Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220311


Dossier : IMM-1835-21

Référence : 2022 CF 215

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2022

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

LUIS FRANCISCO ASCENCIO PEREZ

LILIANA DEL PILAR LOPEZ LOPEZ

SALOMON ASCENCIO LOPEZ

EMILY ASCENCIO VIDES

JACOB ASCENCIO LOPEZ

demandeurs

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision de la Section d’appel de réfugiés (SAR) qui avait confirmé le refus de la demande d’asile par la Section de la protection des réfugiés (SPR). La demande de contrôle judiciaire est faite en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR ou la Loi].

[2] Les Demandeurs sont des citoyens de Colombie. Ils constituent une famille. Le Demandeur principal, Luis Francisco Ascencio Perez, œuvre dans le domaine immobilier, étant décrit comme travaillant entre autres sur la régularisation des titres de propriété. L’allégation fondamentale est que son travail relatif à l’assistance qu’il donne à la régularisation des titres de propriété a entraîné des actions à son égard qui ont fait en sorte qu’il réclame l’asile au Canada pour lui et sa famille. Les décideurs administratifs canadiens ont cru aux appels de menace que le Demandeur principal et son épouse auraient reçus. Mais d’autres incidents rapportés par le Demandeur principal n’ont pas de lien avec les menaces, selon les tribunaux administratifs. Il y a donc un enjeu de crédibilité. De plus, les Demandeurs auraient une possibilité de refuge intérieur (PRI). Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire ne peut réussir.

I. Les faits

[3] Le Demandeur principal a reçu le mandat de participer à la régularisation des titres de propriété de la « présidente de l’action communautaire de la communauté ‘Cano Rico’. » Dans le cadre de son mandat, il aurait tenu quelques réunions au début de 2018 avec des gens de Cano Rico. Il dit avoir reçu des appels de menace durant la première moitié de 2018, commençant le 17 février 2018. Il a changé de numéro de téléphone, ce qui fait cesser les appels, mais il est retourné à son ancien numéro parce que ses contacts de travail l’utilisaient. Il aurait reçu un appel de menace le 28 mai.

[4] C’est l’épouse du Demandeur principal qui recevait un appel de menace, le 4 juin 2018. Le Demandeur dit qu’il a alors reçu à compter du 14 juin « une mesure de protection dans la région de Sogamoso » de la part de la police (Fondement de la demande d’asile (FDA), para 12).

[5] Le 8 juillet 2018, au crépuscule, deux individus sur une motocyclette, arrivant derrière lui, auraient tiré sur le Demandeur principal. Celui-ci n’a pas été atteint et il rapporte que l’une des deux personnes a dit que ce n’était pas lui avant de quitter la scène.

[6] Le Demandeur principal s’est plaint aux autorités et a requis « une mesure de protection » pour Bogota, où il se rendait avec sa famille. La mesure de protection offerte était un téléphone pour les contacter au besoin. C’est alors qu’il a entrepris des démarches pour quitter la Colombie.

[7] Munis de visas américains, les Demandeurs arrivent aux États-Unis le 8 août 2018; ils traversent la frontière canadienne ailleurs qu’à un port d’entrée le 10 août. C’est le 13 août 2018 qu’ils font une demande d’asile. Les dates du FDA et d’une mise à jour au dossier concordent mal avec ce qui y est relaté. Le FDA porte la date du 25 septembre. Une mise à jour du FDA porte ostensiblement la date du 23 août, mais réfère à un événement qui se serait produit en décembre 2018. Le Demandeur principal ajoute deux paragraphes. Dans l’un, il prétend que la mère de sa fille aurait été agressée par deux hommes qui voulaient connaître sa localisation. Dans le deuxième paragraphe, le Demandeur principal allègue qu’une dame, qu’il identifie, aurait été assassinée le 27 décembre 2018 parce que, dit-il, elle aurait refusé de donner aux auteurs de l’attentat « des informations sur ma localisation. » Les différentes dates n’ont pas prêté à confusion et je n’explore pas cette question.

II. Décision dont contrôle judiciaire est demandé

[8] Tant la SPR que la SAR ont exprimé des doutes sur ce qui a été relaté par le Demandeur principal (les autres Demandeurs ont adopté le narratif du Demandeur principal). C’est évidemment la décision de la SAR qui peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Quant à la SPR, elle a accepté les allégations que des menaces par téléphone ont été proférées. Mais elle ne croit pas les autres incidents invoqués. De plus, la SPR aura conclu à une possibilité de refuge intérieur (PRI) en Colombie pour les Demandeurs.

