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Date : 20220426


Dossier : IMM-3892-21

Référence : 2022 CF 611

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2022

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

OMOLOLA OLUWAKEMI AYATIAN

SUNDAY ADEKUNLE MOSES ONIFADE

MORIREOLUWA AYOMIDE ONIFADE (MINEUR)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision datée du 26 mai 2021 par laquelle un agent principal d’immigration a rejeté leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire, au seul motif que l’agent a commis une erreur dans l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant.

I. Contexte

[2] Les demandeurs adultes sont des citoyens du Nigéria, et ils ont deux jeunes enfants. Leur premier enfant, Morireoluwa, est né en 2016, et est citoyen des États-Unis et du Nigéria. Leur deuxième enfant, Mojolaoluwa, est né en novembre 2020 au Canada. Après sa naissance, les demandeurs ont présenté des observations supplémentaires à l’appui de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, soit en décembre 2020.

II. La décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire

[3] En examinant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agent a relevé que les demandeurs étaient au Canada depuis février 2018 et qu’il était raisonnable de conclure qu’ils avaient atteint un certain degré d’établissement. Toutefois, l’agent a conclu que leur degré d’établissement était relativement faible. L’agent a souligné que les demandeurs adultes étaient [traduction] « très bien instruits, à l’échelle internationale, qu’ils occupaient des postes de haut niveau au Nigéria, et qu’ils seraient probablement en mesure de trouver un emploi bien rémunéré dans leur pays d’origine ». Par conséquent, il a accordé peu de poids à ce facteur.

[4] En ce qui concerne les difficultés, l’agent a fait remarquer que les demandeurs sont retournés au Nigéria à partir des États-Unis deux fois avant de venir au Canada. Selon l’agent, [traduction] « [s]i les demandeurs étaient vraiment préoccupés par les souffrances au Nigéria, ils n’y seraient pas retournés entre leurs visites aux États-Unis ». De ce fait, il a également accordé peu de poids à ce facteur.

[5] En se penchant sur l’intérêt supérieur de Morireoluwa, l’agent souligne qu’il a été diagnostiqué comme atteint d’un trouble du spectre de l’autisme, mais il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant qu’il y aurait des conséquences négatives pour lui s’il retournait au Nigéria. L’agent fait mention de l’évaluation du Dr Akinloye datée du 6 mai 2020, concernant les services qui seraient offerts au Nigéria, mais fait remarquer que le DAkinloye n’a pas évalué l’enfant mais s’est plutôt appuyé sur l’évaluation du pédiatre de l’enfant. L’agent a également examiné une évaluation de la psychothérapeute Natalie Riback, datée du 3 avril 2020, mais a noté qu’elle n’avait pas non plus rencontré l’enfant et que [traduction] « toute mention des conséquences possibles pour l’enfant est au mieux hypothétique ».

[6] La décision de l’agent ne fait aucune mention de Mojolaoluwa, et ne comporte aucune analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant des demandeurs né au Canada. En outre, sous la rubrique [traduction] « sources consultées », l’agent a inscrit [traduction] « la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et les documents à l’appui reçus le 5 août 2020 », mais ne mentionne pas les observations supplémentaires déposées par les demandeurs en décembre 2020.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[7] Les demandeurs soulèvent un certain nombre de questions concernant la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Toutefois, le défaut de l’agent de procéder à une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant né au Canada est déterminant pour le présent contrôle judiciaire. Par conséquent, je ne me prononcerai pas sur les autres questions.

[8] Bien que les demandeurs soutiennent que le défaut par l’agent de procéder à une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant constitue une question d’équité procédurale, je suis plutôt d’avis qu’il faille appliquer la norme de la décision raisonnable à l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant par l’agent.

[9] Comme il est énoncé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], « la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (au para 15), et « [l]e caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov, au para 126).

IV. Analyse

[10] La décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est muette sur la question de l’intérêt supérieur de Mojolaoluwa, le fils des demandeurs né en 2020. Et ce, bien que les demandeurs aient présenté des observations supplémentaires à la suite de la naissance de leur fils. Ces observations, qui figurent dans le dossier certifié du tribunal (DCT), ne sont pas évoquées directement par l’agent et ne figurent pas non plus dans la section [traduction] « sources consultées » de sa décision. Par conséquent, la Cour ne peut que conclure que l’agent n’a pas tenu compte des observations et, ce faisant, n’a pas effectué l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant qui était nécessaire.

[11] Comme il est énoncé dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], citant l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC) : « pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt » (au para 38). En outre, « la décision rendue en application du par. 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte […] L’agent ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte […] L’intérêt supérieur de l’enfant doit être "bien identifié et défini", puis examiné "avec beaucoup d’attention" eu égard à l’ensemble de la preuve » (Kanthasamy, au para 39) [En italique dans l’original].

[12] Dans les motifs de l’agent, il est manifeste qu’il ne traite que du fils des demandeurs né aux États-Unis. Par exemple, il affirme : [traduction] « Les éléments de preuve dont je dispose sont insuffisants pour démontrer que le départ des demandeurs du Canada aura une incidence défavorable sur l’intérêt supérieur de leur fils, étant donné qu’il reviendra avec eux, et qu’il possède également la citoyenneté nigériane […] il est à noter que le DP et la DS n’ont jamais présenté de demande au pays où l’enfant est né ». En revanche, l’agent n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de Mojolaoluwa, et il n’y a aucune allusion à Mojolaoluwa dans la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La Cour doit donc conclure que l’agent n’était pas « réceptif, attentif et sensible » quant à l’intérêt supérieur de l’enfant des demandeurs né au Canada. Il s’agit d’une erreur importante.

[13] La décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est donc déraisonnable.

[14] La présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée pour un nouvel examen par un autre agent.

[15] Il n’y a pas de question à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-3892-21

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-France Blais, L.L. B., traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 

IMM-3892-21

INTITULÉ :

AYATIAN ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 AVRIL 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 AVRIL 2022

 

COMPARUTIONS :

Marcia Pritzker Schmitt

POUR LES DEMANDEURS

 

James Todd

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marcia Pritzker Schmitt

Kitchener (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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