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Date : 20220509


Dossier : IMM‑2049‑20

Référence : 2022 CF 684

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 9 mai 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

KHALID AHMED MARKAR

SAIMA KHALID AHMED MARKAR

NUREIN AHMED MARKAR

NURAIZ KHALID MARKAR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur principal, M. Khalid Ahmed Markar, est consultant en affaires. En 2017, il s’est vu offrir un emploi à temps plein à Toronto. Après avoir obtenu une étude d’impact sur le marché du travail [l’EIMT] favorable, M. Markar a présenté des demandes de permis de travail pour lui‑même et pour son épouse, ainsi que des demandes de permis d’études pour leurs enfants mineurs [collectivement, les demandeurs]. Ils sont tous citoyens de l’Inde.

[2] Conjointement avec sa demande de permis de travail, M. Markar a présenté une demande d’approbation de la réadaptation dans le but de faire lever l’interdiction de territoire prononcée contre lui à la suite d’une condamnation aux États‑Unis en 1998 pour vente ou distribution de marijuana, qui lui avait valu d’être expulsé des États‑Unis. La demande de réadaptation présentée par M. Markar a été acceptée le 30 octobre 2019.

[3] Parallèlement, certaines parties de la demande de permis de travail ont été égarées lors du traitement de la demande par le bureau des visas du haut‑commissariat du Canada à New Delhi. En septembre 2019, les demandeurs ont finalement reçu une lettre relative à l’équité procédurale indiquant que M. Markar était soupçonné d’avoir fait une fausse déclaration et que l’occasion lui était donnée de présenter des observations en réponse. La fausse déclaration alléguée concernait une question figurant dans le formulaire de demande de permis de travail, soit : « Avez‑vous déjà fait une demande pour entrer ou demeurer au Canada? » [question 2c]. M. Markar a coché « non ». Or, il avait déjà présenté une demande d’entrée au Canada, laquelle avait été refusée.

[4] Les demandeurs ont répondu à la lettre relative à l’équité procédurale le 20 septembre 2019. M. Markar a indiqué qu’il avait déjà présenté une demande de permis d’études, qui avait été refusée en mars 2002; une demande de visa de visiteur, refusée en avril 2001; et une demande de visa de visiteur, refusée en août 1991. Il a déclaré que sa réponse à la question 2c était une erreur commise de bonne foi et qu’il n’avait pas tenté de tromper qui que ce soit.

[5] La demande de permis de travail a été refusée le 30 octobre 2019 [la décision] par un agent d’immigration du haut‑commissariat du Canada à New Delhi, en Inde [l’agent], pour fausses déclarations au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. L’agent a également refusé les demandes de son épouse et de ses enfants. Les motifs de la décision sont énoncés dans les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC].

[6] J’accueille la demande de contrôle judiciaire, car j’estime que l’agent a négligé d’examiner les questions de savoir si l’exception relative à l’erreur de bonne foi s’appliquait et si la fausse déclaration pouvait entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

II. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[7] Les demandeurs soulèvent les questions suivantes : 1) le demandeur a‑t‑il donné une réponse inexacte à la question 2c; 2) l’agent a‑t‑il appliqué correctement le droit régissant les fausses déclarations; 3) l’erreur alléguée est‑elle visée par l’« exception relative à l’erreur de bonne foi »; 4) l’erreur alléguée concernait‑elle un fait important; et 5) la décision était‑elle raisonnable compte tenu des circonstances?

[8] Le demandeur soutient que, selon l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], les questions de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, et les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, ce qui me semble être une interprétation erronée de l’arrêt Vavilov.

[9] Je suis d’avis que la présente demande ne soulève aucune question d’équité procédurale et qu’il n’y a pas d’autre raison qui justifierait de s’écarter de la présomption établie dans l’arrêt Vavilov selon laquelle la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 112 au para 12.

[10] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, au para 85. Il incombe au demandeur de démontrer que la décision de la SPR est déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer une décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

Dispositions législatives pertinentes

[11] Le demandeur principal a été déclaré interdit de territoire au titre de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, qui prévoit ce qui suit :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[…]

[…]

Application

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

(2) The following provisions govern subsection (1):

a) l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi; et

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of five years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced; and

[…]

[…]

Interdiction de territoire

Inadmissible

(3) L’étranger interdit de territoire au titre du présent article ne peut, pendant la période visée à l’alinéa (2)a), présenter de demande pour obtenir le statut de résident permanent.

(3) A foreign national who is inadmissible under this section may not apply for permanent resident status during the period referred to in paragraph (2)(a).

