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Date : 20220506


Dossier : IMM-3724-20

Référence : 2022 CF 659

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

HUSEYIN AYDEMIR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a annulé la décision accordant le statut de réfugié au demandeur.

Le contexte

[2] Le demandeur, Huseyin Aydemir, 32 ans, est un Kurde originaire de Turquie. Il est arrivé au Canada en 2015 et a présenté une demande d’asile, qui a été accueillie le 4 février 2016.

[3] Lorsqu’il avait 12 ou 13 ans, le demandeur a été blessé dans un accident sur une ferme. Cet accident lui a causé un grave traumatisme cérébral, et, selon des rapports neuropsychologiques, il souffre de troubles de mémoire et de difficultés de compréhension de l’expression orale.

[4] Le 10 août 2016, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] a déposé une demande d’annulation de la décision par laquelle le demandeur s’est vu accorder le statut de réfugié au motif qu’il avait été déclaré coupable d’« atteinte délictueuse à l’intégrité causant des blessures » en Turquie le 19 février 2013 et qu’il n’avait pas déclaré cette information dans sa demande d’asile initiale.

[5] Le demandeur a admis avoir été déclaré coupable de cette infraction et avoir fait une fausse déclaration dans sa demande d’asile.

[6] Selon le demandeur, le 9 mai 2009, il était chez lui avec un ami lorsque sont arrivés un homme nommé Suat Altun et sept autres personnes, tous armés de couteaux et de matraques. Le demandeur et son ami n’étaient pas armés. Une altercation s’est ensuivie, puis le demandeur a désarmé Altun, lui a fait une clé de poignet et l’a poignardé à la poitrine avec son propre couteau.

[7] Le demandeur a soutenu tout au long de la procédure criminelle turque qu’il avait agi en légitime défense. Les témoins au procès étaient le demandeur, son ami, une autre personne qui avait assisté à l’altercation et Altun. Tous les témoignages, exception faite de celui d’Altun, étayaient largement la version des faits du demandeur.

[8] Le demandeur a finalement été déclaré coupable et condamné à 25 mois d’emprisonnement. Le tribunal turc a considéré le fait que le demandeur avait utilisé une arme comme un facteur aggravant, et son passé, ses [traduction] « relations sociales », son comportement après les faits et pendant l’instance, et la provocation de la part d’Altun comme des facteurs atténuants.

[9] Le demandeur a interjeté appel de la décision, mais il a fui la Turquie avant la conclusion de l’appel.

La décision de la SPR

[10] La SPR a examiné le témoignage du demandeur et la preuve concernant ses capacités cognitives, puis a conclu qu’il était généralement crédible.

[11] La SPR a souligné qu’il incombait au ministre d’établir 1) la présentation erronée sur un fait important ou la réticence sur ce fait; 2) l’existence d’un lien entre ce fait et un objet pertinent; et 3) l’existence d’un lien de causalité entre la présentation erronée ou la réticence et la décision d’accueillir la demande d’asile.

[12] La SPR a conclu que les deux premiers éléments étaient établis, car le demandeur avait admis avoir fait une fausse déclaration concernant un fait important, à savoir sa déclaration de culpabilité, lié à un objet pertinent, c’est-à-dire ses antécédents criminels.

[13] Pour que le lien de causalité soit établi, la SPR devait conclure que le demandeur était exclu de la protection accordée aux réfugiés au motif qu’il avait commis un crime grave de droit commun, suivant l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [la Convention], qui est reproduit en annexe de la loi. Nul n’a contesté qu’il s’agissait d’un crime de droit commun. La SPR a donc examiné la question de savoir s’il s’agissait d’un crime grave.

[14] La SPR a examiné les circonstances de l’infraction et les dispositions criminelles de la loi turque. Elle a conclu que, si l’infraction avait été commise au Canada, le demandeur aurait été accusé de voies de fait graves, infraction visée à l’article 268 du Code criminel, LRC 1985, c C-46. Parce que cette infraction est passible d’une peine maximale de 14 ans d’emprisonnement, la SPR a souligné qu’elle est présumée grave. Elle a cependant examiné les circonstances de l’infraction pour décider si cette présomption était réfutée. Ce faisant, la SPR a suivi les directives de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jayasekara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 404 [Jayasekara], et de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 [Febles].

