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Date : 20220316


Dossier : IMM-1512-21

Référence : 2022 CF 356

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2022

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

MOHAMMAD AJZACHI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Mohammad Ajzachi, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 1er février 2021 par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a rejeté l’appel qu’il avait interjeté à l’encontre du refus de délivrer un visa de résident permanent à son épouse.

[2] Le demandeur est né en Iran. Il est citoyen canadien depuis environ 40 ans. Son épouse est citoyenne de Cuba. Ils se sont rencontrés en février 2017 alors qu’il faisait du tourisme à Cuba. Ils se sont mariés un an plus tard, en mars 2018.

[3] En juin 2018, le demandeur a présenté une demande de parrainage à l’égard de son épouse. Cette demande a été rejetée le 19 février 2020. L’agent d’immigration n’était pas convaincu que le mariage entre le demandeur et son épouse était authentique et qu’il n’avait pas été contracté principalement dans le but d’acquérir un statut au Canada au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. L’agent a consigné plusieurs doutes dans le Système mondial de gestion des cas, notamment la différence d’âge de 42 ans entre le demandeur et son épouse, ainsi que le manque d’éléments de preuve démontrant leur compatibilité.

[4] Par la suite, le demandeur a interjeté appel de la décision de l’agent d’immigration devant la SAI en vertu du paragraphe 63(1) de la LIPR.

[5] Dans une décision datée du 1er février 2021, la SAI a rejeté l’appel. Elle a conclu que la relation entre les époux « n’[était] pas authentique à certains égards et que leur intention au mariage visait principalement des fins d’immigration ».

[6] La question de savoir si un mariage est authentique ou s’il a été contracté à des fins d’immigration est une question mixte de fait et de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 16-17; Ta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 323 au para 7; Kusi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 68 [Kusi] au para 6; Bourassa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 805 au para 23).

[7] Pour juger si une décision est raisonnable, la Cour s’intéresse à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, au para 99). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

[8] Je conviens avec le demandeur que la décision de la SAI doit être annulée.

[9] Le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], prévoit qu’un étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas : a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi; b) n’est pas authentique. Comme les critères prévus aux alinéas 4(1)a) et 4(1)b) du RIPR sont disjonctifs, le demandeur doit démontrer à la fois que le mariage est authentique et qu’il n’a pas été contracté dans le but d’acquérir un statut au Canada (Kusi, aux para 8-9; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 840 au para 10; Onwubolu c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 19 aux para 13, 15).

[10] En l’espèce, la SAI a conclu que la relation entre les époux « n’[était] pas authentique à certains égards » . Bien que divers facteurs doivent être pris en compte dans le cadre d’une évaluation fondée sur les critères de l’alinéa 4(1)b) du RIPR, la SAI était tenue de décider si le mariage était authentique ou non. Une conclusion selon laquelle le mariage « n’est pas authentique à certains égards » donne à penser qu’il l’est à d’autres égards. La conclusion de la SAI sur cette question n’est pas suffisamment transparente et intelligible.

[11] Le défendeur a reconnu à l’audience que la SAI s’était mal exprimée. Je ne suis toutefois pas convaincue que la déclaration de la SAI constituait une simple erreur de formulation, d’autant plus qu’elle utilise cette expression à plus d’une reprise dans ses motifs.

[12] Le défendeur a raison d’affirmer que cette erreur n’était pas déterminante, puisque la SAI a aussi conclu que le mariage avait été contracté principalement à des fins d’immigration.

[13] La SAI a conclu que l’évolution rapide de la relation, l’absence d’une langue commune au début de la relation et le fait que le demandeur n’avait pas affirmé qu’il continuerait à rendre visite à son épouse à Cuba si l’appel était rejeté soulevaient des doutes quant à l’intégrité du mariage.

[14] Le demandeur soutient qu’au lieu de s’attarder indûment aux événements qui se sont produits lorsqu’il a rencontré son épouse, la SAI aurait plutôt dû examiner leur intention ou leur motivation au moment du mariage, un an plus tard.

[15] À mon avis, il était raisonnablement loisible à la SAI d’examiner la relation du couple lors de leur première rencontre. Cependant, le couple s’est marié treize (13) mois plus tard. La preuve a montré que le demandeur était retourné à Cuba au moins trois (3) autres fois au cours de la même année avant d’y retourner pour se marier. Bien que la SAI soit présumée avoir examiné l’ensemble de la preuve (Florea c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL)) et qu’elle ne soit pas tenue de renvoyer à chacun des éléments de preuve documentaire dans ses motifs (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16), les nombreux voyages du demandeur à Cuba avant le mariage étaient tout aussi importants à prendre en compte pour trancher la question de savoir si le couple avait véritablement l’intention de poursuivre une relation authentique au moment du mariage. Le fait que la SAI n’ait pas véritablement tenu compte de cet élément de preuve m’amène à conclure qu’il a été ignoré.

[16] Dans les circonstances, je conclus que la décision de la SAI doit être annulée au motif qu’elle ne satisfait pas aux critères de justification, de transparence et d’intelligibilité énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[17] Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et je suis d’accord pour dire que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1512-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1512-21

INTITULÉ :

MOHAMMAD AJZACHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

le 25 NOVEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

16 MARS 2022

COMPARUTIONS :

Julius H. Grey

Vanessa Paliotti

POUR LE DEMANDEUR

Michel Pépin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grey Casgrain s.e.n.c.

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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