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Date : 20220506


Dossier : IMM-748-21

Référence : 2022 CF 672

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2022

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

EUCILENE DE FREITAS ALVES

JOSE CARLOS MACEDO FARIA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Eucilene de Freitas Alves et Jose Carlos Macedo Faria sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle leur demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, a été rejetée. Ils affirment que l’agent principal d’immigration qui s’est penché sur leur demande n’a pas raisonnablement tenu compte de l’intérêt supérieur de leur fils, un jeune enfant présentant un trouble du spectre autistique (TSA), et de la façon dont cet intérêt serait touché s’ils étaient renvoyés au Brésil. Ils soutiennent aussi que l’agent a, de façon injuste, pris en compte de nouveaux documents sans leur donner l’occasion de répondre ou de présenter des commentaires.

[2] Après avoir examiné la décision de l’agent à la lumière des observations et éléments de preuve dont il était saisi, je conclus que son évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant était raisonnable et que le processus ayant mené à la décision était équitable. Dans leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, les demandeurs n’ont présenté aucune preuve ou observation quant au fait que la condition de leur fils affecterait sa capacité à déménager avec ses parents ou à la manière dont leur renvoi le toucherait personnellement. Dans ces circonstances, l’agent n’était pas tenu de présumer que le renvoi de la famille du Canada serait particulièrement difficile ou pénible pour le fils en raison de sa condition. De plus, l’évaluation, par l’agent, de la preuve relative à l’accessibilité des traitements et services de soutien pour les enfants présentant un TSA au Brésil était raisonnable. Même si l’agent a bien fait référence à de nouveaux renseignements à ce sujet, qu’il a obtenus sur le site Web du gouvernement brésilien, l’obligation d’équité n’exigeait pas qu’il les communique aux demandeurs compte tenu de la source et de la nature des renseignements.

[3] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. La question en litige et la norme de contrôle applicable

[4] Les demandeurs soulèvent deux questions principales dans la présente demande :

  1. La décision de l’agent était-elle déraisonnable compte tenu de son évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant?

  2. La décision de l’agent était-elle injuste parce qu’elle renvoyait à des éléments de preuve obtenus par l’agent et auxquels les demandeurs n’ont pas eu l’occasion de répondre?

[5] La première de ces questions concerne le fond de la décision de l’agent. Il n’est pas contesté que le fond des décisions relatives aux demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 23-25; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 44. La deuxième question est une question d’équité procédurale. Lorsqu’elle examine de telles questions, la Cour se demande si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54.

III. Analyse

A. Le traitement réservé par l’agent à l’intérêt supérieur de l’enfant était raisonnable

[6] Mme Alves est citoyenne du Brésil. M. Faria a la citoyenneté vénézuélienne et la citoyenneté portugaise. Le fils du couple, qui avait trois ans lorsque la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été examinée, est citoyen canadien. Il a reçu un diagnostic de trouble du spectre autistique, qui comprend un trouble du langage, une communication sociale de degré 2-3 et des comportements restreints ou répétitifs. À l’âge de 18 mois, lorsqu’il a été évalué, il présentait d’importants retards de langage et des difficultés de communication, ainsi que des capacités réceptives et expressives du langage limitées.

[7] M. Faria a également une fille issue d’une relation antérieure, qui vit au Brésil avec sa mère.

[8] Mme Alves et M. Faria font valoir que l’agent qui a examiné leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’était pas « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de leur fils, comme le requiert une décision raisonnable relative à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire raisonnable : Kanthasamy, au para 38, citant Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 74-75. En particulier, ils font valoir que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a 1) affirmé que leur fils était capable de s’adapter; 2) mal évalué les éléments de preuve relatifs à l’accessibilité de services de soutien au Brésil; 3) omis d’expliquer les souffrances dont leur fils serait affligé en cas de décision défavorable. Aucun de ces trois arguments ne me permet de conclure que la décision de l’agent était déraisonnable.

(1) L’agent n’a pas déraisonnablement affirmé que le fils serait en mesure de s’adapter.

