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Dossier : T‐678‐21

Référence : 2022 CF 456

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2022

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

MURIEL LABELLE

demanderesse

et

PREMIÈRE NATION CHINIKI

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‐7 [Loi sur les Cours fédérales] à l’encontre d’une décision [la décision] rendue par le conseil tribal Stoney [le CTS] le 26 mars 2021. Dans la décision, le CTS a rejeté l’appel de la demanderesse concernant l’élection organisée au sein de la Première Nation Chiniki [la PNC] le 8 décembre 2020 [l’élection ou l’élection de 2020].

[2] Les parties demandent à la Cour d’examiner les procédures d’appel de la PNC et/ou du CTS en vue de déterminer si le CTS a porté atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale. La demanderesse ne conteste pas le caractère raisonnable de la décision.

[3] Le droit de la demanderesse à l’équité procédurale a été violé. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

I. Le contexte

[4] La demanderesse est membre de la PNC. La PNC est établie dans le sud de l’Alberta et est une bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‐5 [la Loi sur les Indiens]. La PNC, la Première Nation Bearspaw [la PNB] et la Première Nation Wesley [la PNW] constituent les Nations des Stoney Nakoda [les NSN]. Les NSN ont signé le traité no 7 le 22 septembre 1877. Un sondage a été effectué auprès de trois réserves non divisées (les réserves 142, 143 et 144), et celles‐ci ont été mises de côté au profit des NSN.

A. Le modèle de gouvernance traditionnel et l’instauration des élections

[5] Traditionnellement, les NSN ne choisissaient pas leurs dirigeants par voie d’élection. Leur modèle de gouvernance reposait sur un système clanique suivant lequel les groupes familiaux ou clans de chaque nation choisissaient leurs chefs de clan. Les chefs de clan désignaient une personne pour diriger la nation, et cette dernière bénéficiait de l’aide des chefs de clan pour ce faire. Cette coutume a été abolie dans les années 1950, lorsque le Canada a instauré un système électoral.

[6] Le 20 décembre 1956, M. R.F. Battle, surveillant régional des agences indiennes, a rendu visite aux NSN lors d’une assemblée de bande. Il voulait, à cette occasion, convaincre les NSN de se doter d’un système électoral. Il souhaitait également organiser un scrutin pour permettre aux membres des NSN de voter afin de déterminer le nombre de chefs et de conseillers qu’ils souhaitaient élire. Lors de cette assemblée, certains membres des NSN se sont prononcés en faveur de l’élection d’un seul chef, tandis que d’autres étaient favorables à l’élection de trois chefs. D’autres encore ont soutenu que le modèle traditionnel de gouvernance ne devait pas être bouleversé et ont insisté pour que cette proposition fasse partie de celles qui ont été soumises au vote. En fin de compte, cette proposition n’a pas été retenue pour le scrutin.

[7] Aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens, dans le cas de certaines bandes, le conseil de la bande est « choisi selon la coutume de celle‐ci ». En fin de compte, les NSN ont décidé d’organiser des élections tous les deux ans pour choisir le chef et les quatre conseillers de leurs nations respectives, conformément à leur « coutume ». La première élection au sein des NSN a été tenue en 1957. Depuis, les chefs et conseillers élus de chacune des trois Premières Nations forment ensemble le CTS. Au fil des ans, les trois nations composant les NSN ont décidé de modifier leurs mandats respectifs. Actuellement, la PNC organise ses élections selon sa coutume, tous les trois ans.

[8] Selon moi, la visite rendue par M. R.F. Battle aux NSN en 1956 révèle parfaitement qu’il existe une différence entre les coutumes reconnues dans la Loi sur les Indiens et les structures de gouvernance autochtones traditionnelles. Cette différence, comme le montre l’extrait suivant, a été rappelée par le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones dans le rapport qu’il a publié en 2010, intitulé Élections chez les Premières nations : Une question de choix fondamental.

Ce mot [coutumier], tel qu’il est employé dans la Loi sur les Indiens et par le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada, ne qualifie pas les méthodes traditionnelles de choix des dirigeants. Il sert plutôt à faire la distinction entre les conseils de bande élus selon le régime de la Loi sur les Indiens et ceux qui sont élus d’après les règles établies par la bande. Toutefois, ces règles ne sont pas forcément fondées sur des méthodes traditionnelles de choix des dirigeants. Sauf précision contraire, le mot « coutumier », au sens où nous l’employons dans ce rapport, concerne des codes électoraux fixés par la communauté plutôt que des systèmes de choix des dirigeants fondés sur l’hérédité, les clans ou le consensus (à la page 8).

[9] Je conviens qu’il existe une différence entre le modèle de gouvernance traditionnelle et le modèle électoral coutumier. Pour autant, cela ne signifie pas que la « coutume » ne fait pas partie du droit autochtone. Notre Cour a établi que le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens n’accorde pas aux Premières Nations le droit de tenir des élections selon leur coutume (Pastion c Première nation Dene Tha', 2018 CF 648, au para 7 [Pastion]). Comme l’a récemment expliqué le juge Grammond dans la décision Bertrand c Première Nation Acho Dene Koe, 2021 CF 287 [Bertrand] :

[36] La Loi sur les Indiens précise que le conseil d’une Première Nation est « choisi selon la coutume de [la bande] » à moins que le régime électoral prévu aux articles 74 à 80 ne soit expressément applicable à cette Première Nation. Ce faisant, le législateur a renvoyé à un ensemble de normes qui trouvent leur source et leur légitimité en dehors du système juridique canadien et que l’on peut qualifier de droit autochtone : Gamblin c Conseil de bande de la nation crie de Norway House, 2012 CF 1536 au paragraphe 34; Pastion c Première Nation Dene Tha’, 2018 CF 648 au paragraphe 7, [2018] 4 RCF 467 [Pastion]. Dans Bone c Sioux Valley Indian Band No 290, [1996] ACF no 150 (CF 1re inst) au paragraphe 33 [Bone], le juge Heald a déclaré que la Loi sur les Indiens :

[...] n’accorde pas à une bande le pouvoir de créer une coutume pour sélectionner ses conseillers. [Elle] reconnaît plutôt qu’une bande indienne possède des coutumes qui remontent à des décennies, sinon des siècles, et qui peuvent porter sur le choix de son chef et de ses conseillers.

[10] Si la visite de M. R.F. Battle avait pour but de convaincre les membres des NSN de se doter d’un système électoral, elle a également permis de constater que les représentants de la Couronne reconnaissaient la compétence préexistante des structures de gouvernance autochtones traditionnelles et acceptaient d’en respecter les règles.

[11] Le dossier soumis à la Cour indique que la PNC tente d’exercer sa compétence inhérente en matière d’élections (reconnue dans la Loi sur les Indiens comme étant une « coutume ») tout en essayant de rester fidèle à ses traditions. Il est également manifeste que l’imposition d’un régime électoral de désignation des dirigeants a provoqué des conflits au sein de la PNC (et d’autres nations des NSN) et que des principes juridiques du droit canadien ont également été intégrés et appliqués au régime de gouvernance traditionnel ou coutumier de la PNC. La présente instance met en lumière la situation de tension engendrée par les contradictions entre les règles de droit autochtone et les principes d’équité procédurale de la common law, dont l’histoire du colonialisme et l’imposition de régimes électoraux aux nations autochtones sont, à mon avis, les causes.

B. Le CTS et le règlement électoral de la PNC

[12] Les parties conviennent que le CTS, composé des chefs et des conseillers de la PNC, de la PNB et de la PNW, a compétence pour entendre les appels en matière d’élections. Le CTS, en plus d’entendre les appels en matière d’élections, prend également des décisions sur des enjeux communs aux trois Premières Nations.

[13] Les parties conviennent également que, depuis 1986, les dirigeants sortants ont établi des règles et des procédures régissant chaque élection en adoptant des résolutions du conseil de bande [les RCB]. Dans les présents motifs, je ferai référence à ce processus sous le nom de « régime des RCB ». De 1986 à 1998, ce sont les dirigeants sortants des NSN qui signaient les RCB, mais cette pratique a changé à mesure que les trois nations ont adapté leur modèle de gouvernance à leur propre situation. Ainsi, depuis 2022, les dirigeants sortants de la PNC ont entrepris de produire leurs propres RCB. Bien qu’elle remette en question l’équité du régime des RCB, la demanderesse reconnaît également qu’il s’agit là d’une [traduction« pratique répétée » de la PNC.

[14] Le 16 octobre 2020, le chef et les conseillers sortants de la PNC ont adopté une RCB établissant le Custom Election Regulations Governing the 2020 Chiniki Nation Council Nomination and Elections for the Chief and Councillors (Règlement électoral coutumier régissant la nomination et l’élection du chef et des conseillers du conseil de la nation Chiniki de 2020) [le règlement électoral de 2020]. Le règlement électoral de 2020 a fait l’objet de modifications en raison de la pandémie de COVID‐19. Les dispositions les plus pertinentes du règlement électoral de 2020 sont les suivantes :

[traduction]

7.3 Droit de vote

Pour être un électeur admissible et avoir le droit de voter, une personne doit :

a. être âgée de vingt et un (21) ans révolus à la date de l’élection ou avant celle‐ci...

b. être un membre inscrit de la nation Chiniki conformément au Code d’appartenance de la tribu des Stoney;

c. se présenter en personne.

[...]

23.1 APPELS

Tout électeur admissible a le droit d’interjeter appel s’il a des motifs raisonnables de croire :

a. qu’une personne nommée pour être candidate à l’élection n’était pas admissible à l’être;

b. que des pratiques de corruption ont eu lieu dans le cadre de l’élection;

c. qu’une violation du présent règlement électoral coutumier est survenue et a pu influer sur le résultat de l’élection.

