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Date : 20220317


Dossier : IMM-2397-20

Référence : 2022 CF 351

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2022

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

YASSINE ATMANI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] M. Yassine Atmani demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 3 mars 2020 par la déléguée du Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [la Déléguée du Ministre] de prendre une mesure d’exclusion à l’égard de M. Atmani, sous l’égide de l’article 228 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement].

[2] Dans sa décision, la Déléguée du Ministre s’est déclarée satisfaite, selon la prépondérance des probabilités, que M. Atmani est un étranger interdit de territoire en vertu de l’article 41 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi] pour un manquement aux exigences prévues à l’alinéa 20(1)(b) de la Loi et l’article 8 du Règlement.

[3] Pour les raisons exposées ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte

[4] M. Atmani est un citoyen du Maroc. Le 25 juillet 2018, il obtient un visa de résident temporaire entrées multiples (études) des autorités canadiennes. Le 11 août 2018, il obtient un permis d’études à son arrivée au Canada. Il change de programme d’études peu après son arrivée et il obtient un nouveau permis d’études reflétant ce changement. Ce nouveau programme d’études requiert de l’étudiant qu’il complète un stage coop en entreprise.

[5] Du 6 janvier 2020 au 16 février 2020, M. Atmani complète son stage coop et le 18 février 2020, M. Atmani obtient une attestation de réussite de son programme d’études professionnelles. Cependant, M. Atmani complète son stage coop sans avoir au préalable demandé et obtenu le permis de travail requis, alors qu’il savait que ce permis de travail était obligatoire

[6] Le 3 mars 2020, alors que son passeport, son visa de résident temporaire entrées multiples et son permis d’études sont toujours valides, M. Atmani sort du Canada, se présente aux autorités américaines et revient ensuite immédiatement au point d’entrée du Canada (« tour du poteau ») pour y présenter une demande de permis de travail connue sous le nom de « post-diplôme ». M. Atmani est alors accompagné de M. ET Talbi qui demande lui aussi un permis de travail post-diplôme. Les demandes de contrôle judiciaire de M. Atmani (IMM-2397-20) et de M. ET Talbi (IMM-2395-20) n’ont pas été consolidées, mais elles ont été entendues ensemble et une décision distincte est rendue dans chacun des dossiers.

[7] Au moment de l’examen de sa demande de permis de travail par un officier de l’Agence des Services Frontaliers du Canada au point d’entrée de Lacolle [l’Officier], M. Atmani confirme à l’Officier avoir complété son stage au Canada sans toutefois détenir le permis de travail requis.

[8] Le 3 mars 2020, l’Officier invoque l’alinéa 200(3)(e) du Règlement et refuse d’émettre un permis de travail à M. Atmani puisque ce dernier a travaillé au Canada sans autorisation ou permis. L’Officier note particulièrement que le dernier jour de travail de M. Atmani était le 16 février 2020 et que, tel que le prévoit l’alinéa 200(3)(e) du Règlement, un permis de travail ne peut être délivré à M. Atmani avant le 16 août 2020.

[9] Toujours le 3 mars 2020, après avoir refusé d’émettre le permis de travail, l’Officier dresse un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi et désigne M. Atmani comme une personne étrangère non autorisée à entrer au Canada et interdite de territoire en vertu de l’article 41 de la Loi pour un manquement aux exigences prévues à l’alinéa 20(1)(b) de la Loi et à l’article 8 du Règlement. L’Officier consigne alors notamment que M. Atmani s’est vu refuser un permis de travail post-diplôme et qu’il cherche à entrer au Canada comme travailleur sans avoir obtenu préalablement un permis de travail.

[10] Toujours le 3 mars 2020, la Déléguée du Ministre revoit le rapport préparé par l’Officier. Elle note entre autres que M. Atmani (1) s’est vu refuser l’émission du permis de travail qu’il demandait; (2) a l’intention de travailler au Canada; (3) a l’intention de s’établir au Canada; (4) n’a pas les ressources financières pour subvenir à ses besoins au Canada sans travailler; (5) n’assume pas la responsabilité pour ses actions; et (6) admet avoir connu les exigences statutaires en lien avec l’obligation de détenir un permis de travail.

[11] La Déléguée du Ministre conclut que, selon la prépondérance des probabilités, le risque que M. Atmani travaille de nouveau illégalement au Canada est plus grand que la preuve qu’il respectera les lois canadiennes. La Déléguée du Ministre émet une mesure d’exclusion, sans déférer l’affaire à la Section de l’Immigration, invoquant le sous-alinéa 228(1)(c)(iii) du Règlement et considérant l’interdiction de territoire prononcée au titre de l’article 41 de la Loi pour manquement à l’alinéa 20(1)(b) de la Loi et à l’article 8 du Règlement.

III. Position des parties

[12] M. Atmani ne conteste pas la décision de l’Officier refusant d’émettre son permis de travail, refus basé sur l’alinéa 200(3)(e) du Règlement. Il ne conteste que la décision de la Déléguée du Ministre de prendre une mesure d’exclusion à son égard.

[13] M. Atmani plaide que la décision de la Déléguée du Ministre est déraisonnable puisque (1) cette dernière a fondé son raisonnement uniquement sur la conduite passée de M. Atmani et non sur ses plans futurs, ce qui est contraire aux enseignements de la jurisprudence (Cox c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1414; (2) le fait que M. Atmani soit sorti du territoire efface son infraction à la Loi et au Règlement (Guide de Citoyenneté et Immigration Canada; Paranych c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 FC 158; et (2) elle n’avait pas le pouvoir voulu pour prendre une mesure d’exclusion (Yang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 158).

