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Date : 20220331


Dossier : IMM‑2541‑20

Référence : 2022 CF 454

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 31 mars 2022

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

RUCHI BAGGA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision communiquée par une lettre datée du 17 avril 2020 [la décision], par laquelle un agent d’immigration du haut‑commissariat du Canada à New Delhi, en Inde [l’agent], a rejeté sa demande de permis de travail et a conclu qu’elle était interdite de territoire au Canada pour fausse déclaration, conformément à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2] Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑dessous, la présente demande sera rejetée, parce que les arguments de la demanderesse ne minent pas le caractère raisonnable de la décision ou l’équité procédurale à laquelle elle a eu droit.

II. Le contexte

[3] La demanderesse, Mme Ruchi Bagga, est une citoyenne de l’Inde qui avait présenté une demande de permis de travail canadien le 6 septembre 2019, avec l’aide d’un consultant en immigration [le consultant]. Dans sa demande, elle avait répondu « Non » à la question « Vous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? ».

[4] Comme le montrent les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], un agent d’immigration chargé d’examiner la demande avait relevé des renseignements concernant des antécédents de voyage aux États‑Unis qui contredisaient la réponse donnée ci‑dessus. Par conséquent, une lettre d’équité procédurale a été envoyée à la demanderesse le 19 septembre 2019, indiquant qu’elle avait négligé de divulguer des réponses complètes à la question notée ci‑dessus et lui demandant d’expliquer pourquoi ces renseignements n’avaient pas été fournis. La lettre lui demandait également de fournir des copies de documents à l’appui de sa réponse, lesquelles pouvaient comprendre des copies de lettres de refus ou d’autres communications.

[5] Le 19 septembre 2019, le consultant a envoyé une lettre en réponse à la lettre d’équité procédurale, faisant savoir que la demanderesse s’était vu refuser un visa de visiteur américain en janvier 2018 et que, bien qu’elle eût avisé le consultant de ce refus, une erreur d’écriture avait fait que le bureau du consultant n’avait pas divulgué ces renseignements dans son formulaire de demande. Dans sa lettre, le consultant a déclaré que la demanderesse n’avait pas eu l’intention de faire une fausse déclaration ou de cacher ces renseignements.

[6] L’analyse suivante de la lettre du consultant est consignée dans les notes du SMGC, datées du 26 septembre 2019 :

[traduction]

[…] La réponse fournie par le représentant rémunéré mentionne que la demanderesse l’avait informé du refus, mais que le bureau du représentant a fait une erreur d’écriture et n’a pas divulgué ces renseignements. La demanderesse est une jeune femme éduquée, et elle est tenue de s’assurer que tous les renseignements fournis avec sa demande soient véridiques, complets et exacts, et que tous les documents présentés soient authentiques, même si elle a recours aux services d’un représentant. Je ne suis pas convaincu que la demanderesse n’a pas caché délibérément les renseignements concernant le fait qu’elle s’était vu refuser un visa de visiteur américain. Compte tenu des renseignements au dossier et de la réponse de la demanderesse à la lettre d’équité procédurale, je suis d’avis que la présentation erronée sur ce fait important, ou la réticence sur ce fait, risquait d’entraîner des erreurs dans l’application de la Loi. J’acheminerai la présente demande à l’agent principal aux fins d’examen pour fausse déclaration.

[7] L’entrée suivante est également consignée dans les notes du SMGC et est datée du 17 avril 2020, date à laquelle l’agent a envoyé la lettre à la demanderesse pour lui communiquer sa décision :

[traduction]

