Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220404


Dossier : IMM-5574-20

Référence : 2022 CF 463

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2022

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

OLTA MULLA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Olta Mulla, est une citoyenne albanaise ayant le statut de résidente permanente en Grèce. Elle a présenté une demande de visa de résident temporaire [VRT] en vue de rendre visite à son frère et à sa sœur qui résident au Canada. Sa demande de VRT a été rejetée.

[2] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire, au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, de la décision de l’agent des visas du 29 octobre 2020. Elle fait valoir que la décision était déraisonnable puisque l’agent des visas [l’agent] a mal interprété ou a écarté des éléments de preuve, et n’a pas examiné les facteurs pertinents. Le défendeur soutient que l’agent a raisonnablement examiné la demande et les documents présentés à l’appui, et que la décision de rejeter la demande était raisonnable.

[3] À mon avis, la décision de l’agent est déraisonnable. Comme je l’expliquerai ci-après, les motifs d’un agent des visas n’ont pas à être longs ni parfaits, mais de brefs motifs doivent néanmoins refléter le fondement et la logique sous-jacente appuyant les conclusions tirées sur les questions essentielles à l’issue de l’affaire.

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[4] L’agent a refusé de délivrer le VRT, parce qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour. L’agent a invoqué cinq motifs précis :

  1. Les antécédents de voyage;

  2. Les liens familiaux au Canada et dans le pays de résidence;

  3. Le but déclaré de la visite;

  4. La situation d’emploi;

  5. Le patrimoine personnel et la situation financière.

[5] Les motifs du rejet par l’agent sont contenus dans les notes du Système mondial de gestion des cas [le SMGC]. Ces notes sont brèves :

[traduction]Pas de vérif. AUCUN renseignement préjudiciable que la DP est ressortissante de l’Albanie. Célibataire. RP de Grèce. Au chômage depuis le début de la pandémie. Pas de fonds personnels. Montre comment elle reçoit la sécurité sociale? 2 frères et sœurs : tous deux au Canada. Le frère l’invite. A une entreprise. Fonds OK. Le frère est un RP. Était un demandeur d’asile. La sœur au Canada est arrivée CF1. Elle veut aller la voir pendant un mois. La DP n’a pas d’emploi. Liens solides au Canada. Pas d’argent. Elle n’est pas assez bien établie en Grèce pour motiver son retour. Je crains qu’elle n’aille au Canada pour accéder au marché du travail.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[6] Comme je l’ai mentionné plus haut, la seule question à trancher est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable. Les parties conviennent que la décision de l’agent concernant la demande de VRT doit être examinée selon la norme de contrôle de la décision raisonnable (Brefo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 815 au para 14; Shoaib c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 479).

[7] La cour de révision qui effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi. Une issue raisonnable ne suffit pas à justifier une décision lorsque cette issue n’est pas fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85 [Vavilov]).

IV. Analyse

[8] L’agent cite les antécédents de voyage, les liens familiaux, le but de la visite, la situation d’emploi et la situation financière de la demanderesse comme raisons pour lesquelles il n’est pas convaincu qu’elle quitterait le Canada et ne chercherait pas à accéder au marché du travail canadien.

[9] Bien que les antécédents de voyage soient invoqués comme l’un des cinq motifs de rejet, les notes versées au SMGC ne traitent pas des antécédents de voyage de la demanderesse.

[10] Le défendeur fait valoir que, même si les antécédents de voyage ont été mentionnés dans la lettre de refus, le fait que ces antécédents n’aient pas été mentionnés dans les notes du SMGC n’a aucune conséquence. Il est soutenu que les antécédents de voyage de la demanderesse étaient limités; sa demande mentionnait quatre voyages en Albanie, son pays de citoyenneté, et deux voyages à des fins de vacances. Le défendeur affirme que ces déplacements limités ne permettent pas d’inférer l’existence d’un facteur favorable, et que l’agent n’était pas tenu d’examiner tous les éléments de preuve, citant la décision Watts c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 158 [Watts].

[11] Je ne conteste pas le principe énoncé dans Watts; il n’est pas nécessaire qu’un agent énumère en détail les éléments de preuve sur lesquels il s’est fondé. Cependant, le juge Henry Brown déclare également dans Watts que les motifs d’un agent doivent néanmoins « répond[re] aux critères établis dans l’arrêt Vavilov » (au para 27). En l’espèce, les motifs ne satisfont pas à ces critères.

