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Date : 20220518


Dossier : IMM-6427-20

Référence : 2022 CF 727

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2022

En présence de monsieur le juge Favel

 

ENTRE :

JAVED IQBAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] Javed Iqbal [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 18 novembre 2020, par laquelle un agent des visas a rejeté sa demande de permis de travail [la décision contestée].

[2] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Le contexte

[3] Le demandeur est un citoyen du Pakistan âgé de 50 ans. Il est marié et il a trois filles. Il a obtenu un baccalauréat ès sciences et une maîtrise ès sciences en statistique d’universités du Pakistan. D’août 1993 à mars 2019, il a travaillé comme vérificateur principal pour une société nommée « CMA », à Lahore, au Pakistan. Depuis 2016, il travaille comme analyste en recherche opérationnelle à l’académie des sciences Saint Joseph de Gujranwala, au Pakistan.

[4] Le 16 mars 2020, la société Canadian Consulting Engineers Inc. [CCE] a offert au demandeur un emploi d’analyste en recherche opérationnelle à Drayton Valley, en Alberta. L’offre d’emploi était appuyée par une étude d’impact sur le marché du travail [l’EIMT] que CCE avait obtenue le 5 novembre 2019. Le 25 mars 2020, le demandeur a demandé un permis de travail d’une durée de deux ans qui lui permettrait d’accepter le poste. L’EIMT indique que le poste exige des compétences en anglais à l’oral et à l’écrit.

III. La décision

[5] L’agent des visas [l’agent] a rejeté la demande de permis d’études du demandeur au titre de l’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]. Cet alinéa prévoit qu’un « permis de travail ne peut être délivré à l’étranger » si « l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé ».

[6] Selon la lettre de décision, le demandeur n’a pas démontré qu’il pouvait exercer adéquatement l’emploi et il n’a pas présenté [traduction] « une preuve suffisante pour établir ses compétences en anglais (une exigence indiquée dans l’EIMT), telle que des résultats obtenus à un examen d’une organisation d’évaluation autorisée ». Dans ses notes consignées dans le système mondial de gestion des cas [le SMGC], l’agent a notamment écrit ce qui suit :

[traduction]

La demande et les observations ont été examinées. [Le demandeur] a une EIMT pour travailler comme analyste en recherche opérationnelle au Canada. L’EIMT exige des compétences en anglais. [Le demandeur] n’a pas présenté à l’appui de sa demande une preuve suffisante pour démontrer ses compétences en anglais. Les relevés de notes ont été examinés, mais, à la lumière des renseignements fournis, je ne suis pas convaincu que [le demandeur] a effectivement des compétences suffisantes en anglais. Par conséquent, après examen, je ne suis pas convaincu que le demandeur a démontré qu’il peut exercer l’emploi offert au Canada. La demande est rejetée au titre de l’alinéa 200(3)a) du RIPR.

IV. La question préliminaire

[7] Dans le cadre du contrôle judiciaire, le demandeur a présenté un affidavit souscrit le 13 février 2021 accompagné de ses résultats au test de l’International English Language Testing System [l’IELTS]. Il affirme qu’il avait joint ces résultats à sa demande de permis de travail, mais ils ne figurent pas dans le dossier certifié du tribunal.

[8] Le 22 mars 2022, le défendeur a présenté un affidavit souscrit par l’agent. Dans cet affidavit, l’agent affirme qu’il a examiné la demande dans son intégralité et que les résultats au test de l’IELTS n’étaient pas joints à la demande de permis du demandeur. Il affirme également que ces résultats ne figuraient pas dans le dossier du demandeur au moment du rejet de la demande de permis de travail. Il ajoute qu’il a à nouveau examiné le dossier du demandeur le 19 mars 2022 et que le demandeur n’avait pas fourni ces résultats à cette date.

[9] Le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas tenir compte des résultats du demandeur au test de l’IELTS. Le demandeur affirme que le consultant en immigration qui l’a aidé a bel et bien fourni ces résultats. Toutefois, à l’exception de l’affirmation du demandeur, aucun élément de preuve n’a été présenté pour corroborer cette affirmation.

