Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220331


Dossier : IMM‑6447‑21

Référence : 2022 CF 455

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 31 mars 2022

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

FAWAD AHMAD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, un citoyen de l’Afghanistan, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 31 août 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a conclu que, durant son séjour aux États‑Unis, il avait commis un crime grave de droit commun et qu’il ne pouvait donc se réclamer du droit d’asile en application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés [la Convention], transposée dans le droit canadien par l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑dessous, la présente demande sera rejetée parce que les arguments du demandeur ne minent pas le caractère raisonnable de la décision.

II. Contexte

[3] En septembre 2012, le demandeur a épousé son ancienne épouse et l’a rejointe en sol américain aux alentours du mois de janvier 2013 après avoir quitté l’Afghanistan. Le couple a divorcé en 2014. Le demandeur est ensuite arrivé au Canada en avril 2017 et a demandé l’asile en invoquant sa crainte des extrémistes talibans en Afghanistan.

[4] Le 17 janvier 2019, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile du demandeur. Celui‑ci a interjeté appel à la SAR qui l’a débouté de son appel le 20 octobre 2020. Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision versée au dossier de la Cour IMM‑5632‑20 mais, le 3 février 2021, la Cour a annulé cette procédure du consentement des parties et a renvoyé l’affaire à la SAR, qui a ensuite prononcé la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[5] Comme elle l’a expliqué dans sa décision, la SAR a mis l’accent sur un acte criminel particulier, qu’elle a décrit de la manière suivante :

[traduction]

[…] Il s’agit d’un crime de violence conjugale perpétré par l’appelant le 31 juillet 2013 à Meridian Township, au Michigan. Le rapport de police de l’événement indique que l’appelant a étranglé son épouse et l’a menacée de recommencer si elle appelait la police. Les policiers ont noté que la victime présentait une légère rougeur autour du cou. L’appelant a été arrêté et a été inculpé de voies de fait à caractère non sexuel. Il déclare dans son annexe A qu’il a été reconnu coupable d’avoir commis cette infraction. Il a témoigné qu’après avoir transigé sur son plaidoyer, il a été condamné pour avoir perturbé l’ordre public à une peine de 12 mois de probation, au versement une amende, et tenu de suivre un programme éducatif.

[6] La question portée en appel devant la SAR consistait à savoir si la SPR avait analysé adéquatement la gravité du crime commis par le demandeur au sens de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention. La SAR s’est ralliée à la thèse du demandeur selon laquelle la SPR avait commis une erreur en omettant de considérer explicitement les facteurs vus comme pertinents dans l’arrêt Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404 [Jayasekara] pour déterminer la gravité d’un crime. Cependant, la SAR a conclu qu’elle pouvait remédier à l’erreur en procédant à cette analyse en appel.

[7] Après examen des facteurs établis dans l’arrêt Jayasekara, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu qu’il existait des raisons sérieuses de penser qu’avant d’arriver au Canada, le demandeur avait commis un crime grave de droit commun et qu’il était visé par l’exclusion prévue à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention.

[8] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision rendue par la SAR.

III. Question en litige et norme de contrôle

[9] La seule question en litige soulevée par le demandeur est de savoir si la conclusion tirée par la SAR était raisonnable, à savoir que le crime commis était grave au sens de l’exclusion visée par l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention et reprise à l’article 98 de la LIPR. Comme la formulation de cette question l’indique, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

IV. Analyse

[10] Comme je l’examinerai en profondeur plus loin, le demandeur soulève divers arguments pour étayer sa thèse selon laquelle la décision est déraisonnable.

