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Date : 20220331


Dossier : IMM-2643-21

Référence : 2022 CF 448

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

IRTIZA HUSSAIN QADRI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Irtiza Hussain Qadri, est un citoyen du Pakistan âgé de 34 ans. Il est devenu résident permanent du Canada en même temps que ses parents en janvier 2001, quelques jours avant son treizième anniversaire. Depuis lors, M. Qadri n’a passé que peu de temps au Canada. Il est retourné vivre au Pakistan avec ses parents en 2003. Six ans plus tard, en 2009, il est revenu au Canada. Il était alors âgé de 21 ans. Au cours de son séjour au pays, qui a duré trois ans, il a loué un appartement à Montréal, étudié, travaillé, enregistré une entreprise et acheté un appartement à Toronto avec son frère. En 2012, M. Qadri est retourné au Pakistan pour prendre soin de sa mère malade; elle avait reçu un diagnostic de sarcoïdose pulmonaire de stade II. Il n’est revenu au Canada que deux fois depuis : il a fait un séjour de deux mois, de décembre 2014 à février 2015, puis un séjour de quatre mois, de novembre 2017 à mars 2018, uniquement pour renouveler sa carte de résident permanent, qui arrivait à échéance. Dans les deux cas, le séjour de M. Qadri n’était que temporaire, et, après être retourné au Pakistan en mars 2018, il a attendu un an, soit jusqu’en avril 2019, avant de présenter une demande de titre de voyage pour revenir au Canada.

[2] Au moment où il a présenté sa demande de titre de voyage, M. Qadri a admis qu’il ne s’était pas conformé à l’obligation de résidence, prévue à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], au cours des cinq années précédentes et il a sollicité la prise de mesures spéciales pour des considérations d’ordre humanitaire. Le 21 novembre 2019, sa demande a été rejetée. Un agent d’immigration à l’ambassade du Canada à Abu Dhabi a conclu que M. Qadri avait perdu son statut de résident permanent en ne se conformant pas à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la Loi et que sa situation personnelle ne soulevait pas de considérations d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. Le 20 mars 2021, la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a rejeté l’appel interjeté par M. Qadri, concluant qu’il n’existait pas suffisamment de considérations d’ordre humanitaire pour justifier le maintien de son statut de résident permanent. Le tribunal a jugé que le récit de M. Qadri manquait de détails et de précision, et il a rejeté son appel pour les motifs suivants : (1) depuis ses 18 ans, M. Qadri ne s’est que peu établi au Canada; (2) son absence de sept ans ne peut pas s’expliquer suffisamment par la maladie de sa mère; (3) il a fait des choix qui ont prolongé son séjour au Pakistan et il n’a pas tenté de revenir au Canada de façon permanente; (4) la perte de son statut de résident permanent n’entraînerait que peu de difficultés pour lui; (5) il serait davantage dans l’intérêt supérieur de son fils qu’il reste au Pakistan avec sa famille. M. Qadri sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision au motif que la SAI n’a pas correctement examiné sa demande visant la prise de mesures spéciales pour des considérations d’ordre humanitaire.

[3] Je ne suis pas convaincu que la décision de la SAI est déraisonnable. C’est à tort que M. Qadri s’appuie sur la décision Osagie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 978 [Osagie], rendue par la Cour, pour étayer son affirmation selon laquelle il était déraisonnable pour la SAI de se demander pourquoi lui seul, et non son père, son frère ou sa sœur, pouvait prendre soin de sa mère malade. Dans la décision Osagie, le juge Ahmed a, à juste titre, conclu que la SAI avait déraisonnablement fait abstraction de l’affirmation du demandeur selon laquelle il devait demeurer à l’extérieur du Canada parce qu’il était le seul de sa fratrie qui pouvait s’occuper adéquatement de ses parents vieillissants; dans Osagie, une preuve avait été présentée pour établir que le demandeur était le fils aîné et que, dans sa culture, il lui revenait de prendre soin de ses parents. En outre, du fait qu’il était médecin, M. Osagie était le mieux placé pour composer avec la santé déclinante de son père. La situation est différente en l’espèce. La seule preuve présentée par M. Qadri pour justifier que ni son père ni son frère ou sa sœur n’étaient en mesure de prendre soin de sa mère durant sept ans indiquait que son père, qui avait d’abord dû se remettre d’une chirurgie cardiaque, avait été contraint de travailler à l’extérieur de la ville de 2012 à 2017 et que son frère et sa sœur vivaient à l’étranger, son frère à Toronto et sa sœur aux Émirats arabes unis.

