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Date : 20220330


Dossier : T-474-20

Référence : 2022 CF 436

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 mars 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

MARY LINDA WHITFORD ET ALICIA MOOSOMIN

demanderesses

Et

CLINTON WUTTUNEE, LUX BENSON, JASON CHAKITA, MANDY CUTHAND, DANA FALCON, HENRY GARDIPY, GARY NICTOINE, SAMUEL WUTTUNEE, SHAWN WUTTUNEE, BURKE RATTE et LA PREMIÈRE NATION DE RED PHEASANT

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

Table des matières

I. La nature de l’affaire 4

A. Le résumé des conclusions, les définitions et des remarques concernant les références aux documents 5

1) Le résumé des procédures et des conclusions concernant les bulletins de vote postaux 5

2) Quelques remarques concernant les renvois 9

3) Les besoins des membres de la bande en matière d’aide financière et l’aide aux membres de la bande [AMB] 9

II. Les faits 11

A. Le régime législatif 11

B. Le contexte factuel 12

1) Les résultats de l’élection du 20 mars 2020 14

2) Le contexte procédural et l’ordonnance du 30 août 2021 rendue par la juge Aylen 16

III. Les questions en litige 29

IV. Le droit applicable 30

A. Les dispositions pertinentes de la Loi sur les élections au sein des premières nations, LC 2014, c 5 [la LEPN] 30

B. Les dispositions pertinentes du Règlement sur les élections au sein de premières nations, DORS/2015-86 [le REPN] 32

C. La jurisprudence 37

1) En bref 49

2) Les défendeurs ont modifié leur thèse lors de leur plaidoirie 51

3) Mes conclusions sur les objections que les défendeurs ont soulevées relativement aux onglets du dossier des demanderesses 59

a) Les onglets 86 – 251 : Les pièces présentées aux témoins contre‐interrogés sans préavis ou en l’absence d’une décision quant à leur admissibilité 60

b) L’admissibilité de la réponse de M. Ratte aux engagements du 18 mai 2021, relativement aux onglets 252 à 260 65

(i) L’affidavit souscrit par M. Ratte le 23 juillet 2021 79

(ii) L’ordre de produire pour examen la RE du 18 mai 2021 85

V. Analyse 87

A. L’exposé des faits 87

1) L’équipe de candidats et de partisans 88

2) Les personnes qui ont été impliquées dans une fraude électorale grave 89

3) Les demandes de bulletins de vote postaux présentées pour autrui 89

4) Leroy Nicotine Jr. 91

5) Le transport d’électeurs vers les bureaux de vote 93

6) Shelley Wuttunee 93

7) L’aide fournie pour remplir les formulaires de déclaration d’identité, le non‐respect du paragraphe 5(6) du REPN (c.‐à-d., le fait pour un témoin, qui aide un électeur, d’attester que cet électeur a indiqué son choix de candidat) 95

8) Les employés de Red Pheasant 96

9) Le résultat général de l’élection 97

10) Les nombreuses demandes de bulletin de vote postal 98

B. Le rôle de M. Ratte, et l’échange de courriels qu’il a eu avec Service aux Autochtones Canada au sujet des demandes de bulletin de vote postal 99

1) La décision de constituer M. Ratte partie à la présente requête en contestation et le rôle qu’il y tient 99

2) La décision d’autoriser les membres de la Première Nation à distribuer à d’autres membres les formulaires de demande de bulletin de vote postal 100

C. L’examen de chacun des bulletins de vote afin de savoir s’il y a eu contravention à la LEPN et/ou au REPN et/ou fraude électorale grave 103

1) Robin Dean Wuttunee 104

a) L’admissibilité des transcriptions et des copies sur CD des appels téléphoniques que Robin Wuttunee a faits à partir du CDPE au conseiller Samuel Wuttunee et au conseiller Jason Chakita 106

b) L’échange entre le chef Wuttunee et M. Ratte des listes des électeurs dont les demandes de bulletin de vote postal ont été acceptées ou non 120

c) La falsification des pièces d’identité des électeurs 131

2) Rickell Frenchman et Romellow Meechance 148

3) Breanna Wahobin et Jerette Wahobin 163

4) Michael Ernest Stevens et Ardella Benson 169

5) Arnold Bruce Wuttunee 172

6) Tomas Pritchard 177

7) Dion Bugler 183

8) Paul Tobaccojuice 190

9) Wendall John Albert 200

10) Veronica Whitford 204

11) Wesley Wuttunee 212

12) Burton Ward 217

13) Les déclarations d’identité et les bulletins de vote postaux dans les cas où l’électeur a voté en personne 220

D. Le résumé des conclusions concernant les défendeurs et les partisans désignés 226

1) Le chef Clinton Wuttunee 226

2) Le conseiller Gary Nicotine 232

3) Le conseiller Lux Benson 233

4) Le conseiller Jason Chakita 234

5) Le conseiller Mandy Cuthand 235

6) Le conseiller Dana Falcon 235

7) Le conseiller Henry Gardipy 236

8) Le conseiller Samuel Wuttunee 236

9) Le conseiller Shawn Wuttunee 237

10) Leroy Nicotine Jr. 238

11) Shelley Wuttunee 238

12) Les employés de la bande : Cody Benson (l’administrateur de la bande), Austin Ahenakew (le principal des finances) et Deloris Peyachew (l’administratrice du registre des Indiens) 239

VI. Conclusion 240

VII. Les dépens 240



I. La nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une requête fondée sur l’article 31 de la Loi sur les élections au sein des premières nations, LC 2014, c 5 [la LEPN], visant à contester la validité de l’élection du chef et des conseillers de la Première Nation de Red Pheasant tenue le 20 mars 2020 [l’élection]. La Première Nation de Red Pheasant est une bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5.

[2] Monsieur Burke Ratte [M. Ratte] était le président d’élection de cette Première Nation et il a été constitué défendeur uniquement pour faciliter l’interrogatoire préalable et établir la provenance de documents.

[3] La Première Nation de Red Pheasant a été constituée défenderesse uniquement pour pourvoir à l’éventualité d’une condamnation aux dépens qui pourrait être prononcée contre elle relativement à la présente instance.

[4] Les autres défendeurs sont le chef et les conseillers élus, que j’appellerai ci-après les défendeurs, compte tenu du rôle limité tenu par M. Ratte et la Première Nation de Red Pheasant.

[5] Les demanderesses Mary Linda Whitford et Alicia Moosomin sont des électrices et des membres de la Première Nation de Red Pheasant.

[6] Les demanderesses soutiennent que les défendeurs et d’autres personnes agissant en leur nom ont commis diverses formes de fraude électorale grave lors de l’élection. Elles sollicitent 1) une ordonnance invalidant l’élection du chef et des huit conseillers de la Première Nation de Red Pheasant, conformément aux articles 31 et 35 de la LEPN, et 2) les dépens avocat client payables solidairement par les défendeurs et la Première Nation de Red Pheasant.

[7] Les défendeurs s’opposent à leur contestation et prient la Cour de rejeter la requête avec dépens sur la base avocat client. J’ai accepté d’entendre les exposés sur les dépens après le prononcé de la décision sur le fond parce que la Première Nation de Red Pheasant devra être représentée par un avocat distinct sur la question des dépens.

[8] Monsieur Ratte sollicite le rejet de la requête et propose l’adjudication d’une somme globale de 20 000 $, au titre des dépens, s’il obtient gain de cause.

[9] La Première Nation de Red Pheasant n’a présenté aucune observation sur les dépens. Lors de l’audience, la Cour a appris que la Première Nation de Red Pheasant était désormais représentée par un avocat distinct mandaté pour présenter des observations sur les dépens après le prononcé de la présente décision sur le fond.

A. Le résumé des conclusions, les définitions et des remarques concernant les références aux documents

1) Le résumé des procédures et des conclusions concernant les bulletins de vote postaux

[10] Les demanderesses cherchent à faire invalider l’élection du chef et des huit conseillers de la Première Nation de Red Pheasant sur le fondement de la LEPN et/ou du Règlement sur les élections au sein de premières nations, DORS/2015-86 [le REPN], conformément à l’interprétation et l’application que leur donne la jurisprudence. La LEPN autorise la Cour [par l’emploi du verbe « peut »] à invalider l’élection contestée lorsque les deux conditions qui suivent sont réunies : 1) il y a eu contravention à l’une des dispositions de la LEPN (article 31), et 2) la contravention a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection (paragraphe 35(1)). Le critère du « nombre magique » est utilisé dans ce dernier cas et exige que la Cour recherche si le nombre de votes rejetés est égal ou supérieur à la majorité du candidat élu (Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55 [Opitz] au para 73).

[11] Afin de préserver l’intégrité de l’élection visée par la LEPN, la Cour (et les cours supérieures) peuvent également annuler le résultat de l’élection tenue conformément à la LEPN lorsque l’intégrité de l’élection est minée par une fraude électorale grave (Papequash c Brass, 2018 CF 325 [Papequash CF] au para 36). À cet égard, la jurisprudence établit que les tentatives par des candidats à une élection ou leurs agents d’acheter le vote des électeurs constituent une pratique insidieuse qui affaiblit et compromet l’intégrité du processus électoral (Papequash CF, au para 38). En d’autres termes, suivant la décision Gadwa c Kehewin Première Nation, 2016 CF 597 [Gadwa] (au para 88), un candidat qui achète des votes tente en fait d’user de manœuvres frauduleuses visant à entacher le processus électoral.

[12] Par conséquent, quel que soit le nombre de votes que le candidat a achetés ou a tenté d’acheter et peu importe si le candidat remporte l’élection avec un écart de voix plus grand que le nombre de votes ayant été acheté (c.-à-d. moins que le nombre magique), il est possible que l’élection du candidat soit invalidée : dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut annuler son élection – et doit le faire dans certains cas –, car une fraude, une manœuvre électorale frauduleuse et un acte illégal sont des inconduites graves (Opitz, au para 43, Gadwa, au para 88).

[13] La question principale qui se pose en l’espèce est celle de savoir si les défendeurs ont participé à l’achat de votes, et dans quelle mesure ils l’ont fait. Dans l’affirmative, ils ont commis une fraude électorale grave et leur élection peut être annulée pour cette raison, quel que soit le nombre de voix obtenues. L’achat et la vente de votes constituent également des contraventions aux alinéas 16f) et 17b), respectivement, de la LEPN.

[14] En l’espèce, l’achat de votes concerne presque entièrement les bulletins de vote postaux. Cet achat a eu lieu lors des deux étapes nécessaires qui consistent à obtenir et à renvoyer un bulletin de vote postal. Lors de la première étape du processus applicable aux bulletins de vote postaux, l’électeur envoie au président d’élection une demande de bulletin de vote postal conformément à l’article 15 du REPN, au moyen du formulaire prescrit (5-D), à laquelle il joint une copie de sa pièce d’identité et son adresse. Il est notamment possible d’envoyer cette demande au président d’élection par voie électronique, c’est-à-dire par message texte avec photo (message texte accompagné d’une photographie électronique du formulaire de demande de bulletin de vote postal), en plus de l’envoyer par la poste ou par messager.

[15] Si la demande est acceptée, la deuxième étape commande au président d’élection d’envoyer à l’électeur, à l’adresse indiquée, une trousse contenant un bulletin de vote postal et un formulaire de déclaration d’identité. À la réception de la trousse, l’électeur marque son bulletin de manière à indiquer son choix, le met dans une enveloppe scellée et l’envoie par la poste ou la remet au président d’élection dans une trousse qui doit également contenir un formulaire de déclaration d’identité qu’il doit dûment signer devant témoin conformément au paragraphe 17(1) du REPN. Il convient de souligner qu’un électeur peut certes demander l’assistance d’une autre personne pour marquer son bulletin de vote, mais dans ce cas, le formulaire de déclaration d’identité doit être signé par un témoin qui atteste non seulement que l’électeur est la personne dont le nom figure sur le formulaire, mais également que le bulletin de vote a été marqué selon les instructions de l’électeur (paragraphe 5(6) du REPN).

[16] Il est vrai que les demanderesses ont établi l’existence de contraventions à la LEPN, mais je suis d’avis qu’aucune de ces contraventions n’a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection, car aucune n’entraîne l’application du critère du nombre magique conformément à l’arrêt Opitz. En d’autres termes, la différence entre le nombre de voix qu’a obtenues le candidat élu n’est, dans aucun cas, égal ou supérieur à l’écart des voix qui a mené à sa victoire.

[17] J’estime toutefois, selon la prépondérance des probabilités, que plusieurs des candidats défendeurs ont commis une fraude électorale grave – notamment en achetant des votes et en se livrant à des activités connexes –, de sorte que l’intégrité de leur élection a été minée. Par conséquent, la Cour, exerçant son pouvoir discrétionnaire, annulera l’élection du chef Clinton Wuttunee et du conseiller Gary Nicotine, quel que soit le nombre de voix qu’ils ont obtenues. Je conclus aussi, selon la prépondérance des probabilités, que les conseillers Lux Benson, Jason Chakita, Mandy Cuthand, Henry Gardipy, Samuel Wuttunee et Shawn Wuttunee ont commis une fraude électorale grave, mais à moindre échelle, de telle sorte que la Cour qui, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, pourrait annuler leur élection, ne le fera pas. De plus, selon la prépondérance des probabilités, j’estime que les partisans Leroy Nicotine Jr. et Shelley Wuttunee se sont livrés à de multiples cas de fraude électorale grave, pour lesquels la LEPN n’autorise pas la Cour à leur infliger une mesure de réparation.

2) Quelques remarques concernant les renvois

[18] Les documents produits relativement à la présente contestation totalisent 7 565 pages, y compris la jurisprudence et la doctrine. Pour renvoyer à un document précis, j’utiliserai le sigle DDEM pour désigner le dossier des demanderesses et DDEF pour le dossier des défendeurs. Étant donné que les documents produits sont en format PDF, les numéros de page apparaissant sur la copie papier ne correspondent pas aux numéros de page du document PDF qui figurent dans la barre de recherche PDF, au bas de l’écran. Par conséquent, j’indiquerai les deux, le premier numéro étant le numéro de page qui figure sur la copie papier, et le second, celui qui figure sur la barre de recherche du document PDF.

3) Les besoins des membres de la bande en matière d’aide financière et l’aide aux membres de la bande [AMB]

[19] Les défendeurs ont souvent invoqué comme moyen de défense la nécessité pour certains membres de la Première Nation en question d’obtenir de l’aide tout au long de l’année, leurs besoins ne disparaissant pas en période électorale. Il n’y a donc pas lieu de reprocher au chef et aux conseillers d’avoir donné de l’argent aux membres de la Première Nation pendant cette période, pourvu que l’octroi de l’aide résulte d’un concours de circonstances et n’ait pas entraîné l’achat de votes. À cet égard, la preuve démontre que des membres de la Première Nation n’ont reçu que 255 $ par mois de la part de Red Pheasant, et que leurs besoins étaient de beaucoup supérieurs. Des appels auraient été faits au chef et aux conseillers chaque jour et, dans certains cas, tout au long de la journée.

[20] Je ne remets pas en question le fait que des membres de la Première Nation puissent avoir besoin d’aide tout au long de l’année. Toutefois, Red Pheasant dispose d’une procédure qui permet aux membres dans le besoin de toucher des paiements d’aide destinés aux membres de la bande [AMB] avec l’autorisation du chef et d’un conseiller, et les demandes d’aide sont examinées de façon moins formelle sans que le conseil se réunisse. Cela dit, en fait – et comme l’ont déclaré le chef Wuttunee et le dirigeant principal des finances, Austin Ahenakew –, il faut remplir des formulaires particuliers pour que des paiements d’AMB soient versés.

[21] Par conséquent, je conclus que la Première Nation tient des registres faisant état du versement justifié de ces paiements d’AMB. Il est également évident que les formulaires requis doivent être conservés aux fins de vérification. Rien ne me permet de penser que de tels documents ne sont pas conservés pour les paiements d’AMB effectués pendant une période électorale.

[22] Je souscris aux observations que ma collègue la juge McVeigh a formulées dans la décision Good c Canada (Procureur général), 2018 CF 1199 [Good], qui visait cette même Première Nation :

[295] Cela m’amène à formuler une observation non sollicitée, soit que les défendeurs se sont mis dans des situations qui remettent en question leurs actions, en donnant, pendant la campagne électorale, de l’argent à des gens qui en ont fait la demande, alors qu’ils étaient dans le besoin. Bien que je reconnaisse que les membres de la bande ont toujours besoin de soutien, même en période électorale, de nombreuses solutions peuvent être adoptées. Par exemple, un moratoire sur l’octroi d’une aide financière par les candidats, pendant les élections, pourrait être imposé et compensé par la création d’un fonds distinct et la nomination d’une personne indépendante chargée d’administrer la distribution des fonds lors de telles situations d’urgence.

II. Les faits

A. Le régime législatif

[23] La présente contestation est présentée sous le régime de la LEPN – laquelle est entrée en vigueur en avril 2015, tout comme le REPN dont l’article 31 exige que l’instance soit engagée par voie de requête. Voici comment la juge McVeigh en a fait le résumé dans la décision Good, précitée : « La LEPN prévoit un processus législatif, qui permet aux Premières Nations et aux collectivités autochtones d’élire les membres de leur conseil de bande. Le processus prévu par la LEPN fonctionne en parallèle et en complément avec les autres processus établis au paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens ... »

[24] Pour pouvoir relever de la LEPN, une Première Nation comme celle de Red Pheasant doit en faire la demande. La Première Nation sera visée par les dispositions de la LEPN si son conseil de bande adopte une résolution – dans laquelle il précise vouloir que ses élections soient régies par la LEPN – et la fournit au ministre, lequel ajoute le nom de la Première Nation à l’annexe de la LEPN lorsque les critères pertinents sont remplis (voir l’article 3). La juge McVeigh a mentionné ce qui suit, au paragraphe 16 de la décision Good : « Le 5 novembre 2015, le conseil de bande de la Première Nation de Red Pheasant a signé une RCB précisant que la bande souhaitait voir ses élections régies par la LEPN. Le 4 janvier 2016, après avoir reçu cette RCB, le ministre a ajouté la Première Nation de Red Pheasant à l’annexe de la LEPN. »

B. Le contexte factuel

[25] Chaque élection récente tenue au sein de la Première Nation de Red Pheasant a fait l’objet d’un appel. Le plus récent visait également le chef actuel, le chef Clinton Wuttunee [le chef Wuttunee], et notre Cour a rendu son jugement dans la décision Good, précitée. Dans cette affaire, Mme Good sollicitait le contrôle judiciaire visant l’élection tenue au sein de la bande le 18 mars 2016, au terme de laquelle le chef Wuttunee avait été élu chef. La juge McVeigh a refusé d’invalider l’élection de 2016, après en être arrivée à la conclusion suivante : « La demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver, de façon satisfaisante, que la LEPN a[vait] été violée, et même si une contravention avait été relevée dans la preuve, il est peu probable que celle-ci aurait influé sur le résultat de l’élection de 2016. » La somme globale de 100 000 $ a été adjugée aux défendeurs (le chef Wuttunee et les conseillers Lux Benson, Mandy Cuthand, Dana Falcon, Henry Gardipy et Shawn Wuttunee) au titre des frais et débours. Madame Good n’est pas partie à la présente requête.

[26] La présente affaire porte sur l’élection du chef Wuttunee et des huit conseillers, qui a été tenue le 20 mars 2020. Les demanderesses soutiennent que chacun des défendeurs, ainsi que leurs agents ou les personnes agissant en leur nom, ou ces agents et personnes, ont enfreint la LEPN, le REPN et/ou d’autres lois applicables et qu’ils se sont livrés à des manœuvres frauduleuses relativement à l’élection, notamment l’achat de votes, la falsification de demandes de bulletin de vote postal, le fait de payer les électeurs pour qu’ils demandent leur bulletin de vote postal, la falsification des formulaires de déclaration d’identité des électeurs joints aux bulletins de vote postaux et la falsification de pièces d’identité.

[27] Les agents ou les personnes agissant pour le compte des défendeurs ne sont pas constitués défendeurs. Toutefois, leur nom est mentionné dans la présente procédure, laquelle leur a été signifiée. Les mêmes avocats que les défendeurs désignés ont comparu en leur nom. Il s’agirait notamment des personnes suivantes : Shelley Wuttunee (l’épouse du conseiller Shawn Wuttunee), Leroy Nicotine Jr., Cody Benson (l’administrateur de la bande, pour Red Pheasant, et fils du conseiller Lux Benson), Austin Ahenakew (le dirigeant principal des finances de Red Pheasant) et Deloris Peyachew (l’administratrice du registre des Indiens pour Red Pheasant).

[28] Conformément au résumé fait par la juge Aylen en qualité de juge responsable de la gestion de l’instance (l’avis de demande modifié lui-même comporte 20 pages; la protonotaire Molgat a approuvé par ordonnance l’avis de requête modifié du 6 avril 2021) dans son ordonnance du 30 août 2021 [DDEM, à l’onglet 30], les demanderesses font valoir ce qui suit :

[traduction]

A. Les participants ont illégalement eu en leur possession un grand nombre de bulletins de vote postaux (qui n’étaient pas leurs bulletins de vote postaux respectifs) qu’ils avaient falsifiés et qu’ils ont ensuite remis à M. Ratte;

B. Monsieur Ratte a été trompé par les participants et d’autres personnes, car il a reçu des documents falsifiés et à son insu, il a accepté un grand nombre de demandes de bulletin de vote postal présentées au nom d’autres électeurs que les participants lui avaient directement transmis par message texte;

C. Plusieurs personnes se sont présentées aux bureaux de vote et M. Ratte les avait autorisées à déposer plusieurs bulletins de vote postaux, même si les électeurs ne peuvent voter qu’une seule fois;

B. Monsieur Ratte a été trompé par les participants et d’autres personnes, car il a reçu des documents falsifiés et à son insu, il a envoyé par la poste et remis un grand nombre de bulletins de vote postaux à des personnes autres que les électeurs en question;

E. Monsieur Ratte n’a pas produit de résultats certifiés de l’élection.

1) Les résultats de l’élection du 20 mars 2020

[29] Je retiens le témoignage par affidavit, souscrit le 27 août 2020, du président d’élection, Burke Ratte [M. Ratte], selon lequel 1 869 électeurs admissibles étaient inscrits pour voter à l’élection.

[30] Selon le [traduction] « Relevé du nombre de voix » joint au même affidavit, sous la cote « D » [DDEF 0317, PDF 0322], 1 084 bulletins de vote ont été déposés pour le poste de chef, dont 6 ont été rejetés lors du dépouillement du scrutin. Le chef Wuttunee a obtenu 648 voix. Les autres candidats non élus étaient Todd Baptiste, qui a obtenu 424 voix, et Lester « George » Nicotine, qui a obtenu 6 voix.

[31] Un total de 1 084 bulletins de vote ont été déposés pour les postes de conseillers, dont un a été rejeté. Voici le décompte des voix obtenues pour les candidats élus au poste de conseiller :

· Le conseiller Henry Gardipy : 637 voix

· Le conseiller Shawn Wuttunee : 634 voix

· Le conseiller Lux Benson : 619 voix

· Le conseiller Jason Chakita : 615 voix

· Le conseiller Dana Falcon : 607 voix

· Le conseiller Gary Nicotine : 599 voix

· Le conseiller Samuel Wuttunee : 597 voix

· Le conseiller Mandy Cuthand : 585 voix

[32] Et voici le décompte des voix obtenues pour les autres candidats non élus :

· Angus (Peyachew) Donna : 252 voix

· Stewart Sr. Baptiste : 238 voix

· Keith (Tyson) Wuttunee : 234 voix

· Kellie Wuttunee : 167 voix

· Chuckie Harriet Nicotine : 159 voix

· Dickie Lee Baptiste-Bull : 149 voix

· Alvin Leroy Nicotine : 145 voix

· Charlotte Benson : 142 voix

· Charles Meechance : 139 voix

· Sabrina Theresa Peyachew (Baptiste) : 139 voix

· Alvin Baptiste : 126 voix

· Michael (Mike) Wuttunee : 126 voix

· Glen (Peanut) Bugler : 102 voix

· Gerald Meechance : 96 voix

· Edgar Baptiste : 77 voix

· Carolyn Rose Kiskotagan : 75 voix

· Elvin Fredrick Nicotine : 74 voix

· Langford Douglas Wuttunee : 72 voix

· Margaret (Bepee) Nicotine (Benson) : 69 voix

· Ida Wuttunee : 68 voix

· Jacob Moosomin/Moosuk : 68 voix

· Dennis Russel Nicotine : 64 voix

· Lynale Benson : 60 voix

· Deanna Bugler Arcand : 55 voix

· Rudy W. Wuttunee : 52 voix

· Andrea Nicotine : 27 voix

· Ellen Cuthand : 17 voix

· Trevor (Topdog) Cuthand : 11 voix

[33] Monsieur Ratte a déclaré, aux paragraphes 9 à 12 [DDEF 0177-0180, PDF 0182‐0185], qu’un total de 748 demandes de bulletin de vote postal ont été reçues et acceptées. Le président d’élection a reçu 684 trousses de vote postales, dont 32 ont été rejetées.

[34] Selon la réponse de M. Ratte aux engagements datée du 18 mai 2021 [la RE du 18 mai 2021], les personnes suivantes lui ont présenté par message texte avec photo des demandes de bulletin de vote postal :

1. Le chef Wuttunee en a présenté 521 [DDEM, à l’onglet 253]

2. Le conseiller Gary Nicotine en a présenté 164 [DDEM, à l’onglet 254]

3. Le conseiller Shawn Wuttunee en a présenté 24 [DDEM, à l’onglet 255]

4. Le conseiller Dana Falcon en a présenté 18 [DDEM 256]

5. Le conseiller Henry Gardipy en a présenté 25 [DDEM, à l’onglet 257]

6. Le conseiller Mandy Cuthand en a présenté 49 [DDEM, à l’onglet 258]

7. Le conseiller Samuel Wuttunee en a présenté 31 [DDEM, à l’onglet 259]

8. L’administrateur de la bande, Cody Benson, en a présenté 22 [DDEM, à l’onglet 260]

[35] Incidemment, les défendeurs se sont opposés à ce que la RE du 18 mai 2021 de M. Ratte fasse partie de la preuve, mais, comme je l’indiquerai plus loin, je ne trouve aucun fondement à cette objection.

2) Le contexte procédural et l’ordonnance du 30 août 2021 rendue par la juge Aylen

[36] Pareillement à l’élection de 2018 soumise à l’examen de la juge McVeigh dans l’affaire Good, la présente affaire a fait l’objet d’une rigoureuse gestion de l’instance parce que les parties n’ont pas été en mesure de régler de nombreuses questions ou n’ont pas voulu le faire. L’antagonisme et le refus de collaborer ont nui au déroulement de l’instance.

[37] La gestion de l’instance a d’abord été confiée à la protonotaire Molgat. Au cours de la période qui a précédé l’instruction, cette gestion a été confiée à la juge Aylen. La juge Aylen a entendu de nombreuses requêtes – dont les requêtes des deux parties visant à faire radier tous les affidavits produits par la partie adverse – qui ont abouti à l’ordonnance du 30 août 2021 rendue par la juge Aylen.

[38] La juge Aylen a critiqué comme suit le déroulement de l’instance :

[traduction]

[2] À l’exception du défendeur, M. Ratte, et de ses avocats, la conduite des parties et de leurs avocats tout au long de la présente instance a laissé beaucoup à désirer. Au cours des 16 derniers mois, la juge qui était auparavant responsable de la gestion de l’instance et moi-même (depuis ma nomination en juin 2021) les avons maintes fois avertis que le comportement qu’ils avaient adopté jusqu’à présent démontrait un mépris choquant pour le principe de proportionnalité, ainsi qu’un refus ou une incapacité inacceptable de communiquer ou de collaborer pour la poursuite efficace de l’instance.

[39] Dans son ordonnance du 30 août 2021, la juge Aylen réglait le sort de six requêtes. À ces fins, essentiellement, la juge Aylen a ordonné ce qui suit (mes commentaires suivent lorsque c’est nécessaire).

[40] S’agissant de la PREMIÈRE REQUÊTE, l’ordonnance de la juge Aylen était la suivante :

[traduction]

1. La requête des demanderesses en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à Me Stooshinoff et au cabinet Stooshinoff Bitzer de cesser d’occuper au dossier et leur interdisant de représenter les parties est rejetée, sans porter atteinte au droit des demanderesses de demander pareille réparation en ce qui concerne l’adjudication des dépens afférents à la requête.

[Commentaire de la Cour : Cette partie explique pourquoi les dépens seront adjugés après le prononcé de la présente décision. Les demanderesses ont interjeté appel de cette partie de l’ordonnance devant la Cour d’appel fédérale.]

2. Les demanderesses paieront aux défendeurs, Clinton Wuttunee, Lux Benson, Jason Chakita, Mandy Cuthand, Dana Falcon, Henry Gardipy, Gary Nicotine, Samuel Wuttunee, Shawn Wuttunee et la Première Nation de Red Pheasant, les dépens afférents à la requête visant à enjoindre à Me Stooshinoff de cesser d’occuper au dossier, dont le montant sera fixé par le juge du fond.

[Non souligné dans l’original.]

[Commentaire de la Cour : Les dépens seront adjugés après le prononcé de la présente décision. Les demanderesses ont interjeté appel de cette partie de l’ordonnance devant la Cour d’appel fédérale; l’affaire a été mise en délibéré.]

[41] S’agissant de la DEUXIÈME REQUÊTE, l’ordonnance de la juge Aylen était la suivante :

[traduction]

8. L’affidavit de John Benson souscrit le 27 août 2020 est par les présentes radié.

[Commentaire de la Cour : L’affidavit a été radié en raison de la conduite inacceptable adoptée par l’avocat des défendeurs, Me Stooshinoff, lors du contre-interrogatoire de M. Benson. Voici les remarques de la juge Aylen à cet égard : « John Benson tourne à plusieurs reprises le dos au sténographe judiciaire (lors de l’enregistrement vidéo) même si on lui a maintes fois répété de se retourner pour qu’on voie son visage », et « Me Stooshinoff n’a pas seulement encouragé ce comportement, mais il a à maintes reprises tenu des conversations privées avec le témoin au cours de son contre-interrogatoire, même après les objections répétées formulées par l’avocat des demanderesses à cet égard ». Par conséquent, la juge Aylen a estimé que « cette inconduite, qui a eu pour effet de faire obstacle au contre-interrogatoire de John Benson, démontrait un mépris total pour la présente instance ».]

9. Le reste de la requête des demanderesses en vue de faire radier les affidavits sur lesquels se sont fondés les défendeurs est rejeté.

10. La demande présentée par les demanderesses en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant aux défendeurs [y compris M. Ratte] de répondre à toutes les questions auxquelles les déposants des défendeurs ont refusé de répondre lors de leurs contre-interrogatoires est rejetée, sans porter atteinte au droit des demanderesses de demander au juge du fond de tirer une conclusion défavorable de ces refus.

[Non souligné dans l’original.]

[Commentaire de la Cour : J’ai tiré de nombreuses conclusions défavorables, dans les cas indiqués, des refus de répondre aux questions pertinentes en contre-interrogatoire.]

11. La demande présentée par les demanderesses en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant aux défendeurs de répondre à tous les engagements pris lors des contre-interrogatoires des déposants des défendeurs est rejetée.

12. La demande présentée par les demanderesses en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant aux déposants des défendeurs de comparaître afin de subir un autre contre-interrogatoire est rejetée.

[Commentaire de la Cour : Les demanderesses ont interjeté appel des parties 9, 10, 11 et 12 de cette ordonnance devant la Cour d’appel fédérale. La Cour d’appel fédérale a mis l’affaire en délibéré.]

[42] S’agissant de la TROISIÈME REQUÊTE, l’ordonnance de la juge Aylen était la suivante :

[traduction]

14. Les demanderesses sont autorisées, conformément à l’article 312 des Règles, à déposer l’affidavit de Tomas Pritchard souscrit le 8 février 2021.

15. Les défendeurs signifieront et déposeront la preuve de signification de tout affidavit supplémentaire fourni en réponse à l’affidavit de M. Pritchard au plus tard le 13 septembre 2021.

16. Les parties auront la possibilité de contre-interroger M. Pritchard sur son affidavit et l’auteur de tout autre affidavit signifié par les défendeurs en réponse à cet affidavit. Les parties effectueront ces contre-interrogatoires au plus tard le 4 octobre 2021, et devront se conformer aux directives suivantes :

a) La partie qui fait entendre un déposant recevra signification de toute assignation à comparaître et acceptera l’indemnité de présence.

b) Les différends au sujet d’une demande de production contenue dans une assignation à comparaître seront portés, par voie de requête informelle devant être instruite lors d’une conférence de gestion de l’instance, immédiatement à l’attention de la Cour, qui les réglera avant le début du contre-interrogatoire visé.

c) Les parties collaboreront à l’établissement du calendrier des contre-interrogatoires. Si la Cour conclut qu’une partie ne le fait pas, elle condamnera aux dépens cette partie et ses avocats, s’il y a lieu.

d) Les parties enverront à la Cour, au plus tard le 24 septembre 2021, leur confirmation du calendrier des contre-interrogatoires. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur le calendrier des contre-interrogatoires, elles en aviseront la Cour au plus tard le 24 septembre 2021 et lui fourniront à cette même date leurs calendriers respectifs. La Cour établira unilatéralement un calendrier fondé sur les calendriers proposés des parties.

17. Aucuns dépens ne seront adjugés relativement à la requête présentée sur le fondement de l’article 312 des Règles.

[Commentaire de la Cour : Les demanderesses ont interjeté appel de la partie de l’ordonnance visée au paragraphe 17 devant la Cour d’appel fédérale. Les défendeurs demandent qu’une modification y soit apportée de sorte que les CD de certaines conversations téléphoniques de Robin Wuttunee depuis la prison ne soient pas admis en preuve. Je me prononce sur cette question dans les présents motifs. Les défendeurs ont également demandé que l’audience soit suspendue, mais aucune suspension n’a été accordée. La Cour d’appel fédérale a mis l’affaire en délibéré.]

[43] S’agissant de la QUATRIÈME REQUÊTE, l’ordonnance de la juge Aylen était la suivante :

[traduction]

3. La requête présentée par les défendeurs en vue d’obtenir la dispense prévue au paragraphe 94(2) des Règles, relativement à l’assignation à comparaître du 9 juin 2020 et signifiée à Clinton Wuttunee, est rejetée au motif qu’elle est théorique. Les dépens afférents à la requête seront payables suivant l’issue de la cause.

[44] S’agissant de la CINQUIÈME REQUÊTE, la juge Aylen a examiné les demandes présentées par des défendeurs en vue d’être dispensés de leur obligation de produire certains documents. La juge Aylen a accepté de réduire le nombre de documents exigés, mais elle a ordonné aux défendeurs concernés de produire une gamme plus restreinte de documents :

[traduction]

4. La requête des défendeurs en vue d’obtenir, sur le fondement du paragraphe 94(2) des Règles, une ordonnance dispensant les déposants des défendeurs, Clinton R. Wuttunee, Dana Falcon, Gary Nicotine, Henry Gardipy, Jason Chakita, John Benson, Lux Benson, Mandy Cuthand, Samuel Wuttunee, Shawn Wuttunee, Austin Akenakew, Cody Benson et Shelly Wuttunee, de produire les documents demandés par les demanderesses dans leurs assignations à comparaître du 4 septembre 2020 – et toutes les assignations à comparaître subséquentes signifiées par les demanderesses – est accueillie, à l’exception des documents suivants :

a) Concernant les assignations à comparaître signifiées à Clinton Wuttunee :

(i) L’ensemble des courriels, lettres, messages textes, messages sur Facebook ou toute autre correspondance, entre le 1er janvier et le 20 mars 2020, qui sont en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde, et qui visent Burke Ratte.

(ii) L’ensemble des courriels, lettres, messages textes, messages sur Facebook ou toute autre correspondance, entre le 1er janvier et le 20 mars 2020, qui sont en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde, et qui visent Robin Wuttunee ou toute personne agissant en son nom ou qui renvoient à Robin Wuttunee ou le mentionnent.

(iii) Toutes les communications qu’il a eues avec la famille d’Arnold Bruce Wuttunee mentionnées au paragraphe 16 de son affidavit.

(iv) Tous les documents dans lesquels il est mentionné qu’il s’occupait du cas de Robin Dean Wuttunee, ou concernant ce fait, et dans lesquels il a été informé que Robin Dean Wuttunee n’était pas un électeur admissible, comme il est indiqué au paragraphe 26 de son affidavit.

(v) L’ensemble des courriels, lettres, messages textes, messages sur Facebook ou toute autre correspondance, entre le 1er janvier et le 20 mars 2020, qui sont en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde, qui renvoient à Patricia Bird ou la concernent.

b) Concernant les assignations à comparaître signifiées à Austin Ahenakew :

(i) La « directive » visée au paragraphe 15 de son affidavit et les documents qui la mentionnent ou y renvoient.

c) Concernant les assignations à comparaître signifiées à Henry Gardipy :

(i) S’agissant du paragraphe 5 de son affidavit, tous les documents qui mentionnent la demande de Michael Earnest Stevens pour que M. Gardipy l’aide à présenter sa demande de bulletin de vote postal D-5 ou y renvoient.

d) Concernant les assignations à comparaître signifiées à Cody Benson :

(i) Tous les documents qui concernent la décision de fournir une aide aux membres de la bande de 400 $ à Heather Meechance, visée au paragraphe 13 de son affidavit, ou qui y renvoient, ainsi que tous les documents qui concernent le versement de cette somme à Heather Meechance ou qui y renvoient.

e) Concernant les assignations à comparaître signifiées à Gary Nicotine :

(i) L’ensemble des courriels, lettres, messages textes, messages sur Facebook ou toute autre correspondance dans lesquels était demandée une aide financière qu’il a reçue de Heather Meechance relativement à la demande de celle-ci pour obtenir de « l’aide pour l’épicerie » ainsi que la réponse qu’il a donnée dont il est question au paragraphe 16 de son affidavit.

(ii) Tous les documents qui concernent la décision de fournir une aide aux membres de la bande de 400 $ à Heather Meechance, visée au paragraphe 16 de son affidavit, ou qui y renvoient, ainsi que tous les documents qui concernent le versement de cette somme à Heather Meechance ou qui y renvoient.

f) Concernant les assignations à comparaître signifiées à Jason Chakita :

(i) L’ensemble des courriels, lettres, messages textes, messages sur Facebook ou toute autre correspondance, entre le 1er janvier et le 20 mars 2020, entre lui et Robin Dean Wuttunee ou toute personne agissant en son nom.

5. Les documents dont la production est exigée conformément au paragraphe 4 seront fournis aux demanderesses au plus tard le 13 septembre 2021.

6. Les demanderesses verseront aux défendeurs la somme de 10 000 $ au titre des dépens afférents à la requête présentée sur le fondement du paragraphe 94(2) des Règles dont il est question au paragraphe 4, y compris les honoraires, les débours et les taxes.

[Commentaire de la Cour : Les demanderesses ont interjeté appel des parties 4 et 6 de cette ordonnance devant la Cour d’appel fédérale; la Cour d’appel fédérale a mis l’affaire en délibéré.]

[45] S’agissant de la SIXIÈME REQUÊTE, l’ordonnance de la juge Aylen était la suivante :

[traduction]

7. La requête des demanderesses en vue de faire radier les affidavits sur lesquels s’appuient les défendeurs est rejetée.

13. Le juge du fond fixera les dépens afférents aux deux requêtes visant à faire radier les affidavits.

[Non souligné dans l’original.]

[Commentaire de la Cour : J’adjugerai les dépens afférents aux deux requêtes après le prononcé de la présente décision.]

[46] Les demanderesses ont interjeté appel de l’ordonnance de la juge Aylen devant la Cour d’appel fédérale le 8 septembre 2021. Les défendeurs ont demandé qu’elle soit modifiée. Le dossier d’appel a été déposé. Les demanderesses et les défendeurs ont déposé leurs mémoires. La date pour l’audition de l’appel a été fixée au 15 mars 2022. La Cour d’appel fédérale a mis l’affaire en délibéré.

[47] Je trancherai les questions, sur lesquelles il m’appartient de me prononcer et telles qu’elles se posent aujourd’hui, en tenant compte des diverses ordonnances rendues par la juge Aylen.

[48] Les deux parties ont présenté des observations en réponse aux précisions fournies par la juge Aylen dans son ordonnance du 30 août 2021, ont échangé de multiples lettres, mais elles ne s’entendaient toujours pas. Par conséquent, la juge Aylen a rendu d’autres ordonnances le 28 septembre et le 8 octobre 2021 :

[traduction]

1. Les défendeurs (autres que M. Ratte) contre-interrogeront M. Pritchard le 30 septembre 2021 à 9 h (heure de la Saskatchewan) par vidéoconférence sur la plateforme Zoom. Les avocats des demanderesses, ou des employés de leur cabinet, doivent se rendre disponibles pour y assister.

2. Les demanderesses contre-interrogeront M. Ratte le 4 octobre 2021.

3. Les demanderesses contre-interrogeront Leroy Nicotine Jr., Clinton Wutunee et Marie Adam le 2 octobre 2021. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur un lieu pour la tenue des contre-interrogatoires, ceux-ci auront lieu sur la plateforme Zoom.

[49] Dans le préambule de l’ordonnance qu’elle a prononcée le 28 septembre 2021, la juge Aylen a précisé que le juge du fond – c’est-à-dire la Cour– devait régler les points suivants :

[traduction]

ATTENDU que la Cour n’examinera pas la demande présentée par les demanderesses en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à M. Pritchard de comparaître aux fins de son contre-interrogatoire. Une assignation à comparaître a été signifiée pour le contre-interrogatoire de M. Pritchard et il est tenu de comparaître, à défaut de quoi les défendeurs pourront présenter des observations au juge du fond sur la question de savoir s’il y a lieu de radier son témoignage;

ATTENDU que, s’agissant de la question de l’admissibilité des réponses aux engagements données par M. Ratte, les parties la soumettront à l’examen du juge du fond;

ATTENDU que, selon les observations des demanderesses, la Cour n’exigera pas la production d’une version non caviardée du document produit par Austin Ahenakew conformément au sous-alinéa 4b)(i) de l’ordonnance. Les demanderesses pourront présenter au juge du fond les observations qu’elles jugent indiquées au sujet de tout caviardage qui serait inacceptable;

ATTENDU qu’il revient au juge du fond de régler la question de savoir si les affidavits signifiés par les défendeurs en réponse à l’affidavit de M. Pritchard constituent une contre-preuve admissible conforme à l’ordonnance;

[Non souligné dans l’original.]

[Commentaire de la Cour : Les présents motifs traitent de ces questions, s’il y a lieu. La première question n’est pas pertinente parce que M. Pritchard a comparu. Je traite de la deuxième question, à savoir la RE de M. Ratte du 18 mai 2021, dans les présents motifs.]

[50] Le 8 octobre 2021, la juge Aylen a aussi rendu l’ordonnance suivante :

[traduction]

1. La requête des défendeurs est accueillie, et M. Nicotine Jr. est dispensé de produire les documents que les demanderesses avaient demandés aux points nos 5 et 6 de leur assignation à comparaître du 24 septembre 2021.

2. Les demanderesses verseront immédiatement aux défendeurs (autres que M. Ratte) 1 500 $, au titre des dépens afférents à la présente requête.

[51] Le 18 octobre 2021, les demanderesses ont interjeté appel de l’ordonnance du 8 octobre 2021 devant la Cour d’appel fédérale. Le dossier d’appel n’a pas été déposé et l’appel n’a pas encore été inscrit au rôle pour audience.

[52] Par souci d’exhaustivité, je tiens à ajouter les trois autres points qui suivent.

[53] Premièrement, deux jours ouvrables avant le début de l’audience que j’ai présidée les 11 et 12 janvier 2022, les demanderesses ont présenté une requête en vue d’être autorisées à déposer un affidavit souscrit sous serment en octobre 2021. J’ai rejeté la requête parce qu’aucune explication n’a été fournie pour justifier ce dépôt tardif. Voici comment j’ai motivé ma décision :

[traduction]

La demanderesse a contre-interrogé M. Nicotine Jr. le 12 octobre 2021 et le 5 janvier 2022. Puis elle a demandé l’autorisation de déposer un affidavit daté du 13 octobre 2021. Nous sommes le 6 janvier 2022 aujourd’hui. La présentation tardive de la requête, trois mois après la date où l’affidavit a été souscrit, pour laquelle aucune explication n’est donnée n’est pas facilement excusable. Elle place le défendeur dans une situation difficile, même s’il avait été informé de l’affidavit en question depuis un certain temps. Or, la Cour n’en a pas été informée, et l’instruction de l’affaire est prévue dans deux jours ouvrables, lesquels sont demain vendredi et lundi la semaine prochaine. L’instruction doit commencer le mardi 11 janvier 2022. La Cour dispose du témoignage de M. Nicotine Jr. et de son contre-interrogatoire, et les avocats pourront certainement y revenir lors de l’instruction. La requête est rejetée, les dépens devant suivre l’issue de la cause.

[54] Deuxièmement, un jour ou deux après l’audience, les avocats des défendeurs ont déposé, ex parte (c’est‐à‐dire sans en donner avis par signification aux avocats des demanderesses) et par voie électronique, un document qui n’avait rien de nouveau du point de vue des avocats des demanderesses (sans fournir d’explication; le document faisait déjà partie de leur dossier). Ce document a été déposé en même temps que leur mémoire en format Word (format que j’avais exigé). J’ai ordonné que ce document soit retiré du dossier de la Cour (même s’il continue de figurer au dossier) parce qu’aucune explication n’a été donnée pour justifier pareil dépôt ex parte, sauf le fait qu’il ne s’agissait pas d’un nouveau document. Les avocats des défendeurs ont ensuite présenté leurs excuses par écrit.

[55] Troisièmement, j’ai donné avant la tenue de l’audience une directive énonçant des exigences particulières en matière de mise en forme électronique pour tout recueil que les parties souhaitaient déposer. Un recueil de la part de chaque partie s’avère, à mon avis, une nécessité pratique – même si les Règles ne l’exigent pas – dans un dossier aussi volumineux que celui-ci. Malheureusement, le personnel du greffe n’a pas envoyé la directive aux demanderesses ni aux défendeurs, mais seulement à M. Ratte. Ma directive a été envoyée de nouveau au cours de l’audience. Les demanderesses ont été en mesure de déposer un recueil comportant des hyperliens. À la fin de leur plaidoirie, les demanderesses ont demandé à la Cour si elle souhaiterait recevoir, en version électronique et en version papier, un recueil organisé par thèmes et j’ai accepté; ces versions ont ensuite été fournies. Les défendeurs n’ont déposé aucun recueil à l’audience. À la fin de l’audience, ils ont demandé l’autorisation de déposer un recueil. Je leur ai donné l’autorisation, là encore en raison de la taille du dossier (environ 7 565 pages, y compris la jurisprudence et la doctrine).

[56] Cependant, le recueil des défendeurs n’était pas conforme à ma directive; il contenait des arguments nouveaux et des documents nouveaux. En outre, j’avais autorisé dans ma directive qu’un résumé de deux pages de l’argumentation soit fourni, mais les défendeurs ont déposé un résumé de quatre pages à simple interligne – non conforme à l’article 65 des Règles et à ma directive –, lequel était trois fois plus long que ce qui avait été autorisé. Cette entorse a donné lieu à une objection justifiée de la part des demanderesses. J’ai donné une autre directive autorisant les défendeurs à déposer leur recueil à nouveau – mais uniquement si une attestation de conformité émanant des avocats des défendeurs y était jointe, laquelle a été fournie subséquemment. Les défendeurs ont fait valoir que j’avais permis que les demanderesses déposent un recueil non conforme. J’ai refusé d’aller plus loin dans les échanges après l’audience.

III. Les questions en litige

[57] Selon les demanderesses, les questions en litige sont les suivantes :

  1. Comment la Cour devrait-elle statuer sur les faits?

  2. Y a‐t‐il eu contravention à la LEPN ou au REPN?

  3. L’élection devrait-elle être invalidée?

  4. Quel montant de dépens, le cas échéant, devrait être accordé à la partie qui obtient gain de cause?

[58] Selon les défendeurs, les questions en litige sont les suivantes :

  1. Y a‐t‐il eu contravention à la LEPN ou au REPN?

  2. L’élection devrait-elle être invalidée?

[59] À mon humble avis, deux questions se posent en l’espèce :

  1. Les demanderesses se sont-elles acquittées de leur fardeau d’établir qu’il y a eu contravention à la LEPN et au REPN et, dans l’affirmative, la contravention a‐t‐elle vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection?

  2. L’élection a‐t‐elle été compromise par une fraude électorale grave de sorte que l’intégrité du processus électoral est en cause et qu’une annulation est justifiée quel que soit le nombre prouvé de votes invalides, comme c’est le cas lorsqu’il existe une raison sérieuse de croire que les résultats auraient été différents si la fraude n’avait pas été commise ou lorsqu’un candidat ou son agent officiel a participé à la fraude (Papequash c Brass, 2018 CF 325 [le juge Barnes] aux para 34-36, McEwing c Canada (Procureur général), 2013 CF 525 [le juge Mosley] aux para 81-82, Gadwa c Kehewin Première Nation, 2016 CF 597 [la juge Strickland] au para 88.

[60] Cela dit, les demanderesses ont certes établi qu’il y avait eu contravention à la LEPN, mais la contravention n’a, en aucun cas, vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection. Par conséquent, la réponse à la première question est « Non ». Il ne reste qu’à trancher la deuxième question et les présents motifs y répondent essentiellement.

IV. Le droit applicable

A. Les dispositions pertinentes de la Loi sur les élections au sein des premières nations, LC 2014, c 5 [la LEPN]

[61] Les articles 30, 31 et 35 de la LEPN portent sur la contestation d’une élection :

Mode de contestation

Means of contestation

30 La validité de l’élection du chef ou d’un conseiller d’une première nation participante ne peut être contestée que sous le régime des articles 31 à 35.

30 The validity of the election of the chief or a councillor of a participating First Nation may be contested only in accordance with sections 31 to 35.

Contestation

Contestation of election

31 Tout électeur d’une première nation participante peut, par requête, contester devant le tribunal compétent l’élection du chef ou d’un conseiller de cette première nation pour le motif qu’une contravention à l’une des dispositions de la présente loi ou des règlements a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection.

31 An elector of a participating First Nation may, by application to a competent court, contest the election of the chief or a councillor of that First Nation on the ground that a contravention of a provision of this Act or the regulations is likely to have affected the result.

[...]

...

Décision du tribunal

Court may set aside election

35 (1) Au terme de l’audition, le tribunal peut, si le motif visé à l’article 31 est établi, invalider l’élection contestée.

