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Date : 20220420

Dossier : IMM-4121-20

Référence : 2022 CF 564

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2022

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

JIANGBO YIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Jiangbo Yin, est un citoyen de la Chine qui a demandé l’asile au Canada, au motif qu’il craignait d’être persécuté en raison de sa religion. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a débouté le demandeur de sa demande d’asile, et la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté son appel. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la SAR.

I. Le contexte

[2] Le demandeur affirme qu’un ami l’a initié au christianisme en septembre 2016, et qu’il a commencé à fréquenter une église clandestine à cette époque. Il est venu au Canada en mars 2017, et il y est resté quelques mois avant de rentrer en Chine. Il est revenu au Canada en décembre 2017. Il affirme qu’en janvier 2018, un ami se trouvant en Chine lui a dit que deux membres de son église avaient été arrêtés et lui a conseillé de rester au Canada.

[3] Quelque temps plus tard, le demandeur a appris de sa femme qu’en juin 2018, le Bureau de la sécurité publique (le BSP) s’était présenté à leur domicile dans le but de retrouver le demandeur et avait accusé celui-ci d’être membre d’une église clandestine illégale. La femme du demandeur a déclaré que le BSP avait sommé ce dernier de se rendre sur le champ aux autorités. Il affirme qu’en juin 2018, le BSP est revenu chez lui et a laissé une assignation à son intention.

[4] À la suite de cet incident, le demandeur a présenté une demande d’asile au Canada. La SPR l’a débouté de sa demande après avoir conclu qu’il n’avait pas réussi à démontrer que le BSP s’intéressait à lui ou qu’il était exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté en raison de sa religion. La SAR a rejeté l’appel du demandeur. La SAR a jugé que l’assignation produite par le demandeur était frauduleuse, et que sa crédibilité s’en trouvait minée. La SAR a également conclu que la preuve objective n’étayait pas la crainte qu’aurait éprouvée le demandeur d’être persécuté à l’endroit précis où il vivait en Chine.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

[5] Le demandeur fait valoir que la décision de la SAR est déraisonnable en raison de l’appréciation de l’assignation faite par le tribunal; il affirme également que la SAR a nié son droit à l’équité procédurale lorsqu’elle a soulevé une nouvelle question relative au risque objectif auquel il était exposé et qu’elle ne lui a pas offert la possibilité d’y répondre en présentant de nouveaux éléments de preuve ou de nouvelles observations.

[6] La première question doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Selon le cadre établi par l’arrêt Vavilov, le rôle de la cour de révision « consiste à examiner les motifs qu’a donné le décideur administratif et à déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes] au para 2). Il incombe au demandeur de convaincre la Cour que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov au para 100, cité avec approbation dans l’arrêt Société canadienne des postes, au para 33).

[7] Pour examiner les questions relatives à l’équité procédurale, il convient d’adopter une approche similaire à la norme de la décision correcte, qui doit consister à vérifier « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique] au para 54). Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canadien Pacifique, au paragraphe 56, « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre ».

III. Analyse

A. L’analyse de l’assignation faite par la SAR était raisonnable

[8] La SAR a jugé que l’assignation était frauduleuse en raison des différences entre le document présenté par le demandeur et celui contenu dans le cartable national de documentation (le CND). Le demandeur soutient que l’analyse effectuée par la SAR était déraisonnable, car celle-ci s’est appuyée sur un spécimen d’assignation qui datait de 2013 et qui ne constituait pas une preuve probante susceptible de permettre d’apprécier l’authenticité de l’assignation qui lui avait été délivrée en 2018. En outre, le demandeur fait valoir que les différences sur lesquelles la SAR a mis l’accent étaient infimes et qu’elle a commis une erreur, parce qu’elle n’a pas compris la véritable intention que dénotait le document. Selon lui, le fait que le BSP ait laissé une assignation chez lui démontre qu’il est exposé à un risque d’être persécuté en raison de sa religion, et il était déraisonnable que la SAR ait échoué à saisir cet élément essentiel.

[9] Le demandeur invoque deux décisions de la Cour. Il souligne que, dans la décision Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 288 [Lin], la Cour a annulé une décision de la SPR, concluant qu’il était déraisonnable que le décideur s’appuie sur un spécimen d’assignation datant de 2004 pour apprécier l’authenticité d’une assignation délivrée en 2009. Au paragraphe 52, la Cour a déclaré qu’« [i]l [était] fort peu probable que ce document ait pu constituer une source fiable pour savoir ce à quoi pouvait ressembler une assignation délivrée en 2009 », avant de conclure que les différences entre les deux documents n’étaient « ni suprenant[es] ni douteu[ses] ».

