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Date : 20220412


Dossier : IMM-3211-21

Référence : 2022 CF 528

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

Younes BOUGRINE

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Younes Bougrine, est un citoyen marocain de 33 ans qui demande le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [l’agent] datée du 4 mai 2021 [la décision], refusant la demande de permis d’études à M. Bougrine – l’agent n’était pas convaincu que M. Bougrine quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour aux termes du paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement], compte tenu de la raison de sa visite, ni qu’il serait en mesure de terminer avec succès le programme d’études au Canada en fonction des relevés de notes fournis.

[2] Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie, car l’agent a omis d’aborder des éléments de preuve qui viennent, à mon avis, contredire sa conclusion et je ne suis pas convaincu que l’agent ait clairement exposé son raisonnement pour arriver à la conclusion que M. Bougrine ne réussirait pas ses études. L’agent n’a pas fait preuve de la prudence à laquelle fait appel le juge Norris dans l’affaire Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 517 au paragraphe 24 [Patel]; sa décision n’est pas fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et n’est pas justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La décision n’est donc pas raisonnable.

II. Contexte

[3] M. Bougrine est né et a habité toute sa vie au Maroc. Tous les membres de sa famille proche habitent au Maroc, à l’exception de l’une de ses sœurs qui habite aux États-Unis. Étant passionné de voitures et camions, il a fait ses études en 2012 à l’Institut Spécialisé Industriel de Casablanca [ISIC] en mécanique automobile. Dans le cadre de ses études, M. Bougrine a fait trois stages en milieu professionnel et a développé un intérêt pour la mécanique des véhicules lourds. Tout juste diplômé de l’ISIC, M. Bougrine n’a pas été en mesure de trouver du travail à temps plein comme mécanicien automobile et a travaillé au service à la clientèle pour deux sociétés en attendant de trouver un emploi à temps plein dans son domaine. Puisqu’un employeur lui a fait savoir qu’il recherchait des mécaniciens de véhicules lourds, M. Bougrine a décidé de se spécialiser dans ce domaine en faisant une demande d’admission dans un programme d’études offert à Montréal.

[4] Le 22 mai 2020, M. Bougrine a reçu une lettre d’admission de la part de l’École des métiers de l’équipement motorisé de Montréal [EMEMM], un établissement d’enseignement désigné, dans le programme de Mécanique de véhicules lourds routiers. Il a ensuite obtenu son certificat d’acceptation du Québec le 8 juillet 2020, valide pour la période du 1er décembre 2020 au 30 avril 2023. Le 28 septembre 2020, M. Bougrine a obtenu une offre d’emploi à titre de mécanicien de véhicules lourds de la part d’un garage se trouvant à Casablanca au Maroc; cette offre est conditionnelle à l’obtention de son diplôme à l’EMEMM. M. Bougrine a soumis sa demande de permis d’études par l’intermédiaire du Volet direct pour les études [VDE] le 2 octobre 2020, en vue de commencer le programme de l’EMEMM en janvier 2021.

[5] Son oncle par alliance a attesté qu’il prendra en charge les dépenses de M. Bougrine relativement à son billet d’avion aller-retour, les frais d’installation et les frais de subsistance durant ses études à Montréal. Il s’est également engagé à payer les frais de scolarité de l’EMEMM et à l’héberger pour la durée de ses études. M. Bougrine a également soumis une preuve provenant de la Caisse Desjardins d’un certificat de placement garanti d’un montant de 10 020 $, ainsi qu’une preuve de deux paiements effectués à l’EMEMM s’élevant à 17 886,85 $.

[6] Le 2 décembre 2020, un agent a refusé la demande de permis d’études de M. Bougrine parce qu’il n’était pas convaincu que M. Bougrine serait en mesure de terminer avec succès ses études à l’EMEMM compte tenu de ses mauvais résultats scolaires à l’ISIC et parce qu’il n’a pas réussi à le convaincre qu’il était un étudiant bona fide qui quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. L’agent a pris en considération les frais de scolarité élevés de l’EMEMM pour les étudiants étrangers, alors qu’il existe des programmes d’études similaires plus abordables au Maroc et compte tenu des perspectives de salaire dans le domaine de la mécanique de véhicules lourds. À la suite d’une demande de réexamen présentée par M. Bougrine, l’agent a confirmé le rejet de sa demande de permis d’études le 14 janvier 2021 parce qu’aucune nouvelle information concernant sa demande n’avait été soumise.