[15] La SPR a souligné que le demandeur avait « reconnu sa culpabilité relativement à l’incident ». Elle a examiné son témoignage selon lequel il s’était senti menacé par la victime et ses compagnons, qui étaient armés, et avait agi en légitime défense. Elle a souligné qu’à l’audience, l’avocat du ministre a demandé au demandeur « pourquoi il était encore en danger s’il était en possession du couteau et que la victime était maîtrisée à l’aide d’une clé de bras et pourquoi il n’était pas tout simplement parti ». En réponse, le demandeur « a fait allusion au fait que les autres personnes (les amis de la victime) avaient des armes », mais il « a reconnu que ces personnes ne l’avaient pas menacé ». La SPR a conclu que le demandeur « n’était pas exposé à un danger imminent lorsqu’il a[vait] commis l’infraction qui aurait pu causer la mort de la victime ».

[16] La SPR a examiné la peine de 25 mois d’emprisonnement, réduite de trois mois compte tenu de la période de détention provisoire, que le tribunal turc avait prononcée. Elle a conclu que « l’infraction était suffisamment grave en Turquie pour justifier une peine d’emprisonnement ».

[17] La SPR a souligné qu’aucune preuve n’avait été présentée concernant le mode de poursuite en Turquie. Elle a conclu que, si l’infraction avait été commise au Canada, elle aurait constitué un acte criminel et que, par conséquent, le mode de poursuite qui aurait probablement été choisi au Canada étayait la conclusion selon laquelle le crime était grave.

[18] La SPR a ensuite examiné les facteurs atténuants. Elle a conclu que l’âge du demandeur au moment de l’infraction (19 ans) était un facteur atténuant. Elle n’a pas accepté l’argument du demandeur selon lequel son traumatisme cérébral était également un facteur atténuant, car elle a conclu que la preuve ne suffisait pas à établir un lien entre le traumatisme et la commission de l’infraction.

[19] La SPR a considéré la légitime défense comme un facteur atténuant. Elle a souligné que le demandeur, d’après son témoignage, maîtrisait la victime et aurait pu choisir de ne pas utiliser le couteau. La SPR a conclu « qu’il a[vait] intentionnellement poignardé la victime sans provocation et certainement pas en légitime défense ». Elle a rejeté l’argument du demandeur selon lequel le fait que les personnes qui accompagnaient la victime étaient armées équivalait à une provocation, car cela « ne change pas le fait qu’il n’était pas menacé au moment où il a commis l’infraction ».

[20] La SPR a examiné les observations du demandeur à propos de l’iniquité dans le système de justice criminelle turc, en particulier envers les Kurdes. Elle a conclu que, sur ce point, la preuve n’était pas pertinente parce que le demandeur avait admis avoir poignardé Altun, et elle a souligné qu’elle s’appuyait sur le témoignage du demandeur, et non pas sur les documents judiciaires turcs, pour établir les faits entourant la perpétration de l’infraction.

[21] Dans l’ensemble, la SPR a conclu qu’il s’agissait d’une infraction grave. Par conséquent, il existait un lien de causalité entre la présentation erronée d’un fait et la décision d’accueillir la demande d’asile. La SPR a donc annulé la décision accordant le statut de réfugié au demandeur.

Question en litige et analyse

[22] La seule question en litige que soulève la présente demande est celle de savoir si l’analyse de la SPR, qui a mené à l’annulation de la décision accordant le statut de réfugié au demandeur, est raisonnable.

[23] Le demandeur a avancé plusieurs motifs pour lesquels la Cour devrait conclure que l’analyse est déraisonnable.

Les observations à propos de la légitime défense et de la provocation

[24] Le demandeur soutient que la SPR a tiré plusieurs conclusions déraisonnables concernant son argument selon lequel il avait agi en légitime défense.

