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Date : 20220414


Dossier : IMM‐6110‐20

Référence : 2022 CF 546

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

JIANCAI WANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Jiancai Wang, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 17 novembre 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), à savoir qu’elle n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), c 27 [la LIPR].

[2] La demanderesse craint d’être persécutée en Chine par les autorités de ce pays, notamment le Bureau de la sécurité publique (le BSP), du fait de sa foi chrétienne et de son appartenance à une église clandestine. La SAR a rejeté l’appel de la demanderesse parce qu’elle a conclu que celle‐ci n’est pas une véritable chrétienne et qu’elle ne fait pas l’objet d’une enquête de la part des autorités chinoises du fait de ses activités chrétiennes.

[3] La demanderesse soutient que la décision de la SAR est déraisonnable car celle‐ci a commis une erreur dans ses conclusions défavorables quant à la crédibilité.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Les faits

A. La demanderesse

[5] La demanderesse, âgée de 39 ans, est citoyenne de la Chine. Elle est originaire de la ville de Qingzhou, dans la province de Shandong.

[6] La demanderesse affirme avoir été initiée au christianisme après sa tentative de suicide, en juin 2016. En août 2016, elle s’est jointe à l’église clandestine à laquelle appartenait son cousin et a commencé à assister aux offices religieux une fois par semaine. Cela, dit‐elle, l’a aidée à revoir la vie sous un jour positif.

[7] La demanderesse soutient que, en décembre 2016, neuf chrétiens dans le village voisin ont été arrêtés, détenus pendant deux jours et maltraités. Après cet incident, l’église clandestine de la demanderesse a suspendu ses offices jusqu’en mai 2017.

[8] Le 15 octobre 2017, l’église clandestine aurait fait l’objet d’une descente par le BSP. La demanderesse affirme qu’elle a été interrogée, maltraitée et détenue dans un poste de police de l’endroit, en compagnie d’autres membres de l’église. Après trois jours, la demanderesse a payé une amende de 3 000 yuans et a été relâchée.

[9] La demanderesse soutient que, le 23 décembre 2017, elle a été convoquée au poste de police, où on l’a prévenu qu’elle serait arrêtée et détenue si elle se livrait à des activités chrétiennes illégales.

[10] La demanderesse a quitté la Chine le 23 février 2018 et est arrivée au Canada avec l’aide d’un passeur. Depuis son arrivée au pays, la demanderesse assiste régulièrement aux offices religieux de la Living Stone Assembly Church.

B. La décision de la SPR

[11] Dans une décision datée du 17 décembre 2019, la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, concluant que celle‐ci ne s’exposerait pas à un risque de préjudice grave si elle retournait en Chine. Le motif déterminant du rejet était la crédibilité. La SPR a tiré les conclusions suivantes :

  • Le témoignage de la demanderesse a souvent été évasif, vague et changeant, et la demanderesse n’a pas fourni de réponses claires. Son témoignage sur la manière dont elle a été initiée au christianisme était indigne de foi.

  • La demanderesse n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle est chrétienne. Vu le temps depuis lequel elle pratiquait sa foi, et la fréquence de cette pratique tant en Chine qu’au Canada, elle n’avait pas les connaissances requises auxquelles on était en droit de s’attendre, et son témoignage au sujet des croyances de base de la religion chrétienne montrait uniquement qu’elle avait une connaissance superficielle de la religion.

  • Deux documents que la demanderesse a fournis – une décision relative à une peine administrative et un reçu de paiement d’une amende, tous deux délivrés par le BSP – n’étaient pas authentiques.

  • La demande d’asile sur place de la demanderesse a été rejetée au motif qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour conclure que sa participation à des activités chrétiennes au Canada avait été portée à l’attention des autorités chinoises.

C. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[12] La demanderesse a porté en appel la décision de la SPR devant la SAR. Par une décision datée du 17 novembre 2020, la SAR a rejeté l’appel de la demanderesse et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La SAR a tiré les conclusions suivantes :

  • La SPR a eu raison de conclure que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle était une véritable chrétienne ou qu’elle était recherchée par les autorités chinoises.

  • La SPR a eu raison de rejeter les deux documents que le BSP avait censément délivrés parce qu’ils n’étaient pas authentiques. L’authenticité de la décision relative à une peine administrative était minée par des anomalies relevées entre la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité de la Chine et le récit fait par la demanderesse au sujet de sa détention.

  • Même si elle faisait censément l’objet d’une enquête des autorités chinoises, la demanderesse a pu quitter la Chine. Selon la loi chinoise, il est interdit aux citoyens chinois de quitter le pays s’ils sont suspects ou accusés dans une affaire de nature criminelle. Rien n’indique comment la demanderesse a pu contourner la stricte application de la loi chinoise en matière de sorties du pays.