23.2 Tout appel relatif aux élections organisées au sein de la nation Chiniki doit être présenté par écrit au directeur général des élections dans les dix (10) jours suivant la date de tenue de l’élection... Le document d’appel doit indiquer les motifs de l’appel et fournir des précisions sur la plainte...

23.3 Le directeur général des élections doit soumettre tout appel en matière d’élections au conseil tribal Stoney. La décision de ce dernier concernant l’appel est définitive et contraignante. Tant qu’il n’est pas statué sur un appel, celui‐ci ne peut entraîner l’invalidation des résultats de l’élection ou du fonctionnement, ou des deux, du conseil de la nation Chiniki nouvellement élu.

[15] Des modifications découlant des précédentes RCB adoptées ont été apportées au règlement électoral de 2020, notamment en son article 23. Dans le même ordre d’idées, un nouveau paragraphe a été ajouté au préambule du règlement électoral de 2020, lequel paragraphe fait référence à la [traduction« pandémie de COVID‐19 en cours ». Le règlement électoral de 2020 permet également l’utilisation d’un [traduction« système de compilation des bulletins de vote », dont le fonctionnement est régi par le [traduction« règlement sur les machines à voter », adopté en application du règlement électoral de 2020. La demanderesse affirme que ces modifications ont été apportées sans que les membres du PNC aient été consultés.

C. L’élection de 2020

[16] Le 29 novembre 2020, après l’adoption du règlement électoral de 2020, le conseil de la PNC a présenté une motion unanime visant à autoriser le vote électronique en raison du nombre croissant de cas d’infections à la COVID‐19. Cinquante‐quatre (54) membres de la PNC ont voté par voie électronique lors de l’élection de 2020.

[17] L’élection de 2020 a été diffusée en direct sur Facebook. Aaron Young a été élu chef et Charles Mark, Jordie Mark, Verna Powderface et Boyd Wesley, ont été élus conseillers. L’autre candidat au poste de chef, Bruce Labelle, a perdu par 38 voix. Au total, le chef Aaron Young a obtenu 350 voix, et Bruce Labelle a obtenu 312 voix.

D. L’appel

[18] Le 18 décembre 2020, la demanderesse a interjeté appel auprès de la directrice générale des élections [la DGE]. La demanderesse a formulé trois arguments :

[traduction]

· Au cours de la diffusion en direct de l’élection, la DGE a annoncé que 625 voix avaient été exprimées au moment de la fermeture du scrutin. Pourtant, lors de la publication des résultats de l’élection, 662 votes ont été comptabilisés, auxquels il faut ajouter quatre votes rejetés. La demanderesse s’interroge sur l’origine des 37 votes « supplémentaires » et prétend que cet écart démontre que l’élection a été « truquée ».

· Le règlement électoral de 2020 n’a pas été respecté car l’article 7.2 précise qu’un « électeur admissible » est une personne qui doit « se présenter en personne ». Le recours au vote électronique a entraîné une violation de cet article. Les dispositions permettant le vote électronique devaient, pour être applicables, être intégrées au règlement électoral initial de 2020.

· Le nom et le numéro de traité de trois électeurs ont été divulgués lors de la diffusion en direct, ce qui constitue une violation de leur vie privée.

[19] Le 8 février 2021, l’administrateur tribal Stoney [l’ATS] a envoyé un courriel à la demanderesse auquel étaient joints : une lettre de l’ATS, les commentaires de la PNC relatifs au vote électronique; l’affidavit de la DGE du 23 décembre 2020 en réponse aux préoccupations de la demanderesse; et l’affidavit supplémentaire de la DGE traitant d’une erreur typographique. La lettre de l’ATS explique que la coutume et la pratique des NSN prévoient que les chefs du CTS décident [traduction] « d’un processus équitable sur le plan procédural pour entendre et trancher l’appel ». Il a informé la demanderesse que la décision concernant son recours serait rendue par écrit, compte tenu de la pandémie en cours et du fait que les motifs d’appel de la demanderesse étaient [traduction] « de nature technique et/ou procédurale ». L’ATS a également demandé à la demanderesse de transmettre sa réponse écrite, accompagnée de tout élément de preuve supplémentaire, au plus tard le 16 février 2021 à 16 heures.

[20] Dans sa lettre, la PNC a indiqué que le vote électronique avait été mis en place en raison du nombre croissant de cas d’infections à la COVID‐19. Elle a indiqué que le 26 novembre 2020, soit quelques jours avant l’élection, sept membres de la PNC ont été testés positifs à la COVID‐19. Le vote électronique a permis de protéger les membres de la PNC et de faire en sorte que tout le monde puisse voter, y compris les personnes tenues de s’isoler. Dans sa lettre, la PNC a indiqué que, compte tenu des circonstances, le choix du vote électronique était le bon.

[21] Dans son affidavit du 23 décembre 2020, la DGE a fourni une ventilation du nombre de votes exprimés, de l’endroit où ils ont été exprimés et des résultats finaux pour le poste de chef. Au total, 666 votes ont été exprimés, dont quatre ont été rejetés. La pièce C de l’affidavit de la DGE est la liste des électeurs, qui identifie chaque membre de la PNC ayant voté lors de l’élection. La pièce a permis de confirmer que le nombre de votes exprimés en personne et par voie électronique est de 666. La DGE reconnaît que trois noms d’électeurs ont été divulgués lors du dépouillement des bulletins de vote.

[22] Dans le même affidavit, la DGE explique également le processus de vote par voie électronique. Tout d’abord, les électeurs ont été informés qu’ils devaient s’inscrire au préalable pour voter par voie électronique. Le jour de l’élection, les électeurs ont appelé la DGE pour décider de la plateforme à utiliser pour la discussion par vidéoconférence. Ils devaient ensuite, après avoir eu accès à la plateforme, lui montrer leur pièce d’identité avec photo et lui envoyer une photo de cette pièce.

[23] La demanderesse a fait parvenir une réponse par courriel le 15 février 2021, indiquant sa volonté que soit tenue l’audience, au cours de laquelle elle fournirait des preuves et interrogerait la DGE. L’ATS lui a répondu le lendemain et a réaffirmé que la coutume voulait que les trois chefs des NSN rendent une décision quant au recours intenté et que le CTS procéderait à l’examen du recours par écrit. Il a repoussé au 19 février 2021 à 16 heures la date limite pour la présentation des observations écrites et des preuves de la demanderesse.

[24] Le 19 février 2021, la demanderesse a fait parvenir à l’ATS ses observations écrites. En premier lieu, la demanderesse a déclaré que le chef de la direction de la PNC et la DGE n’avaient pas le pouvoir de rejeter son appel, ce pouvoir étant réservé au CTS. En second lieu, selon elle, l’affidavit de la DGE comportait des irrégularités : la DGE a effectué sa déclaration sous serment devant un commissaire à l’assermentation situé à l’extérieur de l’Alberta; la date du scrutin anticipé figurant sur l’affidavit est incorrecte; il n’est pas question du recours au vote électronique dans le règlement électoral de 2020; et contrairement aux affirmations de la DGE, la lettre d’appel de la demanderesse énonce adéquatement les motifs de l’appel. Enfin, la demanderesse a exigé la tenue d’une audience mais a déclaré qu’elle pouvait se tenir à distance en raison de la pandémie. Elle a fait valoir que la coutume veut qu’une audience soit tenue dans le cadre d’un appel en matière d’élections. Elle a insisté sur l’importance de pouvoir présenter des arguments dans la langue Stoney et de pouvoir compter sur la présence d’aînés et d’autres membres de la nation.

E. L’audience

[25] Le 4 mars 2021, le CTS s’est réuni virtuellement sur Microsoft Teams pour examiner l’appel présenté par écrit par la demanderesse en l’absence de celle‐ci. L’un des conseillers de la PNC n’a pas pu assister à la réunion, de sorte que quatorze membres du CTS étaient présents. Le président de la réunion était un membre de la PNB et n’a pas voté. Les autres membres de la PNB se sont abstenus de voter, ce qui a donné lieu à quatre abstentions. Les membres de la PNB n’ont pas indiqué les raisons de leur abstention. Le rejet de l’appel a été prononcé par neuf voix pour et zéro voix contre. Les candidats de la PNC élus lors de l’élection de 2020 ont participé aux délibérations et au vote, représentant quatre des neuf voix exprimées. Deux des conseillers de la PNC ont présenté la motion de rejet de l’appel et se sont prononcés en faveur de celle‐ci.

[26] Il a été demandé à l’administrateur de rédiger les motifs écrits de la décision. Le dossier certifié du tribunal indique que ces motifs ont en fait été rédigés par l’avocat du CTS. Au moins un membre du CTS n’était pas au courant à ce moment‐là que la décision avait été rédigée par l’avocat du CTS. Après que les trois chefs des NSN eurent revu et amendé le projet de motifs, ceux‐ci ont été signés par l’ATS et transmis à la demanderesse.

