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Date : 20220330


Dossiers : IMM‑8484‑21

IMM‑8487‑21

Référence : 2022 CF 438

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 mars 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

Dossier : IMM‑8484‑21

ENTRE :

DEBORAH BUKUNMI ADEPOJU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

Dossier : IMM‑8487‑21

ET ENTRE :

AYODEJI OLUWATOSIN ADEYANJU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

Contexte de la requête

[1] Les demandeurs, Deborah Bukunmi Adepoju et son mari, Ayodeji Oluwatosin Adeyanju, ont chacun présenté une demande distincte de permis d’études. Les deux demandes ont été rejetées. Deborah Adepoju a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du rejet de sa demande [dossier de la Cour IMM‑8484‑21]. Ayodeji Adeyanju a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du rejet de sa demande [dossier de la Cour IMM‑8487‑21].

[2] Le ministre défendeur a présenté une requête par écrit, conformément à l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, en vue d’obtenir une ordonnance lui permettant de réunir les deux demandes et de les radier sans autorisation de modification. À titre subsidiaire, le ministre demande la réunion de ces deux demandes [traduction] « de sorte qu’elles soient tranchées ensemble par le même juge en fonction des documents produits par les deux demandeurs lors de l’instruction des demandes d’autorisation et du contrôle judiciaire si l’autorisation est accordée ». Le ministre demande également des dépens et des redressements accessoires.

[3] Le ministre fait valoir que les demandes constituent un abus de procédure. Il soutient également que Deborah Adepoju et Ayodeji Adeyanju ne se présentent pas devant la Cour avec une attitude irréprochable. Il allègue qu’ils [traduction] « tentent, avec l’aide de leur avocat, de tromper la Cour ».

[4] Le ministre affirme que Deborah Adepoju et Ayodeji Adeyanju, dans les documents justificatifs qu’ils ont présentés à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] avec leur demande de permis d’études, [traduction] « ont déclaré à plusieurs reprises et de façon non équivoque qu’ils prévoyaient tous deux venir seuls au Canada et que leur conjoint resterait au Nigéria pour agir comme “lien avec le pays d’origine” afin d’inciter l’autre à revenir ». Ni l’un ni l’autre n’a fait référence à la demande de son conjoint.

[5] L’agent des visas a rejeté la demande de Deborah Adepoju pour deux raisons :

[traduction]

Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR [Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227], compte tenu de l’objet de votre visite.

Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR, compte tenu de vos liens familiaux au Canada et dans votre pays de résidence.

[6] L’agent a rejeté la demande d’Ayodeji Adeyanju pour quatre raisons :

[traduction]

Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR, compte tenu de vos liens familiaux au Canada et dans votre pays de résidence.

Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR, compte tenu de vos actifs personnels et de votre situation financière.

Je ne suis pas convaincu que vous disposez, sans qu’il vous soit nécessaire d’exercer un emploi au Canada, de ressources financières suffisantes pour acquitter les frais de scolarité des cours que vous avez l’intention de suivre, comme l’exige l’alinéa 220a) de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LRC 2001, c 27] [sic].

Je ne suis pas convaincu que vous disposez, sans qu’il vous soit nécessaire d’exercer un emploi au Canada, de ressources financières suffisantes pour subvenir à vos propres besoins et à ceux des membres de votre famille qui vous accompagnent durant vos études, comme l’exige l’alinéa 220b) de la LIPR [sic].

Requête visant à réunir les demandes

[7] Le ministre soutient qu’il est approprié de réunir les deux demandes afin que la Cour puisse décider si elles doivent être radiées dans le contexte de la présente requête. Il fait valoir que la réunion de ces deux demandes permettra à la Cour d’éviter d’avoir à examiner une deuxième requête qui devrait être déposée dans la demande d’Ayodeji Adeyanju et qui serait ultimement redondante.

[8] Le ministre fait observer à juste titre que ni Deborah Adepoju ni Ayodeji Adeyanju n’ont tenté d’expliquer pourquoi ces deux demandes ne devraient pas être réunies.

[9] Je suis convaincu, compte tenu de la relation entre ces deux demandeurs, de leur plan commun décrit ci‑dessous et des allégations d’abus de procédure, qu’il est approprié d’ordonner que ces deux demandes soient réunies avec effet immédiat.