  • La preuve relative aux conditions dans le pays ne fait état d’aucune arrestation ou détention de membres d’une église clandestine dans la province de Shandong, où vivait la demanderesse. Aux termes d’une politique gouvernementale chinoise, la famille et les amis ont le droit de se rencontrer chez eux pour pratiquer une religion, notamment pour prier ou étudier la Bible, sans devoir s’inscrire auprès du gouvernement. La SAR a donc conclu que la demanderesse n’a jamais été arrêtée et détenue pour avoir pratiqué la religion chrétienne en Chine.

  • La SPR a eu raison de conclure, que même si la demanderesse avait une certaine connaissance de la religion chrétienne, son manque de connaissance de la Bible et du rite de la Sainte Communion soulevait des doutes quant à sa crédibilité, vu le temps depuis lequel elle pratiquait censément la religion chrétienne.

  • La SPR a eu raison de rejeter la demande d’asile sur place de la demanderesse. Celle‐ci s’est jointe à une congrégation chrétienne au Canada et n’a acquis des connaissances sur la religion que pour étayer une demande d’asile frauduleuse.

[13] La SAR a conclu qu’en raison de plusieurs doutes sérieux quant à la crédibilité qui touchaient à des aspects fondamentaux de la demande d’asile de la demanderesse, et vu sa connaissance restreinte de la religion chrétienne, la demanderesse n’était pas une véritable chrétienne.

III. La question en litige et la norme de contrôle applicable

[14] L’unique question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[15] Les deux parties sont d’avis que la norme de contrôle qui s’applique à l’évaluation de la décision de la SAR est la décision raisonnable. Je suis d’accord (Adelani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 23, aux para 13‐15; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], aux para 10, 16‐17).

[16] La décision raisonnable est une norme de contrôle fondée sur la déférence, mais rigoureuse (Vavilov, aux para 12‐13). La cour de révision se doit de déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris sa justification et sa conclusion, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable repose sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes de nature juridique et factuelle auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif pertinent, du dossier que le décideur a en main et de l’effet de la décision sur les personnes touchées par ses conséquences (Vavilov, aux para 88‐90, 94, 133‐135).

[17] Pour qu’une décision soit déraisonnable, la cour de révision doit établir qu’elle souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Ce ne sont pas toutes les erreurs ou tous les doutes que suscite une décision qui justifient une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve que le décideur a examinée, et ne pas modifier les conclusions de fait, à moins de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou les insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156, au para 36).

IV. Analyse

A. La preuve relative aux conditions dans le pays

[18] La demanderesse soutient que la SAR a mal interprété la preuve et a omis de tenir dûment compte des documents relatifs aux conditions dans le pays qui figurent au dossier. Elle soutient que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait aucune preuve que des chrétiens qui pratiquaient clandestinement leur religion ont été arrêtés et détenus à Qingzhou, dans la province de Shandong.

[19] Je suis d’accord. J’estime que la SAR a examiné de manière sélective les éléments de preuve et qu’elle a omis de mentionner des éléments qui contredisaient sa conclusion. Bien que ses constatations fassent expressément référence à un manque de preuves d’arrestations et de détentions à Qingzhou, je signale que certains des éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays comportent des exemples qui concernent la province de Shandong, où est située la ville de Qingzhou. Par exemple, selon un rapport de 2019 du Département des États‐Unis sur la liberté de religion dans le monde (rapport du DÉ) : [traduction] « [e]n 2019, les autorités de la province de Shandong ont arrêté plus de 6 000 membres de la Church of Almighty God dans le cadre d’une campagne de répression d’envergure nationale ». Le rapport annuel de 2018 de la ChinaAid Association – un document cité par la SAR – comporte lui aussi des exemples de la démolition forcée d’églises, d’attaques menées contre des maisons‐églises clandestines ainsi que d’enquêtes sur les activités religieuses dans la province de Shandong.

[20] Compte tenu de cette preuve, les commentaires suivants de la SAR sont injustifiés :

[...] la preuve documentaire sur les conditions dans le pays ne fait état d’aucun incident d’arrestation ou de détention de membres d’une maison église à Qingzhou, ville de la province du Shandong [...]

[...] je juge que, selon la prépondérance des probabilités, s’il y avait récemment eu des arrestations ou des détentions de personnes relativement à la pratique de la religion chrétienne protestante à Qingzhou, ville de la province du Shandong, il existerait des documents de sources fiables relatant ces arrestations ou ces détentions.

