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Date : 20220426


Dossier : T-325-22

Référence : 2022 CF 607

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 26 avril 2022

En présence du juge responsable de la gestion de l’instance, Trent Horne

ENTRE :

MONSIEUR RICHARD S. MITCHELL ALIAS

Dr RICHARD STEVE MITCHELL,

REV. RICHARD MITCHELL, ET

RICHARD STEVEN MITCHELL

demandeur

et

ACADEMY OF LEARNING MISSISSAUGA – CAMPUS

ET SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ONTARIO

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les défenderesses ont présenté des requêtes en radiation de la déclaration, sans autorisation de la modifier. La déclaration est frivole et vexatoire. Il s’agit d’un abus de procédure. Dans la mesure où le demandeur a une cause d’action, la Cour fédérale n’a pas compétence à cet égard. Par conséquent, les requêtes seront accueillies.

II. La déclaration

[2] La déclaration est difficile à comprendre. Elle soulève des plaintes contre des juges et des membres du personnel du greffe de la Cour supérieure de justice de l’Ontario et de la Cour d’appel de l’Ontario. Il semble que l’appel en instance interjeté par le demandeur devant la Cour d’appel de l’Ontario a été rejeté pour cause de retard. Le demandeur soutient que le rejet de son appel est le résultat d’un comportement honteux et indigne, et constitue une infraction au Code criminel, LRC 1985, c C 46, aux Règles de procédure civile de l’Ontario, RRO 1990, Règl. 194, ainsi qu’à la Constitution, que je comprends comme étant la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R U), 1982, c 11 (la Charte).

[3] Le demandeur soutient que les tribunaux ontariens ont commis ces manquements de concert avec le personnel administratif du campus de Mississauga du collège Academy of Learning de l’Ontario (AOL). Le comportement reproché au personnel d’AOL n’est pas clairement énoncé. La déclaration comprend une référence à un diplôme ainsi que des références générales à des actes de fraude et de criminalité.

III. Historique des procédures

[4] La déclaration a été déposée le 22 février 2022. Le 28 février 2022, le juge en chef a rendu une ordonnance par laquelle il m’assignait à titre de juge responsable de la gestion de l’instance.

[5] La première conférence de gestion de l’instance a eu lieu le 9 mars 2022. Les deux défenderesses ont signalé leur intention de déposer par écrit des requêtes en radiation. Le demandeur a également manifesté son intention de solliciter, par voie de requête, le rejet de l’exposé de la défense déposé par AOL. J’ai ordonné que les requêtes en radiation soient tranchées en premier, et j’ai fixé un échéancier en ce qui concerne l’échange de documents liés à la requête. L’échéancier fixait au 6 avril 2022 la date limite pour que le demandeur dépose ses documents liés à la requête en réponse.

[6] Le demandeur s’est fermement opposé à cette directive, en particulier à l’ordre dans lequel les requêtes seraient entendues. Il a formulé des allégations de partialité. J’ai entre autres indiqué ce qui suit dans mes directives orales suivant la conférence de gestion de l’instance : [traduction] « Dans la mesure où le demandeur s’oppose à l’audience ou aux décisions relatives aux requêtes en radiation en invoquant la partialité, ou demande que je m’abstienne de trancher les requêtes, il peut soulever ces questions dans ses documents liés à la requête en réponse ».

[7] Le demandeur a écrit à la Cour le 15 mars 2022. La lettre énonçait ce qui suit (traduit tel que reproduit dans la version anglaise) :

[traduction]

Veuillez prendre note que le demandeur, le Dr Richard Steve Mitchell, de la déclaration aux défenderesses, de la Cour fédérale, du dossier no T-325-22 de la Cour fédérale, signifie à l’ensemble des parties, en vertu du paragraphe 133(1) et de l’article 134 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106) (la Loi sur les Cours fédérales, les règles de procédure des Cours fédérales), la copie de l’appel en pièce jointe, interjeté contre l’ordonnance grossièrement erronée et partiale du juge protonotaire Trent Horne.

N’hésitez pas à présenter sans délai toute information supplémentaire qui, selon vous, est appropriée et pertinente à l’appel. Votre adversaire inhérent, Dr Richard s. Mitchell.

[8] Cette correspondance fait allusion à une [traduction] « copie de l’appel en pièce jointe », mais aucun document n’y était joint.