[10] Je suis d’accord avec le défendeur. En règle générale, le dossier de preuve présenté à une cour de révision se limite à celui dont disposait le décideur. Il existe des exceptions à cette règle, mais aucune d’elles ne se présente en l’espèce : les résultats du demandeur au test de l’IELTS se rapportent évidemment au fond de l’affaire; ils ne permettent pas de porter à l’attention de la Cour des vices de procédure; ils ne permettent pas de souligner que l’agent ne disposait d’aucune preuve (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19-20). Je conclus donc que les résultats du demandeur au test de l’IELTS sont inadmissibles en preuve. Je ne leur accorderai aucun poids.

V. Les questions en litige

[11] Après examen des observations présentées par les parties, j’estime que les questions peuvent être formulées ainsi :

  • (1) La décision est-elle raisonnable?

  • (2) Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

VI. La norme de contrôle

[12] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable à la première question est celle de la décision raisonnable. Aucune des exceptions énoncées dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] ne s’est présentée en l’espèce (aux para 16-17). Un contrôle effectué selon la norme de la décision raisonnable exige que la cour apprécie l’intelligibilité, la transparence et la justification de la décision et qu’elle évalue si la décision « est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). Si les motifs du décideur permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si celle-ci fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, alors la décision est raisonnable (Vavilov, aux para 85-86). Au moment d’effectuer un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir dûment compte du résultat de la décision et du raisonnement à l’origine de ce résultat (Vavilov, au para 87).

[13] La deuxième question porte sur l’équité procédurale et, de ce fait, elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Oleynik c Canada (Procureur général), 2020 CAF 5 au para 39; Ebrahimshani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 89 au para 12). Aucune déférence n’est témoignée au décideur de l’instance inférieure à l’égard des questions d’équité procédurale (Del Vecchio c Canada (Procureur général), 2018 CAF 168 au para 4).

VII. Analyse

A. La décision est-elle raisonnable?

[14] Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable parce que l’agent a fait abstraction d’éléments de preuve pertinents démontrant ses compétences en anglais (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tefera, 2017 CF 204 aux para 30-31; Shakeri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1327 aux para 21-23). Il affirme que l’agent n’a pas tenu compte du fait qu’il communique en anglais dans le cadre de son emploi actuel. Il renvoie à la lettre de recommandation de son employeur actuel, dans laquelle sont indiquées toutes ses fonctions. De même, le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte du fait qu’il détient deux diplômes et que, selon ses relevés de notes des écoles intermédiaire et secondaire, il a fait ses études entièrement en anglais. Enfin, il soutient que l’agent n’a pas tenu compte de ses résultats au test de l’IELTS.

[15] Le défendeur soutient que l’agent a adéquatement examiné les éléments de preuve contenus dans la demande de permis et qu’il a rendu une décision raisonnable. Il renvoie à l’affidavit de l’agent, qui indique clairement que les résultats au test de l’IELTS n’étaient pas joints à la demande de permis. Il fait valoir qu’en l’absence de ces résultats, il était raisonnable que l’agent examine les relevés de notes du demandeur. Selon son relevé de notes de premier cycle universitaire, le demandeur a suivi un cours d’anglais pour lequel il a obtenu une note de 47 sur 100, ce qui pourrait indiquer qu’il l’a échoué. Selon ses relevés de notes des écoles intermédiaire et secondaire, il a suivi des cours d’anglais en 1985 et en 1987 pour lesquels il a obtenu des notes de 104 et de 120, respectivement. Le dossier ne permet aucunement d’interpréter ces notes. Enfin, le défendeur affirme que le demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve convaincants pour démontrer qu’il possédait les compétences requises en anglais pour exercer l’emploi visé (Virk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 150 au para 6 [Virk]; Kumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 935 au para 30).

[16] Avant de passer à la décision contestée elle-même, il est utile d’exposer quelques principes généraux qui s’appliquent aux décisions des agents des visas. Premièrement, un contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit tenir compte du contexte institutionnel dans lequel la décision a été rendue. Je conviens avec le défendeur qu’une pression est exercée sur les agents des visas pour qu’ils rendent chaque jour un grand nombre de décisions, et que cette pression ne permet pas des motifs détaillés. Le juge McHaffie a récemment affirmé que « cette contrainte institutionnelle, de même que la nature discrétionnaire de la décision de l’agent des visas et le fardeau qui incombe au demandeur de satisfaire aux exigences réglementaires, doit éclairer l’évaluation du caractère raisonnable » (Rodriguez Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 293 au para 13). Une justification simple et concise sera raisonnable pourvu que la décision tienne compte de la preuve (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 au para 17).