A. La présomption de gravité

[11] Tout d’abord, le demandeur soulève des réserves quant à l’intelligibilité de l’analyse de la SAR sur la disposition du Code criminel du Canada, LRC 1985, c C‑46 [le Code criminel] qui se serait appliquée si le crime du demandeur avait été commis au Canada. Comme l’explique la Cour suprême dans l’arrêt Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 [Febles] au paragraphe 62, il existe une présomption réfragable qu’un crime est grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée s’il avait été commis au Canada. Les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara procurent un cadre permettant d’établir si la présomption de gravité a été réfutée. Cependant, conformément à la jurisprudence, la SAR a entamé son analyse en se demandant quelle infraction du Code criminel se serait appliquée si l’incident était survenu au Canada, et ce, afin de déterminer si la présomption de gravité entrait en jeu.

[12] Tout comme la SPR, la SAR a relevé que, suivant l’article 265 du Code criminel, quiconque commet des voies de fait est coupable soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Toutefois, la SAR a aussi convenu avec la SPR que, compte tenu du fait que la victime avait une marque visible autour du cou et qu’elle s’était plainte d’avoir subi un étranglement, le demandeur aurait également pu être mis en accusation au titre de l’alinéa 267b) du Code criminel pour voies de fait causant des lésions corporelles. Il s’agit d’une infraction mixte qui, poursuivie par mise en accusation, est punissable d’un emprisonnement maximal de dix ans ou, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d’un emprisonnement maximal de 18 mois.

[13] Le demandeur relève que la décision mentionne ces deux infractions prévues au Code criminel, dont seulement l’une d’entre elles fait intervenir la présomption de gravité. Or, selon ses observations, la SAR s’est fondée sur l’article 265, lequel ne met pas en cause cette présomption. Le demandeur soutient donc que la décision est inintelligible parce que des portions subséquentes de l’analyse sont présentées comme des conclusions quant à savoir si la présomption de gravité a été réfutée.

[14] Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation que fait le demandeur de l’analyse de la SAR. Selon mon interprétation de la décision, celle‑ci a conclu que le demandeur aurait pu être inculpé au titre des infractions visées à l’article 265 et à l’alinéa 267b) du Code criminel. Comme cette dernière infraction est passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, elle donnait lieu à l’application de la présomption de gravité. L’analyse subséquente de la SAR en vue d’établir si l’application des facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara permet de réfuter la présomption est donc intelligible.

[15] Je fais remarquer que, bien que le demandeur n’ait pas soulevé ce point dans sa plaidoirie, il reproche à la SAR dans ses observations écrites de ne pas avoir tenu compte du renvoi, dans la définition de « lésions corporelles » prévue à l’article 2 du Code criminel, à «[ toute] blessure qui nuit à la santé ou au bien‑être d’une personne et qui n’est pas de nature passagère ou sans importance ». Dans le contexte de cette définition, le demandeur soulève dans ses observations écrites des réserves quant au caractère raisonnable de la conclusion tirée par la SAR relativement à l’application de l’alinéa 267b).

[16] La SAR n’examine pas la question de savoir si le demandeur a causé des lésions corporelles chez son épouse au sens de la définition prévue au Code criminel. Toutefois, compte tenu de la décision dans son ensemble, cette lacune ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. Après avoir conclu à l’application possible de l’article 265 ou de l’alinéa 267b), la SAR a expliqué que, même si le demandeur avait été accusé et reconnu coupable de l’infraction visée à l’article 265 (dont la peine maximale est un emprisonnement de cinq ans et pour laquelle la présomption de gravité ne s’applique pas) elle aurait néanmoins jugé que le crime était grave eu égard aux facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara qu’elle a examinés à fond plus loin dans la décision.

[17] À la lumière de cette analyse subsidiaire de la SAR, l’avocat du demandeur a confirmé, lors de l’audience de la présente demande de contrôle judiciaire, que le demandeur ne fait pas valoir que la SAR aurait tort de conclure qu’un crime, auquel la présomption de gravité ne s’applique pas, était effectivement grave en se fondant sur les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara. En d’autres termes, la bonne application de ces facteurs peut servir soit à réfuter la présomption de gravité, soit à qualifier de grave une infraction qui n’était pas visée par la présomption. Ainsi, compte tenu de l’analyse subsidiaire de la SAR sur la détermination de l’infraction en cause visée au Code criminel, le caractère raisonnable de la décision ne dépend pas de l’application de la présomption de gravité, mais plutôt du caractère raisonnable de la manière dont la SAR a pondéré les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara. Dans les motifs qui suivent, j’examinerai les principaux arguments soulevés par le demandeur dans sa contestation de cette analyse.