[12] Les antécédents de voyage de la demanderesse et l’absence de preuve indiquant un non-respect des lois en matière d’immigration laissent entendre que ce motif, au pire, serait un facteur neutre dans l’évaluation de la demande. Pourtant, l’agent s’est appuyé sur les antécédents de voyage pour rejeter la demande, sans explication. Ayant cité les antécédents de voyage comme un motif de rejet de la demande, l’agent était tenu, à mon avis, de fournir un certain fondement à cet égard. Dans l’affaire Watts, par exemple, l’absence d’antécédents de voyages dans des pays présentant de forts facteurs d’attraction en matière d’immigration a été relevée.

[13] Le silence de l’agent en l’espèce porte atteinte aux éléments de justification et de transparence, qui sont les caractéristiques des décisions raisonnables.

[14] De la même façon, les notes du SMGC invoquent des liens familiaux solides avec le Canada ainsi que le but du voyage comme motifs de rejet de la demande, mais passent sous silence ce qui, objectivement, semble être des liens familiaux tout aussi importants avec la Grèce, et un but raisonnable pour le voyage, à savoir rendre visite à des membres de la famille au Canada. Bien entendu, l’agent pouvait conclure que les liens familiaux avec le Canada étaient plus importants que ceux avec la Grèce, et remettre en question le but de la visite, mais là encore, le processus de raisonnement menant à ces conclusions doit être expliqué. Les exigences de l’arrêt Vavilov vont au-delà d’une simple conclusion, en particulier lorsqu’il existe des éléments de preuve convaincants qui peuvent justifier un résultat différent.

[15] La demanderesse fait en outre valoir, et je suis d’accord, que l’appréciation de la situation financière et de la preuve relative aux emplois par l’agent compromet le caractère raisonnable de la décision. En effet, selon la demande de VRT, la demanderesse disposait de fonds (10 000 $) pour financer la visite. Le dossier certifié du tribunal comprend un relevé bancaire, bien qu’il ne soit pas lisible. Toutefois, les notes du SMGC indiquent simplement que la demanderesse n’a [traduction] « pas de fonds ». Cette simple affirmation, combinée au relevé bancaire illisible, ne permet pas de déterminer si l’agent a mal interprété la preuve, ou si la demanderesse a omis d’inclure des éléments de preuve objectifs à l’appui des fonds déclarés. De même, l’affirmation selon laquelle la demanderesse est sans emploi ne tient pas compte de son témoignage quant au fait que son chômage est une conséquence directe de la pandémie, qu’avant la pandémie elle n’avait pas cessé de travailler à temps plein depuis 2016 en Grèce, et qu’elle s’attendait à être rappelée au travail après la pandémie.

[16] Le défendeur reconnaît que les motifs de l’agent auraient pu être plus détaillés, mais il souligne également que le volume des demandes de VRT est pertinent dans le contexte administratif et devrait être pris en compte lors du contrôle des décisions des agents des visas (Watts, au para 22; Vavilov, au para 91).

[17] Un contexte administratif qui comprend un volume élevé de demandes justifiera des motifs qui ne comprennent pas d’explications détaillées et de renvois aux éléments de preuve, mais qui se limitent à des repères et à des conclusions. Toutefois, ces repères doivent être suffisants pour permettre à une cour de révision de repérer et de suivre le raisonnement de l’agent. Les considérations administratives relevées par le défendeur ne dispensent pas l’agent des visas de l’obligation de satisfaire aux exigences relatives au caractère raisonnable énoncées dans l’arrêt Vavilov.

V. Conclusion

[18] La présente demande sera accueillie. Les parties n’ont pas soulevé de question à certifier et aucune ne se pose.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5574-20

LA COUR STATUE :

1. La demande est accueillie.

2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

3. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-France Blais, L.L.B., traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5574-20

 

INTITULÉ :

OLTA MULLA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR vidÉoconfÉrence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 AVRIL 2022

 

COMPARUTIONS :

Marvin Michael Moses

 

pour la demanderesse

 

Melissa Mathieu

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marvin Moses Law Office

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.