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Date : 20220331


Dossier : IMM‑2103‑21

Référence : 2022 CF 453

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2022

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

SHADI MAHMOUDZADEH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas [agent des visas] du bureau des visas de l’ambassade du Canada à Varsovie, ayant refusé la demande de visa de résident permanent de la demanderesse dans la catégorie des travailleurs autonomes.

Contexte

[2] La demanderesse est citoyenne de l’Iran. En avril 2018, elle a demandé un visa de résident permanent dans la catégorie des travailleurs autonomes. Dans sa demande, la demanderesse a indiqué qu’elle était artiste et peintre autonome depuis 2011, qu’elle avait travaillé sur un certain nombre de projets, organisé des expositions dans des galeries d’art et enseigné diverses techniques de peinture et de dessin à des étudiants dans le cadre de cours particuliers et de groupe. La demanderesse a présenté des documents montrant qu’elle avait obtenu un diplôme d’associé en infographie modulaire en 2008 et une licence en communication visuelle scientifique appliquée en 2012, ainsi que des contrats antérieurs en art et en design, quelques factures pour des cours d’art, ainsi que des spécimens de ses peintures. En novembre 2020, la demanderesse a déposé une documentation actualisée incluant la publicité des expositions auxquelles elle a participé dans des galeries d’art, des certificats de participation à diverses expositions artistiques, et des factures pour l’enseignement de cours d’art et la vente d’œuvres d’art. La demanderesse a également fait valoir qu’elle avait lancé deux sites en ligne (Instagram) pour promouvoir et commercialiser ses œuvres et ses compétences artistiques.

[3] La demanderesse a déclaré que son intention était d’être travailleuse autonome au Canada et d’enseigner différentes techniques de dessin et de peinture à une variété d’étudiants de tous les niveaux de compétence. Elle a déclaré qu’elle continuerait à enseigner aux personnes handicapées dans le cadre de cours de réadaptation volontaire, qu’elle organiserait des expositions et qu’elle poursuivrait son travail de création de fresques et de décoration intérieure. Le représentant de la demanderesse a fait valoir que la demanderesse avait travaillé à son compte comme artiste et graphiste à Téhéran depuis qu’elle avait obtenu son diplôme universitaire, et qu’elle avait l’intention de poursuivre cette carrière au Canada. Le représentant de la demanderesse a fait valoir que la demanderesse et son époux disposaient de 98 000 $ d’actifs qui permettraient à la demanderesse de travailler à son compte et de poursuivre la carrière qu’elle a choisie au Canada.

[4] L’agent des visas a rejeté sa demande.

Lois applicables

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

Visa et documents

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visas et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme aux exigences de la présente Loi.

Immigration économique

12 (2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑‘227 [Règlement sur l’IPR].

88(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section.

[…]

travailleur autonome Étranger qui a l’expérience utile et qui a l’intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[…]

Qualité

100 (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs autonomes est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et qui sont des travailleurs autonomes au sens du paragraphe 88(1).

Exigences minimales

(2) Si le demandeur au titre de la catégorie des travailleurs autonomes n’est pas un travailleur autonome au sens du paragraphe 88(1), l’agent met fin à l’examen de la demande et la rejette.

OP 8 : Entrepreneurs et travailleurs autonomes (en vigueur jusqu’au 2 août 2016)

11.2 Le demandeur respecte‑‘t‑‘il la définition de « travailleur autonome »?

Le travailleur autonome est une personne qui :

· a de l’expérience pertinente;

· a l’intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada;

· entend contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées par le Règlement, c’est‑‘à‑‘dire :

o par travail autonome relatif à des activités culturelles;

o par travail autonome relatif à des activités sportives;

o par travail autonome relatif à l’achat et à la gestion d’une ferme.

11.3 Déterminer l’expérience, l’intention et la capacité :

L’agent doit prendre en considération les éléments suivants au moment d’évaluer l’expérience, l’intention et la capacité du demandeur de créer son propre emploi au Canada :

· Expérience de travail autonome dans des activités culturelles ou sportives. Cela couvre les personnes qui présentent une demande dans cette catégorie. Par exemple, les professeurs de musique, les peintres, les illustrateurs, les cinéastes et les journalistes à la pige. Au‑‘delà de ces professionnels, la catégorie vise à couvrir les personnes qui travaillent dans l’ombre, par exemple, les chorégraphes, les décorateurs, les entraîneurs et les soigneurs.

· L’expérience de gestion dans le monde des arts et de la culture peut également être une mesure viable de travail autonome; par exemple, les directeurs musicaux, les directeurs de production de théâtre et les agents.