[9] La SAR, comme la SPR d’ailleurs, n’a pas vu dans l’attaque de motocyclistes contre le Demandeur principal de lien entre l’agression et les menaces subies. En fait, le lien n’est rien d’autre qu’une déduction tirée par le Demandeur principal. À l’audience devant la SPR, il a fait le lien entre l’incident et les menaces parce qu’il n’avait reçu aucun autre type de menaces. De plus, le Demandeur principal lui-même avait confirmé ce qui était relaté dans son FDA à l’effet que les assaillants ont dit que « ce n’est pas lui »; cela rend la tentative de déduction « hypothétique et difficilement acceptable » (décision de la SAR, para 39). La SAR conclut à l’absence de lien entre les menaces téléphoniques et l’incident relaté.

[10] À l’audience devant la SPR, le Demandeur principal a relaté pour la première fois un autre incident qui serait survenu le 4 août 2018. Marchant en sens inverse de la circulation, le Demandeur principal a vu venir dans sa direction une motocyclette; freinant brusquement, les occupants sont tombés. Non seulement, le Demandeur principal n’a jamais pu expliquer l’omission à son FDA, mais il a dit que « ça peut bien être quelque chose de vrai mais ça peut être aussi le produit de ma paranoïa en fonction de l’état mental dans lequel je me trouvais » (décision de la SAR, para 44). Pour la SAR, les réponses auront été évasives et incohérentes, ses explications non satisfaisantes. Cet incident a donc été écarté.

[11] Selon la SPR, le Demandeur principal avait cherché à embellir son narratif en incluant des incidents dont les acteurs étaient sa famille élargie. Ces incidents impliquent la belle-mère du frère du Demandeur principal assassinée le 27 décembre 2018, une certaine Maria, une ancienne conjointe du Demandeur principal, et une fille du Demandeur principal. La SAR a entériné les observations de la SPR à leur égard.

[12] Ainsi, au sujet de l’assassinat, il ne s’agit que de spéculations venant du frère du Demandeur principal dans sa quête d’explication pour cet attentat meurtrier. Il n’a pas été établi qu’il y avait quelque lien avec les menaces subies par le Demandeur principal : il ne faisait qu’évoquer une hypothèse.

[13] Pour ce qui est de son ex-épouse, Maria, il s’agirait d’incidents survenus le 17 octobre 2018, 14 novembre 2018 et 8 août 2020. Le 8 août 2020, un homme l’aurait accostée sur le chemin du travail pour s’enquérir où était le Demandeur principal. La SPR a considéré que le témoignage du Demandeur principal, qui ne faisait que rapporter l’incident dont il n’avait pas été témoin, « était loin d’être spontané, visiblement il cherchait des réponses aux questions du tribunal pendant plusieurs minutes » (décision de la SPR, para 20). Quant aux deux autres incidents, l’allégation était qu’il y avait d’abord eu un appel de menace, suivi, quelques jours plus tard par deux hommes qui auraient frappé Maria. Plainte portée, il n’y avait aucune mention de voies de fait, mais plutôt d’un deuxième appel de menace. La SPR n’a pas cru à une agression. La SAR se déclare d’accord.

[14] La SPR et la SAR ont aussi conclu à la possibilité d’un refuge intérieur en Colombie. La SAR s’est dite convaincue que les Demandeurs ne risquent pas sérieusement d’être persécutés à deux endroits au pays.

[15] Les Demandeurs ont prétendu que l’agent de préjudice a la capacité et la volonté de les retrouver partout en Colombie. Rien, conclut la SAR, ne démontre un intérêt quelconque, une motivation ou la capacité de retracer les Demandeurs. La preuve était déficiente en ce qu’elle ne démontre pas une possibilité sérieuse de persécution. À partir du moment où les incidents invoqués ne sont pas crus, il ne reste que les appels de menaces à considérer.

[16] De plus la situation où la PRI se trouve ne doit pas être déraisonnable pour qu’ils y trouvent refuge. Le deuxième volet du test n’est pas plus fructueux. Le fardeau est sur les épaules de qui recherche l’asile de démontrer qu’il serait déraisonnable pour lui d’être appelé à trouver refuge dans les endroits désignés qui pourraient constituer un refuge intérieur. De l’avis de la SAR, cette démonstration n’est jamais venue. La SAR a plutôt noté que la SPR avait été systématique dans les questions posées au sujet de la PRI. De fait la conclusion de la SPR au sujet de ce deuxième volet n’a pas été contestée.

