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Date : 20060327

Dossier : T-1915-05

Référence : 2006 CF 388

Vancouver (Colombie-Britannique), le 27 mars 2006

EN PRÉSENCE DU PROTONOTAIRE ROGER R. LAFRENIÈRE

ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE EN MATIÈRE D'AMIRAUTÉ

À L'ENCONTRE DU NAVIRE « GREAT PRIDE »

ACTION SIMPLIFIÉE

ENTRE :

SUMISHO REFTECH CO., LTD.

demanderesse

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES

PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE

« GREAT PRIDE » , LE NAVIRE « GREAT PRIDE » ,

GRAND ATLANTIC SHIPPING PTE. LTD.

et COSCO CONTAINER LINES CO., LTD.

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente action simplifiée découle d'une réclamation formulée par la demanderesse, Sumisho Reftech Co., Ltd. (Sumisho), relativement à un transport de marchandises, qui est prescrite en Chine et au Japon. La défenderesse, Cosco Container Lines Company Limited (Cosco), sollicite la suspension de l'instance pour le motif qu'il n'y a aucun lien entre la réclamation en dommages-intérêts de Sumisho et le Canada.

Les faits

[2]                Dans la présente requête, il n'y a aucun différend au sujet de l'identité des parties en cause, des personnes qui devraient témoigner au procès ou du droit qui s'applique au litige.

[3]                Sumisho est une société japonaise. Cosco est une société chinoise dont le siège social se trouve à Shanghai et qui possède ou contrôle au Canada une filiale appelée China Ocean Shipping (Canada) Inc. (China Ocean). Le propriétaire du navire, Grand Atlantic Shipping Pte Ltd., est une société vietnamienne.

[4]                Le transport de marchandises visé dans la déclaration avait pour origine la Chine et pour destination le Japon. Les personnes qui ont été témoins du chargement de la cargaison seront en Chine, et celles qui ont été témoins du déchargement des marchandises, notamment un évaluateur japonais, seront au Japon. Il n'y a pas de témoin au Canada.

[5]                Selon le contrat de transport constaté par le connaissement de Cosco, c'est le droit chinois qui régit ledit contrat.

Analyse

[6]                Cosco reconnaît à juste titre que la Cour a compétence pour connaître de l'action de Sumisho. Selon l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C., 2001, ch. 6, « le réclamant peut, à son choix, intenter une procédure judiciaire ou arbitrale au Canada devant un tribunal qui serait compétent dans le cas où le contrat aurait prévu le renvoi de la créance au Canada, si [...] b) l'autre partie a au Canada sa résidence, un établissement, une succursale ou une agence » . La simple présence d'une filiale de Cosco au Canada est donc suffisante en soi pour conférer une compétence simpliciter à la Cour : voir Magic Sportswear Corp. c. Mathilde Maersk (Le),[2005] 2 R.C.F. 236 (C.F.); Ford Aquitaine Industries SAS c. Canmar Pride (Le), [2005] 4 R.C.F. 441 (C.F.). La question en litige est de savoir si la Cour devrait quand même refuser d'exercer sa compétence et suspendre l'action.

[7]                Le paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime empêche la Cour de suspendre les procédures lorsque les exigences des alinéas 46(1)a), b) ou c) ont été satisfaites et que le seul motif de la suspension serait une clause d'élection de for. Toutefois, en vertu de l'alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures lorsque le Canada n'est pas le lieu qui convient pour débattre d'une réclamation.

[8]                L'arrêt faisant autorité sur la question des principes relatifs au forum conveniens est celui rendu par la Cour suprême du Canada dans Amchem Products Inc. c. Colombie-Britannique (Workers' Compensation Board), [1993] 1 R.C.S. 897, qui a appliqué la décision de la Chambre des lords dans l'affaire The « Spiliada » [1987] 1 Lloyds' Rep. 1 (H.L.). Cette jurisprudence montre clairement que le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures devrait être exercé lorsqu'il est clair qu'un autre tribunal serait plus approprié pour connaître de la réclamation. Les principes sont fondés sur la courtoisie entre nations et visent à éviter que de multiples actions soient intentées devant les tribunaux de différents pays, ou la « recherche d'un tribunal favorable » .

[9]                D'après la preuve qui m'a été présentée, il est clair qu'il n'y a aucun lien entre la réclamation de Sumisho et le Canada. Tous les facteurs mentionnés dans la réclamation indiquent plutôt que la Chine ou le Japon est le lieu naturel pour débattre de la réclamation. La Chine est le pays où les marchandises ont été chargées à bord du navire et dont le droit s'applique à la réclamation, alors que le Japon est le pays où les marchandises ont été déchargées et où se trouvent des témoins ayant constaté l'état de ces marchandises.