[9] À la suite de la conférence de gestion de l’instance du 9 mars 2022, j’ai rendu une directive, et non une ordonnance. Aucun appel ne peut découler d’une directive. Lorsqu’une partie souhaite contester une directive résultant d’une conférence de gestion de l’instance, celle-ci est libre de solliciter, par requête, une ordonnance formelle qui énonce le contenu de la directive (Peak Innovations Inc c Simpson Strong-Tie Company, Inc., 2011 CAF 81 aux para 1‑4).

[10] De toute manière, on ne sait pas clairement ce que veut dire le demandeur lorsqu’il fait référence aux articles 133 et 134. Il semble renvoyer à la Loi sur les tribunaux judiciaires de l’Ontario, LRO 1990, c C 43, qui porte sur la question des appels. La Loi sur les tribunaux judiciaires est une loi provinciale qui s’applique uniquement aux procédures judiciaires devant les tribunaux ontariens. La législation et la réglementation applicables aux procédures devant la Cour fédérale est la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 (la Loi sur les CF), ainsi que les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

[11] Même si ma directive devait faire l’objet d’un appel, celui-ci devrait être présenté par voie de requête à un juge de la Cour fédérale dans un délai de dix jours (article 51 des Règles). Le demandeur n’a pas signifié et déposé un tel avis de requête, et n’a plus de temps pour ce faire.

[12] L’avis de requête signifié par AOL comprend une requête en vue de faire déclarer le demandeur plaideur quérulent au titre de l’article 40 de la Loi sur les CF. Le procureur général du Canada n’avait pas donné son consentement au sujet du dossier de requête, lequel est requis au titre du paragraphe 40(2) de la Loi sur les CF.

[13] Le 29 mars 2022, l’avocat d’AOL a écrit à la Cour afin de solliciter une autre conférence de gestion de l’instance pour recevoir des directives au sujet des modifications qu’il souhaite apporter à ses documents de requête, notamment afin d’y ajouter le consentement du procureur général du Canada, le cas échéant, et d’établir un nouvel échéancier relatif à la requête.

[14] En date du 6 avril 2022, qui était la date limite, le demandeur n’avait déposé aucun document en réponse à la requête ni sollicité de prorogation de délai pour ce faire.

[15] J’ai donné une directive supplémentaire le 11 avril 2022. Conformément à cette directive, les parties devaient fournir des dates qui convenaient à tous relativement à la tenue d’une conférence de gestion de l’instance. La directive énonçait également ce qui suit : [traduction] « Dans l’intervalle, les requêtes en radiation ne sont pas ajournées, et elles iront de l’avant à moins d’indication contraire. J’accorde au demandeur une prorogation de délai jusqu’au 19 avril 2022 pour déposer des documents en réponse afin de garantir qu’il soit entendu relativement aux requêtes en radiation. Si aucun document en réponse à la requête n’est déposé à cette date, les requêtes en radiation seront tranchées sur le fondement des documents déposés par les défenderesses. Dans le cas où le demandeur ne signifie et ne dépose aucun document en réponse aux requêtes, les défenderesses auront jusqu’au 26 avril 2022 pour présenter leur réponse ».

[16] En réponse à cette directive, le demandeur a envoyé le courriel suivant à la Cour et à l’avocat des parties (traduit tel que reproduit dans la version anglaise) :

[traduction]

Veuillez prendre note que moi, le Dr Richard Steve Mitchell, le demandeur, n’accepterai aucune forme d’activité malhonnête et qui apparaît, à première vue, comme un acte de trahison ainsi qu’une atteinte aux règles encadrant les procédures judiciaires de cette nation ou de toute autre juridiction dans le monde, et qui vise délibérément à me nuire et à faire échouer le processus judiciaire avec l’intention de protéger les terroristes nationaux tout en bafouant les libertés civiles dans la nation du Canada, l’ancien (Dominion du Canada).

Par conséquent, à ce sujet, je ne me plierai à aucune date. Cependant, je suis prêt à présenter une demande auprès de la Cour suprême et à aller de l’avant avec toute autre action qui pourrait au moins contribuer à apporter et à rendre une certaine forme de justice dans l’intérêt supérieur du peuple.