Abus de procédure – Conduite répréhensible

[10] L’analyse de l’allégation de conduite répréhensible formulée par le ministre exige d’abord que la Cour examine les déclarations faites par chaque demandeur (ou son représentant) au sujet de son conjoint dans sa propre demande de permis d’études et devant la Cour dans le cadre de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

Déclarations faites par ou au nom de Deborah Adepoju au sujet d’Ayodeji Adeyanju

[11] Dans la lettre datée du 27 mai 2021 qu’elle a transmise à IRCC à l’appui de sa demande de permis d’études (pièce A de l’affidavit déposé à l’appui de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire), la demanderesse a écrit ce qui suit :

[traduction]

Liens avec le pays d’origine

J’ai des liens très forts et non négociables avec mon pays d’origine, le Nigéria, qui est mon pays de résidence actuel. Ces liens s’articulent autour de mes responsabilités professionnelles et familiales. J’ai tissé des liens familiaux avec les membres de ma famille. Mon mari réside au Nigéria et occupe un emploi rémunéré dans une entreprise de construction. Il a également effectué d’importants investissements dans l’immobilier. Nous sommes mariés depuis près d’un an maintenant et nous avons un lien très fort. Mon mari me soutient beaucoup dans mes objectifs de carrière, et il s’est engagé à parrainer mes études au Canada […] Il me manquera beaucoup pendant mes études au Canada. J’ai aussi des parents âgés au Nigéria qui nous offrent un grand soutien à mon mari et à moi. Je considère que la décision de partir loin de ma famille pendant un certain temps est le prix à payer pour acquérir plus de compétences et mieux me préparer à ma carrière. J’ai hâte de reprendre mes responsabilités à mon retour.

[Non souligné dans l’original.]

[12] L’avocat de Deborah Adepoju a écrit à IRCC le 3 juin 2021 (pièce A de l’affidavit de la demanderesse déposé à l’appui de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire) et a affirmé ce qui suit : [TRADUCTION] « Elle a de solides liens familiaux dans son pays d’origine. Son mari et ses proches parents résident au Nigéria et constituent un important système de soutien pour elle. »

[13] Au paragraphe 12 de l’affidavit qu’elle a souscrit le 13 janvier 2022 et qu’elle a déposé à l’appui de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, Deborah Adepoj a déclaré ce qui suit :

[traduction]

En outre, je réside au Nigéria avec des proches et des membres de ma famille. J’ai fourni des documents qui prouvent que ma famille possède des biens immobiliers et qu’elle est bien établie dans mon pays d’origine. Aucun membre de ma famille ne réside au Canada et je n’y ai pas de liens familiaux; pourtant, l’agent des visas a rejeté ma demande en invoquant des liens familiaux au Canada et dans mon pays de résidence.

[14] Dans le formulaire « Informations sur la famille » d’IRCC qui doit être présenté avec la demande de permis d’études, les demandeurs doivent fournir la liste de tous les membres de leur famille et répondre à la question « Vous accompagnera au Canada? » en cochant la case « Oui » ou « Non ». Dans sa demande de permis d’études, Deborah Adepoju a fourni le nom d’Ayodeji Adeyanju et a indiqué qu’il l’accompagnera au Canada.

Déclarations faites par ou au nom d’Ayodeji Adeyanju au sujet de Deborah Adepoju

[15] Dans la lettre datée du 2 juin 2021 qu’il a transmise à IRCC à l’appui de sa demande de permis d’études (pièce A de l’affidavit déposé à l’appui de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire), le demandeur a écrit ce qui suit :

[traduction]

Liens avec le pays d’origine

J’ai des liens très forts et non négociables avec mon pays d’origine, le Nigéria, qui est mon pays de résidence actuel. Ces liens s’articulent autour de mes responsabilités professionnelles et familiales, ainsi que des investissements que je possède. J’ai tissé des liens familiaux avec les membres de ma famille. Ma femme réside au Nigéria et occupe un emploi rémunéré de biochimiste clinicienne. Nous sommes mariés depuis près d’un an maintenant et nous avons un lien très fort. J’ai aussi des parents âgés au Nigéria qui nous offrent un grand soutien à ma femme et à moi. Je considère que la décision de partir loin de ma famille pendant un certain temps est le prix à payer pour acquérir plus de compétences et mieux me préparer à ma carrière. En outre, j’ai investi massivement dans l’immobilier (comme il est indiqué ci‑dessus) dans mon pays d’origine. J’ai hâte de reprendre mes responsabilités à mon retour.

