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Date : 20220411


Dossier : IMM-7699-19

Référence : 2022 CF 520

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2022

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

AHED BADER ALDIN MOHAMMAD KHIR ALHOSSINY

ZAHIR MOHD HANI WASEF ABAZEH

FARAH ZAHIR MOHAD HANI ABAZEH

HAMZEH ZAHIR MOHAD HANI ABAZEH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs ont la double citoyenneté syrienne et jordanienne. Ils sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision du 28 mars 2019 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté leur demande d’asile. La question déterminante pour la SPR était la crédibilité.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SPR est raisonnable et rejette la demande de contrôle judiciaire.

I. Contexte

[3] Le demandeur principal, M. Abazeh, est né en Syrie et a étudié en Roumanie pour devenir chirurgien dentiste. Il a fondé un cabinet dentaire et s’est marié avec Mme Alhossiny en 2004. M. Abazeh et son épouse ont deux enfants, qui sont nés respectivement en 2008 et 2010.

[4] En 2012, à la suite du déclenchement de la guerre en Syrie, la famille a déménagé en Jordanie pour y commencer une nouvelle vie.

[5] M. Abazeh y a travaillé comme dentiste dans une clinique. À la mi-mai 2017, il a commencé à voir une nouvelle patiente (Mme Alfayez). Un jour, Mme Alfayez l’a serré dans ses bras. Le mari de Mme Alfayez, qui a été témoin de l’étreinte, s’est choqué et a agressé physiquement M. Abazeh. D’autres employés de la clinique sont intervenus pour mettre fin à l’incident. Par la suite, le propriétaire de la clinique dentaire a convoqué M. Abazeh pour l’avertir que le mari et les membres de la famille de Mme Alfayez allaient se rendre à son domicile.

[6] M. Abazeh affirme qu’il est parti avec sa famille se réfugier chez sa mère. Le lendemain matin, M. Abazeh a appelé à la clinique dentaire et a appris que le mari de Mme Alfayez était policier et qu’une quinzaine de personnes étaient venues à la clinique pour connaître son adresse. M. Abazeh a été avisé de ne pas revenir à la clinique pour sa sécurité.

[7] Le 13 juillet 2017, M. Abazeh et sa famille ont quitté la Jordanie et sont partis aux États-Unis. Le 17 août 2017, ils sont arrivés au Canada et ont demandé l’asile. Leur demande a été instruite le 10 janvier 2019.

II. La décision de la SPR

[8] La SPR a conclu qu’il y avait des contradictions dans le témoignage de M. Abazeh et de Mme Alhossiny en ce qui a trait à l’agent de persécution. Dans son témoignage de vive voix, M. Abazeh a déclaré qu’il craignait d’être persécuté par le clan Al-Fayez, auquel appartenait le mari de sa patiente. M. Abazeh a également déclaré que le clan Al-Fayez faisait partie d’une tribu puissante appelée Bani Sakhr. La SPR a souligné que ce détail n’était pas mentionné dans le formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA), dans lequel les demandeurs ont simplement allégué qu’ils craignaient d’être persécutés par le policier qui avait attaqué M. Abazeh à la clinique dentaire. Questionné sur les raisons pour lesquelles il n’avait pas explicitement fait mention de sa crainte du clan Al-Fayez ou de la tribu Bani Sakhr dans son formulaire FDA, M. Abazeh a déclaré qu’il ne s’en souvenait pas à ce moment-là.

[9] La SPR a également soulevé la question de l’utilisation d’une arme à feu durant l’attaque au cabinet dentaire et a fait remarquer que le témoignage selon lequel l’arme à feu appartenait au mari de la patiente était contradictoire. Lors de l’entrevue au point d’entrée, Mme Alhossiny a déclaré que le mari de la patiente avait « pointé » une arme à feu vers M. Abazeh durant l’incident à la clinique. Cependant, dans le témoignage de vive voix qu’il a donné à l’audience devant la SPR, M. Abazeh a corrigé la déclaration de son épouse et indiqué que le mari de la patiente n’avait pas pointé d’arme sur lui, mais qu’il portait simplement une arme à feu parce qu’il était policier.

[10] La SPR a aussi indiqué que les éléments de preuve concernant la date de l’attaque à la clinique étaient contradictoires. À l’audience devant la SPR, M. Abazeh a déclaré que l’incident était survenu [traduction] « au milieu du mois [de juin] », alors que durant l’entrevue au point d’entrée, Mme Alhossiny avait indiqué que l’incident s’était produit [traduction] « 15 jours » avant que la famille quitte la Jordanie, le 13 juillet 2017, ce qui correspondrait environ au 29 juin 2017.