[7] Le 9 décembre 2020, M. Bougrine a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision du 14 janvier 2021 (IMM-6400-20). Cependant, M. Bougrine s’est désisté de cette demande le 16 mars 2021 après s’être entendu avec le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre], que sa demande de permis serait réévaluée par un autre agent et que M. Bougrine aurait l’occasion de mettre à jour son dossier en soumettant de la documentation supplémentaire. À titre de documentation supplémentaire, M. Bougrine a notamment soumis une nouvelle lettre d’admission datée du 16 mars 2021 qu’il a obtenue de l’EMEMM pour le programme de mécanique de véhicules lourds routiers commençant en août 2021, un relevé de compte bancaire aux noms de son oncle et de sa tante et une nouvelle preuve de son certificat de placement garanti d’un montant de 10 022,57 $ de la Caisse Desjardins.

III. La décision de l’agent d’immigration

[8] Le 4 mai 2021, l’agent a rejeté la demande de permis d’étude de M. Bougrine parce qu’il n’était pas convaincu qu’il quitterait le Canada à la fin de la période de séjour permise selon l’alinéa 216(1)b) du Règlement.

[9] L’agent a détaillé les motifs de sa décision dans les notes entrées dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC]. Tout d’abord, l’agent a conclu que M. Bougrine détenait des fonds suffisants pour assumer le coût élevé des frais de scolarité pour les étudiants étrangers et a donc conclu que M. Bougrine avait répondu à la première préoccupation de l’agent précédent en ce qui concerne le caractère raisonnable de son plan d’études, malgré le coût élevé des études internationales au Canada. Cependant, l’agent n’a pas été convaincu que M. Bougrine serait en mesure de terminer avec succès le programme d’études à l’EMEMM compte tenu de ses mauvais résultats scolaires :

[traduction]

Le demandeur n’a fourni aucun document à jour ni aucune explication pour dissiper la seconde préoccupation de l’agent quant aux faibles dossier scolaire et notes dans les domaines d’études qui formeraient l’essence de ses études futures. Selon l’IMM1294, le DP a suivi une formation en mécanique automobile de l’Institut Supérieur Industriel de Casablanca (ISIC) de 2010-09 à 2012-06. Le DP a fourni des relevés indiquant une moyenne totale de 10,97/20 (54 %). Le dossier scolaire fourni fait état de résultats faibles dans toutes les matières et de notes médiocres dans les domaines qui formeront l’essence de ses études futures. Je doute que le demandeur puisse terminer avec succès son programme d’études au Canada. Par conséquent, je ne suis pas persuadé que le demandeur sera, au Canada, un véritable étudiant qui quittera le pays à la fin de son séjour autorisé. Demande rejetée.

[Je souligne.]

IV. Régime législatif

[10] Le VDE est un processus qui permet à des étrangers d’obtenir rapidement un permis d’études. Le cadre législatif et réglementaire relatif aux demandes de permis d’études s’applique également aux demandes transmises sous le régime du VDE.

[11] L’agent délivre un permis d’études à l’étranger qui répond aux critères énumérés à l’article 216 du Règlement :

Permis d’études

Study permits

 

216(1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

216(1) Subject to subsections (2) and (3), an officer shall issue a study permit to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

 

a) l’étranger a demandé un permis d’études conformément à la présente partie;

 

(a) applied for it in accordance with this Part;

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

 

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

c) il remplit les exigences prévues à la présente partie;

 

(c) meets the requirements of this Part;

d) s’il est tenu de se soumettre à une visite médicale en application du paragraphe 16(2) de la Loi, il satisfait aux exigences prévues aux paragraphes 30(2) et (3);

 

(d) meets the requirements of subsections 30(2) and (3), if they must submit to a medical examination under paragraph 16(2)(b) of the Act; and

e) il a été admis à un programme d’études par un établissement d’enseignement désigné.

 

(e) has been accepted to undertake a program of study at a designated learning institution.

[Je souligne.]

 

[Emphasis added.]

V. Question en litige et norme de contrôle

[12] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question : la décision de l’agent est-elle raisonnable?

[13] La norme de contrôle applicable à la révision d’une décision portant sur une demande permis d’études est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17 [Vavilov]; Patel au para 6; Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 au para 11). Suivant la norme de la décision raisonnable, la Cour doit déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). La décision d’un agent de refuser ou d’accorder un permis d’études est une décision qui relève de son pouvoir discrétionnaire qui fait appel à la déférence suivant laquelle la Cour n’interviendra que lorsque la décision n’est pas transparente, intelligible et justifiée (Vavilov au para 99; Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 au para 12).