[17] En l’espèce, l’EIMT indique clairement que le poste exige des compétences en anglais à l’oral et à l’écrit. Il est bien établi en droit qu’il incombe au demandeur de convaincre l’agent qu’il satisfait à toutes les exigences relatives à l’obtention d’un permis de travail (Hassan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 9142 au para 13).

[18] Je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve qui contredisaient sa conclusion. Je conclus que l’agent a bel et bien examiné les relevés de notes et les attestations du demandeur, et il en a d’ailleurs fait mention dans ses notes consignées dans le SMGC. En l’absence de résultats à un test d’une organisation d’évaluation autorisée, il était raisonnable de le faire (voir Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 484 aux para 7 et 43, où il a été jugé déraisonnable que l’agent ne renvoie pas aux relevés de notes). Le demandeur n’a pas fourni de renseignements qui auraient permis à l’agent d’interpréter correctement les notes qu’il avait obtenues en anglais. Qui plus est, si le demandeur a fait de longues études, ce que j’admets, il ne s’ensuit pas qu’il possède les compétences requises en anglais.

[19] La demande de permis s’accompagnait d’une lettre de recommandation énumérant les fonctions du demandeur, mais rien dans le dossier n’indiquait qu’il les exerçait en anglais (Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1548 au para 37). Par conséquent, la Cour ne peut inférer que le demandeur travaillait en anglais. De même, cette lettre, les formulaires de demande, le curriculum vitae et les relevés de notes du demandeur sont en anglais, mais les documents en anglais ne suffisent généralement pas à établir qu’un demandeur possède les compétences requises dans cette langue. Par exemple, la Cour a déclaré qu’un agent des visas peut exiger d’autres éléments qu’une demande, qu’une lettre d’accompagnement ou qu’un curriculum vitae rédigé en anglais pour établir les compétences linguistiques du demandeur (Virk, au para 6; Puyda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 82 au para 11).

[20] En fin de compte, à la lumière du dossier fourni, la conclusion de l’agent est raisonnable. Le demandeur n’a pas démontré qu’il possédait les compétences requises en anglais. Je souligne également que, pour obtenir un visa de travailleur temporaire, le demandeur peut simplement présenter une nouvelle demande à l’agent et fournir des renseignements supplémentaires, comme ses résultats au test de l’IELTS.

B. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[21] Le demandeur soutient que l’agent a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale. Il affirme que, si l’agent avait besoin d’éléments de preuve supplémentaires concernant ses compétences en anglais, il avait le droit d’en être avisé et d’obtenir l’occasion de répondre aux réserves de l’agent.

[22] Le défendeur soutient qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. Selon lui, l’agent n’était pas tenu de demander au demandeur de présenter des éléments de preuve démontrant ses compétences en anglais ni de lui rappeler son obligation de le faire (Virk, au para 6).

[23] Les exigences en matière d’équité procédurale varient selon les circonstances. Dans le contexte d’une demande de permis de travail temporaire, elles sont relativement minimes (Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 815 au para 5, [2002] ACF no 1098).

[24] Comme je l’ai déjà mentionné, l’EIMT indique clairement que le poste exige des compétences en anglais à l’oral et à l’écrit. Le demandeur savait qu’il devait démontrer qu’il les possédait. L’agent n’était donc pas tenu de l’aviser ou de « chercher à obtenir les éléments de preuve manquants » (Virk, au para 6).

[25] Par conséquent, je conclus qu’il n’y a eu aucune atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale.

VIII. Conclusion

[26] Dans ces circonstances, il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale, et la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur ne satisfaisait pas à une exigence de l’emploi visé est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune partie n’a proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-6427-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Il n’y a aucune question à certifier;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6427-20

INTITULÉ :

JAVED IQBAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 MAI 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

LE 18 MAI 2022

COMPARUTIONS :

Richa Chhabra

POUR LE DEMANDEUR

 

Justine Lapointe

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ace Law Group

Avocats

Edmonton (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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