[10]            Sumisho soutient qu'elle a intenté la présente action parce qu'elle percevait au Canada quelques avantages juridiques ou autres qui n'existaient pas au Japon ou en Chine. Elle a donné des exemples des désavantages que comporte le système juridique en Chine, comme les exigences très strictes en matière d'authentification de la preuve et la nécessité de traduire des documents en chinois. Pour ce qui est du Japon, Sumisho craint que le tribunal japonais confirme la clause d'élection de for qui se trouve dans le connaissement et suspende les procédures en faveur de la Chine.

[11]            Je ne suis pas convaincu que les désavantages en matière de procédure donnés en exemple par Sumisho causeraient une iniquité, ou qu'ils l'emportent sur le lien réel et important qui lie cette affaire à la Chine ou au Japon. Ils ne constituent certainement pas des motifs suffisants pour refuser la suspension. Les différences dans les systèmes de droit et les procédures doivent être respectées pourvu que justice soit rendue au fond : voir l'affaire Spiliada, précitée, à la page 14 :

[traduction] La clé de la solution à ce problème se trouve, à mon avis, dans le principe fondamental sous-jacent. Nous devons examiner où « le litige peut être tranché de manière adéquate au regard des intérêts de toutes les parties et des fins de la justice » . Examinons l'application de ce principe en ce qui a trait aux avantages que le demandeur pourrait retirer en invoquant la compétence anglaise. Parmi les exemples typiques, on trouve : des dommages-intérêts plus élevés; une procédure de communication préalable plus complète; le pouvoir d'accorder des intérêts; un délai de prescription plus long. De façon générale, je ne crois pas que le tribunal devrait être dissuadé d'accorder une suspension des procédures, ou d'exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser de le faire en vertu de R.S.C. Ord. 11, pour la seule raison que le demandeur sera privé d'un tel avantage, pourvu que le tribunal soit convaincu que les fins de la justice seront servies devant le tribunal approprié. Considérons, par exemple, la communication préalable. Nous savons qu'il existe une gamme de régimes en la matière dans différents pays, allant de la procédure limitée de communication de la preuve dans les pays de droit civil en Europe continentale à la procédure très généreuse de communication orale préalable au procès qui existe aux États-Unis d'Amérique. Notre procédure se situe quelque part entre les deux. Chacun de ces régimes a sans doute ses qualités et ses défauts; de façon générale, toutefois, je ne crois pas qu'on puisse objectivement affirmer qu'une injustice a été commise si une partie a, dans les faits, été obligée d'accepter l'un de ces régimes largement reconnus applicables au tribunal approprié outre-mer.

[12]            Sumisho reconnaît que sa réclamation n'a aucun lien réel et substantiel avec le Canada. Elle ne s'oppose donc pas énergiquement à une suspension des procédures, à la condition que Cosco consente à ce que l'affaire soit déférée à un tribunal japonais, que Cosco renonce à invoquer tout moyen de défense fondé sur la prescription, que le tribunal japonais accepte de se saisir de l'affaire et qu'il accepte la renonciation de Cosco. Cosco a offert de renoncer au délai de prescription, mais refuse les autres conditions.

[13]            Je conclus que la suspension devrait être accordée à la seule condition que Cosco renonce au délai de prescription. Il ne serait pas approprié d'obliger Cosco à accepter la compétence japonaise lorsqu'on ne sait pas de façon certaine si le Japon est le lieu indiqué pour débattre de la réclamation de Sumisho. Si le tribunal japonais devait décliner compétence, la demanderesse devra s'adresser de nouveau à la Cour pour établir qu'il serait dans l'intérêt de la justice d'annuler la suspension.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                   Les procédures sont suspendues.

2.                   La suspension des procédures est conditionnelle à ce que la défenderesse, Cosco Container Lines Co. Ltd., renonce à se prévaloir de la prescription applicable au Japon ou en Chine.

3.                   La demanderesse doit payer à la défenderesse, Cosco Container Lines Co. Ltd., les dépens de la présente requête, qui sont fixés à 750 $, plus les débours raisonnables, et sont payables immédiatement.

                                                                                                            « Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDERALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1915-05

INTITULÉ :                                        SUMISHO REFTECH CO., LTD.

                                                            c.

                                                            LE NAVIRE « GREAT PRIDE » et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO), par conférence téléphonique

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 6 MARS 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :                       LE 27 MARS 2006

COMPARUTIONS :

Shelly Chapelski

POUR LA DEMANDERESSE

Mark Sachs

POUR LA DÉFENDERESSE

COSCO CONTAINER LINES CO., LTD.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bromley Chapelski

avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Thomas Cooper & Stibbard

avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

COSCO CONTAINER LINES CO., LTD.

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