35 (1) After hearing the application, the court may, if the ground referred to in section 31 is established, set aside the contested election.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added]

[62] Les articles 16 et 17 de la LEPN énoncent les « interdictions », c’est-à-dire, les activités qui constituent une « contravention » à la LEPN, mais je tiens à souligner qu’il pourrait y avoir eu d’autres contraventions à des dispositions de la LEPN :

Interdictions générales

Prohibition — any person

16 Nul ne peut, relativement à une élection :

16 A person must not, in connection with an election,

a) voter ou tenter de voter sachant qu’il est inhabile à voter;

(a) vote or attempt to vote knowing that they are not entitled to vote;

b) inciter une autre personne à voter sachant que celle-ci est inhabile à voter;

(b) attempt to influence another person to vote knowing that the other person is not entitled to do so;

c) faire sciemment usage d’un faux bulletin de vote;

(c) knowingly use a forged ballot;

d) déposer dans une urne un bulletin de vote sachant qu’il n’y est pas autorisé par règlement;

(d) put a ballot into a ballot box knowing that they are not authorized to do so under the regulations;

e) par intimidation ou par la contrainte, inciter une autre personne à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné;

(e) by intimidation or duress, attempt to influence another person to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate; or

f) offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(f) offer money, goods, employment or other valuable consideration in an attempt to influence an elector to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

Interdictions visant l’électeur

Prohibition — elector

17 Nul électeur ne peut, relativement à une élection :

17 An elector must not, in connection with an election,

a) voter intentionnellement plus d’une fois à l’égard de chacun des postes de chef ou de conseiller;

(a) intentionally vote more than once in respect of any given position of chief or councillor; or

b) accepter ou convenir d’accepter de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable pour voter ou s’abstenir de voter, ou encore pour voter ou s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(b) accept or agree to accept money, goods, employment or other valuable consideration to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

B. Les dispositions pertinentes du Règlement sur les élections au sein de premières nations, DORS/2015-86 [le REPN]

[63] Les articles 15 à 17 du REPN permettent aux électeurs de voter par bulletin de vote postal :

Demande de bulletin de vote postal

Mail-in ballot

15 L’électeur qui désire obtenir un bulletin de vote postal présente au président d’élection une demande écrite accompagnée de la copie d’une preuve d’identité.

15 An elector who wants to receive a mail-in ballot must make a written request to the electoral officer that includes a copy of their proof of identity.

Trousse de vote postale

Mail-in ballot package

16 (1) Au plus tard le trentième jour avant l’élection, le président d’élection envoie par la poste à l’électeur qui en a fait la demande écrite une trousse comprenant les éléments suivants :

16 (1) No later than 30 days before the day on which the election is to be held, the electoral officer must mail to every elector who has made a written request a mail-in ballot package consisting of

a) un bulletin de vote portant au verso les initiales du président d’élection ou du président d’élection adjoint;

(a) a ballot, initialed on the back by the electoral officer or deputy electoral officer;

b) une enveloppe-réponse adressée au président d’élection et, si l’adresse de l’électeur se trouve au Canada, affranchie;

(b) an outer return envelope that is pre-addressed to the electoral officer and, if the elector’s address is in Canada, is postage-paid;

c) une enveloppe intérieure portant la mention « bulletin de vote » dans laquelle doit être inséré le bulletin de vote rempli;

(c) an inner envelope marked “Ballot” for insertion of the completed ballot;

d) un formulaire de déclaration d’identité;

(d) a voter declaration form;

e) les instructions relatives au vote par bulletin de vote postal;

(e) instructions regarding voting by mail-in ballot;

f) l’avis visé à l’article 14;

(f) the notice set out in section 14;

g) une mention indiquant que l’électeur peut, au lieu de voter par bulletin de vote postal, voter en personne à un bureau de vote le jour de l’élection ou à un bureau de vote par anticipation, le cas échéant, dans les cas suivants :

(g) a statement that the elector may vote in person at a polling station on the day of the election, or at an advance polling station if applicable, in lieu of voting by mail-in ballot, if

(i) il retourne son bulletin de vote postal inutilisé au président d’élection ou au président d’élection adjoint,

(i) they return the unused mail-in ballot to the electoral officer or deputy electoral officer, or

(ii) il fournit au président d’élection ou au président d’élection adjoint une déclaration sous serment indiquant qu’il a perdu son bulletin de vote postal;

(ii) they provide the electoral officer or deputy electoral officer with a sworn affidavit stating that they have lost their mail-in ballot; and

h) le cas échéant, une liste mentionnant le nom des candidats élus par acclamation.

(h) a list of the names of any candidates who were elected by acclamation.

Délai de réception

Six or more days before election

(2) Si l’électeur soumet une demande écrite de bulletin de vote postal six jours ou plus avant la date de l’élection, le président d’élection lui envoie la trousse par la poste ou la lui remet à l’heure et au lieu convenus, et ce, dans les plus brefs délais après la réception de la demande.

(2) If an elector makes a written request for a mail-in ballot six or more days before the day on which the election is to be held, the electoral officer must mail, or deliver at an agreed time and place, a mail-in ballot package to the elector as soon as feasible after receipt of the request.

Registre

Voters list

(3) Le président d’élection note, en regard du nom de l’électeur sur la liste des électeurs, qu’une trousse lui a été envoyée par la poste ou remise et tient un registre de l’adresse et de la date de l’envoi ou de la remise.

(3) The electoral officer must indicate on the voters list, next to the name of each elector to whom a mail-in ballot package was mailed or delivered, that a package has been provided to that elector and keep a record of the date on which, and the address to which, each package was mailed or delivered.

[...]

...

Vote par la poste

Mail-in ballot

17 (1) L’électeur qui vote par bulletin de vote postal :

17 (1) An elector may vote by mail-in ballot by

a) marque son bulletin, en regard du nom des candidats pour qui il souhaite voter, en apposant une croix, un crochet ou toute autre marque qui indique clairement son choix mais ne permet pas de;

(a) marking the ballot with a cross, check mark or other mark that clearly indicates the elector’s choice, but does not identify the elector, next to the name of the candidates for whom they intend to vote;

b) plie le bulletin de manière à cacher le nom des candidats ainsi que toute marque sans toutefois cacher les initiales qui figurent au verso;

(b) folding the ballot in a manner that conceals the candidates’ names and any marks on the ballot without hiding the initials on the back;

c) insère le bulletin dans l’enveloppe intérieure et cachette l’enveloppe;

(c) placing the ballot in the inner envelope and sealing that envelope;

d) remplit et signe le formulaire de déclaration d’identité;

(d) completing and signing the voter declaration form;

e) insère l’enveloppe intérieure et le formulaire de déclaration d’identité rempli dans l’enveloppe-réponse;

(e) placing the inner envelope and the completed voter declaration form in the outer envelope; and

f) avant la fermeture du scrutin, remet la trousse ou l’envoie par la poste au président d’élection ou au président d’élection adjoint.

(f) delivering or mailing the mail-in ballot package to the electoral officer or deputy electoral officer before the time at which the polls close.

Assistance

Assistance of another person

(2) L’électeur qui est incapable de voter de la manière prévue au paragraphe (1) peut demander l’assistance d’une personne.

(2) If an elector is unable to vote in the manner set out in subsection (1), the elector may enlist the assistance of another person.

Nullité du bulletin de vote

Voided mail-in ballot

(3) Le bulletin de vote postal est nul si le président d’élection ou le président d’élection adjoint n’a pas reçu la trousse avant la fermeture du scrutin.

(3) A mail-in ballot is void if the mail-in ballot package is not received by the electoral officer or deputy electoral officer before the time at which the polls close.

[64] Il importe de savoir que le paragraphe 5(6) du REPN énonce qu’un électeur qui demande l’assistance d’une personne pour remplir un bulletin de vote postal, conformément au paragraphe 17(2) du REPN, doit faire signer son formulaire de déclaration d’identité par un témoin. Je tiens à faire remarquer que tous les bulletins de vote postaux doivent être accompagnés d’un formulaire de déclaration d’identité; celui qui est visé au paragraphe 5(6) exige cette mesure de protection supplémentaire :

Témoin

Witness

(5) Le formulaire de déclaration d’identité contient le nom, l’adresse, le numéro de téléphone et la signature d’un témoin âgé d’au moins dix-huit ans attestant que la personne qui a rempli et signé le formulaire de déclaration d’identité est celle dont le nom figure sur le formulaire.

(5) A voter declaration form must contain the name, address, telephone number and signature of a witness who is at least 18 years of age and who attests to the fact that the person completing and signing the voter declaration form is the person whose name is set out in the form.

Témoin d’une personne incapable

Witness

5(6) Dans le cas d’une personne qui demande l’assistance d’une personne pour voter en vertu du paragraphe 17(2), la déclaration d’identité de l’électeur est signée par un témoin qui atteste que le bulletin de vote a été marqué selon les instructions de l’électeur et que cet électeur est celui dont le nom figure sur le formulaire.

(6) The voter declaration form of the elector who enlisted the assistance of another person under subsection 17(2) must be signed by a witness that attests to the fact that the elector is the person whose name is set out in the form and that the ballot was marked in the manner directed by the elector.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added]

C. La jurisprudence

[65] Dans leurs mémoires respectifs, les parties se sont entendues en général sur le droit applicable et ont renvoyé à des décisions, dont la décision de principe Papequash c Brass, 2018 CF 325 [Papequash CF], rendue par le juge Barnes. Je la qualifie de décision de principe parce que la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel interjeté à l’encontre de la décision Papequash CF après avoir conclu que le juge Barnes avait « dûment appliqué la jurisprudence ». Par conséquent, je reproduis ci-après un extrait des motifs de la décision Papequash CF :

XIV. Dispositions législatives applicables

[32] Les demandeurs contestent l’élection au sein de la bande de la Première Nation Key tenue le 1er octobre 2016 en application de l’article 31 et du paragraphe 35(1) de la Loi sur les élections au sein de premières nations, précitée. Ces dispositions autorisent la Cour à annuler une élection au sein d’une bande si des éléments satisfaisants prouvent qu’un manquement à la Loi ou au Règlement est susceptible d’avoir influé sur le résultat de l’élection. Les points suivants font partie des interdictions qui sont énumérées à l’article 16 de la Loi :

16 Nul ne peut, relativement à une élection :

16 A person must not, in connection with an election,

a) voter ou tenter de voter sachant qu’il est inhabile à voter;

(a) vote or attempt to vote knowing that they are not entitled to vote;

b) inciter une autre personne à voter sachant que celle-ci est inhabile à voter;

(b) attempt to influence another person to vote knowing that the other person is not entitled to do so;

c) faire sciemment usage d’un faux bulletin de vote;

(c) knowingly use a forged ballot;

d) déposer dans une urne un bulletin de vote sachant qu’il n’y est pas autorisé par règlement;

(d) put a ballot into a ballot box knowing that they are not authorized to do so under the regulations;

e) par intimidation ou par la contrainte, inciter une autre personne à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné;

(e) by intimidation or duress, attempt to influence another person to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate; or

f) offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(f) offer money, goods, employment or other valuable consideration in an attempt to influence an elector to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

[Je souligne]

[Emphasis added]

[33] Les demandeurs assument le fardeau de la preuve qui nécessite d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’un manquement à la Loi susceptible d’avoir influé sur le résultat de l’élection a eu lieu : voir McNabb c Cyr, 2017 SKCA 27, au paragraphe 36, [2017] SJ no 132. Lorsque des éléments suffisants prouvant la corruption ont été présentés, le fardeau de la preuve peut être transféré aux défendeurs.

[34] Ce ne sont pas tous les manquements à la Loi ou au Règlement qui justifient l’annulation d’une élection au sein d’une bande. Il n’est pas rare qu’une distinction soit faite entre les affaires comportant des irrégularités de forme et celles qui traitent de fraude ou de corruption. Dans la première situation, il est possible qu’une approche mathématique prudente (p. ex. le critère du nombre magique inversé) soit nécessaire pour établir la probabilité d’un résultat différent. Cependant, lorsque le résultat d’une élection a été faussé par une fraude au point de remettre en question l’intégrité du processus électoral, une annulation peut être justifiée, peu importe le nombre de votes valides prouvé. L’une des raisons de l’adoption d’une approche plus rigoureuse en cas de corruption électorale est qu’il pourrait être impossible de confirmer l’ampleur exacte de l’inconduite, ou il se peut que la conduite soit mal interprétée. Cela est particulièrement vrai lorsque des allégations d’achat de votes sont soulevées et lorsque les deux parties à l’opération sont coupables et ont souvent tendance à agir secrètement : voir Gadwa c Kehewin First Nation, 2016 CF 597, [2016] ACF no 569 (QL).

[35] Dans Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55, 351 DLR (4th) 579, la Cour a examiné le libellé dans la Loi électorale du Canada (LC 2000, c 9) qui est très semblable à celui de l’article 31 de la Loi sur les élections au sein de premières nations, précitée. En décrivant le fondement de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour dans les affaires qui concernent des irrégularités de forme ou la fraude, voici ce que la Cour avait à dire :

[22] Aux termes de ces dispositions, le tribunal doit constater la nullité de l’élection du candidat si le motif visé à l’al. 524(1)a) est établi (inéligibilité du candidat élu). Dans ce cas, c’est comme si aucune élection n’avait eu lieu. En revanche, si c’est le motif visé à l’al. 524(1)b) (irrégularité, fraude, manœuvre frauduleuse ou acte illégal ayant influé sur le résultat de l’élection) qui est établi, le tribunal peut prononcer l’annulation de l’élection. Dans cette situation, le tribunal doit décider si l’élection qui a été tenue a été compromise à un point tel que son annulation est justifiée.

[23] Pour décider s’il y a lieu d’annuler une élection, il faut tenir compte d’une considération importante, soit celle de savoir si le nombre de votes contestés est suffisant pour jeter un doute sur l’identité du véritable vainqueur de l’élection ou si les irrégularités sont telles qu’elles mettent en question l’intégrité du processus électoral. Puisque les électeurs canadiens votent par scrutin secret, cette analyse ne peut porter sur le choix qu’ils ont réellement fait. Si le tribunal est convaincu que le rejet de certains votes laisse planer un doute sur la victoire du candidat élu, il serait déraisonnable que le tribunal n’annule pas l’élection.

[36] Compte tenu de ce qui précède, on ne peut pas vraiment douter de la possibilité qu’une fraude électorale grave puisse fausser le résultat d’une élection. Cependant, il ne faut pas négliger la mise en garde de la Cour selon laquelle une cour de révision se réserve le droit de refuser d’annuler une élection, même dans des cas de fraude ou d’autres formes de corruption. Ce point a été soulevé récemment dans McEwing c Canada (Procureur général), 2013 CF 525, [2013] 4 RCF 63, lorsque le juge Richard Mosley a mentionné ceci :

[81] La réponse à la question de savoir ce qui peut constituer un effet corrosif sur l’intégrité du processus électoral dépendra des faits de chaque affaire. Je ne crois pas que les commentaires que la majorité a formulés au paragraphe 43 de l’arrêt Opitz permettent de dire que la Cour peut annuler le résultat d’une élection dans chaque cas où une fraude, une manœuvre frauduleuse ou un acte illégal a été établi. Dans ce paragraphe, la Cour suprême du Canada a cité Cusimano c Toronto (City), 2011 ONSC 7271, [2011] OJ no 5986 (QL), au paragraphe 62 : [traduction] « Une élection ne sera annulée que lorsque l’irrégularité viole un principe démocratique fondamental ou permet de se demander si le résultat recueilli reflète la volonté des électeurs. »

[82] Au paragraphe 48 de l’arrêt Opitz, la majorité a prévenu que l’annulation d’une élection priverait de leur droit de participer au scrutin non seulement les personnes dont les votes sont rejetés (dans le contexte d’une allégation d’irrégularité), mais également tous les électeurs qui ont voté dans la circonscription. Cela signifie, à mon sens, que la Cour ne devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à annuler une élection que lorsqu’il existe une raison sérieuse de croire que les résultats auraient été différents si la fraude n’avait pas été commise ou lorsqu’un candidat ou son agent officiel a participé à la fraude.

[37] L’observation du juge Mosley voulant qu’en général, il convienne de traiter plus sévèrement la corruption du processus électoral commise par un candidat ou un agent est aussi prise en compte dans le passage suivant de la décision de la juge Cecily Y. Strickland dans Gadwa c Kehewin First Nation, précitée :

[88] Il faut d’abord mentionner qu’un candidat qui tente d’acheter des voix tente en fait de corrompre le processus électoral. Par conséquent, sans égard au nombre de voix que le candidat a acheté ou tenté d’acheter et peu importe si le candidat remporte l’élection avec un plus grand écart que le nombre de voix ayant été acheté, le candidat ne peut être sauvé et son élection demeure viciée. Une fraude, une manœuvre électorale frauduleuse ou un acte illégal sont des inconduites graves (arrêt Opitz, au paragraphe 43).

[38] Ce que l’on peut retenir des autorités pertinentes est que les tentatives par des candidats à une élection ou leurs agents d’acheter le vote des électeurs constituent une pratique insidieuse qui affaiblit et compromet l’intégrité d’un processus électoral.

[Non souligné dans l’original.] [Sic, pour l’ensemble de la citation.]

[66] Comme je l’ai dit, la Cour d’appel fédérale a confirmé dans l’arrêt Rodney Brass c Papequash, 2019 CAF 245 [Papequash CAF], que dans la décision Papequash CF, le juge Barnes avait dûment appliqué la jurisprudence. Le juge Boivin (les juges Webb et Near ont souscrit à ses motifs) s’est exprimé comme suit :

[13] Il convient de souligner que le juge a rigoureusement examiné les affidavits produits, lesquels n’ont, pour la plupart, pas été contestés. Le juge a également tenu compte des dispositions pertinentes de la LEPN et a dûment appliqué la jurisprudence au contexte de l’espèce (Gadwa c. Kehewin Première Nation, 2016 CF 597, [2016] A.C.F no 569 (QL), conf. par 2017 CAF 203; Opitz c. Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55, [2012] 3 R.C.S. 76). Au vu du dossier dont il disposait, le juge pouvait conclure à l’existence d’une « vaste activité d’achat de votes entreprise ouvertement » et décider que « l’inconduite de Rodney Brass, Glen O’Soup, Sidney Keshane et Angela Desjarlais a porté atteinte à l’intégrité des élections au sein de la bande de la Première Nation de Key tenues le 1er octobre 2016 » afin d’ordonner l’annulation de l’élection (motifs du juge, par. 39 et 40).

[Non souligné dans l’original.]

[67] Il convient de souligner qu’une manœuvre frauduleuse commise par un candidat ou son agent officiel dans le cadre d’un processus électoral devrait généralement être traitée plus sévèrement et que l’élection qui en découle peut être annulée (voir Papequash CF, aux para 34 à 38, McEwing c Canada (Procureur général), 2013 CF 525, [2013] 4 RCF 63 [le juge Mosley] au para 81 [McEwing], citée dans Papequash CF, au para 36, et Gadwa c Kehewin Première Nation, 2016 CF 597 [Gadwa] au para 88, citée dans Papequash CF, au para 37). Voici comment s’est exprimé le juge Barnes au paragraphe 34 de la décision Papequash CF : « Cependant, lorsque le résultat d’une élection a été faussé par une fraude au point de remettre en question l’intégrité du processus électoral, une annulation peut être justifiée, peu importe le nombre de votes [in]valides prouvé. » Le juge Barnes a cité la décision Gadwa, tout comme la Cour d’appel fédérale lorsqu’elle a confirmé la décision Papequash CF.

[68] Dans la décision Gadwa, la juge Strickland s’est exprimée comme suit :

[88] Il faut d’abord mentionner qu’un candidat qui tente d’acheter des voix tente en fait de corrompre le processus électoral. Par conséquent, sans égard au nombre de voix que le candidat a acheté ou tenté d’acheter et peu importe si le candidat remporte l’élection avec un plus grand écart que le nombre de voix ayant été acheté, le candidat ne peut être sauvé et son élection demeure viciée. Une fraude, une manœuvre électorale frauduleuse ou un acte illégal sont des inconduites graves (arrêt Opitz, au paragraphe 43).

[Non souligné dans l’original.] [Sic, pour l’ensemble de la citation.]

[69] La Cour d’appel fédérale a également confirmé la décision Gadwa :voir l’arrêt Joly c Gadwa, 2017 CAF 203 [Gadwa CAF], où le juge Rennie (les juges Webb et Boivin ont souscrit à ses motifs) a conclu ce qui suit :

[3] Je rejetterais l’appel pour les motifs formulés par la juge de la Cour fédérale. Aucune erreur n’a été soulevée dans le choix de la norme de contrôle applicable à la décision de la présidente d’élections ou dans l’application de cette norme à la preuve.

[70] Les motifs de la juge McVeigh dans la décision Good c Canada (Procureur général), 2018 CF 1199 [Good], vont dans le même sens. Voir plus particulièrement les paragraphes 54 et 55 :

[47] Le but de la LEPN est de permettre aux collectivités autochtones du Canada de disposer d’autres processus électoraux. Comme cette loi n’a été adoptée qu’assez récemment, elle n’a pas fait l’objet jusqu’à maintenant d’une appréciation très poussée de la part des tribunaux.

[48] Les principes juridiques et l’approche interprétative de la LEPN, de même que les dispositions régissant les comportements interdits lors d’une élection, ont toutefois été examinés dans les jugements Papequash c Brass, 2018 CF 325 (Papequash), Cyr c McNab, 2016 SKQB 357 (Cyr), portée en appel et accueillie en partie dans McNabb c Cyr, 2017 SKCA 27 (McNabb), et Paquachan c Louison, 2017 SKQB 239 (Paquachan).

[49] Les jugements cités précisent le critère prévu par la loi, qui doit être respecté pour invalider une élection, en vertu de l’article 31 et du paragraphe 35(1) de la LEPN. Pour satisfaire à ce critère, la demanderesse doit démontrer qu’une disposition a été violée et que cette violation a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection. Les contraventions qui ne sont pas susceptibles d’en avoir influencé le résultat n’entraîneront pas l’invalidation de cette dernière. La norme de preuve requise pour remplir ce critère est celle de la prépondérance des probabilités (Papequash, au par. 33; McNabb, au par. 36).

[50] Le juge Barnes de la Cour (Papequash) et la Cour d’appel de la Saskatchewan dans McNabb ont également adopté l’approche préconisée par la Cour suprême du Canada à l’égard de la Loi électorale du Canada dans l’arrêt Wrzesnewskyj c Canada (Procureur général), 2012 CSC 55 (sub nomine Opitz c Wrzesnewskyj [Opitz]), au moment d’interpréter la LEPN.

[51] Dans McNabb, la Cour d’appel de la Saskatchewan, citant l’arrêt Opitz, a fait remarquer ce qui suit :

[traduction]
[26] Il ressort clairement des motifs dissidents de la Cour suprême, dans l’arrêt Opitz, que la présomption de régularité se reflète dans le fardeau de la preuve et la charge de présentation qui incombent au demandeur de démontrer qu’une contravention ayant vraisemblablement influé sur le résultat d’une élection a été commise. Reprenant le libellé de la Loi électorale du Canada, la juge en chef McLachlin, s’exprimant au nom de la minorité, a expliqué ce qui suit :

[169] Les résultats électoraux bénéficient d’une « présomption de régularité » : Dewdney Election Case, 1925 CanLII 314 (BC CA), [1925] 3 D.L.R. 770 (C.A.C.‐B.), p. 771. Cette présomption est en accord avec le fait qu’il incombe au requérant d’établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’« irrégularité[s] [...] ayant influé sur le résultat de l’élection » : voir Beamish, par. 39.

[Non souligné dans l’original.]

[52] En interprétant la LEPN selon la décision rendue dans l’arrêt Opitz, les tribunaux ont confirmé qu’un demandeur qui prétend qu’il y a eu violation de la LEPN doit établir une preuve prima facie, après quoi il incombe au défendeur de réfuter cette dernière (Paquachan) :

[traduction]
[23]
Le fardeau de la preuve : Pour faciliter l’application du fardeau de la preuve consistant à déterminer si une contravention à la LEPN a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection, le cadre établi par le juge Rothstein, au paragraphe 61 de l’arrêt Opitz, concernant la Loi électorale du Canada est révélateur. Premièrement, le demandeur doit établir une preuve prima facie d’irrégularité (ou, en l’espèce, de « contravention »), laissant au défendeur la possibilité de réfuter l’allégation de contravention ou de démontrer que la contravention n’a vraisemblablement pas influé sur le résultat de l’élection.

[53] Dans l’arrêt Opitz, les juges majoritaires n’ont examiné que la question des « irrégularités ». Le type de contravention est donc important et pertinent.

[54] Ce ne sont pas toutes les contraventions qui justifient de procéder à l’invalidation de l’élection. Tel qu’il a été mentionné au paragraphe 34 du jugement Papequash, dans les causes impliquant des questions procédurales de nature technique, une approche mathématique prudente, comme le critère du « nombre magique inversé », peut être adoptée pour établir la probabilité qu’un résultat différent soit obtenu. Par ailleurs, dans les cas où des allégations de fraude ont été formulées, une annulation « peut être justifiée, peu importe le nombre de votes valides prouvé ». Au paragraphe 34 du jugement Papequash, le juge Barnes a soutenu que cette dernière situation s’avère « particulièrement vrai[e] lorsque des allégations d’achat de votes sont soulevées [...] ».

[55] Compte tenu de l’examen effectué par le juge Barnes et la Cour d’appel de la Saskatchewan, il convient également de se rappeler que la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire d’invalider des élections, même dans les cas entachés de fraude ou d’autres formes de corruption. Dans l’arrêt Opitz, par exemple, les juges majoritaires ont déclaré que l’annulation d’une élection priverait de leur droit de vote non seulement les électeurs dont le vote a été rejeté, mais aussi tous les électeurs ayant voté. Par conséquent, en supposant que le critère à deux volets requis pour démontrer qu’il y a eu contravention à la LEPN ait été rempli, la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire avec circonspection avant d’invalider une élection.

[Non souligné dans l’original.] [Sic, pour l’ensemble de la citation.]

[71] Dans la décision Papequash CF, le juge Barnes a conclu que la Cour a le pouvoir d’annuler une élection lorsqu’il y a eu manœuvre frauduleuse et fraude dans une affaire où l’élection est contestée sous le régime de la LEPN parce que le libellé de la Loi électorale du Canada, LC 2000, c 9 [la LEC], « est très semblable » à celui de l’article 31 de la LEPN. Le juge Barnes cite l’arrêt Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55 [Opitz], où les juges Rothstein et Moldaver (au nom des juges majoritaires) ont examiné le libellé de la LEC :

[19] La partie 20 de la Loi porte sur la contestation d’une élection. Voici ce que prévoit le par. (1) de l’art. 524 :

524. (1) Tout électeur qui était habile à voter dans une circonscription et tout candidat dans celle-ci peuvent, par requête, contester devant le tribunal compétent l’élection qui y a été tenue pour les motifs suivants :

a) inéligibilité du candidat élu au titre de l’article 65;

b) irrégularité, fraude, manœuvre frauduleuse ou acte illégal ayant influé sur le résultat de l’élection.

[20] La réparation que le tribunal peut accorder figure au par. 531(2) :

531. [...]

(2) Au terme de l’audition, [le tribunal] peut rejeter la requête; si les motifs sont établis et selon qu’il s’agit d’une requête fondée sur les alinéas 524(1)a) ou b), il doit constater la nullité de l’élection du candidat ou il peut prononcer son annulation.

L’emploi des mots « selon qu’il s’agit » indique que le tribunal doit constater la nullité de l’élection du candidat si le motif visé à l’al. 524(1)a) est établi; il peut prononcer son annulation si le motif visé à l’al. 524(1)b) est établi. À l’inverse, le tribunal ne peut prononcer l’annulation d’une élection que si le motif visé à l’al. 524(1)b) est établi.

[21] Cette interprétation est confirmée par la version anglaise de la Loi :

531. [...]

(2) After hearing the application, the court may dismiss it if the grounds referred to in paragraph 524(1)a) or b), as the case may be, are not established and, where they are established, shall declare the election null and void or may annul the election, respectively.

[22] Aux termes de ces dispositions, le tribunal doit constater la nullité de l’élection du candidat si le motif visé à l’al. 524(1)a) est établi (inéligibilité du candidat élu). Dans ce cas, c’est comme si aucune élection n’avait eu lieu. En revanche, si c’est le motif visé à l’al. 524(1)b) (irrégularité, fraude, manœuvre frauduleuse ou acte illégal ayant influé sur le résultat de l’élection) qui est établi, le tribunal peut prononcer l’annulation de l’élection. Dans cette situation, le tribunal doit décider si l’élection qui a été tenue a été compromise à un point tel que son annulation est justifiée.

[23] Pour décider s’il y a lieu d’annuler une élection, il faut tenir compte d’une considération importante, soit celle de savoir si le nombre de votes contestés est suffisant pour jeter un doute sur l’identité du véritable vainqueur de l’élection ou si les irrégularités sont telles qu’elles mettent en question l’intégrité du processus électoral. Puisque les électeurs canadiens votent par scrutin secret, cette analyse ne peut porter sur le choix qu’ils ont réellement fait. Si le tribunal est convaincu que le rejet de certains votes laisse planer un doute sur la victoire du candidat élu, il serait déraisonnable que le tribunal n’annule pas l’élection.

[Souligné dans l’original.]

[72] À titre de comparaison, l’article 31 de la LEPN dispose :

Contestation

Contestation of election

31 Tout électeur d’une première nation participante peut, par requête, contester devant le tribunal compétent l’élection du chef ou d’un conseiller de cette première nation pour le motif qu’une contravention à l’une des dispositions de la présente loi ou des règlements a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection.

31 An elector of a participating First Nation may, by application to a competent court, contest the election of the chief or a councillor of that First Nation on the ground that a contravention of a provision of this Act or the regulations is likely to have affected the result.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added]

[73] Dans la décision Good, la juge McVeigh a reconnu que dans l’arrêt Opitz, les juges majoritaires n’avaient examiné que la question des « irrégularités ». La Cour suprême a toutefois fait les remarques suivantes au paragraphe 43 de cet arrêt :

[43] Les termes « irrégularité, fraude, manœuvre frauduleuse ou acte illégal » ont pour dénominateur commun la gravité de la conduite et ses répercussions sur l’intégrité du processus électoral. Une fraude, une manœuvre frauduleuse ou un acte illégal sont des inconduites graves. Ce sont des inconduites qui ébranlent le processus électoral. Quand il a associé le terme « irrégularité » à ces mots, le législateur avait forcément à l’esprit les erreurs administratives graves qui peuvent miner l’intégrité du processus électoral. (Voir Cusimano c. Toronto (City), 2011 ONSC 7271, 287 O.A.C. 355, par. 62.)

[Non souligné dans l’original.]

[74] La juge Strickland s’est appuyée sur ces remarques pour dire au paragraphe 88 de la décision Gadwa :

[88] Il faut d’abord mentionner qu’un candidat qui tente d’acheter des voix tente en fait de corrompre le processus électoral. Par conséquent, sans égard au nombre de voix que le candidat a acheté ou tenté d’acheter et peu importe si le candidat remporte l’élection avec un plus grand écart que le nombre de voix ayant été acheté, le candidat ne peut être sauvé et son élection demeure viciée. Une fraude, une manœuvre électorale frauduleuse ou un acte illégal sont des inconduites graves (arrêt Opitz, au paragraphe 43).

[Non souligné dans l’original.] [Sic, pour l’ensemble de la citation.]

1) En bref

[75] L’article 31 de la LEPN exige que le demandeur établisse selon la prépondérance des probabilités (1) qu’une contravention à une disposition de la LEPN ou des règlements a été commise, et (2) que la contravention « a vraisemblablement influé sur le résultat » de l’élection. Dans ce cas, la Cour peut invalider l’élection conformément à l’article 35.

[76] Le « critère du nombre magique » énoncé dans l’arrêt Opitz est appliqué pour savoir si une contravention a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection et si le résultat de l’élection devrait être annulé. Voici comment la Cour suprême explique ce critère aux paragraphes 71 à 73 de l’arrêt Opitz :

71 Jusqu’à maintenant, les tribunaux ont utilisé exclusivement le critère du « nombre magique » énoncé dans O’Brien (p. 93) pour trancher les requêtes en contestation d’élection. Selon ce critère, il faut annuler l’élection si le nombre de votes rejetés égale ou dépasse la majorité du vainqueur (Blanchard, p. 320).

72 Le critère du « nombre magique » est simple. Toutefois, par sa nature, il favorise le requérant. Il suppose que tous les votes rejetés étaient pour le candidat élu, ce qui est en fait très peu probable. Aucun autre critère n’a cependant été élaboré. En l’espèce, on n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui d’une quelconque formule statistique qui serait fiable et qui ne compromettrait pas le caractère confidentiel du scrutin.

73 Nous aurons donc recours au critère du nombre magique pour les besoins de la présente requête. L’élection doit être annulée si le nombre de votes rejetés est égal ou supérieur à la majorité du candidat élu. Par contre, nous n’écartons pas la possibilité qu’un tribunal adopte à l’avenir une méthode plus réaliste pour trancher les requêtes en contestation d’élection.

[Non souligné dans l’original.]

[77] Les contraventions qui n’auront pas vraisemblablement influé sur le résultat n’entraîneront généralement pas l’invalidation de l’élection (Papequash CF, le juge Barnes, au para 33; Good, la juge McVeigh, au para 49, et McNabb v Cyr, 2017 SKCA 27, les juges Jackson, Caldwell et Whitmore, au para 36).

[78] Il importe de souligner que la Cour et les cours supérieures ont le pouvoir discrétionnaire d’annuler l’élection d’un chef ou d’un conseiller en cas de fraude électorale grave, et surtout lorsqu’un candidat ou son agent officiel a participé à la fraude. (Voir McEwing, aux para 81 et 82, citée dans Papequash CF, au para 36. Voir également Good, aux para 54 et 55; Opitz, au para 43; McNabb, au para 45.)

[79] La présente affaire porte sur l’achat de votes dans le contexte de bulletins de vote postaux. La plupart des électeurs ont voté par la poste; l’élection a été tenue pendant la pandémie de COVID-19. L’achat de votes en l’espèce a eu lieu à chacune des deux étapes du processus applicable aux bulletins de vote postaux. À la première étape, l’électeur présente une demande officielle pour obtenir un bulletin de vote postal et fournit une preuve d’identité. Si la demande est approuvée par le président d’élection, la deuxième étape consiste à envoyer à l’électeur une trousse comportant un bulletin de vote postal en blanc : ce bulletin de vote doit être marqué, placé dans une enveloppe scellée, laquelle est envoyée par la poste ou remise dans une autre enveloppe au président d’élection avec le formulaire de déclaration d’identité signé.

[80] À mon avis, participer directement à l’offre ou à l’achat d’une demande de bulletin de vote postal ou d’un bulletin de vote postal et/ou d’un formulaire de déclaration d’identité constitue, dans tous les cas, un acte de fraude électorale grave (Papequash CF, au para 34, et Gadwa, au para 88). À cet égard, le juge Mosley a fait les remarques suivantes au paragraphe 69 de la décision McEwing, s’agissant de la définition de fraude électorale : « [T]out fait ou geste visé par la définition du mot fraude figurant au dictionnaire constituerait une fraude électorale s’il allait à l’encontre d’une disposition de la Loi électorale du Canada ou s’il a permis de contourner un processus prévu dans cette Loi. » En outre, suivant son sens ordinaire, le terme « fraude » signifie [traduction] « un acte ou un cas de tromperie, une ruse qui fait en sorte de porter atteinte aux droits ou intérêts d’autrui, un stratagème malhonnête » (Oxford English Dictionary (le 28 février 2022), sub verbo « fraud » ([traduction] « fraude »), en ligne à l’adresse suivante : <https://www.oed.com/view/Entry/74298?rskey=HGrc2W&result=1#eid>); ainsi qu’une [traduction] « déformation délibérée de la vérité afin d’inciter autrui à se départir d’un bien de valeur ou à renoncer à un droit légal » Merriam-Webster.com Dictionary (le 24 février 2022) sub verbo « fraud » ([traduction] « fraude »), en ligne à l’adresse suivante : <https://www.merriam-webster.com/dictionary/fraud>).

2) Les défendeurs ont modifié leur thèse lors de leur plaidoirie

[81] Dans leur mémoire, les défendeurs souscrivaient largement à la thèse des demanderesses sur la double réparation prévue par la LEPN : soit l’invalidation de l’élection lorsqu’une contravention a vraisemblablement influé sur le résultat, soit l’annulation de l’élection. Voir, par exemple, le paragraphe 102 de leur mémoire :

[traduction]

102. Voici les précédents faisant autorité qui s’appliquent aux demandes présentées en vertu de la LEPN en vue de contester les élections des Premières Nations en Saskatchewan : l’arrêt McNabb v Cyr, 2017 SKCA 27, de la Cour d’appel de la Saskatchewan; la décision Paquachan v Louison, 2017 SKQB 239, de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan; et les décisions Good c Canada (Procureur général), 2018 CF 1199, et Papequash c Brass, 2018 CF 325, de la Cour fédérale du Canada. Toutes ces décisions citent avec approbation la décision McEwing c Canada (Procureur général), 2013 CF 525, et l’arrêt Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55 (CanLII), [2012] 3 RCS 76, de la Cour suprême du Canada.

[82] Le résumé du droit applicable des défendeurs, notamment aux points 3 à 7 du paragraphe 111 de leur mémoire, concorde également avec les observations des demanderesses :

[traduction]

  • 1)Il incombe au demandeur d’établir, selon la prépondérance des probabilités :

  • a)qu’il y a eu « contravention » au processus électoral, à la LEPN ou au Règlement;

  • b)que la contravention a influé sur le résultat de l’élection.

  • 2)Si ces conditions sont remplies, les défendeurs peuvent dans ce cas :

  • a)soit réfuter l’existence de cette contravention;

  • b)soit, si l’existence de la contravention n’est pas réfutée, établir que cette contravention n’a pas influé sur le calcul des résultats de l’élection.

  • 3)Les « contraventions » dont l’existence est établie, mais non réfutée, n’entraîneront pas toutes l’annulation de l’élection. Le « critère du nombre magique inversé » constituera le critère à appliquer pour déterminer la mesure dans laquelle le résultat de l’élection aura été faussé et savoir si l’élection devrait être annulée. Voir Opitz, au para 23 :

« 23. Pour décider s’il y a lieu d’annuler une élection, il faut tenir compte d’une considération importante, soit celle de savoir si le nombre de votes contestés est suffisant pour jeter un doute sur l’identité du véritable vainqueur de l’élection ou si les irrégularités sont telles qu’elles mettent en question l’intégrité du processus électoral. Puisque les électeurs canadiens votent par scrutin secret, cette analyse ne peut porter sur le choix qu’ils ont réellement fait. Si le tribunal est convaincu que le rejet de certains votes laisse planer un doute sur la victoire du candidat élu, il serait déraisonnable que le tribunal n’annule pas l’élection. »

  • 4)Dans les affaires concernant la fraude ou d’autres formes de manœuvres frauduleuses, l’annulation de l’élection « peut être justifiée, peu importe le nombre de votes [in]valides prouvé », surtout dans les affaires où les allégations d’achat de votes sont prouvées. (Voir Good, au para 54, et Gadwa.)

  • 5)En toutes circonstances, le tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire de refuser d’annuler une élection, même dans les situations de fraude ou d’autres formes de manœuvres frauduleuses. (Voir Good, au para 55.)

  • 6)Dans ces affaires, le tribunal doit tenir compte d’un aspect essentiel, à savoir le fait que l’annulation de l’élection priverait de leur droit de vote non seulement les électeurs dont le vote est rejeté, mais aussi tous ceux qui ont voté légitimement. Par conséquent, le critère supplémentaire énoncé au paragraphe 39 de la décision Papequash s’applique.

  • 7)Le tribunal doit tenir compte du critère énoncé dans la décision McEwing et pondérer les manœuvres frauduleuses ou les autres « contraventions » dont l’existence est établie dans les circonstances par rapport à l’existence d’un « effet corrosif » découlant d’une manœuvre frauduleuse qui « viole un principe démocratique fondamental ou permet de se demander si le résultat recueilli reflète la volonté des électeurs ».

[En caractère gras dans l’original.]

[Non souligné dans l’original.]

[83] Toutefois, les avocats des défendeurs ont adopté une approche différente au début de leur plaidoirie. La veille, ils avaient déposé un document d’une page comportant une liste détaillée de la jurisprudence et de la doctrine.

[84] Lors de leur plaidoirie, les défendeurs ont fait valoir que la LEPN conférait au tribunal le pouvoir d’invalider l’élection uniquement lorsqu’était établie l’existence d’une contravention à la LEPN qui a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection. À leur avis, il s’agissait de la seule question que la Cour devait trancher, leur argument étant pour l’essentiel que la Cour n’avait pas le pouvoir d’annuler l’élection si la fraude électorale grave n’avait pas influé sur son résultat.

[85] Avec égards, ils semblaient donc soutenir que le juge Barnes, dans la décision Papequash CF, le juge Mosley, dans la décision McEwing, la juge Strickland, dans la décision Gadwa et la juge McVeigh, dans la décision Good, avaient commis une erreur, tout comme la Cour d’appel fédérale lorsqu’elle a dit que le juge Barnes avait « tenu compte des dispositions pertinentes de la LEPN et a[vait] dûment appliqué la jurisprudence au contexte de l’espèce (Gadwa c. Kehewin Première Nation, 2016 CF 597, [2016] A.C.F. no 569 (QL), conf. par 2017 CAF 203; Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55, [2012] 3 R.C.S. 76) ».

[86] Selon les défendeurs, pour contester la conduite d’un chef ou d’un conseiller qui a fait en sorte que le critère du nombre magique n’a pas été respecté – c’est‐à‐dire, si le nombre de votes qui en découle n’a vraisemblablement pas influé sur le résultat –, il faut chercher à faire déclarer le candidat coupable d’une accusation criminelle visée aux articles 16 et 17 ou à une autre disposition de la LEPN.

[87] Incidemment, cela peut vouloir dire qu’une plainte doit être déposée à la police, et que les policiers, dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, mènent ensuite une enquête, puis qu’ils décident, aussi dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, de porter des accusations criminelles. Un poursuivant devrait ensuite décider d’intenter des poursuites, cette décision étant aussi de nature discrétionnaire. Un procès au criminel pourrait ensuite être tenu ou – dans une affaire impliquant plusieurs contrevenants (comme, peut‐être, dans la présente affaire) – plusieurs procès distincts pourraient avoir lieu devant différents juges à des dates différentes. Les poursuites peuvent être engagées par procédure sommaire ou par voie de mise en accusation (plusieurs infractions sont mixtes, suivant le paragraphe 39(1) de la LEPN), lesquelles entraînent des voies d’appel différentes.

[88] Ce nouvel argument renvoie à des éléments généralement examinés à l’audience, à savoir le principe de courtoisie entre les juges de la Cour, le principe du stare decisis qui oblige la Cour à suivre les arrêts de la Cour d’appel fédérale (et de la Cour suprême du Canada en ce sens que l’arrêt Opitz s’applique), et la question de savoir si le législateur voulait qu’un chef ou qu’un conseiller élu soit, en toute impunité, mis à l’abri de l’invalidation de l’élection au titre de la LEPN s’il a contrevenu à ses dispositions, mais que la contravention n’a pas vraisemblablement influé sur le résultat. Selon ce que j’ai compris, la réponse des défendeurs à ces préoccupations a été de renvoyer au dépôt d’accusations criminelles relativement aux contraventions.

[89] Selon les défendeurs, cette interprétation aurait dû être proposée au juge Barnes dans l’affaire Papequash CF ainsi qu’à la Cour d’appel fédérale, mais elle ne l’a pas été. À leur avis, des avocats [traduction] « très subalternes » étaient responsables de l’affaire Papequash CF devant les deux instances. Les défendeurs se sont fondés sur la transcription de l’audience devant la Cour fédérale pour établir que leur nouvel argument n’avait pas été soulevé devant le juge Barnes. Je ne les ai pas entendus donner la raison pour laquelle la juge Strickland, dans l’affaire Gadwa, et la juge McVeigh, dans l’affaire Good, n’avaient pas examiné cet argument ou ne l’avait pas retenu.

[90] Interrogés à cet égard, les défendeurs ont convenu que le juge Barnes, dans l’affaire Papequash CF, était d’avis qu’il avait le pouvoir d’annuler l’élection qui relevait de la LEPN parce que l’article 31 de cette loi était « très semblable » aux dispositions (article 524) de la LEC examinées dans l’arrêt dans Opitz.

[91] À cet égard, voici comment la Cour s’est exprimée dans la décision Papequash CF :

[35] Dans Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55, 351 DLR (4th) 579, la Cour a examiné le libellé dans la Loi électorale du Canada (LC 2000, c 9) qui est très semblable à celui de l’article 31 de la Loi sur les élections au sein de premières nations, précitée. En décrivant le fondement de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour dans les affaires qui concernent des irrégularités de forme ou la fraude, voici ce que la Cour avait à dire :

[22] Aux termes de ces dispositions, le tribunal doit constater la nullité de l’élection du candidat si le motif visé à l’al. 524(1)a) est établi (inéligibilité du candidat élu). Dans ce cas, c’est comme si aucune élection n’avait eu lieu. En revanche, si c’est le motif visé à l’al. 524(1)b) (irrégularité, fraude, manœuvre frauduleuse ou acte illégal ayant influé sur le résultat de l’élection) qui est établi, le tribunal peut prononcer l’annulation de l’élection. Dans cette situation, le tribunal doit décider si l’élection qui a été tenue a été compromise à un point tel que son annulation est justifiée.

[23] Pour décider s’il y a lieu d’annuler une élection, il faut tenir compte d’une considération importante, soit celle de savoir si le nombre de votes contestés est suffisant pour jeter un doute sur l’identité du véritable vainqueur de l’élection ou si les irrégularités sont telles qu’elles mettent en question l’intégrité du processus électoral. Puisque les électeurs canadiens votent par scrutin secret, cette analyse ne peut porter sur le choix qu’ils ont réellement fait. Si le tribunal est convaincu que le rejet de certains votes laisse planer un doute sur la victoire du candidat élu, il serait déraisonnable que le tribunal n’annule pas l’élection.

[36] Compte tenu de ce qui précède, on ne peut pas vraiment douter de la possibilité qu’une fraude électorale grave puisse fausser le résultat d’une élection.

[Non souligné dans l’original.]

[92] En toute déférence, je ne crois pas qu’il faille examiner le nouvel argument des défendeurs. D’une part, la Cour ne devrait pas tenir compte de nouveaux arguments importants présentés à la dernière minute. La Cour et les parties adverses ont le droit de répondre à une contestation fondée sur des actes de procédures qui exposent de manière exacte leurs thèses. L’avis de demande sous‐jacent a été signifié aux défendeurs le 17 avril 2020. Ils ont eu amplement le temps de dûment élaborer leurs arguments et de les présenter. Certes, les arguments fondamentaux peuvent être étoffés, mais les défendeurs ont changé leur fusil d’épaule : dans leur plaidoirie, ils contredisaient leurs arguments écrits.

[93] Qui plus est, le principe de la courtoisie oblige la Cour à adhérer au principe de droit selon lequel, en plus d’invalider une élection lorsqu’un candidat a contrevenu à la LEPN et que cette contravention a vraisemblablement influé sur son résultat, la Cour dispose du pouvoir discrétionnaire d’annuler une élection si « le résultat d’une élection a été faussé par une fraude au point de remettre en question l’intégrité du processus électoral ». Par conséquent, « une annulation peut être justifiée, peu importe le nombre de votes [in]valides prouvés », surtout lorsque le candidat ou son agent officiel a participé à la fraude, comme l’ont dit le juge Barnes, dans la décision Papequash CF, aux para 34-36, le juge Mosley, dans la décision McEwing, aux para 81-82, la juge Strickland, dans la décision Gadwa, au para 88, et la juge McVeigh, dans la décision Good.

[94] Aux paragraphes 17 et 18 de la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 956, le juge Harrington fait les remarques suivantes au sujet du principe de la courtoisie, et renvoie aux explications données par la juge Dawson (plus tard juge à la Cour d’appel fédérale) :

[17] Même si, en l’absence de jurisprudence pertinente, j’avais été disposé à conclure différemment, il reste que les décisions Malik et Luongo, précitées, sont raisonnables, et que la courtoisie judiciaire exige que je les suive.

[18] La juge Dawson expose dans Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 341, 324 F.T.R. 133, les conditions qui justifieraient le refus de suivre une décision antérieure du même tribunal :

[52] Un juge de la Cour, par courtoisie judiciaire, doit suivre une décision antérieure rendue par un autre juge de la Cour, à moins qu’il ne soit convaincu que : a) des décisions subséquentes ont remis en question la validité de cette décision antérieure; b) la décision antérieure ne tenait pas compte d’un précédent faisant autorité ou d’une loi pertinente; c) la décision antérieure a été rendue sans délibéré, c’est-à-dire que le juge a rendu sa décision sans avoir le temps de consulter la jurisprudence. S’il se trouve en présence de l’une de ces circonstances, un juge peut s’écarter de la ligne établie par la décision antérieure, à la condition qu’il expose clairement ses motifs de ce faire et, dans une affaire d’immigration, qu’il permette à la Cour d’appel fédérale de clarifier le droit en certifiant une question. Voir Re Hansard Spruce Mills Ltd., [1954] 4 D.L.R. 590, à la page 591 (B.C.C.A.), et Ziyadah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 4 C.F. 152 (1re inst.).

[95] Je suis également lié par le principe du stare decisis : les tribunaux de première instance doivent suivre et appliquer le droit exposé par les tribunaux d’appel devant lesquels leurs décisions peuvent faire l’objet d’un appel. Il s’agit exactement de la situation en l’espèce. C’est pourquoi je m’en remets à la décision Papequash CF prononcée par le juge Barnes parce que la Cour d’appel fédérale a, dans l’arrêt Papequash CAF, conclu que le juge avait, dans cette affaire, « dûment appliqué la jurisprudence ». Je tiens à rappeler que la décision Papequash CF a fait l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale, laquelle a non seulement rejeté l’appel (avec des dépens élevés), mais a confirmé le droit exposé par le juge Barnes, faisant les remarques suivantes : « [13] Il convient de souligner que le juge a rigoureusement examiné les affidavits produits, lesquels n’ont, pour la plupart, pas été contestés. Le juge a également tenu compte des dispositions pertinentes de la LEPN et a dûment appliqué la jurisprudence au contexte de l’espèce (Gadwa c. Kehewin Première Nation, 2016 CF 597, [2016] A.C.F no 569 (QL), conf. par 2017 CAF 203; Opitz c. Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55, [2012] 3 R.C.S. 76). » [Non souligné dans l’original.]

[96] Par conséquent, je poursuivrai mon examen sans tenir compte de cet argument des défendeurs.

3) Mes conclusions sur les objections que les défendeurs ont soulevées relativement aux onglets du dossier des demanderesses

[97] Les défendeurs se sont opposés à l’admissibilité de trois catégories de documents qui font partie du dossier des demanderesses. Je propose de me prononcer sur deux catégories pour le moment.

[98] Les défendeurs résument comme suit, au paragraphe 131 de leur mémoire, leur position au sujet des différentes catégories de documents :

[TRADUCTION]

131. Les défendeurs soutiennent que parmi les 260 onglets du dossier des demanderesses, les suivants comportent des documents qui n’ont pas été régulièrement soumis à la Cour :

Les onglets 50 – 59 : Les enregistrements provenant du Centre de détention provisoire d’Edmonton [le CDPE] ont été obtenus de manière irrégulière, sans consentement [je les examinerai dans le contexte du bulletin de vote de Robin Wuttunee].

