Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220407


Dossier : IMM-3267-21

Référence : 2022 CF 501

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2022

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

BENEDICT AGBATOR IRIBHOGBE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Benedict Agbator Iribhogbe, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 29 avril 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé le rejet de sa demande d’asile au motif qu’il disposait de possibilités de refuge intérieur [PRI] viables dans son pays d’origine.

[2] Le demandeur est un citoyen du Nigéria. Bien qu’il soit originaire d’une ville de l’État d’Edo, le demandeur a résidé à Lagos, où il a travaillé comme comptable, avant de devenir spécialiste des chaînes d’approvisionnement.

[3] Le 6 janvier 2017, des pasteurs peuls armés [les Peuls] ont attaqué la communauté du demandeur dans l’État d’Edo, faisant plusieurs morts. En réponse, le demandeur a organisé un rassemblement public pour demander au gouvernement de fournir de l’aide et d’arrêter les responsables. Le rassemblement a eu lieu le 8 janvier 2017, et environ cent (100) personnes étaient présentes. Les médias ont couvert l’événement, notamment la participation du demandeur.

[4] Le 4 mars 2017, le demandeur est retourné dans sa ville natale et a passé la nuit chez son oncle. Au petit matin, le 5 mars 2017, des hommes armés qui étaient à sa recherche sont entrés par effraction. La police a été appelée, mais n’a fourni aucune assistance.

[5] Le 23 mai 2017, alors que le demandeur rentrait chez lui après le travail, des hommes armés ont tenté de s’introduire de force dans son véhicule avant de se lancer à sa poursuite. Le demandeur s’est rendu au poste de police pour demander de l’aide. La police a effectué une enquête sur l’incident, mais celle-ci n’a donné aucun résultat.

[6] Le demandeur a quitté son pays pour se rendre aux États-Unis le 31 mai 2017, et il y est resté six (6) mois. Lorsqu’il a appris l’arrestation et le décès de personnes qui seraient associées à des participants au rassemblement, il est entré au Canada et a présenté une demande d’asile.

[7] Le 14 janvier 2020, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande du demandeur après avoir conclu qu’il disposait de PRI viables au Nigéria.

[8] Le demandeur a interjeté appel de la décision devant la SAR. À l’appui de son appel, il a tenté de produire de nouveaux éléments de preuve. Il a présenté pour la première fois de nouveaux éléments de preuve avec son dossier d’appel en mars 2020. Huit (8) mois plus tard, il a présenté une demande conformément au paragraphe 29(3) et à l’article 37 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 [les Règles de la SAR] afin de pouvoir produire de nouveaux éléments de preuve. Pour la plupart, les éléments de preuve portaient sur un incident survenu en décembre 2019, au cours duquel la sœur du demandeur avait été agressée et blessée. La SAR a conclu qu’aucun des documents présentés n’était admissible comme nouvel élément de preuve. Elle a également confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur avait des PRI viables au Nigéria.

[9] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve présentés en appel et que son évaluation de l’existence de PRI viables est déraisonnable.

II. Analyse

A. La norme de contrôle

[10] Les parties conviennent qu’une décision rendue par la SAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 16-17). Lorsqu’elle effectue un examen du caractère raisonnable d’une décision, la Cour doit s’intéresser à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, au para 99). Il « incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

[11] J’ai examiné le dossier et les observations des parties, et le demandeur n’a pas réussi à me convaincre que la décision de la SAR est déraisonnable.

B. Les nouveaux éléments de preuve

[12] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en rejetant les nouveaux éléments de preuve présentés conformément au paragraphe 29(3) des Règles de la SAR.

[13] Il soutient que les documents relatifs à l’attaque contre sa sœur étaient pertinents, car ils démontraient la motivation et la capacité des Peuls de la rechercher dans l’État d’Edo pour arriver jusqu’à lui. Selon lui, de telles actions témoignent de l’intérêt des Peuls à le rechercher hors du lieu où il se trouvait et dans d’autres villes. De plus, la brutalité de l’agression contre sa sœur montre qu’ils ont un intérêt continu envers lui, ce qui est pertinent lorsqu’il s’agit d’évaluer une PRI.

