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Date : 20220322


Dossier : IMM-919-21

Référence : 2022 CF 385

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2022

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

MOSAAB AL AYOUBI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Le contexte

[1] Le demandeur, Mosaab Al Ayoubi, sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 5 janvier 2021, par laquelle un agent de migration [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente au Canada qu’il avait présentée à titre de réfugié au sens de la Convention outre-frontières ou de personne de pays d’accueil. L’agent a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Le demandeur est un citoyen de la Syrie qui réside actuellement à Beyrouth, au Liban.

[3] Le demandeur a effectué son service militaire obligatoire entre février 2007 et janvier 2009 au sein de la Direction de la sécurité politique [la DSP]. Il a été affecté à Raqqa pendant un (1) mois en tant que garde de sécurité pour le service de renseignement militaire, avant d’être muté à la maison d’un général qui était responsable du service de renseignement militaire dans cette ville.

[4] En 2010, une fois le service militaire accompli, le demandeur et sa famille sont déménagés au Liban. Tous les membres de la famille ont demandé l’asile au Canada par l’intermédiaire du programme de parrainage des réfugiés. Le 5 mai 2016, ils ont été interrogés à l’ambassade du Canada, à Beyrouth, et, dans les mois qui ont suivi, quatre (4) membres de la famille du demandeur ont été admis comme réfugiés au Canada.

[5] Le 30 juin 2017, le demandeur a reçu une lettre d’équité procédurale l’informant de réserves selon lesquelles il appartenait à la catégorie de personnes interdites de territoire visée à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Plus précisément, l’agent d’examen avait des réserves parce que le demandeur avait été membre du service de renseignement militaire de la Syrie, une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle s’était livrée au terrorisme. Le demandeur a répondu à ces réserves le 4 juillet 2017 en expliquant qu’il n’avait été qu’un garde, et non pas un membre actif, et qu’il avait été muté à la maison du général, où il avait été au service de ce dernier et de sa famille pendant deux (2) ans et demi, jusqu’à la fin de son service militaire. Il a ajouté que le service militaire n’était pas facultatif. Le 1er août 2017, l’agent d’examen a rejeté la demande, car il était convaincu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur appartenait à la catégorie de personnes interdites de territoire visée à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire le 28 août 2017.

[6] Les parties se sont entendues pour que l’affaire soit réexaminée par un autre agent, et le demandeur a été de nouveau interrogé le 13 novembre 2017 et le 26 février 2019.

[7] Le 12 novembre 2019, l’agent d’examen a fait parvenir au demandeur une autre lettre d’équité procédurale pour lui permettre de répondre aux réserves selon lesquelles : 1) il avait été membre de la DSP de 2007 à 2009; 2) la DSP est une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle s’est livrée à des actes d’espionnage dirigés contre le Canada ou contraires aux intérêts du Canada; 3) il avait fourni des renseignements contradictoires et incohérents au cours de son entrevue du 26 février 2019, notamment au sujet de son service militaire, de ses connaissances et de ses responsabilités au sein de l’organisation dans laquelle il avait servi. En l’absence de réponse du demandeur, la demande a été rejetée le 14 janvier 2020.

[8] Toutefois, le représentant du demandeur a démontré qu’une réponse avait été fournie avant l’échéance. Par conséquent, l’agent a examiné le dossier une deuxième fois, le 24 février 2020. L’agent avait toujours des réserves, car la DSP était une organisation visée aux alinéas 34(1)a) et f) de la LIPR et le demandeur en avait été membre. Après quelques délais supplémentaires, l’agent a fait parvenir une nouvelle lettre d’équité procédurale au demandeur le 15 octobre 2020, dans laquelle il détaillait son analyse et ses réserves.

[9] Le 13 novembre 2020, dans sa réponse à cette lettre d’équité procédurale, le demandeur a fait valoir qu’il était déraisonnable de conclure qu’il avait été membre de l’organisation, car il n’avait pas participé ou contribué à ses travaux ou à ses activités. En fait, il avait été enrôlé dans l’armée et affecté à cette organisation. De même, rien dans les tâches qui lui avaient été assignées et dans sa participation ne démontrait son engagement envers les buts et les objectifs de l’organisation. Le demandeur a également contesté l’analyse de l’agent relative à la question de savoir si l’organisation se livrait à des actes d’espionnage dirigés contre le Canada ou contraires aux intérêts du Canada. À son avis, la preuve documentaire sur laquelle l’agent s’était appuyé était vague et reposait sur des sources douteuses. Enfin, le demandeur a demandé qu’une dispense ministérielle soit envisagée s’il était conclu qu’il appartient à une catégorie de personnes interdites de territoire.