III. La norme de contrôle

[17] La norme de contrôle applicable dans un cas donné est importante parce que le fardeau de la preuve pour qui recherche le contrôle judiciaire est différent selon que la norme soit celle de la décision raisonnable ou de la décision correcte.

[18] Les Demandeurs ont à peine effleuré la question, mais ils n’ont pas réclamé non plus une norme de décision correcte. Ils ont eu raison. Depuis Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, il ne fait plus de doute que la norme de la décision raisonnable est privilégiée; elle est même la norme présomptive (para 25). La présomption s’applique tant aux questions de fait qu’à l’interprétation de la loi habilitante par le décideur administratif.

[19] Le choix de la norme de contrôle a ses conséquences. Le fardeau est sur les Demandeurs de démontrer le caractère déraisonnable de la décision (para 100), alors même que la cour de révision doit faire preuve de retenue judiciaire (para 13) et adopte une attitude de respect à l’égard du décideur administratif (para 14). La décision raisonnable possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, la justification étant au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes (para 99). Ainsi, la décision doit souffrir de lacunes graves, démontrées par qui porte le fardeau, pour que le recours puisse réussir. Deux types de lacunes graves seront celles où il y a manque de logique interne du raisonnement, où le raisonnement est intrinsèquement incohérent, et là où les justifications sont indéfendables sous certains rapports.

[20] Le contrôle judiciaire fondé sur la décision déraisonnable n’en est pas un où la cour de révision cherche à apprécier à nouveau la preuve, à substituer son appréciation du mérite à celle du tribunal administratif. Comme noté par la Cour suprême dans Vavilov, « (i)l est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait » (para 125). Il faudra que le décideur administratif se soit « fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (para 126).

[21] La Cour d’appel fédérale a mis en garde contre un examen prévu selon la norme de la décision raisonnable qui deviendrait une décision selon la norme de la décision correcte. Dans Canada (Citizenship and Immigration) v Mason, 2021 FCA 156, on lit :

[36] In order to interfere, a reviewing court needs to find a “fundamental gap” in express or implied reasoning, a “fail[ure] to reveal a rational chain of analysis”, a “flawed basis”, a finding that the “decision is based on an unreasonable chain of analysis” or “an irrational chain of analysis”, unintelligibility in the sense that “the reasons read in conjunction with the record do not make it possible to understand the decision maker’s reasoning on a critical point” or “clear logical fallacies, such as circular reasoning, false dilemmas, unfounded generalizations or an absurd premise”: Vavilov at paras. 96 and 103-104. These problems must be on a key point, “sufficiently central” or “significant” such that they point to “sufficiently serious shortcomings in the decision”: Vavilov at para. 100. They must be “more than merely superficial or peripheral to the merits of the decision”: Vavilov at para. 100.

[37] In Vavilov, the Supreme Court tells us that we should not be too hasty to find these sorts of flaws. Vavilov’s requirement of a reasoned explanation cannot be applied in a way that transforms reasonableness review into correctness review. If reviewing courts are too fussy and adopt the attitude of a literary critic all too willing to find shortcomings, they will be conducting correctness review, not reasonableness review. That would return us to the bad old days in the 1960’s and 1970’s when reviewing courts would come up with any old excuse to strike down decisions they disliked—and often did: see Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) v. Canada, 2018 FCA 58, 422 D.L.R. (4th) 112 at paras. 61-65.

[traduction] [36] Pour intervenir, la cour de révision doit trouver une « lacune fondamentale » dans le raisonnement explicite ou implicite, démontrer que « les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle » ou qu’ils reposent sur un « fondement erroné », ou conclure que la décision « révèl[e] une analyse déraisonnable » ou « est fondée sur une analyse irrationnelle », ce qui la rend inintelligible au sens qu’« il est impossible de comprendre, lorsqu’on lit les motifs en corrélation avec le dossier, le raisonnement du décideur sur un point central » ou que les motifs « sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel – comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde » : Vavilov, par. 96, 103 et 104. Ces problèmes doivent porter sur un point central, « suffisamment capita[l] » ou « importan[t] » pour montrer que la décision « souffre de lacunes graves » : Vavilov, par. 100. Les lacunes ne doivent pas être « simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » : Vavilov, par. 100.

