments du demandeur partage un point commun, soit le fait que l’agent ait ignoré la preuve au dossier, ou n’en ait pas tenu compte. Cependant, un décideur est présumé avoir examiné toute la preuve qui lui est soumise (Noulengbe au para 15). Le fait de ne pas expliquer l’entièreté de sa pensée ne rend pas automatiquement une décision déraisonnable. Cette présomption s’applique en l’espèce au raisonnement de l’agent quant aux ressources financières du demandeur et celles de son père, et quant à son évaluation du plan d’études et des explications du demandeur du cheminement académique proposé dans le plan d’études. Les notes détaillées de l’agent démontrent qu’il a pris en compte la preuve financière du demandeur et son plan d’études, incluant ses explications de son choix de programme.

[20] Le demandeur plaide qu’il a objectivement fourni la preuve exigée pour établir qu’il dispose des ressources financières pour subvenir à ses besoins et payer ses frais de scolarité au Canada. Il note qu’il a fourni une attestation bancaire de la banque de son père, des relevés bancaires du compte de son père pour la période de juin à novembre 2020, une lettre d’emploi de son père attestant qu’il travaille comme magistrat et des bulletins de salaire, ainsi qu’une déclaration notariée faisant état de tous les biens mobiliers et immobiliers de son père.

[21] L’agent se réfère aux relevés bancaires du père du demandeur qui font état de multiples récents dépôts en montants n’ayant aucune commune mesure avec son revenu déclaré. Les observations de l’agent reflètent fidèlement l’information dans les relevés. Ses préoccupations sont liées à la provenance et la disponibilité de ces fonds. Dans l’arrêt Kita c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1084 (au para 20), la juge Pallotta précise qu’il est raisonnable de la part d’un agent de tenir compte de la source des fonds dans une évaluation des critères prévus à l’article 216 du Règlement.

[22] Le demandeur a indiqué que ses parents couvriront les dépenses associées aux études proposées. Ainsi, il était loisible à l’agent de considérer la provenance des dépôts récents et importants dans le compte bancaire du père du demandeur. L’agent explique que les dépôts étaient disproportionnés par rapport aux revenus mensuels du père. Son analyse est cohérente et justifiée. Je conclus que l’agent pouvait raisonnablement s’interroger sur la capacité du demandeur d’acquitter les frais de scolarité de son programme et de subvenir à ses propres besoins durant ses études eu égard à la preuve et aux contraintes juridiques pertinentes.

[23] Le demandeur conteste aussi la conclusion de l’agent selon laquelle il ne quittera pas le Canada compte tenu de la raison de sa visite. Selon l’agent, le plan d’études ne semble pas raisonnable à la lumière des antécédents de travail et d’études du demandeur. L’agent souligne que, de 2012 à 2018, le demandeur a poursuivi des études menant à l’obtention d’une licence en droit des affaires. Normalement, cette licence est un programme de trois ans, mais le demandeur a échoué à de nombreux cours durant ses études postsecondaires. Le demandeur souhaite maintenant faire des études menant à l’obtention d’un baccalauréat en sociologie, avec spécialisation en criminologie. En outre, l’agent conclut que les études que le demandeur souhaite entreprendre ne constituent pas une progression logique, puisque les études menées précédemment sont d’un niveau universitaire comparable.

[24] Le demandeur plaide qu’il a clairement expliqué comment les études proposées sont la suite logique de ses études précédentes et que l’agent n’a pas expliqué pourquoi il a écarté cette explication. Le demandeur souligne aussi que l’agent a noté le fait qu’il a demandé un permis d’études au Canada en 2019 afin de poursuivre un baccalauréat en gestion d’affaires et semble vouloir lui reprocher d’avoir changé d’idée lorsqu’il a fait sa deuxième demande. Selon le demandeur, cette analyse est déraisonnable.

[25] Il est bien établi dans la jurisprudence qu’un agent peut tenir compte du cheminement académique du demandeur lors de son évaluation de la raison de sa visite (Solopova au para 25). Les notes de l’agent indiquent qu’il a pris en considération le plan d’études du demandeur et les arguments de son représentant quant à la suite logique de ses études. Dans son plan d’études, le demandeur a expliqué qu’il était intrigué par le comportement humain et qu'il aimerait comprendre les raisons qui mènent un individu à commettre des crimes. Toutefois, ses études antérieures n’ont pas été orientées en matière de criminologie, mais en administration des affaires. De plus, les études proposées sont d’un niveau scolaire comparable aux études du demandeur faites au Togo. Pour ce qui est des commentaires de l’agent quant au progrès universitaire lent du demandeur, les remarques de la Cour dans l’arrêt Boni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 31 (au para 23) sont pertinentes : « ... les conclusions tirées par l'agent quant aux cours échoués par le demandeur et à son taux élevé d'absentéisme ne sont pas manifestement déraisonnables compte tenu de l'information contenue dans les relevés de notes et autres documents fournis par le demandeur ». Je suis du même avis. Dans les circonstances, il était loisible à l’agent de conclure que le programme d’études proposé soulève des doutes concernant la raison de la visite du demandeur et son intention de retourner au Togo à la fin de son séjour autorisé.

[26] Finalement, le demandeur soutient que l’agent a conclu qu’il commettra une infraction pénale en vertu de l’alinéa 124(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, en déterminant qu’il n’était pas satisfait que le demandeur compte quitter le Canada à la fin de son séjour autorisé.

[27] Je ne trouve pas cet argument convaincant. Je suis d’accord avec le défendeur; l’agent ne fait que conclure que le demandeur n’a pas démontré qu’il quittera le Canada à la fin de la période de son séjour autorisé. Tous les demandeurs de permis d’études se font évaluer selon les mêmes critères. Il ne s’agit pas d’une évaluation du potentiel pénal de la personne.

[28] Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le rejet par l’agent de la demande de permis d’études du demandeur constitue un résultat raisonnable compte tenu du droit et de la preuve dont disposait l’agent. Selon la norme de la décision raisonnable, une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et doit être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85). Or, c’est le cas en l’espèce. De plus, l’agent a correctement traité la demande du demandeur et il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

[29] Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT DU DOSSIER DE LA COUR IMM-1831-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1831-21

 

INTITULÉ :

BIDASSA, ESSO-SOLAM KEVIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 octobre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Me Simon Cossette-Lachance

 

Pour le demandeur

 

Me Patricia Nobl

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers Avocats

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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