· L’actif financier d’une personne peut également être une mesure de l’intention et de la capacité de cette personne à s’établir au Canada. Il n’y a pas de niveau d’investissement minimum imposé aux travailleurs autonomes. Le capital requis dépend de la nature du travail. Les demandeurs doivent disposer de suffisamment de fonds pour se créer un emploi et pour subvenir à leurs propres besoins et à ceux des membres de leur famille. Ils doivent aussi prouver qu’ils ont pu subvenir à leurs propres besoins et à ceux de leur famille grâce à leur talent et qu’ils continueront probablement à le faire au Canada. Cela comprend la capacité de subvenir à ses besoins jusqu’à ce que l’emploi autonome ait été créé.

· L’aspect participation à des activités culturelles ou sportives à l’échelle internationale vise à couvrir les artistes du spectacle. Cela décrit les personnes qui jouent dans le monde des arts et dans le monde du sport. « [À] l’échelle internationale » vise les personnes reconnues dans le monde entier. Il s’agit aussi de personnes qui ne sont peut‑‘être pas reconnues à l’échelle internationale mais qui ont atteint les sommets de leur discipline.

· Il importe, si l’on veut évaluer l’intention et la capacité du demandeur d’acquérir et de gérer une exploitation agricole, de savoir que l’agriculture est une activité hautement spécialisée et capitalistique dont les biens immeubles comptent pour 54 % de l’actif de l’agriculteur moyen. La Fédération canadienne de l’agriculture (FCA) signale qu’au Canada, la valeur moyenne des exploitations agricoles varie entre 330 $ et 4 600 $ à l’acre. Les exploitations agricoles situées à proximité des centres urbains ont une valeur marchande plus élevée que celles qui en sont éloignées. La superficie moyenne des exploitations agricoles diffère d’une province à l’autre. Ainsi, à Terre‑‘Neuve, la superficie moyenne déclarée des exploitations est de 146 acres, tandis qu’en Saskatchewan, elle est de 1 152 acres.

[…]

11.7 Demander et examiner les documents

Les documents exigés doivent fournir la preuve de la situation financière du demandeur et de ses expériences de travail autonome antérieur. Il doit fournir des preuves permettant d’établir que la demande mérite d’être étudiée dans le cadre du programme.

Les agents peuvent exiger des travailleurs autonomes qu’ils présentent la preuve qu’ils ont étudié le marché de l’emploi canadien et adopté un plan réaliste pouvant raisonnablement mener à un travail autonome.

Toutefois, on ne doit pas encourager le travailleur autonome à présenter un plan d’activité officiel qui entraînerait des dépenses inutiles et un fardeau administratif.

La décision faisant l’objet du contrôle

[5] L’agent des visas a refusé la demande dans une lettre, datée du 25 février 2021, qui énonce le contenu du paragraphe 12(2) de la LIPR, ainsi que des paragraphes 100(1) et 88(1) du Règlement sur l’IPR, et indique que l’agent doutait que la demanderesse corresponde à la définition de « travailleur autonome » énoncée au paragraphes 88(1), parce qu’elle n’avait pas convaincu l’agent des visas, à partir des preuves qu’elle avait soumises, qu’elle avait la capacité et l’intention de devenir travailleuse autonome au Canada.

[6] Dans les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC), l’agent a renvoyé aux déclarations, par la demanderesse, de son intention de continuer à œuvrer dans le domaine des fresques et de la décoration intérieure, d’enseigner les techniques de dessin et de peinture à des étudiants et à des personnes handicapées dans le cadre de cours de réadaptation volontaire, et d’organiser des expositions. L’agent des visas a indiqué que les documents déposés par la demanderesse avaient été examinés, y compris les plus récents, lesquels détaillaient la promotion en ligne de ses œuvres d’art et de ses compétences. Cependant, la demanderesse n’a pas fourni suffisamment de renseignements sur les détails pratiques et financiers de son activité professionnelle autonome au Canada. En outre, la demanderesse n’a pas fourni suffisamment d’information pour démontrer qu’elle avait suffisamment étudié le marché canadien et que le travail autonome proposé serait réalisable. Plus précisément, la demanderesse n’a pas fourni de preuves suffisantes établissant qu’elle avait étudié à fond le marché canadien dans sa région de destination concernant l’activité ou le domaine d’affaires qu’elle proposait, ou qu’elle avait adopté un plan dont on pouvait raisonnablement croire qu’il mènerait à un travail autonome futur et à une pénétration du marché visé.

[7] En conséquence, l’agent des visas n’était pas convaincu que la demanderesse avait la capacité et l’intention de devenir travailleuse autonome au Canada.

Questions en litige et norme de contrôle

[8] La demanderesse a soulevé deux questions :

  1. L’agent des visas a‑‘t‑‘il manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant d’informer la demanderesse de ses préoccupations?

