Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220411


Dossier : IMM-2308-21

Référence : 2022 CF 517

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2022

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

MUHAMMAD ASIM

RAIZA ASIM

AYAT FATIMA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Muhammad Asim, son épouse et leur enfant mineure sont des citoyens du Pakistan. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue le 16 mars 2021 par la Section d’appel des réfugiés [SAR], qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], selon laquelle ils n’ont ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[2] Les demandeurs affirment qu’ils courent un risque au Pakistan, car des membres d’un groupe mafieux veulent retrouver le demandeur pour lui faire payer la dette de jeu contractée par son frère décédé. Les demandeurs craignent également un imam, qui, à leurs dires, a accusé le demandeur d’avoir insulté l’islam.

[3] Plus précisément, ils allèguent que le demandeur a commencé à travailler en Chine en 2002. Pendant cette période, son frère, qui vivait au Pakistan, aurait contracté auprès d’un groupe mafieux une importante dette de jeu qu’il n’a pas pu rembourser. Le frère du demandeur a survécu à une tentative d’assassinat en 2012, mais il a finalement succombé à ses blessures en avril 2013. Lorsque le demandeur est retourné au Pakistan au cours de ce même mois pour assister aux funérailles de son frère, un membre du groupe mafieux l’a abordé et lui a accordé un délai de deux (2) ans pour rembourser la dette de son frère, faute de quoi le groupe le tuerait également. Le demandeur est rentré en Chine pour reprendre son travail en juillet 2013.

[4] Le demandeur est revenu au Pakistan en janvier 2014 pour s’y marier. Il est resté dans ce pays pendant deux (2) mois avant de retourner seul en Chine. En février 2015, il est retourné de nouveau au Pakistan. Le 1er mars 2015, il a reçu un appel du groupe mafieux, qui lui a intimé de régler une partie de la dette de son frère. Quatre (4) jours plus tard, il a été abordé par des inconnus qui lui ont réclamé l’argent. Lorsque le demandeur leur a dit qu’il ne l’avait pas, il a été battu et a dû être hospitalisé pendant deux (2) jours. Il est ensuite reparti en Chine avec sa femme, tandis que le reste de sa famille a déménagé dans une autre ville du Pakistan.

[5] Le demandeur est retourné au Pakistan, d’abord de novembre 2015 à août 2016, puis de décembre 2016 à juillet 2017. Lors de ces séjours, il logeait chez ses parents et fréquentait la mosquée locale. Le 21 juillet 2017, le demandeur a reçu un appel du chef de la mafia au cours duquel ce dernier a menacé de le tuer s’il ne remboursait pas la totalité de la dette. Le même jour, l’imam de la mosquée locale, qui travaillait pour l’organisation criminelle, a exigé que le demandeur lui verse le paiement de la dette. Après qu’une altercation ait éclaté, le demandeur s’est rendu chez un ami, mais il a ensuite été agressé par des hommes armés qui l’ont accusé d’avoir insulté l’islam.

[6] Craignant pour leur sécurité, les demandeurs sont retournés en Chine le 23 juillet 2017. Après avoir appris que le demandeur avait perdu son emploi, ils sont partis et ont transité par les États-Unis pour se rendre au Canada, où ils sont arrivés le 8 septembre 2017 et ont demandé l’asile.

[7] Le 21 janvier 2020, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs. Elle a jugé que le demandeur n’était pas crédible, car ses agissements ne reflétaient pas la peur qu’il prétendait éprouver. La SPR a également relevé dans le témoignage du demandeur plusieurs incohérences et omissions qu’il n’a pas été en mesure d’expliquer de façon convaincante. Elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à démontrer que leurs vies seraient en péril s’ils devaient retourner au Pakistan.

[8] Les demandeurs ont interjeté appel de la décision rendue par la SPR devant la SAR. Ils ont fait valoir que : (1) la SPR avait fait abstraction des explications fournies par le demandeur quant aux raisons de ses visites au Pakistan; (2) elle n’avait pas pris en compte le fait que le demandeur était nerveux, ce qui l’avait conduit à omettre des faits essentiels lors de son témoignage; (3) elle n’avait pas adéquatement tenu compte des motifs sur lesquels repose la crainte qu’inspire aux demandeurs la plainte de nature religieuse visant le père de famille. Les demandeurs ont cherché à faire admettre deux documents, dont une lettre d’un médecin datée du 6 février 2020. Cette lettre indiquait que le demandeur suivait un traitement contre l’anxiété et la dépression, et que l’anxiété dont il souffrait était susceptible d’avoir des répercussions sur son témoignage.