Les onglets 86 – 251 : Les pièces n’ont pas été déposées de manière régulière pendant le contre‐interrogatoire.

Les onglets 252 – 260 : La réponse aux engagements de Burke Ratte ne fait pas l’objet d’une requête en vue d’obtenir l’autorisation de les verser en preuve; de plus, la « partie qui interroge n’a pas le droit de demander ou d’exiger » que le témoin s’engage, pendant un contre‐interrogatoire sur son affidavit, à produire des documents (voir Preventous Collaborative Health v Canada 2020 Canlii 32965 (CF)), et les demandeurs s’opposent à ce qu’ils fassent partie du dossier des demanderesses.

a) Les onglets 86 – 251 : Les pièces présentées aux témoins contre‐interrogés sans préavis ou en l’absence d’une décision quant à leur admissibilité

[99] Les défendeurs affirment que ces onglets, dont chacun renvoie à une pièce cotée, ont néanmoins été présentés aux témoins de manière irrégulière pendant leur contre‐interrogatoire. Je ne suis pas d’accord.

[100] Cet ensemble de pièces compte 166 onglets, lesquels totalisent 1 191 pages. Il comprend un très grand éventail de documents de toutes sortes. Ces onglets semblent comprendre un grand nombre des documents, voire la totalité, que les demanderesses ont produits au cours du contre‐interrogatoire des témoins des défendeurs. Y figurent les assignations à comparaître, des documents électoraux en blanc – dont les bulletins de vote –, un long affidavit souscrit par M. Ratte, qui a été produit dans le cadre d’une autre contestation (Papequash CF), le guide de la LEPN de 2015, des copies du REPN et de nombreux autres documents. Je ne les énumérerai pas tous parce que l’objection est générique et les défendeurs l’ont soulevée relativement à chaque document ou ensemble de documents figurant dans ces onglets.

[101] Les défendeurs se sont opposés à chacun de ces 166 onglets parce qu’ils n’ont reçu aucun préavis les informant qu’ils seraient produits au dossier. Ils font valoir que les documents auraient dû leur être communiqués avant la tenue des contre-interrogatoires, au moyen d’une demande ou d’une requête, et avant qu’ils soient présentés à leurs témoins en contre‐interrogatoire. Dans leur mémoire, les défendeurs soulèvent les points suivants :

[TRADUCTION]

132. Les pièces énumérées auraient dû être communiquées, par numéro, aux défendeurs avant la tenue des contre-interrogatoires, par voie de demande ou de requête, afin de faciliter devant la Cour le débat quant à leur admission en preuve. Si la Cour les avait jugés admissibles, elle aurait également pu accorder un délai pour les examiner avec les témoins proposés avant la tenue des contre‐interrogatoires. Les défendeurs soutiennent toutefois qu’un tel processus n’est pas autorisé dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire. À tout le moins, les demanderesses auraient dû déposer une requête afin d’être autorisées à faire ce qu’elles ont fait. Aucune requête ou demande n’a été présentée.

133. Les défendeurs ont informé les demanderesses de l’objection qu’ils ont soulevée, dans leur réponse suivant la signification par courriel, quant à l’admissibilité de ces documents. (Voir notre courriel du jeudi 4 novembre 2021, à 10 h 28, concernant la signification du dossier des demanderesses.) Compte tenu de ce qui précède, les défendeurs demandent à la Cour de déclarer tous ces documents inadmissibles et d’ordonner qu’ils soient radiés du dossier.

[En caractère gras dans l’original.]

[102] Les défendeurs n’ont cité aucune décision pour étayer leur argument.

[103] En réalité, ils demandent à la Cour de déclarer que les témoins contre‐interrogés dans le cadre d’une demande ont le droit d’être informés à l’avance que des documents leur seront présentés et qu’ils seront tenus de répondre aux questions uniquement si ces documents sont approuvés au préalable par la Cour saisie d’une requête présentée par la partie qui les contre‐interroge.

[104] Avec égards, la jurisprudence ne favorise pas les défendeurs. La Cour a énoncé, au paragraphe 14 de la décision Thibodeau c Administration des aéroports régionaux d’Edmonton, 2021 CF 146 [Thibodeau Edmonton], ce qui suit : « [Le déposant] peut aussi être contre‐interrog[é] sur des documents pertinents même si ces documents ne sont pas mentionnés dans l’affidavit déposé (Sierra, au para 9). » Dans la décision Sierra Club of Canada c Canada (Ministre du Commerce), [1998] ACF no 1673 (QL) [Sierra Club], la Cour a fait les remarques suivantes au paragraphe 9 :

9 Les règles de droit relatives à la portée des contre‐interrogatoires portant sur les affidavits sont bien établies. J’en signale quelques aspects pertinents. Pour commencer, rappelons que le contre‐interrogatoire ne se limite pas à l’affidavit, mais qu’il peut porter sur toute question permettant de trancher la question au sujet de laquelle l’affidavit a été produit (Weight Watchers International Inc. c. Weight Watchers of Ontario Ltd. (No. 2), (1972), 6 C.P.R. (2d) 169, aux pages 171 et 172, une décision du juge Heald, maintenant juge à la Cour d’appel).

[105] Voir également l’ouvrage intitulé Federal Courts Practice 2022 (Toronto, Thomson Reuters Canada, 2021) où les auteurs faisaient observer dans leurs commentaires sur l’article 83 des Règles (Droit au contre‐interrogatoire) : [traduction] « Thibodeau c Administration des aéroports régionaux d’Edmonton, 2021 CarswellNat 540, 2021 CF 146 – Il est généralement reconnu que la portée d’un contre‐interrogatoire sur affidavit est plus restreinte qu’un interrogatoire préalable. Le déposant doit répondre franchement à toutes les questions dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il eût connaissance et qui se rapportent à la principale question en litige dans la procédure qui concerne son affidavit. Le déposant peut aussi être contre‐interrogé sur des documents pertinents même si ces documents ne sont pas mentionnés dans l’affidavit déposé. »

[106] Je fais également mienne la décision Thibodeau c Administration de l’aéroport international d’Halifax, 2019 CF 1149 [Thibodeau Halifax] – qui va dans le même sens –, où le juge Roy disait au paragraphe 28 :

[28] Le contre‐interrogatoire dans notre système accusatoire est un outil important : quelqu’un qui témoigne, en Cour ou grâce à un affidavit, n’est pas à l’abri de questions inquisitoires. Ce témoin met de l’avant des éléments de preuve qu’on doit pouvoir questionner. Quand, en plus, il existe des règles relatives à l’admissibilité, comme ici la disponibilité antérieure des mêmes éléments et la règle contre la division de sa propre cause, il y a lieu de permettre un contre‐interrogatoire à cet égard. Dit autrement, qui fournit de la preuve s’expose au contre‐interrogatoire. Comme le disait le juge Muldoon dans Swing Paints Ltd. c Minwax Co. [1984] 2 [C.F.] 521, p. 531, le témoignage à la dérobade n’est pas permis. Il ajoutait :

La personne qui donne un affidavit doit se soumettre au contre‐interrogatoire non seulement sur des questions précisément énoncées dans son affidavit, mais également sur les questions connexes que soulèvent ses réponses. De même elle doit répondre franchement à toutes les questions dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle eût connaissance et qui se rapportent à la principale question en litige dans la procédure que concerne son affidavit, s’il y a lieu.

[Non souligné dans l’original.]

[107] Dans la décision Ottawa Athletic Club inc. (Ottawa Athletic Club) c Athletic Club Group inc., 2014 CF 672 [Ottawa Athletic Club], le juge Russell a récemment conclu qu’il n’existait aucun mécanisme permettant d’exiger la communication d’éléments de preuve avant le contre‐interrogatoire. Le juge Russell a examiné le droit applicable aux engagements en général et a expressément conclu qu’aucun mécanisme ne permettait d’exiger la communication documentaire, par la partie qui interroge, avant la tenue du contre‐interrogatoire :

[141] Il n’y a pas non plus de mécanisme permettant d’exiger la communication d’éléments de preuve avant le contre‐interrogatoire (plutôt qu’au cours de celui‐ci), mais des considérations financières pourraient entrer en jeu si un « piège » est tendu à une partie en l’ensevelissant sous une masse de documents lors du contre‐interrogatoire : décision Sierra Club, précitée, aux paragraphes 10, 14 à 16 et 20.

[108] Je refuse de créer un tel précédent, en tout état de cause. Je ne vois pas pourquoi les témoins ne devraient pas être contre‐interrogés sur des documents qu’ils n’ont pas vus auparavant et je suis d’avis que plusieurs raisons justifient qu’ils le devraient. Une ordonnance contraire évacuerait la précieuse spontanéité des contre‐interrogatoires. De plus, il est bien établi que, pendant un contre‐interrogatoire, l’avocat ne peut parler à son témoin de sujets qui pourraient être soulevés en contre‐interrogatoire (voir Archambault c Canada, [1998] ACF no 635 [la juge Tremblay‐Lamer] au para 21). Faire ce que les défendeurs proposent aurait justement pour effet d’ouvrir la porte à ces discussions avant les contre‐interrogatoires, et entraînerait les mêmes effets préjudiciables. De telles discussions mèneraient à des réponses soigneusement formulées conformément aux instructions données par l’avocat, ce qui ferait échec à la recherche de la vérité que vise le contre‐interrogatoire. En outre, je serais fort étonné qu’il soit efficace pour la Cour de consacrer du temps à autoriser au préalable de tels documents sans tenir compte du contexte.

[109] Je conclus que les onglets 86 à 251 ont régulièrement été déposés en preuve.

b) L’admissibilité de la réponse de M. Ratte aux engagements du 18 mai 2021, relativement aux onglets 252 à 260

[110] En bref, M. Ratte s’est engagé à quelques reprises, lors de son contre‐interrogatoire du 26 octobre 2020, à produire des documents. Les réponses et les documents qu’il s’était engagé à fournir font partie des réponses et documents produits dans sa RE du 18 mai 2021.

[111] Les onglets 252 – 260 font partie de sa RE du 18 mai 2021. Il s’agit de copies de messages textes que se sont échangés M. Ratte, sur son téléphone cellulaire, et les défendeurs, dont quelques-uns concernent les demandes de bulletin de vote postal qui, selon les demanderesses, auraient été obtenues en contravention de la LEPN ou du REPN et au moyen d’une fraude électorale grave. Ces messages textes font également état d’autres questions litigieuses entre les parties.

[112] Lorsqu’on lui a demandé de fournir les communications qu’il avait eues avec les défendeurs, M. Ratte a répondu que son téléphone cellulaire ne fonctionnait plus. Il l’avait toutefois toujours en sa possession. Il s’est volontairement engagé à tenter d’obtenir ces communications auprès d’experts en récupération de données. Les onglets en question sont justement les documents que ces experts ont récupérés à partir du téléphone cellulaire de M. Ratte.

[113] Les défendeurs, et ceux qui les ont appuyés, se sont opposés à être contre‐interrogés sur ces documents parce qu’à leur avis, la RE de M. Ratte du 18 mai 2021 ne constituait pas une preuve admissible. La juge Aylen a ordonné que cette question soit tranchée par le juge du fond.

[114] À mon humble avis, ces objections ne sont pas fondées. Les documents fournis aux onglets 252 à 260, en réponse à la RE de M. Ratte du 18 mai 2021, sont admissibles.

[115] Examinons d’abord quelques faits. Le premier contre-interrogatoire sur son affidavit du 27 août 2020 que M. Ratte a subi a eu lieu le 14 septembre 2020, au cours duquel il a pris des engagements. Le 26 octobre 2020, il a subi un nouveau contre‐interrogatoire conformément aux engagements qu’il avait pris, et il en a pris d’autres. Monsieur Ratte a ensuite fourni sa RE du 18 mai 2021 [DDEM, à l’onglet 252].

[116] Les parties ne s’entendent pas du tout sur l’admissibilité de la RE de M. Ratte du 18 mai 2021 et de son contenu (onglets 252 à 260).

[117] Monsieur Ratte n’a pas pris position sur cette question dans son mémoire, mais lorsqu’il a été interrogé le 4 octobre 2021, suivant la lettre de ses avocats du 24 septembre 2021, il a dit que si les demanderesses voulaient que d’autres documents soient produits, ou si elles s’opposaient de quelque façon que ce soit à la RE du 18 mai 2021, elles auraient dû présenter une requête conformément à la directive donnée le 18 juin 2021 par la juge Aylen.

[118] Devant la juge Aylen, qui a été invitée à trancher cette question, les défendeurs étaient du même avis que M. Ratte.

[119] Les demanderesses n’étaient pas du même avis. Elles ont demandé à la juge Aylen de les autoriser à verser les documents fournis en réponse à la RE du 18 mai 2021 dans leur dossier, pour les motifs suivants : [traduction] « [...] Il s’agit d’une question importante pour permettre de rendre une décision au fond équitable quant au présent appel interjeté à l’égard de l’élection. Les demanderesses cherchent à faire trancher cette question dans le cadre de la gestion de l’instance et, dans les circonstances, elles sollicitent une ordonnance les autorisant expressément à verser ces documents à leur dossier » [lettre des demanderesses du 24 septembre 2021].

[120] La juge Aylen a statué en faveur des demanderesses. Dans son ordonnance modifiée du 28 septembre 2021, elle a conclu que l’admissibilité de la RE du 18 mai 2021 était une question que la Cour devait trancher lors de l’instruction de la demande : [traduction] « ATTENDU que s’agissant de la question de l’admissibilité des réponses aux engagements données par M. Ratte, les parties la soumettront à l’examen du juge du fond; [...] » [Non souligné dans l’original.]

[121] Les défendeurs ont insisté sur cette objection dans leur mémoire. À leur avis, la RE de M. Ratte du 18 mai 2021 ne devait pas être admise en preuve parce que la juge Aylen a ajouté ce qui suit dans son ordonnance modifiée du 28 septembre 2021 :

[TRADUCTION]

Attendu que les demanderesses ont eu la possibilité de déposer une requête sollicitant la production des documents de M. Ratte et qu’elles ont refusé de le faire dans le délai fixé par la Cour. La Cour n’autorisera pas le dépôt d’une telle requête maintenant, officiellement ou officieusement, et n’ordonnera pas à M. Ratte de produire les six messages textes avec photos ou d’envoyer toute autre communication à TrueData. Contrairement à ce qu’affirment les demanderesses, il ne s’agit pas d’une question visée par l’alinéa 16b) de l’ordonnance;

[122] Il convient de souligner que le paragraphe du préambule de l’ordonnance, rendue par la juge Aylen, sur lequel les défendeurs s’appuient figure dans la même ordonnance dont le préambule a été invoqué par les demanderesses : les deux font partie de l’ordonnance modifiée rendue par la juge Aylen le 28 septembre 2021. À mon humble avis, la disposition de cette ordonnance qui traite directement de l’admissibilité des réponses aux engagements de M. Ratte doit avoir préséance, car elle donne directement suite aux observations des demanderesses datées du 24 septembre 2021. Elle est non équivoque et précède la disposition invoquée par les défendeurs.

[123] Par conséquent, comme l’a ordonné la juge Aylen, il convient que, s’agissant de l’admissibilité de la RE de M. Ratte du 18 mai 2021, [traduction] « les parties la soumett[ent] à l’examen du juge du fond » aujourd’hui.

[124] Voici comment les défendeurs énoncent leur argument dans leur mémoire :

[TRADUCTION]

128 En ce qui concerne les engagements de Burke Ratte mentionnés par les demanderesses, nous renvoyons la Cour au paragraphe 41, plus haut, de notre examen des exposés des faits des demanderesses. Les demanderesses ont demandé de manière irrégulière que des engagements soient pris concernant des affidavits et n’ont ensuite présenté aucune requête en vue de faire admettre en preuve les réponses à ces engagements qu’il ne peut être contraint de respecter. Ces engagements ont plutôt été utilisés de manière clandestine et indirecte. Au cours des contre‐interrogatoires, les demanderesses ont surpris les défendeurs avec ces documents, sans leur en donner préavis.

129 Ces documents cotés ont, dans les faits, été transmis par courriel aux avocats des défendeurs pendant la tenue des contre‐interrogatoires au moment même de leur présentation. Chaque fois, la présentation inattendue de ces documents a suscité une vive objection, comme en témoignent clairement toutes les transcriptions des contre‐interrogatoires des témoins des défendeurs. Malgré ces objections, les demanderesses n’ont présenté aucune demande fondée sur l’article 53 de la Loi sur les Cours fédérales visant à les faire admettre en preuve. Les défendeurs ne sont pas d’accord pour dire que les engagements eux‐mêmes font partie de la déposition d’un témoin, comme l’affirment les demanderesses. L’obligation de présenter une requête pour faire admettre de tels éléments de preuve ne s’en trouve pas modifiée pour autant.

130 Il convient de souligner que le 14 septembre 2020, les demanderesses ont reçu les documents visés par les engagements de la part du président d’élection et qu’elles ont ensuite contre‐interrogé des témoins des défendeurs sur ces documents le lendemain, sans avoir demandé à la Cour l’autorisation de les utiliser et sans avoir communiqué ces documents aux défendeurs. (Voir l’échange entre les avocats des demanderesses et Burke Ratte, aux pages 160 et 161 de la transcription du contre-interrogatoire de Burke Ratte, tenu le 14 septembre 2020.)

[...]

132. Les pièces inscrites sur la liste des pièces auraient dû être communiquées, par numéro, aux défendeurs avant la tenue des contre‐interrogatoires, dans le cadre d’une demande ou d’une requête. Si la Cour avait jugé ces documents admissibles en preuve, elle aurait aussi pu accorder un délai pour qu’ils puissent être examinés avec les témoins proposés avant la tenue de leur contre‐interrogatoire. Les défendeurs soutiennent toutefois qu’une telle démarche n’est pas permise dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire. À tout le moins, les demanderesses auraient dû déposer une requête pour qu’elles soient autorisées à faire ce qu’elles ont fait. Aucune telle requête ou demande n’a été présentée.

[En caractère gras dans l’original.]

[125] Voici ce que disent les défendeurs au paragraphe 41 de leur mémoire :

[TRADUCTION]

40. Les candidats que les demanderesses appellent l’« Équipe Clinton » ont été élus après avoir mené une campagne qui était conforme aux lignes directrices approuvées par Services aux Autochtones Canada [SAC] et autorisées par Élections Canada. Les documents figurant à l’onglet 253 sont mentionnés au paragraphe 41, ci-dessous.

41. Le paragraphe ne comporte que des conjectures et des accusations non fondées. Les renvois se rapportent tous à des documents qui n’ont pas été admis en preuve dans la présente instance, car ils ont été fournis à la suite des engagements pris par Burke Ratte. Ces éléments n’ont pas été admis en preuve d’après l’ordonnance rendue par la Cour le 28 septembre 2021, comme l’indique l’extrait qui suit :

Attendu que les demanderesses ont eu la possibilité de déposer une requête sollicitant la production des documents de M. Ratte et qu’elles ont refusé de le faire dans le délai fixé par la Cour. La Cour n’autorisera pas le dépôt d’une telle requête maintenant, officiellement ou officieusement, et n’ordonnera pas à M. Ratte de produire les six messages textes avec photos ou d’envoyer toute autre communication à TrueData. Contrairement à ce qu’affirment les demanderesses, il ne s’agit pas d’une question visée par l’alinéa 16b) de l’ordonnance;

[Non souligné dans l’original.]

[126] En toute déférence, j’ai déjà écarté cet argument après l’avoir examiné (voir les paragraphes 99 et suivants (partie IV C (3)a)). En bref, j’ai conclu que rien dans la jurisprudence ne permettait d’ordonner cette procédure nouvelle, que l’argument était contraire à la jurisprudence et, qu’en tout état de cause, je ne voyais aucune raison valable d’adopter cette approche et que j’étais d’avis que des raisons justifiaient de l’écarter. Avec égards, j’estime que cet argument est dénué de fondement.

[127] L’admissibilité de la RE de M. Ratte du 18 mai 2021 est importante, car les avocats de M. Ratte et celui des défendeurs, le chef Wuttunee et le conseiller Dana Falcon, se sont opposés à ce que les témoins répondent aux questions liées aux messages textes avec photos qu’ils avaient envoyés ou reçus qui ont été récupérés du téléphone cellulaire de M. Ratte. En outre, Leroy Nicotine Jr., un tiers qui a soutenu les défendeurs (voir le paragraphe 27 plus haut) et qui a participé directement à de nombreuses contraventions à la LEPN et à des cas de fraude électorale grave, a également refusé de répondre aux questions liées aux messages textes avec photos récupérés du téléphone cellulaire de M. Ratte, tels qu’ils figurent aux onglets 252 à 260 de la RE de M. Ratte du 18 mai 2021.

[128] En un mot, les messages textes avec photos fournissent une preuve sérieuse qui corrobore quelques-unes des allégations des demanderesses selon lesquelles les défendeurs et leurs partisans ont contrevenu à la LEPN et ont participé à une fraude électorale grave lors de l’élection. Ce n’est pas ce qui rend la RE du 18 mai 2021 admissible en preuve : il s’agit plutôt d’une conséquence de son admission.

[129] Je tiens à ajouter qu’au départ, la RE du 18 mai 2021 était une pièce qui avait été produite lors du contre‐interrogatoire de M. Ratte, mais que les avocats de M. Ratte se sont ensuite opposés à sa production même si elle avait été montrée à M. Ratte puis cotée.

[130] J’en viens maintenant aux motifs pour lesquels je confirme l’admissibilité de ces messages et réponses récupérés du téléphone cellulaire.

[131] Avec égards, j’estime que dans ce cas-ci également, aucune décision n’étaye l’argument des défendeurs.

[132] Les parties ne contestent pas l’authenticité de la RE du 18 mai 2021 : elle est signée par les avocats de M. Ratte, qui l’ont confirmée pendant le contre‐interrogatoire de M. Ratte tenu le 4 octobre 2021.

[133] Il n’est pas non plus contesté que la principale question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si les défendeurs ont contrevenu à la LEPN ou au REPN et/ou s’ils ont participé à une fraude électorale grave au cours de l’élection.

[134] Les parties reconnaissent également que le chef Wuttunee et les autres défendeurs ont recueilli un nombre important de demandes de bulletin de vote postal signées, qu’ils ont ensuite transmises à M. Ratte à l’aide d’un téléphone cellulaire sous forme de textes et d’images. À cet égard, les demanderesses soutiennent – et je suis d’accord avec elles – que d’après la RE de M. Ratte du 18 mai 2021, les personnes suivantes ont personnellement demandé des bulletins de vote postaux à M. Ratte à l’aide de messages textes avec photos :

1. Le chef Wuttunee en a présenté 521 [DDEM, à l’onglet 253]

2. Le conseiller Gary Nicotine en a présenté 164 [DDEM, à l’onglet 254]

3. Le conseiller Shawn Wuttunee en a présenté 24 [DDEM, à l’onglet 255]

4. Le conseiller Dana Falcon en a présenté 18 [DDEM, à l’onglet 256]

5. Le conseiller Henry Gardipy en a présenté 25 [DDEM, à l’onglet 257]

6. Le conseiller Mandy Cuthand en a présenté 49 [DDEM, à l’onglet 258]

7. Le conseiller Samuel Wuttunee en a présenté 31 [DDEM, à l’onglet 259]

8. L’administrateur de la bande, Cody Benson, en a présenté 22 [DDEM, à l’onglet 260]

[135] Par ailleurs, il n’est pas contesté que la RE de M. Ratte du 18 mai 2021 contient les réponses et les documents que M. Ratte avait volontairement promis de fournir, c’est‐à‐dire ceux qu’il s’était engagé à produire lors de son contre‐interrogatoire du 14 septembre 2020, y compris les messages textes échangés entre lui et les défendeurs.

[136] Les Règles des Cours fédérales (DORS/98‐106) ne traitent pas directement des engagements, mais les articles 94 et 97 prévoient que la personne interrogée (ou contre‐interrogée) est tenue (par l’emploi de shall, en anglais [ou de la formule impérative exprimée par l’indicatif présent, en français]) de produire pour examen à l’interrogatoire les documents et les éléments matériels demandés dans l’assignation à comparaître qui sont en leur possession ou sous leur garde, sauf si un privilège a été revendiqué ou si une dispense a été accordée. La Cour peut, sur requête, dispenser cette personne de cette obligation si les documents et éléments matériels ne sont pas pertinents ou s’il serait trop onéreux de les produire. Selon l’article 97, le défaut de comparaître ou de produire les documents peut entraîner certaines conséquences :

Production de documents

Production of documents on examination

94 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la personne soumise à un interrogatoire oral ou la partie pour le compte de laquelle la personne est interrogée produisent pour examen à l’interrogatoire les documents et les éléments matériels demandés dans l’assignation à comparaître qui sont en leur possession, sous leur autorité ou sous leur garde, sauf ceux pour lesquels un privilège de non‐divulgation a été revendiqué ou pour lesquels une dispense de production a été accordée par la Cour en vertu de la règle 230.

94 (1) Subject to subsection (2), a person who is to be examined on an oral examination or the party on whose behalf that person is being examined shall produce for inspection at the examination all documents and other material requested in the direction to attend that are within that person’s or party’s possession and control, other than any documents for which privilege has been claimed or for which relief from production has been granted under rule 230.

Partie non tenue de produire des documents

Relief from production

(2) La Cour peut, sur requête, ordonner que la personne ou la partie pour le compte de laquelle la personne est interrogée soient dispensées de l’obligation de produire pour examen certains des documents ou éléments matériels demandés dans l’assignation à comparaître, si elle estime que ces documents ou éléments ne sont pas pertinents ou qu’il serait trop onéreux de les produire du fait de leur nombre ou de leur nature.

(2) On motion, the Court may order that a person to be examined or the party on whose behalf that person is being examined be relieved from the requirement to produce for inspection any document or other material requested in a direction to attend, if the Court is of the opinion that the document or other material requested is irrelevant or, by reason of its nature or the number of documents or amount of material requested, it would be unduly onerous to require the person or party to produce it.

[...]

...

Défaut de comparaître ou inconduite

Failure to attend or misconduct

97 Si une personne ne se présente pas à un interrogatoire oral ou si elle refuse de prêter serment, de répondre à une question légitime, de produire un document ou un élément matériel demandés ou de se conformer à une ordonnance rendue en application de la règle 96, la Cour peut :

97 Where a person fails to attend an oral examination or refuses to take an oath, answer a proper question, produce a document or other material required to be produced or comply with an order made under rule 96, the Court may

a) ordonner à cette personne de subir l’interrogatoire ou un nouvel interrogatoire oral, selon le cas, à ses frais;

(a) order the person to attend or re‐attend, as the case may be, at his or her own expense;

b) ordonner à cette personne de répondre à toute question à l’égard de laquelle une objection a été jugée injustifiée ainsi qu’à toute question légitime découlant de sa réponse;

(b) order the person to answer a question that was improperly objected to and any proper question arising from the answer;

c) ordonner la radiation de tout ou partie de la preuve de cette personne, y compris ses affidavits;

(c) strike all or part of the person’s evidence, including an affidavit made by the person;

d) ordonner que l’instance soit rejetée ou rendre jugement par défaut, selon le cas;

(d) dismiss the proceeding or give judgment by default, as the case may be; or

e) ordonner que la personne ou la partie au nom de laquelle la personne est interrogée paie les frais de l’interrogatoire oral.

(e) order the person or the party on whose behalf the person is being examined to pay the costs of the examination.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added]

[137] Les engagements constituent une caractéristique importante des litiges. Cette importance ressort d’ailleurs du fait que les engagements – peu importe si des renseignements ou des documents sont visés par ces engagements – constituent non seulement des promesses qu’une partie est, envers la partie adverse, tenue de respecter, mais aussi des promesses à la Cour (voir Psychologists Association of Alberta v Schepanovich, 1991 ABCA 11 [le juge Côté] au para 10). À cet égard, les engagements ont le même effet qu’une ordonnance de la Cour et lorsque la personne qui les prend ne les respecte pas, la Cour peut l’obliger à le faire à l’issue d’une requête visant à la contraindre à y donner suite, d’une requête en radiation et même d’une requête pour outrage au tribunal (McLaughlin c Canada (Procureur général), 2009 CAF 279 [le juge Noël], et Hughes c Canada (Commission des droits de la personne), 2021 CF 728 au para 65, citant Carey c Laiken, 2015 CSC 17, [2015] 2 RCS 79 [le juge Cromwell] aux para 30 et 36).

[138] Dans la décision Ottawa Athletic Club, précitée, le juge Russell a conclu aux paragraphes 134-136 et 141, qu’un témoin n’a aucune obligation de prendre un engagement au cours de son contre-interrogatoire, mais qu’une fois qu’il s’engage, il peut être contraint d’y donner suite. Après avoir expressément examiné des engagements concernant la communication de documents, le juge Russell a conclu que ces engagements devaient être respectés :

[135] Les engagements relatifs à la communication de documents doivent également être respectés et la réponse à une question mise en délibéré peut constituer un engagement tacite : Autodata Ltd c Autodata Solutions Co, 2004 CF 1361 [Autodata].

[139] Conformément à cette décision, je conclus que les engagements commandent un profond respect.

[140] Dans le cas d’un engagement pris lors d’un contre‐interrogatoire, la pratique consiste à ce que le témoin qui le prend fournisse les renseignements promis à la partie qui contre‐interroge dans le cadre d’une réponse à cet engagement, même si les Règles ne prévoient aucune forme particulière pour ce faire. La partie qui contre‐interroge a ensuite le droit d’exiger que ce témoin subisse un nouveau contre-interrogatoire pour répondre à cet engagement de la même manière que s’il avait fourni les renseignements de vive voix ou remis les documents lors de l’interrogatoire antérieur.

[141] Les parties peuvent interrompre le contre‐interrogatoire d’un témoin afin de lui permettre de donner suite à son engagement, et lui signifier une nouvelle assignation à comparaître dans laquelle la partie qui interroge peut le sommer de produire des documents précis. La nouvelle assignation à comparaître dans laquelle la partie exige d’autres documents entraîne l’application du paragraphe 94(1) des Règles, qui prévoit l’obligation (par l’emploi de shall, en anglais [ou de la formule impérative exprimée par l’indicatif présent, en français]) de produire des documents.

[142] Vu ce qui précède, la RE de M. Ratte du 18 mai 2021 et les documents figurant aux onglets 252 à 260 sont, à mon humble avis, des éléments produits en preuve au même titre que le reste du témoignage qu’il a livré lors de son contre‐interrogatoire antérieur. Les réponses et les documents qu’il a fournis le 18 mai 2021 afin de donner suite à son engagement sont ceux qu’il aurait fournis sur demande.

[143] Malgré les arguments des défendeurs, je ne vois, en principe, aucune raison de traiter les réponses et documents produits par M. Ratte dans sa RE du 18 mai 2021 de manière différente de ceux qu’il a fournis lors de son contre‐interrogatoire antérieur.

[144] Deux autres faits confortent cette même conclusion. Premièrement, M. Ratte a déposé un affidavit, qu’il a souscrit le 23 juillet 2021, dans lequel il expliquait le [traduction] « processus de distribution aux membres de la Première Nation des formulaires de demande de bulletin de vote postal (les formulaires 5‐D) ». Ces formulaires sont les documents au moyen desquels les électeurs de la Première Nation demandent des bulletins de vote postaux pour l’élection à venir. Il importe de souligner que M. Ratte a déclaré, au paragraphe 2 de son affidavit, que l’élection avait été [traduction] « tenue conformément » aux exigences de la LEPN [DDEF 0170, PDF 0175] :

[TRADUCTION]

2. L’élection de 2020 dans la Première Nation était conforme aux exigences de la Loi sur les élections au sein de premières nations, LC 2014, c 5 (la LEPN).

[145] Deuxièmement, M. Ratte a comparu le 4 octobre 2021 en vue d’être contre-interrogé conformément à l’assignation à comparaître lui enjoignant de produire des documents, qui lui avait été signifiée par les défendeurs. Il importe de souligner que les défendeurs l’avaient, dans ce document, sommé de produire sa réponse aux engagements [RE] du 18 mai 2021. Ils y avaient également exigé que M. Ratte comparaisse afin d’être contre‐interrogé sur l’affidavit qu’il avait souscrit le 23 juillet 2021 relativement à la présente affaire.

[146] Je tiens également à faire remarquer qu’au moment où il a été mis fin au contre-interrogatoire antérieur de M. Ratte, tenu le 26 octobre 2020, les demanderesses n’avaient pas terminé de le contre-interroger dans le délai qui leur avait été imparti. Les demanderesses ont affirmé que ce contre-interrogatoire était incomplet [DDEM 0874, PDF 0883]. J’estime que, normalement, il aurait été possible de poursuivre ce contre-interrogatoire soit sur consentement, soit sur assignation à comparaître lui enjoignant de produire des documents, soit au moyen d’une ordonnance.

[147] J’expliquerai ci-après ces deux faits supplémentaires plus en détail.

(i) L’affidavit souscrit par M. Ratte le 23 juillet 2021

[148] En ce qui concerne l’affidavit de M. Ratte, il n’est pas contesté que les principales questions en litige en l’espèce portent sur les contraventions possibles à la LEPN et au REPN et sur une fraude électorale grave – particulièrement de la part des candidats à l’élection ou de leurs agents officiels.

[149] Monsieur Ratte a déclaré que l’élection s’était déroulée conformément à la LEPN.

[150] Nul ne conteste que les demanderesses avaient le droit de contre‐interroger M. Ratte sur son affidavit. Par conséquent, un tel contre‐interrogatoire comporte à bon droit des questions qui se rapportent aux contraventions possibles à la LEPN ou au REPN et/ou à une fraude électorale et à une fraude électorale grave, lors de l’élection. Il s’agissait des principales questions en litige dans la présente contestation.

[151] Dans la décision Thibodeau Edmonton, précitée, la juge Roussel a récemment examiné des points importants en lien avec les contre-interrogatoires et elle a cité plusieurs jugements, dont des arrêts de la Cour d’appel fédérale. Je fais miennes les conclusions de la juge Roussel voulant que la portée d’un contre‐interrogatoire sur affidavit soit plus restreinte qu’un interrogatoire préalable, que l’auteur d’un affidavit qui formule certaines déclarations sous serment ne doive pas échapper à un contre‐interrogatoire légitime sur des renseignements qu’il fournit volontairement dans son affidavit et qu’il puisse être contre‐interrogé non seulement sur des points précisément énoncés dans son affidavit, mais également sur les questions connexes que soulèvent ses réponses (voir le paragraphe 13). De plus, le déposant doit également répondre franchement à toutes les questions dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il eût connaissance et qui se rapportent à la principale question en litige dans la procédure qui concerne son affidavit, et il peut aussi être contre‐interrogé sur des documents pertinents, même si ces documents ne sont pas mentionnés dans l’affidavit déposé (voir le paragraphe 14) :

[11] Les contre‐interrogatoires sur affidavit sont régis par les articles 83 à 100 des Règles. L’article 97 des Règles prévoit que si une personne refuse de répondre à une question légitime durant l’interrogatoire oral ou de produire un document demandé, la Cour peut ordonner à cette personne, entre autres, de subir un nouvel interrogatoire oral à ses frais et de répondre à toute question à l’égard de laquelle une objection est jugée injustifiée et à toute question légitime découlant de sa réponse.

[12] La portée du contre‐interrogatoire sur affidavit a fait l’objet de nombreuses décisions judiciaires (CBS Canada Holdings Co c Canada, 2017 CAF 65 au para 29 [CBS]; Thibodeau c Administration de l’aéroport international d’Halifax, 2019 CF 1149 (CanLII) au para 13; Ottawa Athletic Club inc (Ottawa Athletic Club) c Athletic Club Group inc, 2014 CF 672 aux para 130‐133 [Ottawa Athletic Club]; Sierra Club of Canada c Canada (ministre du Commerce), [1998] ACF no 1673 (QL) aux para 9, 13 [Sierra]; Merck Frosst Canada Inc. c Canada (ministre de la Santé), [1997] ACF no 1847 (QL) aux para 4, 7‐8 [Merck Frosst 1997]; Merck Frosst Canada Inc. c Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien‐être social), [1996] ACF no 1038 (QL) au para 9).

[13] Récemment, la Cour d’appel fédérale endossait dans CBS les principes énoncés par cette Cour dans Ottawa Athletic Club aux paragraphes 130 à 133 sur l’étendue des obligations du déposant d’un affidavit quand il s’agit de fournir des documents ou de répondre à des questions lors d’un contre‐interrogatoire. Il est généralement reconnu que la portée d’un contre‐interrogatoire sur affidavit est plus restreinte qu’un interrogatoire au préalable, que « l’auteur d’un affidavit qui formule certaines déclarations sous serment ne devrait pas échapper à un contre‐interrogatoire légitime au sujet des renseignements qu’il fournit volontairement dans son affidavit » et « qu’il peut être contre‐interrogé non seulement sur des questions précisément énoncées dans son affidavit, mais également sur les questions connexes que soulèvent ses réponses » (CBS au para 29, citant Ottawa Athletic Club au para 132).

[14] Il est également reconnu que la personne doit aussi « répondre franchement à toutes les questions dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle eût connaissance et qui se rapportent à la principale question en litige dans la procédure qui concerne son affidavit » (Swing Paints Ltd c Minwax Co, [1984] 2 FC 521 au para 19). Elle peut aussi être contre‐interrogée sur des documents pertinents même si ces documents ne sont pas mentionnés dans l’affidavit déposé (Sierra au para 9).

[Sic, pour l’ensemble de la citation.]

[152] Une grande partie du débat en l’espèce porte sur la pertinence. Je fais mienne la conclusion tirée par le juge Russell au paragraphe 130 de la décision Ottawa Athletic Club inc. (Ottawa Athletic Club) c Athletic Club Group inc., 2014 CF 672 [Ottawa Athletic Club], où il cite précisément le paragraphe 7 qui fait partie de l’analyse sur la pertinence faite par le juge Hugessen dans la décision Merck Frosst Canada Inc. c Canada (ministre de la Santé), [1997] ACF no 1847 au para 7 :

[7] La pertinence formelle est liée aux questions de fait qui opposent les parties. Dans le cas d’une action, ces questions sont délimitées par les actes de procédure, mais dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire, où aucun acte de procédure n’est déposé (l’avis de requête lui‐même ne devant faire état que du fondement juridique, et non factuel, de la demande de contrôle), elles sont circonscrites par les affidavits que déposent les parties. Le contre‐interrogatoire de l’auteur d’un affidavit ne peut donc porter que sur les faits énoncés dans celui‐ci ou dans un autre affidavit produit dans le cadre de l’instance.

[Souligné dans la décision Ottawa Athletic Club.]

[153] Avec égards, ces décisions me permettent de conclure que M. Ratte et d’autres personnes liées à la présente instance peuvent être contre‐interrogés sur des documents qui se rapportent à la principale question en litige « même si ces documents ne sont pas mentionnés dans l’affidavit déposé », conformément au paragraphe 14 de la décision Thibodeau Edmonton. C’est généralement le cas en ce qui concerne la RE de M. Ratte du 18 mai 2021 : ces documents ne sont pas mentionnés dans son affidavit, mais il peut néanmoins être valablement contre‐interrogé sur ces documents; ils sont admissibles pour cette raison parce qu’ils se rapportent à la principale question en litige en l’espèce, c’est‐à‐dire aux contraventions à la LEPN et au REPN et à la fraude électorale.

[154] De plus, c’est M. Ratte qui a déclaré que l’élection s’était déroulée conformément à la LEPN. Il en avait le droit. Or, ce faisant, il est assujetti au paragraphe 13 de la décision Thibodeau Edmonton, selon lequel « l’auteur d’un affidavit qui formule certaines déclarations sous serment ne devrait pas échapper à un contre‐interrogatoire légitime au sujet des renseignements qu’il fournit volontairement dans son affidavit » et « il peut être contre‐interrogé non seulement sur des questions précisément énoncées dans son affidavit, mais également sur les questions connexes que soulèvent ses réponses ». J’estime que ces deux énoncés s’appliquent à sa RE du 18 mai 2021.

[155] Au paragraphe 28 de sa décision Thibodeau Halifax – à laquelle je souscris –, le juge Roy va dans le même sens :

[28] Le contre‐interrogatoire dans notre système accusatoire est un outil important : quelqu’un qui témoigne, en Cour ou grâce à un affidavit, n’est pas à l’abri de questions inquisitoires. Ce témoin met de l’avant des éléments de preuve qu’on doit pouvoir questionner. Quand, en plus, il existe des règles relatives à l’admissibilité, comme ici la disponibilité antérieure des mêmes éléments et la règle contre la division de sa propre cause, il y a lieu de permettre un contre‐interrogatoire à cet égard. Dit autrement, qui fournit de la preuve s’expose au contre‐interrogatoire. Comme le disait le juge Muldoon dans Swing Paints Ltd. c Minwax Co. [1984] 2 [C.F.] 521, p. 531, le témoignage à la dérobade n’est pas permis. Il ajoutait :

La personne qui donne un affidavit doit se soumettre au contre‐interrogatoire non seulement sur des questions précisément énoncées dans son affidavit, mais également sur les questions connexes que soulèvent ses réponses. De même elle doit répondre franchement à toutes les questions dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle eût connaissance et qui se rapportent à la principale question en litige dans la procédure que concerne son affidavit, s’il y a lieu.

[Non souligné dans l’original.]

[156] À mon humble avis, ces principes s’appliquent tout autant en l’espèce : M. Ratte « n’est pas à l’abri de questions inquisitoires. Ce témoin met de l’avant des éléments de preuve qu’on doit pouvoir questionner, » et « qui fournit de la preuve s’expose au contre‐interrogatoire ».

[157] En outre, M. Ratte devrait « répondre franchement à toutes les questions dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’[il] eût connaissance et qui se rapportent à la principale question en litige dans la procédure que concerne son affidavit, s’il y a lieu », conformément à la décision Swing Paints Ltd c Minwax Co., [1984] 2 CF 521 [le juge Muldoon], précitée. C’est certainement ce dont il s’agit en l’espèce : les réponses aux questions concernaient les contraventions à la LEPN et au REPN ainsi que les manœuvres frauduleuses qui auraient été commises à l’égard de l’élection. Je répète qu’il s’agit des principaux points en litige en l’espèce.

[158] Il convient de souligner que selon la jurisprudence, M. Ratte n’est pas le seul qui peut être contre‐interrogé sur sa réponse aux engagements et les documents qui y sont joints. Les personnes qui sont appelées à être contre‐interrogées sur leur affidavit dans le cadre de la présente contestation « peu[vent] aussi être contre‐interrogé[es] sur des documents pertinents même si ces documents ne sont pas mentionnés dans l’affidavit déposé » (voir Sierra, au para 9, citée dans Thibodeau Edmonton, au para 14).

[159] Par conséquent, les conclusions que j’ai tirées ci‐dessus s’appliquent non seulement à M. Ratte, mais également au chef Wuttunee, au conseiller Dana Falcon et à Leroy Nicotine Jr., ainsi qu’à toute autre personne qui refuse de répondre aux questions liées aux messages textes avec photos et aux documents déposés en preuve au moyen de la RE de M. Ratte du 18 mai 2021.

(ii) L’ordre de produire pour examen la RE du 18 mai 2021

[160] Je viens d’exposer la partie de mon analyse qui m’a mené à conclure que les documents fournis aux onglets 252 à 260 sont également admissibles en raison de leur pertinence, vu que M. Ratte a affirmé dans son affidavit que l’élection s’était déroulée conformément à la LEPN. J’examinerai à présent l’importance de l’assignation à comparaître lui enjoignant de produire des documents qui exigeait sa comparution et, en particulier, la production de sa RE du 18 mai 2021.

[161] J’estime que la RE de M. Ratte du 18 mai 2021 ainsi que les réponses et les documents qu’il a produits sont également admissibles parce que d’après l’assignation à comparaître lui enjoignant de produire des documents, il était tenu de les produire pour examen lors de son contre‐interrogatoire.

[162] Le paragraphe 94(1) des Règles prévoit expressément que la personne qui reçoit une assignation à comparaître lui enjoignant de produire des documents, a l’obligation de produire (vu l’emploi de shall, en anglais [ou de la formule impérative exprimée par l’indicatif présent, en français]) ces documents et de le faire « pour examen à l’interrogatoire ». Le seul moyen qui aurait permis aux défendeurs d’échapper à cette obligation aurait été de demander d’en être dispensés conformément au paragraphe 94(2) des Règles : ils ne l’ont pas fait, et ne le pouvaient pas non plus en l’espèce parce que les documents ne provenaient pas des défendeurs, mais de M. Ratte, qui s’était volontairement engagé à fournir les conversations récupérées de son téléphone cellulaire.

[163] À mon avis, la capacité d’une partie d’examiner des documents produits en vertu du paragraphe 94(1) des Règles et de contre-interroger la personne qui les produit – c’est‐à‐dire, au moyen d’une assignation à comparaître lui enjoignant de les produire – est indubitable. C’est exactement le cas pour ce qui est des onglets 252 à 260, lesquels sont par conséquent tous admissibles dans la présente contestation.

[164] J’aimerais examiner d’autres arguments présentés par les défendeurs avant de terminer cette partie de mon analyse.

[165] Les défendeurs s’appuient sur la décision Preventous Collaborative Health v Canada (Health), 2020 CanLII 32965 (CF) [Preventous]. Avec égards, j’estime qu’ils font erreur. Dans cette affaire, la partie qui contre‐interrogeait le témoin avait exigé qu’il s’engage à produire des documents, mais elle ne lui avait pas signifié d’assignation à comparaître lui enjoignant de produire des documents précis. En l’espèce, les faits sont tout à fait différents. Monsieur Ratte s’était déjà engagé – sans qu’on lui demande – à produire les documents en question. Par ailleurs, et également à la différence de l’affaire Preventous, on lui a signifié une assignation à comparaître lui enjoignant de produire précisément sa RE du 18 mai 2021. Dans la décision Preventous, le fait qu’aucune assignation à comparaître renvoyant aux documents demandés n’avait été signifiée a entraîné le rejet de la requête :

[TRADUCTION]

15. La production de documents lors d’un contre‐interrogatoire sur un affidavit ne peut être exigée que dans le cas où l’assignation à comparaître dûment signifiée avant la tenue du contre‐interrogatoire en fait mention, ou les précise de manière suffisante, conformément à l’alinéa 91(2)c) des Règles : Autodata Ltd. c Autodata Solutions Co., 2004 CF 1361 au para 19.

[166] Enfin, les défendeurs s’appuient sur le paragraphe 53(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‐7, que voici :

Preuve

Evidence

Admissibilité de la preuve

Admissibility of Evidence

53 (2) Par dérogation à l’article 40 de la Loi sur la preuve au Canada mais sous réserve de toute règle applicable en la matière, la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire d’admettre une preuve qui ne serait pas autrement admissible si, selon le droit en vigueur dans une province, elle l’était devant une cour supérieure de cette province.

53 (2) Evidence that would not otherwise be admissible is admissible, in the discretion of the Federal Court of Appeal or the Federal Court and subject to any rule that may relate to the matter, if it would be admissible in a similar matter in a superior court of a province in accordance with the law in force in any province, even though it is not admissible under section 40 of the Canada Evidence Act.

[167] Or, le paragraphe 53(2) ne s’applique pas à la RE de M. Ratte du 18 mai 2021 parce qu’elle est une preuve admissible. Le paragraphe 53(2) s’applique à la situation contraire, soit à « une preuve qui ne serait pas autrement admissible ». [Non souligné dans l’original.]

V. Analyse

A. L’exposé des faits

[168] Dans leur mémoire, les demanderesses ont fourni un « exposé concis des faits » auquel les défendeurs ont répondu. Dans la présente partie A de mes motifs, je reprendrai les mêmes éléments puis tirerai mes conclusions.

[169] Dans la partie B, j’examinerai le rôle de M. Ratte, à titre de président d’élection.

[170] Dans la partie C, j’examinerai chacun des bulletins de vote contestés et les contraventions à la LEPN et/ou au REPN et/ou la fraude électorale grave qui auraient été commises.

[171] Dans la partie D, j’exposerai sommairement les conclusions que j’ai tirées à l’égard de chaque défendeur, y compris les réparations, le cas échéant, qui sont indiquées. Autrement dit, il faut décider – en tenant compte de la nature discrétionnaire d’une ordonnance d’annulation – s’il y a lieu d’annuler, pour cause de fraude électorale grave ayant miné l’intégrité de l’élection, soit l’élection dans son ensemble, soit celle des candidats pour les postes de chef et de conseiller.

1) L’équipe de candidats et de partisans

[172] Revenons à l’exposé concis des faits. Les demanderesses affirment – et je suis d’accord avec elles – que les défendeurs ont été photographiés tous ensemble et que, d’après ces photographies largement et publiquement diffusées sur Facebook, ils appuyaient l’« Équipe Clinton », ce groupe ne soutenant que ses membres en vue de l’élection et ne faisant campagne qu’en leur faveur. Les défendeurs soutiennent – et je suis d’accord avec eux – que des T‐shirts promotionnels ont été distribués pendant la campagne, notamment des T‐shirts comportant la mention [traduction] « Équipe Clinton » dans le but de susciter de l’enthousiasme pour leur programme et de faire de la publicité pour les candidats. Selon les défendeurs, il n’est pas inapproprié de la part de candidats élus d’avoir fait campagne ensemble, car ni la LEPN ni le REPN ne leur interdit de faire campagne en bloc. Commentaire de la Cour : Je constate que les défendeurs, autres que M. Ratte, s’appelaient l’Équipe Clinton, et qu’ils agissaient en équipe. En ce sens, ils constituaient un groupe de candidats agissant ensemble dans le but de gagner leur élection respective. Toutefois, dans quelques cas que je préciserai plus loin dans mon examen des bulletins de vote, certains défendeurs ont étroitement collaboré avec d’autres personnes et avec leurs partisans pour commettre une fraude électorale grave ou pour contrevenir à la LEPN et au REPN.

2) Les personnes qui ont été impliquées dans une fraude électorale grave

[173] Selon mon examen, la conduite du chef Wuttunee et du conseiller Gary Nicotine était loin d’être acceptable et ils étaient tous les deux directement impliqués dans la fraude électorale grave qui a été commise et, je l’indiquerai plus loin, dans les contraventions à la LEPN et au REPN. Tous les autres conseillers, à l’exception de Dana Falcon, ont participé directement à la fraude électorale grave, mais dans une moindre mesure. Je me pencherai sur les agissements des défendeurs et de leurs partisans dans l’examen des bulletins de vote à la partie C, et tirerai mes conclusions à la partie D après en avoir fait le résumé.

3) Les demandes de bulletins de vote postaux présentées pour autrui

[174] Selon les demanderesses, le conseiller Shawn Wuttunee, l’un des défendeurs, a envoyé un message texte à M. Ratte le 11 février 2020, à 14 h 02, pour lui demander un bulletin de vote postal. Les défendeurs font valoir que de nombreux candidats ont envoyé des demandes de bulletin de vote postal au président d’élection pour les électeurs, et qu’il n’est pas justifié, au regard des faits et du droit, de dire que cette manière d’agir n’est pas appropriée. Commentaire de la Cour : J’analyserai les bulletins de vote, un à un, à la partie C. Toutefois, j’estime qu’il n’était ni inapproprié ni irrégulier de la part des défendeurs – ou même des candidats ou des électeurs – de demander à M. Ratte et aux membres de son personnel de leur fournir des formulaires de demande de bulletin de vote postal (5‐D), ni, de la part des défendeurs, de donner ces formulaires aux électeurs ou de les remettre, une fois remplis, pourvu bien entendu qu’ils n’aient pas fait l’objet d’une fraude électorale ou d’une contravention à la LEPN ou au REPN.