  2. La décision était‑‘elle raisonnable?

[9] Les parties soutiennent également, et je suis de leur avis, que les questions d’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (voir Établissement de mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79 et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). Dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CPR], la Cour d’appel fédérale a jugé que, bien que l’exercice de révision puisse être bien reflété – bien qu’imparfaitement – dans la norme de la décision correcte, les questions d’équité procédurale ne se prêtent pas nécessairement à une analyse de la norme de contrôle. La Cour doit plutôt déterminer si les procédures étaient équitables eu égard à l’ensemble des circonstances. Autrement dit, « la question fondamentale demeure celle de savoir si [la demanderesse] connaissait la preuve à réfuter et s[i elle] a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (CPR, aux para 54‑‘56; voir également L’Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).

[10] Les parties soutiennent, et je suis de leur avis, que la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle sur le fond de la décision de l’agent des visas (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23‑‘25).

Équité procédurale

Position de la demanderesse

[11] La demanderesse fait valoir que la procédure définie dans les lignes directrices OP 8 Entrepreneurs et travailleurs autonomes [directives OP‑‘8] donne lieu à une attente légitime selon laquelle elle n’aurait pas à soumettre un plan d’affaires ou une preuve de ses recherches sur le marché du travail canadien, sauf suite à une demande expresse de l’agent des visas, à laquelle elle aurait alors la possibilité de répondre. L’agent des visas n’a pas demandé de preuve que la demanderesse avait fait des recherches sur le marché canadien, mais a rejeté sa demande au seul motif qu’elle n’avait pas apporté une telle preuve. Ainsi, la décision a été prise en violation de l’équité procédurale.

Position du défendeur

[12] Le défendeur fait valoir que l’obligation d’équité procédurale à laquelle sont tenus les agents des visas dans ces circonstances se situe à l’extrémité inférieure du spectre et qu’il incombait à la demanderesse de prouver qu’elle avait effectivement droit d’obtenir un visa. En outre, la décision de l’agent des visas visait explicitement à déterminer si la demanderesse avait fourni des preuves suffisantes pour démontrer sa capacité et son intention de travailler à son compte au Canada – une exigence du Règlement sur l’IPR en vertu des paragraphes 88(1) et 100(1). La demanderesse n’a fourni aucun élément de preuve concernant le marché de l’art canadien qui aurait permis de déterminer si son désir de travailler à son compte au Canada était réalisable. Elle aurait dû prévoir que l’absence de telles informations serait notable. Étant donné que les préoccupations de l’agent des visas découlaient directement des exigences du Règlement sur l’IPR, cet agent n’avait pas l’obligation d’informer la demanderesse des lacunes de sa demande, ni de lui donner l’occasion de répondre à ces préoccupations ou de corriger sa demande incomplète. Par conséquent, l’agent des visas n’a pas violé le droit à l’équité procédurale de la demanderesse.

Analyse

[13] La jurisprudence relative à l’obligation d’équité procédurale incombant à un agent des visas dans le cadre d’une demande de résidence permanente est bien établie. Le juge Gascon l’a déjà expliqué dans Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935 aux paragraphes 22 et 23, tout comme je l’ai fait dans Ebrahimshani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 89 [Ebrahimshani] aux paragraphes 27 et 28.

[14] En bref, la jurisprudence établit clairement qu’il incombe au demandeur ou à la demanderesse de démontrer qu’il ou elle répond aux exigences du Règlement sur l’IPR en fournissant des éléments de preuves suffisants à l’appui de sa demande. Cela signifie de présenter une demande convaincante et d’anticiper les inférences défavorables contenues dans les preuves et d’y répondre. L’obligation d’équité procédurale à laquelle sont tenus les agents des visas à l’égard d’un demandeur se situe à l’extrémité inférieure du spectre. L’agent des visas n’est pas tenu : d’aviser le demandeur ou la demanderesse des lacunes relevées dans sa demande, ni dans les documents fournis à l’appui de la demande; de demander des précisions ou des documents supplémentaires, ou de donner l’occasion au demandeur ou à la demanderesse de dissiper ses préoccupations, lorsque les documents présentés à l’appui d’une demande sont obscurs, incomplets ou insuffisants pour permettre de convaincre l’agent que le demandeur ou la demanderesse se conforme à toutes les exigences qui découlent du Règlement sur l’IPR. L’obligation d’équité procédurale n’est pas violée si les préoccupations d’un agent des visas auraient pu être raisonnablement anticipées par le demandeur ou la demanderesse.

[15] En outre, si des réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations. Par contre, lorsque des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. En d’autres termes, si l’agent des visas est préoccupé par la crédibilité, la véracité ou l’authenticité des documents fournis par un demandeur, par opposition à la suffisance des preuves fournies, l’obligation de donner au demandeur l’occasion de répondre à ces préoccupations peut survenir (voir également Hamzac Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 264 aux para 22‑‘25; Tollerene c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 538 au para 15, [Tollerene]; Gur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1275 [Gur] aux para 13‑‘17; Mohammadzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 75 [Mohammadzadeh] aux para 20‑‘29; Rezaei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 444 [Rezaei] au para 12).