II. La décision

[27] Le 26 mars 2021, la demanderesse a été informée de la décision de rejeter son appel. La décision contient une explication du régime des RCB et indique que ce régime faisait partie de la coutume de la PNC. Dans la décision, il est également fait référence à la partie intitulée [traduction] « APPELS » du règlement électoral de 2020 (au para 14 de la présente décision); il est expliqué que le règlement électoral de 2020 ne précise pas la procédure à suivre en cas d’appel, et que, par conséquent, la procédure d’audience est déterminée par [traduction] « la coutume et les pratiques non écrites des NSN en vigueur depuis 1991 ». Cette [traduction] « coutume non écrite » veut que l’appel soit transmis aux trois chefs du CTS pour décider de la procédure à suivre en cas d’appel. Dans sa décision, le CTS explique pourquoi l’appel interjeté par la demanderesse a été traité par écrit. Ensuite, la décision présente un résumé des motifs soulevés par la demanderesse, la réponse de la DGE telle qu’elle est exposée dans ses affidavits, la réponse de la PNC, telle qu’elle est exposée dans sa lettre, et les observations écrites de la demanderesse.

[28] Dans la décision, chaque question soulevée par la demanderesse fait l’objet d’une analyse. Le CTS conclut que le premier motif avancé par la demanderesse (l’écart concernant le nombre de votes exprimés) relève de l’alinéa 21.1(b) du règlement électoral de 2020 ([traduction] « pratique de corruption »). Cependant, l’observation formulée par la demanderesse repose sur des propos qu’elle a entendus lors de la diffusion en direct de l’élection. La demanderesse n’a fourni aucune preuve attestant de la réalité d’une pratique de corruption. La directrice générale des élections, quant à elle, a expliqué de manière convaincante la manière dont elle a comptabilisé les votes, la provenance de tous les bulletins de vote et la fiabilité des résultats. Le CTS a été convaincu par les éléments de preuve apportés par la DGE en déclarant que celle‐ci [traduction] « a apporté, contrairement à [la demanderesse], des éléments de preuve crédibles quant au fonctionnement du système de compilation des votes, à la provenance des bulletins de vote et à la fiabilité des résultats finaux ». Dans sa décision, le CTS conclut enfin que la demanderesse n’a fourni aucune preuve permettant de remettre en question le nombre final de votes.

[29] Dans sa décision, le CTS juge que l’argument relatif au vote électronique relève de l’alinéa 23.1(c) ([traduction] « violation du règlement électoral de 2020 »). Cependant, l’alinéa 23.1(c) exige de prouver que la violation alléguée a influé sur le résultat de l’élection. Le CTS conclut, dans sa décision, que la demanderesse n’a fourni aucune preuve permettant d’établir que le vote électronique a influé sur le résultat de l’élection.

[30] Le CTS souligne également que la PNC a autorisé le recours au vote électronique en raison de [traduction] « l’augmentation exponentielle » des cas d’infection à la COVID‐19 au sein des SNS. La décision du CTS indique que celui‐ci a admis les éléments de preuve apportés par la DGE et la PNC selon lesquels le vote électronique a été autorisé afin que les membres de la PNC puissent exercer leur droit de vote même s’ils étaient contraints de s’isoler. Par ailleurs, la décision précise que le processus de vote électronique (discussion par vidéoconférence avec la DGE) a été organisé de telle façon que les mêmes garanties que celles qui s’appliquent au vote en personne ont été assurées. En effet, la DGE pouvait voir et parler à l’électeur, vérifier son identité et vérifier le bulletin de vote. En fin de compte, la décision rendue par le CTS indique que celui‐ci est d’avis que le vote électronique n’a pas porté atteinte à l’intégrité du processus de vote et n’a pas réduit le nombre de personnes qui ont pu exercer leur droit de vote. Le vote électronique était tout au plus une [traduction] « modification administrative » de l’alinéa 7.3(c) du règlement électoral de 2020, et non une modification de fond.

[31] Enfin, le CTS, dans sa décision, conclut que la divulgation d’informations confidentielles pendant la diffusion en direct de l’élection ne relève pas des motifs énumérés à l’article 23.1 du règlement électoral de 2020 ([traduction] « inadmissibilité, corruption ou violation du règlement électoral de 2020 »). Le CTS souligne toutefois que la protection des informations confidentielles est importante. Le CTS recommande, dans sa décision, que des mesures de protection supplémentaires soient prévues pour les élections futures et que le personnel électoral reçoive à l’avenir une meilleure formation et de meilleures instructions. Le CTS souligne que la demanderesse n’a pas demandé de réparation spécifique à cet égard.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle judiciaire

[32] Après examen des observations soumises par les parties, les questions en litige peuvent être formulées ainsi :

  1. Quelles sont les coutumes de la PNC et du CTS en matière d’appels?
  2. Le CTS a‐t‐il violé le droit de la demanderesse à l’équité procédurale en :

(a) permettant au chef et aux conseillers de la PNC nouvellement élus de se prononcer sur l’appel interjeté par la demanderesse en tant que décideurs;

(b) refusant de tenir une audience;

(c) refusant de procéder à un contre‐interrogatoire de la DGE?

[33] Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte. Cependant, la défenderesse souligne que, dans le contexte des appels en matière d’élections des Premières Nations, le contenu de l’obligation d’équité « dépend des circonstances particulières et du contexte particulier [du tribunal d’appel]. Ce contexte peut et doit englober le respect des cours de justice envers la coutume considérée » (Bruno c Canada (Commission d’appel en matière électorale de la Nation Crie de Samson), 2006 CAF 249 au para 20 [Samson]). De plus, le « respect des cours de justice » « command[e] la déférence à l’égard des décideurs autochtones chargés d’appliquer les lois autochtones » (Pastion, aux para 21 à 23).

[34] Je suis d’accord avec les parties sur le fait que les questions d’équité procédurale doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au para 79; Canada c Première Nation d’Akisq'nuk, 2017 CAF 175, au para 19; Gadwa c Première Nation Kehewin, 2016 CF 597, au para 19, conf par 2017 CAF 203; Morin c Nation crie d’Enoch, 2020 CF 696, au para 21; Tourangeau c Première Nation de Smith’s Landing, 2020 CF 184, au para 26; McKenzie c Première Nation crie Mikisew, 2020 CF 1184, au para 29). Dans le cadre d’un contrôle judiciaire effectué selon la norme de la décision correcte, aucune déférence n’est due au décideur et il appartient à la cour de révision de déterminer si les droits à l’équité procédurale du demandeur ont été violés (Elson c Canada (Procureur général), 2019 CAF 27 au para 31; Connolly c Canada (Revenu national), 2019 CAF 161 au para 57).

[35] Toutefois, il est indiqué, dans l’arrêt Canada Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au paragraphe 77 [Vavilov], que « [l]’obligation d’équité procédurale en droit administratif est “éminemment variable”, intrinsèquement souple et tributaire du contexte : Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, p. 682; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 22‐23; Moreau‐Bérubé, par. 74‐75; Dunsmuir, par. 79 » [Non souligné dans l’original.] La coutume d’une Première Nation demeure déterminante pour définir le contenu et la portée de l’obligation d’équité procédurale.

[36] La demanderesse ne conteste pas le caractère raisonnable de la décision.

IV. Question préliminaire

[37] La défenderesse soutient que la Cour devrait exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confèrent les paragraphes 18.1(3) et 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales de ne pas accorder de réparation. Selon la défenderesse, la Cour perdrait son temps et gaspillerait ses ressources si elle décidait de renvoyer l’affaire au CTS. La défenderesse affirme que la preuve démontre clairement que les contestations de la demanderesse à l’égard de l’élection de 2020 sont vouées à l’échec et que la possibilité de contre‐interroger les témoins ou la tenue d’une audience ne changerait pas le résultat de la décision. Pour tous les motifs suivants, je ne partage pas cet avis.

V. Les arguments des parties

A. Quelles sont les coutumes de la PNC et du CTS en matière d’appels?

(1) Les arguments de la demanderesse

(a) Le régime des RCB

[38] La demanderesse remet en question la légitimité du régime des RCB. Elle soutient que l’adoption d’un tel régime ne saurait être assimilée à l’adoption d’un [traduction] « code électoral ratifié ». Elle soutient que le régime des RCB confère indûment au chef et au conseil le pouvoir exclusif de définir la coutume électorale de la PNC. Cette pratique est contraire à la common law, selon laquelle la coutume résulte d’un « large consensus au sein de la communauté » ou des membres de la bande, et non pas uniquement du chef et du conseil (Bertrand, au para 50; Shirt c Nation Crie de Saddle Lake, 2017 CF 364 au para 32 [Shirt]; Francis c Mohawk Council of Kanesatake, 2003 CFPI 115, au para 36 [Francis]).

[39] Dans l’affaire Shotclose c Première Nation Stoney, 2011 CF 750, au paragraphe 68 [Shotclose], la PNB et la PNW étaient concernées, mais pas la PNC. Dans cette affaire, le chef et le conseil de la PNB ont porté leur mandat de deux ans à quatre ans au moyen d’une RCB et sans vote de ratification. La Cour a jugé que « [...] les demandeurs et tous les membres adultes de la Première Nation de Bearspaw ont le droit d’être consultés et de voter au sujet des changements proposés au Règlement électoral de la Première Nation de Bearspaw » (au para 6 de la partie consacrée au jugement dans Shotclose). La demanderesse soutient que le régime des RCB de la PNC ne permet pas non plus de faire participer les membres de la PNC. Dans son affidavit, la demanderesse affirme qu’elle n’a jamais été consultée sur le contenu du règlement électoral de 2020 de la PNC. Cela dit, la demanderesse précise que le régime des RCB n’invalide pas automatiquement le résultat de l’élection. L’absence de consultation entraîne simplement une confusion quant au contenu de la coutume à suivre, ce qui soulève des problèmes en matière d’équité procédurale.