[9] La SAR a rejeté l’appel des demandeurs et a confirmé la décision de la SPR portant que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger. Pour commencer, la SAR a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs. Ensuite, elle a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle le fondement de leur demande d’asile n’était pas crédible en raison des multiples séjours qu’ils avaient effectués au Pakistan pendant la période où ils affirmaient y être exposés à un risque. À l’instar de la SPR, la SAR a jugé que le témoignage du demandeur sur la question de savoir si des menaces avaient réellement été proférées contre ses parents ou sa famille était contradictoire et changeant, et a conclu que les contradictions entre le témoignage du demandeur et l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA] étaient importantes et ne pouvaient être attribuées de façon crédible à la nervosité ou à l’anxiété. En outre, la SAR n’a pas cru que le demandeur avait reçu un appel de l’imam local, qui aurait agi pour le compte du groupe mafieux, ni que le demandeur avait tenu des propos durs sur ses croyances religieuses au cours de cet appel. Enfin, la SAR a conclu que les éléments de preuve corroborants présentés par les demandeurs ne suffisaient pas à établir la crédibilité de leur demande d’asile.

[10] Les demandeurs soulèvent deux questions dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Selon eux, la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve et lorsqu’elle a analysé le témoignage des demandeurs.

II. Analyse

A. La norme de contrôle

[11] Les conclusions de la SAR en matière de crédibilité et son refus d’admettre les nouveaux éléments de preuve sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], aux paras 10, 16-17; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh], au para 29).

[12] La cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable cherche à savoir si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, au para 99). La décision doit « être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » (Vavilov, au para 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable, et la cour de révision doit être convaincue « que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

B. Les nouveaux éléments de preuve

[13] Les demandeurs ont cherché à faire admettre deux nouveaux documents devant la SAR, mais ils ne contestent que la conclusion de la SAR selon laquelle la lettre rédigée par le médecin du demandeur était inadmissible.

[14] Avant de refuser d’admettre cette lettre comme nouvel élément de preuve, la SAR a constaté qu’il y était indiqué que le demandeur suivait un traitement contre l’anxiété et la dépression, qu’il pouvait devenir anxieux à la moindre occasion et que cette anxiété était susceptible de perturber son témoignage. La SAR a également tenu compte de l’explication du demandeur selon laquelle il ne lui aurait pas été loisible de présenter cette lettre à la SPR puisque la question de sa capacité à témoigner ne s’est posée qu’à l’audience. La SAR a déclaré qu’elle ne retenait pas cette explication et elle a ajouté que la lettre n’était pas pertinente, puisque le médecin n’avait pas précisé en quoi le témoignage du demandeur pouvait être perturbé lors d’une audience. La SAR a convenu que certaines personnes pouvaient éprouver des difficultés au moment de témoigner et mentionné qu’elle en tiendrait compte dans son analyse des conclusions de la SPR, mais elle a souligné que la lettre du médecin ne contenait aucune information précise quant à la nature des difficultés que le demandeur était susceptible d’éprouver, comme, par exemple, des pertes de mémoire ou une certaine confusion concernant les dates. Étant donné que la lettre ne permettait pas comprendre en quoi consistaient les difficultés spécifiques auxquelles le demandeur risquait d’être confronté lors de son témoignage, la SAR a refusé de l’admettre en preuve. La SAR a également observé que, bien que le demandeur ait fait référence aux Directives numéro 8 du président : Procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR [les Directives], il n’avait pas présenté de demande pour être reconnu comme personne vulnérable. La SAR a pris acte du fait qu’une personne pouvait être désignée comme étant vulnérable à toutes les étapes de la procédure devant la CISR, mais elle a conclu que la preuve dont elle disposait ne donnait pas à penser que le demandeur était une personne vulnérable devant bénéficier de mesures d’adaptation particulières.

[15] Les demandeurs soutiennent que la SAR était uniquement tenue de décider si l’élément de preuve était pertinent. Selon eux, le fait qu’un élément de preuve ne soit pas assez précis a une incidence sur le poids qu’il convient de lui accorder, et non sur son admissibilité. Ils affirment que la lettre était pertinente quant à l’une des questions principales que soulevait leur demande d’asile, à savoir celle de la crédibilité, et que le refus par la SAR de l’admettre comme nouvel élément de preuve avait pour effet de vicier sa décision.