[16] En l’espèce, il ressort clairement des motifs de l’agent des visas que ce dernier jugeait préoccupante la suffisance des preuves fournies par la demanderesse. L’agent des visas a estimé que la demanderesse avait fourni des informations insuffisantes sur les détails pratiques et financiers de son activité professionnelle autonome au Canada. La demanderesse n’a pas démontré qu’elle avait suffisamment étudié le marché canadien et que le travail autonome qu’elle proposait était réalisable. Plus précisément, la demanderesse n’a pas fourni de preuves suffisantes démontrant qu’elle avait étudié à fond le marché canadien dans sa région de destination (qu’elle n’a pas identifiée) relativement à l’activité commerciale ou au domaine d’activité qu’elle propose, ou encore qu’elle a adopté un plan qu’on pourrait raisonnablement croire susceptible de mener à un futur travail autonome et à une pénétration du marché visé. L’agent des visas n’était pas convaincu que la demanderesse avait la capacité et l’intention de devenir travailleuse autonome au Canada.

[17] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’agent des visas était préoccupé par la question de savoir si la demanderesse avait fourni des preuves suffisantes pour démontrer sa capacité et son intention de travailler à son compte au Canada, comme l’exigent les paragraphes 88(1) et 100(1) du Règlement sur l’IPR. Cela signifie que la préoccupation de l’agent des visas découlait directement du Règlement sur l’IPR. L’exigence était connue de la demanderesse et il lui incombait d’y répondre. L’agent des visas n’était pas tenu d’informer la demanderesse de cette préoccupation ou de lui donner l’occasion d’y répondre. Il n’y a donc eu aucun manquement à l’équité procédurale.

[18] Quant à l’argument de la demanderesse selon lequel l’attente légitime d’être informée de cette préoccupation découle des directives OP‑‘8, je ne partage pas son avis.

[19] À l’appui de cette position, la demanderesse renvoie aux questions 6 et 8 de son formulaire de demande (qui décrivent simplement son expérience et la profession envisagée) et aux sections 11.2, 11.3 et 11.7 des directives OP‑‘8, ainsi qu’à l’affidavit de son avocat de l’époque, monsieur John Jules Somjen, déclarant que, selon son interprétation de ces sections, les demandeurs devraient se concentrer sur la fourniture de preuves de leurs expériences passées et de leurs capacités avérées dans leur domaine. L’avocat affirme qu’il conseille généralement à ses clients artistes d’attendre toute demande du bureau des visas avant de tenter d’étudier le marché de l’art ou de faire des plans spécifiques à propos de leurs futurs revenus au Canada. Bien qu’IRCC ait accordé à la demanderesse la possibilité de mettre à jour sa demande, aucune preuve ne lui a été demandée qu’elle avait fait des recherches sur le marché du travail et conçu un plan réaliste pour exercer un travail autonome.

[20] Tout d’abord, il n’est pas sûr que les directives OP‑‘8 étaient en vigueur au moment où la demanderesse a soumis sa demande et où l’agent des visas a pris sa décision. Tel qu’indiqué dans Azani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 99 [Azani] :

[traduction]
[11] Le chapitre OP 8 du Guide opérationnel n’est plus applicable. Il a été remplacé par les instructions sur l’exécution des programmes (IEP) sur la catégorie des travailleurs autonomes, qui est en vigueur depuis le 2 août 2016. Le fait que le demandeur s’appuie sur le chapitre OP 8 du guide opérationnel, qui est caduc, ne donne pas lieu à une attente légitime qui renforcerait l’obligation d’équité procédurale due au demandeur (Jumalieva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 385 aux para 19‑‘21).

[21] L’espèce Azani et la question du statut des directives OP‑‘8 ont été soulevés par les parties lors de l’audience de la présente affaire. En réponse, après l’audience, le défendeur a fourni à la Cour une copie de l’affidavit déposé dans l’espèce Azani. On y lit que la section 11 des directives OP‑‘8 a été remplacée par les instructions sur l’exécution des programmes (IEP) pour la catégorie des travailleurs autonomes dès le 2 août 2016. Les IEP sont jointes à l’affidavit comme pièce à l’appui, de même qu’un imprimé de page Web intitulé « Mise à jour concernant l’exécution des programmes – 2 août 2016 ». Cela signifie que les informations qui étaient contenues dans la section 11 du chapitre OP‑‘8, « Traitement des demandes de travailleurs autonomes », se trouvent maintenant dans la section portant sur la résidence permanente des IEP. L’affidavit déposé dans l’espèce Azani indique également que les directives OP‑‘8 sont toujours affichées en ligne, car certaines demandes traitées par IRCC ont été soumises alors que les directives OP‑‘8 étaient applicables sur le plan opérationnel. Le défendeur a également renvoyé la Cour à la décision Jumalieva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 385 [Jumalieva], qui est antérieure aux décisions Azani et Kucukerman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 50 [Kucukerman], où l’on décrit le remplacement de la section 11 des directives OP‑‘8 par les IPD.