[Non souligné dans l’original.]

[16] L’avocat d’Ayodeji Adeyanju a écrit à IRCC le 3 juin 2021 (pièce A de l’affidavit du demandeur déposé à l’appui de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire) et a affirmé ce qui suit : [TRADUCTION] « M. Adeyanju est un homme qui accorde beaucoup d’importance à sa famille et dont la femme et les parents âgés résident tous au Nigéria. »

[17] Un certain nombre d’observations sont présentées dans son mémoire de faits et du droit concernant la femme du demandeur et leur relation :

[traduction]

20. Le demandeur n’a jamais mentionné qu’il avait des liens familiaux au Canada. Dans les notes du SMGC, l’agent des visas n’a fait aucune référence à des liens familiaux au Canada ni à une quelconque analyse à cet égard. Le demandeur ne peut que s’interroger sur la façon dont l’agent des visas a conclu qu’il ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour en raison de ses liens familiaux au Canada. La seule conclusion logique que l’on puisse en tirer est que l’agent des visas n’a pas examiné les documents présentés par le demandeur à l’appui de sa demande, mais qu’il s’est appuyé sur des éléments de preuve extrinsèques ou en a importé pour rendre sa décision.

[…]

22. L’agent des visas a également fondé sa décision sur les liens familiaux du demandeur dans son pays d’origine. Rien dans les notes du SMGC ne vient étayer cette conclusion. L’agent des visas a mentionné que le demandeur venait de se marier et qu’il n’était pas convaincu que le demandeur laisserait sa jeune famille derrière lui. Le demandeur fait valoir que le fait qu’il ait une jeune famille démontre à plus forte raison qu’il a des liens familiaux forts dans son pays d’origine et qu’il y retournera à la fin de ses études.

[…]

31. Dans la lettre de refus, l’agent des visas a déclaré ce qui suit :

Je ne suis pas convaincu que vous disposez, sans qu’il vous soit nécessaire d’exercer un emploi au Canada, de ressources financières suffisantes pour subvenir à vos propres besoins et à ceux des membres de votre famille qui vous accompagnent durant vos études, comme l’exige l’alinéa 220b) de la LIPR [sic]. [Non souligné dans l’original.]

32. Parallèlement, les notes du SMGC ne mentionnaient pas que le demandeur devait être accompagné par un membre de sa famille. Le demandeur lui‑même n’a pas indiqué qu’il devait être accompagné. Cela démontre que l’agent des visas n’a pas examiné la demande du demandeur, mais qu’il a mal interprété les faits qui lui étaient présentés et a importé des faits extrinsèques dans la demande.

[18] Aux paragraphes 10 et 11 de l’affidavit qu’il a souscrit le 4 janvier 2022 et qu’il a déposé à l’appui de la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, Ayodeji Adeyanju a déclaré ce qui suit :

[traduction]

La somme totale de mes économies, que j’ai indiquée dans ma preuve des ressources financières (un total de 59 072,06 $ CA), est suffisante et disponible pour mes études. En tant qu’étudiant qui n’a pas d’enfant à charge et qui ne sera pas accompagné par sa femme, ladite somme est plus que suffisante pour mes études au Centennial College.

En dépit de mes relevés de banque qui démontrent que je possède suffisamment de ressources financières pour mes études et de la preuve qui démontre que je suis propriétaire de biens immobiliers, l’agent des visas a rejeté ma demande en raison de « [mes] actifs personnels et de [ma] situation financière ». De plus, je n’ai pas demandé à être accompagné d’un membre de ma famille, mais l’agent des visas a rejeté ma demande au motif que mes ressources financières ne seraient pas suffisantes pour moi et les membres de ma famille qui m’accompagneraient.

[Non souligné dans l’original.]

[19] Dans le formulaire « Informations sur la famille » qu’il a présenté avec sa demande de permis d’études, Ayodeji Adeyanju a indiqué le nom de Deborah Adepoju et a précisé qu’elle l’accompagnera au Canada.

