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Date : 20220427


Dossier : IMM‑3592‑21

Référence : 2022 CF 618

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2022

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

ZAHEER AHMED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision (la décision) d’un agent principal de l’immigration (l’agent) de la Division de la migration humanitaire et de l’intégrité d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, en date du 21 décembre 2020. L’agent a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire que le demandeur a présentée à partir du Canada au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).).

II. Contexte

[2] Le demandeur, monsieur Zaheer Ahmed, est un citoyen du Pakistan âgé de 60 ans. Il est un musulman chiite.

[3] Le 5 novembre 2002 ou vers cette date, le demandeur est entré au Canada et a demandé l’asile au motif qu’il craignait d’être persécuté en raison de sa religion. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande d’asile du demandeur, ayant estimé qu’il pouvait se prévaloir d’une protection de l’État adéquate au Pakistan. Le demandeur n’a pas sollicité le contrôle judiciaire du rejet de sa demande d’asile.

[4] Le demandeur s’est marié en mai 2005 avec son épouse actuelle (une citoyenne canadienne qu’il a rencontrée en 2002), qui l’a parrainé au Canada jusqu’à ce qu’il obtienne le statut de résident permanent le 20 décembre 2008.

[5] L’épouse du demandeur a trois enfants au Canada issus d’une union précédente (qui ont à l’heure actuelle 31 ans, 29 ans et 26 ans), que le demandeur considère comme ses beaux‑fils. Le demandeur a quatre enfants biologiques nés d’une union précédente (dont l’âge n’est pas précisé, mais à qui il parle régulièrement au téléphone), qui résident tous au Pakistan. L’épouse précédente du demandeur est décédée.

[6] Au cours de l’été 2009, deux des beaux‑fils du demandeur ont allégué avoir été agressés sexuellement par un oncle au Canada. Des accusations ont été portées contre l’oncle en question; cependant, à la suite de menaces proférées par l’oncle et par des membres de la famille au Pakistan et au Canada, les accusations ont été retirées.

[7] À la suite des circonstances entourant les événements mentionnés précédemment, le demandeur a été reconnu coupable de méfait public et d’obstruction de la justice et a été condamné à 67 jours de détention préventive, à deux peines discontinues de 90 jours à purger concurremment, à deux périodes de probation de trois ans concurrentes et à une ordonnance d’interdiction discrétionnaire d’une durée de dix ans, le 1er décembre 2010.

[8] Le demandeur a aussi fait l’objet de plusieurs autres condamnations. Ainsi :

  1. Une accusation et une condamnation non divulguées pour lesquelles il était en liberté sous caution (et dont il a enfreint les conditions) en 2010;

  2. Le 19 avril 2011 : méfait public et défaut de se conformer à un engagement pour lesquels il a reçu une peine d’emprisonnement avec sursis de neuf mois;

  3. Le 27 juin 2011 : tentative d’obstruction de la justice pour laquelle il a reçu une peine de détention discontinue de 90 jours et une période de probation de 36 mois;

  4. Le 19 juillet 2013 : conduite avec facultés affaiblies pour laquelle il a fait l’objet d’une interdiction de conduire pendant deux ans et d’une amende de 4 000 $;

  5. Le 23 décembre 2013 : deux accusations de possession de biens criminellement obtenus d’une valeur supérieure à 5 000 $ pour lesquelles il a reçu une peine d’emprisonnement avec sursis de 12 mois pour chaque accusation et une période de probation de 12 mois;

  6. Le 12 janvier 2017 : voies de fait et menaces, pour lesquelles il a reçu une absolution sous conditions et une période de probation de 18 mois;

  7. Septembre 2019 : agression sexuelle et menaces de mort, pour lesquelles il a reçu une absolution sous conditions et une période de probation de 12 mois;

  8. Octobre 2019 : conduite avec facultés affaiblies pour laquelle il a été soumis à une amende et à une période de probation d’un an.