[22] En réponse, la demanderesse a écrit à la Cour en faisant valoir que les directives OP‑‘8 (y compris la section 11) continuent d’être affichées et accessibles en ligne. Elle a également fourni l’affidavit d’une assistante juridique déclarant qu’elle avait effectué une recherche en ligne sur le site Web d’IRCC concernant les instructions et directives opérationnelles et que « la première page qui est apparue indiquait que les instructions et directives opérationnelles étaient utilisées par le personnel d’IRCC », et qu’en cliquant sur l’onglet des « Instructions et lignes directrices opérationnelles », elle avait été conduite aux Guides et avait trouvé le chapitre OP 8. Elle déclare qu’il n’y avait aucune indication dans les directives OP‑‘8 à propos du fait qu’elles n’étaient plus en vigueur. Elle ne précise pas si ces informations se trouvent ailleurs, par exemple dans la mise à jour. La demanderesse soutient que le espèces Jumalieva, Azani et Kucukerman diffèrent parce que les demandeurs dans ces cas avaient soumis des plans d’affaires, alors que la demanderesse ne l’a pas fait en l’espèce. La demanderesse soutient que les directives OP‑‘8 créent une attente légitime qu’un agent des visas informe le demandeur ou la demanderesse si une preuve d’étude du marché ou un plan réaliste est requis.

[23] Malheureusement, en l’espèce, aucune des parties n’a signalé avant l’audience que les directives OP‑‘8 avaient été remplacées avant que la demanderesse ne présente sa demande de visa de résident permanent dans la catégorie des travailleurs autonomes. Le ministre n’a pas non plus déposé d’affidavit, comme ce fut le cas dans les espèces Jumalieva, Azani et Kucukerman. Cependant, le statut des directives OP‑‘8 a déjà été abordé par cette Cour dans ces précédentes affaires, et je ne suis pas persuadée que le fait qu’elles soient encore accessibles en ligne est au profit de la demanderesse. Les directives OP‑‘8 ne s’appliquent pas en l’espèce.

[24] Quoi qu’il en soit, dans la décision Jumalieva, la juge Heneghan a répondu à un argument semblable à celui avancé en l’espèce par la demanderesse. La juge Heneghan a estimé que :

[16] La demanderesse appuie ses arguments relatifs au principe de l’attente légitime, qui constitue un aspect de l’équité procédurale, sur l’article 5.14 et la section 11 du Guide opérationnel.

[…]

[18] La section 11 du Guide opérationnel prévoyait notamment ce qui suit :

[…]

Les documents exigés doivent fournir la preuve de la situation financière du demandeur et de ses expériences de travail autonome antérieur. Il doit fournir des preuves permettant d’établir que la demande mérite d’être étudiée dans le cadre du programme.

Les agents peuvent exiger des travailleurs autonomes qu’ils présentent la preuve qu’ils ont étudié le marché de l’emploi canadien et adopté un plan réaliste pouvant raisonnablement mener à un travail autonome.

Toutefois, on ne doit pas encourager le travailleur autonome à présenter un plan d’activité officiel qui entraînerait des dépenses inutiles et un fardeau administratif.

[…]

[19] Le défendeur soutient que la demanderesse s’est appuyée sur un Guide opérationnel périmé. Il ressort clairement de l’affidavit de Mme Burtt que la section 11 a été remplacée par autre chose, à savoir les instructions sur l’exécution des programmes, pour les besoins des demandes déposées après le 2 août 2016.

[20] La demanderesse a déposé sa demande le 23 janvier 2019.

[21] Il n’y a pas eu de violation du principe de l’attente légitime, ou toute autre violation de l’équité procédurale.

[22] L’agent n’était pas convaincu que la preuve présentée par la demanderesse était suffisante pour démontrer qu’elle satisfaisait aux exigences du Règlement. La crédibilité de la demanderesse n’était pas en cause. L’agent n’était pas tenu d’informer la demanderesse des préoccupations découlant des exigences législatives ni de lui donner l’occasion de justifier la présentation d’une demande lacunaire.

[Non souligné dans l’original.]

[25] En outre, dans la décision Rassouli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 961, le juge Ahmed a rejeté un argument alléguant un manquement à l’équité procédurale au motif qu’il n’avait pas été demandé au demandeur de produire un plan d’affaires, concluant comme suit :

[29] Le demandeur soutient que son droit à l’équité procédurale a été violé parce que l’agent ne lui a pas demandé de plan d’affaires, mais lui a reproché de ne pas en avoir. Le demandeur fait valoir qu’il a fait des recherches approfondies pour son entreprise et qu’il a préparé un plan d’affaires professionnel qui aurait pu être présenté si on le lui avait demandé. Il fait valoir que les lignes directrices de Citoyenneté et Immigration Canada n’exigent pas la présentation d’un plan d’affaires.