[9] L’agent qui a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a examiné l’intérêt supérieur du fils du couple et de la fille de M. Faria. Dans son évaluation de l’intérêt supérieur du fils, l’agent a fait référence au diagnostic de ce dernier ainsi qu’à la préoccupation de Mme Alves selon laquelle il ne recevrait pas les soins dont il a besoin au Brésil ou au Portugal. Comme nous le verrons plus loin, il a examiné les documents présentés par les demandeurs relativement à la situation au pays en ce qui concerne les personnes présentant un TSA. Il a ensuite fait les déclarations suivantes :

[traduction]
Compte tenu du jeune âge du fils, je conclus qu’il s’adapterait à la situation ayant cours dans un nouveau pays plus facilement que les enfants plus âgés ayant davantage de liens avec leur communauté et leur environnement. Je souligne en outre que, dans les évaluations médicales effectuées pour poser le diagnostic du fils, il est inscrit que les demandeurs parlent portugais à la maison et que leur fils a une meilleure compréhension du portugais que de l’anglais. Je conclus que ce facteur faciliterait l’établissement des demandeurs au Portugal ou au Brésil. Même si je comprends que le fils pourrait passer par une période d’ajustement s’il devait quitter le Canada, je conclus que son intérêt supérieur requiert surtout qu’il continue de bénéficier des soins apportés par ses parents. Je conclus que son intérêt supérieur ne serait pas gravement compromis si la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire était rejetée.

[Non souligné dans l’original.]

[10] Les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure que leur fils est [traduction] « capable de s’adapter » compte tenu des renseignements médicaux sur sa condition, y compris ses déficiences intellectuelles, linguistiques et sociales. Ils citent aussi la décision Bautista, rendue par la Cour, pour faire valoir que « quiconque se pose au départ la question de savoir [si l’enfant va] pouvoir s’adapter aboutira presque inévitablement à une conclusion affirmative », ce qui vide de son sens l’analyse des considérations d’ordre humanitaire : Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1008 au para 28.

[11] À mon avis, cet argument surinterprète la référence de l’agent à la capacité d’adaptation dans le passage cité. Ce n’est pas ce que l’on peut raisonnablement comprendre de la décision. D’après ma lecture du passage dans son ensemble, l’agent a évalué les répercussions qu’aurait le départ de la famille du Canada sur l’intérêt supérieur du fils. Ce faisant, il a tenu compte de l’âge de l’enfant et des répercussions de ce facteur sur le départ de la famille. Je ne pense pas que l’agent a tiré une conclusion quant à la capacité d’adaptation du fils en particulier, ou qu’il a jugé que celui-ci aurait plus ou moins de difficulté à s’adapter qu’un enfant n’ayant pas sa condition. Au contraire, il a simplement affirmé qu’à l’âge de trois ans, l’enfant s’adapterait plus facilement à la situation dans un nouveau pays que s’il était plus âgé.

[12] Je conviens que, dans le cadre de son analyse de l’intérêt supérieur, l’agent ne peut indûment se fonder sur la capacité d’adaptation ou la résilience d’un enfant ni écarter toute difficulté éventuelle au motif qu’il peut les surmonter, notamment à la lumière de la preuve relative aux conséquences d’un renvoi : Bautista, aux para 28-30. Toutefois, il n’est pas pour autant déraisonnable de la part d’un agent de tenir compte de l’âge de l’enfant dans son évaluation des répercussions, sur l’intérêt supérieur de cet enfant, d’une décision défavorable relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Au contraire, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant « doit [...] tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité » : Kanthasamy, au para 35.

[13] Les demandeurs soutiennent aussi que l’agent n’a pas tenu compte du fait que leur fils a un TSA lorsqu’il a examiné les conséquences que leur déménagement et leur établissement dans un nouveau pays auraient sur lui. Ils font valoir que leur fils serait particulièrement touché par ces changements, ce dont l’agent a déraisonnablement fait abstraction. Toutefois, cet argument ainsi que les motifs de l’agent doivent être interprétés à la lumière de la preuve déposée et des observations présentées sur cette question dans la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire : Vavilov, aux para 125-128. Rien dans la preuve médicale ne donne à penser que le fils aurait des difficultés accrues à déménager ou à changer d’environnement en raison de sa condition. De même, dans leurs observations relatives aux considérations d’ordre humanitaire, les parents n’ont pas avancé cet argument et ont plutôt mis l’accent sur l’accessibilité des traitements et mesures de soutien au Brésil.

[14] Je comprends les observations de l’avocat en ce qui concerne les caractéristiques du trouble du spectre autistique. Cependant, je ne puis convenir que la nature de la condition telle qu’elle se manifeste chez un enfant d’un âge donné peut simplement être à la base d’une [traduction] « inférence fondée sur le bon sens », comme le laisse entendre l’avocat, ou que l’on peut simplement présumer ou « [déduire] des faits » que les répercussions d’un renvoi sur cet enfant seraient accrues en raison de sa condition : Sultana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 533 au para 36. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’agent n’est pas chargé de tirer ces inférences ou déductions. Autrement dit, en l’absence d’éléments de preuve ou d’arguments selon lesquels le déménagement serait particulièrement difficile pour le fils en raison de sa condition, je ne puis reprocher à l’agent de ne pas avoir formulé d’hypothèse à cet effet en se fondant simplement sur le diagnostic de l’enfant.