Explications sur les renseignements fournis par Deborah Adepoju et Ayodeji Adeyanju

[20] Deborah Adepoju a déposé un affidavit en réponse à la présente requête. Elle a déclaré qu’Ayodeji Adeyanju est son mari et a affirmé que les faits énoncés dans leurs demandes respectives sont véridiques :

[traduction]

4. Mon mari et moi avons demandé un permis d’études simultanément et nous avons indiqué dans notre formulaire « Informations sur la famille » que nous serons accompagnés au Canada par notre conjoint. Nous avons également indiqué dans nos lettres d’explication individuelles pour notre permis d’études que notre conjoint restera au Nigéria pour servir de lien avec notre pays d’origine.

5. Les faits présentés dans nos demandes sont véridiques et ils sont parfaitement logiques; en effet, aucune loi n’oblige le titulaire d’un permis d’études à se rendre au Canada. Notre intention était la suivante : celui des deux qui obtiendrait un permis d’études allait se rendre au Canada pour étudier, tandis que l’autre resterait au Nigéria pour servir de lien avec le pays d’origine.

6. Par ailleurs, le conjoint qui resterait au Nigéria pourrait ensuite demander un permis de travail puisque les conjoints d’étudiants ont le droit de demander un permis de travail ouvert. Le fait que nous ayons affirmé que l’un d’entre nous resterait au Nigéria ne rend pas ce conjoint inadmissible et ne l’empêche pas de demander un permis de travail en tant que conjoint d’un étudiant. Notre conduite n’est pas répréhensible puisque notre projet ne contrevient à aucune loi sur l’immigration connue au Canada.

7. Nous avons décidé de demander un permis d’études simultanément parce que nous savions que la probabilité que nos demandes soient accueillies était faible étant donné qu’IRCC a des préjugés à l’égard des Nigérians, comme le démontre le rapport disponible à l’adresse https://epe.lac-bac.gc.ca/100/200/301/pwgsc-tpsgc/por-ef/immigration_refugees/2021/122-20-f/POR_122-20-Final_Report_FR.htm. Une recherche du mot « Nigéria » dans le document de ce lien Internet montre trois situations où il a été établi qu’IRCC a entretenu des préjugés sociaux envers les Nigérians.

[Caractères gras dans l’original.]

[21] Le paragraphe 4 de cet affidavit est contradictoire : on ne peut pas « accompagner » l’autre au Canada tout en restant au Nigéria. Dans son sens habituel et ordinaire, le mot « accompagner » signifie « [s]e joindre à (qqn) pour aller où il va en même temps que lui, aller de compagnie avec » (Le Petit Robert de la langue française, 2022). Il n’a pas le sens de rejoindre quelqu’un à une date ultérieure. Les paragraphes suivants ne traitent pas directement de cette contradiction importante et manifeste.

[22] La Cour souligne également, tout comme le ministre, que le document mentionné au paragraphe 7 de cet affidavit est postérieur aux demandes de permis. En tout état de cause, les allégations de préjugés raciaux ne sont pas pertinentes pour la question dont notre Cour est saisie dans le cadre de la présente requête ou du contrôle judiciaire.

[23] Comme il est indiqué ci‑dessus, le ministre fait valoir que ce couple a présenté simultanément des demandes distinctes d’autorisation et de contrôle judiciaire [traduction] « dans lesquelles il présente des éléments de preuve et des arguments contradictoires et trompeurs ». Il fait valoir que [traduction] « le fait pour des conjoints de tromper la Cour avec l’aide du même avocat constitue un abus de procédure ».

[24] En réponse à l’explication maintenant donnée par Deborah Adepoju, selon laquelle il était toujours possible que les conjoints soient ensemble au Canada, le ministre répond que [traduction] « cette affirmation est démentie par les déclarations claires faites à l’effet contraire par son mari dans son exposé des arguments ». Le ministre s’appuie en particulier sur deux déclarations qui y figurent :

[traduction]

Dans l’exposé des arguments du mari de la demanderesse, celui‑ci emploie des termes on ne peut plus clairs pour confirmer qu’il viendrait seul au Canada. Au paragraphe 32 de son exposé, il affirme que « le demandeur lui‑même n’a pas indiqué qu’il devait être accompagné ». Au paragraphe 50, il fait valoir que « […] l’agent des visas a prétendu que le demandeur serait accompagné par des membres de sa famille alors que ce n’était pas le cas ».