[16] Je ne suis pas d’accord.

[17] Le paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, dispose que l’appelant « ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient pas alors normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’[il] n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet ».

[18] Outre les conditions légales explicites, la SAR doit vérifier si les conditions implicites d’admissibilité énoncées par la Cour d’appel fédérale, soit la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, sont remplies (Singh, aux para 34-38; Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza], au para 13).

[19] Pour évaluer la pertinence du nouvel élément de preuve, la SAR était tenue de vérifier si celui-ci était « apte à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile » (Singh, au para 38; Raza, au para 13). C’est exactement ce qu’a fait la SAR lorsqu’elle a conclu que la lettre du médecin n’était pas pertinente parce qu’elle ne contenait aucune information précise sur les répercussions que l’état du demandeur aurait pu avoir sur son témoignage. La SAR a essentiellement jugé que la lettre du médecin ne prouvait ni ne réfutait les conclusions de la SPR en matière de crédibilité. Non seulement la lettre n’est pas suffisamment précise, mais je constate également que les observations présentées par les demandeurs en appel n’expliquent pas non plus les difficultés particulières que le demandeur a pu éprouver lors de son témoignage.

[20] Il incombait aux demandeurs de démontrer que les nouveaux éléments de preuve étaient admissibles (Abdi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 54 au para 24). En l’absence de toute explication sur les répercussions que l’anxiété du requérant a eues sur son témoignage et, partant, sur les conclusions de la SPR en matière de crédibilité, la SAR pouvait raisonnablement conclure que la preuve n’était pas pertinente et qu’elle était donc inadmissible.

[21] Les demandeurs invoquent la décision Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 438 [Khan] pour faire valoir que, bien que la SAR ait jugé que le nouvel élément de preuve ne satisfaisait pas entièrement aux critères applicables, il ne pouvait être considéré comme étant dépourvu de pertinence. Dans la décision Khan, la Cour a conclu que la SAR devait « expliquer adéquatement pourquoi la nouvelle preuve directement liée aux éléments centraux d’une demande d’asile ne peut pas être acceptée » (Khan, au para 34). Après avoir examiné les motifs de la SAR, je suis convaincue que c’est ce qu’elle a fait en l’espèce.

[22] L’appel interjeté devant la SAR ne constitue pas une seconde chance de soumettre une preuve destinée à corriger les lacunes relevées par la SPR (Khan, au para 28; Eshetie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1036 au para 33; Abdullahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 260 au para 15). Le médecin a indiqué dans sa lettre qu’il traitait le demandeur depuis le 22 juin 2019. Or, l’audience devant la SPR a eu lieu le 20 décembre 2019. Les problèmes d’anxiété du demandeur devaient donc déjà exister au moment de cette audience. Si l’anxiété du demandeur risquait de miner sa capacité à témoigner, il aurait pu demander à être déclaré personne vulnérable conformément à la Directive, comme l’a raisonnablement fait remarquer la SAR.

[23] Les conclusions quant à l’admissibilité d’un élément de preuve appellent la déférence de la Cour (Khan, au para 32). Compte tenu des circonstances de l’espèce, je ne suis pas convaincue que la conclusion de la SAR était déraisonnable.

C. Les conclusions en matière de crédibilité

[24] Les demandeurs font valoir que la SAR n’a pas tenu compte de leurs explications concernant leurs multiples séjours au Pakistan. Ils soutiennent que la preuve démontre clairement que la plupart de leurs visites ont eu lieu à l’occasion d’événements marquants de leur vie, tels que le mariage des demandeurs adultes et la naissance de leur enfant, et qu’elles étaient motivées par la volonté du demandeur de consacrer plus de temps à son père. Ils soutiennent que les raisons qu’ils ont invoquées pour justifier leurs séjours au Pakistan n’étaient en rien invraisemblables.

[25] Les demandeurs prétendent également que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a analysé le témoignage du demandeur au sujet des menaces qui pèsent sur sa famille. Ils soutiennent que la SAR a rejeté en bloc la version des faits présentée par le demandeur en se fondant sur une seule réponse qui portait sur une discussion qu’il a eue avec ses parents à la suite de l’agression survenue en mars 2015, et qui ne concordait pas avec son formulaire FDA. Ils soutiennent qu’il n’y avait pas là de véritable contradiction et affirment que l’analyse de la SAR est inintelligible et que la décision ne fait pas état d’une analyse logique.

