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Date : 20220425


Dossier : IMM-6148-21

IMM-6149-21

Référence : 2022 CF 595

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2022

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

PARVEIZ AKHTAR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

ET ENTRE :

ABDUL GHANI

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le présent jugement et ses motifs portent sur deux demandes de contrôle judiciaire visant des décisions par lesquelles un agent des visas (l’agent) de l’ambassade du Canada à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, a rejeté la demande de visa de résident temporaire (VRT) présentée par M. Abdul Ghani et Mme Parviez Akhtar, qui forment un couple. Les faits et questions propres à chaque demande sont les mêmes et les deux demandes ont été instruites ensemble. Une copie du présent jugement et de ses motifs sera versée dans chaque dossier.

[2] Les demandeurs contestent les décisions au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[3] Pour les motifs qui suivent, les demandes sont rejetées.

II. Contexte

A. Faits

[4] Les demandeurs sont citoyens du Pakistan et vivent aux Émirats arabes unis en tant que résidents temporaires. M. Ghani a été employé pendant un certain temps aux Émirats arabes unis, ce qui a permis à sa femme et lui d’y résider. Dernièrement, ils ont compté sur le parrainage de leur fils qui vit et travaille aux Émirats arabes unis. Ils ont deux autres enfants majeurs, qui vivent au Canada en tant que citoyens canadiens. En juin 2020, les demandeurs ont présenté une demande de VRT afin d’aller voir leur fille en Colombie-Britannique.

[5] Dans une lettre intitulée [traduction] « But du voyage » qu’ils ont jointe à leurs demandes, les demandeurs ont indiqué qu’ils prévoyaient visiter leur fille et rester chez elle pour l’aider à prendre soin des enfants pendant les vacances scolaires d’été. Ils ont également précisé que, bien que Mme Akhtar ait déjà visité sa fille par le passé, M. Ghani en serait à sa première visite. De plus, ils ont mentionné qu’ils avaient des liens solides avec les Émirats arabes unis, notamment dans la collectivité et avec leur famille, de même que des liens financiers solides (des placements) au Pakistan. Ils ont ajouté qu’ils prévoyaient visiter leur pays d’origine, le Pakistan, après leur séjour au Canada.

B. Décision faisant l’objet du contrôle

[6] L’agent a refusé les deux demandes parce qu’il n’était pas convaincu que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin de leur séjour à titre de résidents temporaires, comme l’exige l’alinéa 179b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR).

[7] Dans sa lettre de refus, l’agent a indiqué qu’il n’était pas convaincu que les demandeurs quitteraient le Canada pour les motifs suivants : leurs biens personnels et leur situation financière, leur situation d’emploi actuelle, les perspectives d’emploi limitées aux Émirats arabes unis, leurs liens familiaux au Canada et aux Émirats arabes unis et leur statut d’immigration.

[8] Dans les notes complémentaires consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), qui font partie de la décision, l’agent mentionne qu’aucun des demandeurs ne semblait travailler au moment de la présentation de leurs demandes, et qu’ils ont reçu deux virements de leur fils aux Émirats arabes unis (en mars et en mai 2020), mais qu’aucun salaire normal n’a été déposé dans leur compte. L’agent note également que les demandeurs semblent disposer de fonds limités, et qu’ils comptent probablement sur l’aide financière de leur fils aux Émirats arabes unis étant donné l’âge avancé de M. Ghani. Compte tenu de ces enjeux, l’agent accorde un poids limité aux liens économiques et aux liens de résidence avec les Émirats arabes unis. De plus, l’agent souligne que, selon les notes du SMGC visant Mme Akhtar, plusieurs autres visas ont été refusés à M. Ghani et un visa qui lui a été accordé en 2015, alors qu’il travaillait et pouvait financer leur résidence aux Émirats arabes unis. L’agent conclut que les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils étaient des visiteurs authentiques qui quitteront le Canada à la fin du séjour autorisé.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[9] Les questions soulevées par les parties sont les suivantes :

  1. L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demandeurs?

  2. La décision par laquelle l’agent a rejeté les demandes est-elle raisonnable?

[10] La norme de contrôle qui est présumée s’appliquer lorsqu’une cour se penche sur le fond d’une décision administrative est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Rien ne permet de s’écarter de cette présomption en l’espèce.