[30] Un examen des notes que l’agent a versées au SMGC révèle que l’agent avait des doutes concernant la connaissance qu’avait le demandeur du contexte commercial. L’agent ne déclare pas que le demandeur était tenu d’avoir un plan d’affaires; il note plutôt que le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il [traduction] « a adopté un plan ».

[31] L’obligation d’équité procédurale envers les demandeurs de visa est limitée et se situe à l’extrémité inférieure du registre (Rezaei c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 444 (Rezaei) au para 11). Il existe deux circonstances dans lesquelles un demandeur de visa se verra offrir la possibilité de répondre aux préoccupations d’un agent : 1) lorsque l’agent peut fonder ladite conclusion sur des renseignements dont le demandeur n’a pas connaissance, et 2) lorsque la préoccupation de l’agent concerne la crédibilité du demandeur ou l’authenticité de ses documents (Rezaei, au para 12).

[32] Le demandeur n’a invoqué aucun de ces motifs. La position du demandeur est que si l’agent avait besoin de plus d’éléments de preuve de sa part pour rendre une décision favorable, il aurait dû les lui demander. L’agent n’avait aucune obligation juridique de demander des précisions ou des renseignements supplémentaires avant de rejeter une demande de visa au motif que la documentation fournie était insuffisante (Singh [c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 84], au para 21).

[33] Il incombait au demandeur de présenter une demande convaincante, « d’anticiper les inférences défavorables contenues dans les éléments de preuve et d’y répondre, ainsi que de démontrer qu’[il a] le droit d’entrer au Canada » (Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935 au para 22). À mon avis, l’agent n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale en concluant de façon raisonnable que le demandeur ne s’était pas acquitté de ce fardeau.

[26] Il s’agit d’une situation semblable. En l’espèce, les motifs de l’agent des visas ne faisaient pas référence à l’obligation de produire un plan d’affaires. L’agent des visas a plutôt estimé que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment de renseignements pour démontrer qu’elle avait fait des recherches sur le marché canadien de manière à établir que son projet de travail autonome serait réalisable, ou qu’elle avait adopté un plan qu’on pouvait raisonnablement croire susceptible de mener à un futur travail autonome. L’agent des visas n’a pas exigé que l’information soit fournie sous une forme particulière, c’est‑‘à‑‘dire un plan d’affaires; elle devait seulement être suffisante pour démontrer la capacité et l’intention de la demanderesse d’être travailleuse autonome au Canada. Comme indiqué dans l’arrêt Kameli c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2002] ACF No 1045, invoqué par la demanderesse, un demandeur dans la catégorie des travailleurs autonomes doit démontrer par ses observations « l’existence d’un plan d’action concret et sa connaissance des conditions du marché et de la conjoncture au Canada » (au para 19). Plus important encore, la préoccupation de l’agent des visas découlait directement des exigences de la législation ou des règlements connexes. L’agent des visas n’était donc pas tenu de donner à la demanderesse la possibilité de répondre à ses préoccupations.

[27] En conclusion, la crédibilité de la demanderesse ou l’authenticité de ses documents n’ont pas été mises en cause en l’espèce. La demanderesse pouvait raisonnablement s’attendre à devoir fournir des preuves pour établir la faisabilité de son projet de travail autonome au Canada. L’agent des visas n’a pas blâmé la demanderesse pour ne pas avoir soumis de plan d’affaires. Les préoccupations de l’agent des visas découlaient plutôt du fait que la demanderesse n’avait pas réussi à établir qu’elle satisfaisait aux exigences du Règlement sur l’IPR. L’agent a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau, qui était de fournir des renseignements suffisants pour démontrer qu’elle avait la capacité et l’intention de travailler à son compte au Canada. Dans ces circonstances, l’agent des visas n’était pas tenu d’informer la demanderesse des lacunes de sa demande, ni de lui donner l’occasion d’y répondre. Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

[28] D’ailleurs, même si les directives OP‑‘8 avaient été en vigueur, les sections 11.2, 11.3 et 11.7 de ce document ne donnent pas lieu à une attente légitime qu’un agent des visas, après avoir évalué une demande, demande explicitement au demandeur ou à la demanderesse de fournir la preuve d’une étude de marché et d’un plan réaliste qui mènerait raisonnablement à un travail autonome. La section 11.7 indique simplement qu’un agent des visas peut demander de telles preuves. Ces dispositions ne créent pas un « cadre procédural clair, net et explicite » à suivre, comme le suggère la demanderesse (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para 98; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Jayamaha Mudalige Don, 2014 CAF 4 au para 53).

