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Date : 20220321


Dossier : T‐1002‐21

Référence : 2022 CF 381

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

ELIZABETA WALKER

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Elizabeta Walker, demande le contrôle judiciaire de la décision prise le 10 juin 2021 par une agente responsable de la conformité en matière de prestations [l’agente] de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC]. À la suite du deuxième examen de l’admissibilité de la demanderesse à la Prestation canadienne de la relance économique [la PCRE], l’agente a conclu qu’elle n’était pas admissible à la PCRE pour la période allant du 27 septembre 2020 au 5 juin 2021.

[2] La PCRE est un programme de prestations créé en 2020 par le gouvernement fédéral en réponse à la pandémie de COVID‐19.

[3] Le paragraphe 3(1) de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12 (la LPCRE) énonce en détail les critères d’admissibilité à la PCRE. Voici les critères d’admissibilité pertinents aux fins de la demande en l’espèce :

  • Les contribuables qui travaillent pour leur compte doivent démontrer que leurs revenus s’élevaient à au moins 5 000 $ pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date à laquelle ils ont présenté leur demande.

  • Pour chaque période de deux semaines pour laquelle ils demandent des prestations, les contribuables ne doivent pas avoir exercé un emploi ou exécuté un travail pour leur compte pour des raisons liées à la COVID‐19, ni avoir subi une réduction d’au moins 50 % de leurs revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à leur compte par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID‐19.

  • Pour chaque période de deux semaines pour laquelle ils demandent des prestations, les contribuables doivent également démontrer qu’ils ont fait des recherches pour trouver un emploi ou du travail à exécuter pour leur compte.

II. La question préliminaire

[4] Comme le prévoit l’article 303 des Règles des Cours fédérales, l’intitulé de la cause est dès maintenant modifié pour désigner le procureur général du Canada à titre de défendeur.

III. Le contexte

[5] La demanderesse a demandé et obtenu la PCRE en tant qu’experte‐conseil indépendante dans l’industrie de l’accueil parce que sa société de conseils nouvellement créée a fait faillite en raison de la pandémie.

[6] En 2021, la demanderesse a subi un examen de validation dans le but de prouver son admissibilité à la prestation. Elle a présenté deux factures le 18 janvier 2021. L’une datait de janvier 2020 et l’autre, de février 2020. Chaque facture était émise au nom de « Patel Hospitality ». La demanderesse a également présenté des copies de deux reçus pour les paiements en espèces reçus de « Patel Hospitality » pour chaque facture, ainsi que la copie du premier courriel échangé avec Amin Patel de « Patel Hospitality » en vue de l’organisation d’une première réunion téléphonique pour discuter de son embauche par le client.

[7] L’examen de l’admissibilité a permis de conclure que la demanderesse n’avait pas touché des revenus d’au moins 5 000 $ provenant d’un emploi ou d’un travail exécuté pour son compte en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois qui ont précédé la date à laquelle elle a présenté sa première demande. La demanderesse a été informée qu’elle n’était pas admissible à la PCRE dans une lettre datée du 24 février 2021.

[8] Dans le rapport d’analyse de cas, qui complète ses motifs, l’agent a consigné les remarques suivantes dans la section [traduction] « Observations de la base de données sur les cotisations spéciales » :

[traduction]

La cliente n’a pas touché de revenu en 2019. Elle a présenté des factures et des reçus qui ont été émis à un seul client. Les renseignements détaillés du client n’y figurent pas. L’adresse et le numéro de téléphone du client ne sont même pas inscrits sur les documents.

J’ai vérifié les détails de l’entreprise (E. Walker Consulting) et j’ai constaté qu’elle a fermé le 16 juin 2019. J’ai également fait des recherches sur « Amin Hospitality » (le client), mais je n’ai rien trouvé. (Cette information est confidentielle. Ne pas la divulguer à la cliente.)

Si la cliente décide de demander un deuxième examen, elle devra présenter les documents suivants :

a) un relevé bancaire montrant les paiements qu’elle a reçus;

b) l’état des revenus et des dépenses d’entreprise (formule T2125);

c) la preuve qu’elle cherche toujours activement des clients potentiels (publicités, contrats annulés, etc.).