[17] Une conférence de gestion de l’instance a été fixée au 21 avril 2022 à 13 h. Le demandeur a été informé à l’avance de la tenue d’une conférence de gestion de l’instance, et les détails de l’accès par téléphone lui ont été envoyés. Il ne s’est pas présenté.

[18] À la conférence de gestion de l’instance, l’avocat d’AOL a confirmé que la réparation sollicitée dans l’avis de requête, soit de faire déclarer le demandeur plaideur quérulent, a été retirée, mais pourrait être présentée de nouveau une fois que le consentement du procureur général du Canada aura été obtenu.

[19] Comme je l’ai indiqué à la conférence de gestion de l’instance du 21 avril 2022, le demandeur n’a pas respecté deux dates limites fixées pour déposer des documents, et n’a pas sollicité de prorogation de délai pour ce faire. Le demandeur a choisi de ne pas participer à la deuxième conférence de gestion de l’instance, même s’il avait été informé de sa tenue. J’ai indiqué que je trancherais les requêtes en radiation en me fondant sur les documents déposés par les défenderesses.

[20] Le 25 avril 2022, le demandeur a envoyé une autre lettre au Registraire de la Cour suprême du Canada, ainsi que des copies de cette lettre à la Cour fédérale et à d’autres destinataires. La lettre prévoyait ce qui suit (traduit tel que reproduit dans la version anglaise) :

[traduction]

Veuillez prendre note que, à la suite de ma brève et récente conversation avec l’administration de la Cour suprême du Canada, moi, le Dr Richard Steve Mitchell, de la déclaration à la défenderesse, de la Cour fédérale, du dossier no T-325-22 de la Cour fédérale, et qui est nommé Richard Mitchell dans le jugement rendu par le juge responsable de la gestion de l’instance, Trent Horne, le 9 mars 2022, en date d’aujourd’hui, le 25 avril 2022, je signifie aux deux défenderesses et à la Cour suprême du Canada, en vertu des articles 38, 18, 28, 35, 41, 56, 57, 97 des Règles de la Cour suprême du Canada, qu’un appel a été interjeté contre l’(ordonnance) grossière et partiale du juge protonotaire Trent Horne.

N’hésitez pas à transmettre toute information supplémentaire que vous jugez appropriée et pertinente relativement à l’appel à votre adversaire inhérent, le Dr Richard S. Mitchell, qui a été formé à l’ADR, au dialogue entre victimes et délinquants, à l’école de médiation pour les victimes et les délinquants - pairs/emploi/aînés, aux tribunaux communautaires, et qui est un avocat chrétien certifié en matière de violence conjugale.

[21] Un avis d’appel était joint à cette correspondance. Je n’accorde aucun poids à cette correspondance et à l’avis d’appel. On ne peut interjeter appel d’une directive, encore moins directement auprès de la Cour suprême du Canada. De toute manière, le demandeur semble essentiellement se plaindre du fait que j’ai refusé d’entendre sa requête en radiation de la défense d’AOL avant les requêtes en radiation de la déclaration présentées par les défenderesses. À mon avis, il n’y a aucune bonne raison de le faire; le fait d’aborder les requêtes en suivant cet ordre serait contraire aux principes directeurs énoncés à l’article 3 des Règles. Si les requêtes en radiation des défenderesses sont accueillies, la question de savoir s’il y a une défense au dossier est sans importance. Il conviendra d’aborder les plaidoiries existantes et à venir si les requêtes en radiation sont rejetées et que la Cour est dûment saisie de l’affaire.

IV. Le droit relatif aux requêtes en radiation

[22] Les requêtes en radiation sont régies par l’article 221 des Règles :

Radiation d’actes de procédure

 

Striking Out Pleadings

 

Requête en radiation

 

Motion to strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

 

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

 

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

(b) is immaterial or redundant,

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

 

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

 

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

 

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

 

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

 

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

 

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

 

Preuve

 

Evidence

(2) Aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête invoquant le motif visé à l’alinéa (1)a).

 

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

 

[23] Les principes juridiques qui s’appliquent aux requêtes en radiation sont bien établis. […] L’action ne sera rejetée que s’il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable. Il doit être évident et manifeste que l’action est vouée à l’échec parce qu’elle contient un vice fondamental (R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 45 au para 17).