[25] Premièrement, le demandeur soutient que la SPR a conclu à tort qu’il avait reconnu sa culpabilité. Il fait valoir qu’il a reconnu avoir poignardé Altun et avoir été reconnu coupable, mais qu’il a toujours affirmé avoir agi en légitime défense.

[26] Deuxièmement, le demandeur conteste la conclusion de la SPR selon laquelle il a témoigné que les sept personnes armées qui accompagnaient Altun ne l’avaient pas menacé. Il pense que la SPR a tiré cette conclusion parce qu’il avait répondu [traduction] « Non » à la question : [traduction] « Est-ce que l’une ou l’autre des personnes accompagnant Altun vous a menacé avec un couteau? » Il souligne que la suite de son témoignage indique que, de fait, ces personnes l’ont menacé et attaqué, et il cite plusieurs passages de la transcription qui le démontrent. Par ailleurs, il fait valoir qu’il est une personne vulnérable et que le rapport d’évaluation neuropsychologique a révélé qu’il avait une faible compréhension de l’expression orale et une faible capacité à retenir et à utiliser l’information communiquée oralement. Il soutient que, compte tenu de l’ensemble de son témoignage et de ses capacités cognitives, il était déraisonnable de conclure qu’il n’avait pas été menacé.

[27] Troisièmement, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable que la SPR ne s’appuie pas sur les documents judiciaires turcs pour établir les circonstances de l’infraction. Il fait valoir que, même s’il a finalement été déclaré coupable, les déclarations des témoins étayaient son témoignage selon lequel il avait agi en légitime défense, et le tribunal turc avait conclu qu’il avait été provoqué.

[28] Enfin, le demandeur affirme que rien dans la preuve dont disposait la SPR n’étayait la conclusion selon laquelle il avait poignardé Altun sans provocation. Son témoignage indiquait qu’il avait été provoqué, et le tribunal turc a conclu qu’il avait été provoqué et a réduit sa peine pour cette raison. Le demandeur soutient donc que la SPR a commis une erreur en ne considérant pas la provocation comme un facteur atténuant.

[29] Le défendeur fait valoir que la SPR a examiné la position du demandeur selon laquelle il avait agi en légitime défense, et qu’elle a raisonnablement conclu que les faits n’étayaient pas une telle position. Il affirme que le principal motif de cette conclusion est que le demandeur ne faisait pas face à un danger imminent, car, comme il l’a lui-même admis, Altun était désarmé et maîtrisé au moment où il l’a poignardé. Le défendeur n’a présenté aucune observation à propos de la provocation.

La conclusion concernant la légitime défense et la provocation

[30] La SPR a effectué une analyse raisonnable de la légitime défense. Concernant l’infraction, elle s’est appuyée sur le témoignage du demandeur, auquel elle a ajouté foi. Sur ce point, il s’agit de la preuve la plus favorable dont elle disposait. Si elle s’était appuyée sur la preuve présentée dans le cadre de l’instance turque, le résultat aurait été le même.

[31] La SPR, bien qu’ajoutant foi au témoignage du demandeur, n’était pas convaincue qu’il était exposé à un danger physique lorsqu’il avait poignardé Altun. Elle a conclu que la victime, désarmée et maîtrisée, ne représentait pas une menace imminente. Elle a accepté la version du demandeur, mais, compte tenu des faits, ne convenait pas qu’il avait agi en légitime défense. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que cette conclusion de la SPR est raisonnable.

[32] Le demandeur conteste l’affirmation de la SPR selon laquelle il « a[vait] reconnu sa culpabilité ». Je suis d’accord pour dire que cette conclusion est incorrecte. Le demandeur a reconnu avoir poignardé Altun et avoir été déclaré coupable, mais il a maintenu avoir agi en légitime défense. Il ne s’agit pas d’un aveu de culpabilité. Toutefois, les décideurs ne sont pas astreints à une norme de perfection. Il est manifeste que la SPR n’a pas tenu pour acquis que le demandeur était coupable. En ce qui concerne la légitime défense, la SPR a dûment examiné le témoignage du demandeur visant à établir qu’il n’était pas coupable. Il semble donc que la SPR voulait dire que le demandeur avait reconnu avoir poignardé Altun. Comme l’analyse de la SPR est exhaustive, il ne s’agit pas, à mon avis, d’une erreur susceptible de contrôle.