[14] Le demandeur soutient en outre que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu à l’existence d’une contradiction dans le rapport de police quant à savoir si la sœur du demandeur avait été emmenée à l’hôpital avant l’arrivée de la police. Il soutient que la SAR aurait dû comparer le rapport de police avec l’affidavit de sa sœur, dans lequel il est clairement indiqué que la police l’a rencontrée avant qu’elle ne se rende à l’hôpital. Le demandeur soutient en outre que la conclusion de la SAR quant à la crédibilité du rapport était également entièrement spéculative, puisqu’elle ne repose sur aucune source permettant d’appuyer l’avis de la SAR sur ce que le rapport aurait dû contenir. À son avis, la SAR n’a pas tenu compte de la présomption de véracité qui s’applique aux documents délivrés par des autorités étrangères. De plus, il n’existait aucune raison de douter de la validité des autres documents relatifs à l’attaque de sa sœur.

[15] Le demandeur conteste également la décision de la SAR de ne pas admettre les éléments de preuve qu’il a présentés dans son dossier d’appel. Il soutient que les articles des journaux publiés en ligne traitaient manifestement de la relation entre les Peuls et le gouvernement, ainsi que de la capacité des Peuls d’inciter l’État à retrouver le demandeur. D’autres articles faisaient référence à des attaques perpétrées par les Peuls dans d’autres États et démontraient que ces attaques ne concernaient pas seulement des questions d’agriculture et d’acquisition de terres. Le demandeur soutient que ces éléments de preuve étaient directement pertinents eu égard à la question de savoir si les Peuls pourraient le prendre comme cible pour des raisons qui ne concernaient ni les terres ni l’agriculture et à la question de savoir s’ils étaient actifs dans l’ensemble du Nigéria.

[16] Le paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] prévoit qu’un appelant « ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient pas alors normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’[il] n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet ». Il incombe au demandeur de convaincre la SAR que les nouveaux éléments de preuve sont conformes aux exigences énoncées au paragraphe 110(4) (Abdi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 54 au para 24).

[17] Outre les conditions légales explicites, la SAR doit vérifier si les conditions implicites d’admissibilité énoncées par la Cour d’appel fédérale, soit la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, sont remplies (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96; Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza]). Si la SAR conclut que les exigences explicites prévues par la loi n’ont pas été remplies, elle n’a pas à examiner les conditions implicites.

[18] Il incombe également au demandeur de se conformer au sous-alinéa 3(3)g)(iii) des Règles de la SAR. L’appelant doit inclure dans son mémoire des observations complètes et détaillées sur la façon dont les nouveaux éléments de preuve documentaire qu’il souhaite présenter sont conformes aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR et sur la façon dont ils sont liés à lui. Une explication semblable est requise lorsqu’une demande est présentée conformément au paragraphe 29(3) et à l’article 37 des Règles de la SAR.

[19] Le demandeur ne m’a pas convaincue que l’analyse de la SAR concernant la preuve relative à l’attaque de sa sœur est déraisonnable. La SAR a d’abord fait remarquer que le demandeur n’avait pas indiqué dans sa demande en quoi les observations relatives à l’incident étaient conformes aux exigences de l’article 29 des Règles de la SAR et à celles du paragraphe 110(4) de la LIPR. Elle a ensuite examiné le fait que le demandeur avait présenté de nouveaux éléments de preuve avec son dossier d’appel concernant les blessures de sa sœur et qu’il avait indiqué qu’il n’avait pas connaissance de ces renseignements au moment où la SPR avait rendu sa décision. La SAR a accepté l’explication du demandeur selon laquelle il n’aurait pas pu raisonnablement fournir ces documents, mais elle a souligné qu’elle devait tenir compte d’autres facteurs dans son analyse.