(b) Les appels en matière d’élections

[40] La demanderesse allègue que la coutume du CTS dans le cas d’un appel en matière d’élections veut que soit tenue une audience. L’audience doit être tenue en personne. Les appelants présentent habituellement leurs arguments dans la langue Stoney, les aînés et les membres de la PNC sont présents, les appelants peuvent interroger le directeur général des élections, et le chef et/ou les conseillers mis en cause participent à l’audience en tant qu’intimés et non en tant que décideurs.

[41] La demanderesse rappelle les modalités des procédures d’appel suivies lors des appels relatifs aux élections de 2012 et 2018 de la PNC, ainsi que les procédures suivies lors de l’appel relatif à l’élection de 2017 de la PNB. Dans le cadre de tous ces appels, les audiences ont été tenues en personne et les appelants ont eu la possibilité d’interroger les témoins. Dans le cadre de l’appel relatif à l’élection de 2017 de la PNB et de l’appel relatif à l’élection de 2018 de la PNC, le chef et les conseillers nouvellement élus ont été considérés comme des intimés.

(2) Les arguments de la défenderesse

(a) Le régime des RCB

[42] Selon le témoignage de l’aîné Wesley (un aîné de la PNC), de l’aîné Kaquitts (un aîné de la PNW) et du conseiller Mark, la PNC a pour coutume d’adopter une RCB établissant le règlement de l’élection de la PNC à venir (le régime des RCB). Chaque RCB apporte des modifications de procédure pour garantir le bon déroulement de l’élection et pour que tous les électeurs admissibles puissent exercer leur droit de vote. Les droits fondamentaux des membres de la PNC ne sont pas affectés par le régime des RCB et n’ont pas changé depuis 1986. Au cours des 35 dernières années, les membres de la PNC n’ont jamais contesté cette coutume ni remis en question les modifications procédurales apportées au fil du temps.

[43] Par conséquent, par des « actes répétitifs », le régime des RCB constitue une coutume « généralement acceptabl[e] pour les membres de la [PNC] » (Francis, aux para 22 à 27). Par conséquent, le règlement électoral de 2020 a bien été [traduction] « ratifié », contrairement à ce qu’affirme la demanderesse.

[44] La défenderesse fait également valoir que la présente affaire se distingue de l’affaire Shotclose. Dans l’affaire Shotclose, le chef et les conseillers ont modifié des droits fondamentaux en prolongeant leur mandat sans consulter les membres. Dans la présente affaire, le vote électronique constituait simplement une modification de procédure visant à faire en sorte que tous les membres puissent exercer leur droit de vote. Cette modification est semblable à une disposition préexistante qui permet au directeur général des élections de recueillir les votes des membres de la PNC qui sont hospitalisés.

(b) Appels en matière d’élections

[45] Les seuls éléments de preuve présentés à la Cour concernant la coutume du CTS et de la PNC se résument à deux affidavits de l’aîné Wesley et de l’aîné Kaquitts. Pour invoquer une coutume alléguée, la demanderesse a le fardeau de démontrer l’existence de cette coutume; une simple déclaration d’opinion quant à l’existence d’une telle coutume ne suffit pas (Louie c Canada (Services aux Autochtones), 2021 CF 650, aux para 39 à 43). La demanderesse n’a offert aucune preuve à l’appui de son argument selon lequel la coutume du CTS veut que soit tenue une audience. Elle a également choisi de ne pas contre‐interroger les aînés sur les témoignages qu’ils ont fournis.

[46] Les affidavits des aînés et du conseiller Mark établissent que la coutume en matière d’appels d’élections veut que les trois chefs du CTS parviennent à un consensus sur la procédure à suivre, en tenant compte de [traduction] « ce qui s’avère équitable dans les circonstances ». Si les chefs ne parviennent pas à un consensus, l’ensemble du CTS décide de la procédure à suivre. Le CTS examinera alors l’appel conformément à cette procédure. Dans le contexte de la présente affaire, l’examen par écrit de l’appel de la demanderesse était la procédure la plus pertinente, compte tenu de la nature technique et procédurale de l’appel et de la pandémie en cours. Tout cela a été expliqué à la demanderesse dans la lettre du 8 février 2021.

[47] La coutume du CTS veut également qu’après l’élection, les candidats élus fassent immédiatement partie du CTS et puissent participer à la prise de décision [traduction] « selon ce que leur conscience leur dicte dans les circonstances ». Parmi les [traduction] « circonstances » pertinentes, figurent notamment les conseils ou les directives reçus des chefs. Enfin, après la prise de décision du CTS, il est d’usage que l’administrateur rédige les motifs écrits au nom du CTS afin de les soumettre à l’approbation des chefs.

B. Le CTS a‐t‐il violé le droit de la demanderesse à l’équité procédurale?

[48] La demanderesse affirme que son droit à l’équité procédurale, garanti par la common law, a été violé parce que les conseillers nouvellement élus du conseil de la PNC ont participé à la prise de décision, qu’elle s’est vu refuser la tenue d’une audience et qu’elle n’a pas été autorisée à interroger la DGE. En outre, la demanderesse était légitimement en droit de s’attendre à ce que l’audience se déroule conformément à la coutume de la PNC.

[49] La défenderesse affirme que, dans les [traduction] « circonstances et le contexte particuliers » de cette affaire, en tenant compte de la coutume du CTS, le droit à l’équité procédurale de la demanderesse a été respecté. Elle a reçu un avis d’audience, la possibilité de présenter des observations, une prolongation du délai pour présenter ces observations et des motifs écrits.

(1) La participation du chef et des conseillers de la PNC nouvellement élus à la prise de décision concernant l’appel était‐elle inéquitable?

(a) Les arguments de la demanderesse

[50] Le CTS a violé le principe selon lequel nul ne peut être à la fois juge et partie en permettant aux candidats élus de participer à la prise de décision (Pearlman c Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 RCS 869 [Pearlman]). La demanderesse affirme que les candidats élus avaient un intérêt important dans le dénouement de l’appel puisque la demanderesse sollicitait de leur part l’invalidation de l’élection qui leur a permis d’être élus, en ce sens qu’ils « avaient un intérêt personnel de premier ordre, plus que dans celui de tout autre membre de la [Première nation] » (Halcrow c Première Nation de Kapawe'no, 2021 CF 219, au para 57).

[51] La demanderesse reconnaît qu’une instance législative peut autoriser une violation du principe selon lequel nul ne peut être juge et partie selon la loi. Néanmoins, la demanderesse soutient que le règlement électoral de 2020 n’est pas une loi, car il ne s’agit pas d’un code électoral ratifié. Par conséquent, l’exception au principe selon lequel nul ne peut être juge et partie ne peut s’appliquer.

[52] Les conseillers de la PNC élus lors de l’élection de 2020 auraient dû se récuser lors du vote portant sur la décision concernant l’appel interjeté par la demanderesse. C’est la démarche qui a été suivie dans le cadre de l’appel de l’élection organisée au sein de la PNB en 2017 et de l’appel de l’élection organisée au sein de la PNC en 2018. Dans le cadre de l’appel de l’élection organisée au sein de la PNC en 2018, les candidats élus ont été considérés comme des intimés. Le fait que les candidats élus ne se soient pas récusés dans le contexte de la présente affaire représente une violation de la coutume de la PNC et suscite une crainte raisonnable de partialité.

[53] Dans la décision Shotclose, la Cour a jugé qu’« [u]ne personne bien renseignée qui examinerait la question de façon réaliste et pratique conclurait que le chef et les conseillers étaient partie à cette controverse et qu’ils avaient des intérêts directs, y compris des intérêts financiers, en ce qui concerne le résultat. Il ne leur était pas loisible de décider de la durée de leur propre mandat, si ce n’est en démissionnant » (au para 96). La demanderesse affirme que le même raisonnement peut être appliqué dans le cadre de la présente affaire et que les candidats élus lors de l’élection organisée au sein de la PNC n’auraient pas dû prendre part au vote quant à la validité ou l’invalidité de l’élection. À elle seule, la violation du principe selon lequel nul ne peut être à la fois juge et partie justifie d’accueillir le contrôle judiciaire.

(b) Les arguments de la défenderesse

[54] Le droit de la demanderesse à l’équité procédurale n’a pas été violé par le fait que les candidats élus lors de l’élection organisée au sein de la PNC se sont prononcés en tant que décideurs sur la décision portant sur l’appel interjeté par la demanderesse. Deux des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker sont particulièrement pertinents en l’espèce, à savoir : « la nature du régime législatif » et « les choix de procédure que l’organisme fait lui‐même » (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817), aux para 21 à 28 [Baker]).

[55] En l’espèce, la nature du régime législatif englobe le règlement électoral de 2020 et la coutume non écrite du CTS concernant les appels en matière d’élections. L’article 23.3 du règlement électoral de 2020 soumet expressément tous les appels en matière d’élections à la compétence du CTS. La coutume non écrite du CTS veut que les candidats élus fassent partie du CTS dès leur élection et qu’ils puissent participer aux appels [traduction] « selon ce que leur conscience leur dicte ». Considéré dans son ensemble, ce cadre législatif, constitué de coutumes écrites et non écrites, se situe dans le cadre de l’exception au principe selon lequel nul ne peut être à la fois juge et partie, ce qui permet aux décideurs de se prononcer sur les appels interjetés même en situation de conflit d’intérêts lorsqu’ils y sont autorisés par la loi.

[56] Le CTS devrait « avoir une latitude étendue [pour] choisir ses propres procédures » (Samson, au para 22). Dans le cadre de l’appel interjeté concernant l’élection organisée par la PNC en 2018, les appelants ont pointé du doigt la conduite personnelle et l’intégrité des candidats (achat de votes, intimidation des électeurs, etc.). La nature de ces accusations explique pourquoi les candidats élus se sont récusés en 2018. En revanche, l’appel de la demanderesse portait sur des questions de nature technique et procédurale. En outre, la demanderesse ne formule aucune allégation de partialité réelle ou de mauvaise foi. Dans ces circonstances, la participation des conseillers de la PNC en tant que décideur était acceptable.