[10] Le demandeur s’appuie également sur la décision Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 163 [Ma]. Dans cette décision, la Cour a souligné que la preuve documentaire démontrait que le spécimen d’assignation datant de 2003 n’avait pas encore été mis à jour en 2013, mais elle a ensuite conclu, au paragraphe 22, qu’« il n’y a[vait] aucun élément de preuve quant à la période courant de 2013 à la date de la décision de la Section d’appel des réfugiés », et qu’« [i]l [était] tout à fait possible que de petites différences soient attribuables à des changements effectués dans l’intervalle ». La Cour a également jugé que les différences sur lesquelles la SAR s’était appuyée dans cette affaire n’étaient pas importantes et ne pouvaient donc pas servir de fondement à une conclusion défavorable en matière de crédibilité (voir au para 23).

[11] Le demandeur fait valoir que la SAR a commis des erreurs identiques à celles constatées dans les décisions Lin et Ma, et il soutient qu’en l’espèce, aucun élément de preuve ne permettait de savoir si l’assignation avait été modifiée après 2013, et que la SAR s’est fondée sur des divergences très mineures pour conclure qu’elle était frauduleuse.

[12] Je ne suis pas convaincu que la SAR a effectué une analyse déraisonnable de l’assignation. Je conviens avec les parties que l’utilité de certaines des décisions antérieures est limitée, parce que, faute de pouvoir consulter le document exact dont elles traitent, il est difficile de mesurer à quel point elles sont convaincantes dans le cadre de la présente affaire.

[13] Il existe toutefois des précédents récents qui traitent d’une situation presque identique à celle de la présente affaire, et ce, de manière suffisamment détaillée pour pouvoir apprécier les similitudes entre l’assignation présentée par le demandeur et le spécimen. Le premier de ces précédents est la décision Gong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 163 [Gong]. Dans cette décision, le juge Norris a débouté le demandeur de sa demande de contrôle judiciaire, rejetant sa contestation de la conclusion de la SAR selon laquelle l’assignation n’était pas authentique. L’analyse par la SAR des divergences entre l’assignation et le spécimen est résumée au paragraphe 22 de la décision :

Premièrement, s’agissant de l’assignation, la commissaire de la SAR a confirmé la conclusion de la SPR portant qu’il ne s’agissait pas d’un document digne de foi étant donné qu’il était incompatible avec le spécimen du CND. Ayant convenu avec les demandeurs que la SPR n’avait fourni aucun détail étayant la conclusion qu’il existait des différences importantes entre leur document et le spécimen contenu dans le CND, la commissaire de la SAR a effectué sa propre analyse du document. D’après elle, la structure et la présentation de l’assignation étaient incompatibles avec le spécimen du CND. Or, le CND indiquait que le document avait une présentation type et qu’il n’y avait pas eu de changement à cet égard depuis 2003. La commissaire de la SAR a également relevé plusieurs problèmes particuliers en ce qui concerne la présentation du document des demandeurs, à savoir: (i) « l’identifiant du dossier et la date sont absents du coin supérieur droit, au‐dessus de l’encadré »; (ii) les caractères chinois et le libellé des troisième et quatrième cases étaient incompatibles avec le spécimen; (iii) le numéro de dossier sur la première case du texte encadré ne figurait pas dans les spécimens; (iv) les instructions au bas de l’assignation à comparaître étaient incompatibles avec la structure du spécimen du CND.

[14] Le passage suivant de la décision rendue par la SAR en l’espèce illustre la similitude entre les faits de l’affaire Gong et ceux de la présente affaire :

[9] La SAR a procédé à une évaluation indépendante de la citation à comparaître présentée par [le demandeur] et convient avec la SPR qu’il est impossible d’accorder beaucoup de poids à ce document. La SAR conclut en outre que la citation à comparaître n’est pas un document authentique. La SAR fait observer que l’apparence de la citation à comparaître présentée par [le demandeur] ne correspond pas à celle du document montré dans la preuve documentaire sur les conditions dans le pays. La SAR signale que la preuve documentaire de 2013 dans le dossier indique clairement que le format des citations à comparaître et des assignations à témoigner est le même depuis 2003. Cette information n’est pas contredite par des éléments de preuve plus récents. Il est mentionné plus loin dans la documentation que ces formulaires sont censés être utilisés partout au pays et « “[qu’] il ne devrait y avoir aucune variante régionale” [mention de la source omise] ». Ayant examiné la citation à comparaître présentée par [le demandeur] et l’ayant comparée aux modèles contenus dans le cartable national de documentation (CND), la SAR conclut que la structure et le format de la citation à comparaître ne cadrent pas avec la documentation. Il n’y a pas d’identifiant avant le nom de l’intéressé(e) (en haut à gauche). La structure de la deuxième et de la troisième lignes ne cadre pas avec la documentation contenue dans le CND, en particulier la caricature devant un numéro 30 est sur la deuxième ligne, pas la troisième. Un examen de l’espacement des trois dernières lignes du document permet de constater qu’il ne cadre pas avec la documentation fournie dans le CND. La SAR conclut, selon la prépondérance des probabilités, que la citation à comparaître présentée est frauduleuse, et tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité [du demandeur] pour ce qui est de la présentation d’un document frauduleux afin d’étayer son cas.

