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Date : 20220503


Dossier : IMM-527-21

Référence : 2022 CF 637

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

AMINA ADAM MOHAMED

MERYM MOHAMMEDSANI

SARA MOHAMMEDSANI

ALARETH MOHAMMEDSANI

ALHUSSIEN MOHAMMEDSANI

ALI MOHAMMEDSANI

AMAL MOHAMMEDSANI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 8 janvier 2021 par laquelle un agent d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs depuis le Canada. La demande sera accueillie parce que l’agent a commis une erreur dans l’interprétation des dates figurant dans un document important, rendant ainsi la décision déraisonnable.

Le contexte

[2] Les demandeurs sont Amina Mohamed [la demanderesse principale] et ses six enfants [les demandeurs mineurs].

[3] Le nom de la demanderesse principale a été mal orthographié dans l’avis de demande. Son nom est Amina Adam Mohamed, et non Amina Adam Mohammed, comme il était écrit à l’origine. Une ordonnance visant à modifier le nom sera rendue, avec effet immédiat.

[4] Tous les demandeurs sont nés en Arabie saoudite, mais ils ne détiennent que la citoyenneté éthiopienne. Ils sont arrivés au Canada le 20 janvier 2017 et ils ont présenté une demande d’asile. Cette demande a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] et par la Section d’appel des réfugiés. Le 14 mars 2019, ils ont présenté, depuis le Canada, une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[5] Dans son affidavit, la demanderesse principale a expliqué que son mari et son père n’appuyaient pas sa décision de présenter une demande d’asile au Canada. Elle a mentionné qu’après l’échec de sa demande d’asile, elle avait parlé à son mari de la possibilité de retourner en Éthiopie, mais que son mari et son père l’avaient informée qu’elle ne pourrait pas retourner au pays puisqu’ils faisaient l’un et l’autre partie des opposants politiques au régime éthiopien. Elle a indiqué que son père était exilé de l’Éthiopie depuis 1974. Elle a ajouté qu’elle n’était pas au courant de la situation au moment où elle avait présenté sa demande d’asile puisqu’elle vient d’une famille conservatrice où les femmes sont tenues à l’écart de la politique.

[6] Les demandeurs ont affirmé que le frère de la demanderesse principale avait récemment été expulsé de l’Arabie saoudite vers l’Éthiopie, où il avait été détenu et interrogé sur les activités politiques de son père. Ils ont joint à leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire un rapport de la police d’Addis-Abeba [le rapport de police] confirmant que le frère de la demanderesse principale avait été détenu en lien avec les crimes que le père et le mari de celle-ci étaient soupçonnés d’avoir commis. Selon le rapport, le père de la demanderesse principale était recherché [traduction] « pour son rôle dans les perturbations survenues au sein de la communauté de la région d’Oromia » et le mari de celle-ci, [traduction] « pour sa participation et son soutien au mouvement oromo et à un mouvement musulman appelé "Let our voices be heard" [que nos voix soient entendues] ». Le frère de la demanderesse principale a été libéré après avoir payé une caution.

[7] Le 8 janvier 2021, la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs a été rejetée. L’agent a reconnu que la demanderesse principale avait fait la preuve de son établissement social et il a accordé un poids modeste à ce facteur. Il a toutefois estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve concernant l’établissement financier, ce qui ramenait « au minimum » le poids global accordé à l’établissement des demandeurs au Canada.

[8] L’agent a examiné les observations des demandeurs sur l’intérêt supérieur des demandeurs mineurs et, de façon générale, un poids modeste a été accordé à ce facteur.

[9] L’agent a aussi examiné la preuve selon laquelle il serait dangereux pour les demandeurs de retourner en Éthiopie compte tenu des activités politiques des membres de leur famille. Il a souligné que, selon la décision de la SPR, les demandeurs n’étaient pas étroitement liés à des personnes prenant part à des activités politiques ou à des manifestations concernant l’Éthiopie, mais qu’ils avaient affirmé qu’ils n’étaient pas au courant des activités des membres de leur famille au moment où ils avaient présenté leur demande d’asile.