[24] Il incombe au demandeur de plaider les faits qui constituent le fondement de sa demande ainsi que la réparation demandée. Ces faits sont le fondement en fonction duquel la Cour va évaluer si une demande peut être accueillie. Le demandeur est tenu de présenter les éléments constitutifs de façon suffisamment détaillée de chacun des moyens de droit ou de fait soulevé (Pelletier c Canada, 2016 CF 1356 aux para 8 et 10).

[25] Pour qu’une déclaration révèle une cause d’action valable, elle doit : a) alléguer des faits susceptibles de donner lieu à une cause d’action; b) indiquer la nature de l’action qui doit se fonder sur ces faits; c) préciser le redressement sollicité, qui doit pouvoir découler de l’action, et que la Cour doit avoir la compétence d’accorder (Oleynik c Canada (Procureur général), 2014 CF 896 au para 5.

[26] Pour démontrer qu’il a une cause d’action valable, le demandeur doit soulever dans sa déclaration les faits substantiels qui satisfont à tous les éléments constitutifs des causes d’actions alléguées. Le demandeur doit expliquer au défendeur « par qui, quand, où, comment et de quelle façon » sa responsabilité a été engagée (Al Omani c Canada, 2017 CF 786 au para 14 (Al Omani)).

[27] Dans le cas d’une requête en radiation, les actes de procédure doivent être interprétés de manière aussi libérale que possible, et la Cour doit permettre l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable (Société des loteries de l’Atlantique c Babstock, 2020 CSC 19 au para 19).

V. Règles de procédure

[28] La déclaration contrevient en tous points aux règles à suivre en ce qui concerne la rédaction des actes de procédures.

[29] L’article 174 des Règles exige que les actes de procédures contiennent un exposé concis des faits substantiels. Pour être conforme, un acte de procédure doit satisfaire aux quatre exigences fondamentales suivantes :

  • a) Chaque acte de procédure doit exposer des faits et non pas simplement des conclusions de droit ou des arguments;

  • b) Il doit comprendre des faits substantiels qui satisfont à chaque élément de la cause d’action avec suffisamment de détails;

  • c) Il doit exposer des faits, non les éléments de preuve qui serviront à étayer ces faits;

  • d) Il doit énoncer les faits avec concision.

(Carten c Canada, 2009 CF 1233 au para 36 (Carten))

[30] Les actes de procédure jouent un rôle important pour aviser les intéressés et définir les questions à trancher. La Cour et les parties adverses n’ont pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer diverses causes d’action (Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien-être Social), 2015 CAF 227 au para 16 (Mancuso).

[31] La déclaration fait état d’une fraude. L’article 181 des Règles impose une norme applicable aux actes de procédure élevée en ce qui concerne les causes d’action faisant intervenir une intention malicieuse, de la fraude, un abus de confiance ou d’autres fausses déclarations intentionnelles. Lorsqu’on plaide la mauvaise foi ou l’abus de pouvoir, il ne suffit pas d’utiliser des formulations laconiques et catégoriques telles que [traduction] « délibérément ou négligemment », « indifférence complète » ou « s’est procuré illégalement par le vol ou la fraude ». Faire des déclarations laconiques ou catégoriques qui ne reposent sur aucun élément de preuve constitue un abus de procédure (Merchant Law Group c Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 184 aux para 34 et 35).

[32] La déclaration ne satisfait à aucune de ces exigences. Elle peut être radiée pour ce seul motif.

VI. Compétence

[33] La Cour fédérale n’est pas une cour de dernier ressort pour les parties insatisfaites de l’issue des instances devant les cours de justice provinciales. Elle n’a pas de vastes pouvoirs de surveillance sur les cours provinciales ou les établissements d’enseignement. La Cour fédérale est plutôt un tribunal créé par la loi dont la compétence est limitée et précise.

[34] Les conditions essentielles pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale sont les suivantes : 1) une attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral; 2) l’existence d’un ensemble de règles fédérales essentielles à la solution du litige et qui constituent le fondement de l’attribution légale de compétence; 3) la loi invoquée dans l’affaire doit être une loi du Canada au sens où cette expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 (ITO-International Terminal Operators Ltd c Miida Electronics Inc., 1986 CanLII 91 (CSC), [1986] ACS no 38, [1986] 1 RCS 752) (ITO)).