[15] Comme l’assignation et le spécimen examinés en l’espèce et dans l’affaire Gong présentent des caractéristiques similaires, je suis d’avis que la décision Gong constitue un précédent particulièrement convaincant, contrairement aux décisions antérieures invoquées par le demandeur. Je fais mien le passage suivant de la décision du juge Norris, qui répond aux arguments du demandeur sur cette question :

[38] Il était loisible à la SAR de remettre en cause l’authenticité de l’assignation des demandeurs sur la base de disparités, même négligeables, entre ce document et un équivalent authentique : voir Zhuang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 263, para 17 [Zhuang] et les décisions qui y sont citées. Comme l’a fait remarquer le juge en chef dans Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1064, para 31 [Jiang], c’est à travers des détails qu’une contrefaçon peut être révélée. L’évaluation par la SAR de tels documents appelle la retenue : voir Zhuang, para 17. Même pour l’œil non averti, la présentation de l’assignation des demandeurs diffère indéniablement du spécimen authentique contenu dans le CND. Aussi, bien que certains caractères chinois préimprimés soient identiques dans les deux documents, d’autres sont différents. Contrairement à ce que font valoir les demandeurs dans leurs observations, il n’est pas nécessaire de connaître le chinois pour pouvoir constater ces différences. La commissaire de la SAR a expressément mentionné les disparités qu’elle a relevées, ce que n’avait pas fait la SPR. Cela confère à sa conclusion quant à l’inauthenticité de l’assignation des demandeurs le degré requis de transparence et d’intelligibilité et, vu l’utilisation d’une assignation type, de justification. Nous pouvons ainsi établir une distinction entre la présente affaire et Feng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 18, dans laquelle la SAR avait conclu qu’une assignation à comparaître était frauduleuse sans avoir pris la peine d’analyser le document lui‐même (para 31).

[16] Le demandeur cherche à distinguer l’affaire Gong de l’espèce, parce que, dans l’affaire Gong, la SAR avait conclu que d’autres questions liées à la crédibilité — en plus des préoccupations soulevées par l’assignation — avaient nui à la cause du demandeur, mais je ne suis pas convaincu que ce soit un motif suffisant pour faire abstraction de cette décision. Les conclusions relatives à d’autres questions touchant la crédibilité ne sont pas pertinentes lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère raisonnable de l’analyse effectuée par la SAR quant à l’authenticité de l’assignation, et, à ce chapitre, l’affaire Gong et la présente affaire sont très semblables.

[17] Un autre précédent récent cité par le juge Norris dans la décision Gong tend à confirmer que l’approche de la SAR en l’espèce était raisonnable, et comporte une analyse de divergences entre une assignation et un spécimen qui sont très similaires à celles constatées en l’espèce. Dans la décision Zhuang, la juge Strickland a confirmé une décision de la SAR qui reposait en partie sur une comparaison de l’assignation présentée par le demandeur, et qui aurait apparemment été laissée à son domicile en 2017, avec le spécimen datant de 2013, contenu dans le CND.

[18] Dans l’affaire Zhuang, la SAR avait constaté que la structure et le format de l’assignation produite par le demandeur n’étaient pas les mêmes que ceux du spécimen. La SAR avait notamment fait remarquer que « le nom de la personne concernée n’est pas précédé d’un [TRADUCTION] “identifiant”, le [TRADUCTION] “caractère” qui précède le nombre 30 est à la deuxième ligne au lieu d’être à la troisième ligne de la citation à comparaître, et l’espacement des trois lignes inférieures du document ne correspond pas à celui du spécimen » (au para 16). Il convient de souligner que ces disparités sont presque identiques à celles relevées par la SAR en l’espèce, tout comme c’est le cas dans l’affaire Gong.

[19] Dans la décision Zhuang, la juge Strickland a confirmé les conclusions de la SAR, faisant observer que les divergences visibles entre le spécimen contenu dans le CND et le document produit par un demandeur pourraient permettre de conclure que le document produit n’est pas authentique, et que l’appréciation par la SAR de l’authenticité d’un document appelle la retenue (au para 17).