[26] Finalement, les demandeurs soutiennent que la SAR a effectué une analyse déraisonnable de la plainte de nature religieuse. Selon eux, plutôt que de rejeter la preuve corroborante qu’ils ont présentée au motif que le témoignage antérieur n’était pas crédible, la SAR aurait dû examiner la preuve documentaire sans tenir compte de ses doutes quant à la crédibilité.

[27] Les arguments des demandeurs ne sont pas fondés.

[28] En ce qui concerne les nombreux séjours des demandeurs au Pakistan, il est de droit constant que le fait de retourner volontairement dans un pays où l’on craint d’être persécuté constitue un comportement incompatible avec une crainte subjective de persécution (Sujia Rodriguez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 142 au para 19; Hartono c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 601 au para 20; Milovic c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1008 au para 11).

[29] Les demandeurs s’appuient les décisions Gebremichael c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 547, et Anwar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1077, pour faire valoir qu’un décideur ne peut pas conclure à une absence de crainte subjective simplement parce que le demandeur confronté à l’adversité espère que la situation s’améliorera ou parce qu’il n’a pas la même perception du risque. Ils soutiennent qu’en l’espèce, le demandeur agissait en étant convaincu qu’il n’avait rien fait de mal et que, par conséquent, il ne devrait pas changer la manière dont il menait sa vie. Ils affirment que leur point de rupture a été atteint en juillet 2017, lorsque la mafia a proféré des menaces qui se sont muées en une plainte de blasphème.

[30] Je conviens que les séjours du demandeur dans son pays d’origine pouvaient paraître raisonnables avant l’expiration du délai de deux ans à l’issue duquel il devait rembourser la dette de son frère au groupe mafieux. Toutefois, la SAR a raisonnablement jugé peu crédibles les explications avancées par les demandeurs pour justifier les visites qu’ils ont effectuées au Pakistan après que le demandeur a été menacé et battu en mars 2015 pour avoir refusé de rembourser une partie de cette dette. La SAR a souligné que les créanciers du frère du demandeur avaient mis leurs menaces à exécution lorsque le demandeur avait omis de régler la dette à l’expiration du délai de grâce de deux ans. La SAR a également pris note du fait qu’après avril 2015, les demandeurs n’ont passé que quelques mois en Chine et qu’ils ont séjourné au Pakistan pendant de longues périodes. La SAR n’a tout simplement pas jugé crédible leur récit selon lequel ils ont continué de retourner au Pakistan en dépit de menaces explicites qui devenaient de plus en plus graves. La SAR a examiné toutes les explications avancées par les demandeurs quant à leurs nombreux séjours au Pakistan et a fourni des motifs détaillés et approfondis pour justifier la raison pour laquelle elle jugeait que ces explications étaient incompatibles avec la peur qu’ils affirmaient éprouver. Bien que les demandeurs puissent être en désaccord avec le jugement que la SAR a porté sur leurs explications, ils ne m’ont pas convaincue qu’elle a commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse.

[31] En ce qui concerne les menaces proférées à l’encontre des parents ou de la famille du demandeur, la SAR n’a pas rejeté l’intégralité du récit des demandeurs sur le fondement d’une seule réponse donnée par le demandeur lors de son témoignage. Elle a plutôt rejeté leur argument selon lequel la SPR aurait accordé une importance excessive à l’omission du demandeur de mentionner, lors de son témoignage, que ses parents avaient déménagé dans une autre ville pour se mettre à l’abri après l’agression survenue en mars 2015. La SAR a noté que le demandeur avait donné une réponse différente de celle fournie dans son exposé circonstancié, et a estimé qu’il y avait une contradiction majeure dans le fait de déclarer à la fois que, d’une part, les agressions survenues en mars 2015 n’avaient suscité aucune discussion importante et, que, d’autre part, la crainte ressentie par la famille l’avait incitée à déménager. La SAR a également tiré une conclusion défavorable de l’omission du demandeur de mentionner que ses parents avaient déménagé afin d’échapper à d’autres criminels qui les importunaient également pour qu’ils remboursent la dette de son frère. La SAR a estimé que cet élément aurait mérité d’être mentionné, car il se rapportait aux motifs qui avaient conduit les demandeurs à demander l’asile. Enfin, la SAR a avalisé la conclusion de la SPR selon laquelle le témoignage du demandeur sur cette question était à la fois incohérent et changeant.