[9] Un rapport a été établi au titre du paragraphe 44(1)de la Loi en juin 2012, selon lequel il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité après avoir reçu une peine d’emprisonnement avec sursis de plus de six mois au titre de l’alinéa 36(1)a) de la Loi relativement à la condamnation d’avril 2011. Par conséquent, une mesure d’expulsion a été prise à l’encontre du demandeur le 7 mai 2014, et celui‑ci a perdu son statut de résident permanent.

[10] Le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) le 18 juin 2014, et des observations en date du 5 décembre 2014 et du 11 avril 2018. L’agent a rejeté la demande d’ERAR du demandeur le 21 décembre 2020. La demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur quant au rejet de sa demande d’ERAR dans le dossier no IMM‑3742‑21 a été accueillie.

[11] À la lumière de la conclusion d’interdiction de territoire et de la perte de son statut de résident permanent, le demandeur a demandé une dispense des exigences de la Loi pour des considérations d’ordre humanitaire afin d’accélérer le traitement de sa demande de résidence permanente présentée au Canada. Il a demandé une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire en invoquant les motifs qui suivent :

  1. Son établissement au Canada;

  2. L’intérêt supérieur de ses trois beaux‑fils;

  3. Le risque et les conditions défavorables auxquels il serait exposé à son renvoi au Pakistan, dont ses craintes de subir de la discrimination en tant que musulman chiite et des représailles de la part de la famille de l’oncle de ses beaux‑fils au Pakistan.

[12] L’agent a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur dans une décision en date du 21 décembre 2020, qui a été communiquée au demandeur le 17 mai 2021. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de l’agent et renvoyant l’affaire à un autre agent pour nouvel examen.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[13] Après avoir pris en compte l’ensemble des éléments de preuve présentés par le demandeur, y compris les éléments et les observations se rapportant aux circonstances qui ont été décrites par le demandeur dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et sa demande d’ERAR, l’agent n’était pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire qui lui avaient été exposées justifiaient une dispense aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi et a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire du demandeur.

A. Établissement au Canada

[14] L’agent a accordé un certain poids au degré d’établissement du demandeur en fonction des facteurs suivants :

  1. Le demandeur réside au Canada depuis longtemps – environ 18 ans au moment où la décision a été rendue;

  2. Il serait sans doute difficile pour le demandeur de vivre séparé de son épouse, mais la séparation ne constitue qu’un facteur dans l’appréciation globale. De plus, l’épouse du demandeur a séjourné au Pakistan pendant une période de deux ans, de 2010 à 2012, et il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve quant aux répercussions de cette séparation sur la relation. Par conséquent, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur et son épouse ne pourraient pas entretenir une relation à distance;

  3. Le demandeur a fourni des preuves quant à ses liens et à son apport à sa communauté religieuse;

  4. Le demandeur a affirmé qu’il avait travaillé pendant de nombreuses années et qu’il pouvait subvenir aux besoins de sa famille au Canada et au Pakistan grâce à son entreprise de location de voitures. Pourtant, l’agent a souligné qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve objectifs au sujet de l’entreprise et de la gestion des finances du demandeur;

  5. Le demandeur a affirmé qu’il était le principal pourvoyeur de sa famille et que son épouse n’occupait pas d’emploi à l’extérieur du foyer. Pourtant, l’agent a souligné que l’un de ses beaux‑fils était le propriétaire et le gérant de l’entreprise de location de voitures et que celui‑ci devrait pouvoir faire en sorte que l’épouse du demandeur ne manque de rien.

B. Intérêt supérieur des enfants

[15] L’agent a conclu que l’intérêt supérieur des trois beaux‑fils du demandeur (qui étaient âgés de 24, de 27 et de 29 ans au moment où la décision a été rendue) représentait un facteur mineur dans l’appréciation de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Il a souligné que le demandeur apportait certes un soutien constant et significatif à ses beaux‑fils, mais que ces derniers étaient tous de jeunes adultes et qu’ils étaient indépendants – ils ne sont pas des enfants.

[16] L’agent n’a pas écarté la relation que l’agent entretient avec ses beau‑fils, mais il a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir que le retour du demandeur au Pakistan aurait des effets défavorables sur les beaux‑fils au point où une dispense serait justifiée.