[10] Le 5 janvier 2021, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente au Canada. L’agent a conclu que le demandeur avait été membre de la DSP, une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle s’était livrée, se livrait ou se livrerait à des actes d’espionnage dirigés contre le Canada ou contraires aux intérêts du Canada.

[11] Dans ses notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas, qui font partie de ses motifs, l’agent a traité des observations du demandeur à propos de l’absence d’engagement envers les buts et les objectifs de l’organisation. Il a souligné qu’elles contredisaient les renseignements que le demandeur avait fournis lors d’une entrevue antérieure et qu’elles ne dissipaient pas les réserves que suscitait son appartenance à la DSP, au sein de laquelle il avait servi entre 2007 et 2009 et dont il connaissait bien le rôle et les activités. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur avait été forcé d’agir contre son gré. Il a souligné qu’à deux occasions au cours de la deuxième entrevue, le demandeur avait répondu par la négative à la question de savoir s’il avait tenté de fuir ou de demander une mutation. L’agent a également souligné que le demandeur avait dit qu’il avait refusé de porter une arme ou d’apporter de la nourriture dans la salle d’interrogatoire, mais que ce refus n’avait jamais donné lieu à une sanction.

[12] En outre, l’agent a également traité de l’argument du demandeur à propos de la question de savoir si la DSP était une organisation qui se livrait à des actes d’espionnage dirigés contre le Canada ou contraires aux intérêts du Canada. Il a souligné que les renseignements sur lesquels il s’était appuyé avaient été obtenus de plusieurs sources ouvertes, fiables et crédibles, dont Amnistie Internationale et Human Rights Watch, et il a conclu que les explications du demandeur ne dissipaient pas les réserves que suscitaient les motifs raisonnables de croire que la DSP, qui fait partie du service de renseignement syrien [les Mukhabarat], était une organisation visée à l’alinéa 34(1)a) de la LIPR.

[13] Enfin, l’agent a fait remarquer que la demande de dispense ministérielle du demandeur ne pouvait être examinée dans le cadre de la demande de résidence permanente, car une demande distincte doit être présentée.

[14] Le demandeur conteste la décision pour les motifs suivants : 1) l’agent n’a pas fourni de motifs suffisants relativement à son appartenance à la DSP; 2) l’agent a commis une erreur dans son examen de la question de savoir si la DSP se livrait à des actes d’espionnage; et 3) l’agent n’aurait pas dû mettre en doute sa crédibilité. Il invoque également le motif distinct selon lequel la décision est déraisonnable parce qu’elle s’appuie sur des motifs insuffisants et qu’elle n’est pas étayée par des éléments de preuve objectifs et fiables, mais il n’a pas suffisamment détaillé cet argument pour que la Cour puisse l’examiner.

II. Analyse

A. La norme de contrôle et le cadre législatif

[15] Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 16-17; Weldemariam c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 631 [Weldemariam] aux para 30-31; Gaga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 607 [Gaga] au para 11; Crenna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 491 aux para 63-65; AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 461 au para 27).

[16] Pour décider si une décision est raisonnable, la Cour s’intéresse « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, au para 99). « Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

[17] Suivant les alinéas 34(1)a) et f) de la LIPR, est interdit de territoire au Canada l’étranger ou le résident permanent qui a été membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte d’espionnage. Ces dispositions doivent être lues conjointement avec l’article 33 de la même loi, qui confirme que les faits sont appréciés sur la base de « motifs raisonnables de croire » et que l’interprétation et l’application des alinéas 34(1)a) et f) sont libres de toute contrainte temporelle.

[18] Contrairement à la norme « hors de tout doute raisonnable » du droit criminel, celle des « motifs raisonnables de croire » est peu exigeante. Elle exige davantage qu’un simple soupçon, mais elle est moins exigeante que la norme de la prépondérance des probabilités applicable en matière civile. La croyance doit posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 aux para 114, 116-117; Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 au para 89).