[20] La SAR a ensuite examiné la pertinence et la valeur probante des documents. Elle a reconnu que la preuve démontrait que les Peuls continuaient de rechercher le demandeur dans l’État d’Edo, soulignant que c’était un endroit où le demandeur se rendait fréquemment avant de quitter le Nigéria. Elle a également reconnu qu’il courrait un risque à cet endroit. Cela dit, la SAR a indiqué que la question déterminante était la viabilité d’une PRI aux endroits proposés. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas expliqué en quoi l’attaque de sa sœur démontrait que les PRI aux endroits proposés n’étaient pas viables, ou que les Peuls originaires de l’État d’Edo seraient motivés à le rechercher à ces endroits.

[21] La SAR a ajouté que même si elle devait admettre les éléments de preuve au titre de l’article 29 des Règles de la SAR, les éléments de preuve concernant la sœur du demandeur n’étaient pas nouveaux, puisque la SPR avait déjà accepté comme crédibles les allégations du demandeur concernant les actions commises par les Peuls dans l’État d’Edo. La SPR avait également reconnu que les Peuls recherchaient le demandeur dans l’État d’Edo.

[22] J’ai examiné les observations du demandeur concernant l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve. En l’absence d’observations plus détaillées expliquant en quoi les nouveaux éléments de preuve sont conformes aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR, aux facteurs implicites énoncés dans l’arrêt Raza et au paragraphe 29(3) des Règles de la SAR, il était raisonnablement loisible à la SAR de conclure que les nouveaux éléments de preuve ne démontraient pas que les Peuls auraient la motivation et la capacité nécessaires pour le retrouver ailleurs que dans l’État d’Edo. La SAR pouvait raisonnablement conclure que ces éléments n’étaient donc pas pertinents ou importants quant à la viabilité d’une PRI aux endroits proposés.

[23] En ce qui concerne la conclusion de la SAR au sujet de la crédibilité du rapport de police, je conviens avec le demandeur que les documents délivrés par des autorités étrangères sont présumés valides (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1133 au para 10; Manka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 522 au para 8). La prévalence de documents frauduleux dans un pays ne signifie pas nécessairement que tous les documents provenant de ce pays sont frauduleux (Sunday c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 266 aux para 26-27). Toutefois, en l’espèce, la SAR a précisé les raisons pour lesquelles elle croyait que le rapport n’était pas crédible, comme le logo, la date du rapport, l’utilisation changeante des temps verbaux et les descriptions à la troisième personne. Les motifs de la SAR concernant la crédibilité du rapport de police étaient principalement axés sur les incohérences dans le document lui-même plutôt que sur des incompatibilités avec l’affidavit de la sœur du demandeur. La SAR pouvait raisonnablement conclure que le rapport n’était pas crédible et décider de ne pas l’admettre.

[24] En ce qui concerne les liens vers des sites Web et les extraits de ces pages Web, la SAR a souligné que le demandeur n’avait fourni aucun document à titre de nouvel élément de preuve dans sa demande présentée conformément à l’article 29, comme l’exigent les Règles de la SAR. Il a plutôt fourni quarante (40) liens Internet et quelques extraits de pages Web. La SAR a fait observer que tous les nouveaux éléments de preuve doivent être présentés sous forme imprimée, et non sous la forme d’un simple renvoi à un lien Internet. Elle a ajouté qu’en l’absence des documents eux-mêmes contenant les extraits, elle n’était pas en mesure de vérifier la date de publication des renseignements afin d’établir si les documents auraient pu être présentés en même temps que le dossier d’appel du demandeur.

[25] La SAR a malgré tout vérifié si les extraits étaient pertinents ou probants. Après avoir réitéré que la question déterminante portée en appel concernait la viabilité des PRI, la SAR a souligné que le demandeur n’avait aucunement expliqué en quoi les extraits démontraient que les Peuls de l’État d’Edo avaient la motivation pour le retrouver ou la capacité de le faire, puisque cela nécessiterait la coordination de leurs efforts dans tout le Nigéria. La SAR a également conclu que la demande du demandeur visant à faire admettre de nouveaux éléments de preuve n’avait pas été déposée suivant les Règles de la SAR. De plus, le demandeur n’a pas présenté d’observations permettant à la SAR d’évaluer si les éléments de preuve satisfaisaient aux exigences relatives à l’admission de nouveaux éléments de preuve. Par conséquent, elle a refusé d’admettre les liens Internet et les extraits de pages Web à titre de nouveaux éléments de preuve.