40(1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants : a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi. J’ai examiné la demande, les documents à l’appui et les notes sur la présente demande. La demanderesse avait présenté une demande pour un permis de travail afin de travailler temporairement au Canada. Lors de l’examen de la demande, l’agent a constaté que la demanderesse avait négligé de divulguer ses antécédents en matière d’immigration aux États‑Unis. Une lettre d’équité procédurale a été envoyée à la demanderesse afin de lui donner l’occasion de dissiper les réserves de l’agent. Cette lettre décrivait les préoccupations de celui‑ci ainsi que les conséquences d’une conclusion fondée sur l’article 40, y compris l’interdiction d’entrer au Canada pendant cinq ans. La demanderesse a répondu à la lettre, mais elle n’a pas réussi à dissiper mes doutes quant aux préoccupations soulevées. À mon avis, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’a pas été honnête dans son formulaire de demande et a négligé de divulguer qu’elle avait des antécédents préjudiciables en matière d’immigration aux États‑Unis. Le défaut de divulguer ce fait aurait pu entraîner une erreur dans l’administration de la Loi et du Règlement, puisqu’un agent aurait pu être convaincu que la demanderesse satisfaisait aux exigences de la Loi relativement à l’existence d’un véritable motif pour vouloir séjourner au Canada de façon temporaire et qu’elle respecterait les conditions d’entrée au Canada. Je suis donc d’avis que la demanderesse est interdite de territoire au Canada en application de l’article 40 de la Loi. La présente demande est rejetée au titre de l’article 40. Conformément à l’alinéa 40(2)a), l’interdiction de territoire pour fausses déclarations court pour les cinq ans suivant la date de la lettre de refus si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays.

[8] Une lettre de refus a été envoyée à la demanderesse le 17 avril 2020, lui indiquant que sa demande avait été rejetée pour fausse déclaration et qu’elle serait interdite de territoire au Canada pour une période de cinq ans.

[9] Le 25 août 2020, la demanderesse a introduit la présente demande de contrôle judiciaire de la décision.

III. Les questions en litige

[10] Après avoir examiné les arguments des parties, je considère que la présente demande soulève les questions suivantes que la Cour doit trancher :

A. L’agent a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité procédurale?

B. La décision est‑elle raisonnable?

IV. Analyse

A. L’agent a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité procédurale?

[11] Les parties conviennent que les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[12] La demanderesse fait valoir qu’elle a été privée d’équité procédurale, parce que la lettre d’équité procédurale n’avait pas précisé que les préoccupations qui y étaient mentionnées à l’égard d’une fausse déclaration concernaient le refus de visa américain. Elle soutient qu’elle ne pouvait que deviner quelles étaient les questions auxquelles elle n’avait pas répondu honnêtement dans la demande de permis de travail et quels renseignements n’avaient pas été divulgués.

[13] Je juge que cet argument est sans fondement. La question qui, dans sa demande de permis de travail, avait donné lieu à une préoccupation a été expressément indiquée dans la lettre d’équité procédurale. Bien que cette lettre n’ait pas mentionné le fait que la préoccupation était liée à sa demande de visa américain, il ressortait clairement de la réponse fournie par le consultant, qui a abordé cette question en particulier, qu’il n’y avait aucune incompréhension quant à la question précise devant être traitée. La demanderesse n’a pas été privée de l’occasion de connaître la preuve à réfuter et d’y répondre.

[14] La demanderesse affirme également qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale, car les notes dans le SMGC font état de préoccupations au sujet de sa situation financière en soulignant qu’il y avait des transactions importantes et inexpliquées dans son compte bancaire et que son revenu annuel était incompatible avec sa profession déclarée. Ces préoccupations ne lui ont pas été présentées dans la lettre d’équité procédurale. Encore une fois, je juge que cet argument est sans fondement. Ces préoccupations sont définies dans une entrée des notes du SMGC qui est antérieure à l’entrée présentant l’analyse de la réponse du consultant à la lettre d’équité procédurale. Cette analyse, l’analyse ultérieure dans les notes de l’agent consignées dans le SMGC et la lettre communiquant la décision n’accordent aucune importance aux préoccupations liées à la situation financière de la demanderesse.

[15] La demanderesse fait également valoir que les motifs de l’agent sont inappropriés, et elle décrit cet argument comme étant une question d’équité procédurale. Comme le soutient le défendeur, il est bien établi en droit que la suffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision administrative. Lorsqu’elle examine le caractère raisonnable d’une décision, la Cour doit plutôt se pencher sur les motifs du décideur pour déterminer s’ils présentent la justification, la transparence et l’intelligibilité requises (voir, p. ex., Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 au para 31). Je trancherai cette question ci‑dessous, lorsque j’examinerai les arguments de la demanderesse contestant le caractère raisonnable de la décision.