C. Risque et conditions défavorables dans le pays

[17] L’agent a accordé un certain poids au facteur du risque et des conditions défavorables dans le pays, mais il n’était pas convaincu que le demandeur avait présenté suffisamment d’éléments de preuve pour justifier une dispense, en faisant valoir les éléments qui suivent :

  1. Le demandeur a déclaré qu’en tant que musulman chiite, il serait exposé à de la discrimination et à de la violence religieuse s’il devait retourner au Pakistan. Pourtant, le demandeur est retourné au Pakistan en 2012 (à l’instar de son épouse, en 2010, pour une période de deux ans), et il a présenté une preuve insuffisante quant à la façon dont les conditions défavorables dans le pays avaient eu des conséquences négatives pour lui pendant son séjour au Pakistan;

  2. Le demandeur a affirmé qu’il souffrait de plusieurs problèmes de santé et que le fait de retourner au Pakistan compromettrait sa santé en raison du manque de services adéquats. L’agent a toutefois fait remarquer que les quatre enfants et les frères et sœurs du demandeur résidaient toujours au Pakistan, et celui‑ci n’avait pas présenté des preuves suffisantes quant aux répercussions que les conditions défavorables dans le pays auraient eu sur leur sécurité physique et matérielle, leur bien‑être ou leur accès à des emplois et à des soins de santé;

  3. Bien que l’agent compatisse avec le demandeur pour la situation pénible dans laquelle il se trouve, le casier judiciaire et les circonstances entourant les accusations ayant été portées contre lui (c.‑à‑d. le conflit familial) ne militent pas en faveur de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur. De plus, l’agent a souligné les accusations en instance (au moment où la décision a été rendue) qui ont été portées en 2019 et au sujet desquelles le demandeur avait omis de présenter des observations ou de faire le point.

IV. Questions en litige

[18] La question en litige consiste à savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

V. Norme de contrôle

[19] La norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]) au paragraphe 25).

VI. Analyse

[20] Selon le paragraphe 11(1) de la Loi, l’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander un visa. Le paragraphe 25(1) de la Loi autorise le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté (le ministre) à dispenser les étrangers des exigences énoncées au paragraphe 11(1) si des considérations d’ordre humanitaire le justifient.

[21] Il incombe au demandeur d’établir que les mesures fondées sur des considérations d’ordre humanitaire sont justifiées et que ses circonstances personnelles sont telles que le fait de devoir aller à l’étranger pour présenter une demande de visa lui causerait des difficultés propres « à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61[Kanthasamy] au paragraphe 21). Le fait qu’un demandeur soit exposé à quelques difficultés ne saurait nécessairement justifier que sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire soit accueillie (Kanthasamy, au paragraphe 23).

[22] L’application du critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » (tel qu’il est énoncé dans les Lignes directrices ministérielles) est étayée par une liste non exhaustive de facteurs, comme l’établissement au Canada, les liens avec le Canada, l’intérêt supérieur de tout enfant touché par la demande, les facteurs dans le pays d’origine, les facteurs relatifs à la santé, les conséquences de la séparation de la famille, et tout autre facteur pertinent. Les considérations pertinentes sont soupesées cumulativement pour déterminer si la dispense est justifiée dans les circonstances et ne devraient pas limiter le pouvoir discrétionnaire qui permet à l’agent d’immigration de tenir compte de tous les facteurs pertinents : (Kanthasamy, aux paragraphes 27 à 33).

[23] De plus, la décision rendue en application du paragraphe 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qui est touché par elle n’est pas suffisamment pris en compte. Le décideur ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il a pris cet intérêt en compte; l’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve (Kanthasamy, au paragraphe 39). Le principe de l’« intérêt supérieur » vaut pour tout enfant de moins de 18 ans (Kanthasamy, au paragraphe 34).

[24] Si la dispense pour des considérations d’ordre humanitaire n’est pas accordée, le demandeur devra demander la résidence permanente au Canada à partir du Pakistan.

