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Date : 20220331


Dossier : T-1339-21

Référence : 2022 CF 450

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2022

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

ALVIN ARCAND

demandeur

et

NATION CRIE DU LAC MUSKEG

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Arcand sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le tribunal d’appel de la Nation crie du lac Muskeg [la NCLM] a rejeté l’appel qu’il avait interjeté à l’égard de l’élection du 8 mars 2021. Il soutient que le recours au vote électronique était contraire à la loi électorale de la NCLM. Le tribunal d’appel a toutefois conclu que le vote électronique constitue une forme de [traduction] « vote à distance » autorisée par la loi électorale. Je rejette sa demande au motif que la décision du tribunal d’appel est raisonnable.

I. Contexte

[2] La NCLM est une Première Nation dont les élections sont régies par la loi intitulée An Act Respecting the Government Elections and Related Regulations of the Muskeg Lake Cree Nation [la loi électorale].

[3] Une élection a eu lieu le 8 mars 2021. En raison de la pandémie de COVID‑19, la directrice générale des élections a décidé de mettre en place un système de vote électronique, en plus du vote par anticipation, du vote par la poste et du vote en personne le jour de l’élection.

[4] Le demandeur, M. Arcand, est un membre de la NCLM et était un candidat défait lors de l’élection. Il a interjeté appel des résultats de l’élection. Il a invoqué plusieurs motifs d’appel, mais un seul présente un intérêt pour la présente demande de contrôle : il a affirmé que la loi électorale n’autorisait pas le vote électronique. De ce point de vue, permettre le vote électronique revenait à modifier la loi électorale, ce qui aurait dû être approuvé par les électeurs de la NCLM dans le cadre d’un référendum.

[5] Le tribunal d’appel de la NCLM a rejeté l’appel de M. Arcand. Il a examiné le sous‑alinéa 7(e)(viii) de la loi électorale, qui prévoit que le directeur général des élections [traduction] « préside toutes les activités électorales se rapportant au vote par anticipation, au vote à distance et à toutes les activités organisées le jour de l’élection ». Le tribunal d’appel a conclu que la directrice générale des élections :

[traduction]
[…] était en droit d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider d’utiliser la méthode du vote électronique à des fins de sécurité publique sans d’abord attendre la fin d’un long processus référendaire pour modifier officiellement la loi électorale. Quoiqu’il en soit, elle peut se prévaloir d’un certain pouvoir prévu au sous-alinéa 7(e)(vii) [sic] de la loi concernant le vote à distance.

[6] M. Arcand demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

II. Analyse

[7] M. Arcand fait principalement valoir que le tribunal d’appel a mal interprété les dispositions de la loi électorale concernant le mode de scrutin. Il soutient que le tribunal d’appel n’a pas tenu compte du fait que son interprétation du sous-alinéa 7(e)(viii) était incompatible avec le sous-alinéa 7(k)(ii) de la loi électorale, qui prévoit que [traduction] « le vote a lieu le jour de l’élection […] par voie de scrutin secret au bureau de scrutin ». Selon M. Arcand, le fait que le tribunal d’appel n’a pas fait mention de cette disposition rend sa décision déraisonnable.

[8] Je suis en désaccord avec M. Arcand.

[9] Je tiens d’abord à faire remarquer que M. Arcand n’a pas invoqué le sous-alinéa 7(k)(ii) devant le tribunal d’appel. On ne peut donc pas reprocher au tribunal d’appel de ne pas avoir tenu explicitement compte d’arguments d’interprétation fondés sur cette disposition. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 122, la Cour suprême du Canada a affirmé que « les décideurs administratifs peuvent estimer qu’il n’est pas nécessaire de s’attarder, dans leurs motifs, au moindre signal d’une intention législative ». Il en va surtout ainsi lorsque le demandeur n’a présenté aucun argument d’interprétation devant le décideur.

[10] De toute façon, je vois mal comment le fait de ne pas avoir mentionné le sous‑alinéa 7(k)(ii) rend la décision déraisonnable. Cet alinéa fait partie d’un paragraphe de la loi électorale portant sur la [traduction] « procédure à suivre le jour de l’élection ». Cependant, le sous-alinéa 7(e)(viii) établit une distinction claire entre le [traduction] « vote à distance » et les [traduction] « activités organisées le jour de l’élection ». Il est donc logique de conclure que le « vote à distance » n’est pas assujetti à l’alinéa 7(k)(ii), en particulier l’exigence voulant que le vote ait lieu au bureau de scrutin. Il était donc raisonnable d’interpréter l’expression « vote à distance » de manière à inclure le vote électronique.

[11] À l’audience, M. Arcand a reconnu ce point, mais seulement à l’égard d’une situation où le vote électronique se déroule avant le jour de l’élection. En revanche, en l’espèce, il a eu lieu le jour de l’élection. Rien dans le libellé de la loi électorale ne permet de faire une distinction si subtile. L’expression « distance balloting » (vote à distance) n’est pas définie dans la loi électorale, et aucune règle stricte ne prévoit le moment où un tel vote doit se dérouler.

[12] Étant donné que le tribunal d’appel a interprété de façon raisonnable le sous‑alinéa 7(e)(viii), l’argument de M. Arcand selon lequel le vote électronique ne pouvait être permis à moins de modifier la loi électorale par référendum est nécessairement voué à l’échec. Il s’agit également d’une distinction d’avec l’affaire Apsassin c Premières Nations de Blueberry River, 2022 CF 17, dans laquelle le code électoral ne prévoyait que deux méthodes de votation, soit le vote en personne et le vote par la poste.

[13] M. Arcand conteste également le fait que le tribunal d’appel a qualifié les pouvoirs de la directrice générale des élections de [traduction] « quasi judiciaires ». Bien que cette qualification soit inexacte, je ne vois pas l’incidence qu’elle a sur la conclusion du tribunal d’appel. Les motifs exposés par les tribunaux d’appel électoraux devraient être interprétés avec bienveillance, et non de manière à en chercher les défauts mineurs : Pastion c Première nation Dene Tha’, 2018 CF 648 au para 28. Ce que le tribunal d’appel a manifestement voulu dire, c’est que, selon les paramètres établis par la loi électorale, le directeur général des élections a le pouvoir discrétionnaire de décider les formes appropriées de « vote à distance ».

III. Dispositif

[14] Puisque la décision du tribunal d’appel est raisonnable, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[15] Les parties conviennent que celle d’entre elles qui aura gain de cause aura droit à des dépens de 2 500 $. Je conclus qu’un tel montant est convenable et juste dans les circonstances. J’ordonnerai donc à M. Arcand de verser cette somme à la défenderesse.

 


JUGEMENT dans le dossier T-1339-21

LA COUR STATUE :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Des dépens de 2 500 $, taxes et débours compris, sont adjugés à la défenderesse.

« Sébastien Grammond »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1339-21

 

INTITULÉ :

ALVIN ARCAND c NATION CRIE DU LAC MUSKEG

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 MARS 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MARS 2022

COMPARUTIONS :

Evan C. Duffy

POUR LE DEMANDEUR

 

Jessica D. Buhler

Zoe Johansen-Hill

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bailey Wadden & Duffy LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

 

MLT Aikins LLP

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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