[21] De plus, dans son rapport de 2018, le DÉ soulève des craintes à propos d’une [TRADUCTION] « répression gouvernementale vive et nouvelle contre les chrétiens en Chine » et il signale que les groupes non affiliés à l’une des cinq [TRADUCTION] « associations religieuses patriotiques » sanctionnées par l’État, dont les [TRADUCTION] « maisons‐églises » protestantes, ne sont pas autorisés à s’inscrire auprès du gouvernement pour fournir légalement des services liturgiques et ils sont obligés de se dissoudre. Le rapport de 2018 du DÉ indique aussi :

[traduction]

Une déclaration émanant du Ministerial to Advance Religious Freedom, une activité dont l’hôte est le gouvernement des États‐Unis et qui a eu lieu du 24 au 26 juillet, indique : « De nombreux membres de groupes minoritaires religieux en Chine, dont des Ouïghours, des Huis et des musulmans kazakhs, des bouddhistes tibétains, des catholiques, des protestants et des adeptes du Falun Gong – font face à de sévères mesures de répression et de discrimination du fait de leurs croyances. Ces groupes font systématiquement état d’incidents dans le cadre desquels les autorités, censément, torturent, maltraitent, arrêtent arbitrairement, gardent en détention, condamnent à une peine d’emprisonnement ou harcèlent les personnes qui adhèrent à des groupes religieux tant inscrits que non inscrits en raison d’activités liées à leurs croyances religieuses et à leurs pratiques pacifiques [...] ».

[22] Ces propos contredisent la conclusion de la SAR selon laquelle « les familles et les amis ont le droit de se rencontrer chez eux pour pratiquer une religion, notamment pour prier ou étudier la Bible, sans devoir s’inscrire auprès du gouvernement ». Bien que la décision de la SAR soit fondée sur le rapport de 2019 du DÉ, et non sur celui de 2018, je signale que le rapport de 2019 indique aussi :

[traduction]

Selon un rapport émanant de la Church of Almighty God, au cours de l’année au moins 32 815 membres de l’Église ont été directement persécutés par les autorités, comparativement à 23 567 en 2018. Ce rapport indique que les autorités ont harcelé au moins 26 683 membres de l’Église (au moins 12 456 en 2018), arrêté 6 132 (11 111 en 2018), détenu 4 161 (6 757 en 2018), torturé 3 824 (685 en 2018), condamné à une peine d’emprisonnement 1 355 (392 en 2018), et saisi au moins 390 millions de yuans (56 millions de dollars) en biens appartenant à l’Église et en biens personnels. Au moins 19 membres de l’Église sont morts à la suite d’actes de violence (20 en 2018), dont deux qui sont morts pour cause de violence physique et de travail forcé, trois qui se sont suicidés parce que les autorités les surveillaient et faisaient pression pour qu’ils renoncent à leur foi, et 11 qui sont décédés des suites de complications médicales pendant ou après leur détention.

[23] Il est présumé que la SAR a pris en compte la totalité des éléments de preuve dont elle dispose et qu’elle n’est pas tenue de faire référence à chacun d’eux (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 943, au para 34). Cependant, quand les éléments de preuve constituent un élément crucial de la demande et qu’ils contredisent manifestement les conclusions que la SAR a tirées, il devient nécessaire de traiter de ces éléments pour qu’une décision soit considérée comme raisonnable (Jama c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1459, au para 17). Je suis d’avis que la SAR a procédé à un examen sélectif des éléments de preuve en omettant de prendre en compte des éléments contradictoires, ce qui a mené à une conclusion déraisonnable.

B. La sortie de la Chine

[24] La demanderesse soutient que les conclusions relatives à la crédibilité que la SAR a tirées au sujet de sa sortie de la Chine ne sont pas étayées par la preuve. Dans ses motifs de décision, la SAR souligne :

L’article 12 de la loi sur l’administration des entrées et des sorties de la République populaire de Chine stipule que les citoyens chinois ne sont pas autorisés à quitter la Chine lorsqu’ils sont suspects ou accusés dans des affaires criminelles.

[25] La demanderesse fait valoir qu’étant donné qu’elle n’est ni suspecte ni accusée dans une affaire criminelle, elle ne fait pas l’objet d’une enquête menée en vertu du code pénal de la République populaire de Chine. Cela étant, il était déraisonnable de la part de la SAR de se servir de sa sortie de la Chine pour miner la crédibilité de sa demande d’asile. Plus précisément, la demanderesse mentionne que la SAR a commis une erreur en concluant que la décision relative à la peine administrative est frauduleuse et qu’elle n’est pas digne de foi parce qu’elle a pu sortir de la Chine sans avoir de problèmes avec les agents des services frontaliers et contourner la stricte application de la loi sur l’administration des entrées et des sorties.