B. Le mode de poursuite

[18] Le demandeur soutient qu’en analysant les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara, la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a jugé que l’un des facteurs (le mode de poursuite) n’est pas pertinent pour établir la gravité du crime, et ce, contrairement à ce que prescrit la jurisprudence sur le sujet.

[19] L’arrêt Jayasekara explique de la manière suivante, au paragraphe 44, les facteurs pertinents pour établir la gravité d’un crime :

44. Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de la section Fb) de l’article premier de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité […] En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité qui peut s’appliquer en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités. On ne met toutefois pas en balance des facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous‑jacents à la déclaration de culpabilité comme, par exemple, le risque de persécution dans le pays d’origine […].

[20] En l’espèce, les autorités américaines de l’État du Michigan ont accusé le demandeur d’un délit de violence conjugale. Elles ont ensuite retiré cette inculpation lorsqu’il a plaidé coupable au délit moins grave d’avoir perturbé l’ordre public. De ce fait, le demandeur fait valoir que le mode de poursuite est un facteur qui fait clairement pencher la balance contre une conclusion de gravité. Toutefois, il affirme que la SAR a omis de reconnaître ce facteur favorable et de le pondérer avec les autres facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara comme elle se devait de le faire.

[21] Dans cette partie de la décision, la SAR a fait remarquer que le demandeur a été accusé d’un délit de violence conjugale, mais qu’après avoir négocié son plaidoyer, il a plaidé coupable à l’infraction de perturbation de l’ordre public. La SAR a aussi pris note de l’observation du demandeur voulant que, puisque le procureur public pouvait l’accuser d’actes délictueux graves prévus dans la législation du Michigan, mais qu’il ne l’a pas fait, l’infraction en cause ne comporte pas le degré de gravité requis pour qu’elle tombe sous le coup de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention.

[22] Dans son examen de ces observations, la SAR a précisé qu’il pouvait y avoir plusieurs raisons pour lesquelles la poursuite avait choisi de ne pas accuser le demandeur d’une infraction plus grave et lui avait offert une entente quant à son plaidoyer. La SAR a expliqué que la perception qu’ont les autorités américaines de l’infraction ne détermine pas à elle seule le degré de gravité de l’infraction, mais n’est qu’un facteur parmi d’autres à pondérer. La SAR a aussi fait observer qu’au Canada, compte tenu de la nature du préjudice subi après la perpétration d’une infraction faisant intervenir un mauvais traitement de l’époux ou du conjoint de fait, suivant l’article 718.2 du Code criminel, un contexte de violence conjugale constitue une circonstance aggravante aux fins de la détermination de la peine. La SAR a finalement décidé que même si le demandeur avait été accusé d’un délit, que la peine infligée était légère et qu’une entente quant au plaidoyer aurait été acceptée, ces facteurs ne diminuaient en rien la gravité de l’infraction.

[23] Je ne suis pas d’accord avec la position du demandeur selon laquelle l’analyse de la SAR laisse entendre que le mode de poursuite n’était pas pertinent pour apprécier la gravité du crime. À l’inverse, cette analyse démontre que la SAR a pondéré les facteurs requis et a motivé sa conclusion quant à la gravité de l’infraction. À vrai dire, la SAR énonce explicitement qu’elle accorde peu de poids au mode de poursuite. Bien que la SAR ne mentionne pas en termes exprès que le mode de poursuite est favorable au demandeur, cette conclusion est manifestement implicite dans l’explication voulant qu’elle accorde peu de poids à ce facteur lorsqu’il s’agit de réfuter la présomption de gravité de l’infraction.

