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Date : 20220323

Dossier : IMM-5586-20

Référence : 2022 CF 402

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2022

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

MARIANA JOSEFINA MALAVE TURMERO

FRANCISCO MARTIN GONZALEZ CORREA

ARIANA ELEJANDRA GONZALEZ MALAVE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs contestent la décision, datée du 14 octobre 2020, par laquelle un agent principal [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire [la demande] qu’ils avaient présentée depuis le Canada au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Les demandeurs soutiennent que la décision de l’agent est déraisonnable parce que : a) l’agent a évalué de façon inappropriée leur degré d’établissement sous l’angle des difficultés en soulignant leur degré d’établissement au Canada avant de l’écarter au motif qu’ils avaient les capacités et l’expérience nécessaires pour parvenir à un degré d’établissement comparable au Venezuela ou en Espagne; b) l’agent a intégré à tort les exigences relatives à une demande présentée au titre de l’article 97 à l’analyse d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et n’a pas correctement évalué la preuve concernant la situation défavorable au Venezuela, en particulier en lien avec leurs besoins médicaux particuliers; c) l’agent a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des nièces de la demanderesse principale.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

I. Le contexte

[4] Les demandeurs sont citoyens du Venezuela. Mariana Josefina Malave Turmero [la demanderesse principale] et Francisco Martin Gonzalez Correa forment un couple marié, et Ariana Elejandra Gonzalez Malave, qui a 28 ans, est leur fille. La demanderesse principale et sa fille sont également citoyennes de l’Espagne.

[5] La demanderesse principale et sa fille sont arrivées au Canada en juin 2017 et ont présenté leur demande le 18 juin 2018. Le demandeur est arrivé au Canada en novembre 2019 et a été inclus dans la demande en juillet 2020.

[6] Depuis leur arrivée au Canada, la demanderesse principale et sa fille vivent avec la sœur, le beau-frère et les trois nièces de la demanderesse principale [les nièces]. Au moment où la demande a été présentée, les nièces avaient environ neuf, six et quatre ans.

[7] À l’appui de leur demande, les demandeurs ont invoqué : a) leur degré d’établissement au Canada; b) les difficultés qu’ils rencontreraient s’ils étaient forcés de retourner au Venezuela, étant donné la mauvaise situation qui y prévaut et, en particulier, l’effondrement du système de santé, qui aurait des répercussions sur la fille du couple (qui souffre de déficience intellectuelle et de troubles d’apprentissage) et sur la demanderesse principale (qui a survécu à un cancer, mais doit fréquemment subir des examens de dépistages du cancer); c) l’intérêt supérieur des nièces.

II. La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[8] L’agent a dépeint le caractère exceptionnel de l’octroi d’une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR. Prenant en considération la petite entreprise des demandeurs, le soutien dont ils bénéficient au Canada et leur participation à la vie communautaire, il a attribué un certain poids favorable à leur degré d’établissement au Canada, mais il a souligné qu’il ne le jugeait pas exceptionnel. Les demandeurs bénéficient du soutien d’amis et de membres de leur famille au Canada, mais l’agent n’était pas convaincu qu’ils ne pourraient pas poursuivre ces relations à distance s’ils devaient retourner au Venezuela ou en Espagne. En outre, l’agent a conclu que la preuve ne suffisait pas à démontrer que ces relations avec leurs amis et les membres de leur famille étaient caractérisées par un degré d’interdépendance et de confiance tel que la perspective d’une séparation justifiait l’octroi d’une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[9] En ce qui concerne l’intérêt supérieur des nièces, l’agent a conclu que la preuve ne suffisait pas à démontrer que les relations avec elles se caractérisaient par un degré d’interdépendance et de confiance tel qu’il était justifié d’attribuer davantage qu’un poids modéré à ce facteur.

[10] En ce qui concerne la situation défavorable au Venezuela, l’agent n’était pas convaincu que les demandeurs avaient démontré en quoi les documents décrivant la situation générale au Venezuela se rapportaient à leur situation personnelle et, par conséquent, il n’a accordé qu’un certain poids favorable à ce facteur.

[11] L’agent a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré que la demanderesse principale n’aurait pas accès aux soins médicaux et aux examens de dépistage du cancer au Venezuela ni que ces soins seraient inadéquats, et il a également conclu que les demandeurs n’avaient présenté aucune preuve objective établissant que le coût d’un régime de soins de santé au Venezuela est prohibitif. Bien que l’accès aux traitements puisse être limité, il était convaincu que la demanderesse principale pourrait obtenir les traitements dont elle a besoin. Il a également souligné que, dans le passé, la demanderesse principale avait reçu un nombre considérable de traitements au Venezuela. Il a finalement conclu qu’il ne pouvait attribuer davantage qu’un certain poids à ce facteur.