[33] En revanche, je conviens avec le demandeur que la SPR n’a pas correctement examiné la provocation en tant que facteur atténuant. Dans son analyse sur ce point, elle semble confondre la légitime défense et la provocation, qui sont des concepts juridiques distincts. En ce qui concerne la provocation en tant que facteur atténuant distinct, ses conclusions vont à l’encontre de la preuve.

[34] La SPR a conclu que le demandeur « a[vait] intentionnellement poignardé la victime sans provocation et certainement pas en légitime défense ». Sur ce point, l’analyse de la SPR porte exclusivement sur la question de savoir si le demandeur était exposé à un danger imminent au moment où il a commis l’infraction.

[35] La provocation est un moyen de défense partiel prévu par la loi qui peut être invoqué dans les affaires d’homicide (voir Code criminel, art 232) et qui constitue un facteur atténuant à prendre en compte dans la détermination de la peine (voir R c Stone, [1999] 2 RCS 290). Bien que la provocation, en tant que facteur atténuant, ait une portée plus large que la légitime défense, la définition prévue par la loi du terme provocation est instructive. Au paragraphe 232(2) du Code criminel, la provocation est définie ainsi :

Une conduite de la victime, qui constituerait un acte criminel prévu à la présente loi passible d’un emprisonnement de cinq ans ou plus, de telle nature qu’elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser est une provocation pour l’application du présent article si l’accusé a agi sous l’impulsion du moment et avant d’avoir eu le temps de reprendre son sang-froid.

[36] Au contraire de la légitime défense, la provocation n’a pas pour élément constitutif essentiel l’existence d’un danger imminent.

[37] En l’espèce, l’infraction s’est produite lors d’une altercation dont la victime était l’instigateur. Selon le témoignage du demandeur, elle a été commise dans le feu de l’action. Qui plus est, le tribunal turc a conclu que le demandeur avait été provoqué et a réduit sa peine pour cette raison.

[38] La conclusion de la SPR selon laquelle l’attaque n’a pas été provoquée va complètement à l’encontre de cette preuve. Il était déraisonnable que la SPR conclue, sans justification, que les gestes du demandeur n’avaient pas été provoqués. Il ne suffisait pas de conclure à l’inexistence d’un danger imminent.

Les observations à propos des capacités cognitives en tant que facteur atténuant

[39] Le demandeur soutient que la SPR n’a pas adéquatement examiné les effets durables de son traumatisme cérébral en tant que facteur atténuant. Selon le rapport neuropsychologique, le demandeur présente une conscience réduite, a de faibles fonctions intellectuelles non verbales et a fait preuve d’impulsivité dans ses réponses.

[40] Le défendeur soutient qu’il était raisonnable que la SPR conclue qu’il n’existait aucun lien entre le traumatisme cérébral du demandeur et l’infraction. Il fait valoir que la preuve d’expert concernant l’état psychologique du demandeur ne fait aucunement mention de l’infraction et n’indique pas que l’état psychologique du demandeur pourrait expliquer ou justifier ses gestes.

La conclusion concernant les fonctions cognitives en tant que facteur atténuant

[41] Je conviens avec le défendeur que la SPR a raisonnablement examiné les fonctions cognitives du demandeur en tant que facteur atténuant. Elle en a tenu compte, mais elle a conclu que la preuve ne suffisait pas à établir un lien entre le traumatisme cérébral du demandeur et la perpétration de l’infraction. Le demandeur n’a renvoyé à aucun élément du dossier qui démontrerait le contraire, et, par conséquent, la conclusion de la SPR est raisonnable.

Les observations à propos de la peine prononcée en Turquie

[42] La SPR a conclu que la peine réellement infligée, à savoir 25 mois d’emprisonnement, étayait la conclusion selon laquelle le crime du demandeur était grave. Le demandeur souligne que le ministre, dans ses observations présentées devant la SPR, a reconnu que la peine infligée était relativement courte, ce qui peut réfuter la présomption de gravité. Il fait valoir que la SPR n’a aucunement expliqué en quoi cette peine légère étayait la conclusion selon laquelle le crime était grave.