[15] De même, je ne puis accepter l’argument selon lequel, compte tenu des compétences linguistiques limitées de l’enfant, il était déraisonnable pour l’agent de faire allusion à sa compréhension du portugais. Vu la preuve médicale, l’agent a conclu à juste titre que le fils comprenait mieux le portugais que l’anglais, et il n’a pas surestimé sa capacité à communiquer dans cette langue. À mon avis, il était raisonnable d’examiner cette preuve dans le contexte de l’évaluation globale des répercussions qu’aurait une décision défavorable sur l’intérêt supérieur de l’enfant.

(2) L’évaluation, par l’agent, de la preuve relative à la situation au pays était raisonnable.

[16] Comme je l’ai déjà mentionné, la principale observation des demandeurs en ce qui concerne la condition de leur fils avait trait à la difficulté pour les personnes présentant un TSA d’obtenir des soins et du soutien au Brésil. Les éléments de preuve qu’ils ont présentés quant à la situation au pays prenaient la forme d’un article de presse intitulé [traduction] « Traitements en attente : légalement tenu de traiter l’autisme, le Brésil manque de ressources » ainsi que d’un article tiré d’une revue pédiatrique de 2015 intitulé [traduction] « L’autisme au Brésil : examen systématique des défis pour les familles et des stratégies d’adaptation ». Comme son titre l’indique, l’article de presse traite des protections juridiques offertes aux personnes présentant un TSA au Brésil et signale qu’il peut être difficile d’obtenir de l’aide en raison d’un manque de ressources. L’article tiré d’une revue traite principalement des stratégies employées par les familles qui s’occupent d’enfants présentant un TSA pour faire face au stress émotionnel auquel elles sont confrontées, notamment en raison d’un [traduction] « accès limité aux services de santé et aux mesures de soutien social ».

[17] Dans son analyse de cette preuve, l’agent a fait référence aux protections juridiques et aux organismes de soutien dont il est question dans l’article de presse. Tout en reconnaissant que [traduction] « l’accessibilité des services peut être asymétrique à l’échelle du pays », l’agent a souligné que Mme Alves et M. Faria avaient fait preuve de résilience et d’adaptabilité, et qu’ils pourraient utiliser ces qualités pour se réinstaller dans une région du Brésil ou du Portugal où les services dont leur fils a besoin sont accessibles.

[18] Mme Alves et M. Faria reprochent à l’agent d’avoir [traduction] « sélectionné » les aspects positifs des renseignements fournis tout en faisant abstraction de la teneur négative de l’article de presse en particulier dans son évaluation de la preuve relative à la situation au pays. Je ne suis pas de cet avis.

[19] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur administratif, à moins que son appréciation de cette preuve ne soit déraisonnable : Vavilov, au para 125. Je reconnais qu’il peut être déraisonnable de la part d’un agent de se fonder uniquement sur une partie des éléments de preuve relatifs à la situation au pays pour étayer une conclusion tout en faisant abstraction d’importants éléments de preuve qui contredisent cette conclusion : Ijiola Awolope c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 FC 540 au para 71; Ponniah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 190 aux para 13–17. Toutefois, même si, en l’espèce, l’agent aurait pu examiner plus en détail la preuve relative à la situation au pays dans ses motifs, il n’a pas déraisonnablement passé sous silence les préoccupations concernant le soutien apporté aux familles ayant un enfant présentant un TSA dans son évaluation globale.

[20] Contrairement à ce qu’avancent les demandeurs, je ne puis admettre qu’une interprétation juste des renseignements qu’ils ont présentés permet de conclure que l’aide et le soutien dont leur fils a besoin seront [traduction] « chers, rares et difficile, voire impossible à obtenir au Brésil » ou que, malgré la législation, « de telles ressources n’existent pas dans les faits ». L’article de presse sur lequel se fondent les demandeurs fait état à la fois des difficultés d’accès aux ressources, en particulier dans certaines régions, et des services gratuits offerts par un organisme de sensibilisation à l’autisme financé par le gouvernement. Après avoir examiné la preuve dans son ensemble, laquelle comprenait des renseignements limités quant à l’état des traitements et mesures de soutien offerts aux personnes présentant un TSA au Brésil, je ne puis conclure que l’agent s’est fondamentalement mépris dans son appréciation de la preuve ou qu’il a, de façon déraisonnable, uniquement retenu les éléments favorables de la preuve.