[32] Les demandeurs peuvent certes être en désaccord avec la conclusion de la SAR selon laquelle les incohérences et les omissions relatives à la situation de la famille du demandeur ont miné la crédibilité de ce dernier, mais il n’appartient pas à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve qui leur soit favorable. Ils n’ont pas réussi à démontrer que la conclusion de la SAR au sujet de cet argument est déraisonnable.

[33] Enfin, la SAR n’a pas suivi un raisonnement tautologique ni inversé le raisonnement pour évaluer la crédibilité du demandeur. Elle ne s’est pas fondée sur le seul motif que le témoignage antérieur du demandeur n’était pas crédible pour rejeter la preuve corroborante présentée par les demandeurs. La SAR a plutôt conclu que l’affidavit souscrit par l’ami du demandeur, qui avait été présenté afin de corroborer l’incident impliquant l’imam, n’était pas crédible, car le déposant n’avait une connaissance personnelle que du fait que le demandeur s’était caché chez lui le 21 juillet 2017. Les autres éléments d’information que contenait l’affidavit étaient identiques aux allégations du demandeur. La SAR a conclu que les informations dont le déposant avait une connaissance personnelle étaient insuffisantes à elles seules pour prouver les autres allégations des demandeurs.

[34] De même, la SAR a estimé que la lettre rédigée par l’avocat ne suffisait pas non plus à elle seule à étayer les allégations des demandeurs au sujet de l’imam ou de la dette contractée par le frère du demandeur. La SAR a constaté que la SPR avait fait observer que l’avocat affirmait dans sa lettre avoir été chargé de vérifier si un premier rapport d’information [PRI] avait été déposé contre le demandeur; or, le demandeur a déclaré lors de son témoignage que ni lui ni son père n’avaient signalé à la police l’agression survenue en mars 2015, que ni l’un ni l’autre n’avait envisagé de solliciter les conseils d’un avocat, et qu’il n’avait pas expliqué au personnel de l’hôpital comment il s’était blessé, car il craignait des représailles de la part du groupe mafieux.

[35] La SAR a également examiné le contenu de la lettre. Celle-ci indiquait qu’une plainte informelle de nature religieuse avait été déposée contre le demandeur, mais aucune plainte formelle n’était en cours d’instruction et le demandeur n’avait fait l’objet d’aucun PRI. La SAR a également noté que la lettre indiquait qu’un agent de police local avait probablement été soudoyé et qu’il était dans l’intérêt du demandeur de se tenir à l’écart. La SAR a estimé que même si l’avocat avait dit vrai et que même si un agent de la police locale avait été soudoyé, les demandeurs n’avaient pas présenté d’éléments crédibles qui auraient permis d’expliquer les raisons de tels agissements. La SAR a estimé que la lettre de l’avocat ne suffisait pas à établir la crédibilité des allégations relatives à l’imam ou à la dette de jeu du frère du demandeur.

[36] Je suis convaincue, après avoir passé en revue l’appréciation de la preuve faite par la SAR, qu’elle a évalué séparément la crédibilité de chaque document, et qu’il lui était raisonnablement loisible de conclure qu’aucun d’entre eux ne présentait de lien suffisant avec la demande d’asile des demandeurs.

[37] En conclusion, je suis convaincue que, lorsqu’elle est lue de façon globale et contextuelle, la décision de la SAR satisfait à la norme du caractère raisonnable établie dans l’arrêt Vavilov. Il convient de rappeler que la Cour doit fait preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions portant sur la crédibilité d’un demandeur et de l’évaluation de la preuve. Bien que les demandeurs puissent être en désaccord avec les conclusions de la SAR, il n’appartient pas à la Cour d’évaluer ou de soupeser à nouveau la preuve afin d’en tirer une conclusion qui serait favorable aux demandeurs (Vavilov, au para 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

[38] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2308-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2308-21

INTITULÉ :

MUHAMMAD ASIM ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

le 8 février 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA juge ROUSSEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 11 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

Pia Zambelli

POUR Les DEMANDEurs

 

Claudia Gagnon

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pia Zambelli

Montréal (Québec)

POUR Les DEMANDEurs

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.