[26] Bien que le demandeur puisse être en désaccord avec les conclusions de la SAR, celle-ci a compétence pour évaluer la pertinence et l’importance des nouveaux éléments de preuve. Il incombait au demandeur de démontrer que les éléments de preuve qu’il proposait étaient conformes aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR, aux facteurs implicites énoncés dans l’arrêt Raza et au paragraphe 29(3) des Règles de la SAR La SAR a conclu différemment. Le demandeur ne m’a pas convaincue que les conclusions de la SAR étaient déraisonnables.

C. Les PRI proposées

(a) Le premier volet du critère

[27] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur dans son évaluation de l’existence d’une PRI viable aux endroits proposés. Il souligne que la SAR a reconnu et accepté que les Peuls sont présents partout au Nigéria.

[28] Premièrement, il fait valoir qu’il « est illogique » que la SAR confirme la conclusion de la SPR liée au guide jurisprudentiel sur le Nigéria établi par le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [le guide jurisprudentiel], étant donné sa révocation et son manque de pertinence. À son avis, la SAR aurait plutôt dû procéder à une évaluation indépendante de la preuve.

[29] La SAR a effectivement procédé à sa propre évaluation de la preuve du demandeur et s’est directement référée à la preuve documentaire la plus récente pour justifier sa conclusion quant à l’existence d’une PRI aux endroits proposés. Elle a simplement expliqué pourquoi la SPR s’est fondée sur le guide jurisprudentiel et pourquoi il était correct de le faire, étayant sa position en se référant à la jurisprudence. La SAR a souligné en particulier que la SPR avait effectué une évaluation des circonstances propres au demandeur. Je ne suis pas convaincue que le simple fait de se référer au cadre analytique contenu dans un guide jurisprudentiel révoqué ou d’adopter ce cadre rende la décision déraisonnable (Fagite c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 677 au para 11; Sadiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 430 aux para 51-53).

[30] Deuxièmement, le demandeur conteste la conclusion de la SAR selon laquelle la preuve documentaire n’appuie pas ses allégations selon lesquelles les Peuls auraient les moyens et la motivation nécessaires pour le retrouver aux endroits proposés comme PRI. Plus précisément, il soutient que la SAR :

  • 1) a mal interprété l’argument présenté par le demandeur selon lequel il existe des liens entre les Peuls et les organismes d’application de la loi;

  • 2) a commis une erreur en concluant que le fait que la SPR n’avait pas tenu compte du meurtre dans l’une des PRI d’une personne qui avait participé au même rassemblement que le demandeur n’était pas une omission fatale, car les agresseurs n’étaient que « soupçonnés » d’être des Peuls;

  • 3) a commis une erreur en supposant que les Peuls ne seraient plus motivés à le retrouver étant donné que trois (3) ans s’étaient écoulés depuis la manifestation et depuis la couverture médiatique de l’événement à la télévision et dans les journaux;

  • 4) a mal interprété les activités des Peuls en concluant qu’elles ne visent que l’obtention de pâturages et qu’il s’agit d’un intérêt qui ne s’étend pas à l’échelle nationale;

  • 5) a prétendu à tort que les Peuls auraient besoin d’une organisation complexe et coordonnée pour retrouver le demandeur;

  • 6) n’a pas tenu compte du fait que les Peuls sont présents au sein du gouvernement et que, grâce à leurs relations, ils seraient en mesure de retrouver n’importe qui.

[31] Les arguments du demandeur sont tous infondés.