[12] En ce qui concerne la fille de la demanderesse principale, l’agent a conclu que les renseignements fournis par les demandeurs n’indiquaient pas que, advenant leur retour au Venezuela, celle-ci serait privée du soutien supplémentaire dont elle a besoin. De plus, il a souligné qu’elle avait vécu avec sa déficience au Venezuela pendant plus de 22 ans avant de venir au Canada. Il n’était pas convaincu qu’elle subirait des répercussions importantes, qu’elle serait incapable de s’adapter ou de se réintégrer, ou encore que son intérêt supérieur serait compromis si elle devait y retourner.

[13] L’agent a conclu que la preuve objective ne suffisait pas à établir que la demanderesse principale et son mari seraient incapables de trouver un emploi au Venezuela. Il a souligné que la demanderesse principale avait lancé une entreprise au Canada et que la preuve était insuffisante pour établir qu’elle ne pourrait pas faire de même au Venezuela. En outre, l’agent a conclu que la preuve ne suffisait pas à démontrer que la demanderesse principale ne pourrait pas y mettre à profit ses compétences et ses connaissances acquises au Canada. L’agent a souligné que le mari de la demanderesse principale avait subvenu aux besoins de la famille depuis le Venezuela (avant son arrivée au Canada) et qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’il ne pourrait pas continuer à le faire s’ils devaient y retourner.

[14] Tout en reconnaissant qu’il pourrait être difficile de retourner au Venezuela, l’agent a souligné que la sœur de la demanderesse principale se trouvait toujours au pays et que les demandeurs y avaient passé la majeure partie de leur vie. Par ailleurs, les demandeurs ont fait preuve d’ingéniosité et d’initiative en s’établissant au Canada, et l’agent était convaincu qu’ils pourraient faire de même au Venezuela ou en Espagne. Il a conclu que leurs liens familiaux en Espagne étaient importants et a accordé un poids favorable à ce facteur.

[15] En conclusion, l’agent a affirmé qu’il avait procédé à une évaluation globale des facteurs d’ordre humanitaire et qu’après avoir examiné la preuve ainsi que les observations et pris en compte les circonstances de la présente affaire, il n’était pas convaincu que la preuve des demandeurs suffisait à établir que des considérations d’ordre humanitaire justifiaient l’octroi d’une dispense.

III. Analyse

[16] Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de dispenser un étranger des exigences habituelles de cette loi et de lui accorder le statut de résident permanent au Canada, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire justifient une telle dispense. L’examen des considérations d’ordre humanitaire au regard du paragraphe 25(1) de la LIPR est global, c’est-à-dire que toutes les considérations pertinentes doivent être soupesées cumulativement pour déterminer si la dispense est justifiée dans les circonstances. Une dispense est considérée comme étant justifiée si la situation est de nature à inciter toute personne raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne [voir Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 aux para 13, 28; Caleb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1018 au para 10].

[17] L’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire est de nature exceptionnelle et hautement discrétionnaire, qui « mérite donc une déférence considérable de la part de la Cour » [voir Qureshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 335 au para 30]. Aucun « algorithme rigide » ne détermine l’issue [voir Sivalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1185 au para 7].

[18] La seule question en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[19] La norme de contrôle applicable à une décision relative à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable [voir Kanthasamy, précité, au para 44]. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 15].

[20] Les demandeurs soulèvent plusieurs questions concernant la décision de l’agent, mais la question déterminante dans le cadre du présent contrôle judiciaire est celle de savoir si l’agent a raisonnablement analysé la situation défavorable au Venezuela et l’intérêt supérieur des nièces.

A. La situation défavorable au Venezuela

[21] Les demandeurs ont largement fondé leur demande sur la situation défavorable au Venezuela, où les enlèvements et les crimes violents étaient nombreux et le système de santé était [traduction] « sur le point de s’effondrer ». La préoccupation que suscitait le système de santé au Venezuela était particulièrement grande pour les demandeurs, étant donné les besoins médicaux de la demanderesse principale et de sa fille, besoins qui étaient bien étayés par la documentation et que l’agent n’a pas remis en question.

[22] L’agent a souligné qu’à l’appui de leur demande, les demandeurs avaient fourni des rapports sur la situation au pays produits par Amnistie internationale au Venezuela et le département d’État des États-Unis ainsi que des articles décrivant la criminalité, la violence, la pauvreté et les pratiques en matière de droits de la personne au Venezuela. Les demandeurs ont également fourni des articles sur les enfants et la déficience intellectuelle au Venezuela ainsi qu’un article sur le système de santé vénézuélien, dans lequel on pouvait lire que l’ensemble du système de santé était (en 2018) sur le point de s’effondrer, en raison notamment d’un taux de pénurie de médicaments de 85 % et d’un taux de pénurie d’autres fournitures médicales et médicaments utilisés pour traiter des maladies plus graves, comme le cancer, de 90 %.