[4] La SAI n’a pas contesté le fait que la mère de M. Qadri était malade et qu’elle avait besoin d’aide. Cependant, elle a conclu qu’il n’existait aucun élément de preuve pour expliquer ce qui suit : de quelle façon la maladie avait évolué au fil du temps; si l’autonomie de sa mère s’était améliorée et à quel moment, et si les besoins de sa mère avaient changé; la raison pour laquelle sa présence avait été nécessaire durant sept ans et celle pour laquelle il avait été le seul à pouvoir s’occuper de sa mère durant aussi longtemps; si d’autres solutions avaient, à tout le moins, été envisagées sérieusement de façon à lui permettre de revenir au Canada.

[5] M. Qadri soutient que, selon la décision Osagie rendue par la Cour, les agents d’immigration ne devraient pas se préoccuper des problèmes qui existent entre frères et sœurs, et qu’il était déraisonnable, en l’espèce, que l’agent et la SAI se demandent pourquoi son frère et sa sœur ne mettaient pas la main à la pâte et n’assumaient pas leur part de responsabilité à l’égard de leur mère. Je ne crois pas que la décision Osagie aille aussi loin. La question préoccupante dans cette décision était l’analyse faite par la SAI de l’obligation qu’avait le demandeur de prendre soin de ses parents vieillissants. La SAI avait conclu que M. Osagie avait plusieurs frères et sœurs au Nigéria qui auraient pu prendre soin de leurs parents à sa place; elle avait simplement présumé que ses frères et sœurs étaient en mesure de prendre soin de leurs parents. En outre, la preuve présentée dans l’affaire Osagie établissait la raison pour laquelle M. Osagie avait pris sur lui de s’occuper de ses parents; dans la « culture [du demandeur], c’est au fils aîné qu’il revient de prendre soin des parents, et ses frères et sœurs étaient trop jeunes ou instables financièrement pour en prendre soin avant aujourd’hui ». De plus, du fait qu’il était médecin, il était d’autant plus approprié que M. Osagie assume la responsabilité de prendre soin de ses parents étant donné l’état de santé critique de son père. Comme l’a déclaré le juge Ahmed, « [m]algré tout, la SAI a simplement affirmé qu’un de ses frères et sœurs aurait pu jouer ce rôle et a indiqué “[qu’i]mmigrer dans un nouveau pays exige de faire des choix difficiles” ». La situation est différente dans le cas présent. La SAI n’a, à aucun moment, simplement présumé que le père, le frère ou la sœur de M. Qadri pouvaient prendre soin de sa mère, et, surtout, la preuve ne contient rien qui pourrait expliquer pourquoi il revenait à M. Qadri, plutôt qu’à n’importe qui d’autre, de prendre soin de sa mère, l’amenant à s’absenter du pays durant sept ans.

[6] En fait, la SAI a conclu que M. Qadri avait accentué le caractère permanent de son départ du Canada en se mariant au Pakistan. La SAI n’a pas été impressionnée par l’argument de M. Qadri selon lequel il avait été [traduction] « forcé » par ses parents d’épouser sa femme en 2016, laquelle n’avait aucun statut au Canada et ne désirait pas, jusqu’à tout récemment, venir vivre au pays. La SAI a conclu que ce facteur, combiné au fait que M. Qadri n’avait pas réellement tenté de revenir s’établir au Canada durant 13 ans, militait fortement contre la prise de mesures spéciales. En outre, la SAI n’a accordé que très peu de poids aux facteurs d’établissement de M. Qadri puisqu’il n’avait passé que six mois au Canada au cours des cinq années précédentes, et elle n’a accordé qu’un poids neutre au facteur relatif aux difficultés puisque aucun élément de preuve convaincant n’avait été présenté à ce sujet; la femme de M. Qadri et toute la famille de celui‑ci vivent au Pakistan, à l’exception de son frère et de quelques cousins qui vivent au Canada. En ce qui concerne l’intérêt supérieur du jeune fils de M. Qadri, la SAI a conclu que ni le garçon ni sa mère n’avait de statut au Canada et que, dans l’éventualité où M. Qadri perdait son statut de résident permanent, la situation du jeune garçon demeurerait la même puisqu’il continuerait à vivre avec sa famille, ce qui est dans son intérêt supérieur.

[7] Étant donné que la norme de contrôle qui s’applique est la décision raisonnable (Arefian c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 739 aux para 19-21; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16, 17), et compte tenu du fait que la décision concernant l’existence de considérations d’ordre humanitaire dans le contexte de l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la Loi commande un degré élevé de déférence à l’égard de la SAI (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 4), je ne suis pas convaincu que l’un ou l’autre des aspects de la décision rendue par la SAI en l’espèce est déraisonnable. Par conséquent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2643-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

vide

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2643-21

 

INTITULÉ :

IRTIZA HUSSAIN QADRI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 janvier 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 31 mars 2022

 

COMPARUTIONS :

Mark J. Gruszczynski

 

Pour le demandeur

Zoé Richard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Canada Immigration Team

Westmount (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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