[57] Par ailleurs, la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée parce que, même si les quatre membres élus au conseil de la PNC n’avaient pas voté, l’appel aurait quand même été rejeté par un vote de cinq voix contre zéro.

(2) Le refus par le CTS d’accorder une audience à la demanderesse était‐il inéquitable?

(a) Les arguments de la demanderesse

[58] La coutume de la PNC et les principes d’équité procédurale commandaient la tenue d’une audience. À défaut de la tenue d’une audience, la demanderesse ne pouvait pas présenter sa cause « pleinement et équitablement » (Baker, au para 30). Dans le contexte d’un appel d’une élection organisée au sein d’une Première Nation, l’examen par écrit de l’appel était inadapté, car la demanderesse ne pouvait pas présenter ses observations dans la langue Stoney ni compter sur la participation des aînés. Il est essentiel de pouvoir présenter des observations dans la langue Stoney, dans la mesure où certains termes ne peuvent être traduits en anglais.

[59] La demanderesse était disposée à participer à une audience tenue en mode virtuel en raison de la pandémie, mais elle n’a pas été invitée à la réunion virtuelle du CTS. Les candidats élus lors de l’élection organisée au sein de la PNC ont effectivement pu être entendus lors d’une audience, tandis que la demanderesse s’est vu refuser ce droit.

(b) Les arguments de la défenderesse

[60] La coutume du CTS ne prévoit pas la tenue d’une audience dans le cas d’appels en matière d’élections, pas plus que les principes d’équité procédurale. La norme minimale en matière d’équité procédurale veut qu’un appelant ait la possibilité de présenter des observations afin que l’affaire puisse être résolue sur la base d’un examen complet et juste des éléments du dossier (Samson, au para 22; Shirt, aux para 52, 53 et 57).

[61] Dans la lettre que l’ATS a envoyée à la demanderesse le 8 février 2021, l’ATS a fourni à la demanderesse des précisions quant à la teneur de la coutume du CTS, la procédure à suivre en cas d’appel, les motifs pour lesquels les chefs ont choisi cette procédure et la date limite pour la présentation des observations écrites par la demanderesse. Le CTS a par la suite repoussé cette date limite. Au bout du compte, le CTS a offert à la demanderesse la possibilité de présenter ses observations par écrit. La demanderesse, de son propre chef, a choisi de présenter des observations écrites brèves, dans lesquelles il était presque uniquement question de sa volonté que soient tenus une audience et un contre‐interrogatoire.

(3) Le refus du CTS de permettre à la demanderesse de contre‐interroger la DGE était‐il inéquitable?

(a) Les arguments de la demanderesse

[62] La demanderesse s’est vu refuser la possibilité de contre‐interroger la DGE à propos de l’affidavit déposé par cette dernière, bien que la demanderesse ait immédiatement relevé des irrégularités à ce sujet et demandé le droit à un contre‐interrogatoire. Les éléments de preuve contenus dans l’affidavit de la DGE étaient en contradiction directe avec les arguments de la demanderesse. En fin de compte, le CTS a accordé du crédit aux éléments de preuve présentés par la DGE sans offrir à la demanderesse la possibilité de les contester.

(b) Les arguments de la défenderesse

[63] Lorsqu’une loi ne contient aucune disposition quant au droit de procéder à un contre‐interrogatoire, les tribunaux sont généralement réticents à imposer des procédures ou des règles techniques de preuve, à moins que la justice naturelle ne l’exige (Armstrong c Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [1998] 2 CF 666), au para 15). La justice naturelle n’exige pas toujours de procéder à un contre‐interrogatoire (James Lipkovits, et al. c Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, et al., [1983] 2 CF 321 au para 6, 17 ACWS (2d) 445). Bien que le règlement électoral de 2020 et la coutume du CTS ne comportent aucune disposition concernant le droit de procéder à un contre‐interrogatoire, la coutume laisse aux chefs le soin de décider de la procédure qu’ils jugent pertinente selon les circonstances. Autrement, si les chefs ne parviennent pas à se mettre d’accord, le CTS décidera de la procédure à suivre. Par conséquent, le régime légal applicable dans la présente affaire peut permettre de procéder à un contre‐interrogatoire dans certaines circonstances, et pas dans d’autres.

VI. Analyse

[64] Avant d’examiner les aspects particuliers des coutumes de la PNC et du CTS, il est utile d’énoncer certains des principes clés qui régissent les élections organisées selon la coutume. Lorsque les parties autochtones d’une même Première Nation ne s’entendent pas sur le contenu de la coutume régissant une élection, la Cour peut déterminer en quoi cette coutume consiste après examen de la preuve (Shotclose, aux para 47, 69 et 78). Comme les parties l’ont fait remarquer, il est important que la Cour procède à cet examen en l’espèce, car la coutume d’une Première Nation doit être prise en compte lors de l’évaluation du contenu de l’équité procédurale (Samson, au para 20).

[65] En outre, le fardeau d’apporter la preuve du contenu d’une coutume spécifique n’incombe pas toujours au demandeur; il incombe plutôt à la partie qui invoque la coutume (Francis, au para 21). Dans certains cas, le fardeau incombe au défendeur (Taypotat c Taypotat, 2012 CF 1036, au para 28; Première Nation de Taykwa Tagamou c Linklater, 2020 CF 220, au para 66). Lorsque les deux parties invoquent une coutume, les tribunaux doivent apprécier la preuve présentée par chacune des deux parties (Shotclose, aux para 68 à 88).

[66] Le juge Strickland a récemment présenté une synthèse utile des principes clés régissant les élections organisées selon la coutume dans la décision Première Nation des Da'naxda'xw c Peters, 2021 CF 360 [Da'naxda'xw], au paragraphe 72 :

En résumé, pour qu’il y ait coutume, il faut la preuve d’une pratique et la manifestation de la volonté des membres de la Première Nation d’être liés par cette pratique (Francis, au para 26). L’établissement de la coutume des bandes exige la preuve que la coutume est fermement établie, généralisée et suivie de manière uniforme et délibérée par une majorité des membres de la communauté, ce qui démontre un large consensus (Francis, au para 36); Beardy, au para 97; Shirt, au para 31). Le chef et le conseil ne peuvent pas à eux seuls déterminer qu’un changement de circonstances comprend une nouvelle coutume, il doit exister un large consensus parmi les membres (Shirt, au para 32); Bertrand, au para 37; Shotclose, au para 69). De même, la coutume n’est pas immuable, mais tout changement exige un large consensus des membres (McLeod, au para 10); Francis, au para 24). L’analyse visant à déterminer si une coutume jouit d’un large consensus est fondée sur des faits et un contexte précis, et la preuve peut démontrer qu’il n’y a pas de consensus (McLeod, au para 17, Shirt, au para 40, Taypotat c Taypotat, 2012 CF 1036 [Taypotat]). La coutume peut être démontrée par un événement unique comme un référendum ou un vote majoritaire, par une série d’événements, ou peut‐être par un acquiescement (McLeod, aux para 18 et 19, Francis, au para 30, Awashsish, au para 44) [...] et l’existence d’une coutume au sein d’une bande et la question de savoir si elle a été modifiée avec l’accord substantiel de ses membres dépendront toujours des circonstances (Taypotat, au para 30).

[67] Appliquons les principes précités aux circonstances de la présente affaire.

A. Quelles sont les coutumes de la PNC et du CTS en matière d’appels?

(1) Le régime des RCB

[68] La demanderesse reconnaît que le régime des RCB ne remet pas en cause la validité de l’élection et que les RCB ont représenté une [traduction] « pratique répétée » au sein de la PNC. Cependant, la demanderesse soutient également que le régime des RCB ne saurait être assimilé à un code électoral ratifié, car les dirigeants sortants n’ont pas consulté les membres de la PNC avant de modifier le règlement électoral de 2020. Par conséquent, l’exception au principe selon lequel nul ne peut être à la fois juge et partie ne peut être invoquée et le règlement électoral de 2020 ne peut être considéré comme faisant partie du [traduction] « cadre législatif » aux fins de la détermination du contenu de l’équité procédurale.

[69] La demanderesse invoque la décision Shotclose pour démontrer que les membres de la PNC « ont le droit d’être consultés et de voter au sujet des changements proposés au règlement électoral ». Dans la décision Shotclose, la question en litige consistait à déterminer si la PNB avait pour coutume, pour apporter des modifications aux mandats, de consulter un comité consultatif d’aînés ou d’offrir aux membres de la PNB la possibilité de débattre des changements et de voter sur ces changements (Shotclose, aux para 73 et 74). La Cour a contesté la modification unilatérale du règlement électoral par la PNB et la tentative de la PNB de modifier la loi sur le fond en faisant passer la durée du mandat de deux à quatre ans. Toutefois, la Cour n’a pas remis en cause le régime des RCB lui‐même. La Cour a même précisé que les demandeurs ne pouvaient pas interjeter appel auprès du CTS dans la mesure où aucune RCB n’avait été adoptée pour l’élection de 2010 (Shotclose, au para 98).

[70] La décision Shotclose fournit des lignes directrices pertinentes. Je conclus à mon tour que le régime des RCB représente une pratique habituelle dans le cadre de la conduite des élections de la PNC. Le dossier révèle que le chef et le conseil ont pour pratique établie d’adopter des RCB pour assurer le bon déroulement de l’élection à venir, dans la mesure où les modifications prévues dans les RCB n’ont pas d’incidence sur les droits fondamentaux des électeurs.