[26] Le défendeur soutient que la loi sur l’administration des entrées et des sorties de la Chine ne précise pas qu’un citoyen doit être inculpé en vertu du code pénal de la République populaire de Chine pour demeurer un suspect.

[27] Je suis d’accord avec la demanderesse. Je conclus que l’analyse de la SAR sur ce point manque de justification et d’intelligibilité, et qu’elle est donc déraisonnable. Les motifs de la SAR n’indiquent pas clairement en quoi l’article 12 de la loi sur l’administration des entrées et des sorties s’applique à la demanderesse – notamment en quoi un individu faisant l’objet d’une enquête en vertu de la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité est considéré comme un suspect ou un accusé dans une affaire criminelle. Comme l’a signalé la demanderesse, elle n’a pas reçu d’assignation à comparaître, et la SAR n’a relevé aucune preuve de ses démêlés avec le BSP qui auraient eu une incidence sur sa sortie du pays. La présente affaire se compare à la situation qu’a analysée ma collègue, la juge Campbell, dans la décision He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1089, aux paragraphes 9‐10 :

[9] Pour une personne qui pratique le Falun Gong et qui a été persécutée par le BSP ou la police, deux inférences sont possibles concernant le fait que cette personne n’ait pas été arrêtée au moment de passer les mesures de sécurité dans un aéroport en Chine avec son véritable passeport : soit cette personne ment au sujet du fait qu’elle pratique le Falun Gong, soit aucun dossier n’existe sur elle dans le système du Bouclier d’or. Par conséquent, il n’est pas possible de supposer que seule la première des deux conclusions possibles est vraie.

[10] En l’espèce, il n’y a aucun élément de preuve permettant de conclure qu’un dossier a été établi à la suite d’un contact du BSP avec les demandeurs, ni aucun élément de preuve permettant de conclure qu’un tel dossier a été inscrit au système du Bouclier d’or, ou qu’il existe un dossier dans le système du Bouclier d’or portant sur les demandeurs.

[Non souligné dans l’original.]

C. La connaissance de la religion chrétienne

[28] La demanderesse soutient que la SAR a évalué de manière déraisonnable sa connaissance de la religion chrétienne. Elle fait valoir que la SAR, en concluant que ses croyances n’étaient pas authentiques, n’a pas tenu compte de la nature subjective et de la sincérité de ses croyances religieuses. De plus, même si la SAR a bel et bien reconnu que la demanderesse avait une certaine connaissance de la religion chrétienne, elle a jugé que cette connaissance avait été acquise au Canada dans le but d’étayer sa demande d’asile frauduleuse, plaçant ainsi la demanderesse dans une situation sans issue, sans moyen aucun d’établir l’authenticité de sa foi. La demanderesse est de plus d’avis que l’analyse que la SAR a faite de sa demande d’asile sur place a été entachée par ses conclusions antérieures quant à la crédibilité.

[29] Le défendeur soutient que la SAR était en droit de douter de la sincérité des croyances de la demanderesse et de la connaissance que celle‐ci avait de la religion chrétienne, et que l’incapacité de cette dernière de montrer qu’elle avait une connaissance de base des aspects fondamentaux de la religion chrétienne était un aspect pertinent aux fins de l’évaluation de sa crédibilité par la SAR. Il soutient de plus qu’il était raisonnable de la part de la SAR de conclure qu’au vu de la prétendue expérience de la demanderesse et du temps depuis lequel elle pratiquait la religion chrétienne, la connaissance restreinte qu’elle avait de cette religion était incompatible avec celle d’une authentique fidèle.

[30] Dans sa décision, la SAR a conclu que la demanderesse n’est pas une véritable chrétienne car il lui a été impossible de répondre à des questions sur les croyances fondamentales de la religion, notamment sur la Bible et la Sainte Communion. Je suis d’accord avec le défendeur que la SAR est en droit de mettre en doute l’authenticité de la conviction religieuse de la demanderesse, mais je suis d’avis que, dans la présente affaire, la SAR a commis une erreur en analysant à la loupe les connaissances théologiques de la demanderesse (Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1139, au para 26). Tout en admettant que la demanderesse avait une certaine connaissance de la religion chrétienne, la SAR n’a pas tenu compte de la mesure dans laquelle cette connaissance était en fait liée à des éléments de base de la religion. Par exemple, elle a pu relater des récits de la Bible, citer le passage de la Bible qu’elle préfère et décrire ce qui se passe pendant la Sainte Communion. La SAR s’est pourtant concentrée sur le fait que la demanderesse avait été incapable d’expliquer comment la Bible est divisée et sur celui qu’il lui avait été impossible de répondre à la question de savoir si l’on donnait quoi que ce soit à manger ou à boire pendant la Sainte Communion. Il n’est pas raisonnable selon moi de conclure que la demanderesse n’est pas une véritable fidèle parce qu’elle a été incapable de répondre à ces questions secondaires. Comme dans l’affaire Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 510, je conclus que la SAR n’a pas mis en balance ses conclusions défavorables avec les connaissances qu’avait la demanderesse sur la religion chrétienne (au para 66).