[35] Comme la Cour suprême l’a énoncé dans l’arrêt Windsor (City) c Canadian Transit Co., 2016 CSC 54 aux para 25 et 26, avant d’examiner si le critère à trois volets de l’arrêt ITC est respecté, il faut déterminer la nature ou le caractère essentiel de la demande selon une « appréciation réaliste du résultat concret visé par le demandeur ». « La compétence ne s’apprécie pas au cas par cas ou au regard d’une question litigieuse à la fois ». La déclaration ne doit pas être prise au pied de la lettre. Le tribunal doit plutôt « aller au-delà des termes employés, des faits allégués et de la réparation demandée, et il doit s’assurer que la déclaration ne constitue pas une tentative déguisée visant à obtenir devant la Cour fédérale un résultat qui ne peut par ailleurs pas être obtenu de cette cour ».

[36] Dans la déclaration, certains événements font appel aux notions d’actus reus et de mens rea, ce qui sous-entend des manquements allégués au Code criminel. Dans l’arrêt La Reine c Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 S.C.R. 205, la Cour suprême du Canada a énoncé qu’il n’y a pas de délit civil spécial fondé sur une violation seule de la loi (aux pages 225-226). Un manquement présumé au Code criminel ne constitue pas une cause d’action civile à l’égard de laquelle la Cour fédérale a compétence. Par conséquent, il est clair et évident que le demandeur ne dispose d’aucune cause d’action civile fondée sur un manquement présumé au Code criminel.

[37] La déclaration semble en grande partie fondée sur des allégations d’inconduite judiciaire. En plus de la théorie de l’immunité judiciaire applicable aux juges agissant dans le cadre de leurs fonctions judiciaires, qui ne saurait être contournée en faisant valoir de simples allégations d’inconduites (Carten, aux para 48-51), dans la mesure où le demandeur est insatisfait de l’issue d’une procédure judiciaire, le recours dont il dispose est de recourir à des moyens d’appel et non d’engager une poursuite devant la Cour. Ces allégations sont vexatoires, ne révèlent aucune cause d’action valable et constituent un abus de procédure.

[38] En plus de s’attaquer aux juges, le demandeur, dans sa déclaration, soutient que des registraires des tribunaux ontariens ont commis des inconduites. Même si les registraires ne bénéficient pas de l’immunité judiciaire, les actions de la « Couronne » se rapportent à Sa Majesté la Reine du chef de l’Ontario et non à Sa Majesté la Reine du chef du Canada. La Couronne provinciale ne peut être poursuivie devant la Cour fédérale en raison notamment du principe de l’immunité de la Couronne. En particulier, les paragraphes 17(1) et 17(2) de la Loi sur les CF, qui traitent des poursuites intentées contre la Couronne devant la Cour fédérale, ne s’appliquent pas à la Couronne provinciale parce que la « Couronne » est définie, à l’article 2 de la Loi sur les CF, comme désignant Sa Majesté la Reine du chef du Canada (Saskatchewan (Procureur général) c Première Nation de Pasqua, 2016 CAF 133 au para 50, autorisation de pourvoi à la CSC refusée [2016] SCCA no 283).

[39] Le fondement de l’action contre AOL n’est pas clair, mais a probablement quelque chose à voir avec l’inscription du demandeur comme étudiant. Dans la mesure où la plainte du demandeur contre AOL peut être décrite comme une rupture de contrat, la Cour fédérale n’a pas la compétence pour trancher des litiges purement contractuels opposant des particuliers (Salt Canada Inc. c Baker, 2020 CAF 127 au para 45). La Cour fédérale n’a pas compétence sur les plaintes fondées sur un délit civil de common law (Sealand Marine Electronics Sales and Services Ltd c M/V Inuksuk I (Navire), 2021 CF 887 au para 139).

[40] Dans la mesure où le demandeur soutient que ses droits garantis par la Charte ont été violés, la nature des droits en cause et la manière dont ils ont été violés sont inconnues.

[41] Les actions fondées sur la Charte ne déclenchent pas de règles spéciales à l’égard des requêtes en radiation; l’exigence de plaider des faits substantiels s’applique toujours. La Cour suprême du Canada a défini par sa jurisprudence l’essence de chaque droit garanti par la Charte, et un demandeur est tenu d’alléguer des faits substantiels suffisants pour répondre au critère applicable à la disposition en cause. Cette démarche n’est pas une simple formalité; « au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte » (Mancuso, au para 21).