La cliente n’est pas admissible à la PCRE. Une lettre de refus datée du 24 février 2021 lui a été envoyée.

[9] Dans la lettre de refus du 24 février 2021, il était indiqué que, si la demanderesse souhaitait demander un deuxième examen, elle devait ajouter [traduction] « tout nouveau document, fait ou message pertinent ».

[10] Le 16 mars 2021, la demanderesse a demandé un deuxième examen de son admissibilité à la PCRE.

[11] Le deuxième examen a été effectué par une autre agente responsable de la conformité en matière de prestations. Des commentaires formulés par l’agente chargée du deuxième examen dans le cadre d’une conversation téléphonique tenue avec la demanderesse le 18 mai 2021 figurent dans les notes informatisées. Selon ces notes, l’agente a informé la demanderesse qu’elle allait devoir fournir des relevés bancaires de janvier 2020 à mai 2021 sur lesquels seraient inscrits son nom et le mois. Elle ne pouvait pas présenter des images de ces relevés. L’agente a ajouté qu’il faudra également vérifier l’endroit où elle avait initialement présenté sa demande. L’agente lui a ensuite demandé si elle avait des questions. La demanderesse a répondu non et a précisé qu’elle allait tenter de trouver les documents demandés.

A. La décision faisant l’objet du contrôle

[12] Dans une lettre datée du 10 juin 2021, l’agente chargée du deuxième examen a confirmé les conclusions du premier agent et a conclu que la demanderesse n’avait pas respecté les critères d’admissibilité à la PCRE pour les périodes 1 à 18, soit du 27 septembre 2020 au 5 juin 2021 :

[traduction]

- Vous n’avez pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des 12 mois qui ont précédé la date de votre première demande.

- Les raisons pour lesquelles vous ne travailliez pas n’étaient pas liées à la COVID‐19.

- Vous n’avez pas subi une réduction d’au moins 50 % de vos revenus hebdomadaires moyens par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID‐19.

- Vous étiez en mesure de travailler, mais ne cherchiez pas d’emploi.

IV. Les questions en litige

[13] La question principale, sur laquelle les deux parties et moi‐même nous entendons, consiste à savoir si la décision de l’agente est raisonnable.

[14] La demanderesse a par ailleurs allégué que, lorsqu’elle l’avait interrogée, l’agente qui avait tranché sa demande n’avait peut‐être pas été impartiale, objective ou équitable. Selon elle, c’est en raison de l’appel qu’elle a passé au Bureau de l’ombudsman des contribuables de l’ARC. La demanderesse affirme qu’après coup, l’agente l’a intimidée et interrogée pendant une demi‐heure lors d’une conversation téléphonique tenue alors qu’elle et son mari rendaient visite à un patient à l’hôpital.

V. La norme de contrôle

[15] La Cour suprême du Canada a conclu que, lors du contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond (le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne porte pas sur un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23. Bien que cette présomption soit réfutable, aucune des exceptions n’est applicable en l’espèce.

[16] Une cour qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif. Elle ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème : Vavilov, au para 83.

[17] Le décideur peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise. À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas les conclusions de fait du décideur. Elles doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : Vavilov, au para 125.

[18] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de révision qu’elle fasse preuve de retenue envers une telle décision : Vavilov, au para 85.

[19] Une allégation concernant l’équité procédurale est jugée sur une base qui se rapproche du contrôle selon la norme de la décision correcte. Au bout du compte, la question consiste à savoir si la demanderesse connaissait la preuve à réfuter et si elle a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 56.

[20] J’estime qu’il n’est pas nécessaire d’aborder cette question, si ce n’est pour souligner que la lettre de refus du premier examen informait clairement la demanderesse des raisons pour lesquelles elle n’était pas admissible à la PCRE et l’avertissait de la nature et du type de renseignements et de documents qu’elle devrait soumettre si elle demandait un deuxième examen.

[21] De même, et plus précisément, l’agente a demandé à la demanderesse de produire ses relevés bancaires de janvier 2020 à mai 2021 sur lesquels étaient inscrits son nom et le mois lors de la conversation téléphonique tenue dans le cadre du deuxième examen. La demanderesse n’a pas fourni les relevés demandés. L’agente a également demandé à la demanderesse de fournir une impression d’écran du site Indeed montrant où elle avait postulé des emplois.