[43] À des fins de comparaison, le défendeur mentionne l’échelle des peines pour voies de fait graves en Ontario, telle qu’elle est exposée aux paragraphes 27 à 30 de la décision R v Tourville, 2011 ONSC 1677. Les peines non privatives de liberté sont au bas de l’échelle, et les peines de 18 à 24 mois d’emprisonnement au milieu. Ces dernières sont généralement infligées pour une première infraction ou s’il s’agit d’un conflit au cours duquel une force excessive a été employée. Les peines de quatre à six ans d’emprisonnement sont au haut de l’échelle; celles-ci sont généralement infligées aux récidivistes ou s’il s’agit d’une agression sans provocation ou préméditée. Le défendeur soutient que l’infraction du demandeur se situe au milieu de l’échelle, et qu’une peine globale de 25 mois d’emprisonnement ne contraste donc pas avec celle à laquelle il aurait probablement été condamné en Ontario. Il soutient qu’il était par conséquent raisonnable que la SPR conclue que cette peine étayait la conclusion selon laquelle l’infraction était grave.

La conclusion concernant la peine infligée en Turquie

[44] Le demandeur et le défendeur ont tous deux souligné que la peine infligée était courte compte tenu des circonstances de l’infraction. Toutefois, la SPR a conclu que la peine étayait la conclusion que le crime était grave. Le seul motif qu’elle a fourni est que « l’infraction était suffisamment grave en Turquie pour justifier une peine d’emprisonnement ».

[45] La justification de la SPR sur ce point est insuffisante. La SPR n’a pas tenu compte du fait que les normes en matière de détermination de la peine varient d’un pays à l’autre. Dans les pays où les condamnations à une peine d’emprisonnement sont plus courantes qu’au Canada, une telle condamnation ne serait pas nécessairement révélatrice de la gravité de l’infraction. Il est plus pertinent d’examiner la peine infligée à la lumière de l’échelle des peines du pays où l’infraction a été commise. La peine infligée au demandeur était non seulement légère, mais, de l’aveu même du ministre, nettement plus légère que ce que prévoyait la loi turque, ce qui donne à penser que le crime n’était pas jugé particulièrement grave.

[46] Qui plus est, le fait qu’une infraction justifie l’emprisonnement dans un autre pays que le Canada ne suffit pas à établir qu’elle est grave. Si tel était le cas, toute infraction pour laquelle une peine d’emprisonnement a été infligée serait considérée comme grave. Or, seules les infractions passibles au Canada d’une peine maximale d’au moins 10 ans d’emprisonnement sont considérées comme graves. Si une infraction est passible d’une peine maximale inférieure, elle n’est pas considérée comme grave, que le tribunal étranger ait prononcé une peine d’emprisonnement ou non. Par exemple, si le demandeur avait commis une infraction passible au Canada d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement et qu’il avait été condamné à une peine de 25 mois d’emprisonnement, l’infraction ne serait pas considérée comme grave, bien qu’une peine privative de liberté ait été prononcée.

Conclusion

[47] Le demandeur a présenté des observations à propos de l’équité ou de l’iniquité du système de justice turc et, dans celles-ci, a allégué que la SPR n’en avait pas tenu compte en tant que facteur atténuant. Je choisis de ne pas formuler d’observations sur ces deux points, car les erreurs relevées précédemment suffisent à étayer la conclusion selon laquelle la décision à l’examen est déraisonnable.

[48] Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de la certification. Le présent dossier n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3724-20

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie, que la décision par laquelle la SPR a annulé la décision accordant le statut de réfugié au demandeur est infirmée, que l’affaire est renvoyée à un autre décideur de la SPR pour qu’une nouvelle décision soit rendue, et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3724-20

 

INTITULÉ :

AYDEMIR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Rebeka Lauks

 

POUR LE DEMANDEUR

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Battista Smith Migration Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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