[23] Après avoir examiné la preuve présentée par les demandeurs, l’agent a notamment conclu ce qui suit :

[traduction]
Les demandeurs n’ont pas indiqué en quoi ces documents se rapportaient à leur situation personnelle au Venezuela. La preuve documentaire décrit plutôt la situation générale au Venezuela, soit celle dans laquelle se trouvent la plupart des gens qui y vivent. Bien que je reconnaisse que la situation au Venezuela pourrait ne pas être favorable, la preuve ne suffit pas à me convaincre que les droits fondamentaux des demandeurs seraient bafoués. Je prends acte des observations sur la situation à laquelle les demandeurs pourraient être confrontés au Venezuela. Bien que, compte tenu du contexte économique, médical et financier différent au Venezuela, la situation dans ce pays ne soit pas comparable à celle du Canada, je ne considère pas qu’il s’agisse d’une situation exceptionnelle qui justifie l’octroi d’une dispense. Le niveau de vie diffère d’un pays à l’autre. Dans de nombreux pays, la population n’a pas la chance de bénéficier des mêmes mesures de soutien social que celles que l’on retrouve au Canada, notamment sur les plans financier et médical. Toutefois, l’intention qu’avait le législateur lorsqu’il a adopté l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) n’était pas de compenser un niveau de vie inférieur à l’étranger par un niveau supérieur au Canada. L’objet de l’article 25 est plutôt de donner au ministre la souplesse nécessaire pour régler des situations extraordinaires non prévues par la LIPR lorsque des considérations d’ordre humanitaire forcent le ministre à agir. À la lumière de la preuve dont je dispose, je ne suis pas convaincu que les demandeurs ont établi que les difficultés liées à la situation générale dans le pays justifient d’attribuer plus qu’un certain poids favorable à ce facteur.

[24] Je juge que la conclusion de l’agent selon laquelle la situation au Venezuela [traduction] « n’est pas nécessairement favorable » et le parallèle qu’il a établi entre une crise grave du système de santé et l’écart de niveau de vie sont inintelligibles à la lumière de la preuve dont il disposait (qui indiquait notamment que les demandeurs avaient précisément besoin de traitements et de soins médicaux), ce qui soulève la question de savoir si l’agent a adéquatement examiné la preuve présentée à l’appui de la demande.

[25] En outre, depuis le mois de janvier 2019, le Venezuela fait l’objet d’un sursis administratif aux renvois. Ainsi, les renvois de personnes du Canada vers le Venezuela sont temporairement suspendus, sauf dans certaines circonstances prévues, en raison de la crise humanitaire. Bien que l’existence d’un sursis administratif aux renvois n’empêche pas le rejet d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, la Cour a maintes fois affirmé qu’il s’agit d’une considération pertinente dans l’évaluation de la situation au pays et des difficultés [voir Camacho Valera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1087 au para 26; Milad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1409 aux para 34, 36-37; Rubayi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 74 aux para 22-24]. Le sursis administratif aux renvois n’est jamais mentionné dans la décision de l’agent.

[26] Les demandeurs affirment que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte du sursis administratif aux renvois, car il s’agissait d’une mesure gouvernementale, et que l’agent était tenu d’appliquer les lois et les mesures adoptées par le gouvernement canadien lorsqu’il a rendu sa décision, et ce, peu importe que les documents qu’ils avaient présentés en aient fait mention ou non. Le défendeur soutient qu’il incombait non pas à l’agent de vérifier l’existence du sursis administratif aux renvois et de l’appliquer, mais aux demandeurs de le porter à l’attention de l’agent s’ils avaient l’intention de l’invoquer à l’appui de leur demande.

[27] Il est crucial de rappeler qu’en l’espèce, les demandeurs ont présenté leur demande le 18 juin 2018 et que le sursis administratif aux renvois n’a été adopté qu’en janvier 2019. Ils ne pouvaient donc pas mentionner le sursis administratif aux renvois dans les documents qui accompagnaient leur demande. Dans les circonstances uniques de la présente affaire, je suis convaincue que l’agent aurait dû tenir compte du sursis administratif aux renvois dans sa décision, en dépit du fait que la demande présentée par les demandeurs n’en faisait pas mention.

[28] Compte tenu du fait que l’agent a tiré les conclusions inintelligibles mentionnées précédemment et qu’il n’a pas tenu compte du moratoire sur les renvois vers le Venezuela dans son analyse de la demande, je conclus que la décision est déraisonnable.

[29] Dans ces circonstances, je n’ai pas besoin d’examiner les autres erreurs que les demandeurs ont soulevées concernant cet aspect de la décision de l’agent.