[12] Il n’est pas nécessaire que j’examine l’ensemble des questions soulevées par les demandeurs. J’axerai plutôt mon analyse sur les trois questions suivantes :

  • a) L’agent a‑t‑il commis une erreur en omettant d’envisager l’application de l’exception relative à l’« erreur de bonne foi »?

  • b) L’agent a‑t‑il omis d’analyser de façon significative la question de savoir si la fausse déclaration était importante?

  • c) L’agent a‑t‑il omis d’examiner la question de savoir si la fausse déclaration pouvait entraîner une erreur dans l’application de la LIPR?

A. L’agent a‑t‑il commis une erreur en omettant d’envisager l’application de l’exception relative à l’« erreur de bonne foi »?

[13] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur dans le cadre de son examen de la réponse du demandeur principal à la question 2c, en faisant abstraction de l’exception relative à l’« erreur de bonne foi » ou à l’« erreur non frauduleuse » que prévoit le droit régissant les fausses déclarations.

[14] Dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, M. Markar a fourni l’explication suivante : [TRADUCTION] « J’ai mal interprété la question; je pensais qu’il s’agissait d’obtenir l’autorisation d’entrer et/ou de prolonger un séjour au Canada, puis de présenter une nouvelle demande. Sachant qu’on ne m’a jamais accordé de visas et que je n’ai jamais été au Canada, comment aurais‑je pu entrer ou demeurer au Canada? J’étais confus, mais je comprends maintenant qu’une demande de visa est une demande d’entrée au pays. »

[15] M. Markar a ajouté ce qui suit : [TRADUCTION] « Dans le cadre du traitement de ma demande de permis d’études en 2002, j’ai été convoqué à une entrevue à l’ambassade du Canada en Inde. Lors de l’entrevue, il est devenu évident pour moi que l’agent d’immigration détenait des renseignements sur mes demandes antérieures. J’ai eu la nette impression qu’il existait un dossier à mon nom contenant les demandes antérieures que j’avais présentées auprès du Canada. »

[16] Il a souligné que, dans ce contexte, il avait répondu « oui » à la question « [v]ous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? » [question 2b] dans le même formulaire, et qu’il avait fourni des renseignements au sujet de son expulsion des États‑Unis après sa condamnation de 1998, puisqu’il savait que celle‑ci ne figurait pas à son dossier canadien. Il a en outre expliqué que [Traduction] « [il] n’avai[t] aucune raison de dissimuler [s]es demandes antérieures, d’autant plus qu’[il] croyai[t] sincèrement qu’elles faisaient partie de [s]on dossier personnel à Immigration Canada ».

[17] Les demandeurs font valoir que, selon Alalami c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 328 [Alalami] au paragraphe 16, un agent devrait se demander si un demandeur « croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne dissimulait pas de renseignements importants, compte tenu du libellé de la question pertinente dans le formulaire de demande ».

[18] Je souligne que, dans Alalami, la Cour a conclu que l’agent n’était, en fait, pas tenu d’envisager l’application de l’exception relative à l’erreur de bonne foi puisqu’il n’avait pas conclu que l’erreur avait effectivement été commise de bonne foi. La Cour a cependant énoncé les propositions juridiques pertinentes aux paragraphes 15 et 16 :

[15] M. Alalami soutient que l’exception pour les erreurs commises de bonne foi, qui peut s’appliquer pour empêcher les conclusions d’interdiction de territoire en application du paragraphe 40(1) de la LIPR, aurait dû être appliquée ou au moins envisagée par l’agent avant de conclure à l’interdiction de territoire. Même si une omission innocente de fournir des renseignements importants peut aboutir à une conclusion d’interdiction de territoire, la jurisprudence reconnaît une exception lorsque le demandeur peut démontrer qu’il croit honnêtement et raisonnablement qu’il ne dissimulait pas de renseignements importants (voir, par exemple, Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15). M. Alalami soutient que cette exception a été appliquée dans des circonstances où un demandeur a omis de divulguer des renseignements dont il avait connaissance (voir, par exemple, Punia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 184). Il soutient également que l’omission par un agent des visas de mener une analyse significative de l’exception pour les erreurs commises de bonne foi peut constituer une erreur susceptible de révision lorsque des éléments de preuve appuient son application (voir Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117 [Berlin]).

[16] J’accepte toutes ces propositions en droit. [...]

[Non souligné dans l’original.]

[19] Les demandeurs invoquent également la décision Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117 [Berlin] au paragraphe 22, dans laquelle la Cour a conclu que l’agent n’avait pas procédé à une analyse digne de ce nom de l’exception relative à l’erreur commise de bonne foi.