[21] En outre, je ne suis pas convaincu par l’argument des demandeurs selon lequel l’agent a suivi le raisonnement critiqué dans les affaires Machungo Sosi, Lauture et Jeong lorsqu’il a fait référence à leur résilience et à leur capacité d’adaptation : Machungo Sosi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1300 au para 18; Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336 aux para 21–26; Jeong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 582 aux para 49–53. Dans ces affaires, les agents avaient écarté la preuve favorable relative à l’établissement au motif que la capacité d’adaptation des demandeurs au Canada montrait qu’ils pourraient se réadapter dans leur pays d’origine. Ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce. L’agent a plutôt évalué l’accessibilité des traitements et mesures de soutien pour les familles ayant des enfants présentant un TSA au Brésil. Après avoir reconnu que l’accès à ces services était inégal à l’échelle du Brésil, l’agent a conclu que Mme Alves et M. Faria pourraient s’établir dans un endroit où ces services sont accessibles. Il s’agissait d’un facteur raisonnable à prendre en compte dans l’évaluation des observations présentées par les demandeurs relativement à l’intérêt supérieur de l’enfant.

(3) L’agent n’a pas déraisonnablement omis d’expliquer les souffrances du fils

[22] Mme Alves et M. Faria soutiennent que l’agent n’a pas expliqué les difficultés et souffrances que leur fils subirait si une décision défavorable était rendue relativement à leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, et qu’il n’était donc pas réceptif, attentif et sensible à son intérêt supérieur : Kolosovs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 165, aux para 9–12, cité avec approbation dans Kanthasamy, au para 39. Ils soutiennent que [traduction] « peu de gens ne seraient pas d’accord pour dire » qu’un enfant présentant un TSA souffrirait à la suite d’une décision défavorable, et qu’il était déraisonnable pour l’agent de ne pas exposer cette souffrance.

[23] Comme ils l’ont fait dans le cadre de leur argument relatif à leur capacité d’adaptation, les demandeurs reprochent à l’agent de ne pas être parvenu à des conclusions qui ne lui étaient pas proposées et qui n’étaient pas étayées par la preuve. Même si une preuve médicale a été déposée en ce qui concerne la condition du fils, celle-ci ne traite pas des souffrances précises qu’il subirait en raison de sa condition advenant un déménagement de la famille. Les déclarations déposées par ses parents, qui le connaissent mieux que quiconque, n’indiquaient pas non plus qu’il serait particulièrement touché, vu sa condition, s’il déménageait au Brésil. Leur observation était plutôt axée sur l’accessibilité des traitements et mesures de soutien au Brésil. En l’absence d’éléments de preuve ou d’observations sur cette question, je ne puis conclure que l’analyse de l’agent était déraisonnable parce qu’il a omis d’expliquer la souffrance du fils eu égard à sa condition.

[24] Au cours de sa plaidoirie, l’avocat a laissé entendre que la souffrance en question découlait de l’absence de traitements et de mesures de soutien au Brésil, et que les arguments des demandeurs au sujet de la souffrance se rapportaient en fait à leur préoccupation quant à l’accessibilité de ces services. Dans la mesure où il en est ainsi, cet argument chevauche l’argument relatif à l’évaluation, par l’agent, de la preuve concernant les traitements et mesures de soutien au Brésil. Comme je l’ai déjà mentionné, l’évaluation de l’agent relative à cette preuve était raisonnable.

[25] Par conséquent, je ne suis pas convaincu que Mme Alves et M. Faria se sont acquittés de leur fardeau de relever, dans la décision de l’agent, des lacunes suffisamment graves pour justifier l’intervention de la Cour : Vavilov, au para 100.

B. L’agent n’a pas agi de façon inéquitable en faisant référence à des éléments de preuve supplémentaires.

[26] L’agent a fait la déclaration suivante après avoir examiné la preuve relative à l’accessibilité de services de soutien au Brésil pour les familles ayant un enfant présentant un TSA :

[traduction]
Une recherche sur le site Web du gouvernement du Brésil a permis de recenser plusieurs articles portant sur la sensibilisation à l’autisme, les événements entourant la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, la formation à ce sujet, ainsi que l’accessibilité de services de soutien tels que l’analyse comportementale appliquée dans les hôpitaux affiliés au réseau Ebserh. La société brésilienne de services hospitaliers (Ebserh) appartient au ministère de l’Éducation, qui gère actuellement 40 hôpitaux universitaires fédéraux.