[32] Premièrement, la SAR ne peut être blâmée pour avoir mal interprété l’argument du demandeur concernant les liens allégués entre les Peuls et les organismes d’application de la loi. La SAR a souligné que le demandeur, dans son mémoire d’appel, avait sous-entendu que la SPR avait commis une erreur dans l’évaluation de son témoignage sur la question. C’est pour cela que la SAR est revenue sur la question dans ses motifs. La SAR a estimé, comme la SPR, qu’en l’absence d’éléments de preuve documentaire qui montre que les organismes d’application de la loi et les Peuls agissent de concert, tous les gestes des Peuls à l’égard du demandeur ne seraient pas posés au nom de l’État. La SAR a conclu, à l’instar de la SPR, que la preuve documentaire au dossier n’indiquait pas de collaboration intéressée entre les Peuls et l’État. Même s’il est possible que les organismes locaux d’application de la loi fassent parfois fi de certaines activités des Peuls liées à des incidents locaux, la SAR a néanmoins conclu qu’il ne s’agissait pas, selon la prépondérance des probabilités, d’un exemple du fait que l’État parraine ou appuie les Peuls. Le demandeur n’a pas établi que la SAR avait commis une erreur sur la question.

[33] Deuxièmement, je ne suis pas d’accord pour dire que la SAR n’a pas examiné la question du meurtre d’une personne qui avait participé au rassemblement avec le demandeur. La SAR a souligné que la SPR avait omis de mentionner cette allégation dans ses motifs, mais elle a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une omission fatale, car l’allégation du demandeur était conjecturale. Pour arriver à cette conclusion, la SAR a tenu compte du fait que le demandeur a qualifié les auteurs du meurtre de « présumés pasteurs peuls ». Même si le demandeur soutient que la SAR n’a pas avancé d’autre explication quant au responsable du meurtre, il n’appartient pas à la SAR de formuler des hypothèses sur la question. La SAR a donc conclu de façon raisonnable que l’hypothèse émise par le demandeur quant à l’identité des personnes responsables du meurtre prétendu ne concernait pas, selon la prépondérance des probabilités, les moyens et la motivation que les Peuls auraient pour ce qui est de poursuivre le demandeur à l’un ou l’autre des endroits proposés comme PRI.

[34] Troisièmement, la SAR pouvait conclure de façon raisonnable que les Peuls ne seraient pas motivés à poursuivre le demandeur dans d’autres États, compte tenu de l’ampleur limitée de son profil au moment du rassemblement. Pour en arriver à cette décision, la SAR a tenu compte du fait que le rassemblement avait eu lieu plus de trois (3) ans auparavant et que seulement cent (100) personnes environ y avaient assisté. La SAR a également souligné qu’il était peu probable que le demandeur soit « facilement reconnaissable » puisque les articles publiés dans les médias remontent à 2017. Encore une fois, je ne vois aucune erreur dans l’analyse de la SAR, car le passage du temps peut, dans certaines circonstances, permettre à la SAR de conclure raisonnablement à l’absence de motivation.

[35] En ce qui concerne les autres questions soulevées par le demandeur, je conclus qu’il demande essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. Il relève du domaine d’expertise de la SAR d’évaluer la preuve au dossier et d’en tirer les conclusions qui s’imposent. La SAR a examiné les éléments de preuve objectifs et a conclu, d’après le dossier dont elle disposait, que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son évaluation des moyens et de la motivation qu’auraient les Peuls pour ce qui est de retrouver le demandeur aux endroits proposés comme PRI. Le demandeur ne m’a pas convaincue que la conclusion de la SAR est déraisonnable.

(b) Le deuxième volet du critère

[36] Le demandeur conteste la façon dont la SAR a traité le deuxième volet du critère. Il soutient que la SAR a commis une erreur dans son analyse de la question de savoir s’il pouvait trouver un emploi aux endroits proposés comme PRI. Le demandeur soutient également que la SAR a écarté des facteurs importants dont il fallait tenir compte dans l’analyse relative au deuxième volet du critère, comme les questions liées au logement et à l’identité autochtone dans les endroits proposés comme PRI.