(2) Les appels en matière d’élections

[71] Les parties ne s’entendent pas sur deux aspects de la coutume du CTS : a) la procédure utilisée en matière d’appels et la façon dont cette procédure est établie et b) la possibilité pour les candidats élus de participer à la prise de décision quant aux appels.

[72] La défenderesse affirme que la coutume veut que les trois chefs décident de la procédure à suivre pour chaque appel en matière d’élections. Par ailleurs, les candidats élus peuvent participer à la prise de décision quant à l’appel selon ce que leur [traduction] « conscience leur dicte dans les circonstances », y compris en tant que décideurs. Comme je l’explique dans la partie suivante, même si la défenderesse établit que ces pratiques font partie de la coutume du CTS, celles‐ci sont néanmoins contraires aux règles fondamentales de l’équité procédurale. Bien que le contenu de l’obligation d’équité procédurale soit spécifique au contexte et doive inclure le respect des cours de justice envers la coutume considérée (Samson, au para 20), le droit établit clairement que la coutume ne peut ignorer ou outrepasser les principes de justice naturelle ou l’obligation d’équité (Beardy c Beardy, 2016 CF 383, au para 126; Felix c Sturgeon Lake First Nation, 2014 CF 911, au para 76; Shirt, au para 54).

[73] Bien que, dans la présente affaire, la décision rendue puisse uniquement se limiter aux questions d’équité procédurale, les deux parties ont demandé à la Cour de déterminer le contenu de la coutume du CTS concernant les appels en matière d’élections. Je suis d’accord pour dire que le fait de déterminer en quoi consiste en partie la coutume peut aider la communauté et lui apporter des éclaircissements. Par conséquent, je vais m’efforcer d’accomplir cette tâche dans la mesure du possible.

(a) Quelle est la procédure suivie en matière d’appels et comment est‐elle établie?

[74] Parmi les éléments de preuve relatifs aux appels en matière d’élections interjetés auprès du CTS figurent les affidavits de l’aîné Wesley, de l’aîné Kaquitt et du conseiller Mark, la transcription du contre‐interrogatoire du conseiller Mark, l’affidavit de la demanderesse, et la transcription du contre‐interrogatoire de la demanderesse. La défenderesse a également soumis le procès‐verbal de la réunion organisée dans le cadre de l’appel de l’élection tenue au sein de la PNC en 2012, les motifs écrits du CTS concernant l’appel de l’élection tenue au sein de la PNB en 2017, les motifs écrits du CTS concernant l’appel de l’élection tenue au sein de la PNC en 2018, ainsi que des procès‐verbaux partiels rédigés dans le cadre de la procédure de l’appel de l’élection tenue au sein de la PNC en 2018.

[75] Le conseiller Mark a été soumis à un contre‐interrogatoire portant sur l’affidavit qu’il a déposé. Au cours de ce contre‐interrogatoire, des questions lui ont été posées au sujet de l’appel de l’élection de 2020, y compris au sujet de la procédure suivie et des sujets qui ont été abordés à cette occasion. Il a été demandé au conseiller Mark si quiconque, au cours de la réunion organisée par voie virtuelle pour discuter de l’appel, a posé la question de savoir pourquoi la demanderesse n’était pas présente, quelles ont été les remarques préliminaires des chefs, ce qui a été discuté en ce qui concerne les conflits d’intérêts et les récusations, quelles discussions ont eu lieu concernant le bien‐fondé de l’appel, et si la PNC a eu l’occasion de présenter une réponse à l’appel lors de l’audience. En réponse à ces questions, le conseiller Mark a déclaré qu’il ne se souvenait pas, malgré sa présence et sa participation aux discussions. En revanche, le conseiller Mark a été capable de se souvenir de détails concernant les élections passées. Je considère que le témoignage du conseiller Mark est évasif et j’en tire une conclusion négative.

[76] Lors de son contre‐interrogatoire, le conseiller Mark a également suggéré que, conformément à la coutume non écrite, les trois chefs des NSN (et non le CTS) pourraient décider eux‐mêmes du bien‐fondé de l’appel et ainsi exercer leur pouvoir discrétionnaire, en écartant le CTS du processus décisionnel. Cette démarche est contraire à l’article 23.3 du règlement électoral de 2020, qui précise que le CTS est compétent pour entendre les appels. Je remarque que, bien que le conseiller Mark ait été le témoin de la défenderesse, celle‐ci ne semble pas approuver le point de vue du conseiller Mark, puisqu’elle n’a pas fait valoir cet argument. Cette divergence indique un manque de consensus concernant la coutume réelle du CTS et remet en question la fiabilité du témoignage du conseiller Mark.

[77] En ce qui concerne les affidavits des aînés, je tiens à reconnaître le rôle important que jouent les aînés Wesley et Kaquitts dans leur communauté en tant que gardiens du savoir. Je reconnais également que les aînés peuvent avoir eu besoin d’aide pour remplir leurs affidavits et que la barrière de la langue peut avoir été rencontrée entre les aînés et ceux qui les ont aidés. Cependant, après avoir examiné les affidavits des aînés, je ne peux leur accorder un poids substantiel. Les deux affidavits utilisent exactement le même langage pour évoquer les éléments pertinents de la coutume invoquée. Avec respect, je dois dire que le degré de ressemblance entre les affidavits des deux aînés remet en question leur authenticité.

[78] Enfin, la preuve objective ne permet pas de corroborer l’argument de la défenderesse. Dans le procès‐verbal de l’appel de l’élection de 2012, le CTS a fait remarquer qu’aucune RCB n’avait été adoptée pour déterminer la façon dont les appels devaient être menés. En réponse, l’ancien chef Labelle et le chef Wesley ont recommandé de décider du processus par voie de motion. Le procès‐verbal n’explique pas le contenu de cette motion, mais il semble que certains éléments de la procédure suivie dans le cadre de l’appel aient été décidés par l’ensemble des conseillers du CTS, et non par les chefs seuls. L’appel était également ouvert au public, comme en témoigne le grand nombre d’observateurs. De même, le procès‐verbal indique que le conseiller Keith Lefthand a rappelé le caractère public de la procédure suivie dans le cadre de l’appel de 2012.

[79] En outre, lors de l’appel de l’élection tenue au sein de la PNB en 2017, l’appelant et son avocat ont présenté des arguments verbaux. La lettre de décision relative à cet appel indique que l’appelant n’a pas interrogé le directeur général des élections parce que l’appel portait sur la disqualification de la candidature de l’appelant, et non sur la manière dont le directeur général des élections a organisé l’élection. Il convient également de faire remarquer que les conseillers de la PNB nouvellement élus n’ont pas pris part à l’appel en raison des répercussions directes de la procédure sur eux.

[80] La décision rendue sur l’appel de l’élection tenue au sein de la PNC en 2018 indique également que la réunion organisée pour discuter de l’appel était publique. L’appel portait notamment sur le nouveau décompte des votes, la disponibilité de la DGE et les allégations d’achat de voix par des personnes non identifiées. Les conseillers de la PNC n’ont pas pris la parole, mais leur avocat a pu le faire et les conseillers de la PNC se sont récusés en tant que décideurs.

[81] À titre de comparaison, le dossier de la présente affaire indique que l’appel relatif à l’élection de 2020 a été le tout premier appel interjeté auprès du CTS que celui‐ci a examiné par écrit. La défenderesse ne conteste pas ce fait. Dans le cadre de l’appel relatif à l’élection organisée au sein de la PNB en 2017, la procédure a débuté par un examen écrit des réclamations, mais l’examen final de l’appel a été effectué au moyen de la tenue d’une audience. Les pièces I, M, R et O de l’affidavit de Jennifer Bobrovitz indiquent que, dans le cas des appels antérieurs, les appelants ont présenté leurs observations dans la langue Stoney, que des aînés étaient présents et que le DGE était présent pour répondre aux questions. Je conclus que ces éléments de preuve démontrent suffisamment que la tenue d’audiences en personne est « fermement établie, généralisée et suivie de manière uniforme et délibérée par une majorité des membres de la communauté, ce qui démontre un large consensus » en raison d’une « série d’événements » (Da'naxda'xw, au para 72).

(b) Les candidats élus peuvent‐ils participer aux prises de décision relatives aux appels en matière d’élections?

[82] Pour les motifs suivants, je conclus que les éléments de preuve crédibles présentés ne suffisent pas à établir de façon crédible si les candidats élus peuvent prendre part aux prises de décision relatives aux appels en matière d’élections en vertu de la coutume de la PNC.

[83] La demanderesse fait observer que les conseillers de la PNC se sont récusés lors des appels de 2017 et 2018. Cela vient appuyer l’argument de la demanderesse selon lequel la coutume, à la lumière d’exemples récents, veut que les candidats élus se récusent. Cependant, dans l’appel de 2012, les conseillers de la PNC nouvellement élus ont pris part à la prise de décision. Une seule abstention a été enregistrée lors de l’élection de 2012, mais aucune des parties n’a abordé ce point et l’identité de la personne qui s’est abstenue reste inconnue.

[84] Le conseiller Mark a déclaré que les candidats élus en 2018 se sont récusés en raison de la nature des allégations (achat de votes, intimidation des électeurs et autres pratiques de corruption) et par suite des instructions du chef de la PNC.