[175] Les demanderesses affirment que le conseiller Dana Falcon, un défendeur, a envoyé un message texte à M. Ratte le 11 février 2020, à 17 h 44, pour lui demander un bulletin de vote postal. Selon les défendeurs, toutes les communications entre les candidats, les militants et le président d’élection étaient tout à fait licites et conformes aux exigences de SAC et à la politique électorale. Commentaire de la Cour : Le commentaire que j’ai fait ci-dessus vaut également ici. J’examinerai les bulletins de vote, un à un, plus loin à la partie C. Il est certainement impossible d’affirmer que toutes les communications avec le président d’élection étaient licites; certaines de ces communications étaient visées par des contraventions à la loi et/ou par une fraude électorale grave.

[176] Les demanderesses font valoir que lorsque les conseillers Shawn Wuttunee et Dana Falcon ont commencé à envoyer des demandes de bulletin de vote postal directement à M. Ratte, le chef Wuttunee avait essentiellement arrêté de transmettre à M. Ratte, au moyen de messages textes, des demandes de bulletin de vote postal. Les défendeurs soutiennent que le chef Wuttunee a communiqué, en sa qualité de chef en fonction, avec M. Ratte pour lui transmettre les demandes de bulletin de vote postal qu’il avait reçues de la part d’électeurs qui avaient besoin d’aide pour obtenir leur bulletin de vote. D’autres partisans qui travaillaient avec les candidats ont également acheminé à M. Ratte des demandes de bulletin de vote postal. Commentaire de la Cour : J’estime que les deux arguments sont fondés, sauf que les demandes de bulletin de vote postal qui ont été transmises ne provenaient pas toutes d’[traduction] « électeurs qui avaient besoin d’aide pour obtenir leur bulletin de vote ». Plus particulièrement, les demandes de bulletin de vote postal et les bulletins de vote postaux provenant de certains électeurs étaient visés par une fraude électorale grave et des contraventions à la LEPN et au REPN, notamment les bulletins de vote de Robin Dean Wuttunee, de Darian Whiteford (la fille de la demanderesse Veronica Whitford), de Rickell Frenchman et de Romellow Meechance (la nièce et le neveu de Heather Meechance) et de Breanna et Jerette Wahobin.

4) Leroy Nicotine Jr.

[177] Selon les demanderesses, Leroy Nicotine Jr. a reçu à sa résidence des bulletins de vote postaux qui avaient été mal acheminés, et il a ensuite sciemment marqué les bulletins de vote et les a renvoyés par la poste à M. Ratte ou les a donnés à un partisan des défendeurs, plutôt qu’à l’électeur à qui ils avaient été envoyés. Les demanderesses font également valoir que Leroy Nicotine Jr. a participé à la falsification de bulletins de vote postaux parce qu’il les a signés en tant que témoin en l’absence des électeurs. Commentaire de la Cour : J’examinerai les bulletins de vote problématiques, un à la fois, plus loin dans les présents motifs. Toutefois, comme nous le verrons ci-après, je conclus que Leroy Nicotine Jr. a reçu des bulletins de vote postaux à son adresse et qu’il les a ensuite sciemment marqués et envoyés par la poste à M. Ratte ou les a donnés à une autre personne afin qu’elle les marque et les renvoie. Je conclus également que Leroy Nicotine Jr. a falsifié des bulletins de vote postaux lorsqu’il a signé en tant que témoin les formulaires de déclaration d’identité en l’absence des électeurs. À cet égard, j’ai tiré plusieurs conclusions défavorables à Leroy Nicotine Jr. en raison de son refus de répondre, lors de son contre-interrogatoire, à des questions au sujet de sa conduite et de son adresse :

[TRADUCTION]

En contre‐interrogatoire, Leroy Nicotine Jr. a refusé de répondre à des questions liées au bulletin de vote postal de Robin Dean Wuttunee, dont celle de savoir si Leroy Nicotine Jr. avait déjà eu en sa possession le bulletin de vote postal de Robin Dean Wuttunee : [DDEM 2703‐2717, PDF 2712‐2726].

En contre‐interrogatoire, Leroy Nicotine Jr. a refusé de répondre à des questions qui auraient permis de savoir s’il avait déjà été le locataire du logement sis au 1291 97th Street, appartement 104, à North Battleford : [DDEM 687, PDF 2696], adresse qu’il a inscrite sur les formulaires de déclaration d’identité joints aux bulletins de vote postaux de Breanna Wahobin [DDEM 3445, PDF 3454], de Jerette Wahobin [DDEM 3314, PDF 3323], de Romellow Meechance [DDEM 3707, PDF 3716], de Paul Tobaccojuice [DD EM3757, PDF 3766], de Michael Ernest Stevens [DDEM 3444, PDF 3453] et de Petula Wuttunee [DDEM 3792, PDF 3801].

En contre‐interrogatoire, Leroy Nicotine Jr. a refusé de répondre à des questions pertinentes qui auraient permis de savoir si la [traduction] « signature du témoin » apposée sur le formulaire de déclaration d’identité de Breanna Wahobin [DDEM 3445, PDF 3454] était la sienne : [DDEM 2689‐2695, PDF 2698‐2704].

[178] Les demanderesses soutiennent que Leroy Nicotine Jr. a donné à certains électeurs une liste de candidats pour lesquels voter en échange d’argent. Les défendeurs nient cette allégation. Commentaire de la Cour : J’examinerai plus loin, un à un, les bulletins de vote problématiques. Je conclus que Leroy Nicotine Jr. a participé directement à plusieurs cas de fraude électorale grave, mais pas dans ce cas-ci.

5) Le transport d’électeurs vers les bureaux de vote

[179] Les demanderesses affirment – et Leroy Nicotine Jr. l’admet – qu’il a conduit des électeurs à leur bureau de scrutin. Les défendeurs soutiennent que, selon son témoignage, Leroy Nicotine Jr. voulait aider le chef Wuttunee à être réélu et il s’est porté volontaire pour l’aider, notamment en transportant des personnes à leur bureau de scrutin. D’après les défendeurs, ce type de bénévolat est courant lors d’une élection : voir également la pièce A jointe à l’affidavit souscrit le 13 septembre 2021 par le chef Wuttunee [DDEF 0162, PDF 0167]. Ce document reproduit la politique énoncée sur le site Web d’Élections Canada, dont la question suivante : « Est‐il acceptable d’offrir à un électeur de l’emmener au bureau de vote ou de lui rembourser ce qu’il a déboursé pour s’y rendre? » La réponse est affirmative. Commentaire de la Cour : À mon humble avis, le fait de transporter un électeur vers son bureau de scrutin ne contrevient ni à la LEPN ni au REPN et ne constitue pas non une fraude électorale.

6) Shelley Wuttunee

[180] Selon les demanderesses, faisaient partie de ce qu’elles qualifient de [traduction] « cercle de malhonnêtes » non seulement les défendeurs et Leroy Nicotine Jr., mais aussi de nombreuses autres personnes, dont Shelley Wuttunee, l’épouse du défendeur, le conseiller Shawn Wuttunee. Commentaire de la Cour : J’examinerai les bulletins de vote problématiques un à la fois plus loin dans les présents motifs. Toutefois, je conclus que Shelley Wuttunee – et elle a admis ce fait sous serment –a signé en qualité de témoin plusieurs formulaires de déclaration d’identité, alors qu’en réalité, ses attestations étaient fausses. Je tiens à faire remarquer que pendant son contre‐interrogatoire, elle a refusé de dire combien de fois elle avait produit, au moyen de sa signature apposée sur des formulaires de déclaration d’identité, de telles fausses attestations. Elle a également refusé de reconnaître sa signature sur les formulaires de déclaration d’identité déposés en preuve par M. Ratte, dont 3 des 13 formulaires de déclaration d’identité qu’elle avait signés en qualité de témoin agissant pour des électeurs qui avaient obtenu un bulletin de vote postal, les avaient envoyés, mais qui s’étaient ensuite présenté aux bureaux de scrutin pour voter (voir le point V.C. (13)) plus loin dans la présente analyse). Elle a affirmé que ces renseignements ne figuraient pas dans son affidavit, et/ou relevaient de l’interrogatoire préalable.

[181] Commentaire de la Cour : J’ai déjà conclu que lorsqu’ils sont contre-interrogés, les témoins ne peuvent s’opposer à une question pertinente au motif qu’elle vise à obtenir des renseignements qui ne figurent pas dans leur affidavit. Les règles applicables à ces questions ne s’apparentent pas non plus à celles qui s’appliquent à l’interrogatoire préalable; en l’espèce, les questions sont liées à la principale question en litige dans la présente contestation, à savoir la fraude électorale et les contraventions à la LEPN et au REPN qui auraient été commises. Il faut répondre à ces questions, conformément au paragraphe 14 de la décision Thibodeau Edmonton (voir aussi les paragraphes 151 et suivants plus haut) :

[14] Il est également reconnu que la personne doit aussi « répondre franchement à toutes les questions dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle eût connaissance et qui se rapportent à la principale question en litige dans la procédure qui concerne son affidavit » (Swing Paints Ltd c Minwax Co, [1984] 2 [CF] 521 au para 19). Elle peut aussi être contre‐interrogée sur des documents pertinents même si ces documents ne sont pas mentionnés dans l’affidavit déposé (Sierra, au para 9).

7) L’aide fournie pour remplir les formulaires de déclaration d’identité, le non‐respect du paragraphe 5(6) du REPN (c.‐à-d., le fait pour un témoin, qui aide un électeur, d’attester que cet électeur a indiqué son choix de candidat)

[182] Les défendeurs admettent que Shelley Wuttunee a « aidé » plusieurs membres de la bande à obtenir leur bulletin de vote postal. Toutefois, ils ne définissent pas ce qu’ils entendent par « aider ». Ils confirment, à mon avis, le témoignage de Shelley Wuttunee selon lequel elle a faussement attesté, au moyen de sa signature apposée sur de nombreux formulaires de déclaration d’identité, qu’elle avait vu l’électeur signer son formulaire. Il importe de souligner que même si elle savait que sa conduite était répréhensible, elle croyait qu’elle ne faisait rien de mal puisqu’elle connaissait les électeurs – dans certains cas, depuis toujours. À mon avis, le fait de se présenter faussement comme un témoin sur un formulaire de déclaration d’identité constitue une fraude électorale. Dans les cas où il y a contrepartie en argent, la conduite peut être considérée comme une fraude électorale grave. Je tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité et à la fiabilité de Shelley Wuttunee, en raison de son refus persistant de dire combien de fois elle avait faussement attesté avoir vu les électeurs signer leur formulaire de déclaration d’identité, et de son refus de reconnaître si sa signature figurait sur 3 des 13 formulaires de déclaration d’identité présentés par M. Ratte, comme nous le verrons à la partie V. C. (13) de la présente analyse, agissements qui pourraient constituer une fraude électorale. J’estime que la signature apposée sur ces trois formulaires est la sienne. Incidemment, je tiens à faire remarquer que les demanderesses invoquent le paragraphe 5(5) du REPN, lequel porte sur les assemblées de mise en candidature qui ne sont pas en cause en l’espèce. Or, j’estime que le paragraphe 5(6) du REPN traite des formulaires de déclaration d’identité relativement aux élections en cours, ce qui est évident d’après le renvoi à l’article 17, lequel porte sur les élections en cours.

8) Les employés de Red Pheasant

[183] Les demanderesses soutiennent que le [traduction] « cercle de malhonnêtes » se servait également d’employés et de ressources de Red Pheasant pour l’achat de votes et l’obtention de nouvelles pièces d’identité falsifiées qui permettaient d’obtenir et de falsifier des bulletins de vote postaux. Elles allèguent que les défendeurs se sont servis de l’administrateur de la bande, Cody Benson (le fils du conseiller Lux Benson), et du dirigeant principal des finances, Austin Ahenakew, pour verser les paiements frauduleux aux électeurs. Elles disent que ces paiements ont été versés pour acheter des bulletins de vote postaux et que, dans certains cas, des paiements ont été faits aux personnes qui ont falsifié les demandes de bulletin de vote postal ainsi que les bulletins de vote postaux. Les défendeurs affirment qu’aucun élément de preuve n’étaye ces allégations. Ils affirment qu’ils n’ont pas [traduction] « falsifié » les bulletins de vote postaux; en fait, très peu de bulletins de vote ont été remis en cause en l’espèce. Les défendeurs invitent la Cour à examiner le [traduction] « Tableau des bulletins de vote » que les demanderesses ont fourni dans leur dossier (DDEM 3960, PDF 3969). Commentaire de la Cour : J’examinerai plus loin, un à un, les bulletins de vote problématiques. Toutefois, je conclus que les demanderesses n’ont pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que les employés de la bande, Deloris Peyachew (l’administratrice du registre des Indiens), l’administrateur de la bande, Cody Benson, ou le dirigeant principal des finances, Austin Ahenakew, avaient commis une fraude électorale ou une fraude électorale grave, ou qu’ils avaient contrevenu à la LEPN ou au REPN.

[184] Les demanderesses soutiennent également que Deloris Peyachew (l’administratrice du registre des Indiens) – ou une personne prétendant être elle – a délivré plusieurs nouvelles pièces d’identité falsifiées pour les électeurs qui avaient besoin de nouvelles pièces d’identité, ces preuves d’identité devant accompagner leurs demandes de bulletin de vote postal. Les demanderesses font valoir que les défendeurs ont utilisé ces nouvelles pièces d’identité falsifiées pour falsifier ensuite les demandes de bulletin de vote postal présentées à M. Ratte, afin que les trousses de vote postales puissent être acheminées à la résidence de Leroy Nicotine Jr. et à d’autres personnes. Commentaire de la Cour : J’estime que Deloris Peyachew n’a pas participé à la falsification des pièces d’identité des électeurs, car je ne crois pas que c’est sa signature qui figure sur les formulaires de déclaration d’identité en question, en tout ou en partie, qu’on lui reproche d’avoir signé. Elle n’a pas témoigné dans la présente instance et n’a pas été contre‐interrogée.

9) Le résultat général de l’élection

[185] Selon les demanderesses, le cercle de malhonnêtes a largement triomphé. Cinq semaines avant l’élection du 20 mars 2020, le chef Wuttunee a dit que les défendeurs avaient déjà demandé 433 bulletins de vote postaux [DDEM 4334, PDF 4343]. Au total, le chef Wuttunee a présenté à M. Ratte, par messages textes avec photos, 521 demandes de bulletin de vote postal [DDEM, à l’onglet 253]. Les défendeurs soutiennent qu’eux-mêmes et leurs partisans [traduction] « ont triomphé et ont remporté l’élection après avoir mené une campagne qui était conforme aux lignes directrices approuvées par SAC et autorisées par Élections Canada ». Commentaire de la Cour : J’examinerai des demandes de bulletin de vote postal et des formulaires de déclaration d’identité en particulier, plus loin dans les présents motifs. Les défendeurs ont été élus dans les postes qu’ils avaient brigués, mais le déroulement de l’élection n’était pas entièrement conforme à la LEPN et au REPN et je conclus que tous les défendeurs, sauf un, et deux de leurs partisans, ont commis une fraude électorale grave.

10) Les nombreuses demandes de bulletin de vote postal

[186] Les demanderesses soutiennent que les défendeurs et leurs partisans ont présenté de nombreuses demandes de bulletin de vote postal. Commentaire de la Cour : Je suis d’accord. Je me fonde sur la RE de M. Ratte du 18 mai 2021 pour conclure que les personnes suivantes ont présenté, par message texte avec photo, des demandes de bulletin de vote postal à M. Ratte :

1. Le chef Wuttunee en a présenté 521 [DDEM, à l’onglet 253]

2. Le conseiller Gary Nicotine en a présenté 164 [DDEM, à l’onglet 254]

3. Le conseiller Shawn Wuttunee en a présenté 24 [DDEM, à l’onglet 255]

4. Le conseiller Dana Falcon en a présenté 18 [DDEM 256]

5. Le conseiller Henry Gardipy en a présenté 25 [DDEM, à l’onglet 257]

6. Le conseiller Mandy Cuthand en a présenté 49 [DDEM, à l’onglet 258]

7. Le conseiller Samuel Wuttunee en a présenté 31 [DDEM, à l’onglet 259]

8. L’administrateur de la bande, Cody Benson, en a présenté 22 [DDEM, à l’onglet 260]

[187] Cette liste ne renvoie qu’aux demandes de bulletin de vote postal, dont l’existence est connue, qui ont été présentées à M. Ratte par message texte avec photo. Il se peut que d’autres demandes lui aient été présentées par la poste ou par courrier électronique, ou qu’elles aient été livrées personnellement. Commentaire de la Cour : J’estime que ces renseignements sont exacts.

[188] À cet égard, je tiens à faire remarquer que les défendeurs contestent également l’admissibilité des documents fournis aux onglets 254 à 260 de la RE de M. Ratte du 18 mai 2021. Il s’agit des documents mentionnés dans les deux paragraphes qui précèdent. Les défendeurs soutiennent que les documents fournis aux onglets 252 à 260 ne sont pas admissibles, même s’il s’agit des documents que M. Ratte a fournis dans sa réponse aux engagements, soit la RE du 18 mai 2021. À mon humble avis, les documents fournis aux onglets 252 à 260, qui font partie de la RE de M. Ratte du 18 mai 2021, constituent des éléments de preuve admissibles pour les raisons indiquées ci‐dessus aux paragraphes 110 et suivants, ainsi qu’à la partie IV 3b). La Cour prend acte du nombre de demandes de bulletin de vote postal que M. Ratte a relaté.

B. Le rôle de M. Ratte, et l’échange de courriels qu’il a eu avec Service aux Autochtones Canada au sujet des demandes de bulletin de vote postal

1) La décision de constituer M. Ratte partie à la présente requête en contestation et le rôle qu’il y tient

[189] Même si le président d’élection, M. Ratte, est une partie désignée dans l’avis de demande et dans les avis de demande modifiés, les demanderesses disent qu’il a été constitué partie à l’instance uniquement pour faciliter l’interrogatoire préalable et établir la provenance de documents. Ni M. Ratte ni les défendeurs n’ont formulé d’objection à cet égard dans leurs mémoires. Il n’y a eu aucune contestation sur ce point. À mon humble avis, la décision de constituer défendeur le président d’élection est logique parce que le président d’élection, en plus de surveiller l’élection en cause tenue sous le régime de la LEPN, est le gardien de tous les documents de la Première Nation liés à l’application de la LEPN. La présente contestation doit être présentée par voie de requête, conformément à l’article 31 de la LEPN. Toutefois, contrairement aux demandes de contrôle judiciaire que la Cour entend, aucun décideur administratif ou décision administrative n’est en cause. Une contestation fondée sur la LEPN exige que la Cour tranche elle-même, en première instance, au vu du dossier des parties, la question de savoir s’il y a eu contravention à la LEPN et/ou au REPN et dans quelle mesure, et celle de savoir si une fraude électorale, grave ou non, a été commise et dans quelle mesure. Par conséquent, il est important et nécessaire que la Cour et les parties puissent avoir un accès direct au président d’élection, ce qui est possible lorsqu’il est constitué partie.

[190] En l’espèce, les demanderesses avaient initialement demandé à M. Ratte de produire un dossier certifié du tribunal (normalement exigé lors du contrôle judiciaire de décisions administratives), mais elles semblent avoir abandonné leur demande. Monsieur Ratte a plutôt déposé un affidavit qu’il a souscrit le 27 août 2020, dans lequel il faisait essentiellement état du résultat de l’élection, et auquel il a joint des pièces qui fournissaient des renseignements supplémentaires. Il a été contre‐interrogé le 14 septembre 2020, date à laquelle il a pris des engagements. Le 26 octobre 2020, il a subi un autre contre‐interrogatoire et a pris d’autres engagements.

[191] Comme nous l’avons vu précédemment, M. Ratte a fourni des renseignements et des documents supplémentaires dans sa RE du 18 mai 2021, sur lesquels il a été contre‐interrogé le 4 octobre 2021. À cette date, il a également été contre‐interrogé sur son affidavit du 23 juillet 2021.

2) La décision d’autoriser les membres de la Première Nation à distribuer à d’autres membres les formulaires de demande de bulletin de vote postal

[192] L’un des documents que M. Ratte a joints à son affidavit du 23 juillet 2021 est un échange de courriels entre M. Ratte et Service aux Autochtones Canada [SAC]. Cet échange a eu lieu parce que les défendeurs avaient demandé conseil à M. Ratte et à SAC afin de veiller à ce que leurs communications avec le plus grand nombre d’électeurs possible en vue de leur fournir des formulaires de demande de bulletin de vote postal soient conformes aux lignes directrices. Il s’agit d’un court échange de courriels, que voici :

[traduction]

De : Burke Ratte, le 28 janvier 2020

À : Yves Denoncourt

Objet : Formulaire 5‐D NCRP

Bonjour Yves, j’ai été nommé président d’élection pour la Nation crie de Red Pheasant. Nous tenons une élection pour les postes de chef et de conseillers sous le régime de la Loi sur les élections au sein de premières nations. DATE de l’élection : le 20 mars 2020.

J’ai une question concernant le formulaire (5d) de demande de bulletin de vote postal. Hormis le dossier initial de candidatures –lequel comprend le formulaire 5‐d qui est envoyé aux électeurs (d’après les adresses que la Première Nation envoie au PE) le 60e jour du processus – ou à ceux qui ont communiqué directement avec le PE, est‐il acceptable de laisser au bureau de la bande des exemplaires de ce formulaire et/ou de permettre aux membres de la bande de les distribuer en conséquence?

J’attends votre avis.

Merci, Burke

De : Yves Denoncourt, le 28 janvier 2020

À : Burke Ratte

Objet : RE : Formulaire 5‐D NCRP

Bonjour,

Tout à fait acceptable. Après tout, ils visent à aider le plus grand nombre possible d’électeurs à voter.

Yves

[193] J’estime que cet échange de courriels est dûment admis en preuve, malgré les objections des demanderesses selon lesquelles il s’agit de ouï‐dire et d’une conclusion de droit inadmissible. Rien ne permet de penser que le document est un faux ou qu’il a été falsifié. Je ne vois rien de mal non plus à ce que M. Ratte ait demandé des conseils à SAC puisqu’il n’est pas contesté que SAC est le ministère fédéral compétent pour ce qui est des élections des Premières Nations tenues sous le régime de la LEPN.

[194] L’échange de courriels entre M. Ratte et SAC contient l’opinion de SAC selon laquelle M. Ratte pouvait régulièrement fournir aux candidats et aux membres de la bande les formulaires de demande de bulletin de vote postal (formulaires 5‐D) pour qu’ils les remettent à d’autres électeurs. À mon avis, il n’y a aucune raison de principe qui permet de soustraire de la preuve cet échange qui est exactement ce qu’il est censé être. Je ne vois pas la nécessité d’exiger que le ou la fonctionnaire de SAC vienne dire qu’il ou elle a envoyé le courriel et en a rédigé le contenu. Je comprends que les demanderesses s’opposent au contenu de ce courriel – dont les conseils donnés par SAC –, mais rien ne permet d’exclure de la preuve cet échange de courriels qui est exactement ce qu’il est censé être. Les demanderesses s’opposent à ce que cette opinion soit admise comme preuve de sa véracité, point que je n’ai pas à trancher parce que j’ai tiré ma propre conclusion à cet égard.

[195] À ce sujet, j’ai également conclu que M. Ratte avait le droit de fournir aux candidats et aux électeurs les demandes de bulletin de vote postal (formulaires 5‐D) pour qu’ils les remettent aux électeurs, et c’est ce qu’il a fait. Rien dans la LEPN ou dans le REPN ne dit le contraire. Les fausses signatures ou le fait de falsifier d’une autre manière les demandes de bulletin de vote postal, les bulletins de vote postaux ou les formulaires de déclaration d’identité et de les renvoyer à M. Ratte, qui est responsable de leur traitement, sont d’un tout autre ordre : ces situations peuvent constituer une fraude électorale grave.

C. L’examen de chacun des bulletins de vote afin de savoir s’il y a eu contravention à la LEPN et/ou au REPN et/ou fraude électorale grave

[196] Les arguments des parties portent principalement sur les contraventions à la LEPN et au REPN et/ou sur la fraude électorale ou les manœuvres frauduleuses graves qui auraient été commises dans le cas de certains bulletins de vote précis. Il peut s’agir de demandes de bulletin de vote postal et des pièces d’identité exigées, ainsi que de bulletins de vote postaux renvoyés avec les formulaires de déclaration d’identité requis. Les parties s’en sont tenues, dans leur argumentation, à la participation des candidats défendeurs dans la présente contestation et de leurs partisans (voir le paragraphe 27 plus haut). Chaque bulletin de vote en cause sera examiné.

[197] Les demanderesses n’ont pas dit à quelles dispositions précises de la LEPN ou du REPN chaque défendeur aurait contrevenu, sauf dans certains cas. J’examinerai les contraventions alléguées par les demanderesses dans leur contexte, lequel peut comprendre la conduite d’autres défendeurs et de leurs partisans.

[198] Toutefois, je conclus que l’argument général des demanderesses à cet égard est inacceptable. Selon leur argument, la Cour devrait tenir compte de plus de 20 contraventions différentes reprochées à chaque défendeur et à chaque partisan. Il n’appartient pas à la Cour de mettre de l’ordre dans les arguments des demanderesses. Par conséquent, je ne tiendrai pas compte du paragraphe suivant dans le mémoire des demanderesses :

[TRADUCTION]

94. L’existence de plusieurs contraventions – aux alinéas 14a), b), c), d), 16(1)a), b), c), e), f), 19a), 20 c) et aux articles 17, 18, 26 et 27 de la LEPN, ainsi qu’aux paragraphes 5(4), (5), (6) et aux articles 15, 16, et 17 du REPN – a été établie en l’espèce. Les demanderesses renvoient à chacun des cas de manœuvres frauduleuses commises lors de l’élection qui sont mentionnés dans la partie I du présent mémoire et dans leur avis de demande modifié.

[199] J’examinerai également les situations de fraude électorale et de fraude électorale grave dans leur contexte. Le contexte peut dans certains cas également exiger l’examen de la conduite d’autres défendeurs et de leurs partisans.

1) Robin Dean Wuttunee

[200] Aux paragraphes 12-16 de leur avis de demande modifié, les demanderesses allèguent ce qui suit :

[TRADUCTION]

12. CLINTON WUTTUNEE, JASON JAKITA, SAMUEL WUTTUNEE et SHAWN WUTTUNEE (au nom des participants et en leur propre nom) se sont livrés relativement à l’élection à des manœuvres frauduleuses– et en particulier à l’achat de votes – lorsqu’ils ont fourni une fausse demande de bulletin de vote postal, acheté le bulletin de vote postal et falsifié la déclaration d’identité, qui y était jointe, de Robin Dean Wuttunee qui était détenu du 12 janvier au 23 juin 2020, au Centre de détention provisoire d’Edmonton.

13. CLINTON WUTTUNEE, JASON JAKITA et SAMUEL WUTTUNEE ont eu, entre janvier et l’élection, plusieurs communications avec Robin Dean Wuttunee dans le cadre desquelles ils ont pris des arrangements pour acheter son bulletin de vote postal et fourni des directives à cet égard. Ils ont envoyé 300 $ par virement électronique à Heather Wuttunee qui devait acheminer la somme à son frère, Robin Dean Wuttunee, pour l’achat de son bulletin de vote postal.

14. Inquiets de voir le jour du scrutin arriver à grands pas, les participants ont dit à Deloris Peyachew de falsifier la nouvelle pièce d’identité de Robin Dean Wuttunee. Elle s’est exécutée le 10 mars 2020, ou vers cette date, et elle l’a jointe à la demande falsifiée de bulletin de vote postal qu’elle a remise au président d’élection (M. RATTE) au moyen d’un message texte, dans le but d’obtenir irrégulièrement un bulletin de vote postal.

15. Les participants ont envoyé le bulletin de vote postal de Robin Dean Wuttunee à une adresse à North Battleford dont ils pouvaient disposer grâce à une personne agissant en leur nom, c’est‐à‐dire, celle de Leroy Nicotine Jr. ou de quelqu’un d’autre.

16. Les participants ont ensuite obtenu le bulletin de vote postal de Robin Dean Wuttunee, et SHAWN WUTTUNEE (en son propre nom et au nom des participants) a demandé que son épouse, Shelley Wuttunee, falsifie la déclaration d’identité jointe au bulletin de vote postal de Robin Dean Wuttunee. Celle-ci s’est exécutée le ou vers le 17 mars 2020, affirmant qu’elle avait vu Robin Dean Wuttunee déclarer solennellement qu’il avait dûment, à cette date, voté par bulletin de vote postal à North Battleford. Or, Robin Dean Wuttunee était au Centre de détention provisoire d’Edmonton et n’avait pas fait – et n’aurait pu faire – cette déclaration solennelle devant Shelley Wuttunee à North Battleford. Les participants, ou des personnes agissant en leur nom, ont falsifié le bulletin de vote postal de Robin Dean Wuttunee et ont illégalement voté pour les candidats aux postes de chef et de conseillers.

[201] Les défendeurs qui auraient commis les manœuvres frauduleuses concernant le vote de Robin Dean Wuttunee [Robin Wuttunee] sont le chef Wuttunee, le conseiller Jason Chakita, le conseiller Samuel Wuttunee et le conseiller Shawn Wuttunee. Leroy Nicotine Jr. et Shelley Wuttunee (épouse du conseiller Shawn Wuttunee), deux des partisans désignés, ont y auraient également participé. Les demanderesses affirment, au paragraphe 8 de leur mémoire, que Leroy Nicotine Jr. a participé à la falsification de bulletins de vote postaux lorsqu’il les a signés en qualité de témoin en l’absence des électeurs.

[202] L’affidavit de Robin Wuttunee constitue la preuve des demanderesses concernant son bulletin de vote postal. Les défendeurs ont fourni, en réponse, l’affidavit du chef Wuttunee, du conseiller Jason Chakita, du conseiller Samuel Wuttunee et de Shelly Wuttunee (épouse du conseiller Wuttunee).

[203] À toutes les dates pertinentes, c’est‐à‐dire entre le 12 janvier et le 23 juin 2020, Robin Wuttunee était détenu au Centre de détention provisoire d’Edmonton [le CDPE].

[204] Pendant sa détention, Robin Wuttunee a fait plusieurs appels téléphoniques, lesquels étaient tous surveillés et enregistrés conformément à la politique du CDPE qui consiste à surveiller et à enregistrer tous les appels téléphoniques entre les détenus et les personnes à l’extérieur de l’établissement. Ces enregistrements posent certains problèmes.

a) L’admissibilité des transcriptions et des copies sur CD des appels téléphoniques que Robin Wuttunee a faits à partir du CDPE au conseiller Samuel Wuttunee et au conseiller Jason Chakita

[205] Toutes les conversations téléphoniques entre un détenu, comme Robin Wuttunee, et une personne à l’extérieur commencent par un avis automatisé indiquant expressément que l’appel est surveillé et enregistré.

[206] Robin Wuttunee a déclaré qu’il avait eu de tels appels téléphoniques avec le conseiller Samuel Wuttunee et le conseiller Jason Chakita, et que ces appels portaient sur l’achat de son vote.

[207] Conformément à l’article 7 de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act [Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée], chapitre F‐25, de l’Alberta, Robin Wuttunee a, par l’entremise de ses avocats, demandé au CDPE de lui donner les copies des enregistrements. Le CDPE lui a remis deux CD contenant les copies des conversations téléphoniques qu’il avait eues depuis le CDPE avec le conseiller Samuel Wuttunee et le conseiller Jason Chakita pendant la période électorale. Bien que les autorités de l’Alberta aient initialement fourni des versions non caviardées, qui ont été retournées, elles ont par la suite envoyé aux avocats des demanderesses des copies caviardées des enregistrements – sur deux CD – dans lesquelles étaient omis le nom des autres personnes ayant pris part à l’appel et les mots prononcés par ceux avec qui il parlait.

[208] Les avocats des demanderesses ont informé les avocats des défendeurs de l’inadvertance commise par les autorités de l’Alberta, et du fait qu’ils avaient des copies caviardées des appels avec le conseiller Samuel Wuttunee et le conseiller Jason Chakita. Les avocats des demanderesses ont demandé aux avocats des défendeurs de consentir à communiquer le contenu de ce qu’avaient dit le conseiller Samuel Wuttunee et le conseiller Jason Chakita lors de ces conversations. Maître Stooshinoff s’y est fermement opposé.

[209] Des assignations à comparaître et à produire des documents ont ensuite été signifiées aux conseillers Jason Chakita et Samuel Wuttunee : ils devaient comparaître aux fins d’un contre‐interrogatoire et produire une copie du contenu de leurs conversations téléphoniques avec Robin Wuttunee. Ils ont tous deux comparu aux fins de leur contre‐interrogatoire, mais ni l’un ni l’autre n’a apporté une copie de ce contenu. Ils n’ont pas demandé non plus à être dispensés de l’obligation de produire ces documents sur le fondement du paragraphe 94(2) des Règles. Maître Stooshinoff, avocat des défendeurs, a refusé de permettre à ses clients de répondre à toute question portant sur leurs conversations avec Robin Wuttunee. Voici ce qu’il a dit [relativement au contre‐interrogatoire du conseiller Jason Chakita] [DDEM 1710‐1711, PDF 1719‐1720, à partir de la ligne 20] :

[traduction]

Le contre‐interrogatoire de Jason Chakita, tenu le 30 septembre 2020.

20 MAÎTRE STOOSHINOFF : C’est susceptible d’objections.

21 Vous savez que c’est susceptible d’objections. Vous savez

22 que nous nous y sommes opposés vigoureusement.

23 MAÎTRE PHILLIPS : L’enregistrement

24 est licite.

25 Maître STOOSHINOFF : Il y a une plainte –

1 Maître PHILLIPS : Il s’agit de l’enregistrement

2 qui a été produit par les –

3 Maître STOOSHINOFF : Ça m’est égal.

[210] Lors du contre‐interrogatoire de Samuel Wuttunee, Me Stooshinoff s’est encore opposé à ce que des réponses soient fournies aux questions posées à ce sujet :

[traduction]

1 LA PIÈCE A‐52 :

2 ASSIGNATION À COMPARAÎTRE LE 04-09-2020 –

3 SAMUEL WUTTUNEE

4 Q. Et vous refusez de produire d’autres

5 documents, n’est‐ce pas monsieur?

6 Maître STOOSHINOFF : Nous ne refusons pas. Nous

7 répétons notre objection et les motifs de

8 l’objection.

[211] Dans son affidavit, Robin Wuttunee a mentionné les appels qu’il avait faits aux deux conseillers Jason Chakita et Samuel Wuttunee. Les copies caviardées par le CDPE des transcriptions de ces appels et les documents connexes figurent aux onglets 49 à 59 du dossier des demanderesses. Les CD ont été joints à l’affidavit d’une adjointe juridique de Me Phillips, avocat des demanderesses. Une copie de l’affidavit de l’adjointe juridique a été déposée dans le dossier des demanderesses sans les CD, seules des copies de leurs enveloppes y étaient jointes. L’affidavit original de l’adjointe juridique et les deux CD originaux ont été produits par la suite, malgré l’objection des défendeurs, conformément à l’ordonnance du 2 décembre 2021 de la juge Aylen.

[212] Personne n’affirme que les deux CD et les transcriptions ne sont pas ce qu’ils sont censés être. Les défendeurs s’opposent à ce qu’ils soient admis en preuve parce que l’adjointe juridique s’est fondée sur ce que Me Phillips, avocat des demanderesses, lui avait dit. Avec égards, c’est à l’admissibilité des conversations enregistrées sur les CD et du contenu des transcriptions que les défendeurs s’opposent réellement, et non à l’admissibilité des enregistrements ou des transcriptions comme tels. Des représentants du gouvernement de l’Alberta ont envoyé les CD à Me Phillips, avocat des demanderesses, et le sténographe judiciaire certifié lui a envoyé les transcriptions qu’il avait faites. C’est ce qu’il a dit à son adjointe et c’est ce qui figure dans son affidavit. À mon avis, compte tenu de ces circonstances précises, les deux CD et les transcriptions sont régulièrement admis en preuve, malgré la façon dont ils ont été obtenus; je ne pense pas qu’ils auraient pu être présentés à la Cour autrement que par l’entremise du témoignage des représentants de l’Alberta ou du sténographe judiciaire certifié. Dans les circonstances, j’estime qu’ils sont admissibles parce qu’ils relèvent d’une exception à la règle du ouï‐dire vu qu’ils sont fiables et nécessaires (voir R c Khan, [1990] 2 RCS 531 [la juge McLachlin, plus tard juge en chef]; Gilead Sciences, Inc. c Canada (Santé), 2016 CF 856 aux para 51-58). Je n’ai aucune raison de mettre en doute l’authenticité des deux CD ou des transcriptions, les deux étant fiables, à mon avis. J’estime également que l’instance exigeait qu’ils soient présentés à la Cour de cette manière. Je ne m’attends pas à ce que l’avocat visé soit tenu de témoigner en l’espèce pour relater ce qui est arrivé dans sa salle de courrier.

[213] Sur ce point, je me fonde également sur l’arrêt Bande indienne Coldwater c Canada (Procureur général), 2019 CAF 292 [Coldwater] (le juge Stratas, demande d’autorisation d’appel à la CSC refusée, no 39111 (02-07-2020)), et plus particulièrement sur les paragraphes 48 à 55 qui portent sur la fiabilité et la nécessité :

[49] En l’espèce, une grande partie de la preuve controversée est fiable et étayée par des documents, incluant des résumés, des notes et des procès‐verbaux de rencontres tenues dans le cadre des consultations; et ces documents pourraient, en totalité ou en partie, être admissibles à titre de registres.

[50] Au paragraphe 72 de son affidavit, M. Tupper explique que le Canada a préparé ces procès‐verbaux afin qu’ils soient regroupés et reflètent l’opinion commune quant aux thèmes discutés. Ils ont été communiqués à la nation Tsleil‐Waututh pour qu’elle les commente et les approuve conformément au protocole mis en œuvre pour ce processus de consultation. Lors de cette consultation, la nation Tsleil‐Waututh n’a exprimé aucune opposition quant à l’exactitude des procès‐verbaux. Une garantie indirecte de crédibilité de ce type permet de répondre au critère de la nécessité.

[51] Rien n’indique que les intimés tentent d’empêcher l’examen minutieux de témoins disposant de renseignements directs. En effet, dans de nombreux cas, les parties requérantes elles‐mêmes n’ont pas produit le type de preuve directe que devaient produire les intimés, selon elles. De plus, rien n’indique que les parties requérantes ont l’intention d’interroger des personnes ayant une preuve directe ou qu’elles ont demandé l’assignation de témoins en application de l’article 41 des Règles (tel qu’il a été expliqué dans l’arrêt Tsleil‐Waututh no 1, au paragraphe 103).

[52] Trois facteurs doivent être gardés à l’esprit en ce qui concerne l’appréciation de la question de la nécessité.

[53] D’abord, il faut donner au critère de la nécessité « une définition souple, susceptible d’englober différentes situations » dans laquelle « pour différentes raisons, la preuve directe pertinente n’est pas disponible » : R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, aux pages 933 et 934. La « [...] nécessité [n’a pas à être] aussi grande; il s’agit peut‐être à peine d’une nécessité; on peut supposer qu’il s’agit d’une simple commodité » : Smith [,] à la page 934, citant J.H. Wigmore, A Treatise on the Anglo‐American System of Evidence in Trials at Common Law, vol. III, 2e éd. (Boston, Little, Brown & Co., 1923)[,] aux paragraphes 1420 à 1422.

[54] Deuxièmement, l’article 18.4 de la Loi sur les Cours fédérales prévoit qu’il faut statuer sur les demandes de contrôle judiciaire « à bref délai et selon une procédure sommaire ». De plus, notre Cour a ordonné un échéancier très accéléré pour le traitement des demandes réunies. Ce besoin de rapidité et d’efficacité a une influence sur l’analyse de la nécessité.

[55] Troisièmement, il arrive que la nature et les exigences concrètes d’une instance aient une incidence sur l’admissibilité d’éléments de preuve et, plus particulièrement, sur l’appréciation de la nécessité par la Cour.

[Non souligné dans l’original.]

[214] Les défendeurs soutiennent que la transcription de ce qu’a dit Robin Wuttunee, depuis le CDPE, lors de ces appels téléphoniques (aux onglets 49-59), n’est pas admissible parce qu’elle a été obtenue illégalement et parce que les demanderesses n’ont présenté aucune demande visant à faire verser en preuve les enregistrements effectués par le CDPE, un tiers. Les défendeurs allèguent également que l’utilisation des transcriptions est visée par une plainte au criminel et que d’autres plaintes au criminel pourraient s’ajouter. À cet égard, voici un échange qu’ont eu Me Phillips, avocat des demanderesses, et Me Stooshinoff, avocat des défendeurs, au sujet du contre‐interrogatoire du conseiller Jason Chakita concernant les CD et les transcriptions :

[traduction]

Le contre‐interrogatoire de Jason Chakita, tenu le 30 septembre 2020

24 Maître PHILLIPS : Aux fins de la preuve, voici

25 la pièce B jointe à l’affidavit de Stephanie Reid

1 Maître STOOSHINOFF : Me Phillips, ne

2 perdez pas votre temps, nous ne

3 répondrons à aucune question à ce sujet. Me

4 Phillips, ce point fait l’objet d’une objection.

5 Nos motifs d’opposition sont sérieux, et

6 nous sommes d’avis qu’il vous est interdit de produire

7 en preuve ce document ou cet enregistrement

8 que vous avez, car ils ont été obtenus illégalement.

[...]

20 Maître STOOSHINOFF : C’est susceptible d’objections.

21 Vous savez que c’est susceptible d’objections. Vous savez

22 que nous nous y sommes opposés vigoureusement.

23 Maître PHILLIPS : L’enregistrement

24 est licite.

25 Maître STOOSHINOFF : Il y a une plainte –

1 Maître PHILLIPS : Il s’agit de l’enregistrement

2 qui a été produit par les –

3 Maître STOOSHINOFF : Ça m’est égal.

4 Maître PHILLIPS : Cet enregistrement

5 a été produit de manière régulière et il comporte des passages

6 expurgés. On y entend uniquement Robin Dean

7 Wuttunee. Je le fais entendre.

8 Maître STOOSHINOFF : Il fait l’objet d’une objection et il

9 est visé par une plainte au criminel, Me

10 Phillips. M’avez‐vous entendu? Il est visé

11 par une plainte au criminel. Si

12 vous tentez d’aller de l’avant et de le produire et tentez de

13 le faire ajouter à la transcription, nous

14 invoquerons d’autres motifs d’opposition, Me

15 Phillips, y compris devant la

16 Cour.

17 Maître PHILLIPS : Me Stooshinoff –

18 Maître STOOSHINOFF : Et vous savez très bien –

19 Maître PHILLIPS : Me Stooshinoff, veuillez

20 ne pas m’interrompre.

21 Maître STOOSHINOFF : Vous savez très bien –

22 c’est inutile, il n’est pas question de

23 le verser en preuve. Si vous tentez de

24 le faire avant d’avoir obtenu une ordonnance judiciaire, si vous

25 tentez de le faire avant d’avoir obtenu une ordonnance judiciaire

1 précise, nous demanderons à la Cour de prononcer une ordonnance

2 contre vous et une ordonnance visant la présente instance.

3 Est‐ce clair, Me Phillips? Vous ne voulez vraiment

4 rien entendre! Et vous ne –

[Non souligné dans l’original.]

[215] Avec égards, cette objection n’a aucun fondement. Les CD ont été obtenus régulièrement par Robin Wuttunee qui en a régulièrement fait la demande conformément aux dispositions pertinentes de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act de l’Alberta, chapitre F‐25. Les éléments déposés en preuve aux onglets 49 à 59 sont la transcription de ce qu’a dit Robin Wuttunee lors de ces conversations téléphoniques. Il en va de même pour les CD.

[216] Je tiens à souligner que les défendeurs eux‐mêmes semblent maintenant convenir que Robin Wuttunee peut régulièrement obtenir et communiquer ces enregistrements, pourvu qu’il donne son consentement. Voici ce qu’ils disent aux paragraphes 124 et 125 de leur mémoire :

[TRADUCTION]

124. Le CDPE a le pouvoir d’enregistrer les communications téléphoniques des détenus en vertu de l’article 14.4 de la Corrections Act [Loi sur le système correctionnel], RSA 2000, c C‐29. Il est possible d’obtenir ces enregistrements sur présentation d’une demande au commissaire à l’information, conformément à l’article 7 de cette Loi. Toutefois, la communication subséquente de l’enregistrement n’est pas autorisée sans le consentement des personnes dont la conversation a été enregistrée, conformément à l’article 30 (avis) et à l’article 40 (consentement), suivant la forme prévue à l’article 7 du Règlement pris en vertu de la Loi.

125. En outre, quel que soit leur contenu, les enregistrements ne sont pas admissibles, car les parties concernées n’ont pas consenti à leur communication. Nous sommes d’avis que même les parties caviardées de ces enregistrements constituent une atteinte aux droits à la protection de la vie privée et aux droits constitutionnels des parties, car les enregistrements sont utilisés pour faire état de leurs communications.

[217] Il ne fait aucun doute que Robin Wuttunee a consenti à la communication de ce qu’il a dit lors de ces conversations : c’est, en effet, lui qui les a demandées. Son consentement constitue une réponse complète aux allégations formulées par les défendeurs quant à l’illégalité et la criminalité.

[218] Les défendeurs s’opposent également à ce que les transcriptions des enregistrements téléphoniques caviardées soient admises. Nul ne remet en question l’exactitude de ces transcriptions; une telle objection ne serait pas fondée parce que les transcriptions sont certifiées par un sténographe judiciaire certifié. Ces transcriptions ne constituent pas du ouï‐dire inadmissible; elles sont admissibles, à mon avis, pour prouver qu’elles ont été faites. Elles ne servent pas à prouver l’exactitude des propos qu’a tenus Robin Wuttunee, mais à en prouver l’existence. Voici ce que la Cour d’appel fédérale a dit dans l’arrêt CBS Canada Holdings Co. c Canada, 2017 CAF 65 [CBS] mentionné précédemment au paragraphe 94 :

[19] La preuve par ouï‐dire est définie comme étant une déclaration extrajudiciaire présentée pour établir la véracité de son contenu. L’énoncé classique de la définition du ouï‐dire se trouve dans l’arrêt Subramaniam v. Public Prosecutor (Malaya), [1956] UKPC 21, [1956] 1 W.L.R. 965, à la page 969 :

[traduction]

La preuve d’une déclaration faite à un témoin par une personne qui n’est pas elle‐même appelée à témoigner peut être ou ne pas être du ouï‐dire. Cette preuve constitue du ouï‐dire et est inadmissible lorsqu’elle vise à établir la véracité du contenu de la déclaration. Elle ne constitue pas du ouï‐dire et est admissible lorsqu’elle vise à établir non pas que la déclaration est exacte, mais qu’elle a été faite.

[219] Subsidiairement, et à mon humble avis, les transcriptions sont admissibles parce qu’elles relèvent d’une exception à la règle du ouï‐dire, en raison de leur fiabilité et de leur nécessité (Coldwater, aux para 49-55). Il n’est pas nécessaire d’obtenir le témoignage – de vive voix ou par affidavit – du sténographe judiciaire certifié à cet égard.

[220] Compte tenu de ce qui précède, j’estime que le conseiller Jason Chakita n’aurait pas dû refuser de répondre aux questions liées aux onglets 49 à 59, lesquels étaient régulièrement admis en preuve. Vu qu’il n’a pas répondu aux questions et qu’il n’a pas fourni une copie de ce qu’il avait dit lors de sa conversation avec Robin Wuttunee malgré l’assignation à comparaître et à produire un document qu’il a reçue, je tire une conclusion défavorable, à savoir – comme l’a déclaré Robin Wuttunee – que le conseiller Jason Chakita a eu une ou plusieurs conversations téléphoniques avec Robin Wuttunee au cours desquelles ce conseiller avait offert d’acheter la demande de bulletin de vote postal de Robin Wuttunee. À cet égard, je renvoie cette fois encore à l’ordonnance rendue le 30 août 2021 par la juge Aylen, concernant la DEUXIÈME REQUÊTE : [traduction] « 10. La demande présentée par les demanderesses en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant aux défendeurs de répondre à toutes les questions auxquelles les déposants des défendeurs ont refusé de répondre lors de leurs contre‐interrogatoires est rejetée, sans porter atteinte au droit des demanderesses de demander au juge du fond de tirer une conclusion défavorable de ces refus. » [Non souligné dans l’original.]

[221] Il convient également de souligner que le chef Wuttunee, le conseiller Samuel Wuttunee et le conseiller Jason Chakita ont échangé plusieurs messages sur Facebook avec Robin Wuttunee.

[222] Il est admis – et j’en conviens –que les messages figurant sur le compte Facebook de Robin Wuttunee ont en fait été publiés, avec son autorisation, par Heather Wuttunee à qui il avait donné ses mots de passe de Facebook et des directives quant à ce qu’elle devait dire.

[223] Les messages sur Facebook échangés avec le conseiller Samuel Wuttunee, comprennent, tout particulièrement, des directives à l’intention de Robin Wuttunee de laisser son bulletin de vote postal [traduction] « vierge » pour conclure la vente – [traduction] « il doit toutefois être vierge ». Le conseiller Samuel Wuttunee lui a ensuite demandé à quelle adresse il devrait poster le bulletin de vote postal [DDEM 0281, PDF 0290, au para 19, et DDEM 0302‐0303, PDF 311‐312] :

[traduction]

Samuel Wuttunee : Il doit toutefois être vierge

Samuel Wuttunee :??? [sic]

Robin Wuttunee : Oui mon ami

Robin Wuttunee : J’ai déjà parlé à Heather

Samuel Wuttunee : D’accord

[224] Je tiens à souligner que d’après la demande de bulletin de vote postal de Robin Wuttunee, l’adresse où il fallait envoyer la trousse de vote postale était le 1291 97th Street, appartement no 104, à North Battleford. Comme nous le verrons plus loin dans les présents motifs, il s’agit de l’adresse de Leroy Nicotine Jr., un partisan des défendeurs, qui a refusé de répondre aux questions concernant son adresse. Je tire une conclusion défavorable à son égard et je suis d’avis que son adresse était le 1291 97th Street, appartement no 104, à North Battleford.

[225] Par ailleurs, la preuve démontre que le conseiller Jason Chakita a également eu des conversations sur Facebook avec Robin Wuttunee concernant les fonds devant être virés à Robin Wuttunee, apparemment à son compte de [traduction] « cantine » de l’établissement. [DDEM 0295‐0296, PDF 304‐305] Là encore, il est admis – et j’en conviens – que ce que Robin Wuttunee a dit lors de ces conversations avait été exprimé par Heather Wuttunee, à qui il avait donné ses mots de passe de Facebook et des directives. Voici quelques extraits de ces conversations sur Facebook :

[traduction]

Robin Wuttunee : Ça fait deux semaines, j’attends toujours 60 $.