[37] Les arguments du demandeur sont infondés.

[38] La SAR a souligné à juste titre que le demandeur n’avait pas contesté la conclusion de la SPR concernant le deuxième volet du critère relatif à la PRI. Le demandeur soulève donc une nouvelle question qui aurait pu être soulevée avant le contrôle judiciaire (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 22-26). En outre, le demandeur ne peut reprocher à la SAR de ne pas avoir abordé des questions comme le logement et l’identité autochtone. Il incombe au demandeur et non à la SAR de démontrer qu’un endroit proposé comme PRI est inadéquat, vu sa situation personnelle (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 810 au para 58; Hamid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 145 au para 56).

[39] De plus, le demandeur devait démontrer qu’il était objectivement déraisonnable pour lui de déménager aux endroits proposés comme PRI. La SAR a tenu compte du fait que le demandeur était titulaire d’un baccalauréat ès sciences en comptabilité et d’une maîtrise ès sciences en gestion des approvisionnements et de la chaîne d’approvisionnement, tandis que la preuve documentaire objective montrait qu’au Nigéria, les hommes effectuent en moyenne neuf (9) années d’études. La SAR a ensuite pris acte de son expérience professionnelle dans le domaine de l’approvisionnement et de la logistique de distribution de 2014 à 2017 et a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur aurait des possibilités d’emploi. Tout en reconnaissant que le taux de chômage était élevé au Nigéria, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi en quoi le taux de chômage élevé rendrait déraisonnable sa réinstallation aux endroits proposés comme PRI, surtout compte tenu de sa connaissance de la langue couramment parlée et de son expérience de travail importante. Il incombait au demandeur de démontrer que sa religion, son éducation, son métier ou sa langue rendraient sa réinstallation déraisonnable.

[40] Enfin, le demandeur soutient que la SAR était tenue de se demander, lorsqu’elle a évalué son risque prospectif, s’il continuerait de faire connaître ses opinions politiques et, le cas échéant, elle ne pouvait conclure qu’il disposait d’une PRI aux endroits proposés. Le demandeur a soulevé cet argument dans la partie de son mémoire qui concerne le deuxième volet du critère relatif à la PRI. Étant donné qu’il n’a pas contesté les conclusions de la SPR concernant le deuxième volet du critère relatif à la PRI, il ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que la SAR les examine. De même, si l’argument du demandeur concerne le premier volet du critère, il ne l’a pas soulevé dans son mémoire d’appel.

[41] Il est important de rappeler qu’une fois que la question d’une PRI est soulevée, il incombe au demandeur de fournir des éléments de preuve crédibles qui démontrent, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe une possibilité sérieuse de persécution ou un risque de danger ou de préjudice dans l’ensemble de son pays et qu’il serait déraisonnable pour lui, compte tenu de toutes les circonstances, de s’y réfugier (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 aux pages 709-711 (CAF); Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF)). La SAR a raisonnablement conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de la preuve. Bien que le demandeur puisse ne pas souscrire aux conclusions de la SAR, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve pour parvenir à une conclusion favorable au demandeur (Vavilov, au para 125; Canada(Citoyenneté et Immigration) c Khosa,2009 CSC 12 au para 59).

[42] En conclusion, le demandeur ne m’a pas convaincue que la SAR avait commis une erreur dans son évaluation des nouveaux éléments de preuve ou dans son évaluation de la viabilité des PRI. La SAR a expliqué ses conclusions d’une manière transparente et intelligible. Je suis convaincue que la décision de la SAR, interprétée de façon globale et contextuelle, satisfait à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov.

[43] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et je suis d’accord pour dire que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM 3267-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Noémie Pellerin Desjarlais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3267-21

INTITULÉ :

BENEDICT AGBATOR IRIBHOGBE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 FÉVRIER 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 7 avril 2022

COMPARUTIONS :

Pantea Samei

Pour le demandeur

Chantal Chatmajian

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.