B. L’examen de la question de l’appartenance

[19] Le demandeur soutient que l’agent n’a pas fourni suffisamment de motifs en ce qui a trait à son appartenance à la DSP. Il soutient que les facteurs relatifs à l’appartenance, comme la nature et la durée de ses activités et son niveau d’engagement envers l’organisation et ses objectifs, n’ont pas été correctement examinés et traités. À l’appui de son argument, il invoque la décision Perez Villegas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 105 [Perez Villegas] au para 44.

[20] L’argument du demandeur n’a aucun fondement.

[21] La LIPR ne définit pas le terme « membre », mais il est de jurisprudence constante que le terme « appartenance » doit recevoir une interprétation large. Dans sa réponse, le demandeur le reconnaît. Il n’est pas nécessaire que la personne en question détienne une carte ou soit officiellement membre. Il n’est pas non plus nécessaire qu’elle participe aux actes de l’organisation (Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85 aux para 26 et 32; Garces Caceres c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 4 [Garces Caceres] aux para 38-39; Ismeal c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 198 au para 20).

[22] Dans l’arrêt Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86 [Kanagendren], la Cour d’appel fédérale a examiné la question de savoir si la décision Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, avait modifié le critère d’évaluation de l’appartenance prévu à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. L’appelant avait fait valoir que les personnes qui ne participent pas à des activités terroristes, ou qui ne sont que peu liées à une organisation terroriste ou qui sont contraintes d’y adhérer, ne doivent pas être considérées comme appartenant à une organisation. La Cour fédérale avait conclu qu’il n’importe pas de savoir si le demandeur était, de quelque façon, impliqué dans les activités de l’organisation, car l’alinéa 34(1)f) de la LIPR ne vise aucunement la complicité (Kanagendran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 384 au para 14). La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision et a conclu que rien dans l’alinéa 34(1)f) de la LIPR n’exige une analyse relative à la complicité lorsqu’il est question d’appartenance à une organisation et que rien ne suppose que le « membre » est un « véritable » membre de l’organisation, qui a contribué de façon significative aux actions répréhensibles du groupe (Kanagendren, au para 22; Garces Caceres, au para 39).

[23] Bien que la conclusion d’interdiction de territoire dans l’affaire Kanagendren découlait de l’appartenance à une organisation qui s’était livrée au terrorisme au sens des alinéas 34(1)f) et c) de la LIPR, le demandeur ne m’a pas convaincue que les principes établis dans la décision Kanagendren ne devraient pas également s’appliquer à l’appartenance à une organisation qui se livre à des actes d’espionnage au sens des alinéas 34(1)f) et a) de la LIPR (Gaga, aux paras 7-19).

[24] La plupart des décisions sur lesquelles le demandeur s’appuie, y compris la décision Perez Villegas, ont été rendues plusieurs années avant l’arrêt Kanagendren de la Cour d’appel fédérale. Depuis, la Cour a conclu qu’il suffit qu’une personne admette qu’elle a été membre d’une organisation pour qu’elle réponde au critère de l’appartenance établi à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR (Foisal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 404 au para 11; Gaga, aux para 17-18; MN c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 796 au para 7; Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 397 au para 31).

[25] En l’espèce, le demandeur a admis au cours de ses entrevues que, sa période de formation exceptée, il avait été au service de la DSP pendant la majeure partie de son service militaire obligatoire. Ainsi, il a reconnu qu’il avait été membre de la DSP. Son livret de service militaire confirmait également qu’il avait servi au sein de la DSP de 2007 à 2009. Par conséquent, l’agent n’avait pas à examiner la nature, la durée et le niveau de l’engagement du demandeur envers l’organisation (Rahman c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 807 au para 26; Intisar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1128 au para 23).

[26] Par ailleurs, en s’appuyant sur la décision Yihdego c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 833 [Yihdego], le demandeur a fait erreur. Dans cette affaire, la question déterminante était l’analyse de la Section de l’immigration relative aux intérêts du Canada (Yihdego, aux para 23, 30). La Cour n’a pas annulé la conclusion concernant l’appartenance.