[Caractères gras dans l’original.]

[25] Le ministre répond en outre que Deborah Adepoju [traduction] « a également omis d’expliquer ce qu’elle et son mari auraient fait s’ils avaient tous deux réussi à obtenir un permis d’études en prétendant qu’ils viendraient seuls au Canada ».

Analyse

[26] Bien qu’ils aient coché une case sur le formulaire de demande indiquant que chaque demandeur serait accompagné d’un conjoint, je suis convaincu, compte tenu des déclarations reproduites ci‑dessus, que les deux membres de ce couple ont déclaré à IRCC que leur conjoint resterait au Nigéria pour appuyer leurs affirmations selon lesquelles ils y retourneraient après la fin de la période d’études. Toutefois, ce « lien avec le pays d’origine » n’existe que tant que le conjoint reste au Nigéria. Eu égard aux documents qui m’ont été présentés, je suis également convaincu qu’ils ont toujours eu l’intention de venir ensemble au Canada d’une façon ou d’une autre.

[27] La réponse évidente à la question du ministre est que s’ils avaient tous les deux réussi à obtenir un permis d’études, ils seraient alors tous deux venus au Canada munis de leur permis respectif, qui aurait été obtenu, en partie, sous le faux prétexte qu’ils viendraient seuls au Canada.

[28] Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que ce couple a fait une présentation erronée sur la vraie nature de ses intentions lorsqu’il a présenté à IRCC des demandes de permis d’études. Cette présentation erronée a été portée devant la Cour par l’intermédiaire de leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire respective.

[29] Aux paragraphes 9 et 10 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2006 CAF 14, la Cour d’appel fédérale a précisé quand et dans quelles circonstances la Cour fédérale peut rejeter une demande de contrôle judiciaire, indépendamment du bien‑fondé de la demande :

La jurisprudence donne […] à entendre que, si la juridiction de contrôle est d’avis qu’un demandeur a menti, ou qu’il est d’une autre manière coupable d’inconduite, elle peut rejeter la demande sans la juger au fond ou, même ayant conclu à l’existence d’une erreur sujette à révision, elle peut refuser d’accorder la réparation sollicitée.

Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit s’efforcer de mettre en balance d’une part l’impératif de préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d’empêcher les abus de procédure, et d’autre part l’intérêt public dans la légalité des actes de l’administration et dans la protection des droits fondamentaux de la personne. Les facteurs à prendre en compte dans cet exercice sont les suivants : la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause, la nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable, la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier, l’importance des droits individuels concernés, enfin les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l’acte administratif contesté est confirmée.

[30] Comme il est indiqué ci‑dessus, je suis convaincu que Deborah Adepoju et Ayodeji Adeyanju se sont rendus coupables d’inconduite lorsqu’ils ont fait une présentation erronée sur leurs véritables intentions. Les demandeurs n’ont peut‑être pas l’obligation positive de révéler volontairement et complètement le fait que leur conjoint demande également un permis d’études; toutefois, ils ont l’obligation de ne pas dissimuler la situation réelle ou de ne pas présenter les demandes de manière trompeuse.

[31] Je considère qu’il s’agit d’une inconduite très grave. Les demandeurs de permis d’études cherchent à obtenir du Canada le droit de venir ici à des fins d’éducation. L’alinéa 216(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, porte qu’un « agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle », il est établi que l’étranger « quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable ». Il est bien connu, et les guides opérationnels d’IRCC y font précisément référence, qu’un agent tiendra compte des obligations et des liens dans le pays d’origine. Il est évident que les demandeurs qui viennent au Canada sans laisser leur famille dans leur pays d’origine sont plus susceptibles d’avoir des difficultés à établir qu’ils y retourneront à la fin de leurs études. Un demandeur qui a des parents, un conjoint ou des enfants est plus susceptible d’établir des « liens » qui appuient une déclaration selon laquelle il retournera dans son pays d’origine.