VI. La décision de l’agent est déraisonnable

[14] Je dois tout d’abord rappeler l’enseignement du juge Norris dans l’affaire Patel selon lequel un agent d’immigration devrait agir avec prudence lorsqu’il se concentre sur les notes scolaires pour déterminer si un demandeur ne serait pas en mesure de terminer avec succès ses études au Canada et qu’il en conclut que le demandeur n’est pas un véritable étudiant qui quittera le Canada à la fin de la période de séjour. Le juge Norris a déclaré :

[24] En théorie, les perspectives de réussite d’un demandeur pourraient se révéler pertinentes dans le contexte de l’alinéa b). Le fait pour un demandeur de vouloir entreprendre des études qu’il est peu susceptible de réussir pourrait soulever des doutes quant à la question de savoir si le demandeur est un véritable étudiant qui quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Toutefois, c’est une question que les agents d’immigration devraient aborder avec prudence. Le lien entre les deux concepts semble être ténu, au mieux. Il n’y a aucune raison de présumer que les agents d’immigration ont l’expertise nécessaire pour évaluer les perspectives de réussite d’un demandeur dans un programme d’études donné. Il est possible de réussir un programme sans nécessairement exceller. De plus, bon nombre des facteurs qui peuvent déterminer la réussite scolaire sont dynamiques et non pas statiques.

[Je souligne.]

[15] Pour commencer, M. Bougrine cite l’affaire Patel à l’appui de la proposition selon laquelle les notes ne peuvent servir de base à un agent d’immigration pour déterminer si un demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour. Je ne suis pas d’accord. La décision dans l’affaire Patel n’a pas abordé cette question de manière déterminante. Dans l’affaire Patel, le juge Norris a conclu que la déclaration déterminante de l’agent selon laquelle il n’était pas convaincu que le demandeur serait en mesure de terminer le programme avec succès faisait en sorte que la décision n’était pas fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, mais seulement en présumant qu’il était loisible à l’agent d’examiner la perspective du demandeur de terminer le programme d’études proposé avec succès. Pour ma part, je ne vois rien de déraisonnable à ce qu’un agent d’immigration tienne compte des notes ainsi que possiblement d’autres facteurs pour déterminer si le demandeur est un étudiant bona fide et, dans le cas contraire, pour déterminer si le demandeur satisfait aux exigences de l’alinéa 216(1)b) du Règlement. En fin de compte, il me semble que la question n’est pas de savoir si l’agent d’immigration doit ou non tenir compte des notes pour déterminer si un demandeur a satisfait aux exigences de l’alinéa 216(1)b) du Règlement, mais plutôt d’évaluer la manière dont le dossier scolaire influence la décision, ainsi que le raisonnement de l’agent d’immigration pour arriver à une conclusion sur cette question, dans un sens ou dans l’autre.

[16] De plus, M. Bougrine soutient que la décision de l’agent est déraisonnable parce qu’elle ne tient pas compte d’éléments de preuve qui viennent contredire sa conclusion. Il ajoute que l’agent a outrepassé son expertise en concluant qu’il ne serait pas en mesure de terminer avec succès ses études au Canada, alors qu’il a obtenu une lettre d’acceptation de l’EMEMM, un établissement d’enseignement désigné en vertu de l’alinéa 216(1)e) du Règlement. Selon M. Bougrine, il est faux de dire qu’il a obtenu de faibles résultats dans « toutes les matières » et des résultats médiocres dans des « domaines qui formeraient l’essence de ses études futures ». Il affirme que si l’agent avait tenu compte de l’ensemble de la preuve, il aurait noté qu’il a terminé avec succès son programme d’études en mécanique automobile, qu’il a obtenu de bons résultats dans certaines matières, qu’il a été classé 7e sur 29 étudiants lors de la session de juillet 2011 et qu’il a obtenu d’excellents résultats lors de ses stages en milieu professionnel.

[17] Le ministre soutient que les notes de l’agent sont détaillées, ce qui démontre qu’il a tenu compte de l’ensemble du dossier de M. Bougrine, y compris les documents supplémentaires qu’il a soumis. M. Bougrine portait le fardeau de fournir à l’agent tous les renseignements pertinents pour le convaincre qu’il satisfait aux exigences prévues par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (Akomolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 472 au para 11 [Akomolafe]). Le ministre soutient que M. Bougrine ne s’est pas prévalu de l’occasion de fournir des documents supplémentaires pour expliquer ses mauvais résultats scolaires. Selon le ministre, il était donc raisonnable pour l’agent de conclure que M. Bougrine avait obtenu de mauvais résultats scolaires dans son programme de mécanique automobile et qu’il ne serait pas en mesure de terminer avec succès ses études au Canada en mécanique de véhicules lourds.