[20] Je souligne que, dans Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1441 [Gill], le juge McHaffie a présenté un résumé fort utile de la jurisprudence quelque peu contradictoire de notre Cour sur l’exception relative à l’erreur de bonne foi :

[18] Il semble exister deux tendances jurisprudentielles de la Cour en ce qui a trait aux fausses déclarations faites de bonne foi visées par l’exception à l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 40(1)a). D’un côté, la Cour a conclu qu’il existe effectivement deux conditions à l’existence d’une fausse déclaration faite de bonne foi : 1) que, subjectivement, la personne croit honnêtement qu’elle ne fait pas de fausse déclaration; 2) qu’objectivement, il était raisonnable, compte tenu des faits, que la personne croie qu’elle ne faisait pas de fausse déclaration. Cette approche a été suivie dans les décisions Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299 au para 18; Karunaratna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 421 au para 14; Punia, aux para 66‑68; Singh Dhatt, au para 27; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Robinsion, 2018 CF 159 au para 6; Alalami c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 328 aux para 15‑16; et Alkhaldi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 584 au para 19.

[19] De l’autre côté, une condition supplémentaire s’est ajoutée, laquelle restreint considérablement la possibilité de recourir à cette exception, à savoir que « la connaissance [des renseignements importants] échappait à [l]a volonté [du demandeur] ». Cette exigence supplémentaire semble provenir de la décision Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428 au para 39, laquelle a puisé à même le langage de la décision Mohammed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1997 CanLII 16384 (CF), [1997] 3 CF 299 au para 41. Elle a ensuite été reprise par la juge Strickland dans la décision Goburdhun, laquelle est fréquemment citée par la jurisprudence : voir par exemple Suri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 589 au para 20; Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 542 au para 11; Tuiran, aux para 27, 30; Appiah, au para 18.

[20] M. Gill plaide que la condition portant sur le fait « d’échapper à la volonté du demandeur » contredit les décisions Punia, Berlin et Karunaratna, dans lesquelles les renseignements non divulgués étaient manifestement connus des demandeurs, mais où les conclusions relatives à l’interdiction de territoire ont tout de même été considérées comme déraisonnables eu égard à l’exception visant la fausse déclaration faite de bonne foi : Punia, aux para 68‑70; Berlin, aux para 2, 19‑22; Karunaratna, aux para 5‑6, 16. Je conviens que ces décisions n’ont manifestement pas appliqué une condition portant sur le fait « d’échapper à la volonté du demandeur ». Je m’interroge également quant à savoir si cette exigence est en harmonie avec l’objectif même visé par cette exception, soit la reconnaissance que des erreurs peuvent survenir et que des « erreurs de bonne foi » peuvent se produire. Toutefois, la jurisprudence majoritaire de la Cour semble inclure cette condition, particulièrement depuis la décision Goburdhun de la juge Strickland en 2013.

[21] Le défendeur soutient que même une omission innocente de fournir des renseignements importants peut mener à une conclusion d’interdiction de territoire et que, bien qu’on fasse exception à ce principe lorsqu’un demandeur peut montrer qu’il croyait raisonnablement et en toute honnêteté qu’il ne cachait pas de renseignement important, cette exception est plutôt limitée : Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 au para 31 [Goburdhun], citant Medel c Canada, [1990] ACF no 318 (CA)(QL) et Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428 aux para 35‑56.

[22] Je reconnais que l’exception est limitée. J’estime néanmoins que la décision de l’agent est déraisonnable, car celui‑ci ne s’est pas demandé si l’exception relative à l’erreur de bonne foi s’appliquait, comme il était tenu de le faire.

[23] D’après les notes consignées dans le SMGC, le premier agent qui a examiné le cas des demandeurs n’a fourni aucune indication à savoir s’il acceptait l’argument des demandeurs fondé sur l’exception relative à l’erreur de bonne foi :

[Traduction]
Les renseignements fournis dans l’affidavit et la lettre d’explication faite sous serment indiquent que le demandeur semble avoir agi par ignorance. Il est toutefois significatif que le demandeur ait retenu les services d’un conseil le 17 septembre (formulaire IMM5476 signé le 2017/09/27) et qu’il ait fourni de nombreux documents en vue de sa réadaptation. Il semble peu probable que le demandeur ait rempli seul les formulaires, qu’il ait fait de fausses déclarations en réponse aux questions pertinentes relatives aux renseignements généraux ou omis de répondre à ces questions parce qu’il présumait que les renseignements figuraient déjà dans les dossiers canadiens.