[10] L’agent s’est penché sur les lettres présentées par les demandeurs concernant le mari de la demanderesse principale. Il a souligné que, si ces lettres indiquaient que le mari était actif au sein des communautés éthiopienne et oromo, elles n’établissaient pas qu’il avait entrepris des activités qui seraient considérées comme une manifestation d’opposition au régime éthiopien. En ce qui concerne le père de la demanderesse principale, l’agent a indiqué que les demandeurs n’avaient pas présenté d’éléments de preuve établissant qu’il était actif sur le plan politique en Éthiopie ni qu’il avait été exilé.

[11] L’agent s’est aussi penché sur le rapport de police et sur l’affirmation des demandeurs selon laquelle le frère de la demanderesse principale avait été détenu en lien avec les activités politiques des membres de leur famille. Il a fait remarquer que [traduction] « si le document original [était] présumé être rédigé en amharique, toutes les valeurs numériques [étaient] exprimées en chiffres arabes, comme dans la version anglaise ». Il a souligné que la date figurant au haut du document original était « 24/11/2010 » et que la date de l’arrestation indiquée dans le corps du document était « 09/08/2009 », mais que, dans la version traduite, les dates indiquées étaient « 31/07/2018 " et « 17/04/2017 », respectivement. Il a aussi souligné que le montant de la caution payée indiqué dans le document original était « 100 000 », mais que le montant indiqué dans la traduction était « 1 000 000 ». Il a conclu qu’étant donné les divergences relevées, le rapport de police n’avait aucune valeur probante. Par conséquent, il n’a accordé aucun poids au risque de détention, de torture ou de mauvais traitements en raison d’activités politiques.

[12] Dans l’ensemble, bien que l’agent ait accordé un certain poids favorable à l’établissement démontré par les demandeurs, il n’était finalement pas convaincu qu’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire était justifiée.

Les questions en litige et l’analyse

La norme de contrôle applicable

[13] La première question à trancher est celle de la norme de contrôle applicable. Bien que les deux parties conviennent que la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, le défendeur fait une interprétation unique de cette norme.

[14] Le défendeur soutient que lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne devrait modifier des conclusions de fait, ou les inférences de fait ayant mené à ces conclusions, que lorsqu’il y a une erreur manifeste et dominante, citant la décision Aldarwish c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1265 [Aldarwish].

[15] S’appuyant sur le paragraphe 8 de la décision Xiao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 386, le défendeur soutient aussi que la norme de l’erreur manifeste et dominante qui s’applique aux conclusions de fait est « inclus[e] » dans le contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Il fait donc valoir que le fait d’exiger que l’existence d’une erreur manifeste et dominante soit établie pour que les conclusions de fait d’un tribunal puissent être annulées ne va pas à l’encontre de la règle du stare decisis et est conforme au critère décrit par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Je ne suis pas de cet avis.

[16] Selon moi, les observations du défendeur ne sont pas conformes à l’arrêt Vavilov et elles n’auraient pour effet que de compliquer inutilement le contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[17] La juge Pallotta s’est récemment penchée sur l’argument du défendeur dans la décision Gurung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1472 [Gurung]. Dans cette décision, la juge Pallotta a d’abord souligné que la décision Aldarwish avait été rendue avant l’arrêt Vavilov puis, aux paragraphes 8 et 9, elle a rejeté l’argument du défendeur :

[8] Dans la mesure où le défendeur prie la Cour d’adopter une démarche qui entraînerait l’application de normes de contrôle différentes en fonction des aspects de la décision de la SAR, je juge que cette approche n’est pas compatible avec les directives données dans l’arrêt Vavilov. La norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable, sauf exception. L’une des exceptions, qui ne s’applique toutefois pas en l’espèce, est lorsque le législateur prévoit un appel à l’encontre d’une décision administrative et que la cour de révision doit recourir aux normes applicables en appel suivant le cadre établi dans l’arrêt Housen : Vavilov, au para 37. Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, elle demeure une norme unique, et les éléments du contexte entourant une décision n’altèrent pas cette norme ou le degré d’examen que doit appliquer une cour de révision : Vavilov, aux para 88-90.

[9] Dans la mesure où les principes énoncés dans la décision Aldarwish et dans l’arrêt Housen sont inclus dans l’approche établie dans l’arrêt Vavilov pour procéder à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, les principes applicables peuvent alors être tirés de l’arrêt Vavilov en soi.

[Non souligné dans l’original.]