[32] J’accepte l’argument du couple selon lequel le conjoint d’un étudiant étranger peut demander un permis de travail ouvert après que le conjoint est entré au Canada avec un permis d’études. Toutefois, je n’accepte pas son argument selon lequel cela [traduction] « explique pourquoi chacun des demandeurs a indiqué dans son formulaire d’informations sur la famille que son conjoint le rejoindra ultérieurement au Canada; ainsi, celui des deux qui obtiendrait le permis d’études serait accompagné de son conjoint, lequel aurait obtenu un permis de travail après qu’il aurait été statué sur la demande de permis d’études » [non souligné dans l’original]. J’estime que cette explication a été créée à postériori pour expliquer leur conduite autrement inexplicable, et qu’elle est dénuée de fondement. Premièrement, la question à laquelle ils ont répondu ne demande pas si le membre de la famille rejoindra le demandeur ultérieurement — elle demande si le membre de la famille accompagnera le demandeur. Deuxièmement, à aucun moment avant la présente requête l’un ou l’autre des conjoints n’a informé IRCC ou la Cour que son conjoint le rejoindrait ultérieurement. En fait, ils ont affirmé exactement le contraire à la Cour. Au paragraphe 32 de ses observations sur sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, Ayodeji Adeyanju a déclaré que [traduction] « lui‑même n’a pas indiqué qu’il devait être accompagné ». Au paragraphe 50, il a affirmé que [traduction] « [l]’agent des visas a prétendu qu’il serait accompagné par des membres de sa famille alors que ce n’était pas le cas ». Ayodeji Adeyanju ne peut pas affirmer tout et son contraire : soit Deborah Adepoju l’accompagnera, soit elle ne l’accompagnera pas.

[33] Les demandes de permis d’études et d’autres visas d’entrée au Canada sont tranchées en grande partie sur la foi des déclarations et des éléments de preuve des demandeurs. Par conséquent, il est dans l’intérêt public de veiller à ce que les demandeurs soient honnêtes et fassent des déclarations claires et directes aux personnes chargées d’évaluer ces demandes. Il est donc très important de dissuader d’autres personnes d’adopter le même type de conduite que ce couple.

[34] Un non‑citoyen n’a pas le droit d’entrer au Canada pour étudier ou pour obtenir un permis d’études. Le rejet des demandes de contrôle judiciaire de ce couple ne porte qu’une atteinte minime à leurs droits. De plus, après avoir examiné les deux dossiers de la Cour dans leur intégralité, je suis convaincu qu’il s’agit de demandes très faibles qui avaient peu de chances d’être accueillies.

[35] Pour ces motifs, j’estime qu’il est approprié de rejeter ces demandes parce qu’elles constituent un abus de procédure.

Conclusion

[36] La présente requête sera accueillie et les deux demandes seront réunies. Les demandes seront rejetées parce qu’elles constituent un abus de procédure.

[37] Le ministre demande des dépens de 750 $ pour chacune des demandes rejetées et a fourni un projet de mémoire de dépens. Cette somme doit être considérée comme raisonnable puisqu’il s’agit exactement du montant que Deborah Adepoju et Ayodeji Adeyanju demandent qu’on leur accorde advenant le rejet de la présente requête.

[38] L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, dispose que les demandes d’autorisation ne donnent pas lieu à des dépens, « [s]auf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales ».

[39] Même si j’ai conclu que la conduite de Deborah Adepoju et d’Ayodeji Adeyanju était fortement répréhensible, je ne suis pas convaincu qu’elle atteigne le niveau requis pour constituer une raison spéciale de s’écarter de la norme. Par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés.

 


ORDONNANCE DANS LES DOSSIERS IMM‑8484‑21 et IMM‑8487‑21

LA COUR ORDONNE que la requête est accueillie, que les dossiers de la Cour IMM‑8484‑21 et IMM‑8487‑21 sont réunis avec effet immédiat, que les deux demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire sont rejetées avec préjudice et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Karine Lambert


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑8484‑21

 

INTITULÉ :

DEBORAH BUKUNMI ADEPOJU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

DOSSIER :

IMM‑8487‑21

 

INTITULÉ :

AYODEJI OLUWATOSIN ADEYANJU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 mars 2022

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Abayomi Ogayemi

POUR LES DEMANDEURS

Alexander Menticoglou

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ogayemi Law Firm

Avocat et notaire public

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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