[85] En 2012, lorsque les conseillers de la PNC ont pris part à la prise de décision concernant l’appel de l’élection tenue la même année, la nature des allégations n’avait pas pour effet de contester la crédibilité des candidats élus. Ces allégations portaient sur la possibilité d’un nouveau décompte des voix, sur des bulletins de vote annulés, sur la négligence des agents électoraux, sur les conditions d’admissibilité et sur des irrégularités relatives à la liste électorale.

[86] L’appel relatif à l’élection tenue en 2017 au sein de la PNB portait sur les conditions d’admissibilité (plus précisément, l’exigence de résidence dans la réserve). Dans le cadre de cet appel, l’appelant n’a pas soulevé de questions relatives à la participation des candidats élus à la prise de décision concernant l’appel. Néanmoins, les candidats élus se sont abstenus lors du vote portant sur l’issue de l’appel. La décision de 2017 indiquait : [traduction] « Enfin, trois membres du [CTS] n’ont pas participé à la présente décision et se sont abstenus de voter sur la motion qui a abouti à l’approbation de la décision ci‐dessus. Les deux conseillers de la [PNB] de Morley, les conseillers Anthony Bearspaw et Lenny Wesley, étaient en conflit d’intérêts direct puisque toute décision prise par le [CTS] devait les toucher directement. » Cet exemple révèle que, contrairement à ce que suggère la défenderesse, la nature des allégations n’est pas un facteur déterminant.

[87] Tout au plus la demanderesse a établi que les candidats élus se sont récusés lors des deux appels en matière d’élections les plus récents. Cependant, pas plus tard que lors de l’élection de 2012, les candidats élus ont participé à la prise de décision concernant l’appel relatif à cette élection. Bien que les coutumes puissent évoluer au fil du temps, et puisqu’il est demandé à la Cour de définir le contenu d’une partie de la coutume, j’estime que la preuve présentée par la demanderesse ne suffit pas à établir qu’il existe un consensus général parmi les membres des NSN selon lequel les candidats élus ne peuvent pas participer à la prise de décision concernant un appel en matière d’élections. Dans la mesure où les preuves documentaires sont contradictoires, nous ne disposons plus que de la seule preuve présentée par la demanderesse. L’affidavit présenté par la demanderesse énonce uniquement son avis au sujet des récusations. Elle ne fournit aucun affidavit supplémentaire provenant d’autres membres de la bande ou d’aînés pour corroborer son affirmation selon laquelle les récusations relèvent de la coutume invoquée. De plus, elle n’a pas contre‐interrogé l’aîné Wesley ou l’aîné Kaquitts pour contester leur témoignage.

[88] Ainsi, je conclus, comme la Cour l’a fait dans la décision Shirt, qu’il n’existe pas de consensus général sur la question de savoir si les chefs et les conseillers nouvellement élus peuvent participer à la prise de décision concernant des appels en matière d’élections (voir Shirt, aux para 40 et 41). Quand bien même je conclurais à l’existence d’un tel consensus général, pour les motifs exposés ci‐dessous, une telle coutume constituerait une iniquité procédurale (Shirt, au para 55).

[89] Selon moi, si les membres d’une communauté ne s’entendent pas sur la nature des lois autochtones d’une communauté et qu’il n’y a pas d’indication claire quant au contenu d’une coutume, il est préférable de laisser la communauté résoudre ces questions en exerçant sa compétence inhérente. Cette approche est conforme à la jurisprudence de la Cour, laquelle insiste sur l’importance de se montrer aussi peu intrusif que possible dans le traitement des différends relatifs à la gouvernance des Premières Nations (Shirt; Loonskin c Tallcree, 2017 CF 868; Première Nation de Sweetgrass c Gollan, 2006 CF 778). J’exhorte les parties à convenir de la méthode la plus judicieuse pour établir ce que les membres des NSN reconnaissent comme faisant partie de la coutume du CTS en ce qui concerne les appels en matière d’élections. Il est essentiel que les NSN parviennent à un large consensus parmi leurs membres sur la procédure à suivre en ce qui concerne les appels en matière d’élections interjetés auprès du CTS. Pour que de telles règles résistent à un examen au regard du droit canadien, elles doivent s’avérer équitables sur le plan de la procédure. Cela permettra non seulement d’apporter des éclaircissements à la communauté, mais également d’éviter des conflits semblables à l’avenir.

[90] En conclusion, la preuve documentaire soumise par la défenderesse corrobore l’argument de la demanderesse selon lequel la procédure suivie en matière d’appels a toujours été la même : le CTS entend les appels en personne; les appelants peuvent présenter leurs observations dans la langue Stoney; les aînés et les autres membres de la communauté de la PNC peuvent prendre part au processus, et le directeur général des élections est disponible pour répondre aux questions. Les éléments de preuve attestant de la réalité de cette procédure se trouvent dans le procès‐verbal d’appel de 2012 concernant l’appel relatif à l’élection organisée au sein de la PNC la même année; dans la décision de 2018 concernant l’appel relatif à l’élection organisée au sein de la PNB la même année; et dans la décision de 2018 concernant l’appel relatif à l’élection organisée au sein de la PNC la même année. Avec respect, et pour tous les motifs exposés, je retiens ces éléments de preuve plutôt que ceux présentés par le conseiller Mark, l’aîné Kaquitts et l’aîné Wesley.

B. Le CTS a‐t‐il violé le droit de la demanderesse à l’équité procédurale?

[91] Il est tout à fait juste de remettre en question l’application rigide des principes d’équité procédurale aux règles du droit autochtone. La notion d’« équité » est subjective et son contenu est marqué par nos expériences et nos cultures. En termes simples, ce qui est équitable dans la société eurocanadienne peut ne pas l’être dans les communautés autochtones et vice versa. La Cour d’appel fédérale a traité de cette question dans l’arrêt Samson :

19 [...] Les appelants sont en désaccord avec la conclusion du juge, pour qui la Commission, « comme tout autre tribunal administratif », est liée par les principes de justice naturelle, affirmant que ladite conclusion [traduction] « traduit une application fixe et ethnocentrique des mots “justice naturelle et équité” » [...] À mon avis, cet argument traduit une méconnaissance du principe d’équité procédurale et une incompréhension de la décision du juge. [...]

20 La jurisprudence reconnaît que « la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » [...] Le principe d’équité procédurale est un principe flexible et contextuel, parce que « il faut tenir compte de toutes les circonstances pour décider de la nature de l’obligation d’équité procédurale » [...] Par conséquent, bien que la Commission soit indiscutablement soumise à l’obligation d’équité [...] le contenu de cette obligation dépend des circonstances particulières et du contexte particulier de la Commission. Ce contexte peut et doit englober le respect des cours de justice envers la coutume considérée.

21 [...] La jurisprudence de la Cour fédérale relative à l’équité procédurale dans le contexte de l’élection d’une bande conduite selon la coutume montre que le contenu de l’obligation dans ce contexte doit prendre en compte et respecter la coutume pertinente de la bande concernée [...]

[Renvois omis.]

[92] Ainsi, l’arrêt Samson permet une certaine marge de manœuvre pour examiner les lois ou les coutumes autochtones en fonction d’un critère adapté au contexte culturel. Bien entendu, dans la présente affaire, la difficulté réside en ce que les parties ne s’entendent pas sur le contenu de la coutume. À la lumière de ma conclusion selon laquelle la coutume de la PNC et du CTS veut que soient tenues des audiences en personne pour les appels en matière d’élections, je conclus que le droit de la demanderesse à l’équité procédurale a été violé. Il est également utile et nécessaire d’examiner la procédure suivie dans le cadre d’autres appels interjetés au sein des NSN.

(1) La participation des conseillers de la PNC nouvellement élus à la prise de décision concernant l’appel était‐elle inéquitable sur le plan de la procédure?

[93] Dans l’arrêt Therrien (Re), 2001 CSC 35 [Therrien], la Cour suprême du Canada « a commenté les éléments fondamentaux associés à l’équité procédurale, c’est‐à‐dire le droit d’être entendu et le droit à une audition impartiale » (Balfour c Nation crie de Norway House, 2006 CF 213, au para 67). Au paragraphe 82 de l’arrêt Therrien, on peut lire ceci :

L’obligation d’agir équitablement comporte essentiellement deux volets, soit le droit d’être entendu (règle audi alteram partem) et le droit à une audition impartiale (règle nemo judex in sua causa). La nature et la portée de cette obligation peuvent varier en fonction du contexte particulier et des différentes réalités auxquelles l’organisme administratif est confronté ainsi que de la nature des litiges qu’il est appelé à trancher [...] Ainsi, dans l’arrêt Baker, précité, par. 23‐28, le juge L’Heureux‐Dubé rappelait précisément que la jurisprudence reconnaît plusieurs facteurs pour déterminer les exigences de l’équité procédurale dans un contexte donné. Sans en dresser une liste exhaustive, elle mentionne : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle l’organisme en question agit; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et (5) le respect des choix de procédure que l’organisme administratif a lui‐même faits, particulièrement quand la loi lui en confie le soin. C’est dans cet esprit que j’examinerai maintenant les allégations de violation des règles de l’équité procédurale soulevées par l’appelant en l’espèce.

[94] La Cour suprême a ensuite cherché à établir si le droit d’être entendu et le droit à une audition impartiale avaient été violés à la lumière du degré d’équité procédurale attendu au regard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker.