[18] Je suis entièrement d’accord avec la juge Pallotta. Il est clairement établi dans l’arrêt Vavilov qu’il existe deux normes de contrôle applicables aux décisions administratives, soit celle de la décision raisonnable et celle de la décision correcte, et que la norme de la décision raisonnable est une norme unique.

L’analyse du caractère raisonnable

[19] Les demandeurs ont soulevé plusieurs questions concernant le caractère raisonnable de la décision. Selon mon évaluation, ce qui suit suffit à trancher la présente demande.

[20] Comme il a été mentionné précédemment, les demandeurs ont présenté un rapport de police, mais l’agent n’y a accordé aucun poids. Ce document constituait un élément essentiel de l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils étaient exposés à un risque de détention, de torture ou de mauvais traitements en raison des activités politiques du père et du mari de la demanderesse principale. Le rapport de police décrit l’arrestation du frère de celle-ci [traduction] « en raison de sa participation présumée à un crime dont son père est soupçonné ». Le rapport décrit ensuite ce dont le père et le beau-frère sont soupçonnés :

[traduction]

1. Son père est soupçonné d’avoir joué un rôle dans les perturbations survenues au sein de la communauté de la région d’Oromia, et il est recherché à ce sujet.

2. Il est aussi soupçonné d’avoir participé à la soi-disant manifestation des musulmans éthiopiens. Nous confirmons qu’il a été libéré après avoir présenté une garantie et payé une caution d’un montant de 1 000 000 birrs, sous promesse de se présenter de nouveau, sur convocation, pour un nouvel interrogatoire.

3. De plus, il devait être interrogé en lien avec son beau-frère nommé Mohammedsani Alay, un résident du Qatar recherché par le gouvernement en raison de sa participation et de son soutien au mouvement oromo et à un mouvement musulman appelé « Let our voices be heard » [que nos voix soient entendues].

[sic]

[21] Il s’agit manifestement de questions sérieuses qui, si du poids leur est accordé, semblent étayer les allégations de risque formulées par les demandeurs.

[22] L’agent a fait l’analyse suivante de ce document :

[traduction]
Je reconnais que les nuances linguistiques peuvent entraver la capacité d’un traducteur à produire, en anglais, une traduction fidèle d’un document. Je ne tire donc pas nécessairement d’inférence défavorable de la formulation imparfaite de la traduction anglaise du document. Cependant, si le document original est présumé être rédigé en amharique, toutes les valeurs numériques sont exprimées en chiffres arabes, comme dans la version anglaise. Je souligne que la date figurant dans le coin supérieur droit de chaque document diffère; la date figurant dans le document original est « 24/11/2010 » et celle figurant dans la traduction anglaise est « 31/07/2018 ». De plus, la date de l’arrestation indiquée dans la première ligne du corps du texte de la traduction anglaise est « 17/04/2017 », tandis que la date indiquée à l’emplacement correspondant dans le document original est « 09/08/2009 ». Enfin, [s’il] est indiqué dans le document traduit que M. Mohamed a payé « une caution d’un montant de 1 000 000 birrs [sic] (éthiopiens) », la valeur numérique correspondante indiquée dans le document original est « 100 000 ». Compte tenu de ces divergences importantes, qui ne peuvent raisonnablement pas s’expliquer par une erreur de traduction, j’estime que ce document ne suffit pas à établir que le mari de la cliente a subi des mauvais traitements aux mains de représentants éthiopiens ni que les membres de la famille de celle-ci ont subi des mauvais traitements sur le fondement de leur relation avec son père et son mari.

La cliente n’a pas présenté d’éléments de preuve convaincants qui me permettent de conclure que son père et son mari sont réputés s’être opposés au parti au pouvoir en Éthiopie ni qu’elle ou ses enfants seraient exposés à des mauvais traitements de la part de responsables éthiopiens pour cette raison. La preuve concernant la détention et l’interrogatoire du frère de la cliente sur le fondement de la participation de celui-ci, et de celle de son père, à des manifestations et des perturbations n’a aucune valeur probante étant donné que [les] dates figurant dans le document original diffèrent de celles figurant dans la traduction anglaise. Je n’ai donc aucune raison de conclure que la cliente ou ses enfants sont exposés à un risque de détention, de torture ou de mauvais traitements en Éthiopie en raison des activités de son père et de son mari, et je n’accorde aucun poids à ce facteur.