[18] Le ministre porte à l’attention de la Cour les notes de M. Bougrine dans les domaines qui formeraient l’essence de ses études futures en mécanique de véhicules lourds :

Entretien d’un système d’alimentation en carburant (essence et Diesel) partie 2 : 11.5/20;

Entretien d’un système de direction et trains roulants : 11.33/20;

Entretien et réparation du circuit de climatisation : 11.33/20;

Organisation d’atelier : 10.42/20;

Entretien d’un système de suspension : 10.42/20.

[19] Selon le ministre, puisque la note la plus haute obtenue par M. Bougrine dans ces matières serait donc de 11.5/20 (58 %) et que sa moyenne générale était de 10.97/20 (55 %), il était loisible à l’agent d’inférer que ses notes étaient faibles et d’avoir des préoccupations sur la capacité de M. Bougrine de terminer avec succès ses études en mécanique de véhicules lourds. Il s’agirait d’une conclusion de fait raisonnable (Akomolafe au para 12, citant Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1493 au para 7).

[20] Cependant, à l’instar de l’agent, le ministre omet de mentionner des éléments de preuve qui viennent, à mon avis, contredire cette conclusion (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF 53, 1998 CanLII 8667 (CF) au para 17 [Cepeda-Gutierrez]). Bien que M. Bougrine ait déjà eu l’occasion de fournir de la preuve supplémentaire avant le réexamen de sa demande, il avait déjà soumis à l’agent tous les documents académiques qu’il avait en sa possession : son relevé de notes, ses rapports de stage dans des milieux professionnels et son diplôme de l’ISIC en mécanique automobile. La conclusion de l’agent voulant que M. Bougrine ait obtenu de faibles résultats dans toutes les matières et des résultats médiocres dans les domaines qui formeraient l’essence de ses futures études à l’EMEMM est, à mon avis, contredite par certaines de ses notes. D’une part, l’agent ne spécifie pas quelles sont les matières de l’ISIC qui forment l’essence de ses futures études à l’EMEMM. D’autre part, l’agent omet de mentionner des notes obtenues par M. Bougrine qui, à mon avis, ne sont pas des résultats mauvais ou médiocres. En plus des notes énumérées par le ministre, M. Bougrine a obtenu les notes suivantes :

Communication écrite et orale : 12.67/20;

Anglais technique : 13.33/20;

Législation/PME : 12.83/20;

Entretien d’un système de transmission : 14/20;

Entretien d’un système de freinage : 16.33/20;

Organisation et gestion de la maintenance d’un parc : 11.33/20;

Moyens de recherche d’emploi : 13.58/20;

Stage en entreprise : 12.67/20;

Examen de fin de formation : 62.5/120 (notamment 49/80 pour l’évaluation pratique et 13.5/40 pour l’évaluation théorique).

[Je souligne.]

[21] Les deux plus hautes notes obtenues par M. Bougrine dans son programme de mécanique automobile sont pour l’entretien d’un système de transmission (70 %) et l’entretien d’un système de freinage (82 %). Ces notes viennent à mon avis contredire la conclusion de l’agent voulant que M. Bougrine ait obtenu de faibles résultats dans toutes les matières et des résultats médiocres dans les domaines qui formeraient l’essence de ses futures études à l’EMEMM. L’agent n’explique pas pourquoi l’entretien d’un système de transmission et d’un système de freinage ne formerait pas l’essence de ses futures études en mécanique de véhicules lourds comparativement aux autres matières. « [L]’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés » (Cepeda-Gutierrez au para 17) et, en l’espèce, les notes de M. Bougrine constituent le cœur des motifs de la décision de l’agent.

[22] De plus, le juge Norris dans l’affaire Patel a appelé à la prudence dans le contexte où un agent analyserait les perspectives de réussite d’un demandeur dans un programme d’études futur. J’accepte que la décision Patel concerne un ensemble de faits particuliers; cependant, il n’en demeure pas moins qu’il incombait à l’agent de montrer, à tout le moins, qu’il comprenait les exigences relatives à la charge de cours pour réussir le programme proposé et d’expliquer pourquoi une moyenne générale inférieure pouvait susciter des inquiétudes quant à la capacité de M. Bougrine de réussir le programme et comment ces inquiétudes pouvaient amener l’agent à ne pas être convaincu que M. Bougrine était un étudiant authentique qui quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, d’autant plus que M. Bougrine avait été accepté dans le programme par l’EMEMM.