[31] De plus, la norme des connaissances religieuses qui sont nécessaires pour établir la sincérité des croyances d’un demandeur est peu stricte (Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402, au para 23; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1002, au para 15). Comme la demanderesse a effectivement montré qu’elle avait une certaine connaissance de la religion chrétienne, la conclusion de la SAR ne suit pas, à mon avis, une analyse rationnelle.

[32] Quant à la demande d’asile sur place de la demanderesse, la SAR a conclu qu’il était raisonnable de la part de la SPR d’arriver à la conclusion que la participation de la demanderesse à des activités chrétiennes au Canada n’avait pas été portée à l’attention des autorités chinoises. La SAR a fait remarquer :

Comme j’ai conclu que l’appelante n’était pas crédible au sujet de sa pratique du christianisme en Chine et qu’il n’y a aucun élément de preuve quant à une grande envie à le pratiquer au Canada, j’estime que, selon la prépondérance des probabilités [...] l’appelante a commencé à fréquenter une congrégation chrétienne et s’est informée sur cette religion au Canada uniquement dans le but d’appuyer une demande d’asile. Je suis d’avis que le fait que l’appelante aille à l’église et se soit fait baptiser au Canada atteste seulement sa participation, et non pas sa motivation. À cet égard, la jurisprudence précise que, lorsqu’elle conclut qu’un appelant affirme frauduleusement être un chrétien en Chine, la SPR peut raisonnablement rejeter des éléments de preuve présentés à l’appui de la demande d’asile sur place.

[33] Pour évaluer une demande d’asile sur place, la SAR doit prendre en compte la preuve crédible des activités d’un demandeur au Canada, même si l’on estime que la motivation derrière ces activités n’est pas authentique (Ejtehadian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 158, au para 11). Je suis d’avis que, dans la présente affaire, la manière dont la SAR a évalué la demande d’asile sur place était fondée sur ses conclusions antérieures selon lesquelles la pratique de la religion chrétienne de la demanderesse en Chine n’était pas crédible, et que cette dernière manquait de motivation pour pratiquer sa religion au Canada. Il s’agit là d’une erreur de droit. Je conviens avec la demanderesse que l’analyse de la demande d’asile sur place a été entachée par les conclusions antérieures de la SAR quant à la crédibilité. La SAR aurait dû prendre en compte le fait que la demanderesse pratiquait la religion chrétienne au Canada, d’autant plus qu’elle a admis que la demanderesse allait à l’église et suivait des études bibliques au Canada.

[34] Je conclus néanmoins que tant la SPR que la SAR sont arrivées à la conclusion raisonnable que, selon la prépondérance des probabilités et d’après les éléments de preuve fournis, il est peu probable que les activités religieuses de la demanderesse au Canada aient été portées à l’attention des autorités chinoises (Mohammed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 234, aux para 34‐38).

V. Conclusion

[35] La SAR a commis une erreur en examinant de manière sélective les éléments de preuve au dossier et elle n’a pas montré qu’elle a procédé à une analyse rationnelle en lien avec ses conclusions quant à leur crédibilité, relativement à la preuve concernant le traitement des chrétiens dans la province de Shandong, la sortie de la demanderesse de la Chine et la connaissance que celle‐ci avait de la religion chrétienne. Je conclus, dans l’ensemble, que la décision manque de justification, de transparence et d’intelligibilité et qu’elle est de ce fait déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est donc accueillie. Aucune question à certifier n’a été soulevée, et je conviens qu’il ne s’en pose aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‐6110‐20

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision faisant l’objet du contrôle est infirmée et l’affaire renvoyée pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‐6110‐20

 

INTITULÉ :

JIANCAI WANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 MARS 2022

 

JUgement et motifs :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 AVRIL 2022

 

COMPARUTIONS :

Miranda Lim

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Neeta Logsetty

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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