 

Caractère raisonnable de la décision

Position de la demanderesse

[29] La demanderesse prétend que l’agent des visas n’a pas compris la différence entre la manière dont un artiste travaille et gagne sa vie et la manière dont d’autres travailleurs autonomes le font, par exemple dans le domaine de l’athlétisme. La demanderesse fait valoir que chaque artiste réalise son propre produit artistique. Il n’est donc pas possible pour les artistes autonomes de fournir à l’avance une description précise d’un marché pour leurs œuvres; le goût artistique est individuel et subjectif. En outre, le meilleur indicateur de la capacité d’un artiste à gagner sa vie au Canada est son parcours fructueux effectué ailleurs, évalué à l’aide d’éléments tels que les expositions, les ventes et les contrats d’enseignement. La demanderesse précise qu’elle a soumis de tels documents pour démontrer son travail en Iran. La demanderesse soutient que l’agent des visas a refusé sa demande uniquement en raison d’un manque supposé d’étude du marché canadien pour ses œuvres et de l’absence d’un plan détaillé indiquant comment son travail autonome serait réalisable, sans considération pour son expérience et ses capacités en tant qu’artiste et sa solide situation financière. La demanderesse fait valoir que cela contredit l’approche définie dans les directives OP‑‘8 et que cela était déraisonnable.

Position du défendeur

[30] Le défendeur fait valoir que l’agent des visas avait convenu que la demanderesse était une artiste autonome en Iran et n’avait pas remis en question son expérience en tant que telle. L’agent était plutôt préoccupé par l’absence de preuve que la demanderesse était prête à subvenir à ses besoins et à ceux de son mari au Canada en tant que travailleuse autonome, et capable de le faire. Il incombait à la demanderesse de convaincre l’agent des visas des exigences conjonctives, à savoir qu’elle avait l’expérience, la capacité et l’intention requises pour travailler à son compte au Canada. La jurisprudence confirme que les demandeurs qui sont travailleurs autonomes doivent prouver qu’ils sont en mesure de s’établir économiquement au Canada, et qu’un manque de recherche pour démontrer la viabilité de l’activité professionnelle autonome qu’ils proposent pourrait raisonnablement mener au rejet de leur demande. L’incapacité de la demanderesse à démontrer la viabilité de l’activité autonome qu’elle propose a raisonnablement conduit le responsable des visas à rejeter sa demande.

[31] Le défendeur fait valoir que la demanderesse ne conteste pas les conclusions de l’agent des visas relativement à l’absence de preuve d’étude de marché, ni de toute forme de plan ou de détails sur la façon dont elle s’y prendrait pour que son travail autonome soit viable au Canada. Elle soutient plutôt que les artistes sont différents des autres travailleurs autonomes et qu’ils ne devraient pas avoir à faire état d’un quelconque projet, qu’il leur suffit de faire état de leur travail passé dans leur pays d’origine comme preuve de la faisabilité de leur travail autonome au Canada. Cependant, la demanderesse ne fournit aucun précédent à l’appui de cette affirmation.

Analyse

[32] L’agent a noté que la demanderesse souhaitait donner des cours d’art, organiser des expositions et poursuivre ses activités de création de fresques et de décoration intérieure au Canada. L’agent a déclaré que toutes les pièces soumises par la demanderesse avaient été examinées, y compris les plus récentes indiquant que la demanderesse avait poursuivi son travail autonome et commencé à promouvoir en ligne ses œuvres d’art et ses compétences. Dans la mesure où la demanderesse affirme que l’agent des visas n’a pas évalué ou pris en compte les pièces qu’elle a soumises, je ne suis pas d’accord. L’agent des visas a reconnu et n’a pas contesté l’affirmation de la demanderesse qu’elle travaillait comme artiste autonome en Iran.

[33] L’agent des visas s’est plutôt inquiété du fait que les documents soumis à l’appui de sa demande ne fournissaient pas suffisamment de détails pratiques et financiers sur son potentiel de travail autonome au Canada, ou n’établissaient pas qu’elle avait effectué des recherches suffisantes pour confirmer que son projet de travail autonome au Canada était économiquement réalisable. Conformément au paragraphe 100(2) du Règlement sur l’IPR, l’agent des visas ne peut délivrer un visa au titre de la catégorie des travailleurs autonomes que si le demandeur ou la demanderesse répond à la définition de « travailleur autonome » au sens du paragraphe 88(1). Pour cela, le demandeur ou la demanderesse doit démontrer qu’il ou elle a l’intention et la capacité de travailler à son compte au Canada. La viabilité et la faisabilité du travail autonome proposé font partie intégrante de la détermination de l’intention et de la capacité d’un demandeur ou d’une demanderesse à travailler à son compte au Canada.

[34] Les arguments de la demanderesse quant à sa capacité et à son intention de devenir travailleuse autonome au Canada se sont limités à la preuve de son expérience antérieure en Iran et aux actifs à sa disposition. Bien que l’expérience de la demanderesse dans son pays d’origine constitue une preuve que son travail autonome au Canada pourrait être une réussite, l’agent des visas était en droit d’évaluer et de prendre en considération « la connaissance qu’a le demandeur du milieu des affaires et de ce qu’il en coûte pour faire des affaires » (Singh Sahota c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 856 au para 13). L’agent des visas n’était pas tenu de conclure que l’expérience antérieure de la demanderesse en Iran, à elle seule, démontrait comme il convient qu’elle avait l’intention et la capacité de travailler à son compte au Canada.