[24] J’estime que l’emploi des mots [Traduction] « semble peu probable » et « semble avoir » n’indique pas un rejet catégorique de l’argument fondé sur l’erreur commise de bonne foi. Au mieux, ces mots témoignent de l’incertitude du premier agent quant à l’argument des demandeurs, qui explique d’ailleurs pourquoi leur dossier a été transmis au gestionnaire de l’unité [Traduction] « pour examen et décision ».

[25] Les motifs donnés par le gestionnaire de l’unité pour justifier son refus étaient également brefs et indiquaient notamment ce qui suit :

[Traduction]
Le demandeur prétend avoir commis une erreur de bonne foi. Soit, mais le demandeur demeure seul responsable de s’assurer que sa demande contient tous les renseignements exigés et que ces renseignements sont exacts et véridiques. Je suis donc d’avis, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur a fait une fausse déclaration au titre de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR en fournissant des renseignements inexacts qui auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[26] Il va sans dire que le demandeur avait la responsabilité de veiller à ce que les renseignements contenus dans la présente demande soient exacts et véridiques. Toutefois, les motifs n’expliquent pas pourquoi l’exception relative à l’erreur de bonne foi s’appliquait ou ne s’appliquait pas en l’espèce. Il n’est nulle part fait référence, dans ce bref paragraphe, aux explications fournies par M. Markar quant aux raisons pour lesquelles il a répondu aux questions de la façon dont il l’a fait.

[27] Dans l’ensemble, j’estime que l’analyse déficiente qui sous‑tend la décision « s’explique par l’omission de l’agent de reconnaître l’importance potentielle des éléments de preuve atténuants » présentés par les demandeurs : Berlin, au para 22.

[28] Comme l’a souligné le juge McHaffie dans Gill, au paragraphe 21 :

[L’agent] n’a pas tiré de conclusions quant à savoir si l’omission échappait à la volonté de M. Gill en raison d’un malentendu apparent, de sorte qu’il n’est pas possible de savoir si l’agent considérait ce point comme un élément essentiel de l’évaluation de la fausse déclaration ou de l’exception relative à l’erreur commise de bonne foi.

[29] Je suis d’avis que la même conclusion s’applique en l’espèce. Quelle que soit l’approche adoptée à l’égard de l’exception relative à l’erreur de bonne foi, les agents en l’espèce n’ont pas fourni de justification adéquate à l’appui de leur conclusion, ce qui rend la décision déraisonnable.

B. L’agent a‑t‑il omis d’analyser de façon significative la question de savoir si la fausse déclaration était importante?

[30] Selon l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, emporte interdiction de territoire pour fausses déclarations, le fait « directement ou indirectement, [de] faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi » [non souligné dans l’original, caractère gras ajouté]. Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas analysé de façon significative la question de savoir si l’omission concernait un fait important.

[31] Invoquant la décision Berlin aux paragraphes 20 et 21, les demandeurs font valoir qu’il est difficile de concevoir en quoi des refus datant d’il y a 20 ans seraient importants en l’espèce, en dehors du fait qu’ils sont liés à l’interdiction de territoire pour criminalité prononcée contre M. Markar, laquelle a été levée lorsque la demande de réadaptation de ce dernier a été acceptée. Les demandeurs soulignent que M. Markar avait déjà dévoilé ses antécédents criminels et mentionné à la question 2b qu’on lui avait déjà interdit l’entrée au Canada. Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas adéquatement expliqué l’exigence relative à l’importance de la fausse déclaration prévue à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, contrairement aux directives données dans Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 166.

[32] Les demandeurs s’appuient en outre sur le paragraphe 24 de la décision Lamsen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 815, dans laquelle la Cour a statué qu’une demande de visa doit être analysée dans son ensemble et que l’agent avait commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que, même si la demanderesse avait fait une déclaration inexacte quant à la durée de son emploi dans une des parties de sa demande, elle avait indiqué la durée exacte dans une autre partie de sa demande et avait confirmé ces renseignements dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale.

[33] Le défendeur invoque le paragraphe 43 de la décision Goburdhun, dans laquelle la Cour a rejeté l’argument du demandeur portant que « parce que CIC a accès à tous ses antécédents en matière d’immigration, la réponse incorrecte qui figure dans sa demande n’a pas d’importance ».