[23] Je ne suis pas convaincu que l’agent ait clairement exposé son raisonnement pour arriver à la conclusion que M. Bougrine ne réussirait pas ses études à l’EMEMM. L’agent ne précise pas dans ses motifs quelles sont les matières particulières dans lesquelles M. Bougrine aurait obtenu des notes médiocres. L’agent n’explique pas non plus en quoi ces matières du programme en mécanique automobile formeraient l’essence de ses futures études en mécanique de véhicules lourds. L’EMEMM a considéré que M. Bougrine avait les qualifications nécessaires pour être admissible au programme de mécanique de véhicules lourds routiers et son admission n’était pas conditionnelle à l’obtention d’une formation préalable. L’agent n’a pas démontré dans ses motifs qu’il avait fait preuve de prudence dans l’évaluation de la capacité de M. Bougrine de réussir ses études et qu’il avait une certaine compréhension des capacités requises pour réussir le programme envisagé par M. Bougrine.

[24] De plus, M. Bougrine soutient que l’agent a commis la même erreur que celle commise dans la décision du 2 décembre 2020, et ce, même si le ministre avait « consenti aux conclusions » qu’il avait présentées à la Cour fédérale dans sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision lorsqu’ils sont arrivés à un règlement. En l’espèce, il convient de rappeler qu’une entente de règlement dans laquelle les parties s’entendent pour que la décision soit réexaminée par un décideur différent ne garantit pas un résultat positif. Les notes de l’agent dans le SMGC indiquent les détails de l’entente :

[traduction]

Les parties ont convenu des modalités de règlement suivantes : La décision du 14 janvier 2021 est annulée; le dossier fera l’objet d’un nouvel examen par un autre agent; le demandeur aura la possibilité de présenter des documents à jour à l’appui de sa demande; le tout sans frais.

[25] Ainsi, l’agent chargé de réexaminer la demande n’était pas tenu de l’accepter. Cependant, en l’espèce, je partage l’avis de M. Bougrine: il semble que l’agent n’ait pas examiné sérieusement les observations de M. Bougrine concernant son dossier scolaire et qu’il ait simplement copié et collé mot à mot les conclusions du premier agent dont la décision a finalement été annulée. L’objectif d’un règlement entre les parties est que la demande soit renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen; la décision de l’agent ne présente pas les caractéristiques d’un nouvel examen et doit donc être considérée comme déraisonnable.

[26] Enfin, M. Bougrine considère que le renvoi de la décision pour que sa demande de permis d’études soit réexaminée par un nouvel agent serait « contraire au souci de résolution rapide et efficace des litiges » parce qu’« il y a des raisons de croire que [l’agent] rejettera la demande [...] pour le même motif », et soutient qu’il existe des circonstances exceptionnelles dans les circonstances qui militent en faveur d’une réparation exceptionnelle, soit que la Cour rende sa propre décision plutôt que de renvoyer la demande au défendeur. Ici, je ne partage pas le point de vue de M. Bougrine. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a affirmé qu’il convient parfois pour une cour de révision de ne pas renvoyer l’affaire au décideur administratif « lorsqu’il devient évident aux yeux de la cour, lors de son contrôle judiciaire, qu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien » (Vavilov au para 142). C’est un pouvoir discrétionnaire qui « doit être exercé avec soin, en gardant à l’esprit que c’est le décideur administratif, et non le tribunal qui effectue le contrôle, qui est le décideur du fond » (Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100 au para 100). En l’espèce, je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle dans laquelle le renvoi de l’affaire mènerait à un résultat inévitable. Il est possible qu’un agent, même informé des présents motifs, arrive raisonnablement à la même conclusion. Je renverrai donc l’affaire pour qu’elle soit examinée de nouveau par un autre agent.

VII. Conclusion

[27] J’accueille la demande de contrôle judiciaire et je retourne l’affaire pour qu’elle soit examinée de nouveau par un autre agent.

 


JUGEMENT au dossier IMM-3211-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de l’agent est annulée, et l’affaire est retournée à un autre agent pour redétermination.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3211-21

 

INTITULÉ :

YOUNES BOUGRINE c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 mars 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

Me Saïd Le Ber-Assiani

Pour le demandeur

Me Simone Truong

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Saïd Le Ber-Assiani

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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