[35] À cet égard, je note que les pièces déposées initialement par la demanderesse, présentées en son nom par son avocat, énumèrent quatre entreprises clientes pour lesquelles elle a travaillé entre janvier 2012 et mai 2016. Aucune valeur monétaire n’y est mentionnée relativement au travail effectué pour ces clients durant ces plus de quatre années. Cependant, chacun des quatre contrats annexés indique que le travail était de courte durée (entre deux et trois mois) et que les frais variaient entre 600 $ et 3 000 $ (convertis en dollars canadiens au taux d’aujourd’hui). De même, en ce qui concerne les clients privés énumérés, la documentation jointe comprend quatre factures pour des cours d’art particuliers, livrés en 2015 et 2016. Les revenus de la demanderesse provenant de la prestation de ces cours ne sont pas indiqués dans les pièces déposées. Cependant, les documents joints indiquent que le total de chacune des factures équivaut à un montant de 70 $ à 110 $ en argent canadien d’aujourd’hui. Pour ce qui est des deux factures datées de 2014 pour travaux de rénovation et de décoration intérieure, aucune valeur ne leur est attribuée dans les pièces fournies par la demanderesse à l’agent des visas, et je n’ai pas été en mesure de les retrouver parmi les documents annexés à la demande. Les pièces déposées font également référence à de nombreuses expositions dans des galeries d’art, mais elles n’établissent pas de lien clair entre les ventes d’œuvres d’art et ces expositions. Trois copies de chèques pour des ventes d’œuvres d’art ont été incluses dans les documents annexés, l’une pour 2013, l’une pour 2014 et l’une de 2016, dont la valeur approximative en dollars canadiens d’aujourd’hui est respectivement de 450 $, 600 $ et 2 100 $. Il s’agit de la totalité des contrats et des revenus pour travail autonome soumis par la demanderesse pour la période couvrant 2012 à 2016, et reflétant son revenu nominal pour cette période de quatre ans.

[36] De même, les plus récentes pièces déposées par la demanderesse contiennent de l’information sur la publicité faite par les galeries pour des expositions de groupe et autres auxquelles la demanderesse a participé en 2018 et 2019, mais aucun lien direct n’est établi avec des ventes d’œuvres d’art qui auraient pu être engendrées par ces expositions. Des certificats de participation à d’autres événements artistiques sont également cités et joints, mais sans être liés à tout revenu qui aurait pu en résulter. En ce qui concerne les comptes Instagram de la demanderesse, les pièces déposées indiquent que [traduction] « [s]es efforts de publicité en ligne ont été assez fructueux » mais, là encore, aucun lien n’est établi entre ce succès marketing et les ventes. Quatre autres contrats sont annexés, mais ils ont une faible valeur pécuniaire (entre 136 $ et 147 $, en dollars canadiens d’aujourd’hui) et l’un de ces contrats stipule par ailleurs que la demanderesse doit payer pour l’utilisation d’un espace de galerie. Les pièces à l’appui comprennent ce qui est décrit comme une série de reçus pour le paiement d’œuvres d’art, datés d’août 2018 au 21 novembre 2020. Il s’agit apparemment de sept chèques de banque totalisant environ 12 500 $ (en dollars canadiens d’aujourd’hui) pour cette période de deux ans.

[37] Je veux en venir au fait que le dossier montre que les documents fournis à l’appui de la demande de visa de la demanderesse ne semblent pas établir que les contrats, les cours d’art et les ventes d’œuvres d’art de la demanderesse – même si elle était en mesure de pénétrer un marché semblable au Canada – lui permettraient de subvenir à ses besoins financiers (voir Azimlou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 259 au para 20). Par conséquent, je ne perçois aucune erreur dans la conclusion de l’agent des visas selon laquelle la demanderesse n’a pas fourni suffisamment de détails pratiques et financiers à propos de son potentiel comme travailleuse autonome au Canada.

[38] Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire que la demanderesse n’a pas fourni de détails sur la façon dont elle s’établirait au Canada en tant qu’artiste autonome. Par exemple, elle n’a pas fourni de plan ni de détails sur le lieu et la manière dont elle entendait instaurer une collaboration avec des galeries d’art ou des organisateurs d’exposition pour présenter et vendre ses œuvres.

[39] En fonction du dossier présenté à l’agent des visas et de ses motifs, l’agent des visas a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas su établir qu’elle avait la capacité et l’intention de travailler à son compte au Canada, et a refusé sa demande.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑‘2103‑‘21

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés;

  3. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

[Claude Leclerc]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑‘2103‑‘21

 

INTITULÉ :

SHADI MAHMOUDZADEH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE AU MOYEN DE ZOOM

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 mars 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 mars 2022

 

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Matthew Siddall

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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