[27] Cela dit, l’agent a néanmoins examiné les arguments que le demandeur avait soulevés dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, et il y a répondu. Bien que le demandeur ait tenté de minimiser ses tâches et ses responsabilités en affirmant qu’il avait été enrôlé, qu’il s’était vu attribuer des fonctions limitées de garde à l’extérieur de l’un des édifices de l’organisation et qu’il avait ensuite été muté à la maison du général pour l’aider à accomplir des tâches personnelles et familiales, l’agent a conclu que la preuve établissait plutôt qu’il avait servi au sein de la DSP, qu’il connaissait le rôle de la DSP en tant que service de renseignement et qu’il était au courant de ses activités. Il a conclu que tout travail ou toute tâche attribué au demandeur était considéré comme du travail entrepris pour la DSP. Après avoir examiné le dossier, je suis convaincue que les conclusions de l’agent sont raisonnables et étayées par la preuve.

[28] Le demandeur ne m’a pas convaincue que l’agent n’avait pas fourni suffisamment de motifs à l’appui de sa conclusion selon laquelle il était membre de la DSP, ni que l’agent avait effectué un examen déraisonnable de cette question.

C. L’examen de la question de savoir si la DSP se livre à des actes d’espionnage

[29] Après avoir conclu que la DSP répondait à la définition d’une organisation et qu’elle faisait partie des Mukhabarat, et après avoir résumé le contenu de divers rapports, l’agent a fait parvenir au demandeur une lettre d’équité procédurale, datée du 15 octobre 2020, dans laquelle il affirmait ce qui suit :

[traduction]

Compte tenu des nombreux rapports d’agences bien connues, comme [Human Rights Watch] et Amnistie Internationale, et des reportages de médias connus, comme Al Jazeera et PBS, qui indiquent que le service de renseignement syrien (les Mukhabarat) a mené des activités de surveillance et d’espionnage en sol canadien, ce qui est contraire à la sécurité nationale et à la sécurité publique du Canada, ainsi que des actes d’espionnage contre des alliés du Canada, comme l’Allemagne et les États-Unis, il y a des motifs raisonnables de croire que la Direction de la sécurité politique, qui est l’une des quatre principales agences de renseignement de la Syrie et qui fait partie des Mukhabarat], est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes d’espionnage dirigés contre le Canada ou contraires aux intérêts du Canada.

[30] Le demandeur soutient que l’agent a tiré une conclusion déraisonnable parce qu’il s’est appuyé sur une preuve documentaire vague qui repose sur des sources douteuses ou invérifiables. En particulier, il conteste les rapports sur lesquels l’agent s’est appuyé parce qu’ils reposent sur des ouï-dire rapportés par des personnes qui ont préféré garder l’anonymat.

[31] L’argument du demandeur ne me convainc pas.

[32] À l’audience, le demandeur a cité la décision Karakachian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 948 [Karakachian] à l’appui de sa position. Dans cette affaire, la Cour a conclu que l’agent s’était appuyé sur des sources douteuses pour conclure que l’entité en question était une organisation terroriste (Karakachian, aux para 43-46). En l’espèce, l’agent s’est appuyé sur des rapports d’organisations internationales et non gouvernementales, comme Amnistie Internationale et Human Rights Watch. Il est généralement reconnu que ces rapports sont considérés comme des sources d’information crédibles, fiables et indépendantes (Koffi c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 970 aux para 54-58; Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1503 aux para 72-75; Jalil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 246 au para 38).

[33] Le demandeur soutient également qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de s’appuyer sur des renseignements tirés d’un article de presse intitulé [traduction] Est-ce que des espions syriens opèrent en sol américain? En s’appuyant sur la décision Weldemariam, il soutient que l’espionnage de personnes qui résident dans des pays alliés du Canada, contrairement à l’espionnage de ces pays en tant que tels, ne constitue pas un acte contraire à l’intérêt supérieur du Canada qui entraîne l’application de l’alinéa 34(1)a) de la LIPR.

[34] Dans la décision Weldemariam, qui fait actuellement l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale, la question déterminante était celle de savoir ce qu’est un acte d’espionnage « contraire aux intérêts du Canada » (Weldemariam, au para 42). La Section de l’immigration a conclu que l’Agence de sécurité des réseaux d’information, l’organisation en question, avait commis des actes d’espionnage contraires aux intérêts du Canada, et ce, pour deux (2) motifs : 1) les actes visaient des ressortissants de pays alliés du Canada; et 2) les personnes visées étaient membres d’un organe de presse actif dans de nombreux pays, et la liberté de la presse étant l’une des pierres angulaires de la Charte canadienne des droits et libertés, les actes de l’organisation étaient contraires aux intérêts du Canada. La Cour a souligné que les activités d’espionnage dirigées contre les alliés du Canada pouvaient être contraires aux intérêts du Canada. Cependant, elle a fait remarquer que l’organisation visait non pas les alliés du Canada, mais plutôt des particuliers qui ne se trouvaient pas au Canada. La Cour a conclu que la Section de l’immigration aurait dû fournir une explication raisonnable du lien entre les actes de l’organisation et les intérêts du Canada en matière de sécurité nationale (Weldemariam, au para 74).