[22] La demanderesse a déclaré qu’elle avait eu l’impression que l’agente n’était pas parvenue à la comprendre pendant la plus grande partie de la conversation téléphonique en raison de son accent. Elle dit également qu’étant donné les circonstances, à savoir qu’elle se trouvait dans un hôpital bruyant au moment de cette conversation, elle a pu mal comprendre ce qui lui était demandé.

[23] Avant de conclure la conversation téléphonique, l’agente a demandé à la demanderesse si elle avait des questions. La demanderesse a répondu qu’elle n’avait pas de questions et qu’elle allait essayer d’obtenir les documents pour l’agente.

[24] La demanderesse a produit de nouveau de multiples copies des documents déjà présentés, mais aucun relevé bancaire ni aucune autre preuve pour justifier la réception de paiements en espèces pour ses services.

[25] Il ressort de ce qui précède que la demanderesse connaissait la preuve à réfuter et qu’elle a eu l’occasion de présenter des documents particuliers en réponse aux réserves de l’agente. L’exigence relative à l’équité procédurale est donc respectée. La demanderesse n’a fourni aucune preuve d’une iniquité procédurale.

VI. La décision est raisonnable

[26] Les arguments de la demanderesse concernant les motifs pour lesquels la décision n’était pas raisonnable portent sur chacune des quatre constatations faites par l’agente. Les arguments sont exposés ci-dessous. Ils sont suivis des arguments du défendeur, puis de mon analyse.

A. Revenus de 5 000 $

[27] La demanderesse soutient que ses revenus en 2020 ont atteint le minimum requis pour qu’elle soit admissible à la PCRE, comme le démontre sa déclaration de revenus de 2020. Elle affirme que les documents qu’elle a produits pour démontrer comment ses revenus ont été générés comprennent les factures remises à son client et les reçus pour le paiement des factures. La demanderesse soutient donc que la conclusion de l’agente selon laquelle les revenus gagnés étaient insuffisants pour qu’elle soit admissible à la PCRE est manifestement fausse.

[28] Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas fourni de preuve des revenus qu’elle a déclarés en ce qui concerne son client Patel Hospitality. Il souligne que l’agente a demandé une preuve supplémentaire du paiement réel sous la forme d’un chèque, d’un virement électronique ou d’un relevé bancaire. Bien que les deux reçus de vente produits indiquent que les paiements ont été faits en espèces, la demanderesse n’a pas fourni de documents prouvant que ces paiements ont bel et bien été effectués.

[29] Le défendeur fait également remarquer que la demanderesse n’a pas mentionné dans son mémoire l’allégation selon laquelle on ne lui avait pas demandé de produire des documents. En fait, elle a seulement indiqué dans son mémoire que les factures, les reçus et les renseignements fiscaux étaient suffisants pour prouver que ses revenus avaient atteint le minimum requis.

[30] Dans la décision Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 (Aryan), la juge Strickland a examiné une décision semblable de l’ARC en matière de conformité des prestations concernant une demanderesse qui avait déclaré des revenus d’au moins 5 000 $ de son travail indépendant en 2020. Dans cette affaire, les documents justificatifs comprenaient un avis de cotisation et un relevé bancaire. Lors du deuxième examen, une agente avait conclu que l’avis de cotisation était fondé sur des revenus provenant d’un travail indépendant et que le relevé bancaire ne précisait pas la source des revenus.

[31] La demanderesse était d’avis qu’il était déraisonnable de la part de l’agente de ne pas tenir compte de l’avis de cotisation émis par l’ARC et de ne pas l’accepter comme preuve de revenus. L’argument consistait à dire que le fait d’exiger une preuve supplémentaire montrant que les revenus avaient été gagnés et reçus allait à l’encontre de l’objectif de la LPCRE, à savoir soutenir la reprise économique du Canada en réponse à la COVID‐19.

[32] Après un examen approfondi des lignes directrices de l’ARC sur l’admissibilité à la PCRE et des dispositions de la LPCRE, la juge Strickland a conclu que la décision de l’ARC était raisonnable. L’agente avait raisonnablement cherché à obtenir d’autres documents, conformément aux directives énoncées dans les lignes directrices sur la PCRE.