[20] De même, dans la décision He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 627 [He], la juge en chef adjointe Gagné a rejeté la contestation d’une décision dans laquelle la SAR s’était fondée sur le spécimen datant de 2013 pour apprécier l’assignation produite par le demandeur. La juge a fait la distinction entre les affaires Lin, invoquée par le demandeur, et He, car, dans l’affaire He, la SAR avait explicitement cité le passage du CND, où il était mentionné que le format de l’assignation n’avait pas été modifié depuis 2003 et qu’il ne devait pas y avoir de variantes régionales. La SAR a tiré une conclusion similaire en l’espèce, ce qui justifie davantage d’accorder moins de poids à la décision Lin.

[21] Comme dans les affaires He, Zhuang et Gong, le demandeur en l’espèce n’a présenté à la SAR aucun élément de preuve démontrant que le format de l’assignation avait changé au cours de la période concernée, et il était donc raisonnable que la SAR s’appuie sur le spécimen contenu dans le CND.

[22] En outre, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a jugé que la position du demandeur était contredite par le fait qu’aucune assignation coercitive ne lui avait été délivrée bien qu’il n’ait pas répondu à l’assignation laissée chez lui. Il affirme que la SAR s’est livrée à des conjectures infondées selon lesquelles, faute d’avoir répondu à l’assignation initiale, il aurait été contraint de comparaître par la force. Il fait remarquer que la loi n’exige pas qu’une assignation coercitive soit délivrée et que, par conséquent, la SAR a eu tort d’inférer que la non-délivrance d’une telle assignation lui était défavorable.

[23] Je ne suis pas convaincu que, si tant est qu’il s’agisse d’une erreur de la SAR, elle soit d’une quelconque importance. Au paragraphe 13 de sa décision, la SAR souligne que rien ne prouve que la police ait tenté de faire comparaître le demandeur par la force. La SAR fait également observer que celui-ci a déclaré que la police n’était jamais revenue chez lui après avoir prétendument laissé l’assignation, et a affirmé que les membres de sa famille n’avaient pas été importunés par les autorités malgré les menaces qui auraient été proférées. La conclusion de la SAR est étayée par le dossier et répond à l’argument du demandeur au sujet de la remarque faite par la SAR à propos de la non-délivrance d’une assignation coercitive. Le raisonnement de la SAR est clair et justifié par la preuve produite par le demandeur même. La décision ne saurait donc être annulée sur ce fondement.

[24] Pour ces motifs, je rejette l’argument du demandeur selon lequel la SAR a procédé à une analyse déraisonnable de l’assignation.

B. La procédure était équitable compte tenu des circonstances

[25] Le demandeur affirme que la SAR a suivi un processus inéquitable lorsqu’elle a conclu qu’il n’était pas exposé à un risque objectif d’être persécuté en raison de sa foi chrétienne dans la région de Don Hai, où il vivait, et qui se trouve dans la province du Jiangsu, en Chine. Il souligne que la SPR n’a pas soulevé la question du risque de persécution lors de l’audition de sa demande d’asile et qu’il n’a donc pas présenté d’observations à ce sujet. Il fait valoir que cette question n’a été soulevée qu’au moment où la SAR a procédé à une analyse indépendante de la demande d’asile, et que la SAR ne l’a pas avisé qu’elle comptait en faire l’examen, ce qui l’a privé de la possibilité de produire des éléments de preuves ou de présenter des observations à ce sujet.

[26] Le demandeur soutient que la SAR l’a ainsi privé du droit à une audience équitable. Il affirme qu’il aurait pu présenter de nouveaux éléments de preuve qui auraient contredit les conclusions de la SAR, lesquelles reposaient, selon lui, sur des documents traitant de la liberté de religion en Chine qui n’étaient plus à jour. Il fait valoir que l’importance du manquement de la SAR à cet égard s’en trouve accrue.

[27] Je ne suis pas convaincu par les arguments du demandeur sur cette question.

[28] Tout d’abord, la demande d’asile présentée par le demandeur est fondée en grande partie sur son allégation selon laquelle le BSP, ayant arrêté deux fidèles de son église, s’est rendu chez lui pour le trouver et a finalement laissé une assignation à son intention. Le demandeur affirme que ces agissements laissent présager qu’il sera exposé à la persécution s’il rentre chez lui, en Chine. Il est pertinent de chercher à savoir si cette affirmation repose sur un fondement objectif.