C. L’absence de remords

[24] Le demandeur souligne que, dans son analyse des circonstances atténuantes et aggravantes entourant l’infraction, la SAR a consacré toute son attention à établir s’il éprouvait des remords pour ses actions, a conclu que ce n’était pas le cas et a déterminé qu’il s’agissait d’un facteur aggravant.

[25] Le demandeur affirme qu’il a plaidé coupable à l’accusation portée contre lui, à savoir celle d’avoir perturbé l’ordre public, et qu’il a purgé sa peine de probation. Il nie avoir agressé son ancienne épouse et soutient qu’il n’a pas été accusé de cette infraction par les autorités américaines. Il plaide donc qu’il est déraisonnable de la part de la SAR de s’attendre à ce qu’il éprouve des remords pour un acte qu’il dément et pour lequel il n’a pas été accusé ni condamné.

[26] J’accorde peu de valeur à cet argument. Bien que le demandeur reproche à la SAR de s’être fondée sur la description de l’incident faite dans le rapport de police (un argument supplémentaire sur lequel je vais me pencher plus loin), celle‑ci a conclu que le demandeur n’était pas crédible. Elle a privilégié la preuve du rapport de police et a conclu que le demandeur avait agressé physiquement son épouse. En outre, dans son constat que la SPR n’avait pas commis d’erreur en faisant observer que le demandeur minimisait sa responsabilité, la SAR s’est également appuyée sur le défaut initial du demandeur de dévoiler son casier judiciaire américain aux autorités canadiennes d’immigration. En se fondant partiellement sur les antécédents scolaires du demandeur, dont ses études en droit, la SAR a rejeté l’explication de celui‑ci voulant qu’il n’ait pas compris les questions posées dans les formulaires d’immigration applicables. Je ne décèle aucune erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de la SAR qui concerne le défaut du demandeur d’admettre sa responsabilité pour sa conduite criminelle.

D. Le recours au rapport de police

[27] Comme je l’ai noté plus haut, le demandeur reproche à la SAR de s’être fondée sur les notes de l’agent de police qui est intervenu à la suite de l’incident à l’origine de la déclaration de culpabilité. Il plaide que, contrairement à la jurisprudence applicable, la décision ne démontre pas que la SAR a apprécié d’une façon indépendante la crédibilité de ces notes (voir par exemple Pascal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 751 au para 29; Skelton c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 1373 aux para 12‑13).

[28] Lorsque je lis la décision dans son ensemble, je constate que celle‑ci témoigne d’une appréciation et d’une conclusion intelligibles sur la crédibilité de la documentation policière. La SAR indique dans sa décision que, [traduction] « comme il est mentionné plus loin », elle a conclu que la preuve du demandeur relative à la trame factuelle de l’incident en question n’était pas fiable, elle a jugé que la version des événements issue des documents de la police l’était, et elle a donc accordé plus de poids à celle‑ci. J’interprète que l’énoncé [traduction] « comme il est mentionné plus loin » est associé à l’explication que la SAR formule plus loin dans la décision, à savoir qu’elle retenait l’analyse de la SPR sur la crédibilité du demandeur.

[29] Dans son évaluation de l’analyse de la SPR, la SAR a invoqué les observations de la police et les questions posées par la SPR au demandeur sur l’incident, y compris celle sur l’existence de raisons pour lesquelles la police rédigerait des observations sur un événement qui n’était pas survenu. Le demandeur avait répondu qu’il croyait que sa femme avait irrité la police par le nombre de plaintes qu’elle avait déposées, ce qui a mené la SPR à l’interroger plus à fond sur le sujet. Comme la SAR a confirmé la conclusion défavorable relative à la crédibilité du demandeur tirée par la SPR, je constate de la décision qu’elle montre explicitement que la SAR s’est penchée sur l’occasion fournie au demandeur par la SPR de remettre en question les renseignements fournis par la police et qu’elle a implicitement conclu qu’il ne l’avait pas fait. À mon avis, cette analyse constitue un examen suffisant de la crédibilité des renseignements policiers pour qu’une décision soit maintenue à la suite d’un contrôle effectué selon la norme de la décision raisonnable.