[11] Pour déterminer si la décision est raisonnable, la cour de révision doit « se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, aux para 86 et 89). Les conclusions tirées par le décideur ne devraient donc pas être modifiées dès lors que la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[12] Lorsque la Cour effectue un contrôle des conclusions de fait selon la norme de la décision raisonnable, la retenue est de mise, et elle doit s’abstenir d’apprécier à nouveau les éléments de preuve ou de repenser l’importance relative accordée par le décideur aux facteurs pertinents : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 112); Vavilov, au para 96. La perfection n’est pas la norme à appliquer. Il n’appartient pas à la Cour de transformer un contrôle selon la norme de la décision raisonnable en contrôle selon la norme de la décision correcte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 aux para 36-40. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100. Le respect du rôle du décideur administratif oblige la cour de révision à adopter une attitude de retenue lors du contrôle judiciaire : Vavilov, aux para 24, 75.

[13] Selon la norme applicable aux questions d’équité procédurale, la Cour doit se demander si, [traduction] « eu égard à l’ensemble des circonstances, en mettant l’accent sur la nature des droits substantiels en cause et les conséquences pour la personne touchée », la procédure suivie par le décideur était équitable : Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 aux para 46-47. Cette norme n’appelle pas la déférence à l’endroit du décideur.

IV. Analyse

A. L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale?

[14] Les demandeurs font valoir que l’agent aurait dû leur donner l’occasion de répondre aux préoccupations qu’il a soulevées dans le cadre de l’examen de leurs demandes de VRT, par écrit ou de vive voix en convoquant une audience. Ils soutiennent que l’agent était tenu de leur accorder une entrevue si un document justificatif pertinent était contesté ou de leur donner l’occasion de clarifier les ambiguïtés : Sy c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2002 CFPI 905 au para 12.

[15] S’appuyant sur l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 22-23, les demandeurs affirment que l’agent, en tant que partie la mieux avisée, devait prendre des mesures supplémentaires pour veiller au respect de l’équité dans les circonstances. À cet égard, ils font valoir qu’ils auraient dû avoir l’occasion de répondre aux préoccupations concernant le but de leur visite au Canada et leur situation financière.

[16] Le défendeur a raison de souligner que l’obligation d’équité applicable en l’espèce se situe à l’extrémité inférieure du spectre. Les demandeurs n’ont pas le droit d’entrer ni de demeurer au Canada et ne font pas l’objet d’une mise en détention ni d’une mesure de renvoi du Canada. Les décisions par lesquelles sont rejetées des demandes de VRT présentées depuis l’étranger par des ressortissants étrangers sont hautement discrétionnaires et les conséquences pour les demandeurs qui n’obtiennent pas gain de cause, bien qu’elles soient sérieuses, normalement ne touchent aucun droit substantiel : Tuiran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 324 au para 14, 15 [Tuiran].

[17] Notre Cour a toujours reconnu qu’il incombe à la personne présentant une demande de VRT de fournir suffisamment d’éléments de preuve : Anand c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 372 au para 37. En d’autres termes, l’agent n’est pas tenu de demander d’autres renseignements si le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait; le demandeur doit « présenter ses meilleurs arguments » : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 969 au para 23.

[18] Lorsque l’agent a des préoccupations quant à d’éventuelles fausses déclarations ou à l’authenticité d’un élément de preuve donné, il peut être tenu d’en informer le demandeur : De La Cruz Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 784 au para 8; Tuiran, au para 15. Cependant, lorsqu’il est question du caractère suffisant de la preuve présentée (une obligation découlant des exigences de la LIPR), comme en l’espèce, l’agent n’est pas obligé d’en informer le demandeur pour que celui-ci comble les lacunes. Il incombe au demandeur de fournir les éléments de preuve requis.

B. La décision par laquelle l’agent a rejeté les demandes est-elle raisonnable?

[19] Les demandeurs soutiennent que la décision par laquelle l’agent a rejeté leurs demandes est déraisonnable, car celui-ci s’est appuyé sur une conclusion de fait erronée quant au but de leur visite au Canada. Les demandeurs sont d’avis qu’ils ont clairement indiqué que le but de leur visite était de voir leur fille et leurs petits-enfants en Colombie-Britannique. Ils soutiennent que l’agent a mis en doute de manière déraisonnable l’intention du demandeur parce que celui-ci n’avait pas déclaré qu’il comptait visiter son autre enfant en Ontario, mais n’a pas expliqué en quoi cette omission était problématique au point de rejeter la demande du demandeur.