Jason Chakita : Je sais. Je n’ai pas d’argent liquide. Tu devras donc continuer à attendre jusqu’à ce que j’en obtienne

Robin Wuttunee : Quoi de neuf?

Robin Wuttunee : Robin veut savoir si tu peux lui apporter de l’argent d’ici mardi soir pour la cantine

Jason Chakita : Trusttransfers.ca

Robin Wuttunee : Oui, vire l’argent là mon ami

Jason Chakita : 3067133437

Robin Wuttunee : Quel est le numéro du chef? Robin veut savoir si vous avez envoyé quelque chose pour son téléphone.

[226] Les défendeurs se sont opposés à l’admissibilité des enregistrements et de leurs transcriptions – et j’ai conclu aux paragraphes 205 et suivants (partie V. C. (1)a)) que leur objection n’était pas fondée –, mais ils font valoir subsidiairement que le contenu des messages au sujet du bulletin de vote postal de Robin Wuttunee était de nature incidente. Aux pages DDEF 0882, PDF 887, à la ligne 13 de son contre‐interrogatoire, Robin Wuttunee déclare qu’il [traduction] « ne vendait pas son vote » et qu’il souhaitait voter légalement :

[TRADUCTION]

10 Q. D’accord. Et vous n’aviez pas l’intention de vendre

11 votre bulletin de vote. Vous aviez l’intention de voter

12 régulièrement –

13 R. Mmhmm.

[227] Les demanderesses soutiennent – et je leur donne raison, selon la prépondérance des probabilités – que dans le premier message du 22 février 2020 entre Robin Wuttunee et le chef Wuttunee, Robin Wuttunee offrait au chef Wuttunee de lui vendre son bulletin de vote postal. Robin Wuttunee a ensuite demandé au chef Wuttunee d’obtenir son bulletin de vote postal. Le 3 mars 2020, les messages suivants étaient publiés sur Facebook : [DDEM 0289, PDF 0298]

[traduction]

Clinton R Wuttunee : Tu veux que j’envoie ton bulletin de vote? Il n’y a encore rien dans le système, je n’en ai pas pour toi

Robin D Wuttunee : D’accord, envoie‐moi ça – personne n’a rien envoyé

Clinton R Wuttunee : D’accord, à quelle adresse?

b) L’échange entre le chef Wuttunee et M. Ratte des listes des électeurs dont les demandes de bulletin de vote postal ont été acceptées ou non

[228] Les demanderesses soutiennent – et je leur donne raison, selon la prépondérance des probabilités – que le chef Wuttunee savait que M. Ratte n’avait pas reçu de demande de bulletin de vote postal de la part de Robin Wuttunee parce qu’elle ne figurait pas dans le [traduction] « système » de M. Ratte destiné aux bulletins de vote postaux. Monsieur Ratte a déclaré (et les parties ne le contestent pas) qu’il n’était pas approprié pour lui de révéler aux candidats l’identité des électeurs qui avaient demandé un bulletin de vote postal [DDEM 0933, PDF 0942]. Toutefois, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que M. Ratte ou une personne de son bureau d’élection a fourni au chef Wuttunee ou à une personne à son bureau, à différentes dates, une ou plusieurs listes des électeurs qui avaient présenté des demandes de bulletin de vote postal (voir le paragraphe 243). Les messages textes pertinents commencent aux pages DDEM 4328, PDF 4337.

[229] Les défendeurs, autres que M. Ratte, font valoir que les messages textes entre le chef Wuttunee et M. Ratte [traduction] « indiquent qu’ils ne discutaient pas d’un échange de renseignements inapproprié, mais plutôt qu’ils cherchaient à confirmer que les formulaires 5‐D qui avaient été envoyés, avaient été régulièrement reçus de la part de l’électeur visé ». À mon avis, leur observation n’est pas fondée : M Ratte a clairement dit que lui et son personnel pouvaient seulement révéler le nombre de personnes dont les demandes de bulletin de vote postal avaient été acceptées ou non, et non le nom de ces personnes. Monsieur Ratte n’a fait part d’aucune exception de la nature que lui reprochent aujourd’hui les défendeurs. Si le chef Wuttunee ou d’autres défendeurs étaient en mesure de faire la preuve de l’existence d’une telle exception, ils devaient la produire. Or, M. Ratte et le chef Wuttunee ont tous deux, de façon générale, refusé de répondre aux questions portant sur les messages textes récupérés du téléphone cellulaire de M. Ratte (voir DDEM 1383, PDF 1392).

[230] Il convient de souligner également que le chef Wuttunee a envoyé le message texte suivant à M. Ratte : [traduction] « J’effacerai ces messages textes », et que M. Ratte lui a ensuite répondu : [traduction] « Oui, stp » [DDEM 4352, PDF 4361], à la fin de cette conversation par message texte.

[231] Les demanderesses soulignent à raison que lorsque M. Ratte a été contre‐interrogé sur ce point [voir à compter des pages DDEM 0970, PDF 0979], il a mis fin à son contre‐interrogatoire. Les défendeurs disent que le message indiquant que les messages textes seraient effacés se rapporte aux photos des demandes de bulletin de vote postal qui avaient été mal transmises du téléphone du chef Wuttunee au téléphone de M. Ratte (les deux téléphones ont plus tard cessé de fonctionner). Les défendeurs disent également que le téléphone du chef Wuttunee a cessé de fonctionner, et que c’est la raison pour laquelle les défendeurs ont commencé à utiliser le téléphone de Gary Nicotine (et les téléphones cellulaires d’autres personnes) pour acheminer les demandes de bulletin de vote postal.

[232] J’estime que ces affirmations – fournies par les avocats des défendeurs (et non par ceux de M. Ratte) – faites après la fin du contre‐interrogatoire de M. Ratte posent problème parce que si elles avaient été véridiques, M. Ratte lui‐même auraient pu et auraient dû les fournir avant la fin de son contre‐interrogatoire, peut‐être en réinterrogatoire ou en réponse aux questions liées à sa propre réponse aux engagements : RE du 18 mai 2021. Si M. Ratte l’avait fait, ces réponses données par les avocats des défendeurs qui n’avaient pas prêté serment auraient pu être dûment vérifiées, au besoin. Monsieur Ratte a toutefois refusé, de façon générale et après avoir invoqué une exception, de répondre aux questions concernant les messages textes avec photos, conformément aux objections aux questions découlant de sa propre RE du 18 mai 2021. Je ne puis non plus retenir les observations des avocats des défendeurs parce que ces affirmations n’ont pas été produites en preuve alors qu’elles auraient pu l’être.

[233] Je tiens à rappeler, à ce stade-ci, que j’ai conclu que les messages textes avec photos échangés entre M. Ratte et divers défendeurs, visés aux onglets 252 à 260 du dossier des demanderesses, constituaient des éléments de preuve admissibles en l’espèce (voir l’analyse au paragraphe 110 (partie IV C. 3)b)) et suivants). J’ai également conclu, à cet égard, que les défendeurs, leurs partisans et M. Ratte étaient tous tenus de répondre aux questions liées à ces messages textes provenant du téléphone cellulaire de M. Ratte et fournis avec son consentement au moyen de sa RE du 18 mai 2021.

[234] Cela dit, au début du contre‐interrogatoire de M. Ratte tenu le 4 octobre 2021, son avocat a dit que M. Ratte refuserait de répondre aux questions liées à sa RE du 18 mai 2021, à moins qu’il s’agisse de questions sur son affidavit du 23 juillet 2021 : [DDEM 0893, DDEM 0902]

[traduction]

6. Maître ISFELD : [avocat de M. Ratte] Oui. D’accord. Donc – il

7. ne s’agit pas d’un – un contre‐interrogatoire sur les

8. engagements; je tiens à le préciser. Il doit porter sur

9. son affidavit du 23 juillet – désolé, du 23 juillet

10. d’accord?

11. Maître XIAO‐PHILLIPS : [avocat des demanderesses] Nous – verrons simplement

12. une question à la fois. Je ne pense pas

13. que notre contre-interrogatoire entraîne des questions litigieuses,

14. mais nous verrons, une question à la fois, d’accord?

15. Maître ISFELD : Je vous avise qu’il

16. ne répondra aux questions portant sur sa

17. réponse aux engagements, à moins qu’elles se rapportent

18. directement à son affidavit, d’accord?

19. Maître XIAO‐PHILLIPS : Je le répète, je ne pense pas

20. qu’il y aura matière à controverse.

21. Maître ISFELD : D’accord.

22. Maître XIAO‐PHILLIPS : Je poserai simplement

23. une question à la fois.

24. Maître ISFELD : D’accord.

[Non souligné dans l’original.]

[235] Par la suite, M. Ratte a refusé – sauf une fois – de répondre aux questions liées à sa RE du 18 mai 2021. Après que M. Ratte eut été interrogé à maintes reprises à cet égard par l’avocat des demanderesses, et après les nombreuses mises en garde faites par son avocat, M. Ratte et son avocat ont ensuite mis fin à son contre‐interrogatoire du 4 octobre 2021.

[236] Comme l’indiquent les avocats de M. Ratte dans leur mémoire, il y avait une exception. Selon le témoignage de M. Ratte, il aurait été inapproprié pour lui de fournir aux candidats des listes identifiant les électeurs qui n’avaient pas présenté une demande de bulletin de vote postal, acceptable ou non. Or, un tel échange semble avoir eu lieu, du moins d’après les messages textes échangés entre M. Ratte et le chef Wuttunee. Dans sa RE du 18 mai 2021, M. Ratte a fourni ces messages textes qui provenaient de son téléphone cellulaire.

[237] En contre‐interrogatoire, M. Ratte a dit qu’il ne serait pas approprié de sa part de fournir aux candidats le nom des électeurs admissibles qui avaient présenté une demande de bulletin de vote postal, et qu’il avait fourni ces noms au chef Wuttunee ou à d’autres candidats :

[traduction]

5 Q. Mais cette liste, qui était à la disposition du public,

6 ne comprenait certainement pas le nom des personnes qui vous avaient déjà

7 présenté une demande de bulletin de vote postal,

8 vu votre qualité de président d’élection,

9 n’est‐ce pas?

10 R. Non, il n’y en avait pas. Il n’y en avait pas, non.

11 Ce n’était pas le cas.

12 Q. Parce qu’il s’agit de renseignements personnels;

13 il serait inapproprié de les fournir aux candidats,

14 par exemple.

15 R. Le nom – la liste comportant uniquement les noms est

16 ce que – légalement, je suis autorisé à communiquer;

17 de l’afficher publiquement.

18 Q. Et vous ne pouvez pas – et vous ne pouvez communiquer

19 aucun autre renseignement?

20 R. Non. Non.

21 Q. Y compris le fait qu’un électeur vous avait, ou non,

22 présenté une demande de bulletin de vote

23 postal?

24 R. Je ne sais pas trop comment répondre à votre question.

25 S’agit-il du formulaire D,

1 Nathan, et tout ce que ça implique, ça se

2 rapporte bien à mon courriel?

[...]

7 Q. Oui. Les formulaires de demande de bulletin de vote postal.

8 Vous ne pouvez pas communiquer à un candidat la liste des

9 électeurs de qui vous aviez déjà

10 reçu une demande de formulaire de bulletin de vote postal,

11 n’est‐ce pas?

12 R. Non – je ne communiquerais pas –

13 ces renseignements. Comme vous – comme

14 le savez bien, nous – nous – elle est caviardée,

15 vous savez : les numéros de traités et – et les adresses

16 et d’autres renseignements sont retranchés. Pour ce qui est

17 du nombre et – je crois que vous faites référence

18 au – au message texte, au formulaire 5D, que j’ai

19 joints à mon affidavit, n’importe qui peut

20 facilement avoir accès à ces renseignements et ensuite les distribuer.

21 Si vous êtes un électeur, vous avez le droit,

22 si quelqu’un veut vous les fournir et –

23 il n’y a – il n’y a pas qu’une seule façon pour moi

24 de les obtenir. Je ne sais donc plus ce que je dois

25 faire, mais – John? Ou, je ne sais pas.

1 Q. Laissez-moi reformuler clairement, Burke –

2 R. Oui.

3 Q. – Ces renseignements qui peuvent

4 être régulièrement ou légitimement fournis aux candidats à l’élection,

5 ne permettent pas de savoir si, oui ou non,

6 un électeur donné vous a présenté une demande

7 de bulletin de vote postal, n’est‐ce pas?

8 R. Non. Il ne faut pas – il ne

9 faut pas communiquer de noms précis.

10 Par exemple, Nathan m’a envoyé un formulaire 5D, mais pas Monsieur Untel ou Madame Unetelle.

11 Ou – et je ne vois rien de tel dans

12 ces – ces messages textes au sujet desquels, je crois,

13 vous tentez toujours de m’interroger

14 aujourd’hui, mais je ne suis pas certain. Je ne suis pas

15 certain. Je ne sais pas. Je fais vraiment

16 de mon mieux.

[238] L’importance de toutes ces questions tient au fait que les messages textes entre M. Ratte et le chef Wuttunee [DDEM 4343‐4352, PDF 4352‐4361], reproduits dans la RE du 18 mai 2021 de M. Ratte, révèlent que M. Ratte – ou peut‐être M. Ratte par l’entremise de Debra Laliberty (la présidente d’élection adjointe qu’il a lui-même nommée et supervisée) – peut en réalité avoir envoyé au chef Wuttunee une ou plusieurs listes comportant le nom d’électeurs dont la demande de bulletin de vote postal a été acceptée ou non. Les messages textes suivants ont également été récupérés du téléphone cellulaire de M. Ratte : [DDEM 4343‐4352, PDF 4352‐4361]

[TRADUCTION]

Chef Wuttunee : Bonjour Burke. Après avoir examiné la liste de distribution que Debra nous a envoyée, nous avons constaté que bon nombre des adresses fournies par l’équipe ne figurent pas dans cette liste. Sur les 433 adresses qui nous ont été soumises, seules 324 ont pu être validées. Il reste donc 109 adresses qui ne concordent pas. Comment pouvons‐nous mieux expliquer cette divergence?

M. Ratte : Je vérifierai, il y en aurait plutôt pas loin de 400, selon mon dossier. Les autres doivent être vérifiées pour les raisons suivantes : elles ne figurent pas dans la liste des électeurs, le formulaire 5‐D est incomplet, ou nous ne sommes pas en mesure de lire les documents envoyés à l’aide des 5‐d. Je te donnerai les détails bientôt; j’enverrai le courrier par la poste aujourd’hui. Merci. Burke.

Chef Wuttunee : Bonjour Burke, je les envoie à partir d’un iPhone, mais certaines de mes photos sont floues.

Chef Wuttunee : Quelle sorte de téléphone? Android?

M. Ratte : 204‐228‐4786, mon cellulaire

M. Ratte : iPhone [émoji]

M. Ratte : Nous trouverons une solution.

[...]

Chef Wuttunee : Dis‐moi si tu peux les lire

M. Ratte : Elles sont bonnes

M. Ratte : Je te le confirme

Chef Wuttunee : D’accord

[...]

M. Ratte : Je te le confirme

Chef Wuttunee : Bonjour, quand pourras-tu m’envoyer le courriel concernant la page manquante et le 5‐d illisible?

M. Ratte : Bonjour, je suis justement en train de regarder ça en ce moment. Ce sera prêt bientôt ...j’envoie ça à Debra

M. Ratte : J’ai envoyé à Debra la liste à jour; les 420 adresses qui s’y trouvent ont été vérifiées et traitées... J’examinerai les divergences avec elle. [...]

M. Ratte : Ainsi que la liste des candidats à afficher

M. Ratte : Bonjour

Chef Wuttunee : D’accord

[...]

M. Ratte : On peut l’envoyer par l’intermédiaire de Debra, dans un fichier?

Chef Wuttunee : Burke, j’ai examiné attentivement les documents fournis, ces noms ne figurent pas dans votre liste actuelle

Chef Wuttunee : D’accord

M. Ratte : D’accord, envoie-moi le tableau stp.

M. Ratte : Je mettrai à jour ..

Chef Wuttunee : D’accord

M. Ratte : Debra et moi y travaillerons

M. Ratte : Merci [émoji]

Chef Wuttunee : 77, c’est beaucoup, et ce chiffre est très important pour nous

Chef Wuttunee : J’effacerai ces messages textes

M. Ratte : Elle sera mise à jour.

M. Ratte : Oui, stp

Chef Wuttunee : C’est fait

Chef Wuttunee : J’ai envoyé le fichier à Debra par courriel

[Non souligné dans l’original.]

[239] Je tiens à faire remarquer qu’à la fin de cet échange, le chef Wuttunee confirme qu’il effacera ces messages textes et que M. Ratte lui répond : [traduction] « Oui, stp ». À mon humble avis, M. Ratte et le chef Wuttunee semblent dire dans ces messages qu’ils auraient peut-être agi de manière inappropriée, car M. Ratte (ou un membre de son personnel) aurait peut-être fourni au chef Wuttunee des listes d’électeurs dans lesquelles figurent les noms de ceux dont la demande de bulletin de vote postal a été acceptée et ceux dont la demande n’a pas été acceptée.

[240] Il n’en demeure pas moins que M. Ratte a mis fin à son contre‐interrogatoire en raison des objections des demanderesses. Il est préoccupant que M. Ratte y ait mis fin notamment parce qu’il n’était pas disposé à répondre aux questions concernant les messages textes qui avaient été récupérés de son téléphone cellulaire – comme l’avait annoncé son avocat au début de son contre-interrogatoire, qui lui avait conseillé de ne pas le faire. Je fais également remarquer que dans son affidavit du 23 juillet 2021, M. Ratte a déclaré que l’élection s’était [traduction] « déroulée conformément à » la LEPN.

[241] À mon avis, l’échange irrégulier de renseignements confidentiels sur les électeurs que M. Ratte aurait eu avec le chef Wuttunee constituait un motif légitime pour que les demanderesses continuent de contre‐interroger M. Ratte. J’en arrive à cette conclusion parce que les principales questions en litige dans la présente contestation portent sur les contraventions à la LEPN et/ou au REPN et la fraude électorale qui auraient été commises (voir Thibodeau Edmonton, précitée, aux para 13 et 14 (voir, plus haut, au paragraphe 151)). En contre‐interrogatoire, les témoins sont tenus de répondre aux questions portant sur les principales questions en litige entre les parties.

[242] À mon humble avis, comme ses messages textes avec photos avaient été versés en preuve, les questions se rapportaient aux principales questions en litige dans la présente contestation et aussi à l’affidavit de M. Ratte, ainsi qu’aux autres circonstances mentionnées aux paragraphes 110 et suivants (voir la partie IV. C. (3)b)), de sorte que M. Ratte n’aurait pas dû s’opposer aux questions concernant ses messages textes avec photos. Il aurait dû permettre qu’on lui pose les questions et il aurait dû y répondre.

[243] Dans ce cas, quelles conséquences peuvent découler du refus de M. Ratte de répondre à des questions pertinentes sur le point de savoir si lui ou des membres de son personnel auraient peut‐être irrégulièrement fourni des listes comportant le nom des électeurs de la Première Nation dont les demandes de bulletin de vote postal ont été acceptées et ceux dont les demandes ne l’ont pas été? Je conclus, comme je suis autorisé à le faire, que selon la prépondérance des probabilités, M. Ratte ou une personne qui relevait de lui a effectivement fourni au chef Wuttunee ou à d’autres personnes – à l’escient du chef Wuttunee – des renseignements confidentiels, à savoir une ou plusieurs listes, à différentes dates, de noms d’électeurs qui avaient présenté une demande de bulletin de vote postal et dont la demande a été acceptée, ainsi que ceux dont la demande n’a pas été acceptée. Je tire une conclusion défavorable sur ce point. Certes, c’est l’avocat de M. Ratte qui s’est opposé à ce que celui-ci réponde aux questions, mais ce fait ne soustrait pas M. Ratte aux conséquences.

c) La falsification des pièces d’identité des électeurs

[244] Selon les demanderesses, le chef Wuttunee a demandé à Robin Wuttunee de joindre une photo de sa pièce d’identité à sa demande de bulletin de vote postal, parce que Robin Wuttunee était incarcéré et n’était pas en mesure d’en envoyer une copie au chef Wuttunee [DDEM 0292, PDF 0301].

[245] Les demanderesses affirment que les défendeurs ou les personnes agissant en leur nom ont prétendu être Deloris Peyachew (l’administratrice du registre des Indiens de Red Pheasant, qui apparemment relevait directement de l’équipe Clinton) ou ont fait en sorte qu’elle délivre une fausse pièce d’identité de remplacement au nom de Robin Wuttunee le 10 mars 2020 [DDEM 4453, PDF 4462].

[246] En réponse, les défendeurs disent qu’il est faux d’affirmer que des pièces d’identité de remplacement auraient été « falsifiées ». Robin Wuttunee a demandé son bulletin de vote et n’a pas été en mesure de fournir sa pièce d’identité parce qu’il était en prison. Les personnes [traduction] « qui l’ont aidé tentaient simplement de lui permettre de voter » [mémoire des défendeurs, au para 48].

[247] J’estime que si le chef Wuttunee pouvait expliquer comment il avait obtenu la preuve d’identité de Robin Wuttunee, le moment choisi pour ce faire était pendant son contre‐interrogatoire ou son réinterrogatoire.

[248] Compte tenu des éléments de preuve sérieux sous forme de messages sur Facebook entre le chef Wuttunee et Robin Wuttunee (dont les messages ont été envoyés à sa demande par Heather Wuttunee), les demanderesses affirment que le chef Wuttunee s’est maintes fois parjuré lorsqu’il a nié avoir demandé un bulletin de vote postal pour Robin Wuttunee.

[249] D’après les messages textes avec photos échangés entre le chef Wuttunee et M. Ratte, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, que M. Ratte a indéniablement reçu de la part du chef Wuttunee une demande de bulletin de vote postal falsifiée pour Robin Wuttunee. La preuve au dossier révèle que le chef Wuttunee a fait cet envoi le 10 mars 2020 à 20 h 19 [DDEM 4157‐4158, PDF 4166‐4167].

[250] Par conséquent, je conclus que le chef Wuttunee ne disait pas la vérité lorsqu’il a affirmé ce qui suit au paragraphe 27 de son affidavit du 28 août 2020 : [traduction] « Je n’ai pas pu aider [Robin Wuttunee] à en faire la demande. Je n’ai pas reçu de bulletin de vote postal pour [Robin Wuttunee]. » Le chef Wuttunee n’a pas dit la vérité en contre‐interrogatoire lorsqu’il a fait les déclarations suivantes : [traduction] « Je n’ai envoyé aucune demande pour l’obtenir » [DDEM 1314, PDF 1323], [traduction] « Ce n’était pas moi » [DDEM 1325, PDF 1334], [traduction] « Je n’ai jamais demandé ses bulletins de vote pour lui [...] Rien ne prouve que j’ai demandé un bulletin de vote pour lui » [DDEM 1327, PDF 1336]. Je conclus que le chef Wuttunee ne disait pas la vérité lorsqu’il a dit qu’il ne savait pas que les défendeurs et leurs partisans avaient envoyé les demandes de bulletin de vote postal d’autres électeurs [DDEM 1334, PDF 1343]. Ce dernier point est également contraire à l’affirmation du chef Wuttunee (par l’intermédiaire de ses avocats) selon laquelle les autres défendeurs ont commencé à envoyer des demandes de bulletin de vote postal directement à M. Ratte lorsque son téléphone cellulaire (celui du chef Wuttunee) a arrêté de fonctionner.

[251] Selon les défendeurs, la demande de bulletin de vote postal falsifiée de Robin Wuttunee n’était pas « frauduleuse » parce qu’elle a été présentée à la demande de Robin Wuttunee. Ils affirment en outre qu’il est raisonnable de croire que le chef Wuttunee ne savait pas qu’il l’avait envoyée, compte tenu de la nature « effrénée » d’une campagne électorale et du fait qu’il est constamment sollicité.

[252] Je ne souscris pas à ces arguments. Les défendeurs ne se sont appuyés sur aucune disposition de la LEPN ou du REPN pour affirmer qu’une personne autre qu’un électeur était autorisée à signer une demande de bulletin de vote postal (comparativement à un bulletin de vote postal). De plus, le message texte qui révèle que le chef Wuttunee a effectivement envoyé à M. Ratte la demande de bulletin de vote postal de Robin Wuttunee contredit leur argument. En outre, leurs avocats n’ont avancé qu’après coup l’argument fondé sur le caractère effréné. Il n’est étayé par aucun élément de preuve, alors qu’il aurait certainement pu, et aurait dû, l’être (s’il est véridique) si le chef Wuttunee n’avait pas refusé de répondre aux questions portant sur ses messages textes avec photos échangés avec M. Ratte.

[253] Je fais également remarquer que le formulaire de déclaration d’identité [DDEM 0287, PDF 0296] de Robin Wuttunee a été envoyé à M. Ratte par la poste [l’enveloppe dans laquelle il a été envoyé se trouve aux pages DDEM 3758‐3761, PDF 3767‐3770]. Monsieur Ratte a confirmé en contre‐interrogatoire que le bulletin de vote postal de Robin Wuttunee a été accepté et placé dans la boîte de scrutin [DDEM 0821, PDF 0830, à partir de la ligne 13].

[254] Qui plus est, je constate que l’adresse indiquée dans la demande de bulletin de vote postal falsifiée (quelqu’un d’autre a signé le nom de Robin Wuttunee et a obtenu une pièce d’identité qui pourrait avoir été falsifiée) présentée par le chef Wuttunee – à savoir le 1291 97th Street, appartement 104, à North Battleford – n’était pas celle de Robin Wuttunee. Toutefois, Robin Wuttunee ne sait pas qui habite à cette adresse et il ne l’a fournie à personne (voir son affidavit, au para 23). Monsieur Ratte a confirmé qu’il avait livré le bulletin de vote postal de Robin Wuttunee à cette adresse.

[255] Il importe de souligner qu’il s’agit de l’adresse de Leroy Nicotine Jr., qui est impliqué dans d’autres cas de fraude électorale grave où des bulletins de vote postaux ont été envoyés à son adresse plutôt qu’à celle des électeurs qui les auraient demandés. Plus particulièrement, l’adresse de Leroy Nicotine Jr. a été faussement utilisée sur les formulaires de déclaration d’identité de Breanna Wahobin [DDEM 3445, PDF 3454], de Romellow Meechance [DDEM 3707, PDF 3716], de Paul Tobaccojuice [DDEM 3757, PDF 3766] et de Michael Ernest Stevens [DDEM 3444, PDF 3453], chacun ayant été signé par Leroy Nicotine Jr. en qualité de témoin déclarant être domicilié à cette adresse. Je tiens à faire remarquer que Leroy Nicotine Jr. a refusé de répondre à des questions concernant le bulletin de vote postal de Robin Wuttunee, notamment celle de savoir si Leroy Nicotine Jr. avait déjà eu en sa possession le bulletin de vote postal de Robin Wuttunee ([DDEM 2703‐2717, PDF 2712‐2726]). Lors de son contre‐interrogatoire, Leroy Nicotine Jr. a également refusé de répondre à la question de savoir s’il avait déjà été locataire à l’adresse en question [DDEM 2687, PDF 2696] et à la question de savoir si la signature était la sienne [DDEM 2689‐2690, PDF 2698‐2699]. Dans ces circonstances, je tire une conclusion défavorable de son refus de répondre à des questions pertinentes et je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que l’adresse de Leroy Nicotine Jr. était le 1291 97th Street, appartement 104, à North Battleford. Rappelons qu’il s’agit de l’adresse que Leroy Nicotine Jr. a lui‐même fournie sur les quatre formulaires de déclaration d’identité mentionnés ci-dessus.

[256] Les défendeurs affirment que rien dans la preuve n’indique que Leroy Nicotine Jr. a eu en sa possession le bulletin de vote de Robin Wuttunee. À leur avis, la preuve révèle que le bulletin de vote de Robin Wuttunee a été placé dans la boîte de scrutin et qu’il était nécessaire que sa sœur obtienne le bulletin de vote pour lui. Robin Wuttunee reconnaît que c’était Heather Wuttunee qui envoyait en son nom tous ses messages textes et ses messages sur Facebook [DDEF 856, PDF 861].

[257] Malgré les arguments des défendeurs, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que Leroy Nicotine Jr. a obtenu le bulletin de vote postal de Robin Wuttunee parce qu’il avait été envoyé à son adresse. Je tire une autre conclusion défavorable de son refus de répondre à des questions pertinentes au sujet de l’adresse qu’il avait inscrite sur le bulletin de vote postal de Robin Wuttunee remis à Shelley Wuttunee (épouse du conseiller Shawn Wuttunee). Dans son affidavit et en contre‐interrogatoire, Shelley Wuttunee a admis avoir signé en qualité de témoin attestant qu’elle avait vu Robin Wuttunee signer son formulaire de déclaration d’identité joint à son bulletin de vote postal le 17 mars 2020. Shelley Wuttunee a en outre admis que Robin Wuttunee n’était pas avec elle au moment où elle a signé en qualité de témoin [DDEF 0152‐0153, PDF 0157‐0158, aux para 4-5].

[258] Par ailleurs, Shelly Wuttunee a admis avoir signé plusieurs autres formulaires de déclaration d’identité relativement à l’élection, mais elle a ensuite refusé à maintes reprises de dire combien de fois elle avait agi en qualité de « témoin » en l’absence de l’électeur. Le fait pour elle d’avoir dit que cette pratique lui paraissait acceptable [DDEM 1563‐1564, PDF 1572‐1573] soulève des doutes quant à l’intégrité de l’élection. En toute déférence, Shelley Wuttunee n’a pas commis une erreur de bonne foi : elle a affirmé qu’elle savait qu’elle était tenue d’être en présence de l’électeur pour signer en qualité de témoin sur le formulaire de déclaration d’identité [DDEM 1560, PDF 1569]. Selon les défendeurs, Shelley Wuttunee était [traduction] « très émotive parce qu’elle avait été soumise à un long contre‐interrogatoire, mené avec un ton accusateur et acrimonieux », et elle a déclaré qu’elle avait signé le formulaire 5‐D qui lui avait été remis par la petite amie de Robin Wuttunee.

[259] À cet égard, les défendeurs s’appuient sur l’article 15 et le paragraphe 17(2) du REPN pour affirmer qu’il n’y avait rien d’irrégulier dans les mesures prises pour aider Robin Wuttunee à obtenir son bulletin de vote postal afin qu’il puisse voter. Voici ces dispositions :

Demande de bulletin de vote postal

Mail‐in ballot

15 L’électeur qui désire obtenir un bulletin de vote postal présente au président d’élection une demande écrite accompagnée de la copie d’une preuve d’identité.

15 An elector who wants to receive a mail‐in ballot must make a written request to the electoral officer that includes a copy of their proof of identity.

Assistance

Assistance of another person

17(2) L’électeur qui est incapable de voter de la manière prévue au paragraphe (1) peut demander l’assistance d’une personne.

17(2) If an elector is unable to vote in the manner set out in subsection (1), the elector may enlist the assistance of another person.

[260] Cet argument pose problème parce que le paragraphe 17(2) du REPN s’applique aux formulaires de déclaration d’identité joints à un bulletin de vote postal. Il ne s’applique pas aux demandes de bulletin de vote postal. Si les défendeurs et Leroy Nicotine Jr. souhaitent faire valoir que quelqu’un pouvait régulièrement marquer et signer le bulletin de vote postal et le formulaire de déclaration d’identité de Robin Wuttunee, l’article 15 et le paragraphe 17(2) ne leur sont d’aucune utilité. Même si le paragraphe 17(2) permet à un électeur de demander l’assistance d’une personne pour remplir son bulletin de vote, le paragraphe 5(6) du REPN énonce que le formulaire de déclaration d’identité « est sign[é] par un témoin qui atteste que le bulletin de vote a été marqué selon les instructions de l’électeur et que cet électeur est celui dont le nom figure sur le formulaire ». Or, aucune attestation ne figure sur le formulaire de déclaration d’identité de Robin Wuttunee :

Témoin d’une personne incapable

Witness

5(6) Dans le cas d’une personne qui demande l’assistance d’une personne pour voter en vertu du paragraphe 17(2), la déclaration d’identité de l’électeur est signée par un témoin qui atteste que le bulletin de vote a été marqué selon les instructions de l’électeur et que cet électeur est celui dont le nom figure sur le formulaire.

5(6) The voter declaration form of the elector who enlisted the assistance of another person under subsection 17(2) must be signed by a witness that attests to the fact that the elector is the person whose name is set out in the form and that the ballot was marked in the manner directed by the elector.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added]

[261] Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que Robin Wuttunee a demandé l’assistance de Shelley Wuttunee. Aucune attestation conforme au paragraphe 5(6) du REPN n’a été fournie : au contraire, Robin Wuttunee déclare aux pages DDEF 0889 PDF 0894 qu’il n’aurait pas consenti à ce que quelqu’un apporte à Shelly Wuttunee son bulletin de vote postal afin qu’elle le signe en son nom.

[262] Je conclus également que Shelley Wuttunee a commis une fraude électorale parce qu’elle a indiqué avoir agi en qualité de témoin sur le formulaire de déclaration d’identité de Robin Wuttunee, alors qu’en réalité elle n’avait pas vu le signer. Il est vrai qu’il pourrait s’agir d’un acte qui aurait relativement peu d’importance si elle ne l’avait commis qu’une seule fois et si elle connaissait l’électeur. Toutefois, la preuve démontre qu’elle a systématiquement refusé de dire combien de fois qu’elle avait faussement déclaré avoir qualité de témoin sur les formulaires de déclaration d’identité :

[traduction]

20 Q. Mme Wuttunee, avez‐vous signé les formulaires de déclaration

21 d’identité?

22 R. Je ne réponds pas à cette question.

[...]

6 Q. Votre avocat vient de proposer la question.

7 Il vient de reconnaître implicitement

8 que la question était pertinente. Je vous pose

9 la question, Mme Wuttunee, et j’estime

10 que la Cour mérite une réponse. Mme Wuttunee,

11 avez‐vous signé les formulaires de déclaration d’identité

12 dans le cadre de l’élection du 20 mars ‐‐

13 R. Je ne réponds pas à cette question. Vous pouvez continuer de

14 me la poser autant de fois que vous le voudrez. Je n’y répondrai pas.

[...]

11 Q. Mme Wuttunee, avez‐vous signé les formulaires ‐‐

12 R. Je ne réponds pas à cette question. Vous pouvez continuer de

13 me la poser autant de fois que vous le voudrez. Je n’y répondrai

14 pas.

15 Q. Aux fins de l’enregistrement, je tiens à souligner que le témoin vient de hausser

16 le ton.

[...]

7 Q. Combien de formulaires de déclaration d’identité avez‐vous ‐‐

8 R. Je ne réponds pas à cette question. Vous pouvez me la poser

9 autant de fois que vous le voudrez.

[...]

19 Maître PHILLIPS : Me Stooshinoff, le

20 témoin a déjà reconnu qu’elle a signé

21 un grand nombre de formulaires de déclaration d’identité dans le cadre

22 de cette élection.

23 Maître STOOSHINOFF : Elle ne l’a pas reconnu.

24 Maître PHILLIPS : Je tiens à ce que la Cour

25 ait approximativement une idée du nombre.

[...]

13 Maître STOOSHINOFF : Je ne nuis pas au déroulement

14 du contre‐interrogatoire. Elle a déjà répondu

15 à la question, elle vous a indiqué sa position, vous

16 vous êtes assuré que sa réponse soit bien claire aux fins de l’enregistrement, passez à la question suivante.

[...]

1 Q. Le fondement de votre objection est-il la pertinence

2 ou un autre motif,

3 Mme Wuttunee? Parce que votre avocat n’est pas

4 intervenu.

5 R. Je ne vous donnerai pas de réponse, c’est tout,

6 parce que ça n’en fait pas partie. Je ne

7 répondrai pas; désolée.

8 Q. En avez‐vous signé plus de 50?

9 R. Je ne réponds pas à votre question. J’ai dit que ça ne fait pas partie

10 de mon affidavit.

[...]

19 Q. Mme Wuttunee, avez‐vous signé plus de 50 formulaires

20 de déclaration d’identité?

21 A. Je ne vous donnerai pas de réponse. Vous pouvez me poser continuellement

22 la question. Je n’y répondrai pas.

23 Q. Mme Wuttunee, avez‐vous signé plus de 100 formulaires

24 de déclaration d’identité?

25 A. Je ne vous donnerai pas de réponse. Vous pouvez me poser la question

1 autant de fois que vous le voudrez, posez‐la-moi 100 fois.

2 Je n’y répondrai pas.

[263] Vu ces circonstances, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Shelley Wuttunee a directement participé à de nombreux cas où elle a faussement déclaré avoir qualité de témoin sur de nombreux formulaires de déclaration d’identité joints à des bulletins de vote postaux, commettant ainsi une fraude électorale grave.

[264] Les demanderesses font valoir que le chef Wuttunee a payé 300 $ pour le bulletin de vote postal de Robin Wuttunee – voir son affidavit, aux para 8 et 11 – et que cet argent ne constitue pas une aide aux membres de la bande [AMB]. En réponse, le chef Wuttunee nie avoir payé Heather Wuttunee 300 $ pour le bulletin de vote de Robin Wuttunee. Les défendeurs affirment qu’aucun des éléments de preuve provenant de Heather Wuttunee n’indique qu’un virement de fonds a été effectué.

[265] Selon les défendeurs, Robin Wuttunee croit simplement qu’un montant d’argent a été payé, mais il ne l’a pas reçu. Je souscris à cet argument, selon la prépondérance des probabilités, et je le retiens principalement parce que rien dans la preuve ne corrobore que le chef Wuttunee a fait un paiement à Robin Wuttunee. Je conclus, de l’absence de collaboration de la part de Heather Wuttunee, qu’elle n’a reçu aucune somme du chef Wuttunee pour la demande de bulletin de vote postal ou le bulletin de vote postal de Robin Wuttunee.

[266] Toutefois, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les conseillers Jason Chakita et Samuel Wuttunee ont fait une offre de paiement à Robin Wuttunee. À cet égard, je tire une inférence défavorable du refus du conseiller Jason Chakita de répondre aux questions liées à ses conversations téléphoniques avec Robin Wuttunee et de son refus de produire pendant son contre‐interrogatoire des CD ou des transcriptions de ce qu’il a dit lors des appels téléphoniques qu’il a eus avec Robin Wuttunee en prison, même si les demanderesses les avaient exigés au moyen de l’assignation à comparaître et à produire des documents qu’elles lui avaient signifiée. Je conclus, en conséquence, que le conseiller Jason Chakita et le conseiller Samuel Wuttunee ont offert à Robin Wuttunee d’acheter sa demande de bulletin de vote postal et son bulletin de vote postal pour la somme de 300 $. Le fait que la somme n’a pas été versée ne change rien au fait qu’il s’agissait d’une fraude électorale grave et d’une contravention à l’alinéa 16f) de la LEPN :

Interdictions générales

Prohibition — any person

16 Nul ne peut, relativement à une élection :

16 A person must not, in connection with an election,

[...]

...

f) offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(f) offer money, goods, employment or other valuable consideration in an attempt to influence an elector to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

[267] À cet égard, les demanderesses soutiennent en outre que les défendeurs ont contrevenu à de nombreuses dispositions de la LEPN et du REPN :

[TRADUCTION]

95. Par exemple, le bulletin de vote postal de Robin Wuttunee a été demandé sous un faux nom (al. 14a) de la LEPN), une pièce d’identité falsifiée au nom de Robin Wuttunee aurait été délivrée par une certaine Deloris Peyachew et présentée à M. Ratte (art. 15 du REPN), Leroy Nicotine Jr., Shelley Wuttunee et d’autres membres de l’équipe Clinton ont eu en leur possession le bulletin de vote postal de Robin Wuttunee qui ne leur avait pas été fourni en conformité avec la loi (al. 14b) de la LEPN), Clinton Wuttunee, Jason Chakita, Samuel Wuttunee et d’autres membres de l’équipe Clinton avaient acheté le bulletin de vote postal et Robin Wuttunee le leur avait vendu (al. 14d) et 16f) de la LEPN), les membres de l’équipe Clinton ont voté plus d’une fois, car en plus de leur propre vote, ils ont utilisé le bulletin de vote postal de Robin Wuttunee (al. 17a) de la LEPN) faisant ainsi sciemment usage d’un faux bulletin de vote (al. 16a), b) et c) de la LEPN) et Shelley Wuttunee aurait, en l’absence de Robin Wuttunee, signé en qualité de témoin attestant qu’elle l’avait vu signer son bulletin de vote postal (par. 5(5) du REPN).

96. En outre, les articles 26 et 27 de la LEPN énoncent une interdiction générale portant que nul ne peut entraver intentionnellement l’action du président d’élection dans l’exercice de ses attributions ou la tenue d’élections. Faire délivrer une fausse pièce d’identité par une certaine Deloris Peyachew et la présenter à M. Ratte en sachant qu’il s’y fierait, falsifier la demande de bulletin de vote postal de Robin Wuttunee, en prendre possession à l’adresse de Leroy Nicotine Jr., falsifier le bulletin de vote postal reçu et faire en sorte que Shelley Wuttunee agisse sciemment en qualité de témoin attestant qu’elle a vu Robin Wuttunee le signer et le présenter ensuite à M. Ratte sont des faits qui constituent sans conteste des contraventions aux articles 26 et 27 de la LEPN.

[268] En général, les défendeurs font valoir ce qui suit :

[TRADUCTION]

159. Les défendeurs affirment que les seules contraventions à la LEPN ont été commises par les témoins des demanderesses qui ont compromis leur crédibilité parce qu’ils ont admis avoir commis des mensonges, des tromperies et des actes criminels. Quelques défendeurs ont été impliqués, mais aucun n’a été complice des manœuvres frauduleuses commises par les témoins. Les défendeurs ont simplement rencontré d’éventuels électeurs et ont tenté d’aider des électeurs, comme Services aux Autochtones Canada (SAC) les a encouragés à le faire.

160. Si certains électeurs n’ont pas été en mesure de voter après avoir présenté des demandes de bulletin de vote douteuses, cela signifie que le processus a fonctionné et qu’en conséquence leur bulletin de vote a été inutilisable. Les électeurs qui ont suivi les règles et qui ont communiqué avec le président d’élection pour voter au bureau de vote ont pu voter, qu’ils aient tenté ou non « d’extorquer de l’argent » aux candidats aux bureaux de vote.

161. Aucune preuve incontestée n’établit que l’un des défendeurs a tenté d’acheter des votes ou des faveurs en donnant de l’argent aux électeurs. La preuve démontre que dans quelques rares cas, des membres de la bande dans le besoin ont obtenu de l’aide, aide que les demanderesses tentent de qualifier de manœuvre frauduleuse.

[269] Analyse : J’estime, selon la prépondérance des probabilités et la preuve au dossier, que le chef Wuttunee a utilisé son téléphone cellulaire pour envoyer par message texte à M. Ratte une demande de bulletin de vote postal falsifiée au nom de Robin Wuttunee [DDEM 0314, PDF 0323], sur laquelle l’adresse indiquée n’était pas celle de Robin Wuttunee, mais plutôt celle de Leroy Nicotine Jr. Même si dans son témoignage, de vive voix ou par affidavit, le chef Wuttunee a dit le contraire, je conclus que son témoignage n’était pas véridique. Je conclus également, selon la prépondérance des probabilités, que le bulletin de vote postal et le formulaire de déclaration d’identité falsifiés au nom de Robin Wuttunee – sur lequel Shelley Wuttunee a faussement déclaré avoir agi en qualité de témoin et sur lequel l’adresse déclarée était celle de Leroy Nicotine Jr. – ont été signés et remis à M. Ratte par Shelley Wuttunee. Je tire du refus de Leroy Nicotine Jr. de répondre aux questions qui, à mon avis, portaient sur son adresse, une conclusion défavorable à son égard. J’estime en outre que Leroy Nicotine Jr. en était conscient et qu’il y a consenti.

[270] Vu que le chef Wuttunee a obtenu la demande de bulletin de vote postal falsifiée de Robin Wuttunee et qu’il l’a ensuite envoyée à M. Ratte au moyen d’un message texte avec photo, et vu que le chef Wuttunee savait que Robin Wuttunee (le chef Wuttunee avait échangé avec lui des messages sur Facebook) était en prison, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le chef Wuttunee l’a fait en sachant que la demande de bulletin postal était falsifiée. Je conclus également, selon la prépondérance des probabilités, que le chef Wuttunee savait que les conseillers Jason Chakita et Samuel Wuttunee avaient participé à l’achat du vote de Robin Wuttunee. Je conclus également, selon la prépondérance des probabilités, que le chef Wuttunee était au courant de l’implication de Leroy Nicotine Jr. pour obtenir une trousse de vote postale de Robin Wuttunee, étant donné l’utilisation de l’adresse de Leroy Nicotine.

[271] Par conséquent, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le chef Wuttunee a participé directement à une fraude électorale grave (tentative d’achat de votes) relativement au vote de Robin Wuttunee. Je conclus également que le chef Wuttunee a directement contrevenu à l’alinéa 16f) de la LEPN :

Interdictions générales

Prohibition — any person

16 Nul ne peut, relativement à une élection :

16 A person must not, in connection with an election,

[...]

...

f) offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(f) offer money, goods, employment or other valuable consideration in an attempt to influence an elector to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

[272] Je conclus également, selon la prépondérance des probabilités, que le formulaire de déclaration d’identité falsifié au nom de Robin Wuttunee ainsi que son bulletin marqué [DDEM 0287, PDF 0296] ont été remplis et envoyés par la poste par Leroy Nicotine Jr., ou à sa connaissance, après avoir été envoyés par la poste à la résidence de Leroy Nicotine, même si Robin Wuttunee a affirmé dans son affidavit qu’il n’avait pas voté et qu’il ne vivait pas à cette adresse [DDEM 0278, PDF 0287, au para 3] et qu’il était détenu pendant la période d’élection. Qui plus est, Leroy Nicotine Jr. a refusé de répondre aux questions concernant cette adresse précise pendant son contre‐interrogatoire : il n’a ni confirmé ni nié avoir été locataire au 1291 97th Street, appartement 104. [DDEM 2687, PDF 2696] Je confirme qu’il s’agissait de son adresse et, là encore, j’en tire une conclusion défavorable. L’utilisation de cette adresse sur ce document et sur d’autres formulaires de déclaration d’identité qu’il a signés le confirme également. Leroy Nicotine Jr. n’a pas signé ce formulaire de déclaration d’identité, mais je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’il savait que son adresse serait et avait été utilisée par M. Ratte pour envoyer le bulletin de vote postal à Robin Wuttunee. Par conséquent, je conclus que Leroy Nicotine Jr. a participé directement à une fraude électorale grave (tentative d’achat de votes) et qu’il a directement contrevenu à l’alinéa 16f) de la LEPN :

Interdictions générales

Prohibition — any person

16 Nul ne peut, relativement à une élection :

16 A person must not, in connection with an election,

[...]

...

f) offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(f) offer money, goods, employment or other valuable consideration in an attempt to influence an elector to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

[273] L’affidavit de Robin Wuttunee établit que les conseillers Jason Chakita et Samuel Wuttunee ont eu des conversations téléphoniques avec Robin Wuttunee concernant son bulletin de vote postal. J’ai admis en preuve les CD et les transcriptions des appels téléphoniques surveillés et enregistrés par le CDPE. La preuve établit également que le conseiller Samuel Wuttunee a eu sur Facebook des conversations avec Robin Wuttunee au cours desquelles il lui faisait savoir que son bulletin de vote postal devait être vierge ([traduction] « Il doit toutefois être vierge »). Pourquoi le conseiller Samuel Wuttunee voulait‐il un bulletin « vierge », si ce n’était pour le marquer lui-même ou pour le faire marquer, à sa connaissance, par quelqu’un d’autre? Je tire cette conclusion selon la prépondérance des probabilités [DDEM 0302‐0303, PDF 0311‐0312]. La preuve confirme en outre que le conseiller Jason Chakita a eu sur Facebook des conversations avec Robin Wuttunee concernant les fonds virés à son compte de « cantine ». Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le mot « cantine » servait de code pour renvoyer au montant exigé pour acheter le vote de Robin Wuttunee [DDEM 0295, PDF 0304].

[274] De plus, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, qu’en acceptant le paiement, Robin Wuttunee a contrevenu à l’alinéa 17b) de la LEPN :

Interdictions visant l’électeur

Prohibition — elector

17 Nul électeur ne peut, relativement à une élection :

17 An elector must not, in connection with an election,

[...]

...

b) accepter ou convenir d’accepter de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable pour voter ou s’abstenir de voter, ou encore pour voter ou s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(b) accept or agree to accept money, goods, employment or other valuable consideration to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

[275] En faisant ces accusations, Robin Wuttunee admettait manifestement qu’il avait contrevenu à l’alinéa 17b) de la LEPN et qu’il avait commis une fraude électorale grave lorsqu’il avait vendu son vote. Je retiens, avec circonspection, son témoignage à cet égard, vu qu’il a agi illégalement, mais je confirme malgré tout les conclusions que j’ai tirées suivant la prépondérance des probabilités.

2) Rickell Frenchman et Romellow Meechance

[276] Aux paragraphes 18‐19 de leur avis de demande modifié, les demanderesses allèguent ce qui suit :

[TRADUCTION]

GARY NicOtine (au nom des participants et en son propre nom) s’est livré relativement à l’élection à des manœuvres frauduleuses– et en particulier à l’achat de votes – lorsqu’il s’est présenté à la maison de Heather Meechance dans la réserve de la Première Nation de Red Pheasant le 9 février 2020, ou vers cette date, pour la convaincre de falsifier les demandes de bulletin de vote postal de sa nièce et de son neveu, Rickell Frenchman et Romellow Meechance, et lorsqu’il l’a aidée à le faire, le tout en contrepartie de quoi GARY NicOtine (par l’intermédiaire de sa mandataire Rosalie Kelly) a effectué un virement électronique de 100 $ à Heather Meechance. Heather Meechance ne disposait pas de certains renseignements nécessaires pour falsifier ces demandes de bulletin de vote postal, mais GARY NicOtine, qui possédait déjà ces renseignements, les avait fournis à Heather Meechance afin de l’aider à falsifier ces documents. GARY NicOtine a également offert une somme de 200 $ à Heather Meechance, et/ou aux membres de sa famille, pour chaque bulletin de vote postal remis à GARY NicOtine.

Le 18 février 2020, Heather Meechance a reçu les bulletins de vote postaux de Rickell Frenchman et Romellow Meechance. GARY NicOtine et MANDY CUTHAND (au nom des participants et en leur propre nom) ont rencontré Heather Meechance, lui ont demandé de prétendre être Rickell Frenchman et Romellow Meechance et de falsifier les cartes de déclaration d’identité et ont pris les bulletins de vote postaux, après quoi ils ont appelé CLINTON Wuttunee et ont activé le mode haut‐parleur du téléphone. CLINTON Wuttunee a dit à Heather Meechance qu’il lui enverrait de l’argent en contrepartie des bulletins de vote postaux. Heather Meechance a ensuite attendu en présence de GARY NicOtine et de MANDY CUTHAND jusqu’à ce qu’elle reçoive le virement électronique de 400 $ de la part de CLINTON Wuttunee (par l’intermédiaire de son mandataire Austin Ahenakew), après quoi Heather Meechance a remis à GARY NicOtine et à MANDY CUTHAND les bulletins de vote postaux.