[37] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême enseigne que nous ne devons pas montrer trop d’empressement à trouver ce type de lacunes. L’exigence formulée dans cet arrêt quant à l’exposition de motifs raisonnés ne peut être appliquée d’une manière qui transforme l’examen selon la norme de la décision raisonnable en un examen fondé sur la norme de la décision correcte. Si les cours de révision sont trop pointilleuses et qu’elles adoptent l’attitude d’un critique littéraire trop désireux de trouver des lacunes, elles feront alors un examen fondé sur la norme de la décision correcte, et non sur la norme de la décision raisonnable. Cela nous renverrait à l’époque heureusement révolue des années 1960 et 1970, lorsque les cours de révision trouvaient n’importe quelle excuse pour annuler les décisions qui leur déplaisaient – ce qu’elles ont fait à maintes reprises : voir Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c. Canada, 2018 CAF 58, [2018] A.C.F. no 334 (QL), par. 61 à 65. Il s’agit là du contexte juridique auquel les Demandeurs font face.

IV. Arguments et analyse

[22] La SAR a examiné cette affaire en vertu de l’alinéa 97(1)b). Je le reproduis :

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

[…]

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Il semble que les Demandeurs auraient préféré que l’analyse commence avec l’article 96, ce qui a été appelé « une analyse prima facie ».

[23] Les Demandeurs n’ont pratiquement pas traité de l’argument à l’audition de la demande de contrôle judiciaire, au point de considérer que l’argument a été abandonné. Il suffira donc de remarquer que la SAR a conclu que les appels de menace visaient des criminels qui en avaient contre la restitution des terres. Pour que l’article 96 puisse trouver application, il faut persécution en raison de la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social ou en raison d’opinions politiques. Ce n’était pas le cas. Les Demandeurs n’ont aucunement démontré en quoi la SAR a eu tort. Ils n’ont pas davantage démontré en quoi le fait d’examiner la demande en vertu de l’alinéa 97(1)b) aurait constitué un désavantage quelconque. Qu’on se rappelle que les questions déterminantes étaient la crédibilité de la majeure partie des incidents présentés pour soutenir la persécution alléguée et la possibilité de refuge intérieur en Colombie.

[24] Pour ce qui est de la crédibilité des incidents rapportés par le Demandeur principal, outre les appels de menace reçus, les autres incidents n’ont pas franchi la barre de la prépondérance des probabilités. Le Demandeur principal avance que s’il était cru au sujet des menaces, il devrait bien être cru sur les autres incidents rapportés. On ne sait pourquoi.

[25] Qu’il me soit permis de rappeler que c’est le rôle essentiel du décideur administratif que d’apprécier et d’évaluer la preuve. Il est exceptionnel qu’une cour de révision modifie de telles conclusions (Vavilov, para 125). Il eut fallu que les Demandeurs démontrent que la SAR s’est fondamentalement méprise. Cela n’a pas été fait. Il fallait ici qu’il y ait un lien entre le travail du Demandeur principal et les coups de feu qu’il dit avoir essuyés. Or, il a lui-même témoigné que ses agresseurs ont déclaré sur les lieux de l’attentat s’être trompés sur la personne. Nous sommes loin d’une méprise fondamentale.

[26] Un deuxième incident relaté lors de l’audience devant la SPR serait survenu le 4 août 2018; il n’avait pourtant pas été présenté dans le FDA. Quoi qu’il en soit, il s’agissait à nouveau d’une motocyclette montée par deux personnes qui, avant même d’arriver à la hauteur du Demandeur principal qui déambulait à pied, a freiné brusquement, faisant en sorte que les motocyclistes ont chuté. Le Demandeur principal dit avoir cru qu’on le pourchassait. Or, à l’audience devant la SPR, le Demandeur principal a témoigné que l’incident avait été relaté uniquement à l’audience « parce que ça peut bien être quelque chose de vrai mais ça peut être aussi le produit de ma paranoïa en fonction de l’état mental dans lequel je me trouvais. » Que cet incident ait été mis de côté par la SAR n’est aucunement démontré par les Demandeurs comme étant déraisonnable.

[27] L’argument des Demandeurs selon lequel les incidents impliquant des tierces personnes devaient être crus puisque les décideurs administratifs ont accepté que des menaces avaient été proférées est aussi bizarre pour les tiers qu’il l’était quant aux deux incidents relatifs au Demandeur principal. L’assassinat de la belle-mère du frère du Demandeur principal n’a été démontré en aucune manière comme étant lié à celui-ci ou au travail relatif à la régularisation de titres de propriété. Ce n’est pas mieux qu’une simple hypothèse de la part du frère du Demandeur principal. Le Demandeur principal spécule, au mieux, que le meurtre aurait été perpétré parce que la victime ne voulait pas fournir de l’information sur le lieu où se trouvait le Demandeur principal. Parce que la victime était une femme sans problème, on spécule que l’assassinat devait être en lien avec le Demandeur principal. Ici encore on est loin d’une décision déraisonnable lorsque les décideurs administratifs ont écarté l’incident.