[20] Les demandeurs affirment également que la façon dont l’agent a évalué les renseignements sur leur situation financière et leurs biens était déraisonnable. Ils font valoir que l’agent n’a signalé aucun problème relativement à leur situation financière et qu’ils ont fourni la preuve qu’ils avaient accès aux fonds nécessaires pour faire le voyage, dont une lettre d’invitation détaillée de leur fille accompagnée d’une preuve de son emploi, ainsi qu’une déclaration selon laquelle leur fille leur fournirait les billets d’avion et l’hébergement.

[21] Ils soutiennent également qu’ils ont accès à leurs propres épargnes et ressources financières et que celles-ci suffisent pour couvrir leur voyage et leurs dépenses. Ils affirment que l’agent a fait preuve de zèle en rejetant les demandes et que ses décisions manquent de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[22] De par sa nature, l’analyse effectuée par un agent dans le cadre d’une demande de VRT nécessite une évaluation de divers facteurs, dont le but de la visite, les liens familiaux au Canada et dans le pays de résidence, la situation économique et professionnelle à l’étranger, les tentatives passées d’émigrer au Canada (ou ailleurs), l’absence d’antécédents de voyage de même que la capacité et la volonté de quitter le Canada à la fin du séjour.

[23] Comme l’a indiqué le juge Phelan au paragraphe 8 de la décision Persaud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1252 :

La Cour, s’appuyant sur l’arrêt Vavilov, a reconnu que les motifs à l’appui des décisions de ce type n’ont pas à être exhaustifs, et que si le dossier est clair, la Cour peut « relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées » : voir Vavilov, aux para 97 et 102, citant Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, et Komalafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431 au para 11. Certes, il n’est pas nécessaire que les motifs soient exhaustifs, mais il doit y avoir une justification ou un fil de raisonnement qui y mène.

[24] En l’espèce, l’agent a pris en compte et a examiné les éléments de preuve présentés à l’égard de la situation financière des demandeurs, dont le relevé de compte de M. Ghani. Il a aussi souligné le nombre limité de dépôts et les virements provenant uniquement de son fils aux Émirats arabes unis, puis a conclu que ces éléments démontraient que les fonds des demandeurs étaient limités. L’agent n’était pas tenu de traiter de chacun des facteurs en faveur des demandeurs ni de faire référence à chaque élément de preuve. Il est présumé avoir apprécié et examiné l’ensemble de la preuve dont il était saisi, à moins que le contraire ne soit établi.

[25] Je ne suis pas convaincu que l’agent a commis une erreur dans son évaluation de la preuve. L’agent a tenu compte de multiples facteurs, dont les renseignements financiers, les liens avec le Canada, les antécédents de voyage des demandeurs et leur statut de résident aux Émirats arabes unis. Les demandeurs n’ont pas présenté d’arguments suffisamment solides pour convaincre l’agent qu’ils reviendraient aux Émirats arabes unis ou au Pakistan une fois que leur VRT serait échu. La conclusion selon laquelle les demandeurs n’avaient pas l’intention de quitter le Canada après leur séjour est compatible avec leur souhait de visiter leur fille et de l’aider à prendre soin de ses enfants. Il ressort clairement du dossier que la décision est justifiée.

V. Conclusion

[26] Ayant examiné les observations écrites et orales des parties, je suis convaincu que les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils ont été privés de leur droit à l’équité procédurale ou que la décision était déraisonnable. Il n’appartient pas à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des éléments de preuve et de tirer une conclusion différente lors d’un contrôle judiciaire. En conclusion, les demandes sont rejetées.

[27] Aucune question grave de portée générale n’a été proposée, et aucune ne sera certifiée.

 


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS IMM-6148-19 ET IMM-6149-21

LA COUR STATUE que les demandes sont rejetées. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6148-21

IMM-6149-21

INTITULÉ :

PARVEIZ AKHTAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ET

ABDUL GHANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 AVRIL 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 25 avril 2022

COMPARUTIONS :

Massood Joomratty

POUR LES DEMANDEURS

Jocelyne Mui

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mohan & Associates

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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