B. La décision est‑elle raisonnable?

[16] La demanderesse soutient que la décision est déraisonnable, car la lettre de refus ne mentionnait pas si l’agent avait pris en considération la réponse du consultant à la lettre d’équité procédurale. Encore une fois, je juge qu’il n’y a pas d’erreur susceptible de contrôle. Comme le soutient le défendeur, il est bien établi que les notes du SMGC font partie des motifs d’une décision (voir, p. ex., Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368 au para 9). Les notes consignées par le premier agent qui a participé au processus décisionnel mentionnent expressément la réponse du consultant et l’explication qui y avait été fournie, soit que la demanderesse avait divulgué au consultant le refus de visa américain, mais que celui‑ci avait fait une erreur d’écriture et n’avait pas divulgué ce fait dans sa demande. L’agent n’a pas été convaincu par cette explication, puisque la demanderesse était tenue de s’assurer que tous les renseignements fournis avec sa demande étaient véridiques, même si elle faisait appel aux services d’un représentant. Dans ses notes consignées ultérieurement dans le SMGC, l’agent qui a rendu la décision a déclaré avoir examiné la demande, ainsi que les documents et les notes à l’appui, et a expliqué que la réponse à la lettre d’équité procédurale n’avait pas dissipé ses réserves à l’égard des préoccupations soulevées.

[17] Il ressort clairement des notes du SMGC qui sous‑tendent la décision que la réponse du consultant à la lettre d’équité procédurale a été prise en considération. Ces notes révèlent également le raisonnement sur lequel était fondé le rejet de l’explication du consultant et présentent la justification, la transparence et l’intelligibilité requises pour satisfaire à la norme de la décision raisonnable.

[18] Dans sa contestation du caractère raisonnable de la décision, la demanderesse souligne également que la réponse du consultant et la lettre d’équité procédurale sont datées du même jour. Elle fait valoir que la spontanéité de cette réponse milite en faveur de la crédibilité de celle‑ci. Bien que je comprenne la logique de cette position, l’argument de la demanderesse ne mine pas le caractère raisonnable de la décision.

[19] La demanderesse conteste également une partie des notes du SMGC qui la désigne au moyen de pronoms masculins et qui renvoie à des [traduction] « antécédents préjudiciables en matière d’immigration aux États‑Unis ». Elle soutient que ces entrées démontrent l’usage d’un libellé modèle ou type, de sorte que la décision ne tient pas compte des détails de son dossier et n’explique pas en quoi un refus unique de visa américain équivaut à des antécédents préjudiciables en matière d’immigration.

[20] Je juge que l’usage des mauvais pronoms par l’agent n’a pas miné le caractère raisonnable de la décision. Comme il est expliqué dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (au para 102), mais est plutôt axé sur la question de savoir si une décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle (au para 85). L’utilisation d’un libellé modèle ou type ne rend pas non plus une décision déraisonnable, pourvu qu’il démontre la justification et l’intelligibilité requises. Je juge qu’il n’y a aucune difficulté à comprendre le fait que la décision décrit le refus de visa américain de la demanderesse comme étant un antécédent préjudiciable en matière d’immigration. Ce refus représente aussi un fait défavorable lié à l’immigration que la demanderesse était tenue de divulguer, afin de permettre au décideur d’avoir une compréhension exacte de ses antécédents en matière d’immigration au moment de trancher sa demande de permis de travail.

[21] Enfin, la demanderesse soutient que l’agent aurait dû appliquer l’exception relative à l’erreur de bonne foi, qui peut empêcher une conclusion d’interdiction de territoire pour fausses déclarations lorsqu’un demandeur croit raisonnablement et honnêtement qu’il ne dissimulait pas des renseignements importants (voir Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299 au para 15). Toutefois, comme il est expliqué au paragraphe 16 de la décision Alalami c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 328, cette exception ne peut pas s’appliquer en l’absence d’une conclusion selon laquelle l’erreur a effectivement été commise de bonne foi. Compte tenu de la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse n’avait pas été honnête dans sa demande, l’exception relative à l’erreur de bonne foi n’a aucune application potentielle.

[22] Puisque je n’ai constaté aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision ou aucun manquement à l’équité procédurale, la présente demande de contrôle judiciaire devra être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune question n’est énoncée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑2541‑20

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2541‑20

INTITULÉ :

RUCHI BAGGA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 MARS 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 31 MARS 2022

COMPARUTIONS :

Deepak Chodha

Pour la demanderesse

Aminollah Sabzevari

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CGM Lawyers

Surrey (Colombie‑Britannique)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

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