E. La détermination de la peine

[30] Enfin, le demandeur invoque la récente décision Ayorinde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 113 [Ayorinde] à l’appui de l’argument selon lequel, pour déterminer si un crime est grave au sens de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention et lorsque l’infraction est passible d’un large éventail des peines potentielles, le décideur doit évaluer où aurait pu se situer dans cet éventail la peine que le demandeur se verrait infliger, alors que le défaut de le faire rend la décision déraisonnable. Le demandeur relève qu’au paragraphe 25 de la décision Ayorinde, la Cour énonce ce qui suit, après avoir examiné la jurisprudence applicable au facteur relatif à la détermination de la peine recensé dans l’arrêt Jayasekara :

[traduction]

25. Selon la jurisprudence citée plus haut, la SPR était tenue d’examiner et de déterminer si le demandeur se verrait infliger une peine parmi les plus légères d’un large éventail des peines. Le défaut de le faire rend la décision déraisonnable.

[31] Le demandeur affirme que la SAR a omis de se pencher sur cet aspect de l’analyse et que, contrairement à la jurisprudence, elle a statué qu’une telle analyse n’était pas nécessaire. À l’appui de cette observation, le demandeur fait mention du paragraphe suivant de la décision :

[traduction]

Je note que l’appelant fait la déclaration générale que la SPR a commis une erreur compte tenu de son défaut d’examiner la jurisprudence sur la détermination de la peine. Hormis cette déclaration et une référence à la décision Hersy de la Cour fédérale, l’appelant n’a produit aucune preuve relative à des décisions sur la détermination de la peine ni n’a sollicité la permission de déposer une telle preuve dans le présent appel. En ce qui concerne la détermination de la peine, je prends note que dans l’arrêt Parchomchuk, qui faisait intervenir une condamnation visée à l’article 267 du Code criminel, la Cour d’appel de la Saskatchewan a fait mention du fait que [traduction] « la détermination d’une peine appropriée exige bien plus que de dénicher des affaires comparables » et [traduction] qu’« il n’existe pas une sentence pour chaque infraction. La détermination de la peine est plutôt un processus individualisé qui dépend de l’examen d’une grande variété de facteurs, notamment les dispositions législatives pertinentes, les circonstances entourant l’infraction et la situation personnelle du contrevenant ». En tant que tribunal administratif appelé à rendre des décisions d’une manière équitable et efficace, la SPR ne dispose pas du temps ni de l’expertise nécessaires pour procéder à une analyse de données sur la détermination de la peine et à sa validation. Je ne suis pas d’accord qu’elle devrait être tenue d’entreprendre une recherche aussi complexe aux fins de chaque analyse sur l’exclusion. En outre, une analyse sur la gravité ne met pas l’accent sur un seul facteur, comme la peine prescrite par la loi ou la peine infligée, mais la SPR doit examiner un certain nombre de facteurs. Le fait que la SPR n’ait pas mentionné une erreur relative à la détermination de la peine n’est pas une erreur fatale, car je ne vois pas cet examen comme une exigence fondamentale aux fins de chaque analyse sur l’exclusion visée à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention. De plus, dans le cas de l’appelant, même si l’infraction perpétrée par celui‑ci devait se situer au bas de l’échelle des peines, je conclus néanmoins qu’elle est grave aux fins de l’exclusion lorsque j’examine l’ensemble des facteurs.

[Notes de bas de page omises.]