[Non souligné dans l’original.]

[23] Il est fait remarquer que l’agent n’a accordé aucun poids au document en question principalement en raison des divergences apparentes entre les dates figurant dans le document original et celles figurant dans la traduction. Il semble que la raison pour laquelle il s’attendait à ce qu’elles soient identiques était qu’elles étaient toutes indiquées [traduction] « en chiffres arabes ». En contestant la traduction comme il le fait, il écarte la déclaration solennelle du traducteur qui dit ce qui suit : [traduction] « J’ai traduit avec exactitude et fidélité la Lettre de la police d’Addis-Abeba concernant le dossier d’Adem Mohamed. » [Souligné et en caractères gras dans l’original.]

[24] Selon les demandeurs, les divergences entre le document original et la traduction tiennent au fait que le document original est fondé sur le calendrier éthiopien, alors que le traducteur a traduit les dates en fonction du calendrier grégorien utilisé au Canada. Dans le cadre de la présente demande, ils ont déposé un affidavit dans lequel le traducteur explique la situation.

[25] Les demandeurs soutiennent que le calendrier éthiopien et le calendrier grégorien utilisé au Canada diffèrent de façon importante. Il est souligné que le point 1.9 du cartable national de documentation [le CND] sur l’Éthiopie, intitulé Information sur les ressources visant à convertir les dates du calendrier éthiopien à celles du calendrier grégorien; la formule ou la méthode utilisée pour permettre de convertir les dates entre les deux calendriers, fournit les renseignements suivants concernant le calendrier éthiopien. Le calendrier éthiopien est en retard de sept ou huit ans par rapport au calendrier grégorien. Le Premier de l’an correspond au 11 septembre. Le calendrier comprend treize mois, qui ne sont pas de la même longueur que ceux du calendrier grégorien. Le CND renvoie les lecteurs aux formules de conversion employées par l’ambassade d’Éthiopie.

[26] Si l’agent avait demandé pour quelle raison les dates différaient, c’est la réponse qu’il aurait reçue. J’accepte l’observation du défendeur selon laquelle il aurait été utile que les demandeurs fournissent cette explication dans leur demande. Cependant, je reconnais qu’ils n’avaient aucune raison de s’attendre à ce que l’agent rejette la déclaration d’exactitude du traducteur, et certainement pas sans d’abord demander pour quelle raison les dates différaient.

[27] Le défendeur soutient que l’explication des demandeurs concernant les divergences entre les dates est [traduction] « hautement problématique » pour cinq raisons.

[28] Premièrement, il affirme que rien n’indique que le rapport de police est fondé sur le calendrier éthiopien et que l’idée selon laquelle il le serait repose sur des éléments [traduction] « ténus ».

[29] À mon avis, cette observation est complètement sans fondement. Pourquoi le rapport de police ne serait-il pas fondé sur le calendrier du pays où se trouve le service de police? Comme on peut supposer qu’une lettre de la police canadienne s’appuie sur le calendrier grégorien, on peut supposer qu’une lettre de la police éthiopienne s’appuie sur le calendrier éthiopien.

[30] Deuxièmement, le défendeur souligne qu’aucune preuve n’a été produite par le traducteur pour établir qu’il a tenté de modifier les dates en fonction du calendrier grégorien.

[31] Cette observation a été réfutée par le dépôt d’un affidavit dans lequel le traducteur a expliqué que c’était exactement ce qu’il avait fait.

[32] Troisièmement, le défendeur soutient que le fait que l’Éthiopie emploie un calendrier différent n’est pas évident et qu’on ne pouvait s’attendre à ce que l’agent [traduction] « connaisse le contenu à jour de tous les CND »; les agents ne sont pas des experts reconnus des divers pays contrairement aux commissaires de la SPR. Le défendeur souligne que rien dans la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne donnait à penser que les dates étaient celles du calendrier éthiopien.

[33] Les dates figurant dans les documents n’étaient pas pertinentes jusqu’à ce que l’agent choisisse de remettre en question l’exactitude de la traduction. Si l’agent avait posé les questions nécessaires avant de rejeter l’exactitude de la traduction, il aurait appris que l’Éthiopie emploie un calendrier différent de celui employé au Canada.