[14] Le Ministre répond que la décision est raisonnable puisque (1) le sous-alinéa 200(3)(e)(i) du Règlement stipule qu’un permis de travail ne peut être délivré à l’étranger qui a exercé un emploi au Canada sans autorisation pour une période de six mois; (2) la demande de permis de travail de M. Atmani a été refusée et ce refus n’est pas contesté; (3) les éléments que la Déléguée du Ministre a considérés tiennent compte de la conduite passée de M. Atmani, mais aussi du présent et de l’avenir, soit ultimement le risque que ce dernier travaille illégalement au Canada dans l’avenir; (4) la situation factuelle de M. Atmani se distingue de celle de la jurisprudence sur laquelle il s’appuie; et (5) la Déléguée du Ministre avait pleine compétence pour prendre la mesure d’expulsion au terme du sous-alinéa 228(1)(b)(iii) du Règlement.

IV. Décision

[15] Je suis d’accord avec les parties que la décision de la Déléguée du Ministre doit être revue selon le norme de la décision raisonnable. Selon cette norme de contrôle, le demandeur doit démontrer le caractère déraisonnable de la décision de la Déléguée du Ministre. Une décision raisonnable possède des caractéristiques de justification, de transparence et d’intelligibilité, et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

[16] Je note d’emblée que les faits de la présente affaire sont différents de ceux exposés dans la jurisprudence citée par M. Atmani puisqu’en l’instance, l’interdiction de territoire ne découle pas du fait que M. Atmani ait travaillé au Canada sans autorisation. Le fait que M. Atmani ait travaillé sans autorisation a plutôt été sanctionné par le refus de lui émettre un permis de travail, en application du sous-alinéa 200(3)(e)(i) du Règlement, lequel prévoit qu’un permis de travail ne peut être délivré à l’étranger qui a exercé un emploi au Canada sans autorisation sauf si une période de six mois s’est écoulée depuis la cessation du travail fait sans autorisation. Tel que mentionné précédemment, M. Atmani ne conteste pas la décision quant au refus du permis de travail.

[17] Ainsi, l’interdiction de territoire prononcée à l’égard de M. Atmani sous l’égide de l’article 41 de la Loi résulte, non pas du fait que ce dernier ait travaillé au Canada sans autorisation dans le passé, mais plutôt du fait qu’il souhaitait entrer au Canada pour y travailler, alors que sa demande de permis de travail avait été refusée et qu’il n’a conséquemment pas, de façon évidente, les documents exigés par la Loi.

[18] M. Atmani ne m’a pas convaincue qu’il est déraisonnable pour la Déléguée du Ministre de confirmer que ceci constitue bien un manquement au titre de l’article 41 de la Loi, puisqu’il s’agit d’une contravention aux exigences prévues à l’alinéa 20(1)(b) de la Loi et à l’article 8 du Règlement.

[19] D’abord, l’alinéa 20(1)(b) de la Loi prévoit, au titre des obligations à l’entrée au Canada, que l’étranger qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver, pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visas ou autres documents requis par Règlement. Dès lors que sa demande de permis de travail avait été refusée, M. Atmani ne pouvait prouver qu’il détenait les documents requis pour travailler au Canada.

[20] Ensuite, l’article 8 du Règlement, dans une section dédiée aux formalités préalables à l’entrée au Canada, prévoit que l’étranger ne peut entrer au Canada pour y travailler que s’il a préalablement obtenu un permis de travail. Or, encore une fois, M. Atmani n’a pas obtenu le permis de travail qu’il sollicitait. Il est raisonnable de conclure qu’il cherchait, après ce refus, à entrer au Canada pour y travailler sans avoir préalablement obtenu un permis de travail.

[21] Les notes au dossier confirment d’ailleurs que la Déléguée du Ministre n’a pas pris la mesure d’exclusion à l’encontre de M. Atmani parce que ce dernier a travaillé sans autorisation dans le passé. Les notes confirment que la Déléguée du Ministre n’était pas convaincue que M. Atmani ne travaillerait pas illégalement au Canada dans le futur.

[22] L’examen du dossier révèle que la Déléguée du Ministre a considéré, notamment, que M. Atmani a déjà travaillé illégalement au Canada. Cet examen révèle que la Déléguée du Ministre a cependant surtout considéré que la demande de permis de travail de M. Atmani venait d’être refusée, qu’il souhaitait travailler et s’établir au Canada, qu’il n’avait pas les moyens de subsister à ses besoins au Canada sans travailler et elle a conclu qu’il est ainsi plus probable que non qu’il travaille illégalement dans le futur.

[23] Enfin, le sous-alinéa 228(1)(b)(iii) du Règlement prévoit clairement le pouvoir de la Déléguée du Ministre de prendre la mesure d’exclusion sans déférer l’affaire à la Section de l’Immigration dans les circonstances.

[24] La décision de la Déléguée du Ministre est cohérente, intelligible et transparente et elle est justifiée compte tenu de la preuve au dossier et du langage clair de la législation et réglementation pertinentes.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2397-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2397-20

INTITULÉ :

YASSINE ATMANI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec) par videoconference

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 mars 2022

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 17 mars 2022

COMPARUTIONS :

Me Benoit Besseret

Pour le demandeur

Me Zoe Richard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Me Hugues Langlais Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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