[33] Comme dans l’affaire en l’espèce, l’avis de cotisation dans l’affaire Aryan était fondé sur un revenu autodéclaré et la demanderesse n’avait pas fourni les documents justificatifs demandés.

[34] Il est obligatoire de fournir les renseignements demandés par l’ARC pour appuyer une demande de PCRE. Aux termes de l’article 6 de la LPCRE, « [l]e demandeur fournit au ministre tout renseignement que ce dernier peut exiger relativement à la demande » (non souligné dans l’original).

[35] Je conclus moi aussi que l’agente a raisonnablement demandé une preuve supplémentaire de l’admissibilité à la PCRE et que la demanderesse ne l’a pas fournie à la satisfaction de l’agente. Conformément aux lignes directrices de l’ARC, l’agente pouvait ainsi raisonnablement conclure que la demanderesse n’était pas admissible à la PCRE.

[36] La Cour a fréquemment constaté que le régime fiscal canadien est fondé sur le principe de l’autocotisation : Dimovski c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 721 au para 17; Froehling c Canada (Procureur général), 2021 CF 1439, au para 26.

[37] La responsabilité de l’autocotisation s’accompagne d’une obligation, énoncée à l’article 6 de la LPCRE, de fournir tout renseignement que l’ARC peut exiger pour confirmer la conformité aux dispositions législatives. Selon cette exigence, un demandeur doit fournir les documents et les renseignements demandés par l’ARC ou expliquer pourquoi il n’est pas en mesure de répondre à la demande. Elle ne limite pas ce qu’un demandeur peut présenter à l’appui de sa demande.

[38] Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas convaincue du caractère déraisonnable de la conclusion de l’agente selon laquelle la demanderesse n’avait pas prouvé que ses revenus nets d’un travail indépendant pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande s’élevaient à au moins 5 000 $. La conclusion de l’agente était donc raisonnable.

[39] Ce seul motif suffit à rejeter la demande de contrôle judiciaire. Toutefois, comme la demanderesse se représente elle‐même, je vais examiner ses trois autres arguments.

B. Sans emploi pour des raisons liées à la COVID‐19

[40] La demanderesse explique que sa grande expérience en gestion dans l’industrie de l’accueil depuis 2013 l’a amenée à créer une société de conseil pour offrir ses services. Elle fait valoir qu’elle s’est lancée en affaires à la fin de 2019, mais que son élan a été brusquement stoppé par la COVID‐19. La demanderesse affirme qu’elle avait plusieurs autres clients potentiels, mais qu’elle a été contrainte d’abandonner son projet, l’industrie de l’accueil ayant été dévastée par la pandémie. Elle affirme qu’elle a donc immédiatement commencé à postuler des emplois.

C. À la recherche d’un emploi

[41] La demanderesse soutient qu’elle a produit des captures d’écran de son compte Indeed montrant qu’elle a commencé à postuler sérieusement des emplois au cours des premiers mois de 2020. Elle a soumis ces renseignements à l’ARC, mais celle‐ci a conclu, sans fournir d’explications, qu’elle ne tentait pas de trouver du travail. Elle fait valoir qu’elle a postulé des emplois sur diverses plateformes et par l’intermédiaire du réseautage avec ses anciens collègues et ses contacts professionnels, et qu’elle continue à le faire.

[42] Le processus de raisonnement par lequel l’agente est passée pour rejeter les deux arguments de la demanderesse figure dans la section [traduction] « Motifs de la décision » du rapport d’analyse de cas :

[traduction]

- La contribuable a seulement montré le même courriel de janvier 2020 accompagné de factures pour le même client. Les deux factures ont été faites différemment. Rien ne prouve qu’elle ait gagné des revenus. Elle n’a fourni ni relevé bancaire, ni chèque annulé, ni transfert électronique.

- Sa société n’a affiché aucune croissance, et la contribuable aurait cessé ses activités en février 2020 pour des raisons liées à la COVID‐19. Cependant, elle venait de se lancer en affaires et n’avait pas fait de publicité. Sa page Web est suspecte. Ses activités semblent occasionnelles. La contribuable avait arrêté de travailler en 2018 pour des raisons médicales et avait été soutenue par son mari par la suite.