[11] De plus, le témoignage de M. Abazeh au sujet de ses antécédents professionnels était contradictoire. M. Abazeh a déclaré qu’il avait travaillé à la clinique dentaire du Dr Samer Abu Nasir pendant un an et demi, de 2016 jusqu’à l’incident à la clinique survenu en juin 2017. Toutefois, dans son Annexe A, il a indiqué qu’il avait travaillé à la clinique pendant cinq ans, de mai 2012 à août 2017. Interrogé sur cette contradiction, M. Abazeh a affirmé qu’il avait mal compris le formulaire.

[12] Les demandeurs ont présenté un élément de preuve après l’audience, soit une lettre du propriétaire de la clinique. Selon la lettre, M. Abazeh a travaillé à la clinique de janvier 2016 à juin 2017 et, en juin 2017, le mari d’une patiente l’a battu. La lettre a également confirmé que le mari de la patiente s’était présenté par la suite à la clinique et cherchait M. Abazeh.

[13] La SPR n’a accordé aucun poids à la lettre, car elle était datée du 14 janvier 2017, soit six mois avant l’incident à la clinique, qui a eu lieu en juin 2017. La SPR a également souligné que la lettre était signée par le « Dr Samer » et que le nom de famille de l’auteur ne figurait pas dans la signature.

[14] Compte tenu des doutes décrits ci-dessus, la SPR a rejeté la demande d’asile pour des motifs de crédibilité.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[15] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[16] Les demandeurs soulèvent des questions quant au caractère raisonnable des conclusions de la SPR en matière de crédibilité à l’égard des points suivants :

a) l’identité de l’agent de persécution;

b) la date de l’attaque et la présence d’une arme à feu;

c) les antécédents professionnels.

[17] Les demandeurs soutiennent également qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de n’accorder aucun poids à l’élément de preuve qu’ils ont présenté après l’audience.

 

IV. Analyse

A. L’identité de l’agent de persécution

[18] Les demandeurs affirment que la SPR a trop mis l’accent sur des détails mineurs qui se voulaient explicatifs et sur lesquels elle n’aurait pas dû s’appuyer pour tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité.

[19] L’une des questions qui, selon le demandeur, constitue un détail mineur est l’identité de l’agent de persécution. Dans leur formulaire FDA, les demandeurs n’ont pas indiqué le nom de la tribu de l’homme qui a attaqué M. Abazeh. Toutefois, à l’audience devant la SPR, le demandeur a identifié le mari de la patiente comme un membre du clan Al-Fayez, qui est une faction de la tribu Bani Sakhr.

[20] L’attaque au cabinet dentaire est l’incident central qui sert de fondement à la demande d’asile des demandeurs. L’identité de l’agent de persécution est un élément essentiel de leur affirmation selon laquelle ils sont exposés à un risque et ont qualité de personne à protéger. La SPR n’a pas été convaincue que le demandeur principal aurait omis de nommer précisément l’agent de persécution dans le formulaire FDA. À cet égard, la SPR a adéquatement tenu compte de la preuve et des explications fournies, mais elle a conclu que l’identité était un détail important, dont l’absence a compromis la crédibilité du demandeur principal.

[21] Dans les circonstances, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que les demandeurs avaient commis une omission importante en ne mentionnant pas le nom de l’agent de persécution dans le formulaire FDA. Dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions de la SPR en matière de crédibilité.

[22] La conclusion défavorable de la SPR en matière de crédibilité sur cette question est donc raisonnable.

B. La date de l’attaque et la présence d’une arme à feu

[23] Les demandeurs font valoir que la SPR a mis l’accent sur des détails futiles lorsqu’elle a tiré une conclusion en matière de crédibilité en raison de leur manque de précision quant à la date de l’attaque au cabinet dentaire. Lors de l’audience, la SPR a demandé à M. Abazeh si l’attaque avait eu lieu [traduction] « au début, au milieu ou à la fin » du mois. M. Abazeh a répondu que l’attaque avait eu lieu [traduction] « au milieu » du mois de juin. Cependant, selon la déclaration de Mme Alhossiny lors de l’entrevue au point d’entrée, l’attaque aurait eu lieu le ou vers le 29 juin 2017.