[25] Le demandeur fait valoir que la décision était déraisonnable parce que l’agent a commis les erreurs qui suivent :

  1. La conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur et son épouse ne connaîtraient pas de difficultés suffisantes reposait sur la conclusion factuelle erronée voulant que le couple avait vécu séparé pendant deux ans;

  2. L’agent a adopté une approche segmentée et [traduction] « changeante » déraisonnable à l’égard des mesures fondées sur des considérations d’ordre humanitaire qui mine irrémédiablement la transparence et l’intelligibilité de la décision.

  3. L’agent a appliqué un seuil excessivement élevé pour les mesures prises pour des considérations d’ordre humanitaire comme le montre la conclusion selon laquelle l’épouse du demandeur ne sera pas [traduction] « miséreuse » si le demandeur retournait au Pakistan et selon laquelle la situation dans ce pays n’est pas si [traduction] « difficile »;

  4. L’agent a omis d’examiner des arguments et des éléments de preuve essentiels présentés par le demandeur concernant les difficultés auxquelles celui‑ci serait exposé en raison des conditions défavorables dans le pays et les circonstances atténuantes entourant les antécédents criminels du demandeur;

  5. L’agent a omis de justifier différentes conclusions selon lesquelles les éléments de preuve produits par le demandeur étaient insuffisants.

[26] Le défendeur soutient que la décision était raisonnable et que l’appréciation effectuée par l’agent allait de pair avec les éléments de preuve ayant été présentés et avec l’objet de l’article 25 de la Loi.

[27] Une décision peut être déraisonnable lorsque l’agent commet des erreurs de fait importantes qui entraînent des conclusions défavorables importantes et suffisantes (Kazembe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 856 aux paragraphes 20 à 23).

[28] L’agent a accordé du poids au mariage du demandeur et a souligné qu’il serait sans doute difficile pour le demandeur et son épouse de vivre séparés. Toutefois, il a aussi fait remarquer que l’unité de la famille ne représentait qu’un facteur parmi d’autres dans l’appréciation globale. L’agent a ensuite affirmé ce qui suit :

[traduction]

Je constate aussi, selon la déclaration faite par l’épouse, que celle‑ci semble être partie au Pakistan en 2010 et être rentrée au Canada environ deux ans plus tard; le demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve quant aux répercussions de cette longue séparation sur leur relation. Pour cette raison, je ne suis pas convaincu que le demandeur et son épouse ne pourront pas trouver d’autres moyens pour maintenir leur relation à distance.

[29] Il semble que l’agent pourrait avoir commis une erreur lorsqu’il a conclu que l’épouse du demandeur avait séjourné au Pakistan à partir de 2010 jusqu’en 2012 – tandis qu’il peut, en fait, s’agir de deux séjours d’une durée de deux mois chacun effectués au Pakistan en 2010 et en 2012 – et, par conséquent, qu’il pourrait avoir conclu à tort que le demandeur et son épouse pouvaient entretenir une relation à distance si le demandeur devait retourner au Pakistan.

[30] La conclusion de fait erronée tirée par l’agent ne semble pas importante eu égard à la décision. L’agent a accordé du poids au mariage du demandeur et a souligné qu’il s’agissait d’un facteur parmi d’autres dans sa décision. De plus, la conclusion erronée semble constituer une observation supplémentaire visant à mettre en lumière des façons possibles d’atténuer toute difficulté que le demandeur et son épouse pourraient connaître s’ils étaient séparés.

[31] De plus, je conclus que l’agent n’a pas segmenté ou cloisonné sa décision de façon déraisonnable. L’agent a apprécié chacun des facteurs d’ordre humanitaire présentés par le demandeur et a consigné le poids qu’il avait accordé à chacun et il a conclu que, selon son appréciation globale de l’ensemble des observations et des éléments de preuve, une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’était pas justifiée dans la situation du demandeur. L’agent ne s’est pas contenté d’énoncer des faits sans les analyser ou les pondérer (Senay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 200 aux paragraphes 34, 41 et 42).

[32] Qui plus est, je n’estime pas que l’agent a appliqué une norme incorrecte ou stricte (Aupura c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2018 CF 762 au paragraphe 23). Comme il a été mentionné plus haut, les dispenses fondées sur des considérations d’ordre humanitaire représentent une mesure exceptionnelle qui peut être prise en faveur des demandeurs qui présentent des éléments de preuve démontrant que la mesure est justifiée parce que leur situation et leurs circonstances personnelles sont suffisamment importantes pour que soit invoqué le paragraphe 25(1) de la Loi.