[27] En plus de la preuve présentée par les demandeurs, le dossier certifié du tribunal comprend une page imprimée des résultats de la recherche Internet dont il est question dans le passage précédent. Il s’agit d’une liste sur deux pages, en portugais, comportant des liens vers des articles et des nouvelles publiés sur le site Web du gouvernement du Brésil et contenant le mot portugais « autismo ». Le dossier contient également une copie d’un article publié sur le site Web du gouvernement, aussi en portugais, au sujet d’un hôpital faisant la promotion d’une [traduction] « formation pour aider les personnes présentant un TSA ».

[28] Mme Alves et M. Faria citent les paragraphes 21 à 26 de la décision Lopez Arteaga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 778, pour faire valoir que l’agent a injustement effectué ses propres recherches sur Internet et qu’il s’est fondé sur les résultats obtenus sans leur donner l’occasion de présenter des observations à l’égard de ces documents.

[29] Je conviens que le fait de consulter des sources ou des documents extrinsèques peut entraîner un risque d’iniquité. Cependant, la Cour a reconnu que « le renvoi [...] à des ressources en ligne ne crée pas automatiquement une obligation d’offrir au demandeur la possibilité d’y répondre » : Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 537 au para 34. Dans la décision Shah, une affaire mettant aussi en cause des recherches sur Internet portant sur les services de soutien offerts aux enfants autistes, la juge Kane a examiné attentivement la jurisprudence concernant les recherches sur Internet, y compris la décision Lopez Arteaga, et a conclu qu’une « approche plus contextuelle doit être utilisée pour examiner cette preuve » : Shah, aux para 34–42.

[30] Pour déterminer si l’obligation d’équité procédurale requiert la divulgation de ces documents, la Cour examinera des facteurs tels que i) la source, y compris sa crédibilité; ii) la nature publique des documents et la mesure dans laquelle on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur en ait connaissance; iii) le caractère inédit et l’importance des renseignements, y compris la manière dont ils diffèrent d’autres éléments de preuve; iv) la nature de la décision, y compris les allégations du demandeur et le fardeau de la preuve : Shah au para 35–38; Majdalani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 294 aux para 29–37; Rutayisire c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 970 aux para 80–88. Lorsque l’on examine ces facteurs, la question fondamentale demeure celle de savoir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 54.

[31] En l’espèce, Mme Alves et M. Faria ont expressément exprimé leurs préoccupations quant à l’accessibilité des soins et mesures de soutien pour leur fils au Brésil. À l’appui de ces préoccupations, ils ont déposé une preuve limitée relative à l’état des soins offerts aux personnes présentant un TSA au Brésil. L’agent a examiné des renseignements provenant du site Web du gouvernement du Brésil, et non d’une source obscure ou suspecte. Comme le ministre l’a souligné, ces renseignements ne contredisaient pas l’information présentée par les demandeurs; ils venaient s’y ajouter. Je conclus que l’obligation d’équité n’exigeait pas de l’agent qu’il porte ces documents à l’attention de Mme Alves et de M. Faria afin de leur donner l’occasion de présenter des commentaires. Je suis d’avis que le libellé du paragraphe 42 de la décision Shah, rendue par la juge Kane, s’applique également en l’espèce :

Il incombe en tout temps aux demandeurs de fournir suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de leur demande pour motifs d’ordre humanitaire, y compris en ce qui a trait à l’intérêt supérieur des enfants. Comme dans Majdalani, les éléments de preuve fournis par les demandeurs en l’espèce pour appuyer leur prétention que leur fils ne pourrait obtenir de traitement pour l’autisme au Bangladesh − lesquels éléments ont tous été examinés par l’agent − n’étaient pas suffisants et étaient équivoques. De plus, les demandeurs auraient facilement pu avoir accès aux renseignements objectifs recueillis par l’agent au sujet des écoles et des autres services de soutien, de la même manière qu’ils ont eu accès aux articles qu’eux-mêmes ont produits. L’agent n’avait donc aucune obligation de partager ces articles avec les demandeurs.

IV. Conclusion

[32] La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-748-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-748-21

 

INTITULÉ :

EUCILENE DE FREITAS ALVES ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 février 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 6 mai 2022

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Rachel Hepburn Craig

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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