- Je crois toujours que la contribuable ne cherche pas de travail parce qu’elle a simplement fait un copier‐coller dans un document Word montrant qu’elle a postulé des emplois en janvier 2020 et un emploi en novembre 2020. La mention qui accompagne ce dernier emploi est cependant différente de la mention qui accompagne les autres emplois; en effet, il est mentionné qu’elle a postulé cet emploi, mais qu’elle n’a pas été sélectionnée, tandis qu’il est mentionné pour les autres emplois qu’une demande a été présentée. Cela me semble suspect.

- Il reste encore à savoir si la contribuable habite en Nouvelle‐Écosse ou en Alberta. Son adresse est en Alberta, mais sa banque se trouve en Nouvelle‐Écosse et son numéro de téléphone en est un de la Nouvelle‐Écosse.

- Compte tenu des renseignements obtenus lors de la conversation téléphonique et des documents de la contribuable, je conclus qu’elle n’est pas admissible à la PCRE puisque ce n’est pas pour des raisons liées à la COVID‐19 qu’elle n’a pas d’emploi, qu’elle n’a pas subi une perte de 50 % de ses revenus pour des raisons liées à la COVID‐19 et qu’elle ne cherche pas de travail.

[43] Sur la liste de vérification des critères d’admissibilité, à côté de la rubrique [traduction] « N’a pas quitté son emploi ou n’a pas réduit ses heures de travail volontairement après le 27 septembre 2020 », l’agente a noté ce qui suit : [traduction] « Je ne suis pas certaine du moment où la contribuable a cessé de travailler à son compte, mais elle n’a jamais vraiment commencé. »

[44] En plus de la question de l’incapacité de la demanderesse à fournir suffisamment de documents pour justifier les revenus de 6 650 $ déclarés, l’agente a soulevé de nombreux doutes dans ses motifs. Notamment, la nature suspecte du courriel du client, l’adresse de la demanderesse, le site Web de la société, le moment où elle a postulé les emplois et la question de savoir si la société de conseil a bel et bien commencé ses activités.

[45] Malheureusement pour la demanderesse, bien qu’elle affirme avoir cherché un emploi de façon continue — et je reconnais qu’elle l’a peut‐être fait —, les documents qu’elle a soumis à l’ARC n’étayent pas cette affirmation.

[46] Selon ses notes, l’agente a demandé à la demanderesse, lors de la conversation téléphonique du 18 mai 2021 avec elle, des renseignements provenant d’Indeed qui montreraient à quels endroits elle avait postulé dès le début de la période. L’impression d’écran d’Indeed ne prouve pas que la demanderesse cherchait continuellement un emploi. L’agente a souligné que l’impression d’écran d’Indeed produite de nouveau montrait que les demandes d’emploi n’avaient été soumises qu’en janvier 2020 et qu’une seule demande avait été faite en novembre 2020.

[47] La demanderesse n’a pas fourni d’autres éléments de preuve documentaire pour corroborer les efforts qu’elle a déployés pour trouver des emplois sur un certain nombre de plateformes de recherche d’emploi et pour trouver des emplois un peu partout au pays.

[48] Je suis d’avis qu’en l’absence de toute preuve suffisante pour étayer la position de la demanderesse selon laquelle elle postulait continuellement des emplois, l’agente a raisonnablement conclu qu’elle n’avait pas prouvé qu’elle était sans emploi pour des raisons liées à la COVID‐19 ou qu’elle cherchait activement un emploi.

D. Aucune réduction de 50 % des revenus déclarée

[49] La demanderesse fait valoir qu’elle n’a pas présenté une demande en vertu du critère de réduction de 50 % des revenus; elle a présenté une demande en vertu du critère selon lequel elle avait perdu son emploi pour des raisons liées à la COVID‐19. Elle affirme ce qui suit : [traduction] « Je ne sais pas comment l’agente a pu penser qu’il était sensé d’inclure ce critère dans son évaluation de ma demande de PCRE puisque ma demande n’était pas fondée sur le critère de réduction de 50 % des revenus. »

[50] L’argument de la demanderesse selon lequel l’agente a commis une erreur dans sa décision lorsqu’elle a déclaré qu’elle n’avait pas subi une réduction de 50 % de ses revenus hebdomadaires par rapport à l’année précédente parce qu’elle n’avait pas fait de demande selon ce critère est simplement une mauvaise interprétation par la demanderesse de la législation et de la déclaration de l’agente.