[34] Quatrièmement, le défendeur fait valoir que les agents chargés d’examiner les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire n’ont pas l’obligation de consulter des sources ouvertes, et qu’il incombe aux demandeurs d’expliquer les incohérences. Il fait remarquer que les demandeurs n’utilisent pas réellement le document du CND pour convertir les dates et que, si on l’utilise, les dates ne correspondent toujours pas à celles figurant dans la traduction. Il convertit ainsi les dates : 24/11/2010 devient 24/11/2017 et 09/08/2009 devient 09/08/2017. Par conséquent, selon lui, la conversion à partir du calendrier éthiopien n’explique pas l’écart.

[35] Premièrement, pourquoi le conseil des demandeurs aurait-il pensé que cette question méritait d’être soulevée? Comme il a déjà été mentionné, il ne s’agissait pas d’un enjeu jusqu’à ce que l’agent compare les dates en présumant qu’elles auraient dû être les mêmes.

[36] Deuxièmement, dans ses observations, le défendeur a converti les dates incorrectement. Il a simplement ajouté sept ou huit années, selon que la date était antérieure ou postérieure à septembre. Ce faisant, il n’a pas tenu compte du fait que le premier mois de l’année est septembre et que le 11 septembre correspond au Premier de l’an dans le calendrier éthiopien (p. ex., 11/09/2017 dans le calendrier grégorien correspond à 01/01/2010 dans le calendrier éthiopien).

[37] Le traducteur a correctement converti les dates entre les deux calendriers. L’affidavit du traducteur le confirme. Il montre que les dates ont été converties à l’aide d’un outil en ligne.

[38] Cinquièmement, le défendeur souligne que le document du CND concernant la conversion des dates n’avait pas été présenté à l’agent. Il soutient que même si de nouveaux éléments de preuve sont parfois admis dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour étayer des arguments relatifs à l’équité, ce nouvel élément ne devrait pas être présenté en l’espèce puisqu’il sert à expliquer des divergences après coup.

[39] L’agent n’a pas donné aux demandeurs l’occasion de répondre à une réserve concernant l’exactitude de la traduction. La preuve est présentée à juste titre pour établir que, si les demandeurs avaient eu la possibilité de répondre, ils auraient pu expliquer les divergences à l’agent.

[40] Le défendeur souligne que les demandeurs ne tentent pas d’expliquer la divergence entre le montant de la caution figurant dans le document original et celui figurant dans le document traduit.

[41] Dans le document original, le montant indiqué est « 100 000 », alors que dans le document traduit, le montant indiqué est « 1 000 000 ». Étant donné qu’il n’y a pas de virgule entre « 1 » et « 0 », mais qu’il y en a une plus loin dans le montant, il semble probable que le traducteur ait fait une faute de frappe et qu’il ait simplement ajouté un zéro supplémentaire. Il serait déraisonnable de remettre en question l’exactitude de l’ensemble de la traduction sur le fondement de cette seule divergence.

[42] Du seul fait qu’il n’a attribué aucune valeur probante au rapport de police, l’agent a estimé qu’il n’avait [traduction] « aucune raison de conclure que la cliente ou ses enfants sont exposés à un risque de détention, de torture ou de mauvais traitements en Éthiopie en raison des activités de son père et de son mari » et il n’a accordé à ce facteur [traduction] « aucun poids ». Si l’agent avait admis la traduction, il aurait pu avoir une raison d’accorder du poids à ce facteur qui, combiné au poids favorable accordé à l’établissement des demandeurs, aurait pu influer sur l’issue de leur demande.

[43] Le fait que l’agent ait procédé à sa propre analyse de la traduction certifiée conforme, sans poser de questions au sujet des divergences apparentes entre les dates, rend la décision déraisonnable.

Conclusion

[44] La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire sera annulée et la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Aucune question à certifier n’a été proposée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-527-21

LA COUR STATUE que l’intitulé de la cause est modifié, avec effet immédiat, pour désigner la demanderesse comme étant AMINA ADAM MOHAMED puisque son nom avait été mal orthographié dans l’avis de demande, que la demande est accueillie, que la décision est annulée, que la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs doit être tranchée par un autre agent et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-527-21

 

INTITULÉ :

MOHAMED ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Daniel Tilahun Kebede

POUR LES DEMANDEURS

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Office of DTK

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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