[95] La défenderesse soutient que deux des facteurs établis dans l’arrêt Baker les plus importants en l’espèce sont la nature du régime législatif et le choix de la procédure effectué par le CTS. Selon moi, la nature du régime législatif en question n’a pas été établie avec un quelconque degré de certitude. Si le règlement électoral de 2020 indique que le CTS entend les appels, il ne précise pas qui compose le CTS ni à quel moment ces personnes deviennent membres du CTS. Si la coutume peut généralement fournir des précisions quant à cet aspect, les éléments de preuve disponibles ne permettent pas d’affirmer que la coutume du CTS veut que les candidats élus fassent immédiatement partie du CTS et participent à la prise de décision concernant les appels en matière d’élections, en particulier lorsque ces appels les concernent directement. Ce constat implique également que la pertinence du recours à l’exception au principe selon lequel nul ne peut être à la fois juge et partie n’a pas été démontrée. Le fait d’invoquer le « régime législatif » permettant une violation du principe selon lequel nul ne peut être à la fois juge et partie ne saurait suffire si n’est pas prouvé que l’exception à ce principe fait bel et bien partie de la coutume du CTS.

[96] En outre, même si le CTS « devrait avoir une latitude étendue de choisir ses propres procédures [...] des garanties procédurales de base doivent exister » (Samson, au para 22, non souligné dans l’original). La jurisprudence indique que, pour assurer le respect d’un degré minimal d’équité procédurale, les parties impliquées dans des affaires en matière d’élections selon la coutume doivent recevoir un avis, avoir la possibilité de présenter des observations et de formuler une réponse, et bénéficier d’un examen complet et équitable de leurs observations. La Cour a fait remarquer que la tenue d’une audience n’est pas toujours nécessaire pour satisfaire à ces exigences (Shirt, aux para 53 à 57; Samson, au para 22). Toutefois, pour les motifs que j’expose ci‐dessous, je conclus que le respect de l’équité procédurale exigeait la tenue d’une audience en l’espèce, que ce soit en personne ou en ligne.

[97] La défenderesse soutient que la demanderesse a bénéficié de ces garanties procédurales de base. Je suis d’accord. Toutefois, ni la décision Shirt ni l’arrêt Samson ne traitent de la crainte raisonnable de partialité de la part d’un décideur. Conformément au principe selon lequel nul ne peut être à la fois juge et partie, j’estime que l’impartialité du décideur constitue une autre exigence minimale en matière d’équité procédurale (voir également Baker, au para 45).

[98] Parmi les circonstances dans lesquelles le principe selon lequel nul ne peut être à la fois juge et partie sera violé, figure le cas où un décideur a un intérêt pécuniaire ou personnel, direct ou indirect, dans l’issue de l’audience dont il est saisi, ou est perçu comme ayant un tel intérêt (Pearlman, p 883). En l’espèce, je conclus que le conseil de la PNC tombe dans les deux catégories.

[99] Le critère permettant de déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité est de savoir si une personne sensée, qui se pose elle‐même la question et obtient les renseignements nécessaires à ce sujet, pense que, selon toute vraisemblance, le décideur n’a pas pris une décision équitable (Baker, au para 46; Johnny c Bande indienne d’Adams Lake, 2017 CAF 146, au para 43).

[100] Je partage l’avis de la demanderesse selon lequel le raisonnement suivi dans la décision Shotclose peut être appliqué à la présente affaire. Dans les deux cas, le chef et les conseillers ont pris part à une décision qui avait des conséquences sur leur mandat. Bien que les conseillers élus de la PNC n’aient pas été les seuls décideurs en l’espèce (contrairement à la situation dans Shotclose), cela ne fait pas disparaître une crainte raisonnable de partialité. Je conviens que, dans ce cas, « [u]ne personne bien renseignée qui examinerait la question de façon réaliste et pratique conclurait que le chef et les conseillers étaient partie à cette controverse et qu’ils avaient des intérêts directs, y compris des intérêts financiers, en ce qui concerne le résultat » (Shotclose, au para 96). Le CTS l’a dit lui‐même dans la décision portant sur l’appel de 2017 de l’élection tenue au sein la PNB, appel qui était tout autant de nature « technique et/ou procédurale » que l’appel en question dans la présente affaire. Il ne devrait pas être possible pour les candidats élus de décider si l’élection, qui leur procure des avantages financiers, du prestige et de l’autorité, est invalide.

[101] À titre subsidiaire, la défenderesse soutient que la Cour devrait rejeter la demande parce que, même si les quatre candidats élus au sein de la PNC n’avaient pas voté, le CTS aurait quand même rejeté l’appel. À mon avis, cette affirmation est hypothétique. Il est difficile de déterminer si le vote se serait déroulé différemment si les membres de la PNC n’avaient pas été présents.

[102] Cette violation de l’équité procédurale suffit à elle seule à accueillir le contrôle judiciaire. Cependant, puisque j’ai constaté que le CTS a pour coutume de tenir une audience en personne où le directeur général des élections est présent pour répondre aux questions, je vais examiner brièvement les autres motifs invoqués par la demanderesse en ce qui concerne l’équité procédurale.

(2) Était‐il inéquitable que la demanderesse se soit vu refuser la tenue d’une audience?

[103] Le règlement électoral de 2020 et la coutume en matière de tenue d’audiences en personne constituent le « régime législatif » du CTS. Ce régime législatif, associé à l’attente légitime de la demanderesse, pèse en faveur du respect d’un degré élevé d’équité procédurale. En outre, la nature de la décision revêt une importance particulière étant donné qu’elle a une incidence sur la gouvernance et la direction du CTS et de la PNC. Bien que la demanderesse n’ait pas été candidate elle‐même, en tant que membre de la PNC, l’issue de la décision revêtait une importance particulière pour elle et pour la communauté dans son ensemble. À ce titre, j’estime que la demanderesse aurait dû bénéficier de la tenue d’une audience, conformément à la coutume du CTS.

[104] Je ne peux conclure que l’appel de la demanderesse était de nature « technique et/ou procédurale » et qu’il pouvait donc être examiné par écrit. La directrice générale des élections a elle‐même déclaré que le premier motif invoqué par la demanderesse relevait de l’alinéa 23.1(b) du règlement électoral de 2020 (pratique de corruption). Comme nous l’avons déjà indiqué, même si l’appel était de nature « technique », il n’était pas plus « technique » que l’appel interjeté en 2017 eu égard à l’élection tenue au sein de la PNB, dans le cadre duquel une audience en personne a été tenue conformément à la coutume du CTS. Je souligne également que le CTS était prêt à entendre les observations orales en personne de chacun des 13 appelants lors de l’audience relative à l’appel de l’élection tenue au sein de la PNC en 2018.

[105] Je reconnais les circonstances exceptionnelles dans lesquelles la PNC s’est trouvée dans le cadre de l’appel de l’élection. La communauté luttait contre la pandémie de COVID‐19 et je ne doute pas que la priorité absolue était d’assurer la sécurité des membres de la communauté. Cependant, le CTS aurait pu facilement accéder à la demande de la demanderesse de tenir une audience en mode virtuel. Le bien‐fondé perçu d’un appel ne saurait déterminer le degré d’équité procédurale auquel un appelant a droit.

(3) Était‐il inéquitable que la demanderesse se soit vu refuser la possibilité de contre‐interroger la directrice générale des élections?

[106] Pour les motifs énoncés aux paragraphes 103 à 105, j’estime également que la demanderesse aurait dû pouvoir poser des questions à la directrice générale des élections au sujet de l’affidavit de cette dernière.

[107] En outre, plus le processus administratif se rapproche d’un processus judiciaire, plus il est probable que les garanties procédurales accordées ressembleront à celles qui sont prévues dans un procès formel (Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 RCS 653). La preuve documentaire montre que la coutume du CTS veut que soit organisée une réunion formelle composée de quinze décideurs au cours de laquelle les appelants sont appelés à présenter des observations et à répondre à des questions. Je souligne également que, dans de précédents appels, un conseiller juridique était également présent. Par ailleurs, il n’existe pas de droit d’appel de la décision du CTS, d’où la nécessité de garantir un degré plus élevé d’équité procédurale. Pour ces motifs, j’estime que le processus d’appel du CTS comporte une composante judiciaire et qu’« un certain degré de formalité et de vérification de la preuve est nécessaire dans le contexte de l’instruction ». (Lecoq c Nation crie de Peter Ballantyne, 2020 CF 1144, au para 46).

VII. Conclusion

[108] La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le processus d’appel ne s’est pas déroulé conformément à la coutume de la CFN et du CTS et le droit de la demanderesse à l’équité procédurale a été violé. L’affaire est renvoyée au CTS pour qu’une nouvelle décision soit rendue. L’examen de l’affaire doit se dérouler conformément à la coutume établie du CTS et aux principes d’équité procédurale. Les dirigeants de la PNC ne peuvent pas prendre part à la décision en tant que décideurs.

[109] Seule la demanderesse a présenté des observations complètes quant aux dépens. Il est préférable de permettre aux parties de présenter des observations supplémentaires, en tenant compte de l’issue de la demande (Bertrand, p 104).

JUGEMENT dans le dossier T‐678‐21

LA COUR STATUE :

  • 1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée au CTS pour qu’une nouvelle décision soit rendue concernant l’appel de la demanderesse. Une audience sera tenue en personne ou virtuellement, à la discrétion du CTS.

  • Les représentants de la PNC ne prendront pas part, en tant que membres du CTS, à la décision concernant l’appel de la demanderesse.

  • 3. La question des dépens sera traitée selon l’échéancier suivant :

    1. La demanderesse signifiera et déposera ses observations écrites sur les dépens auprès de la Cour au plus tard à 16 h (HNE) le 18 avril 2022.

    2. La défenderesse signifiera et déposera ses observations écrites sur les dépens auprès de la Cour avant 16 h (HNE) le 6 mai 2022.

« Paul Favel »

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


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