[51] L’alinéa 3(1)f) de la LPCRE porte ce qui suit :

Admissibilité

3 (1) Est admissible à la prestation canadienne de relance économique, à l’égard de toute période de deux semaines comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021, la personne qui remplit les conditions suivantes :

[...]

f) au cours de la période de deux semaines et pour des raisons liées à la COVID‐19, à l’exclusion des raisons prévues aux sous‐alinéas 17(1)f)(i) et (ii), soit elle n’a pas exercé d’emploi — ou exécuté un travail pour son compte —, soit elle a subi une réduction d’au moins cinquante pour cent — ou, si un pourcentage moins élevé est fixé par règlement, ce pourcentage — de tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte pour la période de deux semaines. [...]

[Non souligné dans l’original.]

Eligibility

3 (1) A person is eligible for a Canada recovery benefit for any two-week period falling within the period beginning on September 27, 2020 and ending on October 23, 2021 if

[...]

(f) during the two-week period, for reasons related to COVID-19, other than for reasons referred to in subparagraph 17(1)(f)(i) and (ii), they were not employed or self-employed or they had a reduction of at least 50% or, if a lower percentage is fixed by regulation, that percentage, in their average weekly employment income or self-employment income for the two-week period. [...]

 

[52] L’utilisation du mot « soit » souligné ci‐dessus signifie que le critère d’admissibilité aux versements de la PCRE est disjonctif. Un contribuable peut être admissible soit parce qu’il a perdu son emploi pour des raisons liées à la COVID‐19, soit parce qu’il a prouvé qu’il a subi une réduction de 50 % de ses revenus hebdomadaires moyens.

[53] À mon avis, la référence de l’agente au volet du critère qui concerne la réduction de 50 % ne prouve pas qu’elle a mal compris la demande de la demanderesse. Elle démontre plutôt que l’agente a fait preuve de rigueur en prenant entièrement en compte les deux façons par lesquelles la demanderesse aurait pu satisfaire au critère d’admissibilité. Ce faisant, l’agente a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait satisfait à aucune des deux conditions.

VII. Conclusion

[54] Après avoir examiné les pièces justificatives de la demanderesse, le rapport d’analyse de cas et les documents du dossier sous‐jacent, et après avoir pris en considération les arguments des parties, je conclus, pour tous les motifs qui précèdent, que la décision de l’agente est raisonnable. Elle satisfait aux critères énoncés puisqu’elle est intrinsèquement cohérente en plus d’être transparente, justifiée et intelligible. Elle ne démontre aucun raisonnement tautologique et ne contient aucune faille décisive.

[55] Ma conclusion ne signifie pas que je crois que la demanderesse essayait de quelque manière que ce soit de « tricher » ou encore de « déjouer » le système. Il s’agit seulement d’une conclusion selon laquelle la preuve présentée par la demanderesse et son mari à l’agente n’était pas suffisante pour prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la demande de PCRE répondait aux critères énoncés dans la LPCRE. Ma conclusion souligne également qu’il est important, lorsque des clients paient en espèces, d’avoir des registres dans lesquels figurent tous les détails des transactions et de déposer les fonds reçus en même temps sur un compte dans une institution financière.

[56] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[57] Le défendeur a demandé que des dépens lui soient adjugés en l’espèce, mais j’exerce mon pouvoir discrétionnaire à cet égard et conclus qu’il n’y a pas lieu d’adjuger des dépens dans la présente affaire.


JUGEMENT dans le dossier T‐1002‐21

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé de la cause est modifié de manière à désigner le procureur général du Canada comme défendeur.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Karine Lambert


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐1002‐21

 

INTITULÉ :

ELIZABETA WALKER c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 mars 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 mars 2022

 

COMPARUTIONS :

ELIZABETA WALKER

 

La demanderesse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Matthew Chao

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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