[277] Les défendeurs qui auraient participé à la fraude électorale concernant les votes de Rickell Frenchman et de Romellow Meechance [Rickell et Romellow, respectivement] sont les conseillers Gary Nicotine et Mandy Cuthand ainsi que le chef Wuttunee. Le dirigeant principal des finances, Austin Ahenakew, y aurait également participé. Leroy Nicotine Jr. y aurait également participé : au paragraphe 8 de leur mémoire, les demanderesses allèguent que Leroy Nicotine Jr. a participé à la falsification de bulletins de vote postaux lorsqu’il les a signés en qualité de témoin en l’absence des électeurs.

[278] Rickell et Romellow étaient également tous deux en prison au moment de l’élection [DDEM 0189, PDF 0198, au para 2]. Les demanderesses soutiennent qu’à la demande du conseiller Gary Nicotine, le 9 février 2020, Heather Meechance a falsifié les demandes de bulletin de vote postal de sa nièce (Rickell Frenchman) et de son neveu (Romellow Meechance), prétendant être ces personnes. En contrepartie, le conseiller Gary Nicotine a offert de donner 100 $ à Heather Meechance. Le même jour, l’épouse de Gary Nicotine (Rosalie Kelly) a versé 100 $ à Heather Meechance au moyen d’un virement électronique [DDEM 0199, PDF 0190]. Le conseiller Gary Nicotine a ensuite offert de payer Heather Meechance 400 $ pour les bulletins de vote postaux de Rickell et de Romellow lorsqu’elle les obtiendrait.

[279] Dans son affidavit du 1er mai 2020, Heather Meechance déclare que lorsqu’elle a reçu les bulletins de vote postaux de Rickell et de Romellow, les conseillers Gary Nicotine et Mandy Cuthand se sont présentés chez elle. Elle affirme qu’en présence des conseillers Gary Nicotine et Mandy Cuthand, elle a falsifié les formulaires de déclaration d’identité de Rickell et de Romellow. Elle déclare que lorsqu’elle s’est enquise au sujet du paiement promis (400 $), le conseiller Gary Nicotine a appelé le chef Wuttunee, qui a dit qu’il lui enverrait 400 $ par virement électronique en échange des bulletins de vote postaux de Rickell et de Romellow. Elle a accepté et a attendu en présence des conseillers Gary Nicotine et Mandy Cuthand de recevoir le virement électronique de 400 $. Elle a reçu le virement électronique de 400 $ de la part du dirigeant principal des finances, Austin Ahenakew, le 18 février 2020, soit la même date que celle qui était indiquée sur les formulaires de déclaration d’identité de Rickell et de Romellow [DDEF 0009, PDF 0014].

[280] Selon les défendeurs, Heather Meechance est [traduction] « une personne troublée et toxicomane », et ils [traduction] « estiment » qu’elle a faussement qualifié l’objet du paiement. Ils affirment, se fondant en partie sur ces stéréotypes, qu’il ne faut pas la croire. Ils affirment qu’elle a reçu une AMB de 400 $ et que le conseiller Gary Nicotine a également fait l’épicerie de Heather Meechance. La liste d’épicerie que Heather Meechance a donnée au conseiller Gary Nicotine figurerait dans la correspondance du 13 septembre 2021 que les défendeurs ont transmise à la Cour (en réponse au paragraphe 4 de l’ordonnance du 30 août 2021 prononcée par la juge Aylen), aux pages 30-33. Les défendeurs n’expliquent pas la raison pour laquelle elle n’a pas été produite plus tôt.

[281] Dans son affidavit, le dirigeant principal des finances, Austin Ahenakew, déclare que Cody Benson (l’administrateur de la bande) lui a dit de virer le montant d’AMB à Heather Meechance. À la pièce A jointe à son affidavit, Austin Ahenakew renvoie à un échange par message texte tenu sur iMessage pour affirmer que le virement électronique de 400 $ était une AMB [DDEF 0007, PDF 0012]; toutefois, aucune heure ou aucune date n’est affichée dans l’échange tenu sur iMessage avec l’administrateur de la bande, Cody Benson, et les renseignements permettant d’établir un lien entre ce paiement et l’AMB sont manquants.

[traduction]

Cody Benson : [adresse électronique de Heather Meechance supprimée par la Cour]

Cody Benson : 400

Austin Ahenakew : Envoyé. Les chambres sont réservées aussi.

[282] Le reçu du virement électronique du dirigeant principal des finances, Austin Ahenakew, indique qu’il a fait en sorte que la Première Nation vire la somme de 400 $ au compte de Heather Meechance le 18 février 2020. La pièce B à son affidavit est une copie du reçu du virement électronique qui lui a été transmis et qui l’informe que le virement des fonds de la Première Nation au compte de Heather Meechance a été effectué, avec la mention : [traduction] « Message : Amb » [DDEF 0009, PDF 0014].

[283] Toutefois, en contre‐interrogatoire [DDEM 4013, PDF 4022], le chef Wuttunee a déclaré que des formulaires et des documents sont consignés en bonne et due forme lorsqu’une AMB est accordée. Les 7 et 8 janvier 2021, en contre‐interrogatoire, le dirigeant principal des finances, Austin Ahenakew, a reconnu qu’il avait cherché les documents qui auraient permis d’étayer la légitimité du paiement d’AMB de 400 $ versé à Heather Meechance, mais qu’il n’en avait pas trouvé [DDEM 2340, PDF 2349]. Malgré cette affirmation du dirigeant principal des finances, la correspondance du 13 septembre 2021 que les défendeurs ont transmise à la Cour (en réponse au paragraphe 4 de l’ordonnance du 30 août 2021 prononcée par la juge Aylen) contient (pour la première fois), à la page 24, une facture à la Nation crie de Red Pheasant portant la mention [traduction] « Facture pour les dépenses payées pour la NCRP ». Ce document indique que le 20 février 2020, une somme totale de 400 $ a été versée à Heather Meechance, et comporte la mention [traduction] « 5025 Aide – Financière ».

[284] Il convient de souligner que rien dans les documents présentés par les défendeurs le 13 septembre 2021 n’explique pourquoi cette facture n’a pas été fournie un an plus tôt lorsque le dirigeant principal des finances, Austin Ahenakew, a déposé son affidavit daté du 28 août 2020. C’est à cette date qu’il a déposé la note de virement électronique dont il est question plus haut. Rien n’explique non plus pourquoi ce document n’avait pas été trouvé en août 2020 au moment où il l’avait cherché. Je fais également remarquer que cette production tardive a fait en sorte qu’il n’a pu être contre‐interrogé à ce sujet. Compte tenu de ce qui précède et des éléments suivants – à savoir, l’absence de document officiel étayant le paiement d’AMB de 400$ versé le 28 août 2020; le fait que le dirigeant principal des finances, Austin Ahenakew, a encore affirmé lors de son contre‐interrogatoire tenu les 7 et 8 janvier 2021 qu’il n’avait pu trouver de document officiel concernant cette AMB; l’obligation pour la Première Nation de tenir un registre des paiements légitimes d’AMB; et le fait que rien n’explique de manière satisfaisante pourquoi cette transaction n’apparaît pas dans les registres –, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le paiement de 400 $ n’était pas un paiement d’AMB, mais qu’il avait plutôt servi à acheter les votes de Romellow et de Rickell avec l’argent de la Première Nation. À cet égard, je fais également remarquer que l’argent des Premières Nations a également été utilisé pour acheter le vote de Paul Tobaccojuice. Dans ce cas également, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne s’agissait pas d’un véritable paiement d’AMB.

[285] Dans son affidavit, le conseiller Gary Nicotine affirme que son épouse (Rosalie Kelly) a également envoyé la somme de 100 $ à Heather Meechance pour que celle-ci achète des aliments à ses enfants. Au paragraphe 14 de son affidavit, Gary Nicotine dit ceci : [traduction] « Je n’ai pas demandé à Heather de falsifier des documents et je nie que l’argent envoyé à Heather constituait un paiement qui lui a été versé pour avoir “falsifié des documents”. » Toutefois, dans la correspondance que les défendeurs ont transmise à la Cour le 13 septembre 2021 (en réponse au paragraphe 4 de l’ordonnance du 30 août 2021 prononcée par la juge Aylen), l’échange suivant de messages sur Facebook figure à la page 28 :

[traduction]

Heather, le 9 février 2020, à 11 h 43

Bonjour, j’ai rempli les documents et j’ai simplement besoin du numéro de traité et de trouver Frenchman ou meechance

Pour romellow

Gary :

Tu ne te présenteras pas pour voter?

Heather :

Je vais aller voter mdr, mais je viens de remplir les documents pour rickell et romellow

[Non souligné dans l’original.]

[286] Dans ces circonstances, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le conseiller Gary Nicotine savait que Heather Meechance remplissait de fausses demandes de bulletin de vote postal aux noms de Rickell et Romellow.

[287] Deloris Peyachew (l’administratrice du registre des Indiens) a délivré des pièces d’identité de remplacement aux noms de Rickell et de Romellow [DDEM 3706 et 3696, PDF 3715 et 3705]. La demande de bulletin de vote postal de Rickell se trouve aux pages DDEM 3695, PDF 3704; la demande de bulletin de vote postal de Romellow se trouve aux pages DDEM 3705, PDF 3714; le formulaire de déclaration d’identité de Rickell se trouve aux pages DDEM 3695, PDF 3706; et le formulaire de déclaration d’identité de Romellow se trouve aux pages DDEM 3707, 3716. Leroy Nicotine Jr. a signé la déclaration d’identité de Romellow, et le conseiller Mandy Cuthand a signé celle de Rickell – ce qui est impossible dans les deux cas, étant donné que ces électeurs étaient en prison. Au paragraphe 5 de son affidavit, le conseiller Mandy Cuthand déclare qu’il n’a eu aucun contact avec Heather Meechance, malgré ce que celle-ci allègue, car il était cloué au lit pendant tout le mois qui a précédé la tenue de l’élection et pendant un certain temps après l’élection.

[288] Les défendeurs affirment que dans son contre‐interrogatoire, le conseiller Mandy Cuthand [traduction] « n’a pas reconnu sans équivoque qu’il était au courant du document [le formulaire de déclaration d’identité comportant sa signature] ou qu’il avait signé le document », et ils renvoient à l’échange reproduit ci-dessous [DDEM 1006‐1007, PDF 1015‐1016]. En toute déférence, j’estime que cette affirmation est sans fondement, qu’elle ne repose sur rien de solide et qu’elle n’est pas, à mon avis, étayée par la preuve :

[traduction]

25 Q. Très bien. Passons à autre chose. M.

1 Cuthand, c’est votre nom, n’est-ce pas? Je vous montre un

2 nouveau document maintenant. Pouvez‐vous confirmer

3 qu’il s’agit de votre nom?

4 R. Oui

5 Q. S’agit-il de votre signature?

6 R. Oui

7 Q. Vous avez signé ce document?

8 R. On dirait – hein?

9 Q. Vous avez signé ce document?

10 R. J’étais témoin.

11 Q. Vous avez signé ce document, n’est‐ce pas?

12 R. Oui

13 Q. Vous avez signé ce document le 18 février

14 2020?

15 R. Le 18 février, cette date ne me dit rien,

16 mais je dois l’avoir signé en qualité de témoin.

17 Q. Mais vous vous souvenez –

18 R. Je suis un témoin sur le document.

19 Q. Avez-vous un souvenir précis d’avoir signé ce

20 document?

21 R. Pourquoi me parlez-vous de ces documents alors que je suis

22 censé parler de mon affidavit?

23 Q. M. Cuthand --

24 R. Je ne répondrai plus à ces questions parce que je

25 souhaite parler de mon affidavit.

[Non souligné dans l’original.]

[289] Les défendeurs disent que le conseiller Mandy Cuthand ne se souvenait pas d’avoir signé ce document. À leur avis [traduction] « il n’est pas exagéré de croire que Heather Meechance a falsifié la signature du conseiller Mandy Cuthand, en plus de celles qu’elle avait déjà admis avoir falsifiées ». Toutefois, en plus de ce qui précède, le conseiller Mandy Cuthand a confirmé lors de son contre‐interrogatoire qu’il s’agissait de sa signature et qu’il avait signé la pièce A‐12 [DDEM 3297, PDF 3306], soit le formulaire de déclaration d’identité de Rickell. Toutefois, lorsque l’avocat des demanderesses a commencé à l’interroger au sujet de sa signature relativement au bulletin de vote postal de Rickell, le conseiller Mandy Cuthand a refusé de répondre aux questions [DDEM 1009‐1010, PDF 1018‐1019] :

[traduction]

22 Q. S’agissant de la pièce A‐12, le témoin vient de confirmer

23 l’avoir signée, elle comporte son nom et

24 sa signature. Il n’est pas certain de l’avoir fait

25 le 18 février ou à une autre date.

1 Est‐ce exact monsieur?

2 R. Je viens de vous dire que je ne répondrai à aucune question,

3 sauf celles concernant mon affidavit. Il ne comporte rien

4 à ce sujet. Je ne répondrai qu’à

5 ce qui concerne mon affidavit.

6 Q. M. Cuthand –

7 R. Non, non, je ne répondrai à aucune question concernant

8 les documents que vous montrez à l’écran. Je suis ici pour répondre aux questions qui concernent mon affidavit.

9 Q. M. Cuthand, pouvez-vous me dire que ce que vous voyez

10 est bien le formulaire de déclaration d’identité qui viserait

11 Rickell Frenchman?

12 R. Je viens de vous dire que je ne répondrai pas à aucune de vos questions,

13 sauf à celles qui portent sur mon affidavit.

14 Q. M. Cuthand, ce document est censé être

15 un formulaire de déclaration d’identité concernant Rickell

16 Frenchman. Vous le voyez sur l’écran,

17 n’est‐ce pas monsieur?

18 R. Je vous dis simplement que je ne réponds

19 à aucune question, sauf si elles concernent mon affidavit. On m’a fait comparaître

20 relativement à mon affidavit et j’attends

21 que vous me posiez des questions

22 à ce sujet. Pouvez‐vous répondre –

23 Q. Vous avez confirmé que –

24 R. Je ne répondrai qu’aux questions qui concernent mon affidavit.

[290] Comme je l’ai déjà mentionné, la Cour a rejeté l’argument selon lequel un témoin contre‐interrogé n’est pas tenu de répondre à des questions sur des renseignements qui ne figurent pas dans son affidavit, conformément à sa jurisprudence, laquelle est confirmée dans la décision Thibodeau Edmonton, au paragraphe 14, où la Cour a dit qu’une personne « [...] peut [...] être contre‐interrogée sur des documents pertinents même si ces documents ne sont pas mentionnés dans l’affidavit déposé (Sierra, au para 9) ». Voir, ci‐dessus, les paragraphes 151 et suivants (partie IV. C. (3)b)(i)).

[291] Les demandes de bulletin de vote postal et les formulaires de déclaration d’identité de Rickell et de Romellow renvoient à la case postale verrouillée et au numéro de téléphone de Heather Meechance [DDEM 1888, PDF 1897]. Monsieur Ratte a dit avoir livré les bulletins de vote postaux de Rickell, Romellow et de Heather Meechance à la même case postale [DDEM 0797, 0827‐0828, PDF 0806, 0836‐0837]. La seule personne qui avait accès à cette case postale verrouillée était Heather Meechance [DDEM 1888, PDF 1897, aux lignes 20‐23]. Je suis d’accord avec les demanderesses pour dire qu’il était physiquement impossible que ces bulletins de vote postaux soient retournés à M. Ratte, à moins que Heather Meechance les ait recueillis de sa case postale verrouillée. Les défendeurs font toutefois valoir que l’utilisation de ces documents ne peut leur être attribuée.

[292] Analyse : En toute déférence, j’estime, selon la prépondérance des probabilités et la preuve au dossier, que le conseiller Gary Nicotine savait que Heather Meechance avait falsifié les demandes de bulletin de vote postal de Rickell et de Romellow. De plus, le conseiller Mandy Cuthand a directement participé à cette fraude électorale grave parce qu’il a faussement agi en qualité de témoin relativement au formulaire de déclaration d’identité de Rickell. J’estime également que Leroy Nicotine Jr. a faussement attesté, par sa signature apposée sur le formulaire de déclaration d’identité de Romellow, avoir agi en qualité de témoin, ce qui constitue une fraude électorale grave. Il n’était pas possible pour eux d’avoir agi en qualité de témoin, car les deux personnes visées [Rickell et Romellow] étaient en prison. Par conséquent, je conclus que les actes commis par Mandy Cuthand constituent une fraude électorale grave, et je conclus également que le conseiller Gary Nicotine y a participé directement. Par conséquent, je conclus que Leroy Nicotine Jr. a commis une fraude électorale grave relativement à l’achat de votes concernant Romellow Meechance.

[293] Comme je l’ai déjà mentionné, bien que j’aie conclu que la Première Nation avait versé 400 $ à Heather Meechance, je ne crois pas qu’il s’agissait d’un paiement d’AMB. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la somme de 400 $ provenant des fonds de la Première Nation a été versée à Heather Meechance pour qu’elle falsifie les demandes de bulletin de vote postal et les formulaires de déclaration d’identité de Romellow et de Rickell. Heather Meechance a témoigné en ce sens et je retiens son témoignage.

[294] S’agissant des actes commis par le conseiller Mandy Cuthand, j’ai tiré une conclusion défavorable à son égard vu qu’il était peu disposé à répondre aux questions liées à sa signature apposée sur le formulaire de déclaration d’identité joint au bulletin de vote postal de Rickell. Je fais également remarquer que dans son affidavit, le conseiller Mandy Cuthand a déclaré n’avoir eu aucun contact avec Heather Meechance, malgré ce qu’elle a allégué, car il était cloué au lit pendant tout le mois précédent l’élection et pendant un certain temps après l’élection. Il a toutefois faussement attesté, au moyen de sa signature apposée sur la demande de bulletin de vote postal de Rickell le 18 février 2020, avoir agi en qualité de témoin. J’estime que cette incohérence est très révélatrice à l’égard du conseiller Mandy Cuthand.

[295] Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les demanderesses ont établi que le conseiller Mandy Cuthand a commis une fraude électorale grave lorsqu’il a faussement signé en qualité de témoin le formulaire de déclaration d’identité de Rickell. Je conclurais également que les demanderesses ont établi, selon la prépondérance des probabilités, que Leroy Nicotine Jr. a commis une fraude électorale grave lorsqu’il a signé en qualité de témoin, le formulaire de déclaration d’identité de Romellow.

[296] Je conclus également, selon la prépondérance des probabilités, que le conseiller Gary Nicotine a directement participé à une fraude électorale grave et qu’il a commis une telle fraude parce qu’il avait sciemment approuvé la falsification, par Heather Meechance, des demandes de bulletin de vote postal de Romellow et de Rickell et des formulaires de déclaration d’identité de Romellow et de Rickell, et qu’il savait que Leroy Nicotine Jr. et le conseiller Mandy Cuthand avaient faussement attesté, au moyen de leur signature apposée sur ces formulaires de déclaration d’identité, avoir agi en qualité de témoin.

[297] S’agissant de la participation directe du chef Wuttunee concernant ces deux personnes, Heather Meechance a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

9. Lorsque je me suis enquise au sujet du paiement promis, Gary Nicotine a appelé en ma présence le défendeur Clinton Wuttunee et il a activé le mode haut‐parleur du téléphone. Clinton Wuttunee avait l’air occupé, mais il a parlé à Gary Nicotine et à Mandy Cuthand qui lui ont fait savoir que j’étais présente et qu’ils étaient occupés, car d’autres électeurs faisaient la queue devant leur fourgonnette pour vendre également leur bulletin de vote postal. Gary Nicotine et Mandy Cuthand écoutaient la conversation, qui se tenait sur le haut‐parleur du téléphone, lorsque Clinton Wuttunee m’a dit qu’il me ferait parvenir 400 $, par virement électronique, en échange des bulletins de vote postaux de Rickell Frenchman et de Romellow Meechance. J’ai accepté, mais comme je ne lui faisais pas confiance, j’ai demandé de recevoir le paiement avant de remettre les bulletins de vote postaux. J’ai donc attendu, en présence de Gary Nicotine et de Mandy Cuthand, de recevoir les 400 $ par virement électronique, après quoi j’ai remis à Gary Nicotine et à Mandy Cuthand les bulletins de vote postaux vierges et j’ai falsifié les déclarations d’identité de Rickell Frenchman et de Romellow Meechance.

[298] En toute déférence et même si les défendeurs ont attaqué sa réputation et lui ont reproché de mener une vie difficile, je retiens le témoignage de Heather Meechance. Son témoignage est détaillé. Il n’est pas contesté que les fonds ont été versés, et ce, rapidement. Son témoignage concorde avec la falsification réelle des demandes de bulletin de vote postal et des formulaires de déclaration d’identité et, plus important encore, avec l’envoi des demandes de bulletin de vote postal à sa case postale à laquelle elle seule avait accès.

[299] Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire qu’en faisant ces accusations lors de son témoignage, Heather Meechance admettait avoir commis une fraude électorale grave, mais j’estime que ce n’est pas une raison qui me permet d’écarter ce qu’elle relate.

[300] Compte tenu de ce qui précède, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le chef Wuttunee a directement joué un rôle dans la falsification, par Heather Meechance, non seulement des demandes de bulletin de vote postal de Rickell et de Romellow, mais également de leurs déclarations d’identité, et qu’il l’a sciemment approuvée. Je conclus également que le chef Wuttunee a sciemment approuvé le versement des fonds de la Première Nation à Heather Meechance sous le couvert de l’AMB, comme celle-ci l’a affirmé dans son affidavit. Par conséquent, je suis d’avis, selon la prépondérance des probabilités, que le chef Wuttunee a directement participé à une fraude électorale grave.

[301] En ce qui concerne Heather Meechance, je retiens son témoignage et je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’une somme de 100 $ lui a été versée pour falsifier les demandes de bulletin de vote postal de Rickell et de Romellow, et qu’une autre somme de 400 $ lui a été versée pour falsifier leurs formulaires de déclaration d’identité. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a falsifié ces documents et qu’elle a été payée pour le faire. Aucune autre raison ne peut vraiment justifier ce qu’elle a fait. Je ne retiens ni la liste d’épicerie récemment produite ni le document interne de la bande qui fait état du paiement parce que ni l’un ni l’autre n’a été produit sous serment devant la Cour, alors qu’ils auraient pu – et auraient dû – l’être, et parce qu’aucune raison suffisante n’a été fournie pour expliquer pourquoi ils n’ont pas été présentés plus d’un an plus tôt, alors qu’ils auraient pu – et auraient dû – l’être.

[302] Dans les arguments qu’ils ont présentés par écrit et de vive voix, les défendeurs soutiennent que Heather Meechance, à supposer que son témoignage soit retenu, admet qu’elle a contrevenu à la LEPN lorsqu’elle a falsifié les demandes de bulletin de vote postal de Rickell et de Romellow, qu’elle les a fait livrer à une fausse adresse – soit sa propre case postale –, et qu’elle a ensuite falsifié leurs formulaires de déclaration d’identité. J’en conviens. Je conclus que ces actes permettent d’établir qu’elle a directement pris part à une fraude électorale grave. Je retiens, avec circonspection, son témoignage à cet égard, vu qu’elle a agi illégalement, mais je confirme les conclusions que j’ai tirées suivant la prépondérance des probabilités.

3) Breanna Wahobin et Jerette Wahobin

[303] Les demanderesses allèguent ce qui suit au paragraphe 20 de leur avis de demande modifié :

[TRADUCTION]

GARY NicOtine (au nom des participants et en son propre nom) s’est livré relativement à l’élection à des manœuvres frauduleuses – et en particulier à l’achat de votes – lorsqu’il a offert le 5 mars 2020 d’acheter le bulletin de vote de Breanna Wahobin (à savoir, 50 $ lorsque la demande de bulletin de vote postal a été envoyée, et 300 $ à la réception du bulletin de vote acheté), et ensuite le 10 mars 2020 lorsqu’il a effectivement acheté le bulletin de vote postal de Breanna Wahobin pour 300 $350 $ et celui de Jerette Wahobin pour 350 $.

[304] Le défendeur qui se serait livré à des manœuvres frauduleuses relativement aux votes de Breanna Wahobin et de Jerette Wahobin [Breanna et Jerette, respectivement] est le conseiller Gary Nicotine. Leroy Nicotine Jr. y aurait également participé : les demanderesses allèguent, au paragraphe 8 de leur mémoire, qu’il a participé à la falsification des bulletins de vote postaux lorsqu’il a les signés en qualité de témoin en l’absence des électeurs.

[305] En réponse à l’affidavit de Breanna Wahobin, les défendeurs s’appuient sur l’affidavit du conseiller Gary Nicotine.

[306] Aux paragraphes 5-9 de son affidavit, Breanna déclare qu’après l’avoir avisée par message texte – dont elle a joint une copie à son affidavit [DDEM 0215, PDF 0224] – de ne pas marquer son bulletin de vote postal ([traduction] « ne marque rien »), le conseiller Gary Nicotine l’a rencontrée afin d’acheter les bulletins de vote postaux de Breanna et de Jerette en contrepartie d’une somme de 350 $ en espèces pour chacun. Voici le contenu de ces messages textes :

[traduction]

« D’accord, 30 minutes, ne marque rien »

« J’ai besoin de l’adresse »

« Viens dehors »

[DDEM 215, PDF0224]

[Non souligné dans l’original.]

[307] En revanche, le conseiller Gary Nicotine nie avoir payé Breanna et Jerette 350 $ pour leurs bulletins de vote et, au paragraphe 26 de son affidavit, il affirme qu’il est absurde de penser qu’il tenterait d’« acheter le vote » d’une personne qui exprime publiquement depuis des années l’animosité qu’elle éprouve envers lui, le chef et les conseillers [DDEF 0064, PDF 0069].

[308] Les demanderesses font valoir que le conseiller Gary Nicotine a rendu, en contre-interrogatoire, un témoignage confus et contradictoire, lequel figure aux onglets 79-80 du dossier des demanderesses. Elles sont d’avis que les souvenirs du conseiller Gary Nicotine n’étaient généralement pas exacts et qu’il a subi un traumatisme cérébral qui affecte principalement sa mémoire, et il a admis ces faits. Par conséquent, les demanderesses affirment que son témoignage n’est pas crédible et que la Cour devrait l’écarter [DDEM 1921‐19222, 1931‐1932, PDF 1930‐1931, 1940‐1941]. Le conseiller Gary Nicotine a dit en outre qu’il ne savait pas si Jerette (le frère de Breanna) avait rempli sa demande de bulletin de vote postal [DDEM 2011, PDF 2020], et qu’il ne savait pas comment la demande de bulletin de vote postal de Breanna avait été transmise à M. Ratte [DDEM 1978‐1979, PDF 1987‐1988].

[309] Toutefois, je privilégie la preuve documentaire indépendante qui contredit directement le témoignage du conseiller Gary Nicotine, car parmi les 164 demandes de bulletin de vote postal que celui-ci a transmis à M. Ratte et qui ont été récupérés du téléphone cellulaire de M. Ratte, figurent celles de Breanna et de Jerette [DDEM 4573 et 4580, PDF 4582 et 4589].

[310] Selon les défendeurs, [traduction] « le contre‐interrogatoire [de Breanna] donne l’impression qu’elle est très contrariée par le chef et les conseillers parce qu’elle et son époux voulaient une maison dans la réserve et ne pouvaient pas en acquérir une ». Leur affirmation ne me convainc pas. Les défendeurs observent en outre que les documents sur lesquels les demanderesses s’appuient n’ont pas été admis en preuve. Je n’ai pas retenu cette observation, car M. Ratte a fourni les documents en question dans sa réponse aux engagements du 18 mai 2021 (voir mes motifs aux paragraphes 110 et suivants).

[311] Les défendeurs affirment que lorsque Breanna a été interrogée au sujet des rumeurs selon lesquelles les personnes qui auraient [traduction] « instigué l’appel des demanderesses avaient payé plusieurs des témoins des demanderesses pour obtenir leur témoignage », elle a admis qu’elle avait soudainement de l’argent pour acheter des jouets coûteux. Toutefois, elle a refusé de divulguer la source de cet argent, même si elle a également admis avoir demandé de l’argent aux conseillers avant et après la tenue de l’élection parce qu’elle était fauchée. D’après les défendeurs, ses contradictions minent sa prétention selon laquelle elle aurait reçu 350 $ de la part de Gary Nicotine. Leur observation a un certain fondement.

[312] Toutefois, selon les éléments de preuve sérieux récupérés du cellulaire de M. Ratte, le conseiller Gary Nicotine a utilisé son téléphone cellulaire pour lui transmettre les bulletins de vote postaux de Breanna et de Jerette. D’après les défendeurs, le fait que ces demandes ont été transmises à l’aide de son téléphone ne signifie pas qu’il était au courant de chaque demande envoyée. Leur observation ne me convainc pas, car là encore, la preuve la contredit. Par conséquent, je conclus que le conseiller Gary Nicotine savait ce qu’il faisait – il les a tout de même envoyées. Par ailleurs, le conseiller Gary Nicotine a envoyé un message texte à M. Ratte immédiatement après ses messages textes avec photos comportant la demande de bulletin de vote postal de Jerette (Jerette s’était gravement blessé à sa main et à son bras). Voici le contenu de ce message texte [DDEM 4581, PDF 4590] :

[TRADUCTION]

« Il a dû utiliser sa main gauche pour écrire, son bras droit a été lacéré par un coup de machette, j’espère que ce sera accepté [original intégralement reproduit]. »

[313] Il convient de souligner par ailleurs que la preuve sérieuse des messages textes échangés entre le conseiller Gary Nicotine et Breanna permet d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le conseiller Gary Nicotine a dit à Breanna de ne rien marquer, et je n’ai aucune difficulté à conclure – suivant cette même norme – qu’il renvoyait aux bulletins de vote postaux de Breanna et de Jerette que Breanna avait alors en sa possession. Pourquoi le conseiller Gary Nicotine demanderait‐il à Breanna de ne rien marquer, si ce n’était pour lui permettre – ou pour permettre à une autre personne agissant en son nom – de les marquer lui-même? Ces échanges contredisent gravement, voire irrémédiablement, le témoignage du conseiller Gary Nicotine.

[314] De plus, Leroy Nicotine Jr. a signé les déclarations d’identité de Breanna [DDEM 3445, PDF 3454] et de Jerette [DDEM 3314, PDF 3323], mais Breanna a affirmé ne pas savoir qui était Leroy Nicotine Jr. [DDEF 0563, PDF 0568]. J’ai conclu que Leroy Nicotine Jr. avait faussement attesté, au moyen de sa signature apposée sur plusieurs autres formulaires de déclaration d’identité (Romellow Meechance, Paul Tobaccojuice, Michael Stevens et Petula Wuttunee), avoir agi en qualité de témoin, et je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a fait de même pour ceux de Breanna et de Jerette Wahobin. De plus, je conclus qu’il a marqué le bulletin de vote postal de Breanna et celui de Jerette ou qu’il les a remis à une autre personne pour que celle-ci les marque.

[315] Analyse : La preuve permet d’établir que le conseiller Gary Nicotine n’a pas été honnête lorsqu’il a témoigné. Il a affirmé qu’il ne savait pas si Jerette avait rempli sa demande de bulletin de vote postal et qu’il ne savait pas comment la demande de bulletin de vote postal de Breanna avait été remise à M. Ratte. Toutefois, les éléments de preuve sérieux récupérés du téléphone cellulaire de M. Ratte permettent d’établir que le conseiller Gary Nicotine a vu Jerette écrire de sa main blessée, et – ce facteur étant tout aussi important – qu’il a remis personnellement les deux demandes de bulletin de vote postal à M. Ratte. Le conseiller Gary Nicotine a également dit à Breanna de ne rien marquer, et je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’il renvoyait aux bulletins de vote postaux de Breanna et de Jerette que celle-ci lui a vendus. Par conséquent, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le conseiller Gary Nicotine a participé à une fraude électorale grave relativement à l’achat de votes. Je conclus également que Leroy Nicotine Jr. a faussement attesté, au moyen de sa signature apposée sur les formulaires de déclaration d’identité de Breanna et de Jerette, avoir agi en qualité de témoin. Breanna a affirmé ne pas savoir qui était Leroy Nicotine Jr. Il importe de souligner que Leroy Nicotine Jr. a refusé de répondre aux questions concernant Breanna [DDEM 2753, PDF 2762]. Je fais remarquer qu’il a indiqué que son adresse était le 1291 97 (rue) 104 (unité), North Battleford (Saskatchewan), S9A 0J6. Toutefois, lors de son contre‐interrogatoire, il a refusé de répondre aux questions concernant cette adresse et j’ai tiré de ce refus une inférence défavorable, que je tire une autre fois puisque j’estime qu’il s’agit de son adresse et qu’il s’agit de l’adresse où les trousses de vote postales ont été envoyées, ce qui m’amène à conclure que Leroy Nicotine Jr. a obtenu les bulletins de vote postaux de Breanna Wahobin et Jerette Wahobin et qu’il les a marqués avant de les envoyer ou de les remettre à M. Ratte ou les a remis à une autre personne pour qu’elle les marque et les retourne. Je fais remarquer que la signature et l’adresse de Leroy Nicotine Jr. figurent sur le formulaire de déclaration d’identité de Breanna. Monsieur Ratte a caviardé l’adresse sur le formulaire de déclaration d’identité de Jerette, même si, dans ce cas également, Leroy Nicotine Jr. l’a signé en qualité de témoin. Je ne fais aucune remarque quant à la cause de ce caviardage. Toutefois, je n’ai aucune difficulté à tirer, à l’égard de Leroy Nicotine Jr., une inférence défavorable de son refus de répondre aux questions concernant son adresse, du fait que son nom et sa signature figuraient sur les deux formulaires de déclaration d’identité, et du fait que son adresse figurait également sur le formulaire de déclaration d’identité de Jerette, tout comme sur celui de Breanna. Je conclus que le nom, la signature et l’adresse de Leroy Nicotine Jr. figuraient sur les deux formulaires de déclaration d’identité. Je conclus également, selon la prépondérance des probabilités, qu’il savait que le conseiller Gary Nicotine avait offert de payer Breanna pour les demandes de bulletin de vote postal et les bulletins de vote postaux de Breanna Wahobin et de Jerette Wahobin. Je conclus qu’en conséquence Leroy Nicotine Jr. a commis une fraude électorale grave relativement à l’achat de votes concernant Breanna Wahobin et Jerette Wahobin.

4) Michael Ernest Stevens et Ardella Benson

[316] Au paragraphe 28 de leur avis de demande modifié, les demanderesses allèguent ce qui suit :

[TRADUCTION]

HENRY GARDIPY(au nom des participants et en son propre nom) s’est livré relativement à l’élection à des manœuvres frauduleuses – et en particulier à l’achat de votes – lorsqu’il a acheté, avant la tenue de l’élection, les bulletins de vote de Michael Ernest Stevens et d’Ardella Benson pour la somme de 60 $ chacun.

[317] Le conseiller Henry Gardipy est la personne qui aurait participé à des manœuvres frauduleuses concernant les votes de Michael Ernest Stevens [Michael Stevens] et de sa tante, Ardella Benson [Michael et Ardella, respectivement]. Leroy Nicotine Jr. y a également participé : au paragraphe 8 de leur mémoire, les demanderesses allèguent que Leroy Nicotine Jr. a participé à la falsification des bulletins de vote postaux lorsqu’il les a signés en qualité de témoin en l’absence des électeurs. Au paragraphe 46 de leur mémoire, les demanderesses indiquent ce qui suit : [traduction] « Le bulletin de vote postal de Michael Stevens était vierge lorsqu’il l’a vendu à Henry Gardipy. Il convient de souligner que Leroy Nicotine Jr. aurait signé en qualité de témoin le formulaire de déclaration d’identité joint au bulletin de vote postal de Michael Stevens (DDEM 3444). »

[318] En réponse à l’affidavit de Michael Stevens, les défendeurs s’appuient sur l’affidavit du conseiller Henry Gardipy.

[319] Michael Stevens affirme dans son affidavit que le conseiller Henry Gardipy a acheté son bulletin de vote postal, ainsi que celui d’Ardella Benson. Il déclare que ce conseiller l’a payé 60 $ en espèces et que son bulletin de vote postal était vierge lorsqu’il lui a vendu. Dans son affidavit, le conseiller Henry Gardipy nie avoir acheté l’un ou l’autre des bulletins de vote postaux, mais il affirme que Michael Stevens est un sans-abri et ajoute ce qui suit : [traduction] « [C’] est un démuni et il ne me le laisse jamais partir sans me demander si je peux “l’aider”, ce que je fais toujours parce que c’est un membre de la bande qui a besoin d’une aide financière et j’estime qu’il est de mon devoir, en tant que conseiller, d’aider nos membres. »

[320] Ni Michael Stevens ni le conseiller Henry Gardipy n’ont été contre‐interrogés.

[321] Il convient toutefois de souligner que Leroy Nicotine Jr. a signé en qualité de témoin le formulaire de déclaration d’identité de Michael Stevens [DDEM 3444, PDF 3453]. Toutefois, Leroy Nicotine Jr. a refusé de répondre aux questions concernant Michael Stevens ou son bulletin de vote postal, dont celle de savoir s’il avait rencontré Michael Stevens en vue d’agir en qualité de témoin pour lui, et celle de savoir s’il s’agissait de quelqu’un qu’il connaissait [DDEM 2755, PDF 2764 et DDEM 2758, PDF 2767, par exemple].

[322] Analyse : Je tire à l’égard de Leroy Nicotine Jr. une inférence défavorable de son refus de répondre aux questions concernant son adresse, laquelle figure sur ce qui est censé être le formulaire de déclaration d’identité de Michael Stevens. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que Leroy Nicotine Jr. a falsifié le formulaire de déclaration d’identité de Michael Stevens parce qu’il l’a signé en qualité de témoin et qu’il a envoyé par la poste le bulletin de vote postal de Michael Stevens après l’avoir marqué, ou parce qu’il l’a donné à une autre personne pour qu’elle le marque et le retourne. Je conclus qu’en conséquence Leroy Nicotine Jr. a commis une fraude électorale grave relativement à l’achat de votes.

[323] Je conclus en outre, selon la prépondérance des probabilités, que le conseiller Henry Gardipy a payé Michael Stevens pour obtenir son bulletin de vote postal et qu’il l’a donné à Leroy Nicotine Jr. pour que celui-ci le remplisse et le remette, et qu’il a de ce fait directement participé à une fraude électorale grave relativement à l’achat de votes.

[324] La preuve ne me permet pas de conclure que Ardella Benson a contrevenu à la Loi ou au Règlement, ou qu’elle a commis une fraude électorale.

5) Arnold Bruce Wuttunee

[325] Au paragraphe 17 de leur avis de demande modifié, les demanderesses allèguent ce qui suit :

[TRADUCTION]

Les participants ont incité Deloris Peyachew à falsifier une pièce d’identité de remplacement au nom d’Arnold Bruce Wuttunee et ont remis cette pièce au président d’élection (M. RATTE) au moyen d’un message texte, environ neuf jours avant la tenue de l’élection, dans le but d’obtenir irrégulièrement un bulletin de vote postal. CLINTON Wuttunee (au nom des participants et en son propre nom) s’est aussi livré à des manœuvres frauduleuses relativement à l’élection – et en particulier à l’achat de votes – lorsque environ trois jours avant la tenue de l’élection, il a incité Constance Johnston à acheter le bulletin de vote postal d’Arnold Bruce Wuttunee, pour la somme de 700 $, et qu’il lui a remis l’argent pour le faire. Shelley Wuttunee (épouse de SHAWN Wuttunee), agissant au nom des participants, a ensuite falsifié la déclaration d’identité jointe au bulletin de vote postal d’Arnold Bruce Wuttunee, le 18 mars 2020 ou vers cette date, soit deux jours avant la tenue de l’élection.

[326] Le défendeur qui aurait participé à la fraude électorale concernant le vote d’Arnold Bruce Wuttunee est le chef Wuttunee. Shelley Wuttunee et Deloris Peyachew (l’administratrice du registre des Indiens) y auraient également participé.

[327] En réponse à l’affidavit d’Arnold Bruce Wuttunee [Arnold Wuttunee], les défendeurs s’appuient sur les affidavits du chef Wuttunee et de Constance Johnston (la sœur d’Arnold Wuttunee).

[328] Au paragraphe 5 de son affidavit, Arnold Wuttunee affirme qu’il a rempli un formulaire de demande de bulletin de vote postal. Le 17 mars 2020, l’une de ses sœurs (Constance Johnston) lui a remis 700 $ en espèces, en coupures de 100 $, qu’elle a dit avoir reçu du chef Wuttunee en échange de ce formulaire. Je fais remarquer que le montant indiqué dans son affidavit est de 700 $, alors que dans leurs observations, les demanderesses ne font référence qu’à un montant de 300 $, ce qui est une erreur typographique étant donné que le chef Wuttunee dit que la Première Nation a donné à Arnold Wuttunee un montant de 700 $. Arnold Wuttunee affirme qu’il n’a ni reçu ni signé son bulletin de vote postal et qu’il n’a pas voté à l’élection.

[329] Les défendeurs affirment qu’Arnold Wuttunee [traduction] « est un sans-abri et un toxicomane qui a des problèmes neurologiques » et que la preuve confirme ce qui suit : [traduction] « Le chef et les conseillers répondent aux appels à l’aide des personnes troublées et désemparées dans leur communauté. Arnold est l’une de ces personnes. »

[330] Aux paragraphes 16-17 de son affidavit, le chef Wuttunee affirme que des membres de la famille d’Arnold Wuttunee ont communiqué avec lui pour lui demander des fonds d’urgence parce qu’ils souhaitaient se rendre aux États‐Unis (où Arnold Wuttunee a vécu pendant la plus grande partie de sa vie) afin d’aller le chercher et de le ramener dans sa patrie. Le chef Wuttunee et les conseillers de la bande étaient disposés à aider cette famille et la bande a autorisé que 700 $ lui soient versés à titre de frais de déplacement et de subsistance.

[331] Le chef Wuttunee dit qu’il ne connaît pas Arnold Wuttunee et qu’il ne sait rien au sujet du bulletin de vote postal d’Arnold Wuttunee :

[TRADUCTION]

17. Je ne connais pas Arnold et je ne sais rien au sujet de son bulletin de vote postal, je ne sais pas non plus s’il a même voté lors de la dernière élection. Je n’ai pas acheté son bulletin de vote et je n’ai donné aucune somme d’argent, ni à lui ni à une autre personne en son nom.

[332] Toutefois, d’après les sérieux éléments de preuve récupérés du téléphone cellulaire de M. Ratte – preuve que je retiens –, le chef Wuttunee a lui‐même remis à M. Ratte la demande de bulletin de vote postal d’Arnold Wuttunee au moyen d’un message texte avec photo le 11 mars 2020, à 20 h 40 [DDEM 4153, PDF 4162].

[333] Ces éléments de preuve contredisent et affaiblissent sérieusement le témoignage du chef Wuttunee.

[334] Qui plus est, ni le chef Wuttunee ni le dirigeant principal des finances, Austin Ahenakew, n’ont fourni des éléments de preuve démontrant que la somme de 700 $ versée à Arnold Wuttunee par la Première Nation constituait une AMB. Par conséquent, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la somme de 700 $ versée à Arnold Wuttunee par la Première Nation n’était pas un paiement d’AMB.

[335] Vu que cette somme de 700 $ provenait de Red Pheasant et qu’il ne s’agissait pas d’un paiement d’AMB, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que ces fonds ont été fournis selon les directives du chef Wuttunee en vue d’acheter le bulletin de vote postal d’Arnold Wuttunee. À cet égard, je tire une inférence défavorable du fait que le chef Wuttunee n’a pas répondu aux questions concernant ses messages textes qui ont été récupérés du téléphone cellulaire de M. Ratte [DDEM 1383 PDF 1392], et encore plus du fait qu’il n’a pas dit la vérité au sujet du rôle qu’il a joué relativement à la demande de bulletin de vote postal d’Arnold Wuttunee et du fait qu’Arnold Wuttunee a affirmé qu’il n’avait ni reçu ni remis un bulletin de vote postal. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le chef Wuttunee a directement participé au stratagème visant à acheter le vote d’Arnold Wuttunee à l’aide d’argent appartenant à Red Pheasant.

[336] Les défendeurs font également valoir que les messages textes récupérés du téléphone cellulaire de M. Ratte [traduction] « n’ont pas été admis en preuve ». J’ai rejeté cet argument aux paragraphes 110 et suivants des présents motifs (partie IV. C. (3)b)).

[337] Par conséquent, Arnold Wuttunee a reçu un bulletin de vote postal, lequel a ensuite été retourné, placé dans la boîte de scrutin et finalement compté.

[338] Shelley Wuttunee a remis le formulaire de déclaration d’identité d’Arnold Wuttunee [DDEM 3305, PDF 3314], qu’elle avait signé en qualité de témoin. Elle a admis qu’elle avait également signé le formulaire de déclaration d’identité sans avoir vu l’électeur le signer [elle a fait la même admission relativement à Robin Wuttunee, Dion Bugler, Wesley Wuttunee et Burton Ward, comme nous l’avons également vu dans les présents motifs].

[339] La preuve établit également que Deloris Peyachew (l’administratrice du registre des Indiens) a délivré une pièce d’identité de remplacement au nom d’Arnold Wuttunee [DDEM 4154, PDF 4163]. Le chef Wuttunee n’a pas expliqué comment il avait pu prendre possession de cette pièce d’identité de remplacement.

[340] Analyse : La preuve établit que le chef Wuttunee a remis à M. Ratte la demande de bulletin de vote postal d’Arnold Wuttunee, même s’il a affirmé sous serment qu’il ne savait rien au sujet du bulletin de vote postal d’Arnold Wuttunee. Les éléments de preuve provenant du téléphone cellulaire de M. Ratte contredisent le témoignage du chef Wuttunee et aussi l’affirmation du chef Wuttunee selon laquelle il n’était pas au courant de l’envoi de la pièce d’identité de remplacement d’Arnold Wuttunee qui aurait été fait à M. Ratte, car il a également envoyé à M. Ratte la pièce d’identité d’Arnold Wuttunee.

[341] Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les actes du chef Wuttunee constituent une fraude électorale grave relativement à l’achat de votes.

[342] Par ailleurs, la preuve établit que Shelley Wuttunee a attesté, au moyen de sa signature apposée sur le formulaire de déclaration d’identité d’Arnold Wuttunee, avoir agi en qualité de témoin en l’absence de cet électeur. À mon avis, les actes de Shelley Wuttunee constituent également une fraude électorale et, compte tenu du fait qu’elle a aussi apposé de la même manière sa signature sur de nombreuses autres déclarations d’identité, ses actes constituent une fraude électorale grave.

[343] J’estime que les actes commis par Deloris Peyachew (l’administratrice du registre des Indiens), à supposer qu’elle les ait commis relativement aux pièces d’identité qui auraient été falsifiées, ne constituent pas une fraude électorale. J’estime que l’identité de la personne qui a signé l’une ou l’autre des pièces d’identité ou qui y a apposé ce qui semble être sa signature n’a pas été établie.

6) Tomas Pritchard

[344] L’allégation concernant Tomas Pritchard ne figure pas dans l’avis de demande modifié des demanderesses parce que la juge Aylen n’a accueilli la requête des demanderesses, conformément à l’article 312 des Règles, visant à produire l’affidavit de Tomas Pritchard souscrit le 8 février 2021 qu’après le dépôt de leur avis de demande modifié.

[345] Les personnes qui se seraient livrées à des manœuvres frauduleuses relativement au vote de Tomas Pritchard sont Leroy Nicotine Jr. et Wallace Wuttunee. Les allégations visant Leroy Nicotine Jr. figurent aux paragraphes 51-54 du mémoire des demanderesses, et elles portent sur le fait qu’il y aurait eu une tentative d’achat de vote et sur le fait qu’un vote aurait été acheté au montant de 300 $ en espèces au bureau de vote, après que Tomas Pritchard fut allé voter.

[346] En réponse à l’affidavit de Tomas Pritchard, les défendeurs s’appuient sur les affidavits de Leroy Nicotine Jr.

[347] Tomas Pritchard et Leroy Nicotine Jr. sont cousins.

[348] Aux paragraphes 10-15 de son affidavit, Tomas Pritchard affirme que Leroy Nicotine Jr. est allé le chercher à l’extérieur de son école, l’a conduit au bureau de vote de Saskatoon, lui a remis une liste comportant le nom des personnes pour lesquelles voter – ces personnes étaient chacun des défendeurs de l’équipe Clinton –, et lui a dit de prendre une photo de son bulletin de vote marqué. De plus, Leroy Nicotine Jr. a dit à Wallace Wuttunee de suivre Tomas Pritchard à l’intérieur du bureau de vote afin de lui montrer ce qu’il devait faire et de confirmer s’il avait pu prendre une photo de son bulletin de vote, une fois rempli. Toutefois, un responsable de la sécurité au bureau de vote a expulsé Wallace Wuttunee du bureau de vote, et Tomas Pritchard n’a pu prendre une photo de son bulletin de vote rempli en raison de la présence de ce responsable. Quoi qu’il en soit, Tomas Pritchard affirme au paragraphe 13 que Leroy Nicotine Jr. lui a remis 300 $ en espèces : [traduction] « [...] Leroy Nicotine Jr. a ensuite dit qu’ils savaient qu’ils pouvaient me faire confiance, puis il a sorti une liasse de billets et m’a remis 300 $ en espèces. »

[349] Les demanderesses ont produit des messages, que se sont échangés sur Facebook Leroy Nicotine Jr. et Tomas Pritchard, révélant que Leroy Nicotine Jr. avait tenté d’obtenir le bulletin de vote postal de Tomas Pritchard [DDEM 0530-0533, PDF 0539-0542] :

[traduction]

Leroy Nicotine Jr. : As-tu demandé ton bulletin de vote

Tomas Pritchard : Non, je ne l’ai pas encore fait

Leroy Nicotine Jr. : [image du formulaire de demande de bulletin de vote postal]

Leroy Nicotine Jr. : Imprime ça quelque part et appelle-moi, je te dirai comment le remplir

Leroy Nicotine Jr. : Plus tu te dépêcheras de l’imprimer, plus tôt tu pourras demander ton bulletin de vote

Tomas Pritchard : D’accord alors

Leroy Nicotine Jr. : Je t’aime

Tomas Pritchard : Je t’aime aussi prends soin de toi je t’écrirai quand je l’aurai

Leroy Nicotine Jr. : Parfait

Leroy Nicotine Jr. : As-tu déjà rempli les documents que je t’ai dit de remplir

Tomas Pritchard : Beaucoup à faire à l’école, je vais aller voter ici, au bureau de vote de la ville, le 13

Leroy Nicotine Jr. : D’accord... J’irai te voir quand je reviendrai...