[32] Le défendeur fait valoir que l’affaire Ayorinde se distingue de l’espèce, car cette affaire mettait en cause un demandeur qui avait fui les États‑Unis, le lieu du crime, et s’était de ce fait soustrait à la mise en accusation et à la peine. À l’inverse, le demandeur en l’espèce a été accusé et condamné aux États‑Unis. Compte tenu du fait que la SPR et la SAR savaient à quoi s’en tenir sur sa peine réelle, le défendeur avance qu’il n’y avait pas lieu de procéder à l’exercice théorique de détermination de la peine préconisé par le demandeur.

[33] La distinction décelée par le défendeur entre la décision Ayorinde et l’espèce est exacte, et les observations du défendeur s’accordent avec les explications suivantes formulées par la Cour aux paragraphes 21 et 23 de la décision Ayorinde :

[traduction]

21. Dans l’arrêt Jayasekara, il est reconnu que la détermination de la peine et les circonstances entourant la perpétration de l’infraction sont des facteurs pertinents lorsqu’il s’agit de déterminer si la présomption de grande criminalité est réfutée. Si aucune sentence n’a été prononcée, les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara n’empêchent pas l’examen de la question de savoir où la conduite peut se retrouver dans l’éventail des peines. Comme je l’ai noté plus haut, la Cour suprême a statué que la conduite sanctionnée par une peine parmi les plus légères de l’éventail est pertinente pour ce qui est d’apprécier la gravité d’un crime (Febles, au para 62).

[…]

23. Le défendeur soutient que cette jurisprudence se distingue de l’espèce parce que la SPR a tenu compte de l’ensemble des facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara dans la présente instance. Je ne suis pas d’accord. Ces facteurs doivent être examinés à la lumière de la jurisprudence qui a suivi. Lorsqu’aucune sentence n’a été prononcée et qu’il existe un large éventail des peines, l’arrêt Febles exige que l’on détermine où dans l’éventail des peines peut se retrouver la peine applicable à la conduite reprochée du demandeur. Bien que je convienne avec le défendeur que beaucoup de facteurs influencent la détermination d’une peine, la SPR n’est pas pour autant exemptée de son obligation de s’attaquer à la question de savoir si la conduite du demandeur entraînerait l’imposition d’une peine située à l’extrémité inférieure d’un large éventail des peines.

[Non souligné dans l’original.]

[34] Je suis conscient que l’une des décisions sur lesquelles la décision Ayorinde se fonde est celle du juge de Montigny dans l’affaire Jung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 464, où le demandeur avait été déclaré coupable de fraude en Corée du Sud et s’est vu infliger une peine. La Cour avait conclu que le tribunal avait commis une erreur en omettant de considérer comme un facteur pertinent le large éventail des peines au Canada et le fait que la peine du demandeur se retrouvait à l’extrémité inférieure de cet éventail. Toutefois, la Cour a fait porter son analyse sur le défaut du tribunal de tenir compte de la peine réelle infligée en Corée du Sud, et non sur le défaut de procéder à une analyse quant à savoir où se situerait dans l’éventail canadien des peines applicables la peine qu’aurait prononcée une cour canadienne.

[35] De façon plus générale, je suis d’accord avec l’observation du défendeur selon laquelle la décision Ayorinde et la jurisprudence qui y est citée, à commencer par l’arrêt Febles, met l’accent sur l’importance de tenir compte de la détermination de la peine comme facteur permettant d’établir s’il s’agit d’un crime grave. À cet égard, je ne décèle aucune lacune dans l’analyse de la SAR. Cette dernière mentionne que la peine du demandeur était légère, mais accorde moins de poids à ce facteur et à d’autres qui favorisaient le demandeur qu’à la gravité attribuée à la violence conjugale dans la législation canadienne.

V. Conclusion

[36] Après avoir examiné les arguments du demandeur, je conclus que la décision est raisonnable et je rejette donc la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune question ne sera énoncée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑6447‑21

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6447‑21

INTITULÉ :

FAWAD AHMAD C LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 MARS 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MARS 2022

COMPARUTIONS :

Robin D. Bajer

POUR LE DEMANDEUR

Daniel Latulippe

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robin D. Bajer Law Office

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.