[29] Deuxièmement, il n’est pas tout à fait exact de dire que les conclusions de la SPR ne dénotent aucune préoccupation quant au risque objectif de persécution. La SPR a conclu que le demandeur n’avait [traduction] « pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que le BSP s’intéress[ait] à lui, ni que tel serait le cas s’il retournait en Chine » (décision de la SPR, au para 57) La SPR a conclu que le demandeur ne s’était [TRADUCTION] « pas acquitté du fardeau d’établir qu’il exist[ait] une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté pour l’un des motifs prévus dans la Convention ou qu’il soit, selon la prépondérance des probabilités, personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque d’être soumis à la torture, s’il était renvoyé en Chine » (décision de la SPR, au para 58).

[30] Le demandeur a eu la possibilité de chercher à faire admettre de nouveaux éléments de preuve devant la SAR. Le rôle de celle-ci a été ainsi décrit par le juge Diner, dans la décision Mekhashishvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 65 :

[17] La SAR, d’autre part, examine la décision de la SPR selon la norme de la décision correcte (Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223 aux para 43-44; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 103 [Huruglica]). Pour la SAR, ce processus consiste à procéder à sa propre analyse, en focalisant sur les erreurs relevées par la partie appelante (Fatime c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 594 au para 19 [Fatime]; Huruglica au para 103). Dans le cadre d’une telle analyse, la SAR se doit de tirer ses propres conclusions, étayées par des motifs démontrant une justification intrinsèquement cohérente et rationnelle (Fatime aux para 19, 21; Vavilov au para 85).

[31] Compte tenu de l’obligation qui incombait à la SAR de procéder à une analyse indépendante de la présente affaire selon la norme de la décision correcte, il était raisonnable que celle-ci se penche sur cet aspect de la demande d’asile. Je ne suis pas convaincu qu’il s’agit du type de nouvelle question qui exige qu’un avis soit donné au demandeur afin qu’il puisse l’aborder. La question du risque objectif que courrait le demandeur advenant son retour à l’endroit où il avait vécu en Chine constituait un élément essentiel de sa demande d’asile, et la SAR n’a pas manqué à l’équité procédurale en examinant les éléments de preuve objectifs qui portaient sur cette question.

[32] Je souscris toutefois à l’avis du demandeur sur un des aspects de cette question. Il souligne à juste titre que la SAR a cité incorrectement un document du Home Office du Royaume-Uni. La mention de ce document dans la décision de la SAR pose deux problèmes. Premièrement, le tribunal indique que le passage du document qui est cité provient de la section 3.1.1 du CND (décision de la SAR, au para 16). Cependant, il semble que cette citation soit plutôt tirée de la section 3.1.1 contenue dans la rubrique 1.10 du CND relatif à la Chine datant du 29 mars 2019. En outre, la deuxième phrase du passage cité par la SAR ne figure pas dans le CND. Cependant, je conviens avec le défendeur qu’il s’agit d’une erreur sans conséquence, et je conclus qu’elle ne compromet pas l’ensemble de l’analyse de la SAR.

[33] Ultimement, le rôle d’une cour saisie d’une prétention de manquement à l’équité procédurale consiste à prendre du recul et à répondre à une seule question : le demandeur a-t-il eu l’occasion de connaître les arguments qu’il lui fallait réfuter et a-t-il eu une possibilité entière et équitable d’être entendu? Sur ces deux plans, je juge que la procédure suivie par la SAR satisfait aux exigences en matière d’équité. Je ne peux convenir avec le demandeur que la SAR a manqué à l’équité procédurale en analysant la question du risque objectif sans pour autant l’aviser explicitement qu’elle comptait examinait cette question.

[34] Le demandeur a expressément soulevé la question du risque de persécution dans sa demande d’asile; il a eu l’occasion de l’aborder devant la SPR et aurait pu chercher à faire admettre de nouveaux éléments de preuve devant la SAR s’il estimait que ceux-ci étaient essentiels au soutien de sa demande. On ne peut reprocher à la SAR d’avoir abordé la question lors de son analyse de l’appel du demandeur et elle n’était pas tenue d’inviter explicitement des observations à ce sujet.

IV. Conclusion

[35] Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[36] Aucune question de portée générale ne sera certifiée.

JUGEMENT dans le dossier IMM-4121-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‐traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4121-20

 

INTITULÉ :

JIANGBO YIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 septembrE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Pentney

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 20 AVRIL 2022

 

COMPARUTIONS :

Stacey Duong

 

pour lE demandeUr

JIANGBO YIN

 

Gordon Lee

 

pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

S Duong Law

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour lE demandeUr

JIANGBO YIN

 

Procureur général du Canada

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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