[35] En l’espèce, contrairement à la Section de l’immigration dans l’affaire Weldemariam, l’agent a expliqué le lien entre les actes de la DSP et les intérêts du Canada.

[36] Il est important de rappeler que la norme de preuve applicable est celle des « motifs raisonnables de croire ». Il s’agit d’une norme peu exigeante, la preuve devant établir davantage qu’un simple soupçon, mais moins que la prépondérance des probabilités. Le fondement objectif de la croyance doit reposer sur des renseignements concluants et dignes de foi.

[37] À la lumière des éléments de preuve dont disposait l’agent, dont les affirmations faites par le demandeur au cours de ses entrevues et des renseignements de sources fiables et crédibles qui confirmaient que des personnes avaient été surveillées et intimidées au Canada et dans des pays alliés, l’agent pouvait raisonnablement conclure qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que la DSP s’était livrée, se livrait ou se livrerait à des actes d’espionnage dirigés contre le Canada ou contraires aux intérêts du Canada. À mon avis, le demandeur invite essentiellement la Cour à soupeser à nouveau la preuve afin de tirer une conclusion différente. Ce n’est pas mon rôle dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Vavilov, au para 125). Le demandeur ne m’a pas convaincue que la conclusion de l’agent à cet égard est déraisonnable.

D. La crédibilité du demandeur

[38] Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de mettre en doute sa crédibilité en ce qui a trait à la durée de son service militaire et à sa connaissance des événements qui se seraient produits dans la salle d’interrogatoire.

[39] Je ne suis pas convaincue que l’agent a mis en doute la crédibilité du demandeur en ce qui a trait à la durée de son service militaire. En réponse à la lettre d’équité procédurale datée du 15 octobre 2020, le demandeur a soutenu que l’agent avait commis une erreur en indiquant qu’il avait servi pendant [traduction] « deux ans et neuf mois », car il n’avait accompli qu’une année et neuf mois de service obligatoire de 2007 à 2009. L’agent a répondu à cet argument en faisant remarquer que, lors d’une entrevue précédente, le demandeur, interrogé sur la durée de son service militaire, avait répondu [traduction] « deux ans et neuf mois, je tiens à être honnête ». Devant la Cour, le demandeur soutient maintenant que la preuve démontre que son service militaire a duré 23 mois.

[40] Étant donné les incohérences dans les affirmations du demandeur en ce qui a trait à la durée de son service militaire, il était raisonnable que l’agent se fonde sur ce que le demandeur avait affirmé au cours de son entrevue plutôt que sur la réponse de son avocat à la lettre d’équité procédurale.

[41] Le demandeur allègue également que l’agent a mis en doute sa crédibilité en raison des incohérences dans son témoignage en ce qui a trait à ce qu’il a entendu et vu dans la salle d’interrogatoire.

[42] En réponse à la lettre d’équité procédurale, le demandeur a produit un affidavit dans lequel il a affirmé qu’il n’avait jamais entendu ou vu ce qui s’était passé dans l’immeuble auquel il était affecté. L’agent a fait remarquer que cette affirmation contredisait directement les renseignements que le demandeur avait fournis lors d’une de ses entrevues. Après avoir examiné le dossier, je suis convaincue que l’agent pouvait raisonnablement conclure que le témoignage du demandeur présentait des incohérences.

[43] Je conclus que le demandeur n’a pas démontré que la décision de l’agent comportait une erreur susceptible de contrôle. Je suis convaincue que la décision de l’agent, interprétée globalement et en contexte, satisfait à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov.

[44] La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-919-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-919-21

INTITULÉ :

MOSAAB AL AYOUBI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 NOVEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 22 MARS 2022

COMPARUTIONS :

Constance Connie Byrne

POUR LE DEMANDEUR

Andrea Shahin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Connie Legal Inc.

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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