[24] L’attaque au cabinet dentaire est l’événement central qui sert de fondement à la demande d’asile des demandeurs. C’est l’événement qui a amené les demandeurs à chercher refuge chez la mère du demandeur principal et à quitter la Jordanie. Par conséquent, il ne devrait y avoir aucun doute dans leur esprit quant à la date de l’événement déclencheur.

[25] À mon avis, il était raisonnable de la part de la SPR d’évaluer la crédibilité en fonction du manque de précision quant à la date de l’attaque.

[26] La présente affaire se distingue de l’affaire Cetinkaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 8 [Cetinkaya], dans le cadre de laquelle la Cour a conclu que le fait de « [mettre] en doute la crédibilité du demandeur simplement parce que les renseignements qu’il a fournis lors de l’entrevue au point d’entrée ne sont pas détaillés » constituerait une erreur susceptible de contrôle (au para 51). La date de l’attaque, qui a donné lieu à la demande d’asile, n’est pas un détail sans importance, mais constitue le fondement de la demande d’asile des demandeurs.

[27] Comme la Cour l’a expliqué dans la décision Guven c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 38, les contradictions entre la déclaration au point d’entrée et un témoignage ultérieur peuvent fonder les conclusions en matière de crédibilité lorsque « ces contradictions concernent les “éléments centraux” de la demande d’un demandeur » (au para 39). Selon moi, l’incapacité de préciser la date de l’attaque constitue un élément central de la demande des demandeurs.

[28] Les demandeurs soutiennent également qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de mettre en doute leur crédibilité en raison de la déclaration faite par Mme Alhossiny lors de l’entrevue au point d’entrée, selon laquelle une arme à feu a été pointée vers M. Abazeh durant l’attaque. Ils affirment qu’il s’agissait seulement d’un détail, que M. Abazeh a corrigé à l’audience. Certes, je conviens que, dans certaines circonstances, ce détail particulier pourrait ne pas être un motif suffisant pour mettre en doute la crédibilité d’un demandeur. Toutefois, en l’espèce, lorsque la présence d’une arme à feu est prise en compte dans l’ensemble du contexte factuel, ce n’est pas un détail mineur. La demande d’asile en l’espèce découle des circonstances de l’attaque. Par conséquent, les détails de cette attaque, dont le pointage d’une arme à feu par l’agent de persécution, ne peuvent être écartés sous prétexte qu’il s’agit de simples détails.

[29] Dans l’ensemble, compte tenu du contexte global, il était raisonnable de la part de la SPR de tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité à l’égard des détails de la demande des demandeurs.

C. Antécédents professionnels

[30] Je reconnais que les divergences dans les dates d’emploi peuvent s’expliquer par le fait que M. Abazeh ait mal compris les formulaires. Cependant, compte tenu des autres omissions et contradictions, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que l’explication de M. Abazeh sur ce point ne permettait pas de réfuter la conclusion défavorable générale en matière de crédibilité.

D. Élément de preuve présenté après l’audience

[31] Les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de n’accorder aucun poids à l’élément de preuve qu’ils ont présenté après l’audience. La SPR n’a pas admis la lettre du Dr Samer en partie en raison de sa date (janvier 2017). La SPR a envisagé la possibilité que cette date ne soit qu’une coquille, mais a conclu que, même si c’était le cas, le fait que la lettre ne mentionnait pas que le mari de la patiente était policier ou que les membres de la famille du policier étaient allés à la clinique avec lui a soulevé d’autres doutes chez elle. De plus, la SPR a fait remarquer que l’auteur n’avait pas mis son nom de famille dans la lettre.

[32] Bien que les doutes de la SPR quant à l’absence du nom de famille de l’auteur dans la signature de la lettre puissent être considérés comme le résultat de l’application de normes occidentales à l’évaluation de la preuve (You c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1010 au para 23), la SPR a mentionné que, même si elle avait accordé un certain poids à la lettre, cela n’aurait pas suffi en soi pour réfuter l’invraisemblance et les contradictions importantes dans les autres éléments de la demande. À mon avis, il s’agissait d’une conclusion raisonnable.

[33] Les observations des demandeurs reviennent à inviter la Cour à apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas son rôle dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Vavilov, au para 125). Dans l’ensemble, la décision de la SAR est raisonnable, et aucun motif ne justifie l’intervention de la Cour.

[34] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[35] Aucune des deux parties n’a proposé de question à certifier et aucune n’est certifiée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-7699-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7699-19

 

INTITULÉ :

ALHOSSINY c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JANVIER 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 11 AVRIL 2022

COMPARUTIONS :

Charles Steven

POUR LES DEMANDEURS

 

Margherita Braccio

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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