[42] Bien que la Cour fédérale puisse être un « tribunal compétent » aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte dans certaines circonstances, cela ne signifie pas qu’elle a compétence sur toutes les demandes fondées sur la Charte. Le simple fait de décrire un événement ou une demande comme une violation d’un droit garanti par la Charte ne confère pas à la Cour fédérale la compétence qu’elle n’a pas par ailleurs.

[43] Le paragraphe 24(1) de la Charte dispose que « [t]oute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances ». Un « tribunal compétent » est un tribunal qui a (1) compétence sur l’intéressé, (2) compétence sur l’objet du litige, et (3) compétence pour accorder la réparation demandée. Ce n’est que dans les cas où le tribunal judiciaire ou administratif concerné possède les trois attributs qu’il est considéré comme un « tribunal compétent » pour accorder la réparation fondée sur la Charte (R c 974649 Ontario Inc, 2001 CSC 81 (CanLII), [2001] 3 RCS 575, au para 15). Il n’y a rien dans la déclaration qui pourrait mener à la conclusion selon laquelle la Cour fédérale a compétence pour statuer sur les allégations du demandeur

[44] Pour les motifs qui précèdent, il est évident et manifeste que la Cour fédérale n’a pas compétence à l’égard de la demande du demandeur. Elle doit être radiée.

[45] Sa Majesté la Reine du chef de l’Ontario demande également que la déclaration soit radiée pour cause de nullité parce que le demandeur ne s’est pas conformé au paragraphe 18(1) de la Loi de 2019 sur la responsabilité de la Couronne et les instances l’intéressant, LO 2019, c 7, annexe 17. Cet article requiert que le demandeur signifie un avis de demande contenant les détails qui suffisent à déterminer les faits qui ont donné lieu à la demande au moins 60 jours avant l’introduction de l’instance. Le demandeur n’a pas présenté un tel avis. Toutefois, cette question est sans importance aux fins de la présente requête. Même si l’avis requis avait été présenté, la Cour fédérale n’aurait toujours pas la compétence relative à l’objet de la plainte du demandeur, et la déclaration serait tout de même radiée.

VII. L’autorisation de modifier

[46] La radiation d’un acte de procédure sans autorisation de le modifier est un pouvoir qui doit être exercé avec prudence. Si une déclaration fait état d’un semblant de cause d’action, elle ne sera pas radiée si elle peut être corrigée par une modification (Al Omani, aux para 32 à 35).

[47] Pour trancher la question de savoir si je devais accorder l’autorisation de modifier, j’ai tenu compte du fait que le demandeur se représente lui-même. J’ai tenté de passer par-dessus le style de rédaction tortueux de la déclaration pour établir si elle révèle quoi que ce soit pouvant constituer une véritable cause d’action.

[48] Pour une requête en radiation fondée sur l’alinéa 221(1)a), aucune preuve n’est admissible (paragraphe 221(2) des Règles). Je n’ai pas pris en compte les affidavits déposés par les défenderesses dans le cadre de mon examen de la question de savoir si la demande devait être radiée, mais je tiendrai compte de cette preuve pour décider si l’autorisation de la modifier devrait être accordée.

[49] Les documents liés à la requête déposés par AOL comprennent notamment un affidavit souscrit par Sunita Vyas, une directrice de la société 1527611 Ontario Inc, constituée en vertu des lois ontariennes et qui exerce ses activités sous le nom « Academy of Learning Career College ». Mme Vyas n’a pas été contre-interrogée. Les faits suivants sont tirés de son affidavit et des pièces qui y étaient jointes.

[50] AOL est un collège privé accrédité par le ministère de l’Éducation. Entre septembre 2020 et février 2021, le demandeur était inscrit au programme de consultant en immigration du campus d’AOL situé à Mississauga. Il a été renvoyé du programme parce qu’il n’avait pas payé ses frais de scolarité.