Tomas Pritchard : D’accord, parfait

Leroy Nicotine Jr. : Quoi de neuf

Tomas Pritchard : J’enseigne présentement

[350] Toutefois, au cours de son contre-interrogatoire, Tomas Pritchard a ajouté que Leroy Nicotine Jr. avait consulté le chef Wuttunee avant de lui remettre les 300 $ qu’il allègue avoir reçus. Les défendeurs contestent ce détail ajouté en contre-interrogatoire et affirment que Tomas Pritchard l’a inventé en cours de témoignage. J’estime que cette circonstance mine sa crédibilité.

[351] Dans son affidavit, Leroy Nicotine Jr. dit que Tomas Pritchard a communiqué avec lui en février ou en mars 2020 pour lui demander de l’aider à obtenir son bulletin de vote postal puisqu’il a dit que celui-ci ne savait pas comment l’obtenir, et il nie avoir remis à Tomas [traduction] « de l’argent pour acheter son bulletin de vote ».

[352] Leroy Nicotine Jr. affirme plutôt qu’il a remis 150 $ à Tomas afin de [traduction] « l’aider » parce que selon lui, [traduction] « [Tomas] ne travaillait pas et avait besoin d’argent à cause du confinement » [DDEF 0156-0157, PDF 0161-0162].

[353] Il semble y avoir eu un changement de cap. Lors de son contre-interrogatoire, Leroy Nicotine Jr. a dit qu’au lieu d’utiliser le bulletin de vote postal, il était allé prendre Tomas Pritchard à l’extérieur de son école pour le conduire au bureau de vote de Saskatoon et que Wallace Wuttunee était aussi dans le camion.

[354] Leroy Nicotine Jr. a admis que Wallace Wuttunee avait suivi Tomas Pritchard à l’intérieur du bureau de vote, et qu’ensuite Wallace Wuttunee était revenu dans le camion avant Tomas Pritchard [DDEM 2840, PDF 2849].

[355] Leroy Nicotine Jr. a été contre-interrogé sur le rôle qu’il avait eu dans l’élection. À cet égard, voici des extraits de la transcription :

[traduction]

- Il a refusé de répondre aux questions concernant le nombre d’électeurs qu’il avait aidés afin qu’ils obtiennent leur bulletin de vote postal [DDEM 2767-2769, PDF 2776-2778]

- Bien que Leroy Nicotine Jr. ait admis que quelqu’un d’autre que lui avait fourni le camion pour conduire les électeurs au bureau de vote, il n’a pu ou n’a pas voulu identifier la personne de qui il avait emprunté le camion [DDEM 2744, PDF 2753]

- Leroy Nicotine Jr. n’a pu identifier les électeurs qu’il avait conduits au bureau de vote ni dire combien il en avait conduit [DDEM 2823, PDF 2832]

[356] Tomas Pritchard affirme qu’il craint Leroy Nicotine Jr. et les défendeurs, ce qui tend à indiquer qu’il a peut-être agi sous la contrainte lorsqu’il s’est rendu au bureau de vote avec Leroy Nicotine Jr., le 13 mars 2020. Toutefois, le fait pour Tomas Pritchard d’avoir retiré lors de son contre-interrogatoire le paragraphe 22 de son affidavit, où il avait dit craindre les défendeurs, affaiblit cette partie de son témoignage [DDEF 1396, PDF 1401] :

[traduction]

13 Q. D’accord. Vous êtes donc disposé à retirer

14 cette partie de votre affidavit, le paragraphe 22,

15 parce qu’il est inexact?

16 R. Oui, j’étais essentiellement mal informé avant

17 de l’écrire.

[357] Les demanderesses soutiennent que Leroy Nicotine Jr. a contrevenu aux alinéas 16f) et 17b) de la LEPN lorsqu’il a remis à Tomas Pritchard 300 $ pour voter pour les défendeurs, ainsi qu’à l’article 18 de la LEPN (vote secret) lorsqu’il a demandé à Tomas Pritchard de prendre une photo de son bulletin marqué et lorsqu’il a demandé à Wallace Wuttunee d’aller au bureau de vote avec Tomas Pritchard à cette fin :

Interdictions générales

Prohibition – any person

16 Nul ne peut, relativement à une élection :

16 A person must not, in connection with an election,

[...]

...

f) offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(f) offer money, goods, employment or other valuable consideration in an attempt to influence an elector to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

Interdictions visant l’électeur

Prohibition – elector

17 Nul électeur ne peut, relativement à une élection :

17 An elector must not, in connection with an election,

[...]

...

b) accepter ou convenir d’accepter de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable pour voter ou s’abstenir de voter, ou encore pour voter ou s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(b) accept or agree to accept money, goods, employment or other valuable consideration to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

Vote secret

Secrecy of voting

18 Le vote à une élection se tient par scrutin secret.

18 Voting at an election is to be conducted by secret ballot.

[358] Je tiens à souligner que les alinéas 16f) et 17b) de la LEPN ne visent pas les mêmes personnes. L’alinéa 16f) a pour objet d’interdire à quiconque d’offrir une contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter pour qui que ce soit. La personne qui peut être tenue responsable peut être un électeur ou une autre personne. L’alinéa 17b) a pour objet d’interdire aux électeurs d’accepter une contrepartie valable pour voter pour qui que ce soit. Seul un électeur peut être tenu responsable. Par conséquent, dans le cours normal des choses, quiconque offre d’acheter le vote d’un électeur voit sa responsabilité engagée en vertu de l’alinéa 16f), mais non en vertu de l’alinéa 17b).

[359] Analyse : Compte tenu de l’absence d’éléments de preuve corroborants et du paragraphe retiré lors du contre-interrogatoire de Tomas Pritchard, j’estime que Leroy Nicotine Jr. n’a pas contrevenu à la LEPN en ce qui concerne Tomas Pritchard.

[360] Toutefois, je conclus que Leroy Nicotine Jr. a dit à Wallace Wuttunee de suivre Tomas Pritchard afin d’essayer de prendre une photo de son bulletin de vote marqué. À mon humble avis, j’estime que Leroy Nicotine Jr. a ainsi directement pris part à une fraude électorale grave.

[361] Je ne tire aucune conclusion défavorable à l’égard de Wallace Wuttunee, car il n’est ni partie à la présente instance ni désigné dans l’avis de demande ou dans l’avis de demande modifié.

[362] Pour le même motif – soit une preuve insuffisante et le retrait d’un paragraphe en contre-interrogatoire –, je ne puis conclure que Tomas Pritchard a contrevenu à l’alinéa 17b) de la LEPN.

7) Dion Bugler

[363] Aux paragraphes 24-26 de leur avis de demande modifié, les demanderesses allèguent ce qui suit :

[TRADUCTION]

GARY NICOTINE (au nom des participants et en son propre nom) s’est livré relativement à l’élection à des manœuvres frauduleuses – et en particulier à l’achat de votes – lorsqu’il a offert à Dion Bugler de le payer 50 $ pour qu’il demande son bulletin de vote postal et lorsqu’il l’a ensuite payé ce montant. GARY NICOTINE et les participants ont ensuite incité Deloris Peyachew à falsifier une pièce d’identité de remplacement au nom de Dion Bugler et ont remis cette pièce ainsi que la demande falsifiée de bulletin de vote postal au président d’élection (M. RATTE) au moyen d’un message texte, environ neuf jours avant la tenue de l’élection, dans le but d’obtenir irrégulièrement un bulletin de vote postal.

GARY NICOTINE (au nom des participants et en son propre nom) s’est livré relativement à l’élection à des manœuvres frauduleuses – et en particulier à l’achat de votes – lorsque, avant la tenue de l’élection, il a offert d’acheter le bulletin de vote postal de Dion Bugler pour la somme de 150 $.

CLINTON WUTTUNEE et DANA FALCON (au nom des participants et en leur propre nom) se sont livrés relativement à l’élection à des manœuvres frauduleuses – et en particulier à l’achat de votes – lorsqu’ils ont acheté le bulletin de vote postal de Dion Bugler pour la somme de 500 $ avant la tenue de l’élection. DANA FALCON a remis à Dion Bugler la somme de 300 $, qu’il a reçue au moyen d’un virement électronique effectué par CLINTON WUTTUNEE et/ou des personnes agissant en son nom. Les autres 200 $ ont été payés au moyen d’un virement électronique effectué par Austin Ahenakew, agissant au nom de CLINTON WUTTUNEE et des participants, à Loraine Bugler, la mère de Dion Bugler, le 17 mars 2020 ou vers cette date.

[364] Les défendeurs qui se seraient livrés à des manœuvres frauduleuses relativement au vote de Dion Bugler sont le conseiller Gary Nicotine, le chef Wuttunee et le conseiller Dana Falcon. Le dirigeant principal des finances Austin Ahenakew, Shelley Wuttunee et Deloris Peyachew y auraient également pris part.

[365] En réponse à l’affidavit de Dion Bugler, les défendeurs s’appuient sur les affidavits du chef Wuttunee, du conseiller Gary Nicotine, du conseiller Dana Falcon, de Shelley Wuttunee, du conseiller Jason Chakita et du dirigeant principal des finances, Austin Ahenakew.

[366] Aux paragraphes 3-9 de son affidavit, Dion Bugler affirme que le conseiller Gary Nicotine s’est adressé à lui pour lui demander s’il avait son bulletin de vote postal. Lorsque Dion Bugler lui a répondu par la négative, le conseiller Gary Nicotine a produit un formulaire vierge de demande de bulletin de vote postal et lui a dit qu’il s’arrangerait pour que son bulletin de vote postal soit envoyé à une adresse qui n’était pas la sienne. Dion Bugler a demandé que son bulletin de vote postal lui soit envoyé directement, mais le conseiller Gary Nicotine a refusé. Le conseiller Gary Nicotine lui a demandé de signer le formulaire de demande de bulletin de vote postal, et il lui a remis 50 $ en espèces après qu’il l’eût signé. Quelques jours plus tard, le conseiller Gary Nicotine est allé le voir avec son bulletin de vote postal vierge dans le but de lui offrir 150 $ pour qu’il le signe et le lui remette non rempli. Dion Bugler lui a dit qu’il voulait 500 $, mais le conseiller Gary Nicotine a refusé.

[367] Aux paragraphes 10-17 de son affidavit, Dion Bugler ajoute que quelques jours plus tard, le conseiller Dana Falcon lui a demandé s’il avait son bulletin de vote postal et combien il voulait pour celui-ci. Il a répondu qu’il l’avait encore et qu’il voulait 500 $. Le conseiller Dana Falcon a communiqué avec le chef Wuttunee afin de prendre un arrangement pour le paiement. Dion Bugler dit que le conseiller Dana Falcon l’a payé 300 $ en espèces et lui a dit qu’il recevrait 200 $ de plus de la part du chef Wuttunee. Les 200 $ ont été envoyés par virement électronique à la mère de Dion Bugler parce que Dion n’était pas en mesure de le recevoir lui-même.

[368] Dion Bugler déclare qu’il n’a pas voté à l’élection parce qu’il avait vendu son bulletin de vote postal au conseiller Dana Falcon. Malgré sa déclaration, le formulaire de déclaration d’identité de Dion Bugler a été remis à M. Ratte [DDEM 3311, PDF 3320].

[369] Shelley Wuttunee a signé en qualité de témoin le formulaire de déclaration d’identité de Dion Bugler, et Deloris Peyachew (l’administratrice du registre des Indiens) semble avoir délivré une pièce d’identité de remplacement au nom de Dion Bulger [DDEM 3312, PDF 321], ou c’est à tout le moins sa signature qui semble figurer sur la pièce d’identité de remplacement.

[370] Selon les défendeurs, Dion Bugler est une personne analphabète qui n’a pu lire son affidavit ou les documents qui y étaient joints. Au paragraphe 20 de son affidavit, le conseiller Jason Chakita affirme qu’il a eu une conversation dans la rue avec Dion Bugler au cours de laquelle ce dernier lui a dit que son affidavit était entièrement faux et que Reggie Bugler lui avait promis 10 000 $ pour son affidavit une fois les [traduction] « millions reçus ». Toutefois, lors de son contre-interrogatoire, Dion Bugler a dit qu’il avait menti lorsqu’il avait dit au conseiller Jason Chakita que Reggie Bulger (l’oncle de Dion) lui avait offert 10 000 $ [DDEF 0751-0752, PDF 0756-0757] :

[traduction]

23 Q. Puis M. Chakita vous a demandé : « Est-ce qu’il a dit

24 qu’il allait te donner quelque chose? »

25 R. Oui, mais je lui ai menti à ce sujet.

1 Q. Ah, à propos de quoi lui avez-vous menti?

2 R. Le fait que Reggie me donne quelque chose. (Inaudible).

3 Je lui ai dit si Reggie disait qu’il ne --

4 [intraduisible dans ce contexte : « the feel »], je lui ai dit que Reggie pourrait me donner

5 10 000 dollars. Je lui ai menti pour voir

6 s’il me donnerait plus d’argent.

[371] Au paragraphe 20 de son affidavit, le conseiller Gary Nicotine affirme que lui et Dion Bugler sont cousins. Il dit aux paragraphes 22-23 qu’il a remis 50 $ à Dion Bugler pour qu’il obtienne une pièce d’identité parce qu’il avait perdu celle qu’il avait. En contre-interrogatoire, Dion Bugler a confirmé qu’il n’avait signé aucun document en présence du conseiller Gary Nicotine [DDEF 0732, PDF 0737, aux lignes 22-24]. Toutefois, si le conseiller Gary Nicotine a remis 50 $ à Dion Bugler pour qu’il obtienne une pièce d’identité, le fait pour Deloris Peyachew d’avoir délivré une pièce d’identité de remplacement au nom de Dion Bugler est très douteux et, en conséquence, il y a lieu de se demander si les 50 $ devaient réellement aider Dion Bugler à d’obtenir une pièce d’identité ou s’ils étaient censés acheter sa demande de bulletin de vote postal ou son bulletin de vote postal.

[372] Au paragraphe 10 de son affidavit, le chef Wuttunee affirme qu’il a vu Dion Bugler à un moment quelconque avant la tenue de l’élection de 2020, et que celui-ci lui a demandé de l’argent parce qu’il accusait du retard dans le paiement de son loyer. En contre-interrogatoire, Dion Bugler a confirmé avoir demandé au chef Wuttunee de l’aider à payer son loyer et lui avoir demandé 200 $ ou plus [DDEF 0740, PDF 0745, aux lignes 7-12] :

[traduction]

7 Q. Vous avez donc envoyé un message texte au chef afin

8 d’obtenir de l’aide pour votre loyer et vous avez demandé 200 $?

9 R. Oui. J’ai demandé l’argent. Je ne me rappelle pas

10 si c’était 200 $ ou plus. Je sais que je

11 le lui ai demandé. Je n’avais pas assez d’argent pour payer le loyer,

12 oui.

[373] Les 200 $ ont été envoyés à la mère de Dion Bugler par virement électronique parce que Dion ne pouvait pas recevoir de dépôt dans son compte bancaire [DDEF 0737, PDF 742, aux lignes 13-20]. Les lettres « Bma » ajoutées au virement bancaire que le dirigeant principal des finances, Austin Ahenakew, a fait à la mère de Dion Bugler indiquent qu’il s’agissait d’un paiement d’AMB [DDEF 0011, PDF 16]. Toutefois, les défendeurs n’ont pas été en mesure de produire des documents officiels pour établir qu’il s’agissait d’un paiement légitime d’AMB.

[374] Selon les demanderesses, le fait pour les conseillers Gary Nicotine et Dana Falcon d’avoir offert de l’argent en échange de la demande de bulletin de vote postal et du bulletin de vote postal de Dion Bugler contrevient à l’alinéa 16f) de la LEPN, et, si les faits l’établissent, je suis d’accord avec elles :

Interdictions générales

Prohibition – any person

16 Nul ne peut, relativement à une élection :

16 A person must not, in connection with an election,

[...]

...

f) offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(f) offer money, goods, employment or other valuable consideration in an attempt to influence an elector to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

Interdictions visant l’électeur

Prohibition – elector

17 Nul électeur ne peut, relativement à une élection :

17 An elector must not, in connection with an election,

[...]

...

b) accepter ou convenir d’accepter de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable pour voter ou s’abstenir de voter, ou encore pour voter ou s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(b) accept or agree to accept money, goods, employment or other valuable consideration to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

[375] Les demanderesses soutiennent également que le bulletin de vote postal de Dion Bugler était frauduleux.

[376] Analyse : La preuve établit que Shelley Wuttunee a signé en qualité de témoin le formulaire de déclaration d’identité de Dion Bugler, et qu’elle a remis ce formulaire, même si celui-ci a dit dans son affidavit qu’il n’avait pas voté à l’élection. La preuve ne permet pas de savoir si le chef Wuttunee, le conseiller Gary Nicotine ou le conseiller Dana Falcon ont [traduction] « acheté » ou tenté d’acheter le vote de Dion Bugler, particulièrement compte tenu des faits suivants : 1) Dion Bugler a confirmé lors de son contre-interrogatoire que les 200 $ qu’il avait reçus étaient un paiement d’AMB pour son loyer; 2) il a dit lors de son contre-interrogatoire qu’il n’avait signé aucun document en présence du conseiller Gary Nicotine, ce qui contredit directement son affidavit; 3) il a par la suite admis avoir menti à propos des 10 000 $ qui lui avaient été offerts pour son affidavit. J’estime que Dion Bugler ne semble pas être un témoin crédible parce que son affidavit et son contre-interrogatoire sont contradictoires. De plus, le virement électronique de 200 $ effectué par le dirigeant principal des finances, Austin Ahenakew, porte la mention « Bma », bien que ce virement ne constitue pas un document officiel faisant état d’un paiement d’AMB.

[377] J’estime que le témoignage du conseiller Gary Nicotine ne concorde pas avec la preuve. Il affirme avoir remis 50 $ à Dion Bugler pour obtenir une pièce d’identité, mais la pièce d’identité de remplacement délivrée par Deloris Peyachew (l’administratrice du registre des Indiens) [DDEM 3312, PDF 321] contredit son affirmation. Il y a donc lieu de douter du témoignage du conseiller Gary Nicotine.

[378] Cela dit, s’agissant des allégations concernant Dion Bugler, je conclus que les demanderesses n’ont pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait eu contravention à la LEPN ou au REPN, ou une fraude électorale.

8) Paul Tobaccojuice

[379] Aux paragraphes 21-22 de leur avis de demande modifié, les demanderesses allèguent ce qui suit :

[TRADUCTION]

CLINTON WUTTUNEE, LUX BENSON et Codey Benson (au nom des participants et en leur propre nom) se sont livrés relativement à l’élection à des manœuvres frauduleuses – et en particulier à l’achat de votes – lorsque au cours de la première semaine de février 2020, ils ont payé Paul Tobaccojuice 200 $ pour qu’il demande son bulletin de vote postal, et ont offert d’acheter son bulletin de vote postal lorsqu’il le recevrait.

GARY NICOTINE (au nom des participants et en son propre nom) s’est livré relativement à l’élection à des manœuvres frauduleuses – et en particulier à l’achat de votes – lorsque le 14 février 2020 ou vers cette date, il a acheté le bulletin de vote postal de Paul Tobaccojuice pour la somme de 200 $.

[380] Les défendeurs qui se seraient livrés à des manœuvres frauduleuses concernant le vote de Paul Tobaccojuice sont le chef Wuttunee, le conseiller Gary Nicotine et le conseiller Lux Benson. L’administrateur de la bande, Cody Benson, y aurait également pris part.

[381] En réponse à l’affidavit de Paul Tobaccojuice, les défendeurs s’appuient sur les affidavits de l’administrateur de la bande, Cody Benson, du conseiller Lux Benson et du conseiller Gary Nicotine.

[382] Paul Tobaccojuice est le cousin du conseiller Lux Benson et du conseiller Gary Nicotine. Paul Tobaccojuice déclare qu’il a rencontré le chef Wuttunee, le conseiller Lux Benson et l’administrateur de la bande, Cody Benson, au cours de la première semaine de février 2020. Il affirme que l’administrateur de la bande, Cody Benson, lui a remis un formulaire vierge de demande de bulletin de vote postal et lui a dit comment le remplir. Après que Paul Tobaccojuice eut rempli son formulaire, ils ont pris une photo et l’ont envoyée à M. Ratte par message texte. Il ajoute que l’administrateur de la bande, Cody Benson, lui a remis un chèque de 200 $ à titre de paiement pour sa demande de bulletin de vote postal. Il dit que le chef Wuttunee, le conseiller Lux Benson et l’administrateur de la bande ont ensuite offert d’acheter son bulletin de vote postal lorsqu’il le recevrait, lui disant qu’ils lui paieraient plus d’argent, et l’aideraient à s’établir, en lui obtenant un véhicule par exemple.

[383] Paul Tobaccojuice dit que le 14 février 2020, l’administrateur de la bande, Cody Benson, l’a informé que le conseiller Gary Nicotine le conduirait chez sa sœur pour qu’il y prenne son bulletin de vote postal. Le conseiller Gary Nicotine est allé chercher Paul Tobaccojuice et, pendant le trajet, ce conseiller lui a dit qu’il achetait des bulletins de vote postaux et qu’ils essayaient d’inciter plus de personnes à obtenir une demande de bulletin de vote postal. Après avoir obtenu le bulletin de vote postal de Paul Tobaccojuice, le conseiller Gary Nicotine lui a demandé de signer le formulaire de déclaration d’identité joint à son bulletin de vote postal, mais de ne pas remplir son bulletin de vote. Paul Tobaccojuice a suivi ses instructions et a remis son bulletin de vote postal vierge au conseiller Gary Nicotine, qui l’a payé 200 $ en espèces.

[384] Dans son affidavit, le conseiller Lux Benson affirme que Paul Tobaccojuice est venu au bureau de la bande parce qu’il avait de la difficulté à démarrer sa voiture et avait besoin d’argent pour acheter des pneus afin de pouvoir se rendre en Alberta pour chercher du travail. Pendant qu’il était au bureau de la bande, il a parlé avec l’administrateur de la bande, Cody Benson, le conseiller Lux Benson et le chef Wuttunee, pour leur demander de l’aide, et ils l’ont autorisé à recevoir un paiement d’AMB afin qu’il puisse obtenir les pneus dont il avait besoin. L’administrateur de la bande, Cody Benson, a déclaré dans son affidavit que le chèque de 200 $ provenant de la bande lui avait été octroyé pour les pneus et non pour sa demande de bulletin de vote postal. Une copie du chèque de 200 $ provenant de la bande figure au dossier des défendeurs [DDEF 0045, PDF 0050].

[385] Toutefois, on ne sait pas si ce chèque a été émis à titre de paiement d’AMB, bien qu’il semble y avoir sur l’une des faces du chèque une sorte d’indication qui permettrait de penser qu’il s’agit d’un paiement d’AMB. Le chef Wuttunee a affirmé que des documents précis doivent étayer les paiements d’AMB, mais aucun tel document n’a été produit en ce qui concerne le paiement de 200 $ que la bande aurait fait à Paul Tobaccojuice, ni de la part du chef Wuttunee, ni de la part du dirigeant principal des finances, Austin Ahenakew. Avec égards, je ne crois pas que la bande a émis ce chèque de 200 $ à titre de paiement d’AMB; j’estime qu’il est plus probable que ce chèque de la bande ait servi à payer Paul Tobaccojuice pour qu’il obtienne sa demande de bulletin de vote postal.

[386] Dans son affidavit, le conseiller Gary Nicotine affirme qu’il n’a pas remis 200 $ à Paul Tobaccojuice en échange de son bulletin de vote postal.

[387] Selon les défendeurs, Paul Tobaccojuice a donné l’impression, en contre-interrogatoire, qu’il était mécontent envers le chef et les conseillers, et qu’ils lui devaient de l’argent [DDEF 0453, à partir de la ligne 8, jusqu’à la page 0455, à la ligne 2, PDF 0458-0460]. Même si leur affirmation comporte une part de vérité, je tiens à faire remarquer – et ce point est plus important encore – que l’extrait qui suit démontre que Paul Tobaccojuice a imperturbablement affirmé que le chèque de 200 $, provenant de la Première Nation, lui avait été remis en échange de son vote :

[traduction]

8 Q. D’accord, mais vous possédiez une voiture qui n’avait pas de pneus?

9 R. Je l’ai reçue dans cet état-là.

10 Q. D’accord. Donc, vous avez obtenu une voiture qui n’était pas munie de pneus?

11 R. Oui. Dans cet état – je venais juste de recevoir

12 la voiture.

13 Q. Parfait, je comprends.

14 R. Oui.

15 Q. D’accord. La voiture que vous avez obtenue n’avait donc pas de pneus, et

16 il vous fallait faire installer des pneus?

17 R. Oui.

18 Q. D’accord. Et on vous a donné de l’argent pour

19 faire installer les pneus sur la voiture?

20 R. Pas spécifiquement pour les pneus. J’ai reçu

21 de l’argent pour voter pour eux ou pour quelqu’un.

22 Q. Je vois.

23 R. C’est ce qu’ils voulaient.

24 Q. Je vois.

25 R. Oui.

1 Q. Mais vous avez utilisé l’argent pour installer des pneus

2 sur la voiture?

3 R. Oui, j’ai dépensé l’argent, oui.

4 Q. Pardon?

5 R. Oui, l’argent a servi à faire installer les pneus,

6 mais...

7 Q. Sur la voiture?

8 R. Oui, mais ils m’ont dit qu’ils allaient payer

9 pour les pneus, sauf qu’ils n’ont pas fait.

10 Q. Ah, je vois. D’accord.

11 R. Et vous pouvez parler à Clint Wuttunee à ce

12 sujet, parce qu’ils me doivent encore de l’argent.

13 Q. Ils vous ont dit qu’ils allaient payer pour

14 les pneus?

15 R. Oui.

16 Q. D’accord. Très bien. Ensuite, je crois que vous

17 avez reçu un chèque, n’est-ce pas?

18 R. Oui, j’ai reçu un chèque, le premier, oui.

19 Q. Pour 200 dollars?

20 R. 200.

21 Q. Oui. Et vous aviez un compte bancaire? Vous avez

22 pu le déposer?

23 R. Non, je n’avais pas de compte bancaire.

24 Q. D’accord. Il vous fallait aller à la banque, et...

25 R. Je l’ai juste encaissé.

1 Q. – vous avez touché le montant du chèque?

2 R. Je suis allé au magasin de Red Pheasant pour l’encaisser.

[Non souligné dans l’original.]

[388] Le formulaire de déclaration d’identité de Paul Tobaccojuice figure à la page DDEM 3757, PDF 3766. C’est Leroy Nicotine Jr. qui a attesté, sur ce formulaire, avoir agi en qualité de témoin. Toutefois, Leroy Nicotine Jr. a refusé de répondre aux questions concernant Paul Tobaccojuice lors de son contre-interrogatoire [DDEM 2757-2758, PDF 2766-2767]. Leroy Nicotine Jr. serait aussi en cause : au paragraphe 8 de leur mémoire, les demanderesses allèguent qu’il a participé à la falsification des bulletins de vote postaux lorsqu’il les a signés en qualité de témoin en l’absence des électeurs. Par conséquent, je conclus que Leroy Nicotine Jr. a commis une fraude électorale grave relativement à l’achat de votes concernant Paul Tobaccojuice.

[389] Les demanderesses soutiennent que le fait, de la part des défendeurs, d’avoir offert de l’argent en échange de la demande de bulletin de vote postal et du bulletin de vote postal de Paul Tobaccojuice contrevient aux alinéas 16f) et 17b) de la LEPN. Je répète que l’alinéa 17b) ne s’applique pas aux contraventions commises par les défendeurs, bien qu’en l’espèce, il s’applique à Paul Tobaccojuice, qui a vendu son vote :

Interdictions générales

Prohibition – any person

16 Nul ne peut, relativement à une élection :

16 A person must not, in connection with an election,

[...]

...

f) offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(f) offer money, goods, employment or other valuable consideration in an attempt to influence an elector to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

Interdictions visant l’électeur

Prohibition – elector

17 Nul électeur ne peut, relativement à une élection :

17 An elector must not, in connection with an election,

[...]

...

b) accepter ou convenir d’accepter de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable pour voter ou s’abstenir de voter, ou encore pour voter ou s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(b) accept or agree to accept money, goods, employment or other valuable consideration to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

[390] Analyse : À mon avis, les allégations de Paul Tobaccojuice sont crédibles. Il dit qu’il a été payé pour son vote et qu’il n’a jamais reçu les 200 $ supplémentaires pour les pneus dont il avait besoin. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a reçu 200 $, au moyen d’un chèque provenant de la bande, pour sa demande de bulletin de vote postal. Je conclus qu’il a également – et conformément à son témoignage – reçu un autre montant de 200 $ en espèces de la part du conseiller Gary Nicotine pour son bulletin de vote postal. Les défendeurs disent qu’il s’agissait d’un paiement d’AMB, mais j’estime que la preuve documentaire présentée pour corroborer cette allégation n’est pas satisfaisante. Il y a sur le chèque une note qui n’est pas vraiment claire, mais plus important encore, le conseiller Gary Nicotine, le conseiller Lux Benson, le chef Wuttunee ou l’administrateur de la bande, Cody Benson, n’ont produit aucun document pour corroborer que ce chèque était véritablement un paiement d’AMB. Il importe de souligner que le dirigeant principal des finances, Austin Ahenakew, n’a produit aucun élément de preuve corroborant qu’il s’agissait d’un véritable paiement d’AMB. En l’absence d’une preuve documentaire plus solide, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le chèque de 200 $ provenant de la bande n’a pas été émis à titre de paiement d’AMB, mais qu’il s’agissait plutôt des fonds de la bande visant à acheter la demande de bulletin de vote postal de Paul Tobaccojuice.

[391] Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le conseiller Gary Nicotine et le conseiller Lux Benson ont contrevenu à l’alinéa 16f) de la LEPN et commis une fraude électorale grave parce qu’ils ont directement participé à l’offre faite à Paul Tobaccojuice en vue d’acheter son formulaire de demande de bulletin de vote postal, son bulletin de vote postal et son formulaire de déclaration d’identité :

Interdictions générales

Prohibition – any person

16 Nul ne peut, relativement à une élection :

16 A person must not, in connection with an election,

[...]

...

f) offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(f) offer money, goods, employment or other valuable consideration in an attempt to influence an elector to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

[392] Je ne crois pas que l’administrateur de la bande, Cody Benson, a directement participé à ce cas de fraude électorale; je conclus plutôt que sa présence était accessoire en ce qui concerne la demande de bulletin de vote postal, et j’estime, selon la prépondérance des probabilités, que sa participation n’était rien de plus que celle d’un intermédiaire agissant pour le chef Wuttunee, le conseiller Gary Nicotine et le conseiller Lux Benson.

[393] Le chef Wuttunee n’a pas été contre-interrogé et n’a pas témoigné au sujet de Paul Tobaccojuice. Toutefois, l’administrateur de la bande, Cody Benson, dit que le chef Wuttunee était dans le bureau de la bande en présence Paul Tobaccojuice lorsque la discussion sur le paiement a eu lieu, et qu’il était présent lorsque le chef Wuttunee a parlé au conseiller Lux Benson et à Paul Tobaccojuice. L’administrateur de la bande, Cody Benson, dit que le chef Wuttunee lui a demandé de verser des fonds à Paul Tobaccojuice pour des pneus, et qu’il a fait ce qu’on lui avait demandé. Pour ce motif, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le chef Wuttunee savait – et, en fait, il l’avait lui-même exigé – que les fonds de la bande avaient servi à payer Paul Tobaccojuice 200 $ pour son bulletin de vote postal, et qu’il savait et escomptait que le bulletin de vote postal de Paul Tobaccojuice serait subséquemment obtenu et utilisé pour voter pour les défendeurs. À cet égard, je conclus que le chef Wuttunee a contrevenu à l’alinéa 16f) de la LEPN :

Interdictions générales

Prohibition – any person

16 Nul ne peut, relativement à une élection :

16 A person must not, in connection with an election,

[...]

...

f) offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(f) offer money, goods, employment or other valuable consideration in an attempt to influence an elector to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

[394] Pour les mêmes motifs, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le chef Wuttunee a directement participé à une fraude électorale grave relativement à l’achat de la demande de bulletin de vote postal et du bulletin de vote postal de Paul Tobaccojuice.

[395] Je conclus également que Paul Tobaccojuice a contrevenu à l’alinéa 17b) de la LEPN et qu’il a participé à une fraude électorale grave parce qu’il a accepté d’être payé pour sa demande de bulletin de vote postal et pour son bulletin de vote postal, comme il est indiqué ci-dessus :

Interdictions visant l’électeur

Prohibition – elector

17 Nul électeur ne peut, relativement à une élection :

17 An elector must not, in connection with an election,

[...]

...

b) accepter ou convenir d’accepter de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable pour voter ou s’abstenir de voter, ou encore pour voter ou s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(b) accept or agree to accept money, goods, employment or other valuable consideration to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

[396] En faisant ce témoignage, Paul Tobaccojuice admettait avoir contrevenu à l’alinéa 17b) de la LEPN et avoir commis une fraude électorale grave parce qu’il avait vendu son vote. Je retiens, avec circonspection, son témoignage à cet égard, vu qu’il a agi illégalement, mais je confirme les conclusions que j’ai tirées suivant la prépondérance des probabilités.

9) Wendall John Albert

[397] Au paragraphe 27 de leur avis de demande modifié, les demanderesses allèguent ce qui suit :

[TRADUCTION]

HENRY GARDIDPY (au nom des participants et en son propre nom) s’est livré relativement à l’élection à des manœuvres frauduleuses – et en particulier à l’achat de votes – lorsque à la fin de février 2020, il a acheté la demande de bulletin de vote postal et le bulletin de vote postal de Wendall John Albert pour la somme de 20 $. HENRY GARDIPY et les participants ont ensuite remis la demande falsifiée de bulletin de vote postal au président d’élection (M. RATTE) au moyen d’un message texte, dans le but d’obtenir irrégulièrement un bulletin de vote postal, que les participants ont falsifié afin de voter pour le chef et les conseillers lors de l’élection. Bien que Wendall John Albert n’ait pas demandé de bulletin de vote postal, HENRY GARDIDPY avait déjà fait en sorte qu’un bulletin de vote postal soit remis à Wendall John Albert pour que celui-ci le signe. Les bulletins de vote devant servir à choisir les candidats étaient vierges lorsqu’ils ont été signés et remis à HENRY GARDIDPY.

[398] Le défendeur qui aurait participé aux manœuvres frauduleuses concernant le vote de Wendall John Albert [Wendall Albert] est le conseiller Henry Gardipy.

[399] En réponse à l’affidavit de Wendall Albert, les défendeurs s’appuient sur l’affidavit du conseiller Henry Gardipy.

[400] Wendall Albert affirme qu’à l’époque où il résidait dans un refuge pour sans-abris à North Battleford, le conseiller Henry Gardipy est venu lui dire qu’il paierait 20 $ pour signer des documents, prendre une photo de sa pièce d’identité et acheter son vote. Ce conseiller lui a dit de remplir et de signer les documents, ce qu’il a fait. Ce conseiller a pris une photo de la pièce d’identité de Wendall Albert et lui a remis 20 $ pour acheter son vote. Wendall Albert n’a pas reçu son bulletin de vote postal, lequel n’a pas non plus été livré à l’adresse de sa mère, laquelle était celle qui figurait sur le formulaire de demande de bulletin de vote postal.

[401] Dans son affidavit, le conseiller Henry Gardipy affirme qu’il a rencontré Wendall Albert pour l’aider à remplir son formulaire de demande de bulletin de vote postal et qu’il lui a remis 20 $ simplement pour l’aider. Il ne dit pas que cet argent était un paiement d’AMB, et rien dans la preuve ne permet de confirmer qu’il s’agissait d’un tel paiement. Vu que le montant en cause est insignifiant, et malgré le témoignage selon lequel il y avait eu achat, je ne puis conclure, selon la prépondérance des probabilités, que cette somme devait servir à acheter la demande de bulletin de vote postal de Wendall Albert.

[402] Selon les défendeurs, le contre-interrogatoire de Wendall Albert révèle qu’il a fait envoyer son bulletin de vote à North Battleford plutôt qu’à Cando, en Saskatchewan, où sa mère vivait. Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que Wendall Albert a fait envoyer son bulletin de vote à la mauvaise adresse en raison d’une erreur qu’il a lui-même commise; qu’un bulletin de vote postal a été envoyé, mais à la mauvaise adresse; et, qu’en conséquence, Wendall Albert ne l’a pas reçu [DDEF 0816-0817, PDF 0821-0822].

[403] D’après son contre-interrogatoire, Wendall Albert s’est rendu au bureau de vote pour voter, mais comme il n’avait pas reçu son bulletin de vote, il devait, pour pouvoir voter, signer un affidavit indiquant qu’il avait perdu son bulletin de vote [DDEF 0819, PDF 0824, aux lignes 9-25]. On lui a toutefois dit qu’il devait se rendre à North Battleford pour signer un affidavit; Reggie Bugler a donc conduit Wendall Albert à North Battleford pour qu’il signe un affidavit [DDEF 0334, PDF 0339]. L’affidavit que Reggie Bugler a fait signer à Wendall Albert visait uniquement à attaquer le conseiller Henry Gardipy au lieu de permettre à Wendall Albert de voter. D’après l’affidavit qu’il a souscrit le 27 août 2020, M. Ratte a rejeté l’affidavit de Wendall Albert parce que celui-ci ne mentionnait pas qu’il avait perdu son bulletin de vote, et, par conséquent, il ne lui a pas remis un nouveau bulletin de vote [DDEF 0184, PDF 0189, au para 23].

[404] Les demanderesses soutiennent que l’offre d’argent faite en échange du formulaire de demande de bulletin de vote postal et du bulletin de vote postal de Wendall Albert contrevient aux alinéas 16f) et 17b) de la LEPN. Cette fois encore, je souligne que l’alinéa 17b) ne s’applique pas aux défendeurs :

Interdictions générales

Prohibition – any person

16 Nul ne peut, relativement à une élection :

16 A person must not, in connection with an election,

[...]

...

f) offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(f) offer money, goods, employment or other valuable consideration in an attempt to influence an elector to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

Interdictions visant l’électeur

Prohibition – elector

17 Nul électeur ne peut, relativement à une élection :

17 An elector must not, in connection with an election,

[...]

...

b) accepter ou convenir d’accepter de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable pour voter ou s’abstenir de voter, ou encore pour voter ou s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(b) accept or agree to accept money, goods, employment or other valuable consideration to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

[405] Analyse : Les éléments de preuve ne permettent pas de savoir si le conseiller Henry Gardipy a « acheté » le vote de Wendall Albert, particulièrement compte tenu du fait que Wendall Albert a admis lors de son contre-interrogatoire qu’il n’avait pas inscrit la bonne adresse sur son formulaire de demande de bulletin de vote postal, de sorte que son bulletin de vote postal a été envoyé à une mauvaise adresse. À mon avis, en ce qui concerne les allégations qui visent Wendall Albert, les demanderesses n’ont pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait eu contravention à la LEPN ou au REPN, ou que des manœuvres frauduleuses avaient été commises relativement à l’élection.

[406] Pour le même motif – soit une preuve insuffisante –, je ne puis conclure que Wendall John Albert a contrevenu à l’alinéa 17b) de la LEPN.

10) Veronica Whitford

[407] Au paragraphe 31 de leur avis de demande modifié, les demanderesses allèguent ce qui suit:

[TRADUCTION]

SAMUEL WUTTUNEE et GARY NICOTINE (au nom des participants et en leur propre nom) se sont livrés à des manœuvres frauduleuses – et en particulier à l’achat de votes – lorsque au début de février 2020, ils ont payé Veronica Whitford 100 $ pour qu’elle obtienne son bulletin de vote postal, et lorsqu’ils lui ont dit de falsifier une demande de bulletin de vote postal pour sa fille, Darian Whiteford, et lui ont versé 100 $ de plus à cette fin. GARY NICOTINE et les participants ont ensuite incité Deloris Peyachew à falsifier une pièce d’identité de remplacement et ont remis cette pièce et la demande falsifiée de bulletin de vote postal au président d’élection (M. RATTE) au moyen d’un message texte, dans le but d’obtenir irrégulièrement un bulletin de vote postal.

[408] Les défendeurs qui se seraient livrés aux manœuvres frauduleuses concernant le vote de Veronica Whitford sont les conseillers Samuel Wuttunee et Gary Nicotine. Deloris Peyachew (l’administratrice du registre des Indiens) y aurait également pris part.

[409] En réponse à l’affidavit de Veronica Whitford (la fille de Mary Linda Whitford, l’une des demanderesses), les défendeurs s’appuient sur les affidavits des conseillers Gary Nicotine et Samuel Wuttunee.

[410] Au paragraphe 4 de son affidavit, Veronica Whitford affirme qu’elle a rencontré, en présence de Heather Wuttunee, les conseillers Gary Nicotine et Samuel Wuttunee au début de février 2020. Ces conseillers ont remis 100 $ en espèces à Heather Wuttunee et la même somme à Veronica Whitford pour qu’elles remplissent leurs demandes de bulletin de vote postal. Heather Wuttunee et Veronica Whitford sont cousines. La demande de bulletin de vote postal de Veronica figure à la page DDEM 3316, PDF 3325, et selon le formulaire, l’adresse à laquelle sa demande de bulletin de vote postal devait être envoyée était celle de Heather Wuttunee [154 Dickinsfield Court].

[411] Veronica Whitford déclare que, au moment où elle a rempli sa demande de bulletin de vote postal, les conseillers Gary Nicotine et Samuel Wuttunee lui ont demandé qu’elle prétende aussi être sa fille, Darian Whiteford (sic), et qu’elle falsifie une demande de bulletin de vote postal pour sa fille également. Les conseillers Gary Nicotine et Samuel Wuttunee ont offert de payer Veronica Whitford 100 $ de plus pour ce faire, et elle a accepté.

[412] Au paragraphe 6 de son affidavit, Veronica Whitford admet avoir falsifié la demande de bulletin de vote postal de sa fille Darian Whiteford.

[413] La demande falsifiée de bulletin de vote postal de Darian Whiteford [DDEM 3307, PDF 3316] et la demande de bulletin de vote postal de Veronica Whitford [DDEM 3316, PDF 3325] indiquent le même numéro de téléphone et l’adresse de Heather Wuttunee pour l’envoi des bulletins de vote. Lors de son contre-interrogatoire, M. Ratte a confirmé qu’il avait accepté la demande de bulletin de vote postal de Darian Whiteford (la demande falsifiée), et qu’il avait envoyé le bulletin de vote postal à l’adresse de Heather Wuttunee [DDEM 0679, PDF 0688].

[TRADUCTION]

Veronica Whitford n’avait pas une copie de la pièce d’identité de sa fille, mais le conseiller Gary Nicotine a indiqué qu’il avait pu faire la demande de bulletin de vote postal sans cette copie, comme le démontre la pièce d’identité de remplacement délivrée par Deloris Peyachew (l’administratrice du registre des Indiens de Red Pheasant) [DDEM 3308, PDF 3317]. Je conclus que, lorsqu’elle a délivré une fausse pièce d’identité de remplacement pour Darian Whiteford, Deloris Peyachew a commis une fraude électorale.

[414] Quand Darian Whiteford a appris ce que sa mère avait fait, elle a présenté sa propre demande de bulletin de vote postal – qui figure à la page DDEM 3309, PDF 3318 – à laquelle elle a joint une copie de sa véritable pièce d’identité (son permis de conduire) [DDEM 3310, PDF 3319]. J’en conclus que Darian Whiteford n’était initialement pas au courant de ce que sa mère avait fait, mais qu’elle a rapidement corrigé le problème en téléphonant à M. Ratte et en obtenant son propre bulletin de vote postal.

[415] Aux paragraphes 11-13 de son affidavit, Veronica Whitford dit qu’après avoir reçu les bulletins de vote postaux pour elle et sa fille, elle n’était pas en paix avec le fait que les conseillers Gary Nicotine et Samuel Wuttunee lui avaient offert de l’argent pour falsifier la demande de bulletin de vote postal de sa fille et elle n’a plus communiqué avec eux.

[416] Dans leur mémoire, les défendeurs affirment que Veronica Whitford [traduction] « est toxicomane, alcoolique et imprévisible ». Ils ajoutent : [traduction] « Elle a refusé de parler à ce sujet lors de son contre-interrogatoire. » Outre ces commentaires stéréotypés, le conseiller Gary Nicotine ajoute ce qui suit au paragraphe 32 de son affidavit : [traduction] « Je connais Veronica Whitford et, malheureusement, c’est une personne très troublée qui est aux prises avec une grave toxicomanie. » Le conseiller Samuel Wuttunee a affirmé la même chose au paragraphe 9 de son affidavit : [traduction] « Veronica est une toxicomane. Elle a eu une vie difficile et on sait qu’elle vit dans la rue, à Edmonton, quand elle traverse une période difficile. » Je ne suis pas disposé à tirer une inférence défavorable à son égard sur la base de ces commentaires stéréotypés, parce qu’un sentiment de fierté et une certaine crainte de voir sa vie personnelle exposée à un examen potentiellement non pertinent pouvaient motiver son refus. Je m’interroge sur l’utilité de faire ce genre d’attaque personnelle contre un témoin en l’espèce : c’est l’exactitude du témoignage qui importe, et non le fait que le témoin ait eu une vie plus ou moins facile ou difficile. On pourrait même affirmer que ces aspects de sa vie la rendent plus vulnérable face à l’attitude inconvenante des défendeurs.

[417] Dans son affidavit, le conseiller Gary Nicotine nie avoir communiqué avec Veronica Whitford et nie lui avoir demandé de falsifier une demande de bulletin de vote postal au nom de Darian Whiteford; les accusations qu’elle fait sont, à son avis, complètement fausses.

[418] Dans son affidavit, le conseiller Samuel Wuttunee déclare qu’il n’était pas candidat à l’élection à l’époque où il avait rencontré Veronica Whitford à Edmonton.

[419] Il reconnaît toutefois qu’il a remis de l’argent à Veronica Whitford après avoir accepté de payer 60 $ pour une paire de bottes de cowboy volées. Il dit lui avoir versé un acompte de 30 $ et avoir accepté de lui donner 30 $ de plus lorsqu’elle lui remettrait les bottes volées. Il dit qu’il n’a jamais reçu les bottes de cowboy volées.

[420] Lors de son contre-interrogatoire, Veronica Whitford a nié avoir eu une paire de bottes de cowboy et avoir tenté de vendre quoi que ce soit. Elle a été imperturbable durant son contre-interrogatoire [DDEF 0647, RPD 0652, aux lignes 14-22] :

[traduction]

14 Q. Aviez-vous une paire de bottes de cowboy?

15 R. Non.

16 Q. Tentiez-vous de vendre des objets

17 que vous aviez?

18 R. Non.

19 Q. D’accord. Supposons qu’elles n’avaient pas été volées.

20 Disons plutôt -- vendiez-vous des articles?

21 R. Non, je ne tentais pas de leur vendre quelque chose.

22 C’est faux.

[421] Les demanderesses soutiennent que l’offre d’argent faite par les défendeurs en échange de la demande de bulletin de vote postal et du bulletin de vote postal de Veronica Whitford contrevient aux alinéas 16f) et 17b) de la LEPN :

Interdictions générales

Prohibition – any person

16 Nul ne peut, relativement à une élection :

16 A person must not, in connection with an election,

[...]

...

f) offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(f) offer money, goods, employment or other valuable consideration in an attempt to influence an elector to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

Interdictions visant l’électeur

Prohibition – elector

17 Nul électeur ne peut, relativement à une élection :

17 An elector must not, in connection with an election,

[...]

...

b) accepter ou convenir d’accepter de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable pour voter ou s’abstenir de voter, ou encore pour voter ou s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(b) accept or agree to accept money, goods, employment or other valuable consideration to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

[422] Je tiens encore une fois à souligner que les alinéas 16f) et 17b) de la LEPN visent différentes personnes. L’alinéa 16f) a pour objet d’interdire à quiconque d’offrir une contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter pour qui que ce soit. La personne qui peut être tenue responsable peut être un électeur ou une autre personne. L’alinéa 17b) a pour objet d’interdire aux électeurs d’accepter une contrepartie valable pour voter pour qui que ce soit. Seul un électeur peut être tenu responsable. Par conséquent, dans le cours normal des choses, la responsabilité des personnes qui offrent d’acheter le vote d’un électeur est engagée en vertu de l’alinéa 16f), mais non en vertu de l’alinéa 17b).

[423] Les défendeurs soutiennent que Veronica Whitford a admis, par son témoignage, avoir contrevenu à l’alinéa 17b), et je suis d’accord.

[424] Analyse : Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que Veronica Whitford a falsifié la demande de bulletin de vote postal de sa fille, Darian Whiteford, et qu’elle l’a fait à la demande des conseillers Samuel Wuttunee et Gary Nicotine en échange d’argent. Je tire cette conclusion selon la prépondérance des probabilités et parce qu’aucune autre raison ne peut vraiment justifier le fait d’avoir falsifié la demande de bulletin de vote postal de sa fille; une preuve sérieuse montre qu’elle a falsifié la demande de bulletin de vote postal de sa fille. Je conclus également, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a vendu sa propre demande de bulletin de vote postal aux conseillers Samuel Wuttunee et Gary Nicotine.

[425] Je conclus également que les conseillers Samuel Wuttunee et Gary Nicotine l’ont payée pour qu’elle obtienne sa propre demande de bulletin de vote postal. Ils sont les instigateurs de ces transactions. Je fais également remarquer que le conseiller Samuel Wuttunee a admis avoir remis de l’argent à Veronica Whitford, bien qu’il affirme que c’était pour des bottes volées. Dans ce cas précis, je conclus que les conseillers Samuel Wuttunee et Gary Nicotine ont directement participé à l’offre faite à Veronica Whitford en vue de lui verser 200 $ pour qu’elle obtienne les deux demandes de bulletin de vote postal (celles de Veronica Whitford et de Darian Whiteford). Ce faisant, ils ont tous deux contrevenu à l’alinéa 16f), qui interdit l’achat de votes :

Interdictions générales

Prohibition – any person

16 Nul ne peut, relativement à une élection :

16 A person must not, in connection with an election,

[...]

...

f) offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(f) offer money, goods, employment or other valuable consideration in an attempt to influence an elector to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

[426] En outre, je conclus que les actes commis par les conseillers Samuel Wuttunee et Gary Nicotine constituent une fraude électorale grave relativement à l’achat des votes de Veronica Whitford et de Darian Whiteford.

[427] Compte tenu de sa propre admission et des témoignages mentionnés plus haut, je conclus également que Veronica Whitford a contrevenu à l’alinéa 17b) de la LEPN, qui interdit à un électeur de vendre son vote. Elle a également commis une fraude électorale grave lorsqu’elle a vendu son vote et celui de sa fille aux conseillers Samuel Wuttunee et Gary Nicotine; le fait que sa fille a ensuite envoyé une demande de bulletin de vote postal et obtenu un véritable bulletin de vote postal n’y change rien :

Interdictions visant l’électeur

Prohibition – elector

17 Nul électeur ne peut, relativement à une élection :

17 An elector must not, in connection with an election,

[...]

...

b) accepter ou convenir d’accepter de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable pour voter ou s’abstenir de voter, ou encore pour voter ou s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(b) accept or agree to accept money, goods, employment or other valuable consideration to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

[428] En faisant ces accusations, Veronica Whitford admettait non seulement qu’elle avait contrevenu à l’alinéa 17b) de la LEPN, mais qu’elle avait également commis une fraude électorale grave. Cela dit, j’estime que ce n’est pas une raison qui me permet d’écarter ce qu’elle relate. Je retiens, avec circonspection, son témoignage à cet égard, vu qu’elle a agi illégalement, mais je confirme les conclusions que j’ai tirées suivant la prépondérance des probabilités.