B. L’intérêt supérieur des nièces

[30] Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, la Cour suprême du Canada confirme que, concernant les demandes présentées au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR, le décideur « devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt » [voir Kanthasamy, précité, au para 38]. Bien que la Cour souligne que cela ne veut pas dire que ce facteur l’emportera toujours sur les autres considérations ou que la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire aura nécessairement une issue favorable, une décision rendue en application du paragraphe 25(1) sera déraisonnable si l’intérêt supérieur « bien identifié et défini » des enfants touchés n’est pas examiné « avec beaucoup d’attention » [voir Kanthasamy, précité, au para 39]. Une fois que pareil examen a été fait, il appartient à l’agent de décider du poids qu’il convient d’attribuer à cet intérêt dans les circonstances de l’affaire [voir Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 au para 12].

[31] Je conviens avec le défendeur que les demandeurs ont présenté peu d’éléments de preuves et d’arguments concernant l’intérêt supérieur de leurs nièces. Cependant, les agents ont l’obligation d’analyser l’intérêt supérieur des enfants lorsqu’ils tranchent une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et qu’ils disposent, comme en l’espèce, de quelque élément de preuve mettant en jeu les intérêts d’un enfant. Ils sont tenus de définir clairement ce qui est dans l’intérêt supérieur de l’enfant, puis de le comparer aux autres éléments favorables et défavorables de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire [voir Sebbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 813 aux para 13, 16].

[32] La preuve dont disposait l’agent, qui comprenait des lettres de la sœur de la demanderesse principale et de deux de ses nièces, étayait les affirmations des demandeurs selon lesquelles la demanderesse principale et sa fille résidaient avec les nièces et les parents de ces dernières. La demanderesse principale a noué une relation très étroite avec ses nièces et jouait un rôle unique dans leur vie en leur témoignant amour et affection, et en étant la confidente à qui elles pouvaient sans crainte parler de leurs problèmes. La famille voyait la demanderesse principale comme une personne de plus qui prenait soin d’elles. Les nièces ont également noué une relation solide et spéciale avec leur cousine (la fille de la demanderesse principale) où se mêlaient jeu, affection et soutien. La fille de la demanderesse principale est considérée comme la sœur des nièces.

[33] En ce qui concerne l’intérêt supérieur des trois nièces, les motifs de l’agent se limitent à ce qui suit :

[traduction]
J’ai pris en considération l’intérêt supérieur des nièces de la demanderesse principale [la DP], Fernanda (11), Ivana (8) et Amanda Lobo (6). Selon une lettre de sa sœur, la DP prend occasionnellement soin des jeunes enfants. Je reconnais que la DP prend soin de ses nièces au Canada, mais la preuve ne suffit pas à établir qu’il est impossible de prendre d’autres dispositions, comme faire appel à d’autres membres de la famille ou des gardiennes. Je reconnais que la fille de la DP a noué des relations avec sa tante, son oncle et ses cousines au Canada. Je comprends que les demandeurs seraient confrontés à des difficultés s’ils étaient séparés des membres de leur famille au Canada, en particulier si la fille de la DP était séparée de ses cousines. Toutefois, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que, advenant un retour des demandeurs au Venezuela, les liens avec leurs proches seraient rompus. Les relations ne dépendent pas de l’emplacement géographique, et, bien qu’il puisse être difficile d’être séparés de membres de la famille au Canada, la preuve dont je dispose ne suffit pas à démontrer que ces relations ne pourraient pas être maintenues par d’autres moyens de communication, comme le téléphone, les réseaux sociaux, le courrier, etc. En outre, je conclus que la preuve ne suffit pas à établir que ces relations sont caractérisées par un degré d’interdépendance et de confiance tel qu’il serait justifié d’attribuer davantage qu’un poids modéré à ce facteur.

[34] Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que l’agent n’a pas défini ce qui était dans l’intérêt supérieur de chacune des nièces. En outre, son analyse semble traiter davantage des répercussions d’une séparation sur les demandeurs que de celles que subiraient les nièces. Je conclus qu’une telle démarche concernant l’intérêt supérieur des nièces ne satisfait pas aux exigences énoncées dans l’arrêt Kanthasamy et, par conséquent, qu’elle rend cette partie de la décision de l’agent déraisonnable.

IV. Conclusion

[35] Comme il a été conclu que les erreurs mentionnées plus haut rendaient la décision de l’agent déraisonnable, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[36] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de la certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5586-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue;

  2. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5586-20

INTITULÉ :

MARIANA JOSEFINA MALAVE TURMERO, FRANCISCO MARTIN GONZALEZ CORREA, ARIANA ELEJANDRA GONZALEZ MALAVE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 MARS 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 23 MARS 2022

COMPARUTIONS :

Charlotte Cass

POUR LES DEMANDEURS

Rachel Hepburn Craig

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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