[51] À la suite de ce renvoi, le demandeur a produit une déclaration auprès de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Comme la déclaration en l’espèce, la déclaration présentée à la Cour supérieure de justice de l’Ontario est difficile à comprendre. Le demandeur semble affirmer que des actes répréhensibles ont été commis relativement à ses prêts étudiants. Il fait aussi référence à des infractions prévues dans le Code criminel, y compris celles d’extorsion et d’extorsion avec une arme à feu. Dans sa déclaration, le demandeur sollicitait 150 000 $ en dommages-intérêts ainsi qu’un [traduction] « diplôme de consultant en immigration mérité ». AOL a contesté la demande et présenté une demande reconventionnelle par laquelle elle sollicitait 7690 $ en frais de scolarité non payés.

[52] Le 13 septembre 2021, l’avocat d’AOL a écrit au registraire de la Cour supérieure de justice de l’Ontario afin de solliciter une ordonnance rejetant l’action en vertu des paragraphes 2.1.01(1) et 2.l.02(1) des Règles de procédure civile de l’Ontario au motif qu’elle était frivole, vexatoire ou qu’elle constituait autrement un recours abusif à la Cour. La juge Bird a ordonné le rejet de l’action le 25 octobre 2021.

[53] Le 25 novembre 2021, le demandeur a déposé un appel auprès de la Cour d’appel de l’Ontario. L’appel a été rejeté avec dépens parce que le demandeur n’a pas mis l’appel en état ni remédié au défaut.

[54] La demande du demandeur porte essentiellement sur un litige l’opposant à AOL au sujet du paiement de frais de scolarité ainsi que de son droit à obtenir un diplôme, et sur son insatisfaction à l’égard de la manière dont les tribunaux ontariens ont tranché sa demande. Dans la mesure où ces allégations sont justiciables, la Cour fédérale n’a aucune compétence à cet égard. Par conséquent, il est évident et manifeste que la déclaration ne peut être modifiée en vue de plaider une cause d’action valide contre les défenderesses devant la Cour fédérale. La déclaration sera donc radiée sans autorisation de la modifier.

VIII. Dépens

[55] La Cour fédérale a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens et de les répartir (paragraphe 400(1) des Règles).

[56] La présente action est frivole et vexatoire. Il s’agit d’un abus de procédure. Le demandeur a eu tout le loisir de répondre aux requêtes des défenderesses et de démontrer sa bonne foi, un fondement raisonnable pour présenter une demande devant la Cour fédérale, ou un motif pour la modifier. Il a choisi de ne pas le faire. Cette conduite donne la nette impression que la déclaration a été déposée afin de causer des ennuis, des inconvénients et des dépenses aux défenderesses, et non pour faire valoir une cause d’action valable.

[57] J’adjugerai donc à chacune des défenderesses des dépens d’un montant de 1600 $. Ces montants sont établis conformément à la fourchette supérieure de la colonne V du tarif : une requête non contestée (article 4; 6 unités), la préparation en vue de deux conférences de gestion de l’instance (article 10; 1 unité par conférence), ainsi que la participation aux deux conférences (article 11; 1 unité par conférence).


JUGEMENT dans le dossier T-325-22

LA COUR STATUE :

  1. La déclaration est radiée sans autorisation de la modifier.

  2. Des dépens d’un montant de 1600 $, payables sans délai, sont adjugés aux défenderesses.

« Trent Horne »

Juge responsable de la gestion de l’instance

Traduction certifiée conforme

Jean-François Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-325-22

 

INTITULÉ :

MONSIEUR RICHARD S. MITCHELL ALIAS DRICHARD STEVE MITCHELL, REV. RICHARD MITCHELL, ET, RICHARD STEVEN MITCHELL c ACADEMY OF LEARNING MISSISSAUGA – CAMPUS ET

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ONTARIO

 

AFFAIRE JUGÉE SUR DOSSIER À TORONTO (ONTARIO) SANS COMPARUTION PERSONNELLE DES PARTIES

JUGEMENT ET MOTIFS :

JUGE RESPONSABLE DE LA GESTION DE L’INSTANCE, TRENT HORNE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 AVRIL 2022

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Maxym Artemenko

 

POUR LA DÉFENDERESSE

ACADEMY OF LEARNING MISSISSAUGA – CAMPUS

 

Insiyah Kanjee

 

POUR LA DÉFENDERESSE

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ONTARIO

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wolfson Law Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

ACADEMY OF LEARNING MISSISSAUGA – CAMPUS

 

Procureur général de l’Ontario, Bureau des avocats de la Couronne – Droit civil

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ONTARIO

 

 

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