[34] Le défendeur soutient en outre que les notes consignées dans le SMGC renferment une analyse significative de l’importance de la fausse déclaration, en particulier le passage suivant :

[Traduction]
La recherche effectuée dans le Système de soutien des opérations des bureaux locaux [le SSOBL] a révélé qu’une demande de permis d’études a déjà été refusée; toutefois, la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité procédurale indique que ce dernier a essuyé des refus relativement à trois demandes de visa de résident temporaire canadien. Le demandeur n’a déclaré aucun de ces refus de visa dans sa demande… il a seulement déclaré avoir déjà été expulsé des États‑Unis. Ces renseignements sont pertinents du point de vue de la crédibilité du demandeur; d’autant plus que l’on sait que les antécédents d’un demandeur doivent être pris en compte dans l’évaluation relative à la recevabilité et à l’interdiction de territoire. Le demandeur prétend avoir commis une erreur de bonne foi [...] le demandeur demeure seul responsable de s’assurer que sa demande contient tous les renseignements exigés et que ces renseignements sont exacts et véridiques [...]

[35] Bien que je ne sois pas convaincue, à la différence du défendeur, que l’on puisse qualifier l’analyse de l’agent de « significative », je dois reconnaître que les motifs fournissent une certaine justification, quoique extrêmement brève, quant à l’importance de la fausse déclaration. Comme l’a expliqué l’agent, l’importance de la fausse déclaration touche à la crédibilité de M. Markar et au fait que [Traduction] « l’on sait que les antécédents d’un demandeur doivent être pris en compte dans l’évaluation relative à la recevabilité et à l’interdiction de territoire ».

[36] Ainsi, même si je partage le questionnement des demandeurs quant à l’importance que des refus datant d’il y a 20 ans pourraient avoir en l’espèce, je reconnais que la décision renferme une explication et je ne peux conclure que celle‑ci est déraisonnable.

C. L’agent a‑t‑il omis d’examiner la question de savoir si la fausse déclaration pouvait entraîner une erreur dans l’application de la LIPR?

[37] Selon l’alinéa 40(1)a), pour qu’un demandeur soit déclaré interdit de territoire pour fausses déclarations, il faut que la fausse déclaration « entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi ».

[38] Dans leur réponse, les demandeurs ont fait valoir que l’agent n’avait pas examiné la question de savoir si la fausse déclaration aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas expliqué comment des renseignements concernant des demandes de visa présentées il y a 20 ans auraient pu l’induire en erreur dans l’application de la LIPR; il a seulement mentionné que l’omission était pertinente sans fournir d’explication. Les demandeurs font valoir que tant le bureau des visas qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] détenaient des renseignements sur les demandes antérieures de M. Markar et que ces demandes antérieures ont été mentionnées dans la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale.

[39] À l’audience, le défendeur a soutenu qu’il n’appartenait pas aux demandeurs de décider de ce qui est pertinent ou non aux fins de leur demande. Leur obligation consistait à répondre véridiquement à la question, ce qu’ils n’ont pas fait. Les raisons fournies par les demandeurs pour expliquer pourquoi l’exception limitée relative à l’erreur de bonne foi s’appliquait dans leur cas ne sont pas suffisantes.

[40] Je souscris aux arguments des demandeurs. Les brefs motifs contenus dans les notes du SMGC ne fournissent aucune explication quant à savoir comment les renseignements concernant le fait que M. Markar s’est vu refuser un permis d’études en 2002 et un visa de visiteur en 2001 – sans parler du visa de visiteur qui lui a été refusé il y a 31 ans – auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[41] L’insuffisance de l’analyse est particulièrement déconcertante en l’espèce sachant que M. Markar avait déjà obtenu une EIMT relativement à son offre d’emploi, ce qui indique, à tout le moins, que sa présence au Canada est considérée comme nécessaire par le gouvernement canadien pour répondre aux besoins du marché du travail. De plus, bien que les notes consignées dans le SMGC indiquent que les antécédents [Traduction] « doivent être pris en compte dans l’évaluation relative... à l’interdiction de territoire », aucune analyse n’a été effectuée quant à l’incidence de l’acceptation de la demande de réadaptation présentée par M. Markar.

[42] Une conclusion d’interdiction de territoire aurait des conséquences graves non seulement pour M. Markar, mais pour l’ensemble de sa famille, car tous se verraient interdire l’entrée au Canada pendant une période de cinq ans. Puisque l’agent n’a pas expliqué comment, à la lumière de toutes les circonstances de l’espèce, la fausse déclaration pouvait entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, la décision ne satisfait pas à la norme de justification, de transparence et d’intelligibilité établie par la jurisprudence : Vavilov, au para 81.

IV. Conclusion

[43] La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[44] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2049‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Avvy Yao‑Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2049‑20

 

INTITULÉ :

KHALID AHMED MARKAR, SAIMA KHALID AHMED MARKAR, NUREIN AHMED MARKAR, NURAIZ KHALID MARKAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 avrIL 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Milan Tomasevic

 

Pour les demandeurs

 

Laoura Christodoulides

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Milan Tomasevic

Avocat

Mississauga (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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