[33] À ce sujet, le juge Zinn a affirmé ce qui suit dans la décision Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1482 [Zhang], au paragraphe 23 :

[TRADUCTION]

Il existe une différence importante entre faire remarquer que cette mesure exceptionnelle est prise parce que les circonstances personnelles de certaines personnes sont telles que leur expulsion leur occasionnerait davantage de bouleversements qu’à d’autres personnes, et faire valoir que la mesure ne peut s’appliquer qu’aux personnes qui démontrent l’existence d’une détresse ou de circonstances malheureuses exceptionnelles par rapport à ce que vivent d’autres personnes. Le premier cas explique pourquoi la dispense existe, tandis que le second vise à cerner les personnes susceptibles de bénéficier de la dispense. Le second introduit une condition à l’octroi de la dispense qui n’existe pas. [Souligné dans l’original].

[34] L’agent a utilisé les mots [TRADUCTION] « difficile » et [TRADUCTION] « miséreuse » dans le contexte de son appréciation de la question de savoir si la situation personnelle du demandeur était telle que son expulsion lui [TRADUCTION] « occasionnerait davantage de bouleversements » au point où l’octroi de la mesure exceptionnelle fondée sur des considérations d’ordre humanitaire prévue au paragraphe 25(1) de la Loi était justifiée, et non pas que sa situation était exceptionnelle par rapport à celle d’autres personnes (Usiayo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 509 aux paragraphes 19 à 22).

[35] Bien qu’on ne puisse s’attendre à ce que les décideurs répondent à chaque argument et chaque élément de preuve, « le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise » (Thapachetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 600 aux paragraphes 21 à 23, citant l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Newfoundland and Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au paragraphe 25). De plus, les conclusions d’insuffisance de la preuve doivent être expliquées par l’examen des éléments de preuve figurant au dossier ou par la présentation de justifications (Sarker c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 154 au paragraphe 11).

[36] J’estime que l’agent a, de façon déraisonnable, négligé de tenir compte de certains arguments et éléments de preuve essentiels et a omis de justifier diverses conclusions selon lesquelles les éléments de preuve produits par le demandeur étaient insuffisants, à la lumière des facteurs qui suivent :

  1. Le demandeur a présenté des observations détaillées au sujet des difficultés qu’il connaîtrait au Pakistan en raison de ses problèmes de santé et du manque de soins médicaux, ainsi qu’au sujet de la discrimination et des actes de violence dont sont victimes les musulmans chiites. Il ne ressort pas clairement de la décision quels éléments de preuve ont été pris en compte par l’agent sur ces questions ou pourquoi les éléments de preuve se sont avérés insuffisants. L’agent a omis de prendre en considération les éléments de preuve selon lesquels le demandeur et son épouse n’osaient pas quitter leur résidence ou avaient fait l’objet de menaces, respectivement, pendant leurs séjours au Pakistan au moment du décès de proches parents.

  2. De plus, la question de la façon dont les conditions défavorables dans le pays affectent la famille du demandeur n’a pas été jugée pertinente et semble s’être égarée dans une décision déraisonnable, à laquelle la transparence fait défaut.

[37] Bien que j’estime que l’agent a examiné comme il se devait le facteur de l’intérêt supérieur des enfants et le casier judiciaire du demandeur, le fait qu’il a omis d’analyser de façon transparente et intelligible les arguments essentiels portant sur les difficultés et les conditions défavorables dans le pays, et ses conclusions quant au caractère insuffisant de la preuve, rendent la décision déraisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3592‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent en vue d’un nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3592‑21

 

INTITULÉ :

ZAHEER AHMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 AVRIL 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 AVRIL 2022

 

COMPARUTIONS :

CHARLES STEVEN

 

pour le demandeur

 

MICHAEL BUTTERFIELD

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WALDMAN & ASSOCIATES

TORONTO (ONTARIO)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

TORONTO (ONTARIO)

 

pour le défendeur

 

 

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