[28] Quant à l’ancienne épouse du Demandeur principal et sa fille, l’allégation du Demandeur principal est qu’elles auraient reçu des appels téléphoniques au cours desquels les interlocuteurs recherchaient des informations sur la localisation du Demandeur principal. Le témoignage du Demandeur principal aura été vu comme étant loin de la spontanéité, hésitant, cherchant des réponses durant de longues minutes. Les détails quant à un lien quelconque avec le travail du Demandeur principal n’étaient pas présents.

[29] En fin de compte, la SAR est en parfait accord avec la SPR : il y aurait eu des appels de menace, mais les autres éléments de preuve présentés ne sont pas crus. À mon avis, les Demandeurs ont failli à leur fardeau de démontrer que la SAR en était arrivée à des conclusions déraisonnables. Les motifs de la SAR justifient sa décision qui est transparente et intelligible.

[30] Les Demandeurs ont argumenté que la SAR a tout simplement eu tort de conclure qu’il y avait en l’espèce une PRI. Si je comprends l’argument, les Demandeurs prétendent :

  • Le Demandeur principal a été ciblé et la SAR a accepté cet état de fait;

  • Le témoignage du Demandeur principal était crédible et digne de foi;

  • Les appels de menace ont été reçus dans plusieurs villes;

  • Le fait que les appels ont cessé lorsque la « carte de téléphone » a été remplacée, pour reprendre lorsque le Demandeur principal a remis l’ancienne, démontre qu’il est ciblé.

[31] La Cour note d’abord que les Demandeurs ne se réclament pas du deuxième volet du cadre d’analyse de la PRI. En effet, les Demandeurs auraient pu tenter de démontrer que les deux possibilités de refuge internes étaient déraisonnables au sens des arrêts de la Cour d’appel fédérale dans Thirunavukkarasu c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1994] 1 CF 589 et Ranganathan c Canda (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CA), [2001] 2 CF 164. Ils ne l’ont pas fait.

[32] Quant au premier volet, il fallait que la SAR soit convaincue que les Demandeurs ne risquent pas sérieusement d’être persécutés là où pourrait exister une possibilité de refuge intérieur en Colombie. Le fardeau repose encore sur les épaules des Demandeurs. Les arguments présentés par les Demandeurs n’ont pas satisfait le fardeau qui leur incombait. Le fait que le Demandeur principal ait été crédible sur des menaces téléphoniques qu’il a reçues ne rend pas l’agent de préjudice capable ou même motivé de rejoindre les Demandeurs partout au pays. Il n’y avait aucune telle preuve. Ce n’est certainement pas le fait que des appels aient été reçus sur un téléphone cellulaire dans différentes régions qui améliorerait la position des Demandeurs. Cela n’établit en aucune manière que les agents de persécution les suivaient au pays. Qui plus est, dès que le Demandeur principal ait eu changé son numéro, il a été laissé tranquille.

[33] Quoique pouvant être troublants, il n’en reste pas moins que seuls des appels téléphoniques harassants ont été retenus, appels qui ont cessé avec un changement de numéro de téléphone sur le cellulaire utilisé par le Demandeur principal. Cela ne démontre ni une motivation, ni une capacité de rejoindre les Demandeurs aux lieux désignés comme étant de possibilités de refuge intérieur. La SAR a conclu que la preuve présentée, et retenue, ne démontrait pas une possibilité sérieuse de persécution pour les Demandeurs s’ils se relocalisent dans l’un des endroits proposés comme possibilité de refuge intérieur en Colombie. Il n’y a rien à redire de la décision de la SAR.

V. Conclusion

[34] Les griefs faits à la décision de la SAR ne sont pas fondés et la décision est raisonnable. L’absence de crédibilité au sujet d’incidents qui auraient pu donner lieu à un remède aux termes de l’alinéa 97(1)b) de la Loi et l’existence de la possibilité d’un refuge intérieur pour les Demandeurs font en sorte que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[35] Les parties n’ont pas offert de question à certifier et aucune n’est certifiée.

 

 


JUGEMENT au dossier IMM-1835-21

LA COUR STATUE:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-1835-21

INTITULÉ :

PEREZ ET AL c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 2 février 2022

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 11 mars 2022

COMPARUTIONS :

Jorge Colasurdo

Pour les demandeurs

 

Suzanne Trudel

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Montréal (Québec)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.