[429] J’estime que Deloris Peyachew (l’administratrice du registre des Indiens) n’a pas contrevenu aux alinéas 16f) ou 17b), si tant est qu’il s’agisse bien de sa signature sur la pièce d’identité de remplacement.

11) Wesley Wuttunee

[430] Au paragraphe 32 de leur avis de demande modifié, les demanderesses allèguent ce qui suit :

[TRADUCTION]

Les participants ont falsifié la demande de bulletin de vote postal de Westley Wuttunee et ont obtenu son bulletin de vote postal. SHAWN WUTTUNEE (au nom des participants et en son propre nom) s’est livré à des manœuvres frauduleuses – et en particulier à l’achat de votes – lorsqu’il a communiqué avec Westley Wuttunee et l’a ensuite rencontré avant la tenue de l’élection le 20 février 2020 ou vers cette date. SHAWN WUTTUNEE avait déjà en sa possession le bulletin de vote postal de Westley Wuttunee, que ce dernier a ensuite signé. SHAWN WUTTUNEE a payé Westley Wuttunee 200 $ pour son bulletin de vote postal.

[431] Le défendeur qui aurait participé aux manœuvres frauduleuses concernant le vote de Wesley Wuttunee est le conseiller Shawn Wuttunee.

[432] En réponse à l’affidavit de Wesley Wuttunee, les défendeurs se sont appuyés sur les affidavits du conseiller Shawn Wuttunee, du conseiller Jason Chakita, du chef Wuttunee et de Shelly Wuttunee.

[433] Selon son témoignage, Wesley Wuttunee vit dans un refuge pour sans-abris. Avant la tenue de l’élection, le conseiller Shawn Wuttunee lui a donné rendez-vous à une franchise Minute Muffler avoisinante. L’épouse du conseiller Shawn Wuttunee, Shelley Wuttunee, était également présente. Le conseiller Shawn Wuttunee a offert de payer Wesley Wuttunee 200 $ pour qu’il signe son bulletin de vote postal. Toutefois, au paragraphe 5 de son affidavit, Wesley Wuttunee déclare ce qui suit : [traduction] « J’étais étonné de constater que Shawn Wuttunee avait mon bulletin de vote postal. Je n’avais pas présenté de demande en vue d’en obtenir un, et je n’avais autorisé personne à demander mon bulletin de vote postal. » Toutefois, après avoir signé son bulletin de vote postal, Wesley Wuttunee l’a remis au conseiller Shawn Wuttunee. Il s’est subséquemment rendu au bureau de vote de Red Pheasant, où il a demandé de l’argent au chef Wuttunee. Le conseiller Jason Chakita se trouvait dans un véhicule stationné à côté du chef Wuttunee. Selon Wesley Wuttunee, le conseiller Jason Chakita lui a remis 200 $ en espèces.

[434] Wesley Wuttunee affirme ce qui suit au paragraphe 6 de son affidavit : [traduction] « Je n’ai pas voté à l’élection. » Malgré cette affirmation, la demande de bulletin de vote postal de Wesley Wuttunee se trouve à la page DDEM 3317, PDF 3326. Sa déclaration d’identité se trouve à la page DDEM 3318, PDF 3327, et elle est signée par Shelley Wuttunee, en qualité de témoin.

[435] Les défendeurs s’opposent fermement à ce que la demande de bulletin de vote postal de Wesley Wuttunee soit admise en preuve, parce qu’elle [traduction] « n’a pas été régulièrement produite au dossier » et que ce document n’a pas été joint à l’affidavit de Wesley Wuttunee. Leur objection n’a aucun fondement. La demande de bulletin de vote postal a été récupérée du téléphone cellulaire de M. Ratte et il s’agit d’une pièce que M. Ratte a produite durant son contre-interrogatoire du 14 septembre 2020 : elle porte la cote 27 et figure à l’onglet 112 [DDEM 3317, PDF 3326] du dossier des demanderesses. Dans la décision Thibodeau Edmonton, la juge Roussel dit au paragraphe 14 qu’une personne peut être contre-interrogée sur des documents pertinents même si ces documents ne sont pas mentionnés dans l’affidavit déposé (Sierra, au para 9), ce qui est le cas en l’espèce (voir l’analyse aux paragraphes 151 et suivants) :

[14] Il est également reconnu que la personne doit aussi « répondre franchement à toutes les questions dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle eût connaissance et qui se rapportent à la principale question en litige dans la procédure qui concerne son affidavit » (Swing Paints Ltd c Minwax Co, [1984] 2 [CF] 521 au para 19). Elle peut aussi être contre-interrogée sur des documents pertinents même si ces documents ne sont pas mentionnés dans l’affidavit déposé (Sierra, au para 9).

[436] Les défendeurs affirment que le contre-interrogatoire de Wesley Wuttunee révèle qu’il avait besoin d’argent et qu’il se réjouissait de pouvoir [traduction] « arracher [de l’argent] aux candidats ». Leur observation concorde également avec le témoignage de Wesley Wuttunee.

[437] Au paragraphe 8 de son affidavit, le conseiller Shawn Wuttunee dit qu’il a rencontré Wesley Wuttunee à la mi-mars 2020, ou vers cette date, et qu’à cette époque Wesley Wuttunee lui a demandé de l’argent.

[438] Le conseiller Shawn Wuttunee admet avoir remis de l’argent à Wesley Wuttunee, mais il affirme que même s’il ne se souvenait pas du montant, il s’agissait d’un montant insignifiant. Ce témoignage concorde avec celui de Wesley Wuttunee, et le corrobore, à l’exception du montant d’argent visé. Le conseiller Shawn Wuttunee ajoute également ce qui suit [traduction] « Je n’ai pas offert d’acheter le bulletin de vote de Wesley, et je n’ai jamais non plus eu en ma possession son bulletin de vote postal. » Je ne tiens pas compte de cette affirmation parce qu’il se pourrait que la seconde partie soit véridique en principe, mais simplement du fait que c’était son épouse, Shelly Wuttunee, et non lui, qui a obtenu le bulletin de vote postal et faussement attesté, au moyen de sa signature apposée sur le formulaire de déclaration d’identité de Wesley Wuttunee, avoir agi en qualité de témoin.

[439] Au paragraphe 13 de son affidavit, Shelley Wuttunee affirme qu’elle ne s’est pas présentée à la franchise Minute Muffler en question pour rencontrer Wesley Wuttunee, comme celui-ci l’allègue. Bien que ce soit ce qu’elle affirme dans son affidavit, le fait qu’elle ait signé en qualité de témoin le formulaire de déclaration d’identité de Wesley Wuttunee [DDEM 3318, PDF 3327] contredit son affirmation. Cette situation concorde toutefois avec les autres fausses signatures qu’elle a apposées sur plusieurs autres formulaires de déclaration d’identité pour la même raison.

[440] Les extraits suivants du contre-interrogatoire de Wesley Wuttunee sont également pertinents :

[traduction]

- Il avait besoin d’argent et cherchait à « tirer un peu d’argent » des candidats lorsqu’il s’est présenté au bureau de vote [DDEF 0967, PDF 0972, aux lignes 7-18]

- Il a reçu de l’argent de la part de Jason Chakita [DDEF 0964, PDF 0969, aux lignes 22-24] (même si Jason Chakita a nié ce fait)

- Il a reçu 200 $ de Shawn Wuttunee, mais Shawn Wuttunee ne lui a pas demandé de voter pour lui [DDEF 0967, PDF 0972, aux lignes 2-6]

[441] Le fait que le conseiller Shawn Wuttunee n’a pas demandé à Wesley Wuttunee de voter pour lui est cohérent avec le fait que ce conseiller avait déjà obtenu le bulletin de vote postal de Wesley Wuttunee sur lequel son épouse, Shelly Wuttunee, avait déjà apposé sa signature en qualité de témoin. Je fais également remarquer que Wesley Wuttunee a affirmé que les conseillers Shawn Wuttunee et Jason Chakita lui avaient tous deux remis de l’argent. Je retiens ce témoignage.

[442] Analyse : Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le conseiller Shawn Wuttunee a offert de l’argent à Wesley Wuttunee pour sa demande de bulletin de vote postal et son formulaire de déclaration d’identité. Je conclus que les actes commis par le conseiller Shawn Wuttunee constituent une fraude électorale grave et qu’ils contreviennent également à l’alinéa 16f) de la LEPN :

Interdictions générales

Prohibition – any person

16 Nul ne peut, relativement à une élection :

16 A person must not, in connection with an election,

[...]

...

f) offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné.

(f) offer money, goods, employment or other valuable consideration in an attempt to influence an elector to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

[443] J’estime, selon la prépondérance des probabilités, que le chef Wuttunee n’a pas directement participé à la fraude électorale grave commise par le conseiller Shawn Wuttunee.

[444] En faisant ces accusations, Wesley Wuttunee admettait manifestement qu’il avait contrevenu à l’alinéa 17b) de la LEPN et qu’il avait commis une fraude électorale grave lorsqu’il a vendu son vote. Je retiens, avec circonspection, son témoignage à cet égard, vu qu’il a agi illégalement, mais je confirme les conclusions que j’ai tirées suivant la prépondérance des probabilités..

12) Burton Ward

[445] Au paragraphe 33 de leur avis de demande modifié, les demanderesses allèguent ce qui suit :

[TRADUCTION]

SHAWN WUTTUNEE et son épouse Shelley Wuttunee (au nom des participants et en leur propre nom) se sont livrés à des manœuvres frauduleuses – et en particulier à l’achat de votes –lorsqu’ils ont communiqué avec Burton Ward et l’ont ensuite rencontré. SHAWN WUTTUNEE avait déjà en sa possession le bulletin de vote postal de Burton Ward, mais il ne l’avait pas montré à Burton Ward. SHAWN WUTTUNEE a payé Burton Ward 300 $ pour son bulletin de vote postal.

[446] Le défendeur qui aurait participé aux manœuvres frauduleuses concernant le vote de Burton Ward est le conseiller Shawn Wuttunee. Shelley Wuttunee, l’épouse du conseiller Shawn Wuttunee, y aurait également pris part.

[447] En réponse à l’affidavit de Burton Ward, les défendeurs se sont appuyés sur les affidavits du conseiller Shawn Wuttunee et de Shelley Wuttunee.

[448] Dans son affidavit, Burton Ward affirme qu’il a rencontré le père du chef Wuttunee, Oliver Wuttunee, au magasin de Red Pheasant. Oliver Wuttunee lui a dit que le conseiller Shawn Wuttunee pouvait lui obtenir un bulletin de vote postal, et Burton Ward lui a répondu qu’il souhaitait en obtenir un. Environ une semaine plus tard, le conseiller Shawn Wuttunee a rencontré Burton Ward au magasin de Red Pheasant afin de confirmer que Burton Ward souhaitait obtenir un bulletin de vote postal. Une semaine plus tard, le conseiller Shawn Wuttunee était au volant de son véhicule en compagnie de son épouse Shelley Wuttunee lorsqu’ils ont vu Burton Ward. Ce conseiller a invité Burton Ward dans son véhicule et lui a remis 300 $ alors que Shelley Wuttunee a commencé à filmer. Ce conseiller a remis à Burton Ward son formulaire de déclaration d’identité joint au bulletin de vote postal et Burton Ward l’a signé [DDEM 3507, PDF 3516].

[449] Il convient de souligner que Burton Ward a affirmé qu’Oliver Wuttunee lui avait dit que le conseiller Shawn Wuttunee pouvait lui obtenir un bulletin de vote postal. Cette affirmation ne permet pas de prouver la véracité de ce qu’il a relaté, mais elle établit plutôt ce qu’on lui a dit. Par conséquent, il ne s’agit pas de ouï-dire. En outre, le bulletin de vote postal de Burton Ward montre que le conseiller Samuel Wuttunee l’a signé en qualité de témoin; toutefois, il n’y a dans l’affidavit de Burton Ward aucune mention indiquant que le conseiller Samuel Wuttunee aurait signé le bulletin de vote postal [DDEM 3507, PDF 3516].

[450] Même si un bulletin de vote postal a été présenté pour Burton Ward, la preuve indique que Burton Ward s’est présenté au bureau de vote de Red Pheasant, où il a été autorisé à voter en personne. Pour cette raison, les défendeurs soutiennent qu’en fin de compte, Burton Ward s’est présenté au bureau de vote situé dans la réserve et qu’il a été en mesure de voter en personne. Par conséquent, les défendeurs affirment ce qui suit : [traduction] « [R]ien ne permet de croire que le processus électoral a été compromis par le vote exprimé par Burton Ward et les circonstances le concernant n’entraînent aucun effet corrosif. »

[451] Au paragraphe 3 de son affidavit, le conseiller Shawn Wuttunee affirme qu’il a aidé Burton Ward à vendre, pour la somme de 150 $, une œuvre d’art dont il était l’auteur à Bobby Cameron, le chef de la Federation Saskatchewan Sovereign Nations [sic] [Fédération des nations autochtones souveraines de la Saskatchewan]. Un document faisant état d’un virement électronique de 150 $ – de « bobby cameron » à « shawn » – est joint à l’affidavit du conseiller Shawn Wuttunee [DDEF 0150, PDF 0155]. En ce qui concerne le conseiller Samuel Wuttunee, je fais encore une fois remarquer que les avocats des défendeurs se sont opposés à ce que ce conseiller réponde aux questions concernant Burton Ward – à partir de la page DDEM 1772, PDF 1781, à la ligne 13 –, au motif que la demande de bulletin de vote postal de Burton Ward n’avait pas été produite dans le cadre du contre-interrogatoire de ce conseiller. J’estime que leur objection n’est pas fondée (voir les paragraphes 110 et suivants (partie IV C (3)b)). La demande de bulletin de vote postal de Burton Ward a été produite sous la cote A-100 dans le cadre du contre-interrogatoire du 26 octobre 2020 du président d’élection, M. Ratte. Là encore, je fais mienne la conclusion que la juge Roussel a tirée au paragraphe 14 de la décision Thibodeau Edmonton – que j’applique à ce cas précis –, selon laquelle une personne « peut aussi être contre-interrogée sur des documents pertinents même si ces documents ne sont pas mentionnés dans l’affidavit déposé (Sierra, au para 9) ».

[452] Analyse : La preuve ne me convainc pas, selon la prépondérance des probabilités, que le conseiller Shawn Wuttunee a acheté ou falsifié le formulaire de déclaration d’identité de Burton Ward, particulièrement compte tenu du virement électronique que Bobby Cameron aurait effectué pour une œuvre d’art dont Burton Ward est l’auteur. À mon avis, les éléments de preuve concernant Shelley Wuttunee à cet égard ne me convainquent pas qu’elle a commis une fraude électorale. Pour le même motif, je ne crois pas non plus, suivant la prépondérance des probabilités, que Burton Ward a contrevenu à la LEPN ou au REPN, ou qu’il a commis une fraude électorale grave.

13) Les déclarations d’identité et les bulletins de vote postaux dans les cas où l’électeur a voté en personne

[453] Les demanderesses soutiennent que, à au moins 13 occasions, un électeur a tenté de voter en personne alors qu’un faux bulletin de vote postal avait déjà été remis en son nom par les défendeurs ou un partisan.

[454] Selon les défendeurs, ces documents ne devraient pas faire partie de la preuve. Leur objection n’a aucun fondement. Les 13 formulaires de déclaration d’identité ont tous été mentionnés dans l’affidavit que M. Ratte a souscrit le 27 août 2020, et ils ont été admis en preuve au moment où il a été contre-interrogé le 14 septembre 2020, sous la cote A-113. Monsieur Ratte a également produit, conformément à l’engagement qu’il avait pris en ce sens, ces 13 formulaires de déclaration d’identité sur lesquels les renseignements personnels ont été caviardés – voir DDEM, à l’onglet 195, qui contient un engagement distinct de la RE du 18 mai 2021 de M. Ratte. Comme nous l’avons vu aux paragraphes 110 et suivants, les documents produits en réponse à un engagement font partie de la preuve dans une instance. Là encore, je fais mienne la conclusion que la juge Roussel a tirée au paragraphe 14 de la décision Thibodeau Edmonton – que j’applique à ce cas précis –, selon laquelle une personne « peut aussi être contre-interrogée sur des documents pertinents même si ces documents ne sont pas mentionnés dans l’affidavit déposé (Sierra, au para 9) ». Voir la partie IV C (3)b).

[455] S’appuyant sur les pages DDEM 0700, PDF 0709, à la ligne 11 à DDEM 0706, PDF 0715, à la ligne 23 (le contre-interrogatoire du 14 septembre 2020 de M. Ratte), les défendeurs soutiennent que l’utilisation, par les demanderesses, des mots « falsified or forged » [falsifié, en français] relativement aux documents visés était inappropriée. Les défendeurs disent que M. Ratte n’a pas utilisé ces mots et qu’il n’a pas non plus utilisé ou repris les expressions utilisées par les avocats des demanderesses. Dans ces 13 cas qualifiés de [traduction] « frauduleux » par les demanderesses, les électeurs ont tout de même été en mesure de voter en personne et, par conséquent, ces bulletins de vote n’ont entraîné aucun effet corrosif sur l’élection de 2020.

[456] Analyse : S’agissant de ce dernier point, M. Ratte a qualifié les agissements de ces 13 électeurs de [traduction] « fraude » et de [traduction] « frauduleux » [DDEM 0702, PDF 0711, aux lignes 11-15, il a convenu qu’il s’agissait d’une [traduction] « fraude », et à la ligne 16, il a utilisé le mot [traduction] « frauduleux »]. Monsieur Ratte a produit les 13 formulaires de déclaration d’identité des électeurs à qui il avait envoyé des bulletins de vote postaux et de qui il en avait reçu, mais qui se sont ensuite présentés pour voter, alléguant avoir perdu leurs bulletins de vote postaux. Il les a autorisés à voter parce qu’ils lui avaient tous fourni une déclaration sous serment ou un affidavit indiquant qu’ils avaient perdu leur bulletin de vote.

[457] À mon avis, le problème dans ce cas-ci est de nature terminologique. En général, je serais d’accord pour dire qu’une personne qui envoie son bulletin de vote par la poste et déclare plus tard l’avoir perdu, ne dit probablement pas la vérité. Dans le cours normal des choses, devant une telle absence de cohérence, on pourrait affirmer que la déclaration de perte est frauduleuse. Après avoir attentivement examiné la transcription, j’estime que M. Ratte a qualifié les déclarations présentées relativement à la perte d’un bulletin de vote de frauduleuses. Or, selon l’interprétation des avocats des demanderesses, M. Ratte qualifiait plutôt les fausses déclarations d’identité, c’est-à-dire non pas la déclaration à fournir en cas de perte d’un bulletin de vote, mais la déclaration d’identité qui doit être envoyée avec le bulletin de vote postal marqué, conformément au paragraphe 17(2) du REPN. Cela dit, j’estime que M. Ratte ne parlait pas des fausses déclarations d’identité, mais qu’il renvoyait plutôt aux déclarations selon lesquelles des électeurs affirmaient avoir perdu leur bulletin de vote alors qu’en réalité ils l’avaient déjà envoyé par la poste, ces déclarations pouvant raisonnablement être qualifiées de fausses.

[458] Or, il est important de souligner que la présente élection ne s’est pas déroulée normalement. Comme nous l’avons vu dans plusieurs cas, une personne aurait pu avoir présenté une demande falsifiée de bulletin de vote postal, et avoir obtenu un bulletin de vote, l’avoir marqué puis envoyé par la poste, à l’insu de l’électeur. Il est aussi possible que l’électeur ait été parfaitement au courant et qu’il ait été payé pour vendre son vote.

[459] Je souligne que M. Ratte, invoquant des préoccupations liées à la Loi sur la protection des renseignements personnels fédérale, s’est opposé à ce que les avocats des demanderesses puissent examiner les éléments non caviardés compris dans les 13 trousses de vote postales – notamment, les formulaires de déclaration d’identité – [DDEM 0702, PDF 0711, à la ligne 25]. Il les a plutôt transmis aux avocats des demanderesses le lendemain, après les avoir caviardés. Par conséquent, la Cour ne dispose pas des documents non caviardés. Incidemment, les demanderesses auraient pu demander à la Cour de rendre une ordonnance de confidentialité dans laquelle elle aurait exigé, à certaines conditions, la mise sous scellés des documents non caviardés, et la Cour aurait pu faire droit à leur demande, mais elles ne l’ont pas fait.

[460] Il peut aussi être important de souligner que le conseiller Samuel Wuttunee, le conseiller Mandy Cuthand, Shelley Wuttunee et Leroy Nicotine Jr. ont signé en qualité de témoin 8 des 13 formulaires de déclaration d’identité en cause [DDEM, à l’onglet 95]. Dans les présents motifs, j’ai conclu que toutes ces personnes avaient commis une fraude électorale grave. Plus particulièrement, je tiens à souligner que Leroy Nicotine Jr. a faussement attesté, au moyen de sa signature apposée sur les formulaires de déclaration d’identité de plusieurs autres personnes – notamment Robin Wuttunee, Michael Stevens, Romellow Meechance, Breanna Wahobin, Jerette Wahobin, Paul Tobaccojuice et Petula Wuttunee –, qu’il avait agi en qualité de témoin, qu’il a frauduleusement marqué leur bulletin de vote postal et qu’il a envoyé ces documents à M. Ratte, ou encore qu’il les a remis à une autre personne afin qu’elle les marque et les envoie. Au paragraphe 8 de leur mémoire, les demanderesses allèguent que Leroy Nicotine Jr. a participé à la falsification de bulletins de vote postaux lorsqu’il les a signés en qualité de témoin en l’absence des électeurs.

[461] Toutefois, d’après la preuve et selon la prépondérance des probabilités, j’estime qu’aucune de ces 13 personnes n’a commis une fraude électorale relativement à sa déclaration d’identité ou sa déclaration de perte de bulletin de vote.

[462] Selon les demanderesses, l’un des 13 formulaires de déclaration d’identité joints aux bulletins de vote postaux est celui de Petula Wuttunee. Le 16 mars 2020, Leroy Nicotine Jr. aurait signé en qualité de témoin le formulaire de déclaration d’identité de celle-ci [DDEM 3792, PDF 3801]. Il convient également de souligner que le conseiller Henry Gardipy a remis la demande de bulletin de vote postal de Petula Wuttunee à M. Ratte le 6 mars 2020 [DDEM 4645-4646, PDF 4654-4655]. Au paragraphe 8 de leur mémoire, les demanderesses allèguent que Leroy Nicotine Jr. a participé à la falsification de bulletins de vote postaux lorsqu’il les a signés en qualité de témoin en l’absence des électeurs.

[463] Selon les défendeurs, les demanderesses exagèrent la nature de ce qui s’est produit relativement à ce bulletin de vote lorsqu’elles affirment qu’une large proportion d’électeurs ont commis une fraude électorale. À leur avis, rien n’indique qu’une fraude a été commise relativement au bulletin de vote de Petula Wuttunee. En toute déférence, j’estime toutefois qu’ils n’ont pas tenu compte du fait que Leroy Nicotine Jr. avait attesté, au moyen de sa signature apposée sur le formulaire de déclaration d’identité de Petula Wuttunee, avoir agi en qualité de témoin.

[464] Comme il l’a fait relativement à d’autres électeurs, Leroy Nicotine Jr. a refusé de répondre à des questions au sujet de Petula Wuttunee que j’estime pertinentes, et même à celle de savoir si la signature sur ce bulletin de vote qui aurait été falsifié était la sienne :

[traduction]

[DDEM 2758, PDF 2767]

4 Q. Savez-vous qui est Petula Wuttunee?

5 R. Je ne réponds plus à vos questions. Je viens de vous le dire.

[...]

[DDEM 2783, PDF 2792]

13 Q. MAÎTRE XIAO-PHILLIPS : Vous avez

14 la possibilité d’y répondre, et si vous

15 refusez de le faire, la Cour en tiendra compte

16 au moment d’infliger la sanction qui convient.

17 La pièce A-129 apparaît à l’écran. Il s’agit

18 du formulaire de déclaration d’identité joint au

19 bulletin de vote postal de Petula Wuttunee.

20 Monsieur Nicotine, est-ce votre signature dans la

21 section concernant la déclaration du témoin?

22 MAÎTRE STOOSHINOFF : Veuillez poser une autre question,

[465] Selon les défendeurs, Petula Wuttunee a simplement signé un affidavit dans lequel elle affirmait qu’elle n’avait pas son bulletin de vote postal, et, en conséquence, elle a pu voter en personne. En fait, la mention « VIP » – ajoutée dans le cas d’électeurs qui ont voté en personne – figure sur le formulaire de déclaration d’identité de Petula Wuttunee. Cette mention signifie que son bulletin de vote postal a été retiré et que, par conséquent, il n’a entraîné aucun effet corrosif.

[466] Analyse : Je tire une conclusion défavorable du refus de Leroy Nicotine Jr. de répondre aux questions concernant Petula Wuttunee et à celles concernant sa signature sur la carte de déclaration d’identité de cette dernière. Je conclus qu’il a participé à la falsification de la demande de bulletin de vote postal de Petula Wuttunee et qu’il a aussi participé, selon toute vraisemblance, à la falsification du bulletin de vote postal. Ce faisant, il a commis une fraude électorale grave.

D. Le résumé des conclusions concernant les défendeurs et les partisans désignés

1) Le chef Clinton Wuttunee

[467] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le défendeur Clinton Wuttunee a commis deux contraventions à l’alinéa 16f) de la LEPN. Je conclus également que Clinton Wuttunee a participé directement à cinq cas de fraude électorale grave relativement à l’achat de votes (Robin Wuttunee, Rickell Frenchman, Romellow Meechance, Arnold Wuttunee et Paul Tobaccojuice).

[468] Dans chaque cas, la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’annuler l’élection du candidat qui a commis une fraude électorale dont la gravité est telle qu’elle met en question l’intégrité de l’élection (voir Papequash CF, aux para 34-38) :

[34] Ce ne sont pas tous les manquements à la Loi ou au Règlement qui justifient l’annulation d’une élection au sein d’une bande. Il n’est pas rare qu’une distinction soit faite entre les affaires comportant des irrégularités de forme et celles qui traitent de fraude ou de corruption. Dans la première situation, il est possible qu’une approche mathématique prudente (p. ex. le critère du nombre magique inversé) soit nécessaire pour établir la probabilité d’un résultat différent. Cependant, lorsque le résultat d’une élection a été faussé par une fraude au point de remettre en question l’intégrité du processus électoral, une annulation peut être justifiée, peu importe le nombre de votes valides prouvé. L’une des raisons de l’adoption d’une approche plus rigoureuse en cas de corruption électorale est qu’il pourrait être impossible de confirmer l’ampleur exacte de l’inconduite, ou il se peut que la conduite soit mal interprétée. Cela est particulièrement vrai lorsque des allégations d’achat de votes sont soulevées et lorsque les deux parties à l’opération sont coupables et ont souvent tendance à agir secrètement : voir Gadwa c Kehewin First Nation, 2016 CF 597, [2016] ACF no 569 (QL).

[35] Dans Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55, 351 DLR (4th) 579, la Cour a examiné le libellé dans la Loi électorale du Canada (LC 2000, c 9) qui est très semblable à celui de l’article 31 de la Loi sur les élections au sein de premières nations, précitée. En décrivant le fondement de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour dans les affaires qui concernent des irrégularités de forme ou la fraude, voici ce que la Cour avait à dire :

[22] Aux termes de ces dispositions, le tribunal doit constater la nullité de l’élection du candidat si le motif visé à l’al. 524(1)a) est établi (inéligibilité du candidat élu). Dans ce cas, c’est comme si aucune élection n’avait eu lieu. En revanche, si c’est le motif visé à l’al. 524(1)b) (irrégularité, fraude, manœuvre frauduleuse ou acte illégal ayant influé sur le résultat de l’élection) qui est établi, le tribunal peut prononcer l’annulation de l’élection. Dans cette situation, le tribunal doit décider si l’élection qui a été tenue a été compromise à un point tel que son annulation est justifiée.

[23] Pour décider s’il y a lieu d’annuler une élection, il faut tenir compte d’une considération importante, soit celle de savoir si le nombre de votes contestés est suffisant pour jeter un doute sur l’identité du véritable vainqueur de l’élection ou si les irrégularités sont telles qu’elles mettent en question l’intégrité du processus électoral. Puisque les électeurs canadiens votent par scrutin secret, cette analyse ne peut porter sur le choix qu’ils ont réellement fait. Si le tribunal est convaincu que le rejet de certains votes laisse planer un doute sur la victoire du candidat élu, il serait déraisonnable que le tribunal n’annule pas l’élection.

[36] Compte tenu de ce qui précède, on ne peut pas vraiment douter de la possibilité qu’une fraude électorale grave puisse fausser le résultat d’une élection. Cependant, il ne faut pas négliger la mise en garde de la Cour selon laquelle une cour de révision se réserve le droit de refuser d’annuler une élection, même dans des cas de fraude ou d’autres formes de corruption. Ce point a été soulevé récemment dans McEwing c Canada (Procureur général), 2013 CF 525, [2013] 4 RCF 63, lorsque le juge Richard Mosley a mentionné ceci :

[81] La réponse à la question de savoir ce qui peut constituer un effet corrosif sur l’intégrité du processus électoral dépendra des faits de chaque affaire. Je ne crois pas que les commentaires que la majorité a formulés au paragraphe 43 de l’arrêt Opitz permettent de dire que la Cour peut annuler le résultat d’une élection dans chaque cas où une fraude, une manœuvre frauduleuse ou un acte illégal a été établi. Dans ce paragraphe, la Cour suprême du Canada a cité Cusimano c Toronto (City), 2011 ONSC 7271, [2011] OJ no 5986 (QL), au paragraphe 62 : [traduction] « Une élection ne sera annulée que lorsque l’irrégularité viole un principe démocratique fondamental ou permet de se demander si le résultat recueilli reflète la volonté des électeurs. »

[82] Au paragraphe 48 de l’arrêt Opitz, la majorité a prévenu que l’annulation d’une élection priverait de leur droit de participer au scrutin non seulement les personnes dont les votes sont rejetés (dans le contexte d’une allégation d’irrégularité), mais également tous les électeurs qui ont voté dans la circonscription. Cela signifie, à mon sens, que la Cour ne devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à annuler une élection que lorsqu’il existe une raison sérieuse de croire que les résultats auraient été différents si la fraude n’avait pas été commise ou lorsqu’un candidat ou son agent officiel a participé à la fraude.

[37] L’observation du juge Mosley voulant qu’en général, il convienne de traiter plus sévèrement la corruption du processus électoral commise par un candidat ou un agent est aussi prise en compte dans le passage suivant de la décision de la juge Cecily Y. Strickland dans Gadwa c Kehewin First Nation, précitée :

[88] Il faut d’abord mentionner qu’un candidat qui tente d’acheter des voix tente en fait de corrompre le processus électoral. Par conséquent, sans égard au nombre de voix que le candidat a acheté ou tenté d’acheter et peu importe si le candidat remporte l’élection avec un plus grand écart que le nombre de voix ayant été acheté, le candidat ne peut être sauvé et son élection demeure viciée. Une fraude, une manœuvre électorale frauduleuse ou un acte illégal sont des inconduites graves (arrêt Opitz, au paragraphe 43).

[38] Ce que l’on peut retenir des autorités pertinentes est que les tentatives par des candidats à une élection ou leurs agents d’acheter le vote des électeurs constituent une pratique insidieuse qui affaiblit et compromet l’intégrité d’un processus électoral.

[Non souligné dans l’original.] [Sic, pour l’ensemble de la citation.]

[469] Voir également la décision Good, aux para 54-55 :

[54] Ce ne sont pas toutes les contraventions qui justifient de procéder à l’invalidation de l’élection. Tel qu’il a été mentionné au paragraphe 34 du jugement Papequash, dans les causes impliquant des questions procédurales de nature technique, une approche mathématique prudente, comme le critère du « nombre magique inversé », peut être adoptée pour établir la probabilité qu’un résultat différent soit obtenu. Par ailleurs, dans les cas où des allégations de fraude ont été formulées, une annulation « peut être justifiée, peu importe le nombre de votes valides prouvé ». Au paragraphe 34 du jugement Papequash, le juge Barnes a soutenu que cette dernière situation s’avère « particulièrement vrai[e] lorsque des allégations d’achat de votes sont soulevées [...] ».

[55] Compte tenu de l’examen effectué par le juge Barnes et la Cour d’appel de la Saskatchewan, il convient également de se rappeler que la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire d’invalider des élections, même dans les cas entachés de fraude ou d’autres formes de corruption. Dans l’arrêt Opitz, par exemple, les juges majoritaires ont déclaré que l’annulation d’une élection priverait de leur droit de vote non seulement les électeurs dont le vote a été rejeté, mais aussi tous les électeurs ayant voté. Par conséquent, en supposant que le critère à deux volets requis pour démontrer qu’il y a eu contravention à la LEPN ait été rempli, la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire avec circonspection avant d’invalider une élection.

[Non souligné dans l’original.] [Sic, pour l’ensemble de la citation.]

[470] De plus, au paragraphe 13 de son arrêt Papequash CAF, la Cour d’appel fédérale a fait siennes la décision Papequash CF, prononcée par le juge Barnes, et la décision Gadwa, prononcée par la juge Strickland :

[13] Il convient de souligner que le juge a rigoureusement examiné les affidavits produits, lesquels n’ont, pour la plupart, pas été contestés. Le juge a également tenu compte des dispositions pertinentes de la LEPN et a dûment appliqué la jurisprudence au contexte de l’espèce (Gadwa c. Kehewin Première Nation, 2016 CF 597, [2016] A.C.F no 569 (QL), conf. Par 2017 CAF 203; Opitz c. Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55, [2012] 3 R.C.S. 76). Au vu du dossier dont il disposait, le juge pouvait conclure à l’existence d’une « vaste activité d’achat de votes entreprise ouvertement » et décider que « l’inconduite de Rodney Brass, Glen O’Soup, Sidney Keshane et Angela Desjarlais a porté atteinte à l’intégrité des élections au sein de la bande de la Première Nation de Key tenues le 1er octobre 2016 » afin d’ordonner l’annulation de l’élection (motifs du juge, par. 39 et 40).

[Non souligné dans l’original.]

[471] Comme je l’ai déjà mentionné, la Cour d’appel fédérale a, au paragraphe 3 de son arrêt Gadwa CAF, également fait sienne la décision Gadwa prononcée par la juge Strickland :

[3] Je rejetterais l’appel pour les motifs formulés par la juge de la Cour fédérale. Aucune erreur n’a été soulevée dans le choix de la norme de contrôle applicable à la décision de la présidente d’élections ou dans l’application de cette norme à la preuve.

[472] S’agissant du chef Clinton Wuttunee, j’annule son élection conformément à mon pouvoir discrétionnaire, et ce, pour plusieurs motifs, le premier étant le rôle de leadership auquel on s’attend de la part du chef de la Première Nation de Red Pheasant et dont le chef Wuttunee ne s’est pas acquitté. Le chef d’une Première Nation devrait agir comme gardien de la démocratie d’une Première Nation. De plus, j’estime qu’en sa qualité de président d’élection, M. Ratte avait le droit d’accepter les demandes de bulletin de vote postal présentées par le chef de cette Première Nation, de bonne foi – en l’espèce, le chef Wuttunee a été très décevant dans certains cas. J’ai également tenu compte du nombre de cas de fraude électorale grave (cinq). À mon humble avis, la conduite du chef Wuttunee a gravement affaibli et compromis l’intégrité de l’élection. Je souligne en outre que le chef Wuttunee a autorisé deux fois plutôt qu’une l’utilisation des fonds de la bande pour acheter les votes de membres de la bande (Arnold Bruce Wuttunee et Paul Tobaccojuice), ce qui, à mon avis, constitue une fraude électorale particulièrement grave. Je suis bien conscient du fait que le nombre de bulletins de vote visés par la grave fraude électorale commise par le chef Wuttunee ne satisfait pas au critère du nombre magique, et du fait que l’annulation de son élection écarte le vote de toutes les personnes qui l’ont appuyé. Toutefois, j’estime que la conduite du chef Wuttunee affaiblit suffisamment l’intégrité de son élection, de sorte que vu le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, j’annule l’élection du défendeur, le chef Clinton Wuttunee.

2) Le conseiller Gary Nicotine

[473] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le défendeur Gary Nicotine a commis trois contraventions à l’alinéa 16f) de la LEPN. Je conclus également que Gary Nicotine a participé directement à sept cas de fraude électorale grave relativement à l’achat de votes (Romellow Meechance, Rickell Frenchman, Breanna Wahobin, Jerette Wahobin, Paul Tobaccojuice, Veronica Whitford et Darian Whiteford).

[474] Cette fois encore, je souligne que la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’annuler l’élection du candidat qui a commis une fraude électorale grave. S’agissant du conseiller Gary Nicotine, j’annule son élection, et ce, pour plusieurs motifs. Notamment, là encore, en raison du rôle de leadership que les conseillers de Red Pheasant sont censés jouer non seulement dans l’élection en cause, mais en général, dans toute élection. On s’attend à ce que les conseillers, ainsi que les chefs de Premières Nations, agissent comme gardiens de la démocratie d’une Première Nation. En l’occurrence, le conseiller Gary Nicotine ne s’est pas acquitté de ce rôle important. De plus, comme dans le cas du chef, M. Ratte avait le droit, en sa qualité de président d’élection, d’accepter les demandes de bulletin de vote postal présentées par le conseiller Gary Nicotine, de bonne foi – en l’espèce, le conseiller Gary Nicotine a été très décevant. J’ai également tenu compte du nombre de cas de fraude électorale grave qu’il a commis et du nombre de contraventions commises – qui s’élève, là encore, au nombre de sept. Le conseiller Gary Nicotine a participé directement à l’achat du bulletin de vote de Paul Tobaccojuice à même les fonds de la bande – une fraude électorale particulièrement grave. Je suis bien conscient du fait qu’il n’a pas été satisfait au critère du nombre magique dans le cas du conseiller Gary Nicotine. Toutefois, j’estime que sa conduite était comparable à celle du chef Wuttunee et à peine moins odieuse. À mon avis, la conduite du conseiller Gary Nicotine a gravement affaibli l’intégrité de l’élection. Cette conduite ne doit pas demeurer impunie. Par conséquent, vu le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, je conclus que l’élection du défendeur, le conseiller Gary Nicotine, doit être annulée et je rendrai une ordonnance en ce sens.

3) Le conseiller Lux Benson

[475] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le défendeur, le conseiller Lux Benson, a commis une contravention à l’alinéa 16f) de la LEPN. Je conclus également que Lux Benson a participé directement à un cas de fraude électorale grave relativement à l’achat de votes (Paul Tobaccojuice).

[476] Là encore, je commence par souligner que la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’annuler l’élection du candidat qui a commis une fraude électorale grave. S’agissant du conseiller Lux Benson, j’ai décidé de ne pas annuler son élection. On s’attend à ce que les conseillers de Red Pheasant fassent preuve de leadership lors d’élections au sein d’une Première Nation et qu’ils agissent comme gardiens de la démocratie de cette Première Nation, mais en l’espèce, le conseiller Lux Benson ne s’est pas acquitté de ces rôles importants. Bien que le conseiller Lux Benson n’ait envoyé aucun document à M. Ratte, en sa qualité de président d’élection, et qu’il n’ait participé directement qu’à un seul cas de fraude électorale, je ne puis ignorer le fait qu’il a participé directement au cas de fraude électorale grave concernant Paul Tobaccojuice, dont le vote a été acheté à même les fonds de la bande – une fraude électorale particulièrement grave. Toutefois, selon la prépondérance des probabilités et compte tenu de mon pouvoir discrétionnaire, j’estime que sa conduite ne commande pas l’annulation de son élection et ne justifie pas de priver toutes les personnes qui ont voté pour lui de leur droit de participer au scrutin.

[477] Par conséquent, vu le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, je conclus qu’il n’y a pas lieu d’annuler l’élection du défendeur, le conseiller Lux Benson.

4) Le conseiller Jason Chakita

[478] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le défendeur Jason Chakita a commis une contravention à l’alinéa 16f) de la LEPN. Je conclus également que Jason Chakita a participé directement à un cas de fraude électorale grave relativement à l’achat de votes (Robin Wuttunee).

[479] Je reprends les commentaires que j’ai faits ci-dessus concernant le conseiller Lux Benson, et je souligne que la participation du conseiller Jason Chakita ne constituait pas un cas de fraude dans lequel les fonds de la bande ont servi à acheter le vote d’un membre de la bande. J’estime que sa conduite ne commande pas l’annulation de son élection et ne justifie pas de priver toutes les personnes qui ont voté pour lui de leur droit de participer au scrutin.

[480] Par conséquent, vu le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, je conclus qu’il n’y a pas lieu d’annuler l’élection du défendeur, le conseiller Jason Chakita.

5) Le conseiller Mandy Cuthand

[481] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le défendeur Mandy Cuthand a participé directement à deux cas de fraude électorale grave relativement à l’achat de votes (Rickell Frenchman et Romellow Meechance).

[482] Je reprends les commentaires que j’ai faits ci-dessus concernant le conseiller Lux Benson, et cette fois encore, je souligne que la participation du conseiller Mandy Cuthand ne constituait pas un cas de fraude dans lequel les fonds de la bande ont servi à acheter le vote d’un membre de la bande. J’estime que sa conduite ne commande pas l’annulation de son élection et, partant, qu’elle ne justifie pas de priver toutes les personnes qui ont voté pour lui de leur droit de participer au scrutin.

[483] Par conséquent, vu le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, je conclus qu’il n’y a pas lieu d’annuler l’élection du défendeur, le conseiller Mandy Cuthand.

6) Le conseiller Dana Falcon

[484] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le défendeur, le conseiller Dana Falcon, n’a pas contrevenu à la LEPN et qu’il n’a pas participé directement à une fraude électorale grave. La Cour n’a aucune mesure à prendre en ce qui le concerne.

7) Le conseiller Henry Gardipy

[485] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le défendeur, le conseiller Henry Gardipy, a participé directement à un cas de fraude électorale grave relativement à l’achat de votes (Michael Stevens).

[486] Je reprends les commentaires que j’ai faits ci-dessus concernant le conseiller Lux Benson, et cette fois encore, je souligne que la participation du conseiller Henry Gardipy ne constituait pas un cas de fraude dans lequel les fonds de la bande ont servi à acheter le vote d’un membre de la bande. J’estime que sa conduite ne commande pas l’annulation de son élection et, partant, qu’elle ne justifie pas de priver toutes les personnes qui ont voté pour lui de leur droit de participer au scrutin.

[487] Par conséquent, vu le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, je conclus qu’il n’y a pas lieu d’annuler l’élection du défendeur, le conseiller Henry Gardipy.

8) Le conseiller Samuel Wuttunee

[488] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le défendeur, le conseiller Samuel Wuttunee, a commis trois contraventions à l’alinéa 16f) de la LEPN. Je conclus également que Samuel Wuttunee a participé directement à trois cas de fraude électorale grave relativement à l’achat de votes (Robin Wuttunee, Veronica Whitford et Darian Whiteford).

[489] Je reprends les commentaires que j’ai faits ci-dessus concernant le conseiller Lux Benson, et cette fois encore, je souligne que la participation du conseiller Samuel Wuttunee ne constituait pas un cas de fraude dans lequel les fonds de la bande ont servi à acheter le vote d’un membre de la bande. Certes, le nombre de cas de fraude électorale grave qui le concernent est supérieur à celui qu’ont commis certains des défendeurs, mais j’estime que sa conduite ne commande pas l’annulation de son élection et, partant, qu’elle ne justifie pas de priver toutes les personnes qui ont voté pour lui de leur droit de participer au scrutin.

[490] Par conséquent, vu le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, je conclus qu’il n’y a pas lieu d’annuler l’élection du défendeur, le conseiller Samuel Wuttunee.

9) Le conseiller Shawn Wuttunee

[491] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le défendeur, le conseiller Shawn Wuttunee, a commis une contravention à l’alinéa 16f) de la LEPN. Je conclus également que Shawn Wuttunee a participé directement à un cas de fraude électorale grave relativement à l’achat de votes (Wesley Wuttunee).

[492] Je reprends les commentaires que j’ai faits ci-dessus concernant le conseiller Lux Benson, et cette fois encore, je souligne que la participation du conseiller Shawn Wuttunee ne constituait pas un cas de fraude dans lequel les fonds de la bande ont servi à acheter le vote d’un membre de la bande. J’estime que sa conduite ne commande pas l’annulation de son élection et, partant, qu’elle ne justifie pas de priver toutes les personnes qui ont voté pour lui de leur droit de participer au scrutin.

[493] Par conséquent, vu le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, je conclus qu’il n’y a pas lieu d’annuler l’élection du défendeur, le conseiller Shawn Wuttunee.

10) Leroy Nicotine Jr.

[494] Dans les présents motifs, j’ai conclu que Leroy Nicotine Jr. avait participé directement à huit cas de fraude électorale grave relativement à l’achat de votes. Ces cas concernaient les votes de Robin Wuttunee, de Michael Stevens, de Tomas Pritchard, de Petula Wuttunee, de Romellow Meechance, de Breanna Wahobin, de Jerette Wahobin et de Paul Tobaccojuice.

[495] Toutefois, bien qu’il soit désigné dans l’avis de demande modifié et dans le mémoire des faits et du droit des demanderesses, qu’on lui ait signifié ces documents et qu’il fût représenté tout au long de l’instance par des avocats (les mêmes qui ont représenté les défendeurs et d’autres partisans), Leroy Nicotine Jr. n’est pas partie à la présente instance. Son inconduite et ses actes répétés de fraude électorale étaient odieux, et j’estime qu’ils ont gravement affaibli l’intégrité de l’élection. Il était candidat à l’élection, mais il n’a pas été élu. Je conclus que la LEPN n’autorise pas la Cour à infliger une mesure de réparation au candidat qui commet plusieurs actes de fraude électorale grave, mais qui n’est pas élu. La Cour ne dispose d’aucune autre mesure en ce qui le concerne.

11) Shelley Wuttunee

[496] Shelley Wuttunee a elle-même admis qu’elle avait faussement attesté, au moyen de sa signature apposée sur plusieurs formulaires de déclaration d’identité – que les électeurs devaient présenter avec leur bulletin de vote postal – avoir agi en qualité de témoin. Je reprends les commentaires que j’ai faits à la partie V. A. (6). Dans l’examen de chacun de bulletins de vote que j’ai effectué plus haut, j’ai précisément conclu qu’elle avait commis deux cas de fraude électorale grave (Robin Dean Wuttunee et Arnold Bruce Wuttunee). Je conclus, selon la prépondérance des probabilités – et sa propre admission –, que le nombre de fois où elle a faussement attesté, au moyen de sa signature, avoir agi en qualité de témoin, est considérablement plus élevé. Elle a systématiquement refusé de répondre aux questions légitimes et pertinentes concernant le nombre de fois où elle avait ainsi faussement signé les formulaires de déclaration d’identité en qualité de témoin.

[497] Toutefois, bien qu’elle ait été désignée dans l’avis de demande modifié et qu’elle fût représentée par avocat en l’espèce, Shelley Wuttunee n’est pas partie à la présente instance. Les actes répétés de fraude électorale grave qu’elle a commis étaient odieux.

[498] Cette fois encore, je conclus que la LEPN n’autorise pas la Cour à infliger à Shelley Wuttunee une mesure de réparation.

12) Les employés de la bande : Cody Benson (l’administrateur de la bande), Austin Ahenakew (le principal des finances) et Deloris Peyachew (l’administratrice du registre des Indiens)

[499] Comme je l’ai mentionné plus haut dans mon examen de chacun des bulletins de vote (voir la partie V. A. (8)), j’estime que ces employés de la Première Nation n’ont pas contrevenu à la LEPN ou au REPN, ou qu’ils n’ont commis aucune fraude électorale.

VI. Conclusion

[500] La requête en contestation est accueillie en partie et, vu le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, l’élection du chef Clinton Wuttunee et celle du conseiller Gary Nicotine seront annulées parce que les nombreux cas de fraude électorale grave qu’ils ont commis ont affaibli l’intégrité de l’élection, indépendamment du nombre de votes qu’ils ont obtenus.

VII. Les dépens

[501] Il est loisible aux parties de produire, dans les 25 jours suivant la date des présents motifs, leur projet de mémoire de frais et de présenter des observations écrites sur les dépens qui ne devront pas dépasser 20 pages. Les parties devront y indiquer la somme globale (honoraires, débours, taxes, etc.) qui devrait leur être adjugée au titre des dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-474-20

LA COUR STATUE :

  1. La présente requête en contestation est accueillie en partie.

2. L’élection du chef Clinton Wuttunee et celle du conseiller Gary Nicotine sont annulées.

3. Les parties de la requête visant à contester l’élection du conseiller Jason Chakita, celle du conseiller Mandy Cuthand, celle du conseiller Dana Falcon, celle du conseiller Henry Gardipy, celle du conseiller Samuel Wuttunee et celle du conseiller Shawn Wuttunee sont rejetées.

4. Il est loisible aux parties de produire, dans les 25 jours suivant la date des présents motifs, leur projet de mémoire de frais et de présenter des observations écrites sur les dépens qui ne devront pas dépasser 20 pages. Les parties devront y indiquer la somme globale (honoraires, débours, taxes, etc.) qui devrait leur être adjugée au titre des dépens.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-474-20

 

INTITULÉ :

MARY LINDA WHITFORD ET ALICIA MOOSOMIN c CLINTON WUTTUNEE, LUX BENSON, JASON CHAKITA, MANDY CUTHAND, DANA FALCON, HENRY GARDIPY, GARY NICOTINE, SAMUEL WUTTUNEE, SHAWN WUTTUNEE, BURKE RATTE ET LA PREMIÈRE NATION DE RED PHEASANT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 11-12 JANVIER 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 30 MARS 2022

COMPARUTIONS :

Nathan Xiao-Phillips

Mervin C. Phillips

 

POUR LES DEMANDERESSES

Nicholas J. Stooshinoff, c.r.

Darren Winegarden

POUR LES DÉFENDEURS

(LA PREMIÈRE NATION DE RED PHEASANT, CLINTON WUTTUNEE, LUX BENSON, JASON CHAKITA, MANDY CUTHAND, DANA FALCON, HENRY GADRIPY, GARY NICOTINE, SAMUEL WUTTUNEE ET SHAWN WUTTUNEE)

 

John Isfeld

J.R. Norman Boudreau

POUR LE DÉFENDEUR

(BURKE RATTE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Phillips & Co.

Phillips Legal Professional Corporation

Avocats

Regina (Saskatchewan)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Lakefield LLP

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LES DÉFENDEURS

(LA PREMIÈRE NATION DE RED PHEASANT, CLINTON WUTTUNEE, LUX BENSON, JASON CHAKITA, MANDY CUTHAND, DANA FALCON, HENRY GADRIPY, GARY NICOTINE, SAMUEL WUTTUNEE ET SHAWN WUTTUNEE)

 

Boudreau Law LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

(BURKE RATTE)

 

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